MONSIEUR DE DELÀ ET MONSIEUR DE DEÇÀ
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MONSIEUR DE DELÀ
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ET MONSIEUR DE DEÇÀ
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Roger de Collerye1 composa ce dialogue en 1533. Les affinités avec son Dyalogue de Messieurs de Mallepaye et de Bâillevant sont nombreuses. Toutefois, messieurs de Deçà et de Delà sont moins dégourdis que leurs deux prédécesseurs. Ils ne sont là que pour délivrer un « message » au roi : ils veulent que ce dernier prête main forte à son rival Charles Quint, qui tente de protéger la civilisation contre les Turcs. Mais François Ier, allié des barbaresques, manquera ce rendez-vous avec l’Histoire comme il en a manqué tant d’autres. (Voir la note 19 des Sobres Sotz.) Dans la Satyre pour les habitans d’Auxerre, Collerye réprouvait d’autres compromissions du triste Sire que fut François Ier.
Source : Les Œuvres de maistre Roger de Collerye, publiées en 1536 à Paris, chez la veuve de Pierre Roffet. Collerye a sans doute donné ses manuscrits à l’éditeur, mais n’a certainement pas revu les épreuves, à en juger par le nombre et la gravité des fautes qui gâchent ce livre.
Structure : Quintils enchaînés (aabaa/bbcbb).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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S’ensuyt ung petit dialogue de
Monsieur de Delà &
de Monsieur de Deçà,
composé l’an mil cinq cens trente-troys.
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MONSIEUR DE DEÇÀ commence.
Monsieur de Delà !
MONSIEUR DE DELÀ
Qu’i a-il ?
MONSIEUR [DE] DEÇÀ
À vostre advis, plaisant babil
Est-il estimé ?
M. DE DELÀ
N’en doubtez !
M. DE DEÇÀ
J’ay esté long temps en exil,
5 Et en grant danger de péril
De ma personne.
M. DE DELÀ
[Or] escoutez :
Nous avons esté déboutéz
Par le moyen2 de tel et telle,
Monsieur de Deçà.
M. DE DEÇÀ
Les gens telz,
10 Qui ont rentes, chasteaux, hostelz,
Nous ont fort nuy3.
M. DE DELÀ
La chose est telle.
M. DE DEÇÀ
J’ay advisé une cautelle4.
[Ma belle]5 est de haulte entreprise ;
Se je me trouve de coste elle6,
15 Supposé qu’el(le) n’est immortelle7,
De mon amour sera surprise.
M. DE DELÀ
Une chose qui est bien prise
Doibt-on louer.
M. DE DEÇÀ
Et ! ce faict mon8.
C’est une Dame bien aprise,
20 Laquelle presque autant je prise
Que le sage roy Salomon.
M. DE DELÀ
J’oz9 voluntiers vostre sermon.
Est-elle dame de respec10 ?
MONSIEUR DE DEÇÀ
Voire ! Sans tirer au lymon11,
25 Dè[s] cinquante escuz, son12 moumon,
Elle le baille chault et sec13.
Elle a bon recueil et bon bec14,
Bon maintien et bonne manière.
De regrectz, el n’en compte ung zec15.
30 À la fleûte, au luc16, au rebec
Dance tous les jours.
M. DE DELÀ
Singulière
Est en ses faictz, et familière,
Comme je croy.
M. DE DEÇÀ
Il est ainsi.
Dueil et chagrin sont mis arière
35 Hors de son cueur ; et est ouvrière17
De laisser ennuy et soulcy.
MONSIEUR DE DELÀ
Ce sont grans choses.
M. DE DEÇÀ
Et aussi,
Pour bien diviser18 d’amourettes,
C’est la nompareille. Transy19
40 Je suis — il n’y a qua ne si20 —
De ses façons tant guillerettes.
MONSIEUR DE DELÀ
Ses grâces, quelles ?
M. DE DEÇÀ
Sadinettes21.
M. DE DELÀ
Son entretien22 ?
M. DE DEÇÀ
Délicieux.
Or brief : entre les godinettes23,
45 En ris et petites minettes24,
Elle a le bruyt25 jusques aux cieulx.
MONSIEUR DE DELÀ
Quel est son regart ?
M. DE DEÇÀ
Gracieux.
M. DE DELÀ
Et son racueil26 ?
M. DE DEÇÀ
Très excellent.
M. DE DELÀ
Son devis ?
M. DE DEÇÀ
Fort solacieux27.
M. DE DELÀ
50 Et son maintien ?
M. DE DEÇÀ
Moult précieux.
M. DE DELÀ
Son vouloir, quel ?
M. DE DEÇÀ
Bénivolant28.
M. DE DELÀ
Homme n’est point lasche29 ne lent,
Quant de telle dame jouyt ;
Et ne sçaroit estre dolent30
55 En la baisant et acollant31.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Ung jour passé, elle m’ouÿt
Joyeusement et sans grant bruyt
Luy faisant mes regrectz et plainctes.
MONSIEUR DE DELÀ
Le ravy d’amours s’esbluyt32,
60 Monsieur de Deçà, s’il ne fuyt
Du dangier d’amours les ataintes.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Peu vallent amours par contraintes,
Monsieur de Delà.
M. DE DELÀ
Pour certain.
J’en ay congneu [et] maints et maintes
65 Qui ne s’entr’aymoient que par faintes.
M. DE DEÇÀ
De vraye amour n’est pas le train33.
MONSIEUR DE DELÀ
Laissons ce propos.
M. DE DEÇÀ
Pour refrain,
Quel bruyt court en Court34 ?
M. DE DELÀ
Je ne sçay.
Or, d’or ne d’argent je n’ay grain35 ;
70 Et ronger maulgré moy mon frain
Me fault, comme mule à l’essay36.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Monsieur de Delà, bague37 j’ay
Qui vault (sans mentir) quelque chose.
MONSIEUR DE DELÀ
De caqueter trop mieulx qu’ung geay
75 Je sçay la façon ; mais je n’ay
Meuble n’argent, dire je l’ose.
M. [DE] DEÇÀ
En ce cas n’y a texte et glose
Qui vaille38, monsieur de Delà.
M. DE DELÀ
L’homme propose et Dieu dispose,
80 Monsieur de Deçà39.
M. DE DEÇÀ
Je suppose
Qu(e) avant-hyer on vous en parla40.
M. DE DELÀ
Il nous convient passer par là
Où noz ancestres ont passé.
M. DE DEÇÀ
Depuis que mon bruyt41 s’en alla,
85 De chanter « ré my fa sol la »,
Pour eulx42 je ne puis, n(e) in pacé 43.
M. DE DELÀ
Le bon temps n’est pas [tré]passé44,
Monsieur de Deçà45.
M. DE DEÇÀ
Et ! non, non,
Monsieur de Delà. Effacé
90 Et aussi aux gaiges cassé
Je suys46, et sans bruyt et renon.
MONSIEUR DE DELÀ
Dÿomédès, Agaménon47
Ne firent jamais les prouesses
Que faict nous avons, ne Ménon48.
MONSIEUR DE DEÇÀ
95 Cela est tout vray.
M. DE DELÀ
Nostre nom
Partout est co[n]gnu.
M. DE DEÇÀ
Noz largesses49
Nous font souffrir ennuyctz, tristesses,
Qui est ung courroux inhumain.
M. DE DELÀ
Et de noz parens les richesses :
100 Qui en [a donc]50 eu les adresses ?
MONSIEUR DE DEÇÀ
Ilz en donnoient à plaine main.
M. DE DELÀ
Noz cousins monsieur de Demain
Et monsieur d’Aujourdhuy trop plus51.
M. DE DEÇÀ
Le[ur] cueur estoit si très humain
105 Que mainct Lombart et maint Rommain
Les ont fort priséz52.
M. DE DELÀ
Au surplus,
Que demandions-nous ?
M. DE DEÇÀ
Je conclus
Qu’il53 fault avanturer noz corps
Sur ces meschans Mahommetz turcs54,
110 Et sur ces luthérïens55 durs
À la Foy.
M. DE DELÀ
Ce sont bons accords.
Mais premier, fault que les discords56
De nos princes soient aboliz.
M. DE DEÇÀ
En ce faisant57, miséricors
115 Dieu nous sera, j’en suis recors58.
MONSIEUR DE DELÀ
Ces voulloirs-là treuve joliz.
M. DE DEÇÀ
Riches harnoys et bien poliz
Fait bon voir, et courrir la lance59.
M. DE DELÀ
Trop mieulx beaucoup que ces couliz60
120 Pour les malades en leurs lictz,
Qu’on faict pour amolir leur61 pence.
M. DE DEÇÀ
Le très chrétïen roy de France,
Acompaigné de ses vassaulx
Et bons gendarmes62, en substance
125 Leur donnera (comme je pence),
De bien brief63, merveilleux assaulx.
MONSIEUR DE DELÀ
J’ay vouloir de faire mes saulx64
De cueur gay avant que je meure.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Nous n’avons mulectz ne chevaulx.
MONSIEUR DE DELÀ
130 Endurer je veulx les travaulx65
De la guerre.
M. DE DEÇÀ
Je vous asseure,
Monsieur de Delà : chose est seure
Que je désire batailler
Ces infidelles !
M. DE DELÀ
D’heure en heure
135 J’en66 ay le vouloir.
M. DE DEÇÀ
Sans67 demeure
Y voy[s]68, se g’y suis chevalier.
MONSIEUR DE DELÀ
Prouvende69, pour avitailler
Les gendarmes et pïétons70,
Il y fauldra.
M. DE DEÇÀ
Or sans railler,
140 Turcs nous y verrons détailler71
Par Françoys, Picards et Bretons !
MONSIEUR DE DELÀ
Harnoys, pourpoincts et hoquetons
Y seront coupéz, détranchéz.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Comme tourbes de hanetons72,
145 Turquins, laquetz73 et valetons
L’on voirra aux arbres branchéz74.
M. DE DELÀ
Avanturiers plus espanchéz75
Chez Jacques Bons-homs76 on ne voit.
MONSIEUR DE DEÇÀ
De bien près, fort escarmouchéz
150 On les a, et effarouchéz,
Ainsi que raison le debvoit.
MONSIEUR DE DELÀ
Dieu — qui tout sçait et tout pourvoit —
Les a pugniz ; et nous aussi77.
MONSIEUR DE DEÇÀ
Les gens qui sont bons Il pourvoit ;
155 Et les mauvais, Il les renvoit
À dueil, à tourment et soucy.
MONSIEUR DE DELÀ
Pour conclusion, tout ainsi
Nous nous y trouvons, [en ce point78].
MONSIEUR DE DEÇÀ
Or est le temps partir d’icy
160 Pour aller boire à Irency79
Et engager80 robbe et pourpoint.
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LA FIN
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1 Voir la notice du Résolu. 2 Par la faute. 3 Éd : nuyt. (Les riches nous ont beaucoup nui.) 4 Une ruse pour obtenir la femme que j’aime. 5 Éd : La quelle (Ma belle est difficile à conquérir.) 6 À côté d’elle. « Sans cautelle/ Je fuz surprins, devisant de coste elle. » Collerye. 7 À condition que ce ne soit pas une déesse indifférente à l’amour d’un humain. 8 C’est exact. Cf. le Porteur de pénitence, vers 239. 9 J’ois, j’entends. 10 Respectable. « Bergères de respec. » Clément Marot. 11 Sans se fatiguer. Les limons sont les deux branches d’une charrette que tire un cheval. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant. 12 Éd : vng (Son sexe. « Il luy couvra son mommon : il la besongna. » Cotgrave.) 13 Elle le donne avec ardeur. Mais « chaud et sec » est à prendre au premier degré. Collerye utilise les mêmes rimes en -ec dans son Monologue du Résolu, vers 13-20. 14 Elle est accueillante et elle a une bonne bouche. 15 Elle n’en tient pas plus compte que d’une coquille de noix. « C’est tout ung, je n’en donne ung zec. » Collerye, le Résolu. 16 Au luth. Le rebec est un violon à trois cordes. « La fluste, le luc, le rebec. » Collerye, le Résolu. 17 Elle est habile. 18 Deviser, parler. 19 Transporté. « Je suys, de vostre amour, transy. » Lucas Sergent. 20 Déformation populaire de « ni quoi, ni si » : ni ceci, ni cela. « D’estre despit, il n’y a qua ne si. » Collerye. 21 Mignonnettes. 22 « L’amoureulx entretien. » La Pippée. 23 Les mignonnes. 24 En matière de risettes et de minauderies. 25 Elle est réputée. 26 Son accueil, notamment d’un point de vue sexuel. Idem vers 27. « En racueil excellente,/ Joyeuse en dict. » Collerye. 27 Plein de soulas, d’agrément. 28 Bienveillant. 29 Mou. « Un verd gallant bien ataché,/ Et qui ne soyt lâche amanché. » Le Trocheur de maris. 30 Il ne saurait être malheureux. 31 Ces deux verbes ont un sens érotique fort : « Baiser, acoller et fourbir [copuler]. » Le Cuvier. 32 Celui qui est emporté par l’amour est ébloui, aveuglé. 33 Ce n’est pas la coutume du véritable amour. 34 Collerye guettait les nouvelles de la Cour : « Que dict-on en Court ? » Satyre pour les habitans d’Auxerre. 35 Je n’ai pas du tout. 36 Il me faut ronger mon frein malgré moi, comme une mule qu’on met à l’épreuve, qu’on oblige à courir. 37 C’est la première chose que met en gage un homme qui a des dettes. « Engagez bagues et saintures. » Colin qui loue et despite Dieu. 38 Il n’y a pas de solution. 39 Éd : dela (Même inadvertance à 88.) 40 Deçà se moque de son interlocuteur, qui a l’air de découvrir ce proverbe antédiluvien. 41 Depuis que ma bonne réputation. Idem vers 46 et 91. L’imprimé intervertit ce vers et le suivant. 42 À cause de mes ancêtres, qui ont dilapidé mon héritage. 43 Et je ne peux même pas chanter requiescat in pace. « Vostre pouvoir est trespassé./ Chantez Requiescant in pace,/ Ou aprenez faire autre chose. » Discours sur les pions. 44 « Or est le bon temps trépassé. » Collerye, Dyalogue des Abuséz du temps passé. 45 Éd : dela 46 Je suis mis au rancart. « Que je ne soye cassé aux gaiges. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 47 Diomède et Agamemnon assiégèrent victorieusement la ville de Troie. 48 Ni Memnon, qui fut pourtant l’un des guerriers troyens les plus redoutables. 49 Notre magnanimité. 50 Éd : auoient (Qui en a eu le renfort, le secours ?) Nos héritiers de coffres vides poussent les mêmes plaintes que les Gens nouveaulx, vers 77-102. 51 Ces deux cousins donnaient encore plus leurs richesses que nos autres parents. 52 Les usuriers lombards ruinent les nobles : « Et les nobles emprunteront/ À belle usure des Lombars. » (Henri Baude.) L’Église romaine vend des indulgences et des pardons qui ruinent aussi les nobles. 53 Éd : Quid 54 Sur ces damnés musulmans turcs. Voir la note que consacre à l’expansion ottomane Sylvie LÉCUYER : Roger de Collerye. Un héritier de Villon. Champion, 1997, p. 510. 55 Éd : Lhuteriens (Le prêtre Collerye ne manque pas une occasion de dénoncer les « leuthérïens meschans et hérétiques ».) 56 Les discordes entre Charles Quint et François Ier. « Tant qu’en discord seront princes et roys. » Collerye, Rondeau contre discord. 57 Si nous faisons cela. 58 J’en suis informé, j’en suis sûr. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 68. 59 Et jouter contre un cavalier ennemi. 60 Cela vaut bien mieux que ces sucs roboratifs. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 235. 61 Éd : leurs (Leur panse.) Pour combattre leur constipation. Dans les farces, la peur suffit à faire déféquer. 62 Gens d’armes, soldats. Idem vers 138. 63 Très bientôt. 64 Mes sauts, mes voltes de cavalier. Le vers 129 s’y oppose. 65 Les épreuves. 66 Éd : 𝖨e y 67 Éd : Mon (Sans tarder. « Allons-y sans demeure ! » Frère Frappart.) 68 J’y vais. « J’y voys sans songier [tarder]. » Le Pasté et la tarte. 69 Éd : Pourviure, (Provende, ravitaillement. « Prouvendes de pain. » Godefroy.) Les deux affamés comptent se faire nourrir par l’armée. 70 Les soldats et les fantassins. 71 Être taillés en pièces. 72 Comme des nuées de hannetons qui se posent sur les arbres. 73 Éd : laqueltz (Les Turcs, leurs laquais.) 74 Pendus. « Il les fit tous brancher aux arbres. » Godefroy. 75 Éd : espauchez (On ne voit pas d’aventuriers plus répandus chez les paysans.) Les aventuriers sont des mercenaires qui pillent la campagne : « Les avanturiers ont bon temps,/ Quant ilz sont parmy ces villages,/ Et font souvent de gros dommages. » Troys Gallans et Phlipot. 76 Jacques Bonhomme est le nom générique du paysan qui supporte tout. « Cessez, cessez, gendarmes et piétons [soldats et fantassins],/ De pilloter [piller] et menger le bon homme/ Qui de long temps Jaques Bon-homs se nomme,/ Duquel blédz, vins et vivres achetons. » (Collerye.) Nos deux utopistes se voient déjà vainqueurs des Turcs : ils troquent désormais le futur de l’hypothèse contre le présent de l’acte accompli. 77 Dieu nous a punis nous aussi. 78 Lacune comblée par Sylvie Lécuyer, p. 259. Nous sommes punis par Dieu autant que les mauvais. 79 Le village d’𝖨rancy, près d’Auxerre (où vivait Collerye), était déjà célèbre pour son vin de Bourgogne. 80 Donner en gage au tavernier.
LES ENFANS DE BORGNEUX
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LES ENFANS
DE BORGNEUX
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Borgneux est une faute de lecture pour Boigneux (vers 263), qui est lui-même une faute de lecture pour Baigneux. À l’époque, Bagneux était un village agricole au sud de Paris, en pleine campagne. Les Parisiens se moquaient des paysans, qui les nourrissaient, en les affublant d’un accent picard1 : c’est le cas de nos deux habitants de Bagneux, comme ce fut le cas de Mahuet, qui était pourtant « natif de Baignolet ». Bagnolet est d’ailleurs nommé (v. 20), ainsi que d’autres villages proches de Paris2 : Clamard (v. 151), Gentilly (v. 157), Meudon (v. 166).
Jelle Koopmans3 attribue ce dialogue à Guillaume Crétin sur la foi de Charles Estienne, qui écrivait en 1543 : « Et quant aux Françoys, j’y mettray Pathelin avecq sa Guillemette & son drapier (…), Coquillart avecq son Plaidoyer4, Crétin avecq son Thibault Chènevote. » Le problème, c’est que le style emberlificoté de ce Grand Rhétoriqueur est sans le moindre rapport avec le style coulant de notre farce, où Thibaud Chènevotte n’est d’ailleurs que le faire-valoir du personnage principal, Guillot Tabouret, qui déclame 60 vers de plus que lui. Le nom « Thibaud Chènevotte » devait être proverbial : Jehan d’Abundance fit de lui l’un des signataires facétieux de sa Lettre d’escorniflerie (T 26), qui renferme beaucoup d’autres noms proverbiaux. Bref ! si Guillaume Crétin a composé une pièce intitulée Thibault Chènevote, force est de constater que ce n’est pas le présent dialogue.
Source : Recueil de Florence, nº 27.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, aaba/bbcb.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce des
Enfans de Borgneux
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À deux personages, c’est assavoir :
GUILLOT TABOURET
TYBAULT CHÈNEVOTE
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THIBAULT CHÈNEVOTE 5 commence
Hay, hay, hay6, Guillot Tabouret !
GUILLOT
Hay, hay, [hay] !
TIBAULT
Ventre sainct Canet7,
Guillot ! Et, que tu es mignon !
GUILLOT
Pourquoy ?
TIBAULT
Tu as ung beau bonnet
5 Tout fin pinpant.
GUILLOT
Michié8 ! c’est mon.
Et puis ?
TIBAULT
Tu fays du compaignon.
GUILLOT
Et toy, tu trenches du gorrier9.
Te marie-tu point ?
TIBAULT
Nenny non !
Me parle-tu de marier ? 10
GUILLOT
10 Ha, que tu es ung fin ouvrier11 !
TIBAULT
Ma foy, [que] tu es ung fin hoste12 !
GUILLOT
Tu es légier13 comme ung lévrier,
Quant il faut piquer de la bocte14.
TIBAULT
Sanc de moy15 ! Je n’y entens nocte
15 En ton fait, Guillot Tabouret.
GUILLOT
Et pourquoy, Thibault Chènevote ?
TIBAULT
Pour ce que t(u) es trop mignolet16.
Que gibet17 ! Il n’y a varlet,
Tant sache[-il] bien avoir de quoy,
20 D’icy jusque[s] à Bagnollet,
Qui soit si bien au mignolet
[Qui soit]18 si abille que toy.
GUILLOT
Va, va ! Tu te mo(u)cques de moy,
Mès19 toy, tu fringues comme raige.
TIBAULT
25 Non fois[-je], par la vertu goy20 !
Mès dy-lay tousjours de21 couraige.
GUILLOT
Thibault !
TIBAULT
Et quoy, [Guillot] ?
GUILLOT
Je gaige
Que je devineray bien celle
Que tu auras en mariage.
TIBAULT
30 Je gaige que non. Qui est-elle ?
GUILLOT
N’esse pas Dy[ane la belle22] ?
TIBAULT
Nenny non !
GUILLOT
Et ! si est[-ce], si.
Quel mestier est-il qu’on la celle23 ?
TIBAULT
Tru, tru ! Tu luy bailleras belle.
35 C’est tout le moins de mon souci.
GUILLOT
Si24, l’ayme-tu bien. [Si fais, si !]
TIBAULT
In Jan ! Aussi fais-tu les ti[e]nnes25 :
Pour Michelette, Dieu merci,
Il fault bien que tu l’entretiengnes.
GUILLOT
40 Voylà : chascun fait [bien] des siennes26
Le mieulx qu’il peult.
TIBAULT
C’est la façon.
Te tarde-il point que ne la tienne[s]
En l’ombre de quelque buisson27 ?
GUILLOT
Tu es ung terrible garson !
45 Il te semble que tu y es.
TIBAULT
Fourby luy as son pelisson28
Maintes fois.
GUILLOT
Hée ! bona dïès29 !
Te souvient-il que tu estiés30,
L’autre hier31…
TIBAULT
Où ?
GUILLOT
Bénédicité !
50 Ce fut ce jour que vous32 saultiez,
Qu’il n’estoit plus d’orribleté.
TIBAULT
O ! cela n’est qu’abilité33.
GUILLOT
Par ta foy ! en as-tu jouy ?
TIBAULT
Qu’ey-j[e] ouÿ34 ?
GUILLOT
Se t(u) as point joutté35
55 À elle ?
TIBAULT
In Jaques36 ! ouÿ.
Mès Dieu scet sy j’ay bien rouy
Et rauldé37, premier qu’en avoir !
GUILLOT
Tu en es tout fin resjouy.
TIBAULT
Et quoy ! aussy, tu fais ton depvoir
60 [De te faire bien recepvoir]38
Par la fille Perrin Piquet39.
GUILLOT
Je la fus encor au soir veoir,
En mectant ses porceaux en tect40.
TIBAULT
La baisas-tu point ?
GUILLOT
Ung tantet41.
TIBAULT
65 [Estoys-tu]42 aise ?
GUILLOT
Ha, Nostre Dame !
TIBAULT
T’estraingnit-elle point le det43 ?
GUILLOT
Sy fit44, par la vertu mon âme !
Mais de fin maleur, une femme
Cuida tout gaster45.
TIBAULT
Mès le diable !
GUILLOT
70 Par le [clair] jour, j’estoys infâme46,
Si je n’eusse trouvé l’estable47.
TIBAULT
C’est une chose espouventable
Que d’estre pris en [tel] destour48.
…………………………………. 49
GUILLOT
C’est mon. Et puis, [dessoubz ung four50],
75 Je cuidoye estre prins proprement.
TIBAULT
Je te prie, compte-moy comment
………………………….. 51
GUILLOT
J’entry [dans l’estable]52, et me cache
En ung quignet53, [tousjours hardy]54.
[Quant elle]55 vint tirer la vache,
80 Je la baisé à l’estourdy56.
TIBAULT
Quant fut-ce ?
GUILLOT
Ce fut [ung] mardy.
TIBAULT
En ce point57 ?
GUILLOT
En ce point, et voylà.
Comment [qu’il soit]58, m’y desgourdy
Ung coup ou deux, et puis haulà !
TIBAULT
85 Et là, de par le gibet, là !
Tu [luy] fis le sanglant pochon59 ?
GUILLOT
Tantoine60 ! nous fismes cela
En chantant l’Amy Bauldichon61.
Vint62, de fin maleur, ung cochon
90 Qui me cuida faire faillir ;
Je luy baillay si grant tourchon63
Du pied que je le fis saillir64.
TIBAULT
C’estoit assez pour tré[s]aillir
De frayeur.
GUILLOT
Ventre sainct Grys65 !
95 [La peur me fit le cueur faillir.]66
Je cuidoye que tout fust pri(n)s
Fors que moy.
TIBAULT
Hay, hay, hay !
GUILLOT
Tu t’en ry[s] ?
TIBAULT
J’en ry. Et puis, que veulx-tu dire ?
GUILLOT
Mauldy sois-je sy j[e m’]en ry[s] !
100 Ha, dea ! ce n’es[toit] point pour rire.
TIBAULT
Pourquoy cela ? Pourquoy, béchire67 ?
[GUILLOT]
Si j’eusse esté tenu privé68,
On m’eust mis en prison de tire69
Comme ung [vil] larron tout prouvé70.
TIBAULT
105 Tu estois [très] bien arrivé,
Qui t’eust veu71.
GUILLOT
Je r(e)gny72 mon serment !
Qui m’eust tenu [ainsi grevé73],
J’eusse eu des coups [bien] largement.
TIBAULT
Je te pri, conte-moy comment
110 T(u) en eschapas.
GUILLOT
Par sainct Michié !
…………………………….., 74
J’atendy que tout fut couché.
TIBAULT
Et puis ?
GUILLOT
Je marché tout fin bellement75.
Mais en passant par le marché,
Je fus croté amèrement.
TIBAULT
115 Tu en es bien, et gentiment.
Puisqu’elle t’aime [tout] ainsi,
[Ce ne sera qu’esbatement.]76
GUILLOT
[Si77 ay-]je le cueur tout transi,
Béchire : celle fille-cy78
120 Ne m’aime point, [ne donne un zec79
De ma personne].
TIBAULT
Si fait, si !
GUILLOT
Je voue80 à Dieu : j’en suis tout sec.
Cuides-tu81 ? Le faux traist[r]e bec
De sa belle ante lui82 jura
125 Que toy, ne moy, ne aultre avec,
De ce village, ne l’aura.
TIBAULT
Le dyable d’enfer la forga83 !
Elle vit trop de la moitié84.
GUILLOT
Jamais la vielle ne songa85
130 Que tout mal [faire86].
TIBAULT
C’est pitié.
GUILLOT
Si j’y87 metz, de l’ennée, le pié,
Je vueil qu’on m’appelle Huet88 !
……………………………… 89
Or, va [l’espouser] !
TIBAULT
J’en appelle90 !
GUILLOT
J’en auré bien une plus belle
135 Quant je vouldray, voire plus riche.
TIBAULT
Que gibet ! Tu ne tiens riens d’elle ?
GUILLOT
In Jaques ! non, s’il n’est en frische91.
Mais quelque chose qu’elle disse92,
Elle et tout le cariage93,
140 S’y fault q’une foys je m’i fiche94,
Si l’auray-je en mariage !
TIBAULT
Elle t’a donc promis ?
GUILLOT
Tay-toy, je gaige
[Qu’aussi] j’ay bien intencion
— Puisque je l’ay mis en [mon courage]95 —
145 D’avoir une citation96.
TIBAULT
As-tu fait consultacion
De cecy [touchant nullité97] ?
GUILLOT
J’ay passé proculacion98
[De] piéçà à l’adversité99.
TIBAULT
150 Fu[s-]tu pas, l’autre jour, cité
Par100 ceste fille de Clamard ?
GUILLOT
Que diable, bénédicité !
J’en euz ung coup de braquemard101 ;
Mès je [le] luy rendy gail[l]art :
155 Je n’euz pas couraige failly !
TIBAULT
Ne fusse pas contre ce paillart
Colin Guilly102, de Gentilly ?
GUILLOT
Tout juste !
TIBAULT
Est-il fort ?
GUILLOT
Qui, Guilly103 ?
Nenny non : ce n’est q’une vache.
160 Il n’oseroit estre assailli
Contre moy, je vueil qu’il le sache.
[Et] s’y fault que je m’y atache,
[Apportez-moy tost ung baston :]104
Je r(e)gni sy je ne luy arrache
165 Le museau !
TIBAULT
Non feras[-tu], non.
GUILLOT
Te souvient-il [point] qu’à Meudon
Je bailly si belle orgemuse105 ?
TIBAULT
À qui ?
GUILLOT
À ce villain goudon106
Qui jouoyt de la cornemuse.
TIBAULT
170 C’est tout ainsy que j’en use107 :
Pour ung coup, j’en baille sept.
GUILLOT
Il ne fault point qu’on s’i amuse
À me dire chose qui soit108 !
THIBAULT
Mais di[s-moy], hay : quant Jehan Gosset
175 Nous vint oster nostre may109,
Il en eut bien !
GUILLOT
Dieu le scet !
Il en eut à la bonne foy110.
THIBAULT
Combien estiez-vous ?
GUILLOT
Jour de moy !
Il estient111 tout premièrement
180 Jehan Peillon (ce112 maulvais garson),
Odin Bidault, et Robin Preudhom113,
Richart Coutet, Gillet Basset,
[Jehan] Michel. J’estiés114 six ou sept,
Et si115, [ilz] s’en fuirent trèstous.
THIBAULT
185 Mais qui estoit avecques vous ?
GUILLOT
J’estiés moy et toy.
THIBAULT
Et qui encor ?
GUILLOT
Et ! que sçay-je ? [Briffault, Paillart116,]
Tire-Viret117, Martin Couillart,
Et aussi le grant Guillot.
THIBAULT
190 Et ! que c’est ung gentil fillault118 !
GUILLOT
Quelque vent qui puisse venter
— Je ne dis pas pour me venter —,
J’avois [sur eux]119 tousjours le bruit.
THIBAULT
Mais j’ay ung point qui me destruit.
GUILLOT
195 Et quel point ?
THIBAULT
Je suis trop franc.
Aga120 ! se je n’avoye q’ung blanc,
Et [que deux deniers tu voulois]121,
La vertu goy, tu les aurois122 !
GUILLOT
Autant123 te dis ! Il ne pert mie,
200 Aussi, à nostre filomie124,
Que je n’avons gentil couraige125.
TIBAULT
Vis-tu onc feste126 de village
Aussi belle que fut la nostre ?
GUILLOT
[La feste ?] Tantoine l’Apostre !
205 Ce fut jusques dedens la ville
De Paris. Et si estoit habille
Assez127.
TIBAULT
J’estïéz bien en point128.
GUILLOT
Avois-je pas ung beau pourpoint ?
TIBAULT
Nos livrées estiés gorrières129.
GUILLOT
210 Au ! que ces filles estiés fières,
Quant je les menïés dancer !
TIBAULT
C’estiés mon. [Pour mieulx trémoucer130,]
Aussi, j’avès ung bon bedon131
Qui faisoit si bien « don, don, [don] ».
GUILLOT
215 Dansay-je pas bien ?
TIBAULT
Et moy, quoy ?
GUILLOT
Oncques[-puis132], par la vertu goy,
Je ne cessay d’estre amoureux.
TIBAULT
Nous le sommes donques tous deux.
Car, par le jour qui [sur] nous luit,
220 Onques-puis [je] ne dormi nuit :
Je ne fais tousjours que songer,
[Je pers le boire et le menger.]133
GUILLOT
Quant je suis au champ, cuide-tu ?
J’ay le cueur aussi abatu.
225 C’est grant pitié que de mon fait.
TIBAULT
Sces-tu que134 ceste garce fait ?
Quant je viens au soir, et je clique
Mon fouet135, elle, [aussitost s’]136 attricque
Et m’apporte ung bouquet gaillart.
GUILLOT
230 Et ! que mauldit soit le paillard,
Se je le veulx ! Que tu es aise !
Et que fais-tu ?
TIBAULT
Je la baise
[À désir137] ung bon horïon.
GUILLOT
Je fay ainsi de Marïon ;
235 Mais [chez elle], elle est si hastive !
TIBAULT
Pourquoy cela ?
GUILLOT
Elle est craintive.
Et puis on la tient trop subjecte138.
Aulcuneffois139, elle me gecte
Par la fenestre ung petit brin
240 De lavende ou de rommarin.
Toutes les fois qu’el(le) me regarde,
Elle rit. Sainct Anthoine m’arde140 !
Cuide-tu ? J’en suis tout godin141.
Mais son oncle, Tailleboudin142,
245 S’en est bien aperceu.
TIBAULT
[Or] vien
Çà : que luy as-tu donné ?
GUILLOT
Rien.
TIBAULT
Et ! dy-le-moy, je te requier.
GUILLOT
Je luy donné ung espinglier143
Qui m’avoit cousté six tournas144.
TIBAULT
250 Mort d’homme, [Guillot], tu en as145 !
GUILLOT
J’ay tousjours [pinte] à desjuner,
Mon petit demy-cartier [à disner146],
Et demistier tout [en ung tas]147.
[TIBAULT, en chantant :]
Cueilly, cueilly, belle bille, beau tas148.
GUILLOT
255 J’en ay ung poinson et deux caques149.
TIBAULT
Se tu les gardes jusqu’à Pasques,
Ilz te vauldront [bonne mémoire]150.
GUILLOT
Mais ce sera — tu peuz bien croire —
Pour me mettre sur le bon bout151.
TIBAULT
260 Je fringuerons152.
GUILLOT
À tout153, à tout !
Je ferons la feste nous deux.
TIBAULT
Voire ! Et on dira partout :
« Voilà les enfans de Boigneux ! »
GUILLOT
Mais, beau sire, ces amoureux
265 De Paris, ont-il plus beau temps ?
THIBAULT
Il sont plus [que nous maleureux]154,
Car [aux champs], je sommes contens
De ce que j’avons.
GUILLOT
Je m’atens
À faire plus, d’ung quarteron
270 D’esguilles155, à [ce que j’entens]156,
Qu’ilz ne feront d’ung chaperon157.
TIBAULT
Sans fournir158, ilz n’ont rien.
GUILLOT
Jehan159 ! non.
Cuide-tu ? Les160 femmes de ville
Ne font riens s’il n’ont, gros et bon,
275 La croix devant161. C’est le s[e]tille.
C’est bruit qu’ilz ont le corps habille162.
THIBAULT
Michel ! Aussi ont-ilz la main163 :
Ilz prendront bien, au jourd’uy, mille164
Bons escus, et autant demain.
GUILLOT
280 Ilz ont si beau cul !
THIBAULT
Mais beau sain !
GUILLOT
Je ne sçay, moy, dont vient l’usaige.
Je croy qu’il n’ont point [le] cueur sain,
D’estre si palles au visage165.
TIBAULT
Par Dieu ! [nos] femmes de village
285 Sont aussi belles, soubz les draps,
Tant pour tant et gaige pour gaige166,
Que ceulx qui font tant de fratras167.
GUILLOT
Il168 ont menu corps, menu bras.
Il font bien, si bien, [les] sucr[é]es169 ;
290 Mon Dieu, [que] c’est fin ypocras170 !
TIBAULT
S’elles171 sont ainsi acoutrées,
Et fussent-ilz comme bourrées172,
Il tient à ces façons nouvelles173
Qu’il ont de ces robes fourées ;
295 Si les font-il devenir belles174.
GUILLOT
Je r(e)gni ! [Ce] sont fines fumelles175.
Il ont [ungs yeulx si très rians]176 !
[T]IBAULT
J’en voys, au vilage, de telles
Qui les ont presque aussy frians.
GUILLOT
300 L’autre jour vis, en chériant177,
Celle-là.
TIBAULT
[Au jeu]178 d’amourettes,
Il n’est tel plaisir récréant179
Qu’estre180 aux champs avec les fillètes.
GUILLOT
Aux champs, aux champs ! La ville put181 !
305 Faisons quelque beau vasselage182,
Et frappons au blanc et au but183 !
Il n’est amours que de village.
.
EXPLICIT
*
1 Halina Lewicka examine les tournures picardes et parisiennes de notre pièce dans ses Études sur l’ancienne farce française, p. 64. 2 Ils en étaient beaucoup plus éloignés qu’aujourd’hui, car la capitale n’était pas encore devenue cette ville tentaculaire qui a phagocyté tous les environs. Plusieurs arrondissements actuels n’étaient alors que des hameaux indépendants. 3 Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 389-400. 4 Le Plaidoyé d’entre la Simple et la Rusée, de Guillaume Coquillart. Voir l’édition des Œuvres de Coquillart publiée par Michael Freeman, Droz, 1975, pp. 3-55. 5 La chènevotte est du chanvre écorcé qui s’enflamme vite et qui aide le bois vert à flamber. 6 Retranscription du rire, comme au vers suivant et au vers 97. 7 « Ventre sainct Quénet ! Parlons de boire ! » Gargantua, 5. 8 Forme picarde de « par saint Michel » : voir les vers 110 et 277. C’est mon = c’est mon avis ; idem vers 74 et 212. 9 Tu fais l’élégant. Voir le vers 209. C’est dimanche : les deux villageois ne travaillent pas et ont revêtu leurs beaux habits pour plaire aux filles. 10 Même refrain de chanson au vers 448 du Povre Jouhan. 11 Un habile débrouillard, comme ceux qui esquivent une question gênante par une pirouette ou une chanson. 12 Allusion aux finesses que déploient les hôteliers pour se faire payer. « Quel fin hoste ! » Chagrinas. 13 Rapide. 14 Quand il faut fuir, ou esquiver une question embarrassante. 15 Par mon sang ! Cf. les Maraux enchesnéz, vers 65. Je n’y entends note = Je n’y comprends rien ; cf. le Prince et les deux Sotz, vers 58. 16 Mignon, plaisant. « Tu es » se prononce « t’es », à la manière parisienne ; idem vers 54 et 110. 17 Atténuation de : « Que diable ! » Idem vers 85 et 136. 18 F : Ne (Qui soit aussi habile que toi.) 19 Mais. Idem vers 26, 56, 69, 154. Fringuer = se fringuer avec une élégance tapageuse. Mais aussi : culbuter une fille. « Trois foys il l’a fringuée à l’ombre d’ung buisson. » (Fringuez, moynes, fringuez.) 20 Je ne le fais pas, par la puissance de Dieu ! 21 F : bon (Mais dis-le toujours de bon cœur. « Vous estudïez de couraige. » Pernet qui va à l’escolle.) 22 Je comble arbitrairement cette lacune grâce au Miracle de saint Panthaléon : « Nanil, par Dyanne la belle ! » Les flatteurs baptiseront ainsi Diane de Poitiers : « Pour estre aimé de Diane la belle. » Clément Marot. 23 Quel besoin y a-t-il de taire son nom ? Mais seller une femme, c’est la chevaucher : cf. le Ribault marié, vers 459. 24 Pourtant. Idem vers 118 et 184. 25 Par saint Jean ! Tu aimes aussi les tiennes. 26 Fait avec les siennes, fait avec ses maîtresses. Mais « faire des siennes » = faire des bêtises. « Chascune fera bien des siennes. » Les Femmes qui aprennent à parler latin. 27 La note 40 d’Un qui se fait examiner explore ces buissons à l’ombre propice. 28 Sa fourrure, son pubis. « Pour me fourbir mon peliçon. » Ung jeune moyne. 29 Bonjour. C’est ce qu’on répond ironiquement à celui qui se mêle de nos histoires de fesses comme un curé. « Car mon cul te dit bona diès ! » La Trippière, F 52. 30 Que tu étais. On retrouve ces désinences pseudo-parisiennes aux vers 179, 183, 186, 207, 209, 210, 212. 31 F : iour (L’autre jour. On scande l’au-trièr en 2 syllabes. « L’autre hyer, revenant de Monmartre. » Le Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.) 32 F : tu (Que vous dansiez ensemble, tellement qu’il n’était rien de plus horrifique.) 33 Ce n’est qu’une question d’agilité. Cf. le Fossoieur et son Varlet, vers 11. 34 Que dis-tu ? 35 Entrepris une « joute » amoureuse. Cf. le Raporteur, vers 443. 36 Par saint Jacques ! Idem vers 137. 37 Macéré <Queues troussées, v. 253> et galopé <Marchebeau, v. 25>, avant de l’avoir. 38 Vers manquant. « Un très asseuré sauf-conduict pour le faire bien recevoir. » Pyramus de Candole. 39 La fille de P. Piquet, l’éleveur dont Guillot est l’homme à tout faire. 40 En rentrant ses porcs dans leur étable. « Mon mary jainct/ Comme ung pourceau dedans son tect,/ Quant il a foullé ung tantet/ La ‟vendenge”. » Raoullet Ployart. 41 Un tantinet, un peu. 42 F : Et toy (Voir le vers 231.) 43 F : doy (Le doigt. « Engrillonné pousses et detz [les pouces et les doigts attachés]/ Comme larron, car il fut des/ Escumeurs que voyons courir. » Villon.) Serrer le doigt d’un homme est affectueux : « Je le tiens par le doigt./ La nuict, quand je me couche,/ [Il] se met auprès de moy. » (Mon père, aussi ma mère.) Mais le doigt peut désigner le pénis : « J’ay gaigné la chaude-pisse ;/ Et du doy de quoy je pisse,/ On m’en a coupé le bout. » Chansons folastres. 44 F : fut (Elle le fit.) 45 Les privautés hors mariage sont souvent gâchées par l’arrivée d’une importune : cf. le Poulier à sis personnages, vers 598-601. 46 En plein jour, j’aurais été déshonoré. 47 L’étable à cochons du vers 63. On ne compte plus les amants qui ont dû « s’en fuyr tout nud,/ Se cacher dedans une estable ». Pour le Cry de la Bazoche. 48 Dans une telle embuscade. « Quant je me treuve en tel destour. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 49 Lacune de 4 vers. L’aventure qui a débuté hier soir (v. 62) s’est terminée ce matin (v. 70). Thibaud rappelle maintenant à Guillot un épisode plus ancien. 50 F met cet hémistiche à la fin du vers 78. Les fours étaient des ouvrages de maçonnerie surélevés, sous lesquels on entreposait le bois de chauffe. Il était donc possible de se cacher dessous provisoirement. 51 Lacune de 3 vers. Thibaud interroge Guillot sur une autre de ses aventures, qui eut lieu un mardi (v. 81). 52 F : la 53 Dans un recoin. « En ung quingnet me mys secrètement. » Octovien de Saint-Gelais. 54 F : dessoubz ung four (Voir la note 50.) « Un chien est tousjours hardy sur son fumier. » Proverbe. 55 F : Tant quelle (Quand la nièce de la tante du v. 124 vint traire la vache.) 56 Je l’embrassai sans réfléchir. 57 C’est tout ? 58 F : ie (Quoi qu’il en soit, je m’y activai. « Comment qu’il soit,/ Je suis de luy trèsfort content. » Colin qui loue et despite Dieu.) 59 « PAUCHON, s.m., pieu. » René Debrie, Glossaire du moyen picard. 60 Par saint Antoine ! Idem vers 204. 61 « L’amy Baudichon, ma dame, l’amy Baudichon. » Nous avons perdu le texte complet de cette rengaine, mais le titre en fut souvent repris, notamment dans la chanson Une bergerotte : « Robin Taste-motte/ Leva son plisson [sa pelisse] ;/ Par-dessoulz sa cotte,/ Luy tasta son con./ Et luy dist : ‟Chanton/ Notte contre notte/ Et l’amy Baudichon.” » Sur l’air de la chanson originale, Josquin Des Préz composa pieusement une Missa L’ami Baudichon. 62 F : Mais (Le cochon, malgré son nom encourageant, fait lui aussi obstacle aux amoureux : « Puis Martin juche, et lourdement engaine./ Le porc eut peur, et Alix s’escria :/ ‟Serre, Martin ! Nostre pourceau m’entraîne !” » Marot.) 63 Coup. « Deschargez sur ce pèlerin/ Torchons plus drus que pois en pot ! » Godefroy. 64 Sortir de l’étable. 65 Par le ventre de saint François d’Assise, qui portait une robe grise. 66 Vers manquant. « La puanteur,/ Hélas, me faict faillir le cœur. » Le Retraict. 67 « BÉCHIRE : beau sire. » (R. Debrie, Glossaire du moyen picard.) Idem vers 119. 68 F : a prime (Se dit d’un oiseau qu’on met en cage pour l’apprivoiser. « Ce petit oyseau se paist de toute sorte de pasture (…), mais estant tenu privé, il mange volontiers de la navette. » Pierre Belon.) 69 Tout d’un coup. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 351. 70 Comme un fieffé voleur. « C’est un meschant laron prouvé ! » (Le Retraict.) Les vols de bétail étaient sévèrement punis, quand ils n’étaient pas commis par des soldats. 71 Tu serais bien tombé, si on t’avait vu ! « Me voicy trèsbien arrivé ! » Pernet qui va à l’escolle. 72 Je renie. Même contraction euphémique aux vers 164 et 296. Pour tromper le diable, on prononçait « jerni » ou « jarni » : jarnidieu ! 73 Si on m’avait trouvé dans cette position de faiblesse. « Neptune seul se tient ainsi grevé. » Jacques Peletier du Mans. 74 Lacune de 2 vers. Guillot sort de l’étable, mais il doit attendre que toute la maison dorme avant de sauter le mur et d’atterrir dans la rue. 75 Une fois dehors, je marchai d’un bon pas. « Il marcheroit si bellement. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 76 Vers manquant. J’emprunte le vers 259 de la Satyre pour les habitans d’Auxerre. 77 Pourtant. « Si ay-je merveilleux couraige. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 78 F : la 79 Ne donne pas même une coquille de noix. « Je n’en donne ung zec. » Le Résolu. 80 F : feue (Je prends Dieu à témoin. « Je voue à Dieu et sainct Martin. » Les Mal contentes.) 81 Le croirais-tu ? Idem vers 223, 243 et 273. 82 F : qui (La bouche médisante de sa tante lui jura… Cf. l’Antéchrist, vers 16.) 83 Forgea cette tante. Même « g » dur picard à la rime : song[e]a. 84 Elle a vécu deux fois trop longtemps. 85 Jamais cette vieille ne songea, ne machina. 86 « À tout mal faire se déduisoit, & de bien faire ne luy chaloit. » Robert le Diable. 87 F : icy (Le « c » est de trop.) Si, de toute l’année, je mets le pied dans son étable. 88 Je veux bien qu’on me traite d’imbécile. « Je veulx qu’on m’appelle Huet/ Se, de moy, il a jà tournoys [un sou] ! » Te rogamus audi nos. 89 Lacune de 5 vers. Thibaud vante les mérites de la nièce ; Guillot lui répond qu’il n’a qu’à l’épouser. 90 Je fais appel, je m’y oppose. Cf. le Marchant de pommes, vers 175. C’est le premier terme juridique d’une longue série. 91 Si son sexe n’est pas en manque. « Povres femmelettes en friche/ Par faulte d’estre ‟labourées”. » G. Coquillart. 92 Qu’elle dise. Les Picards prononçaient « diche » : Debrie, Glossaire du moyen picard, p. 151. 93 Toute sa famille, et notamment la tante, qui refuse de m’accorder sa nièce. « Mon frère est sot et ma seur sote,/ Et moy, et tout leur cariage. » Rondeau. 94 Que je me fourre dans son vagin pour la mettre enceinte. 95 F : ma teste (Dans mon cœur, dans mon esprit. « Soubdainement, je miz en mon couraige/ De vous escripre. » Michel d’Amboise.) 96 Une citation à comparaître devant elle : d’obtenir un rendez-vous galant. Les deux hommes détournent le jargon judiciaire à des fins érotiques ; le théâtre basochien repose sur de tels détournements. Voir la notice de Pour le Cry de la Bazoche. 97 L’official prononce la nullité d’un mariage qui n’a pas été consommé. 98 F : procultacion (Procuration. « Porteur et chargé de proculation…. La ditte proculation portant pouvoir au dis Charles Viollet de passer acte en forme de transaction. » Archives de Gournay.) Jeu de mots sur cul. « Sy vous faictes cullation,/ Mounyère, avec monsieur le brave. » Le Poulier à sis personnages. 99 F : la diuersite (Depuis longtemps à la partie adverse.) 100 F : Pour (Cité à comparaître devant l’Officialité, pour l’avoir mise enceinte.) 101 Un coup de semonce, un avertissement. Mais le double sens phallique du braquemart ne tarde pas à émerger. 102 F : guillon (Le nom de Guilly existe, et il est nécessaire pour la rime du vers suivant.) 103 F : luy 104 Vers manquant. « Apportez-moy tost un baston,/ Que je luy casse le museau ! » Jéninot qui fist un roy de son chat. 105 Un coup. « Tien ! pren celle orgemuse ! » ATILF. 106 On traitait les Anglais de « godons » : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 225 et note. La cornemuse semble viser les Écossais composant la garde des archers du roi : cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 129-130. 107 À partir d’ici, beaucoup de vers ne font que 7 syllabes alors que leur sens et leur rime sont satisfaisants, comme si l’auteur n’avait pas eu le temps de les peaufiner. Je n’y toucherai donc pas. 108 Quelque injure que ce soit. On prononce « sè ». 109 Selon une coutume peu catholique — elle remonte aux druides —, le premier mai, on jonchait avec de la verdure (du houx, des branches de hêtre) le seuil de sa promise ou des gens auxquels on voulait porter bonheur. Si ce houx était dérobé, cela portait malheur. Notre dialogue est peut-être l’œuvre des basochiens de Paris qui, le dernier samedi du mois de mai, plantaient un « may » — c’est-à-dire un arbre — dans la cour du Palais de justice. 110 Il eut des coups en toute naïveté. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 447. 111 Ils étaient : il y avait, du côté de nos ennemis. 112 F : et 113 F : preudhomme (On prononçait prudon : « Vaillans preudhoms,/ N’oubliez pas ces beaux pardons. » Saincte Caquette.) 114 De mon côté, nous n’étions que 6 ou 7. 115 Et pourtant, nos adversaires… 116 J’emprunte au Capitaine Mal-en-point le nom de ces deux soldats plus enclins à attaquer une cuisine qu’une forteresse. 117 Tire flèche. 118 Un bon compagnon. « Tenez, la belle : ay-je trouvé,/ À ceste heure, ung gentil fillault. » Ung jeune moyne. 119 F : deux (J’avais l’avantage sur nos ennemis. « [Gens d’entendement] haront le bruit sus eulx certainement. » Pronostication d’Habenragel.) 120 Regarde ! Cette exclamation est plus normande que picarde, comme « dis-lay » au vers 26 ; mais l’essentiel est de faire patoiser les deux paysans. 121 F : tu voulois les deux deniers (Un blanc vaut 5 deniers.) 122 F : ouroies 123 F : Autel (J’en ai autant à ton service.) 124 Il ne paraît pas, d’après notre physionomie. « Un beau personnaige représentant ou figurant le Roy, choisi au plus près de sa philomie. » Godefroy. 125 Que nous n’ayons pas un cœur valeureux. 126 F : teste 127 Et elle était très bien organisée. 128 J’étais élégant. 129 Nos costumes étaient pimpants. 130 « Et verrons qui mieulx dencera/ Et qui mieulx se trémoucera. » ATILF. 131 Il y avait un bon tambour. « Ne dancer qu’au joly bedon. » Sermon pour une nopce. 132 Jamais depuis. Idem vers 220. 133 Vers manquant. J’emprunte le vers 82 des Chambèrières qui vont à la messe. 134 Ce que. « Garce », féminin de « gars », n’est pas péjoratif ; voir la notice de Frère Phillebert. 135 Et que je fais claquer mon fouet à bœufs pour lui signaler mon arrivée sans prendre le risque de frapper à sa porte. 136 F : sen (Elle s’attife.) 137 « Baiser, acoller à désir. » (Les Femmes qui demandent les arrérages.) Je l’embrasse un bon coup. Mais aussi : Je la besogne un bon coup. Baiser = copuler : voir la note 130 du Povre Jouhan et la note 29 du Trocheur de maris. Horion = coup de pénis : « La dame (…) s’escrye, disant que son ‟escu” n’estoit assez puissant pour recevoir les horions de si gros fust. » Cent Nouvelles nouvelles, 86. 138 Son oncle la traite comme une servante. 139 Parfois. 140 F : tarde (Que le mal des ardents me consume ! « Que le feu sainct Anthoine m’arde/ Se je ne luy baille sa part ! » La Nourrisse et la Chambèrière.) 141 Réjoui. 142 Ce nom, plébiscité par la littérature joyeuse, est ici donné à un négociant en vin. Traditionnellement, les buveurs se gavent de charcuterie salée parce qu’elle donne envie de boire. « –Et apportez force de vin !/ –Faciem [que je fasse] force de boudins. » Les Sotz nouveaulx farcéz. 143 Un étui à épingles. Guillaume Coquillart regrette l’époque où les femmes se contentaient de si peu : « On aymoit pour ung tabouret*,/ Pour ung espinglier de velours./ Aujourd’huy, il fault le corset,/ Ou bailler dix escus d’ung tret. » *Guillot Tabouret porte le nom des coffres à bijoux « appelléz tabouretz, sur les couvercles desquelz on mect des espingles ». Godefroy. 144 6 deniers tournois (prononciation picarde). 145 Tu as de l’argent (ironique). Ou bien : tu as des cornes, puisqu’une maîtresse si mal entretenue ne peut que te cocufier. 146 Un demi-quart de vin au dîner. « Pinte à soupper, pinte à disner,/ Et puis chopine à desjeuner. » (Le Capitaine Mal-en-point.) La nièce du marchand de vin veille à ce que son prétendant ne se dessèche pas. 147 F : entier (Et un demi-sétier de vin en même temps. « Adieu toute ceste assemblée,/ Pelle-melle, tout en ung tas ! » Le Povre Jouhan.) 148 Une grande quantité, un gros tas. Ce décasyllabe hermétique semble provenir d’une comptine. 149 J’ai obtenu d’elle un tonneau et deux barriques. « On ne trouvoit que ung caque de vin, ou ung poinsson tout au plus. » ATILF. 150 F : de bon argent (Pâques est le moment où l’on se confesse ; il faut alors se souvenir de tous les péchés qu’on a commis dans l’année : « –Si le fault-il dire/ Au confesseur, quant vient, à Pasques./ –Quant j’y suis, il ne m’en souvient. <Les Chambèrières et Débat.> Par chance, le vin développe la mémoire : « –Versez à boyre seullement !/ –Et, aurez très bonne mémoyre. » Deux hommes et leurs deux femmes.) 151 Je vendrai ce vin pour me mettre sur mon trente-et-un. « (Il) m’a mis dessus le bon bout. » Pour le Cry de la Bazoche. 152 Nous frimerons. Idem vers 24. 153 Allons ! « Sus, sus, à tout ! » Les Botines Gaultier. 154 F : maleureux que nous 155 F : Despuilles (Avec 25 aiguilles : grâce à l’épinglier que j’ai offert à Marion au vers 248.) 156 F : mon intencion (À mon avis. « À ce que j’entens,/ Ce Caresme, avons eu bon temps. » L’Antéchrist.) 157 En offrant à leur amie un chaperon. Cela suffit pour acheter les faveurs d’une femme ; cf. le Gallant quy a faict le coup, vers 41 et note. 158 S’ils ne fournissent pas d’argent. 159 F : In iaques (« Jehan ! » = par saint Jean. Cf. le Marchant de pommes, vers 1.) 160 F : des 161 La pièce frappée d’une croix avant toute chose : « Je resemble aux archevesques : je ne marche point si la croix ne va devant. » (Pierre de Larivey.) C’est le style = c’est la façon de maintenant. « C’est la fasçon, c’est le setille. » Les Coppieurs et Lardeurs. 162 Il est de notoriété publique qu’elles sont habiles de leur corps. 163 Elles ont aussi la main habile quand il s’agit de prendre l’argent de leurs clients. 164 F : mise 165 Guillot fait mine de croire que la pâleur des Parisiennes est due à leur mauvaise santé, alors qu’elle est due au maquillage. 166 En comparaison. 167 Que celles qui font tant de chichis. La forme fratras est correcte : voir par exemple les vers 56 et 63 des Sotz qui corrigent le Magnificat. 168 Les Parisiennes. 169 Les doucereuses. « Je n’ay dueil que des vieilles dogues/ Qui font les sucrées. » Dyalogue pour jeunes enfans. 170 L’hypocras est un vin médicinal dont on ne se méfie pas parce qu’il est très doux, mais qui fait vite tourner la tête. 171 F : Celes (Si elles. « Leurs culz fourréz cherroient embas,/ S’elles n’estoient ainsi senglées. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.) 172 Si leurs fesses ont l’air d’être rembourrées par un faux cul. « Celles qui deux culs supportent/ Sous les robes qu’elles portent,/ Desquels l’un, de chair, la nuit/ Leur sert à prendre déduict ;/ L’autre, de crins et de bourre,/ Autour leurs fesses embourre. » (Pierre Le Loyer.) F descend ce vers après 294. 173 F : nonuellez (Cela tient à ces modes nouvelles. Cf. les Femmes qui plantent leurs maris, vers 377.) 174 Leurs robes rembourrées les font devenir belles. 175 Je renie Dieu ! Ce sont des femmes malignes. 176 F : ung yeuly si atirens (Uns yeux = une paire d’yeux : « Elle vous a uns yeulx petis…./ A ! que vous avez ungs fins yeulx. » La Pippée.) La rime — et une longue tradition — postule pour l’adjectif riants : « Car il a si très rians yeulx. » Moralité de Fortune. 177 En conduisant ma charrette. Guillot montre une des spectatrices. 178 F : Aga pour parler (« Alons derière le rydeau/ Acomplir le jeu d’amourètes. » Le Poulier à sis personnages.) 179 F : recouuert (Il n’est pas de plaisir si divertissant. Les Picards prononçaient « récriant ».) 180 F : Que destre 181 Pue. Les citadins n’ont pas attendu Rousseau pour s’extasier béatement sur une nature dont ils ignorent tout : « Fi, fi, la ville put ! Les champs et les fustaies,/ Le doux chant des oiseaux, ne sont point destinéz/ Pour ceux qui sont tousjours aux villes confinéz. » Claude Gauchet, le Plaisir des champs. 182 Un bel acte de bravoure, ici ramené au domaine sexuel. 183 Tirons dans la cible féminine.
BEAUCOP-VEOIR ET JOYEULX-SOUDAIN
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BEAUCOP-VEOIR ET
JOYEULX-SOUDAIN
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Ce dialogue parisien1, écrit peu après 1480, confronte un vieux dragueur revenu de tout à un jeune galant qui ne doute de rien. Un Casanova usé, dont l’ultime plaisir est de se remémorer ses frasques amoureuses, tente de rebuter un jeune Don Juan qui s’apprête à commencer le catalogue de ses conquêtes. On assiste au même face à face dans le dialogue du Viel amoureulx et du Jeune amoureulx (LV 9). Le Trésor des sentences résume ces affrontements générationnels dans un proverbe : « Si jeunesse sçavoit / Et vieillesse pouvoit. »
Le dialogue tourne parfois au monologue : dès que le vieux radoteur a enfourché son dada, il fonce en ignorant les questions que lui pose son jeune interlocuteur, au demeurant peu sympathique.
Source : Recueil Trepperel, nº 24. Publié avant 1510.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet et des quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Dialogue fort joyeulx
à deux personnages, qui parle
de plusieurs matières pour rire.
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C’est assavoir :
BEAUCOP-VEOIR
JOYEULX-SOUDAIN
*
BEAUCOP-VEOIR commence 2 SCÈNE I
Le deable y ait part à la feste,
Quant jamais je fuz amoureux !
JOIEULX-SOUDAIN
Suis-je en bruyt3 !
BEAUCOP-VEOIR
J(e) en gratte ma teste4.
Le deable y ait part à la feste !
JOYEULX[-SOUDAIN] 5
5 Pour faire quelque chose honneste,
Je suis plaisant et savoureux.
BEAUCOP-VEOIR
Le diable y ait part à la feste,
Quant jamais je fuz amoureux !
JOYEULX-SOUDAIN
Suis-je gay6 !
BEAUCOP-VEOIR
Que je fusse eureux
10 S(i) une fois puisse regauldir7 !
JOYEULX-SOUDAIN
Quant à moy, je me tiens de ceulx
Qui ne comptent que tout plaisir.
BEAUCOP-VEOIR
J’ay veu que j’avoye mon désir8.
En faitz d’amours, j’estoye huppé9.
15 Maintenant, il me fault gésir10
Incontinent que j’ay souppé…
JOYEULX-SOUDAIN
Suis-je plaisant et esveillé,
Maintenant !
BEAUCOP-VEOIR
Sur ma conscience !
Quant j’ay ung petit « fatrouillé11 »,
20 Je ne puis soustenir ma pence.
JOYEULX-SOUDAIN
Je ne quiers que toute plaisance :
Pour faire la nicque [à l’eunucque]12,
Me vécy !
BEAUCOP-VEOIR
Par Dieu ! quant j(e) y pense,
Je suis devenu trop caducque.
JOYEULX-SOUDAIN
25 Quant Margot y est et je bucque13,
Elle me vient bien tost ouvrir.
BEAUCOP-VEOIR
Quant de ce vin cléret je chucque14,
Tantost me fault aller dormir.
JOYEULX-SOUDAIN
Je ne me pourrois assouvir
30 De riz15, d’esbatemens, de jeuz.
BEAUCOP-VEOIR
Je me souloye resjouyr16 ;
Mais maintenant, je suis trop vieux.
JOYEULX-SOUDAIN
Je suis gent, plaisant et joyeulx.
Viengne qui veult, je ne [me] bouges17 !
BEAUCOP-VEOIR
35 J’ay piéçà les yeulx chacieulx18 ;
Et si, ay les paupières rouges19.
JOYEULX-SOUBDAIN
Je sçay le grant chemyn de Bourges20
Où nous, amoureux, prétendons.
BEAUCOP-VEOIR
Et je sçay bien, quant je me mouches,
40 [Gecter de gros guillevardons]21.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce bon vieillart en dit de bons ;
Je vueil [l’]entendre sans22 demaine.
BEAUCOP-VEOIR
Et, par le sang bieu ! Pour tous dons,
Encore ay-ge une belle vaine23.
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JOYEULX-SOUDAIN SCÈNE II
45 Dieu gard le gueux24 !
BEAUCOP-VEOIR
Bonne sepmaine
Vous envoye Dieu !
JOYEULX-SOUDAIN
Que25 fa[i]ctes-vous ?
BEAUCOP-VEOIR
Que je fois26 ? La chose est certeine :
J’escaille noix27.
JOYEULX-SOUDAIN
Que dictes-vous ?
Vous me respondriez à tous coups28,
50 Maintenant.
BEAUCOP-VEOIR
Me dictes-vous veoir29 ?
JOYEULX-SOUDAIN
Ouÿ. Comment vous nommez-vous ?
Que je le sache !
BEAUCOP-VEOIR
Beaucop-veoir.
JOYEULX-SOUDAIN
Vous avez le visage noir
Et estes jà vieulx.
BEAUCOP-VEOIR
Pour certain.
55 [Mais vous, qui]30 faictes bien devoir
D’estre propre ?
JOYEULX-SOUDAIN
Joyeulx-soubdain.
BEAUCOP-VEOIR
A ! par sainct Jehan, c’est à demain31 !
J’entens toute la fiction.
JOYEULX-SOUDAIN
Des faiz d’amours je suis tout plain ;
60 C’est toute ma condiction.
BEAUCOP-VEOIR 32
Hon, hon, hon, hon, hon, hon, hon, [hon] !
[Pour neant]33 n’estes-vous pas si gay.
Est-il proprelet et mignon
Pour bien cryer ung « hoppegay34 ! ».
JOYEULX-SOUBDAIN
65 Je suis gent comme ung papegay 35,
Chacun le voit à mon habit.
BEAUCOP-VEOIR
Par sainct [Jehan] ! le proverbe est vray :
« Tant gratte chièvre que mal gist.36 »
JOYEULX-SOUDAIN
Beau sire, en avez-vous despit,
70 Se je me tiens honnestement37 ?
BEAUCOP-VEOIR
A ! par le sang que bieu38 me fist,
Nenny, que bon gré mon serment !
Que quérez-vous ?
JOIEULX-SOUDAIN
Mon aysement39.
BEAUCOP-VEOIR
Le venez-vous icy quérir ?
JOYEULX-SOUDAIN
75 Je quiers vivre amoureusement ;
C’e[st] là où je veulx parvenir.
BEAUCOP-VEOIR
Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?
JOYEULX-SOUDAIN
Quelque mignonne ou plaisant(e) dame :
Je ne voy chose, sur mon âme,
80 [Qui trop]40 mieulx me viengne à plaisir.
BEAUCOP-VEOIR
Ha, ha ! Y voullez-vous courir ?
JOYEUX-SOUDAIN
En chantz, en riz, en jeuz, en dance,
Je ne quiers que dame à plaisance
Où je me puisse resjouir.
BEAUCOP-VEOIR
85 Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?
JOYEULX-SOUDAIN
Je suis gent, mignon et parfait.
Et pour mieulx acomplir mon faict,
Amoureux je veulx devenir.
BEAUCOP-VEOIR
Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?
JOIEULX-SOUDAIN
90 Pourquoy non ?
BEAUCOP-VEOIR
C’est bien pour périr
Et pour avoir ung soubressault41.
Ces motz ay-je bien sceu suivir.
JOYEULX-SOUDAIN
Beaucop-veoir, dire le vous fault.
BEAUCOP-VEOIR
Tu luy baille belle, Michault42,
95 Si tu y vas sans beste vendre43 !
JOIEULX-SOUDAIN
Déclarez-le-moy cy tout hault,
Car la cause je vueil entendre.
BEAUCOP-VEOIR
Hée ! povre sot, où veulx-tu tendre44 ?
À amours, tu prens soing et cure45.
100 Scez-tu bien là où tu veulx [pré]tendre46 ?
JOYEULX-SOUDAIN
Dea, ne me dictes point d’injure !
BEAUCOP-VEOIR
Par le sang Dieu ! C’est la nature
De tous ces jeunes coquardeaux47.
Seulement pour une seinture48,
105 J’en descliqué bien vingt réaulx49.
JOYEULX-SOUDAIN
Y sert-on de si gros morceaulx ?
BEAUCOP-VEOIR
Quoy, de si gros ? Ventre saint Gris !
Je baillay dix salus50 bien beaulx
Pour une fourreure de gris51.
JOIEULX-SOUDAIN
110 C’est trop.
BEAUCOP-VEOIR
Je suis du jeu apris
Autant que personne fut oncques.
JOIEULX-SOUDAIN
De vray ?
BEAUCOP-VEOIR
Il m’a cousté bon pris.
JOIEULX-SOUDAIN
Je croy qu’i m’en coustera, doncques.
Mais qui vous meut52 premier à l’estre ?
BEAUCOP-VEOIR
115 Qui ? Ho ! Je fis ung tour de maistre
Pour le premier coup53. Mais aussi,
Oncques-puis ne fut54 (Dieu mercy !)
Que ne me trouvasse trompé.
JOYEULX-SOUDAIN
Fustes-vous bien assez huppé
120 Que de trouver cest adventaige ?
BEAUCOP-VEOIR
Hupé ? Nostre Dame ! Mais saige
Plus que dix autres ou que cent.
JOIEULX-SOUDAIN
Où fusse ?
BEAUCOP-VEOIR
Emprès Sainct-Innocent55,
Où je me sceuz bien employer ;
125 Car alors, j’estoye escollier,
Ung trotet ou coureux de ville56.
Et pensez que j’estoye habille57.
J’avoye argent, les beaulx signetz58,
Tous les jours mes cheveulx pignéz,
130 Fines chausses, belle saincture
Ferr[é]e59 d’argent, de l’estature60,
Duisans61 souliers de cordouen.
Mais je suis trop vieux, mésouen62.
JOYEULX-SOUDAIN
Après ? Dictes c’en qui s’ensuit !
BEAUCOP-VEOIR
135 Ainsi comme j’alloye de nuyt,
Je me trouvé, ce m’est advis,
Droit à la rue Sainct-Denis :
J(e) y alloye pour moy resjouyr63.
JOYEULX-SOUDAIN
Après ?
BEAUCOP-VEOIR
Tantost [vé]cy venir
140 Le guet.
JOYEULX-SOUDAIN
Vous n’estiez pas trop à seur64.
BEAUCOP-VEOIR
Nostre Dame ! j’avoye grant peur,
Pensez, et bien grant chault [aux fesses65].
JOYEULX-SOUBDAIN
Après ? Qu’on sache [les finesses]66 !
BEAUCOP-VEOIR
[Quant j’ouÿ]67 le guet arriver,
145 Je me cuidoie aller musser68.
Je m’allé mettre69 par raison
Entre deux huys d’une maison.
Sitost que fuz entré dedans,
Voicy la dame de léans70
150 Qui s’en vint tout doulcètement,
Et me dist : « Entrez hardiment !
Vous soiez le trèsbien venu ! »
Je fuz, par Dieu, tant esperdu
Que ne sçavoye dont venoye71.
JOYEULX-SOUDAIN
155 A ! mort bieu, que je n’y estoye !
BEAUCOP-VEOIR
A ! dea, dea, ce n’est pas le bout ;
Vous n’avez pas ouÿ trèstout.
Quant je fuz dedans, de par Dieu,
Je ne dis mot. Lors, en ce lieu
160 — Puisque desclairer le vous fault —
Elle me dist : « Montez en hault72 ! »
Et se print à monter devant,
Et moy après.
JOIEULX-SOUDAIN
Avant73, avant !
Il y aura jeu de regnart74.
165 Avoit-elle bien beau regard ?
BEAUCOP-VEOIR
S’elle l’avoit ? Et, ouÿ dea !
Par [le] sainct sang que Dieu pissa75 !
C’est une belle godinette76.
Elle avoit une grosse tette77 ;
170 Je ne sçay, moy, qu’elle78 avoit fait,
Mais dedans y avoit du lait.
Lors, quant je fuz en hault monté,
J’estoye presque tout esbété79,
Nonobstant que je ne dis mot.
175 Car je cuydoie qu’on fist du sot80
De moy. Mais, par mon sacrement,
C’estoit tout à bon escient81.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce ne fut pas sans la toucher ?
BEAUCOP-VEOIR
Brief elle m’envoya coucher,
180 Et me dist que me despouillasse
Bien tost, et coucher m’en allasse.
Quant j’ouÿ ces parolles-là,
Point ne respondis à cela.
Et je vous oste mon pourpoint,
185 Mes chausses, et me mis en point82 ;
Et me vois mettre83 en ung grant lit.
Joyeulx-soudain84, il estoit nuyt ;
Et pour mieulx faire la cautelle85,
Il n’y avoit point de chandelle,
190 Car elle m’eust assez congnu86.
JOYEULX-SOUBDAIN
Quant tu fuz en ce lit tout nu ?
BEAUCOP-VEOIR
Ce fut le plus beau de ses faitz :
Elle s’en vint coucher a[u]près87.
JOYEULX-SOUDAIN
Et, dea ! Se quelque grant ribault
195 Eust monté après toy en hault
Pour cuider avoir la coquarde88 ?
BEAUCOP-VEOIR
Pensez, j’eusse eu belle vésarde89 !
Il estoit jà de moy sué90.
JOIEULX-SOUDAIN
Comment ?
BEAUCOP-VEOIR
[Car] j’eusse esté tué :
200 On m’eust tantost bouté [à fin]91
Aussi tost q’ung petit poussin.
Mais vous me voyez (Dieu mercy !)
Présentement en ce lieu-cy.
JOYEUX-SOUDAIN
Retournons à nostre propos.
205 Quant emprès vous se vint coucher ?
BEAUCOP-VEOIR
Vous le povez assez penser :
Entre nous deux, selon droicture92,
Jouasmes des jeuz de nature.
JOYEULX-SOUDAIN
Ainsi, vous eustes ce tatin93 ?
BEAUCOP-VEOIR
210 Et puis le lendemain, au matin,
Quant j’euz usé de son amour,
Me fist lever au point du jour.
Et quant elle me renvoya,
Une bource me présenta,
215 À boutons d’argent soubz et suz94,
Où il y avoit vingt escus.
JOYEULX-SOUDAIN
Et vous de croquer ceste prune95 ?
BEAUCOP-VEOIR
Je m’en allay au clèr de lune,
À ce beau matin, tout joyeulx.
220 Ceste fois-là, je fuz heureux96.
Mais elle me print pour ung97 autre.
JOYEULX-SOUDAIN
Je vous eusse envoyé au peaultre98,
Par le sang bieu, vieillart meschant99 !
BEAUCOP-VEOIR
La croix bieu ! j’estoye plus gent
225 Que je ne [le] suis, par mon âme !
On m’eust tenu en une paulme,
Tant estois gent et proprelet.
JOIEULX-SOUDAIN
L’endemain, que fist le varlet100 ?
BEAUCOP-VEOIR
Je gambéoye101 la matinée ;
230 Et puis allay, à l’après-dînée,
Achapter du drap à l’hostel102
Où le cas avoit esté tel.
JOIEULX-SOUDAIN
Et la bourgoise, que disoit ?
BEAUCOP-VEOIR
Plus elle ne me congnoissoit.
235 Mais tantost qu’on m’eust dit le pris,
Je fuz par Dieu si bien apris103 :
« Ho (ce dis-ge), qu’on ne se cource104 ! »
Et je vous tiray ceste bource
De mon sain105, que donnée m’avoit,
240 Pour tirer argent.
JOYEULX-SOUDAIN
Quoy qu’i soit,
Ce fut très fainctement106 joué.
BEAUCOP-VEOIR
Et je fuz le mieulx advoué107
Du monde.
JOYEULX-SOUDAIN
Quant la bource eust108 veue ?
BEAUCOP-VEOIR
La façon fut toute congneue109.
245 Tantost110 elle la regardoit ;
D’autre part, elle me guignoit111.
JOYEULX-SOUDAIN
Or çà, çà ! Que dist la bourgoise ?
BEAUCOP-VEOIR
« Mon amy, il fault que l’en voise
Là-derrière sans faire effroy112.
250 Venez-vous-en avecque moy,
Car il y a des draps assez
Qui y sont plusfort entasséz. »
JOYEULX-SOUDAIN
Tendois-tu113 pas desjà les mains ?
BEAUCOP-VEOIR
Ouy, car je n’en pensois pas mains114.
JOYEULX-SOUDAIN
255 Quant tu fuz là, que [te] dist-elle ?
BEAUCOP-VEOIR
« Je vous pry qu’i n’en soit nouvelle115
De la bource ne de l’argent :
Je vous pry amoureusement
Que la mussez116. »
JOYEULX-SOUDAIN 117
Han, han, han, [han] !
BEAUCOP-VEOIR
260 Alors, de beau gris de Rouen118
Elle vous va couper dix aulnes,
Et m’en fist les mains toutes jaulnes119.
Je fis ung peu le gratieux120,
Mais je ne demandoye pas mieulx.
265 Elle me les fist emporter
Ainsi, et moy de m’en aller.
Je n’en vis, oncques-puis, l’oreille121.
JOYEULX-SOUBDAIN
Vous me racomptez cy merveille !
BEAUCOP-VEOIR
Je fus heureux, à ceste fois.
JOYEULX-SOUDAIN
270 C’est une joye nompareille
Que d’estre amoureux.
BEAUCOP-VEOIR
Ouy dea, troys122 !
J’en ay bien soufflé en mes doiz123
Plus de .XL. fois, depuis.
Et se vous y estiez, galloys124,
275 Vous seriez des plus esbahis.
JOYEULX-SOUDAIN
Se devoye tracasser pays125
Et bien cheminer çà et là,
Pas ne seroys de[s] plus haÿs
Des dames.
BEAUCOP-VEOIR
Ha ! trop bien, cela126 !
280 Mais quoy, vous asseurez-vous là127 ?
N’e[n] prenez jà vostre fiance128 :
Je fus heureux ceste fois-là,
Mais j’en ay eu mainte meschance129.
JOYEULX-SOUDAIN
Comment ?
BEAUCOP-VEOIR
On m’a bien tourné la chance
285 Et m’a-on fait ronger mon frain.
JOYEULX-SOUDAIN
Dictes-vous ?
BEAUCOP-VEOIR
Sur ma conscience !
Je recommanceroye demain
— Veu que je suis si vieulx et vain130 —
Par bieu, pour ces deables de femmes !
290 De leurs fatras je suis si plain
Qu’estaindre je ne puis mes flames.
JOYEULX-SOUDAIN
Entendent-elles bien les games131 ?
BEAUCOP-VEOIR
S’elles l’entendent ? Ouÿ dea.
Par bieu ! Bien fin se trouvera
295 Et bien cauteleux132, sur mon âme,
[Celuy] qui les affinera133 !
JOYEULX-SOUDAIN
Mon cas134 trop bien se portera.
BEAUCOP-VEOIR
Comment ! Y voulez-vous prétendre ?
A ! se vous montez jusques-là,
300 Je croy qu’on vous fera descendre.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce cas-cy ne puis bien entendre ;
Vous avez esté si huppé !
BEAUCOP-VEOIR
Depuis, on le m’a bien fait rendre,
Car j’ay esté tousjours trompé.
JOYEULX-SOUBDAIN
305 Pourquoy ?
BEAUCOP-VEOIR
J(e) y ay esté gruppé
Au tresbuchet135, et bien fourby136.
Maintes fois m’y suis attrappé.
Hélas ! j’en suis tout desgarny137.
JOYEULX-SOUBDAIN
Comment ?
BEAUCOP-VEOIR
Pour ung jour et demy,
310 J’euz138 quatre paires de souliers
— Seullement pour estre joly,
Car les miens estoyent tous entiers.
JOYEULX-SOUDAIN
Je suyveray139 bien ces santiers.
BEAUCOP-VEOIR
Hélas ! j(e) y ay eu tant de maulx,
315 Trop plus que ces pallefreniers
Qui gardent tousjours les chevaux.
JOYEULX-SOUDAIN
Et ! vécy des cas bien nouveaux.
BEAUCOP-VEOIR
Touteffois, elle estoit finette :140
Elle eut, par moy, de bons morceaux141.
320 Que Dieu met en mal an142 Perrette !
JOYEULX-SOUDAIN
La paix n’est-elle pas reffaicte ?
BEAUCOP-VEOIR
Ce fut ung jour de mercredi.
En chemise, sur la perchette143
Je fuz trois heures et demy.
JOYEULX-SOUDAIN
325 Trois heures ?
BEAUCOP-VEOIR
Nostre Dame, ouy !
Elle me joua de ce tour.
JOYEULX-SOUDAIN
Vous me faictes bien esbahy.
BEAUCOP-VEOIR
Ce fut pour avoir son amour
[Que fuz en si piteux séjour.]144
330 Quant son mary vint à l’hostel,
Elle me donna ce bonjour145.
Joyeulx-soudain, le cas fut tel.
JOYEULX-SOUDAIN
Par le sacrement de l’autel146 !
Vélà terrible fiction !
BEAUCOP-VEOIR
335 Je fuz bien sallé de gros sel147 ;
C’estoit toute mon unction148.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce n’est qu(e) ymagination :
Vous l’avez trouvé en voz manches149.
BEAUCOP-VEOIR
Je ne sçay quel chion-chion150,
340 Mais j’en tremblay les fièvres blanches151.
JOYEULX-SOUDAIN
Combien de fois ?
BEAUCOP-VEOIR
Par trois dimenches
Je m’y fourray à l’estourdy.
Je m’en alloye, riant aux anges152,
Quant j’avoye bien esté fourby153.
JOYEULX-SOUDAIN
345 Vous estiez dont si estourdy
Que l’en154 [n’]avoit cure de vous ?
BEAUCOP-VEOIR
Par le sang que bieu respendit !
J(e) y ay receu de bien grans coups.
JOYEULX-SOUDAIN
Mais où ?
BEAUCOP-VEOIR
Une fois entre tous,
350 Le mary de Bellot155 me vit ;
Et je m’en vins fourrer dessoubz
Ung grant filz de putain de lict156.
JOYEULX-SOUDAIN
Tout dessoubz ?
BEAUCOP-VEOIR
Entre le challit
Et la couchette157 bien couché.
355 Et quant le paillart y saillit158,
Il crioit comme ung enraigé.
JOYEULX-SOUDAIN
Et la femme ?
BEAUCOP-VEOIR
C’est bien songé :
Elle parloit comme une caille
[Pour que de fuir j’eusse congé.]159
360 Dieu scet qu’i fist belle bataille !
JOYEULX-SOUDAIN
De vray ?
BEAUCOP-VEOIR
Et ! le paillart s’éraille160
Et tire son espée ; après,
Il vous [la fourre]161 en ceste paille
Comme se c’estoit beurre fraiz.
JOYEULX-SOUDAIN
365 Où frappa-il ?
BEAUCOP-VEOIR 162
Icy emprès.
De ce coup-là, ce fust merveille :
De ma teste il alla si près
Qu’i m’alla larder une oreille163.
JOYEULX-SOUDAIN
Et ! vélà peine nompareille.
370 Qui s’y boute trop est bien sot.
BEAUCOP-VEOIR
De ce coup-là je m’esmerveille164,
Mais touteffois, je n’en diz mot.
JOYEULX-SOUDAIN
Après ?
BEAUCOP-VEOIR
Il y eut beau trippot.
Le filz de putain regnioit165
375 Dieu et sa Mère de grant flot,
Par le sang bieu, qu’i me tueroit.
JOYEULX-SOUDAIN
Je cuide, moy, qui vous croyroit166,
Vous feriez tout le monde beste.
………………………………167
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Toute tempeste.
JOYEULX-SOUDAIN
380 Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Doulleur grevable168.
JOYEULX-SOUDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
On ront sa teste169.
JOYEULX-SOUDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Trop détestable.
JOYEULX-SOUBDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
C’est le grant diable.
JOYEULX-SOUDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Morceau amer.
JOYEULX-SOUDAIN
385 Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Trop abhominable.
C’est ung droit abisme170 de mer.
JOYEULX-SOUDAIN
Pource que ne povez aymer,
Vous en dictes tous ces fatras.
.
BEAUCOP-VEOIR
Seigneurs, vueillez nous pardonner,
390 Et prenez en gré noz esbas !
.
EXPLICIT
*
1 On y évoque le cimetière des Saints-Innocents et la rue Saint-Denis. Toutefois, l’auteur est d’origine picarde. 2 Chacun des deux personnages monologue sans remarquer l’autre. Beaucoup-voir <BV> est un vieil homme qui en a « vu beaucoup ». Joyeux-soudain <JS> est un jeune blanc-bec qui cherche des renseignements et non des conseils. 3 En bonne réputation auprès des femmes. 4 « Gratter sa teste : Estre fasché ; se repentir. » Antoine Oudin. 5 Trepperel <T> abrège souvent les noms dans les rubriques ; je les compléterai. 6 « Sui-ge gay ! Sui-ge nètelet ! » Le Viel amoureulx et le Jeune amoureulx <v. ma notice>. 7 Si une fois je pouvais rebander. Du bas latin gaudire (jouir), qui a donné le gaudé-michi (le réjouis-moi : le godemiché) puis l’actuel verbe goder (bander). Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 87. Notons que BV usera du véritable verbe réjouir aux vers 31 et 138. 8 J’ai vu le temps où je réalisais mes désirs sexuels. Mais désir = érection. « Mon désir est mol comme laine ;/ La paillardise est morte, en moy. » Cabinet satyrique. 9 Chanceux, bien vu par les femmes. Idem vers 119, 121, 302. 10 Je dois me coucher. 11 Quand j’ai un peu copulé. Cf. la Confession Margot, vers 114 et note. 12 T : ou la nucque (Faire la nique = narguer avec un geste obscène de la tête. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 421.) 13 Et que je frappe à sa porte (picardisme). Le prénom Margot était peu reluisant : cf. la Confession Margot, ou la Ballade de la Grosse Margot. 14 Je suce (picardisme). 15 De rires. Idem vers 82. 16 J’avais coutume de me réjouir. 17 J’attends les femmes de pied ferme. 18 J’ai depuis longtemps les yeux chassieux. 19 À cause du « vin clairet » du vers 27. « (Il) but, au disner, de vin chargé deux courges [gourdes] ;/ Lors, eust tué le prévost de Beaucaire,/ S’il n’eust eu les paupières si rouges. » Eustache Deschamps. 20 Il était emprunté par les femmes qui se rendaient en pèlerinage à Orléans, et par les étudiants. « Je y recongnu le grand chemin de Bourges. » Rabelais, Vème Livre, 25. 21 T : Gectes de gros guilleuardans (Des filets de morve.) JS entend ces dernières paroles. 22 T : le (Sans délai. « Vers vous venons sans nul demaine. » Les Enfans de Maintenant, BM 51.) JS se rapproche discrètement de BV. 23 Verge, du latin vena. « Pour aucun des fais de nature,/ J’ay encore une verte vaine. » Ung jeune moyne et ung viel gendarme : cette farce qui oppose deux générations d’amoureux présente plus d’un point commun avec notre dialogue. 24 Formule de salutation entre voyous : « Dieu gard les gueux de fier plumaige ! » (Jehan Michel.) Les étudiants, amateurs d’argot, s’en étaient emparés. JS traite BV avec condescendance, pour ne pas dire avec mépris ; dès le vers 191, il va le tutoyer. 25 T : Et 26 Ce que je fais ? 27 Écaler [ouvrir] une noix = dépuceler une fille. « Archeprestre d’Escaille-noix,/ Archediacre de Trousse-quille,/ En l’esglise Saincte-Cheville. » Guillaume Coquillart. 28 Vous me feriez concurrence. Jeu de mots sur « coup » : coït. 29 Vrai. 30 T : Mes vous que (Mais comment vous nommez-vous, vous qui…) 31 Ce sera pour une autre fois. « À Paris ? Ouy, c’est à demain ! » Mahuet. 32 Il se force à rire. 33 T : Ponrneant (Vous n’êtes pas si gai pour rien.) Néant se prononce niant, en 1 syllabe : « Il n’y a pas pour neant esté. » Le Ribault marié. 34 Pour qu’on pousse un cri d’admiration en le voyant. « Mais pour ung gallant amoureux,/ Je suis devenu gracieux./ Si disoyent les gens : “Houppegay !” » Monologue Coquillart. 35 Je suis mignon (et coloré) comme un perroquet. On entend ce refrain dans la chanson qui ouvre le Gaudisseur. 36 Le mieux est l’ennemi du bien. Voir par exemple la Ballade des proverbes, de Villon. 37 Si je suis vêtu et coiffé proprement. 38 Euphémisme pour « Dieu ». Idem vers 347. Cf. le Cuvier, vers 22. 39 Mon plaisir. 40 T : Que (Qui me plaise mieux. « Le gentil clerc luy avoit monstré aultre fasson qui trop mieulx luy plaisoit. » Cent Nouvelles nouvelles.) 41 Pour finir pendu. Cf. Gautier et Martin, vers 190 et note. 42 BV fait-il un clin d’œil à une œuvre non identifiée ? De toute manière, on accolait le nom passe-partout de Michaud à plusieurs expressions : « Souffle, Michaud ! » « C’est dit, Michaud ! » « Viens-t’en, Michaud ! » Etc. 43 Sans subir quelque dommage. Cf. les Tyrans, vers 75. 44 Quel est ton but ? Mais aussi : Où veux-tu aller bander ? Cf. la Bergerie, vers 42 et note. 45 En matière d’amour, on a du souci. 46 Ce que tu veux. Idem vers 298. « Scez-tu où veulx prétendre ? » Les Queues troussées. 47 Crétins. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 338. 48 T : serrure (BV insiste sur sa « belle ceinture » au vers 130.) 49 J’ai chié facilement la somme de 20 royaux. 50 Le salut est une pièce d’or. 51 Pour m’acheter de la fourrure d’écureuil. Cf. le Tesmoing, vers 232. 52 Vous mut (verbe mouvoir) : Qui vous incita d’abord à être amoureux ? 53 Dans la bouche du Cid, cette formule érotique deviendra héroïque : « Et pour leurs coups d’essay veulent des coups de maistre. » 54 T : fuz (Il ne se trouva jamais que je sois trompé. Mais au vers 304, BV avouera qu’il a un peu embelli la vérité.) 55 Près du cimetière parisien des Saints-Innocents. 56 Ou un trotteur qui courait les rues. Allusion à un proverbe qui dit notamment : « Jeune escolier, trotier et amoureux. » Les femmes qui vont à un rendez-vous galant disent à leur mari qu’elles vont prier saint Trottet ; cf. le Povre Jouhan, vers 287 et note. 57 Habile. 58 Des bagues ornées d’un sceau. 59 Munie d’une boucle. 60 Une belle stature. 61 T : Dhuy sans (De parfaits souliers en cuir de Cordoue.) 62 Désormais. 63 Cette rue parisienne était déjà mal famée. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 425-6 et note. 64 Rassuré. Les sergents du guet, au cours de leurs rondes nocturnes, rançonnaient les passants. Cf. le Faulconnier de ville, vers 117. 65 Ces 2 mots manquent. Cf. la Mère de ville, vers 45. 66 T : la finesse (Les ruses que vous avez employées. « Les finesses Pathelin. » Dyalogue pour jeunes enfans.) 67 T : Je ouy (Voir le v. 182.) 68 Je songeai à me cacher. 69 Je m’introduisis. Le portail était percé d’une petite porte appelée « guichet » ; c’est par là que se faufilaient tous les amants de Madame. 70 De céans. Elle n’a plus de mari, mais elle agit avec discrétion pour ne pas réveiller ses domestiques. 71 Que je ne savais d’où je venais. 72 À l’étage, où se trouvent les appartements. Nous verrons que la dame utilise le rez-de-chaussée comme boutique. 73 Continuez ! 74 Sorte de jeu de dames où un pion, le renard, « doit attaquer & prendre douze pions qu’on appelle poules ». (Furetière.) C’est un des jeux de l’enfant Gargantua <chap. 22>. 75 T : pilla (On confondait facilement le « s » long avec le « l » : ſ et l.) Le juron normal se lit dans la Farce de Pathelin : « Par le sainct sang que Dieu rëa ! » Raya = répandit, que BV emploie d’ailleurs au vers 347. Eustache Deschamps condamnait ce juron : « Et “le saint sang que Dieu roya”/ Jurent hui maint, mais c’est folie. » La proximité graphique entre pilla et raya n’étant pas évidente, je préfère m’appuyer sur Étienne Tabourot, qui écrit à propos du vin — c’est-à-dire du sang du Christ : « Voilà du vin que Dieu pissa de sa quine [verge]. » 76 Mignonne. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 328. 77 Tétine, poitrine. 78 Ce qu’elle. La dame, sans doute veuve, avait pourtant été enceinte récemment. 79 T : esbute (Hébété, ahuri. « Que des amoureux esbétéz. » Claude de Trellon.) 80 Je croyais qu’on se moquait. 81 C’était sérieux. Cf. l’Avantureulx, vers 316. 82 En érection. « Le “billouart” se mettoit en point &, à ce conte, Jacques s’enfiloit avec sa femme. » Béroalde de Verville. 83 Et je vais me mettre. 84 T : mondain (Le lapsus tient au fait que ce Joyeux-mondain fut sans doute un personnage de farce ; voir la note 299 des Botines Gaultier.) 85 Ma mystification. 86 Car la femme aurait reconnu que je n’étais pas celui qu’elle attendait. 87 Près de moi. Voir le vers 205. 88 Pour remporter la cocarde, la récompense. Mais une coquarde est aussi une poularde et une femme légère. 89 Frayeur. « Morbieu, j’ay eu belle vésarde ! » Te rogamus audi nos. 90 C’en était fait de moi. « Il est de moy sué. » Le Dorellot. 91 T : affin (Il m’aurait mis à mort. Cf. Colin filz de Thévot, vers 4 et 38.) 92 Selon la coutume. Mais aussi : selon ma rigidité. Cf. la Mère de ville, vers 9. 93 Ce bon morceau. 94 T : faitz (Dessous et dessus.) Les bourses des femmes d’un certain rang valaient parfois plus que leur contenu. 95 La bourse pleine est comparée à un fruit juteux, comme au vers 130 des Trois amoureux de la croix. 96 Chanceux. Le même vers est configuré différemment à 269 et 282. 97 T : vue 98 Au diable. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 321. 99 Délabré. 100 Que fîtes-vous ? Un valet est un jeune garçon. 101 Forme picarde de jamboyer : faire les cent pas. 102 Dans la maison de ma maîtresse. Le rez-de-chaussée abrite un commerce de drap. 103 Bien inspiré. 104 Ne nous courrouçons pas. BV fait semblant de discuter le prix d’une étoffe avec la drapière, pour ne pas donner l’éveil aux vendeurs. 105 De mon sein : de sous ma robe. 106 Astucieusement, par feinte. 107 Reçu. 108 T : fust (Quand la drapière eut vu la bourse.) 109 Sa forme fut reconnue par la drapière. 110 T : Plustost 111 Elle me lorgnait du coin de l’œil. Cf. le Résolu, vers 32. 112 Il faut que nous allions dans l’arrière-boutique chercher l’étoffe que vous désirez, sans que vous fassiez du scandale. La drapière parle à voix haute pour les vendeurs et les clients. 113 T : Tendez tu (Ne tendais-tu pas les mains, pour tâter le drap ou la drapière ?) 114 Pas moins. 115 Que vous ne parliez à personne. Cf. la Confession du Brigant, vers 54. 116 Que vous la cachiez, de peur que mes employés ne la reconnaissent. 117 Il éclate de rire. 118 « C’est ung très bon drap de Rouen », d’après maître Pathelin, qui en vole 6 aunes pour sa femme et lui. 119 Elle me dora les mains : elle me graissa la patte (comme avec de l’or) pour acheter mon silence. Cf. la Mère de ville, vers 36. 120 Je fis semblant de refuser. 121 T : bouteille (Je n’en ai plus vu le bout de l’oreille : je ne l’ai pas revue.) 122 Locution désabusée qu’on pourrait traduire par : Causez toujours ! « –Le vous feray-je ? –Ouy dea, trois ! » Le Dorellot. 123 Pour les réchauffer pendant qu’il faisait le pied de grue sous la fenêtre d’une belle. « Il souffle souvent en ses doigts. » Le Gaudisseur. 124 Compagnon. 125 Si je devais aller et venir par le pays. Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 180. 126 Admirable ! Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 7. 127 Comptez-vous là-dessus ? 128 Ne vous y fiez pas. 129 Malchance, malheur. 130 Considéré que je suis vieux et faible. Cette tournure juridique est employée contre un amoureux décrépit dans le Procès d’ung jeune moyne et d’ung viel gendarme : « Or, veu que vous avez vescu (…),/ Vous estes faible. » 131 Sont-elles expertes ? Nous dirions : Elle connaissent la musique ! « Ne vous chaille, j’entens ma game. » Régnault qui se marie. 132 T : oultrageux (Bien malin. Voir le v. 188.) « Qui de parolle cuyderoit femme vaincre (…),/ Tant soit expert, cauteleux & bien fin. » Gratien Du Pont. 133 Qui les bernera. Voir ce Rondeau. 134 Mon affaire. Mais le cas désigne aussi le pénis ; cf. les Cris de Paris, vers 429 et note. 135 J’ai été pris au piège. Cf. Jénin filz de rien, vers 130. 136 T : iougny (Fourbé, victime d’une fourberie. Idem vers 344.) 137 Dégarni d’argent. 138 Je me suis acheté. 139 Je suivrai. Le « e » svarabhaktique est picard. 140 T distribue ce vers à Joyeux-soudain. Beaucoup-voir, maintenant qu’il est lancé, saute du coq à l’âne sans trop se préoccuper de savoir si on arrive à le suivre, tel le vieux bavard du Tesmoing. 141 On songe à cette épouse qui, voyant sans armure la braguette de son mari soldat, craignait de perdre « le bon morceau dont elle estoit friande ». Rabelais, Tiers Livre, 8. 142 Que Dieu mette en mauvaise année, en malheur. « Dieu met en mal an le folastre ! » (La Résurrection de Jénin Landore.) Perrette est une fille facile qu’on croise dans nombre de farces et de chansons ; voir la note 5 de Jehan de Lagny. 143 Sur le perchoir : sur le demi plafond à claire-voie qui sert de poulailler intérieur dans certaines maisons. C’est là que se perchent les amants du Poulier à quatre personnages et du Poulier à sis personnages lorsque le mari débarque à l’improviste. 144 Vers manquant. « Vé-me-cy en piteux séjour. » Colin qui loue et despite Dieu. 145 Ce mauvais tour. Cf. Frère Frappart, vers 145 et note. 146 T : lhostel (à la rime du v. 330.) Ainsi corrigé, c’est notamment le vers 173 de Jehan qui de tout se mesle. 147 Je fus bien assaisonné. Voir les Femmes sallent leurs maris. 148 Mon onction : ce fut ma seule consolation. 149 Vous tirez cette histoire de votre manche, comme les escamoteurs publics en tirent des œufs durs. 150 Locution inconnue, peut-être apparentée au très scatologique chia-brena, qui désigne les embarras causés par les femmes. « Le chiabrena des pucelles. » Pantagruel, 7. 151 Je tremblais de désir. « Affin d’avoir les poictrines plus blanches/ Et pour tenir les tétins plus serréz,/ Qui font à maints trembler les fièvres blanches. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet. 152 T : autres (Même rime négligée dans les Sotz qui corrigent le Magnificat : « Ces vrays amoureux des dimenches (…),/ Ilz s’en vond tous riant aux anges. ») 153 Victime d’une fourberie (note 136). 154 T : nen (Voir le v. 248.) Que l’on : que vos maîtresses. 155 Diminutif d’Isabelle. C’est encore un nom douteux ; par exemple, G. Coquillart le donne à la tenancière d’un bordel : « Bellot a ses deux filles grosses [enceintes],/ Qu’el descharge d’une massue/ Et d’ung ravault sur leurs endosses [d’un coup de bâton sur les reins]. » 156 Aujourd’hui, nous dirions simplement : sous un putain de lit. 157 T : couste tout (BV est étendu sur une couchette, sous le châlit du lit principal.) Les riches ont dans leur chambre un lit de camp où dort la chambrière. Le jour, on pousse cette couchette sous le lit des maîtres. « Une petite couchecte qui est dessoubz le lit. » ATILF. 158 Quand le mari fit irruption. 159 Vers manquant. L’épouse attire l’attention de son mari afin que Beaucoup-voir ait la possibilité de s’enfuir. « Il a eu congé de s’en aller. » ATILF. 160 T : se raille (Roule les yeux. « Cateline serre les dens, esraille les yeux. » ATILF.) BV qui, dans sa cachette, ne pouvait pas voir le jaloux, dramatise la situation à plaisir ; JS va le lui reprocher à 377. 161 T : fourroit (Il plante son épée dans la paille qui emplit le matelas du lit principal. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 123.) 162 Il montre son oreille. 163 Dans le Monologue Coquillart, la blessure de l’amant est accidentelle : « Le paillart paige fist merveille,/ Car il fist si parfonde enqueste [car il planta sa fourche si profond dans le foin où je me cachais]/ Qu’il me va larder une oreille. » 164 T : men resueille (Je suis surpris.) 165 Jurait sur. « Il regnya Nostre Seigneur qu’il tueroit ledit Blanchefort. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 166 Je pense, moi, que si on vous croyait. 167 Il manque un vers en -oit et un vers en -este. 168 Cruelle. 169 « Femmes nous font bestes,/ Et rompre les testes/ Par cris et tempestes. » Le Viel amoureulx et le Jeune amoureulx <v. notice>. 170 C’est un vrai abîme, un gouffre.
DYALOGUE POUR JEUNES ENFANS
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DYALOGUE POUR
JEUNES ENFANS
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Roger de Collerye composa ce dialogue en 1512. Sur l’auteur et ses autres œuvres, voir la notice du Résolu. Le frère et la sœur auxquels il donne ici la parole ne sont pas si jeunes que le prétend le titre : la sœur traite son frère d’impuissant, et le frère traite sa sœur de nymphomane. Le congé donné au public (vers 83) prouve qu’il s’agit bien là d’un texte dramatique. Son format bref convenait sans doute aux processions entrecoupées de petits spectacles qu’organisait tous les ans l’Abbé des fous d’Auxerre. Collerye était l’un des fournisseurs de cette société joyeuse : voir son Cry pour l’Abbé de l’église d’Ausserre et ses suppostz.
Source : Les Œuvres de maistre Roger de Collerye, publiées à Paris en 1536.
Structure : Rimes plates, quintils enchaînés (aabaa/bbcbb).
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Dyalogue composé
l’an mil cinq cens douze
pour jeunes enfans
*
LE FRÈRE commence
Pour oster toute fascherie…1
.
Et ! Se trouver en la prairie,
Auprès d’ung boys, soubz la ramée2,
Avec sa chère et bien aymée,
5 Est ung amoureux entremetz.
LA SEUR
C’est bien rentré3 !
LE FRÈRE
N’est pas ?
LA SEUR
Ouy, mais
Le temps le doibt, et la saison4.
LE FRÈRE
Ces braga[r]s5, ces coqueplumectz
Transifz d’amours6, je les commetz
10 Pour s’i trouver7.
LA SEUR
C’est la raison.
LE FRÈRE
Ung bon pasté de venaison8
Acompaigné d’ung poupelin9
Vauldroit mieux, sans comparaison,
Pour enfans de bonne maison,
15 Que les finesses Pathelin10.
LA SEUR
À11 qui sent son damoyselin
Appartient d’en estre servie.
LE FRÈRE
Avaller aussi doulx que lin12
Cinq ou six crotes de belin13
20 Vous appartient.
LA SEUR
Fy de l’envye !
LE FRÈRE
À ce banquet je vous convye.
LA SEUR
Dictes-vous vray, maistre Accipé14 ?
LE FRÈRE
Pour mieulx démener15 bonne vie,
Vous serez gaillard16 assouvye
25 En prenant ce bon récipé17.
LA SEUR
Prenez-le pour vous, j’ay souppé.
(Mais escoutez ce gaudisseur18 !)
LE FRÈRE
Pourveu qu’il soit bien atriqué 19,
Et en vostre « gozier20 » apliqué,
30 Il vous fera grant bien, ma seur.
LA SEUR
Autant pour [autant soyez]21 seur
Que je vous payray, Fine Myne22 !
(Quel ouvrier23 ! Quel maistre brasseur !
Quel hume-brouet24 ! Quel dresseur
35 De saulce vert et cameline25 !)
LE FRÈRE
Il ne fault jà que je devine
Que vous estes bien affettée26.
LA SEUR
Annémane27 ! vous estes digne
Que vous ayez, avant qu’on dîgne28,
40 De pouldre de duc la tostée29.
LE FRÈRE
C’est raison que soyez traictée30
Tous les matins d’ung œuf molet.
Et se vous estes desgoûtée,
Ou malade, ou débilitée,
45 Conseillez-vous à Jehan Colet31.
LA SEUR
Jehan Colet n’est qu’ung sotelet.
À Jehan Colet ? Vierge Marie !
LE FRÈRE
Il est gaillard et propelet32.
LA SEUR
Jehan Colet seroit bon varlet
50 Pour servir en quelque abbaye :
Et ! affin qu’il ne s’esbaÿe33,
Il faict bien peu, et meschamment34.
LE FRÈRE
Or, quelque chose que l’on dye,
Jehan Colet tousjours s’estudie
55 À bien « chevaulcher » hardiment.
LA SEUR
Laissons ce propos.
LE FRÈRE
Voirement,
Que dict-on de noz acouchées35 ?
LA SEUR
Qu’on en dict36 ? Tout premièrement,
Les unes sont trop longuement
60 En leur lict mollement couchées.
LE FRÈRE
El(le)s sont bouchées ?
LA SEUR
El(le)s sont touchées37.
LE FRÈRE
Il38 leur fault tant [de] mirlifiques39 !
LA SEUR
Elz sont visitées et preschées,
Et bien souvent, plus empeschées
65 Qu’on [n’]est à baiser les reliques40.
LE FRÈRE
Les brasserolles41 magnifiques,
LA SEUR
Riches carcans42,
LE FRÈRE
Tapisserye.
LA SEUR
De peur qu’elz ne soient fleumatiques43,
Ou trop mesgres, ou trop éticques,
70 On vous les sert d’espicerye44.
LE FRÈRE
L’ypocras45,
LA SEUR
La pâtisserye,
LE FRÈRE
Couliz de chapons46,
LA SEUR
Tant de drogues !
LE FRÈRE
Arrière la rôtisserie !
LA SEUR
Fy, fy ! ce n’est que mincerie47.
LE FRÈRE
75 En leur lict, pompeuses et rogues,
LA SEUR
Bendées48
LE FRÈRE
Comme les synagogues
Qu’on voit au portail de l’église49.
LA SEUR
Acouchées ont le temps,
LE FRÈRE
Les vogues50.
LA SEUR
Je n’ay51 dueil que des vielles dogues
80 Qui font les sucrées.
LE FRÈRE
C’est la guyse.
LA SEUR
Mon frère, il est temps qu’on s’avise
D’aller autre part caqueter.
LE FRÈRE
Prenons congié.
LA SEUR
Pour la remise52,
Regardons se la nappe est mise,
85 Et nous en allons banqueter.
*
.
RONDEAU (1)
.
En un matin, en m’esbatant
À une fille qui a vogue53,
Seurvint une grant vielle dogue54
De laquelle ne fuz content.
.
5 En m’espiant et me guectant,
Elle se monstroit fière et rogue,
En ung matin.
.
Je ne la congnois ; mais d’autant
Qu’elle est mesgre, hydeuse et drogue55,
10 Je croy que c’est la Sinaguogue56
Que les Juïfz estiment tant,
En ung matin.
*
.
RONDEAU (2)
.
Affettées57, pipeuses, tricherresses :
Ne soyez plus si grandes pécherresses !
Trop vous trompez le sexe masculin.
Mais quelque jour, aussi doulx comme est lin58,
5 L’on vous aura, fines gaudisseresses59.
.
Caquetières, baveuses, menterresses :
Estre deussiez songneuses fillerresses60,
Sans abuser ne Martin, ne Colin,
Affettées.
.
10 Le bruyt avez d’estre fourbisserresses61,
Membres ravir comme rapinerresses62
Pour les loger en vostre gibrelin63.
Par cueur sçavez les ruses Pathelin64
Mieulx que ne font ces recommanderresses65,
15 Affettées.
*
1 Cette chanson initiale semble correspondre au timbre d’une ballade du Jardin de Plaisance : Pour m’oster de mélancolie. 2 Sous les ramures. Ces innombrables chansons bucoliques se terminent toujours à l’horizontale : « Soubz la ramée,/ Tenant sa dame soubz le bras (…),/ Et puis la renverser en bas/ Comme amoureux font par esbatz. » Ou encore : « Ung jour, au bois, soubz la ramée,/ J’ay trouvé mon amy seullet,/ Auquel je dis sans demourée :/ “Faictes-moy le joly hochet !” » 3 Pénétré. Même réponse grivoise au vers 151 de la Satyre de Collerye. 4 C’est dans l’air du temps. « Le temps le veult, et la saison. » Collerye. 5 Ces élégants. Cf. le Pauvre et le Riche, vers 267. 6 Ces coquelets transis d’amour. « Maints gentils-hommes & autres qui (…) se monstrent vaillans coqueplumets sur le pavé de Paris. » Satyre Ménippée. 7 Je les somme de se trouver dans la prairie dont il est question au vers 2. 8 De la chair de gibier enrobée de pâte et cuite au four. 9 « Les popelins sont façonnéz de mesme fleur [de farine], pestrie avec laict, jaunes d’œufs et beurre frais. » Godefroy. 10 Que les ruses de maître Pathelin. Voir ci-dessous le 13e vers du Rondeau 2. 11 Éd. : Moy (Sentir son damoiselin = être issu de noblesse.) « –Et aux ouvriers ? –Le Pathelin./ –D’entretenir ? –Damoiselin. » Collerye. 12 Collerye mélange deux expressions : « aussi doux que lait » et « aussi blanc que lin ». Même confusion au 4e vers du Rondeau 2. 13 De mouton. 14 Faux savant. Cf. la Tour de Babel, vers 146 et note. 15 Mener. 16 Gaillardement. Cf. la Satyre de Collerye, vers 43. 17 Ce médicament. Cf. Maistre Doribus, vers 12, 81, etc. 18 Ce plaisantin. Cf. le Gaudisseur, et le 5e vers du Rondeau 2. La sœur s’adresse au public. 19 Pourvu que ce médicament soit bien préparé. « Atriqué » comporte un jeu de mots grivois sur trique [gros bâton]. « Les dames ayment bien le “droit”…./ Quant la dame est bien atriquée,/ Alors congnoist-on son courage. » Collerye. 20 Vagin. « Mais prendre à belle main un bon gros vit nerveux/ Et en remplir d’un con le gosier chaleureux. » Théophile de Viau. 21 Éd. : autanr soyes (Soyez sûr que je vous le paierai au centuple.) 22 Petit malin. Cf. Daru, vers 218. C’est un personnage des Sotz fourréz de malice et des Sotz triumphans. 23 Quel intrigant. Cf. le Roy des Sotz, vers 188. La sœur parle au public. Un brasseur est un maniganceur. 24 Quel avaleur de bouillon : quel pique-assiette. Cf. le Testament Pathelin, vers 133. L’un des Sergents s’appelle Humebrouet. 25 Quel touilleur de sauces : quel magouilleur. La sauce vert, piquante et acide, doit sa couleur au persil. La cameline contient de la cannelle, comme son nom l’indique, et du gingembre. 26 Nul besoin de se demander si vous faites preuve d’affectation, de fausse pruderie. Voir le 1er vers du Rondeau 2. 27 Vraiment ! Ce juron est réservé aux femmes. Cf. le Mince de quaire, vers 77. 28 Qu’on dîne. 29 Une tartine d’épices aphrodisiaques, pour guérir votre impuissance. « Il sçavoit une pouldre, laquelle si elle donnoit avec un bouillon ou une rostie, comme de pouldre de duc, à son mary, il luy feroit la plus grand chère du monde. » Marguerite de Navarre. 30 Soignée. Les œufs crus sont le principal ingrédient du chaudeau flamand, qui requinque les nouveaux mariés après leur nuit de noces. 31 Un Jean Collet doit être un imbécile, comme un Jean Farine, un Jean Lorgne ou un Jean Fichu. Possible calembour sur « j’encolais », j’accolais : « De joie l’encole et enbrace. » Godefroy. 32 Propre, gracieux. 33 Afin de ne pas débander. « (Hercules) dépucela les filles de Thespius en nombre de cinquante…. S’il luy eust fallu continuer, (il) eût, je m’asseure, joué à l’esbahy. » Nicolas de Cholières. 34 Et il le fait mal. 35 Les bourgeoises qui venaient d’accoucher se mettaient au lit tous les après-midi, parfois pendant plusieurs semaines, pour écouter les commérages de leurs visiteuses. Voir les Caquets de l’accouchée, composés un siècle après ce dialogue. 36 Ce qu’on en dit ? 37 Ce vers, si tant est qu’il soit juste*, n’est pas très clair. Par définition, des femmes qui ont eu un enfant ne sont pas « bouchées ». Elles ont été « touchées » par un homme neuf mois plus tôt. Collerye termine le Sermon pour une nopce avec un jeu de mots du même genre sur « couché » et « touché ». *Elles s’écrit elz, en une syllabe, aux vers 63 et 68. 38 Éd. : Ilz 39 De babioles, de fanfreluches. « Leur fault-il tant de mirlifiques,/ Tant de bagues et tant d’afiques [d’affiquets] ? » Éloy d’Amerval. 40 Il y a plus de monde autour d’elles qu’autour des reliquaires que les pèlerins viennent baiser. Cf. le Pèlerinage de Saincte-Caquette, dont les vers 41-52 dénigrent les visiteuses des accouchées. 41 La bracerole est une chemise de nuit que portent les accouchées. « L’accouchée est dans son lit, plus parée qu’une espousée…. Au regard des brasseroles, elles sont de satin cramoisi. » Godefroy. 42 Colliers. Cf. le Vendeur de livres, vers 87. 43 Flegmatiques, lymphatiques. 44 On leur fait manger des choses épicées. 45 L’hypocras est un vin médicinal. 46 Dans la 3ème des Quinze joyes de mariage, une accouchée contraint son mari à lui cuisiner « ung bon coulis de chappon au sucre ». 47 C’est une misère. « Cela, ce n’est que mincerie. » (Les Sotz ecclésiasticques.) Seules les viandes en sauce avaient une valeur culinaire. 48 Coiffées d’un béguin d’accouchée qui leur tombe sur les yeux. 49 Le personnage allégorique représentant la Synagogue a les yeux bandés en signe d’aveuglement. Gilles Corrozet décrit ainsi le portail de Notre-Dame de Paris : « Au portail de devant sont deux effigies : l’une tient une croix & représente l’Église. L’autre, tenant un livre, est bandée sur les yeux, & représente la Sinagogue. » Voir le 10e vers du Rondeau 1. 50 Elles ont du succès. Voir le 2e vers du Rondeau 1. 51 Éd. : nê (Une dogue est une duègne qui joue les chiennes de garde. Voir le 3e vers du Rondeau 1.) On peut comprendre « Je n’ai deuil », mais aussi « Je n’ai d’œil » : je ne suis épiée. 52 Pour remettre ça, pour continuer à caqueter. 53 Note 50. 54 Note 51. 55 Amère. 56 Note 49. 57 Note 26. 58 Note 12. 59 Note 18. 60 Vous devriez vous occuper de filer votre quenouille avec soin. 61 De vous faire fourbir par des hommes. 62 Comme des voleuses qui se livrent à des rapines. 63 Votre sexe. 64 Note 10. 65 Ces entremetteuses. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 375.
GAUTIER ET MARTIN
*
GAUTIER
ET MARTIN
*
.
Ce dialogue parisien fut écrit vers 1500. L’auteur pimente son texte d’argot. Il s’inspire, entre autres sources, des ballades en jargon de François Villon ; il connaît non seulement les six que comporte l’édition princeps de 1489, mais également les cinq autres, qui circulaient sous une forme manuscrite. (Elles nous sont parvenues grâce à un manuscrit conservé aujourd’hui à la Bibliothèque royale de Stockholm1.) Ce cas n’est pas unique : vers 1458, les Vigilles Triboullet parlaient déjà du « bon jargon » de « maistre Françoys Villon ». Le public parisien comprenait et appréciait l’argot, si l’on en juge par le nombre de pièces qui en contiennent — que ce soient des farces, comme le Dorellot, des sotties, comme les Premiers gardonnéz, et même des Mystères, comme le Viel Testament, les Trois Doms, la Vie de sainct Christofle, les Actes des Apostres, ou le Mistère de la Passion.
On dit « Gautier et Martin » pour dire « tout un chacun » : « Vous allez / Puis chez Gaultier, puys chez Martin. » (Le Munyer.) « Sans craindre Gaultier ne Martin. » (Le Mirouèr des enfans ingratz 2.)
Nos personnages rivalisent de virtuosité verbale avec deux de leurs contemporains, Marchebeau et Galop (~1500) ; ils ne seront dépassés dans ce domaine que par Messieurs de Mallepaye et de Bâillevant (~1516). Leur philosophie de l’existence, « vivre sans rien faire », les apparente aux Maraux enchesnéz (1527). Leur satire des dandys faméliques semble calquée, parfois mot pour mot, sur le Monologue des Perrucques, attribué à Guillaume Coquillart (~1490), et sur la sottie de Folle Bobance (~1500).
Source : Archives de l’État de Fribourg3, en Suisse. Cote : CH AEF Littérature 9. Cette farce fut trouvée par Paul Aebischer4 dans la couverture d’une « grosse » (autrement dit, d’un registre de reconnaissance foncière) du bailliage de Saint-Aubin. Paul Aebischer découvrit au même endroit Jehan qui de tout se mesle, la Présentation des joyaux, la Nourrisse et la Chambèrière, et d’autres fragments plus ou moins importants. Le premier des douze feuillets, qui exposait le titre de la pièce, est perdu ; il nous manque au moins les trois premiers vers. Le papier est très abîmé : rognures en haut ou en bas, trous, déchirures, traces de colle. Je supplée ces lacunes en bleu clair, et je réserve les traditionnels [ ] aux omissions de l’éditeur.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 7 triolets, 2 poèmes en strophes aabBccbBddbB, 1 poème en strophes ababbcbC, un autre similaire dont le dernier vers de chaque strophe est repris au début de la suivante.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
GAUTIER SCÈNE I
…………………………………
C’est tout ung, ilz passent au bac5 :
Il n’y a plus ne clic ne clac6.
Joyeux esperit vit dehet7.
Argent ? Il est mys à basac8 :
5 On ne l’a jamais par souhet9.
L’ung l’espargne, l’autre le het ;
L’ung en a trop, l’autre en a pou10.
D’e[n] souhetter suys bien huet11 :
Je trouveroye plus tost ung pou.
10 Tenir tousjours bons termes12 ! Brou13 !
Rire à tous d’ung beau ris commung.
Que j’amasse argent ? Ouy dea, tou14 !
Tant15 me sont cent ducas comme ung.
.
MARTIN SCÈNE II
Hoye16 !
GAUTIER
Hoye !
MARTIN
J’ay ouÿ quelc’un
15 De ma bende, je l’entens bien.
Le sang bieu ! je n’en voys pas ung…
Hoye !
GAUTIER
Hoye !17
MARTIN
J’é ouÿ quelc’un.
GAUTIER
Je viens pour resjouyr18 chascun
Sans demander « quant » ne « combien »19.
20 Hoye !
MARTIN
Hoye !
GAUTIER
J’ay ouÿ quelc’un
De [ma] bende, je l’entens bien.
Ne saroit-on trouver moyen
Que l’on sceût vivre sans rien faire20 ?
Hÿer, monseigneur le doyen21
25 Me fist coucher sans mon lit faire22.
.
Je voy bien, tout est à refaire, SCÈNE III
Car les porceaulx y ont esté.
Je seroye fol de m’en deffaire23 :
Non, non, vive joyeuseté !
MARTIN
30 À mau nourry24 !
GAUTIER
À trop tost né25 !
MARTIN
Acolle-moy !
GAUTIER
Que je t’embrasse !
MARTIN
Que dit le cueur ?
GAUTIER
Toust est dîgné26.
MARTIN
À mau nourry !
GAUTIER
À trop tost né !
MARTIN
J’ay, matin, tant mal desjeuné !
35 Mes boyaulx sont cours27 d’une brasse.
Au mau nourry !
GAUTIER
À trop tost né !
MARTIN
Acole-moy !
GAUTIER
Que je t’embrasse !
MARTIN
Il fault que la foule on rebrasse28 :
Il n’y a plus denier ne maille29 ;
40 Tout est riflé30 jusqu(e) à la paille,
Tout est vendangé sans cousteau.
GAUTIER
J’ay mengé ma part du gasteau
De hault jour31, en faisant grant chère.
Aussi, la chandelle est trop chère :
45 Je me couche de hault souleil32.
MARTIN
Je veulx [bien] qu’on me crève ung œil
Se je n’ay piautré33 sus la dure
Poste34, au cagnart ! Se ce temps dure,
Se la foulle n’est estoffée35,
50 Se l’eur36 ne vient de don de fée,
[Fy] de Mélusine ou de Morgue37 !
GAUTIER
Comme broue38 le gueux ?
MARTIN
Sus la drogue39.
GAUTIER
Et l’aubert40 ?
MARTIN
Il est descrié41.
GAUTIER
Le mien est jà piéçà42 trié.
55 Autant m’est layne que cotton.
Au sec43 je broue44, en hoquetton.
Gautier ne fut onc(ques) en tel point.
MARTIN
Et moy, je broue en beau pourpoint
(De peur du chault45) sur la chemise.
60 Autant m’est recepte que mise46.
En ceste planette47 suis né.
Je suis net48.
GAUTIER
Je49 suis affiné.
MARTIN
Et moy, defferré tout à plat50.
GAUTIER
J’estois l’autre jour en estat51,
65 Entremeslé en seignourie,
Où52 j’afronti par joncherie
Ung gallant bien garny d’aubert.
Mais je l’envoyé sans haubert53,
Foy que doy Dieu et sainte Croix54 !
70 Je le desbourré55.
MARTIN
Je t’en croy[s].
GAUTIER
J’euz deux andosses56, deux georgetz57,
Lesquelz j’empoigné mieulx qu’augetz58.
Et puis m’en broué de l’ospite59.
MARTIN
Pour cela, tous pipeurs despite60.
75 Ung jour, en venant de Millan61,
Deux desbourré62 sur le berlan.
Et si bien parvins à mes pointz63
Que les envoyé sans pourpoins ;
Et laissèrent toutes leurs plumes.
GAUTIER
80 Pouac64 ! cela sont65 mes coustumes :
Ne leur66 laisser gourpin ne hergne67.
Mais à Parouart68, la grant vergne69,
Ung ange70 mist sur moy la poue
Pour moy graffir71 ; et Gautier broue
85 Des quilles72 sur le dur terrant73 !
J’embrassé celi enarrant 74
En cherchant Domini terra 75.
MARTIN
De vero 76 ?
GAUTIER
Il [le] comparra77 !
S’il m’eust pétrillé78 en ce coffre79,
90 Le gibet m’eust bien fait son80 offre.
Le tortuon j’eusse dancé81 ;
Le marieux82 m’eust advancé,
Tout au long83, les joncs84 verdoians.
MARTIN
Fy de l’enseigne !
GAUTIER
Se j’en mens,
95 Je suis content de paier carte85 !
MARTIN
À quel flouant86 fusse ?
GAUTIER
À la quarte87.
En flouant le gourpin plumé88,
J’en ay maint sire desplumé.
Je joue tousjours à passer douze89.
MARTIN
100 Lue au bec90, ferme de la m[o]uze91 !
Chante quatre92 pour ces becque[t]s93 !
GAUTIER
As-tu paour94 ?
MARTIN
Il se houze, houze95.
Lue [au bec]96, ferme de la mouze !
GAUTIER
Pensses-tu que je me déshouze97 ?
105 [Nyez, nyez]98, sans longs caque[t]s99 !
MARTIN
Lue au bec, ferme de la mouze !
Chante quatre pour ces béque[t]s !
Sus, sus ! icy n’y a aque[t]s100,
Car Fortune a tous tes paque[t]s101 ;
110 Nuyt et jour nous maine bataille.
GAUTIER
Pourquoy le dis ?
MARTIN
Son pour la caille102.
L’ung fait le haireux eschauffé103 ;
Et l’autre empoigne l’estoffé,
Et mengut104 tout jusqu’à la paille.
GAUTIER
115 Pourquoy le dys ?
MARTIN
Son pour la caille.
En quelque vergne que je soye,
J’arme tousjours quelc’un de soye105
Sans luy donner bonnet d’escaille106.
GAUTIER
Pourquoy le dis ?
MARTIN
Son pour la caille.
GAUTIER
120 Qui en ara, si nous en baille !
Le plus souvent, de fain je bâille ;
Jamais ne porte estat grigneur107.
MARTIN
Argent ?
GAUTIER
Fy, c’est pour ung changeur108 !
[MARTIN]
Santé109 ?
[GAUTIER]
C’est le cry de la nuyt110.
125 À bonne enclume, bon fourgeur111.
MARTIN
Argent ?
GAUTIER
Fy, c’est pour ung changeur !
MARTIN
T(u) es ung terrible vendengeur112
De roysin pellé113, jour et nuyt !
Argent ?
GAUTIER
Fy, c’est pour ung changeur !
MARTIN
130 Santé ?
GAUTIER
C’est le cry de la nuyt.
MARTIN
Or et argent, cela nous nuyt :
Nous n’aymons que joye et déduyt.
Fy de Malleur114, qu’on le desloge !
GAUTIER
Tout par compas115 !
MARTIN
Just comme ologe116 !
GAUTIER
135 Tant aymons vente comme achat.
De ducas ne mailles au chat117,
Nous n’en faisons banque ne loge118.
MARTIN
Tout par compas !
GAUTIER
Just comme [olo]ge !
MARTIN
Nous passons temps joyeusement.
140 Nous rivons le bis119 gourdement120.
Gautier à la Lune121 se loge.
GAUTIER
Tout par compas !
MARTIN
Just comme [olo]ge !
GAUTIER
Nous sommes forgés d’une forge122 :
Nous vivons amoureusement,
145 Moitié debte,
MARTIN
Moitié payement.
GAUTIER
En quoy payerons-nous ?
MARTIN
En papier123.
GAUTIER
Nous payerons aussi loyaulment
Que Pathelin fist124 le drapier.
MARTIN
Qui dit125 ?
GAUTIER
Qui nous vient espier ?
MARTIN
150 Quel remède ?
GAUTIER
Chanter, bien dire.
MARTIN
Nully126 ne voulons copier127.
Tousjours sans soucy128 voulons rire.
GAUTIER
Regardons !
MARTIN
Quoy ?
GAUTIER
La lune luyre,
Joyeusement, sans estre esmeuz.
MARTIN
155 J’ay veu tel en hault estat bruyre,
Que129, depuis, ay veu bien camus.
GAUTIER
Grant chère !
MARTIN
Grant gaudéamus130 !
GAUTIER
Chéris131 de Gontier !
MARTIN
Mais d(e) Hélayne !
GAUTIER
Se nous avons des draps acreuz132,
160 Nous poyrons à la Magdalaine.
MARTIN
Joye ?
GAUTIER
C’est nostre chastelayne133.
MARTIN
Fy de joyaulx !
GAUTIER
Fy de rubis !
MARTIN
Faulte d’argent et134 draps de layne
Nous fait porter mauvais abis.
GAUTIER
165 L’ung veult du blanc,
MARTIN
L’autre du bis135.
GAUTIER
L’ung est bon,
MARTIN
L’autre desloyal.
GAUTIER
Je ne sçay comme me hubis136 :
J’ay autant amont comme à val137.
MARTIN
Que désirons-nous ?
GAUTIER
Vent d’aval138.
MARTIN
170 Que reste-il ?
GAUTIER
Qu’on s’entretiengne.
MARTIN
…………………………. -al
……………………. -engne.
GAUTIER
Qu’atendons-nous ?
MARTIN
Que Bon Temps139 viengne.
GAUTIER
Il met trop140.
MARTIN
Voire, à nostre gré.
Force est qu’à son [tour, dîme il prengne]141.
Attendre fault, bon gré, maulgré.
GAUTIER
175 C’est tout ?
MARTIN
C’est le pas du degré142.
GAUTIER
Autant nous sont milles que cens.
MARTIN
Tel fut monté en hault degré
Qui a bien failly à son sens.
GAUTIER
Nous n’avons ne rente, ne cens143.
MARTIN
180 Nous n’avons de quoy estre chiche144.
GAUTIER
Tel est garny de [ses cincq sens]145
Qui ne peut pas estre [aussi] riche.
MARTIN
Seigneur suis de la Vigne-en-friche,
Cappitaine du Pré-fauché,
185 Consierge de Bise-flamiche146
Et commis de l’Estanc-pesché147.
GAUTIER
L’ung est debout,
MARTIN
L’autre est couché.
GAUTIER
L’ung se taist,
MARTIN
L’autre parle hault ;
Quant il est au gibet perché,148
190 On luy baille le soubresault149.
GAUTIER
C’est la hart150.
MARTIN
C’est [par son]151 deffault.
GAUTIER
Qui152 a santé, il a assez.
Après la mort, rien ne nous fault153 ;
Que valent trésors amasséz ?
MARTIN
195 Telz ont le bruyt154,
GAUTIER
Telz sont cassés155.
MARTIN
Telz sont mal paiéz de leurs gaiges.
Telz sont gorrie[r]s156 et agensséz157
Qui n’ont de quoy nourrir leurs paiges158.
GAUTIER
Mal montéz159,
MARTIN
Misses160 de bagaiges.
GAUTIER
200 Cours vestus
MARTIN
D’une vielle soye.
GAUTIER
Je leur donne, pour tous potaiges,
L’ordonnance à la morte-poye161.
MARTIN
L’ung dit qu’il n’a point de monnoye,
GAUTIER
L’autre se vente qu’il en fine162.
205 Mais si sou[v]ant il se nestoye163,
Que sa robe n’est qu(e) estamine164.
MARTIN
L’ung porte la chemise fyne,
Mais corps et ha[n]ches je devyne.
210 L’autre monstre tout le fatras.167
GAUTIER
Pourpoins cours,
MARTIN
Larges par les bras168.
GAUTIER
Bas collet[z]169
MARTIN
Bordéz de sattin.
GAUTIER
On cuide que ce soit taffetas,
Mais ce n’est q’ung viel chevrotin170.
MARTIN
215 Ung myrouèr,
GAUTIER
Ung pigne,
MARTIN
Ung bassin171,
GAUTIER
La lécive clère172,
MARTIN
La [c]rucque173 :
GAUTIER
Vélà ce qu’il fault, au matin,
Aux gueux, pour laver la perruque174.
MARTIN
Pentofles au soir,
GAUTIER
Une hucque175,
MARTIN
220 Beaux draps blancs sentant le lorier176.
GAUTIER
Quant le gueux du logis desjucque177,
Au matin, plante ung [beau] rosier178.
MARTIN
L’ung est seigneur du Franc-gosier179,
Cappitaine de Mal-empoint180,
225 Ennobly de verges d’osier181 ;
[L’autre n’a]182 vaillant ung pourpoint.
GAUTIER
Fringans ?183
MARTIN
Pompeux ?
GAUTIER
En bruyt ?
MARTIN
En point ?
GAUTIER
Misses !
MARTIN
Drougue[t]s184 !
GAUTIER
[Près de la tune]185 !
MARTIN
Aux déz, ilz pardent pour ung point,
230 Puis dient que c’est par Fortune.
GAUTIER
Fins [afynés souvent on]186 plume,
MARTIN
Haultains,
GAUTIER
Bas de poil187, sans188 coulleur.
MARTIN
Mais qu’il ait189 une grande plume,
On dira : « Vélà Monseigneur ! »
GAUTIER
235 À gentillesse190 est deu honneur ;
MARTIN
À Noblesse, foy et hommage.
Mais telz gaudisseurs191, je suis seur,
Ne payent192 rien que de lengaige.
GAUTIER
Flater
[ MARTIN
En Court,
GAUTIER ]193
Trancher du saige194,
MARTIN
240 Les ungz gours195,
GAUTIER
Aultres, droguelle[t]s196.
MARTIN
Et si, vont –maugré leurs visaiges197–
À pié, par faulte de mulle[t]s198.
GAUTIER
Ilz n’ont servantes ne varle[t]z
(Fors, en la main, d’ung blanc bâton199),
245 Et portent sur leurs bas colle[t]z
Une chaîne de beau letton200.
Soule[r]z carréz201,
MARTIN
C’est le droit ton202.
GAUTIER
Gorgias203,
MARTIN
Mygnons,
GAUTIER
Perruquins204.
MARTIN
Quant la chausse a mauvais talon,
250 Il fault avoir de[s] brodequins205.
GAUTIER
Sus, sus ! parvenons à noz fins !
Laissons à chascun sa manière,
Laissons parler grossiers et fins.
Revenons à nostre matière.
MARTIN
255 Ayons tousjours ung pié arrière206
En démenant joye et liesse.
Laissons l’estandart et207 banière
De soucy et folle tristesse.
GAUTIER
Si vient nully qui nous oppresse,
260 Incontinent qu’on le trébuche !
MARTIN
Debout, debout !
GAUTIER
À l’escarmouche208 !
MARTIN
En place !
GAUTIER
Sus, faisons devoir !
MARTIN
Qui vive209 ?
GAUTIER
« La joyeuse embûche210 ! »
MARTIN
Debout, debout !
GAUTIER
À l’escarmouche !
MARTIN
265 Se Maleur vient, qu’on le trébuche !
GAUTIER
Nous ne luy voulons riens devoir.
MARTIN
Debout, debout !
GAUTIER
À l’escarmouche !
MARTIN
En place !
GAUTIER 211
Sus, faisons devoir !
MARTIN
Qui nous maine ?
GAUTIER
Joyeux espoir.
MARTIN
270 Où tirons-nous212 ?
GAUTIER
Devers noblesse.
MARTIN
Par quel moyen ?
GAUTIER
Par bon arroy213.
MARTIN
Pourquoy ?
GAUTIER
Pour le bâs214 qui nous blesse.
MARTIN
Faulte d’argent ?
GAUTIER
Cela je lesse.
MARTIN
Ta voulenté ?
GAUTIER
Bonne et loyalle.
MARTIN
275 Que souhaites-tu ?
GAUTIER
Qu’en liesse
Vive, [en tout bruyt,] la fleur de liz royalle215.
MARTIN
Quel[s] gens sommes-nous ?
GAUTIER
Sans soucy.
MARTIN
À quoy pensons-nous ?
GAUTIER
À bien dire.
MARTIN
Sans mal penser ?
GAUTIER
Il est ainsi.
MARTIN
280 Rire et gaudir,
GAUTIER
Et sans mesdire.
MARTIN
Loyal du tout216
GAUTIER
Sans contredire.
MARTIN
Aymer chascun
GAUTIER
De bonne amour féalle217.
MARTIN
C’est bien vescu,
GAUTIER
Sans nully escond(u)yre.
Vive, en tout bruyt, la fleur de liz royalle !
MARTIN
285 C’est ung trésor,
GAUTIER
Mais ung bien magnificque.
MARTIN
Haultain séjour218
GAUTIER
Où tous biens sont eslis219.
MARTIN
Montjoye220 de bien,
GAUTIER
Ung regnon221 autentique.
MARTIN
Re[n]fort d(e) honneur,
GAUTIER
Plains de joyeux délis222.
MARTIN
Vray champ d’asur
GAUTIER
Garny de fleurs de lis223.
MARTIN
290 Sang très royal,
GAUTIER
Renommée férialle224.
MARTIN
Noble du tout225,
GAUTIER
En tous biens embellis.
Vive, en tout bruyt, la fleur de liz royalle !
MARTIN
Sus, sus ! D’une amour cordialle,
De chanter soyons diligens.
GAUTIER
295 Nous sommes gallans sans argens.
Chantons dehet, accordons-nous.
Ilz chantent :226
L’ort villain jaloux
Qui a batu sa femme,
[C’est] en despit de nous.
MARTIN
300 Tout doulx, tout doulx ! Entens ta game !227
Ilz chantent :
L’ort villain jaloux
Qui a batu sa femme,
[C’est] en despit de nous.
GAUTIER
Qu’esse-cy ? Quel[s] gens sommes-nous !
305 On en escriproit une bible228.
À cueur vaillant, rien impossible.
Qui meins a, meins a de soucy229.
MARTIN
Quant on part de ce monde icy,
On n’emporte, pour tout potaige,
310 Q’ung viel linseul.
GAUTIER
En brief langaige,
Nostre plaisance nous nourrist.
MARTIN
Ung songart230 qui jamès ne rist,
Si ne vault rien pour nostre bende.
GAUTIER
Nous sommes contens qu’on nous pende
315 Se amassons argent ny or !
Souffisant231 est nostre trésor ;
C’est assez, nous sommes contens.
MARTIN
Joyeusement passons le temps
En faisant chansons, ditz, ballades232.
320 S’il a[d]vient que soions malades,
Nous savons où nous recueillir.
GAUTIER
L’ospital ne nous peut faillir233 :
Au pis aller, c’est ung refuge.
MARTIN
S(e) aulcun mal234 nous vient assaillir ?
GAUTIER
325 L’ospital ne nous peut faillir.
MARTIN
Vivre dehet, chanter, saillir235 !
Nous n’avons pas paour du déluge236.
GAUTIER
L’ospital ne nous peut faillir :
Au pis aler, c’est ung refuge.
MARTIN
330 Nous nous en raportons au Juge237 :
Nous n’avons ny escu, ne targe238.
Quant j’é ung grant blanc239, il me targe
Que le tavarnier l’ait en bource,
Tant ay grant peur qu’on me d[e]strousse.
GAUTIER
335 Nous n’avons ne maison, ne tente240,
[Et] on ne nous doit rien de rente.
Et sy241, nous devons conte ront242 ;
Ceulx à qui nous devons mouront,
Ou nous : et puis nous serons243 quittes.
MARTIN
340 Nous les payrons en pommes cuittes,
Noz debteurs244 ; ou en pastenostres.
GAUTIER
Ne sont telz abis que les nostres245 ;
Nous ne sommes que trop vestus.
MARTIN
Vive gallans, joyeux Fébus246
345 Par qui liesse est démenée !
GAUTIER
C’est vray.
MARTIN
C’est nostre destinée.
GAUTIER
Nostre mort n’est point machinée247
Pour trésor que nous amassons248.
MARTIN
S’en cest article nous pensons249,
350 Je prie à Dieu qu’il nous confonde !
GAUTIER
Gens dehet,
MARTIN
Gens de l’autre monde250,
GAUTIER
Nous ne prestons rien à usure.
MARTIN
Que nous fault-il ?
GAUTIER
Parolle ronde251.
MARTIN
Gens dehet,
GAUTIER
Gens de l’autre monde.
MARTIN
355 En effet, je veul qu’on me tonde252
Se j’amasse rien par mesure253 !
GAUTIER
Gens dehet,
MARTIN
Gens de l’autre monde,
GAUTIER
Nous ne prestons riens à usure.
MARTIN
Qui fera la desconfiture254
360 De nous deux ?
GAUTIER
La mort.
MARTIN
La mort ?
GAUTIER
Voire.
MARTIN
De cela aye bien mémoire :
Autre ne nous peut desconfire.
GAUTIER
Qui sommes-nous ?
MARTIN
Qui ? Gens pour dire255.
GAUTIER
Nostre cry256 ?
MARTIN
C’est : « Vive liesse ! »
GAUTIER
365 Qui grongne, qui ?
MARTIN
Qui nous rancune ?257
GAUTIER
Dehors, grongneux !
MARTIN
Saillez258, tristesse !
GAUTIER
Eschec259, argent !
MARTIN
Vuidez260, richesse !
GAUTIER
De qui tenons-nous ?
MARTIN
De la lune261.
GAUTIER
Au surplus ?
MARTIN
Pour toute promesse,
370 Nous ne tenons riens de Fortune.
GAUTIER
Tenir nous fault rigle262 comune :
Nous sommes assez grans seigneurs.
MARTIN
Pas ne voulons estre grigneurs263.
(Vélà ung mot bien compassé.)
GAUTIER
375 Quant ung homme a[ura] amassé
D’or et d’argent en une masse264,
Et puis quant sera trépassé :
L’emportera-il en sa tasse265 ?
MARTIN
Pour tous tribus, on luy compasse266
380 Sept piedz de terre massonnéz267.
Légièrement le temps nous passe268.
Telz nous voiez, telz nous prenez.
GAUTIER
Telz nous voiez, telz nous prenez.
Nous portons tout, de peur du feu269.
385 Quant nous feusmes sur terre néz,
Nous n’y apportasmes q’ung peu.
Se sommes povres270, de par Dieu,
Vive la pascience Job271 !
Nous n’avons maistre ny adveu272.
390 Se nous avons santé, c’est trop273.
MARTIN
Se nous avons santé, c’est trop.
Autrement ne nous soussions274.
Qui nous dit « bap ! », nous disons « bop ! »275 :
Vélà noz occupations.
395 Pour toutes rétributions,
Souffisance avons planière276.
Point n’alons aux processions :
Nous n’avons ne croix277, ne banière.
GAUTIER
Nous n’avons ne croix, ne banière,
400 Nemplus278 que ceulx de l’Observance ;
Et pour tenir de leur manière,
Nubz-piedz279 allons, par pénitance.
.
Si, prenez en gré la substance
De nostre Jeu, tel comme il est,
405 En supportant nostre ignorance ;
Et nous pardonnez, s’il vous plaist.
.
EXPLICIT
*
1 Les six ballades de l’édition Levet datent de 1461, et les cinq ballades du ms. de Stockholm datent d’avant 1456, d’après Thierry Martin : VILLON, Ballades en argot homosexuel, Mille et une nuits, 1998, pp. 6-8. 2 Cette Moralité fait parler l’argot à deux mendiants prénommés Gaultier. 3 Nous remercions vivement les Archives de l’État de Fribourg, en Suisse, et M. David Blanck, pour l’obligeance et la célérité qu’ils ont mises à nous fournir une copie numérique de cet imprimé, malgré le confinement que nous subissons. La bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg étant fermée, nous n’avons pu consulter le mémoire de licence de CHRISTINE DEMIERRE : Dialogue de Gautier et Martin : étude philologique, 2005. 4 Il l’a transcrite dans : Trois farces françaises inédites trouvées à Fribourg. « Revue du Seizième siècle », t. XI, 1924, pp. 157-192. 5 Mes écus sont finis, ont fait leur temps. « Il passe au bac,/ Maistre Pierre. » Le Testament Pathelin. 6 Plus rien ne cliquette dans ma bourse. 7 Gaiement. (Idem vers 296, 326, 351.) « –Tousjours dehet. –Esprit nouveau. » Marchebeau et Galop. 8 Il est au plus bas. Cf. J’ay veu le temps que j’estoye à bazac. 9 Quand on le souhaite. 10 Peu. 11 Bête. 12 Tenir tête à l’ennemi. « En danger d’avoir ung assault,/ Nous tiendrons bons termes. » Les Sotz escornéz. 13 Hurlement que poussent les diables, comme Lucifer dans le Munyer : « Brou ! je suis tout enpuanti. » 14 Cette onomatopée transcrit le bruit que fait Gautier en crachant par terre pour mieux afficher son mépris de l’argent. 15 Autant. Idem vers 135. 16 Ohé ! Cet appel suscite toujours une réponse en écho : « –Haye ! –Haye ! » Les Coppieurs et Lardeurs. 17 L’imprimé intervertit cette réplique et la suivante. Voir les refrains 14 et 20. 18 Éd. : iesionyr (J’écris la 1ère syllabe de « chascun » en bleu clair parce qu’elle n’apparaît plus sur le papier : voir ma notice.) 19 Sans poser de questions. 20 « –Penses-tu vivre sans rien faire ?…./ –Y me fault trouver quelque lieu/ Où pouray vivre sans rien faire. » Troys Gallans et Phlipot. 21 Sergent, lieutenant du maire. 22 Dans les cachots, une paillasse tenait lieu de lit. Gautier, qui sort donc de prison, revient à son « cagnard », le recoin où il dort d’habitude. Mais Martin s’y est installé. 23 De me tuer pour si peu. 24 Je bois au mal nourri, au rachitique. 25 Je bois à celui qui est né avant terme, à l’avorton. « Désadvoues cet avorton, ce trop tost né ! » La Barillère. 26 Il n’y a plus rien à manger. 27 Sont trop courts. 28 On trousse. 29 La maille vaut un demi-denier. Idem vers 136. 30 Bouffé, comme au vers 114. « Menger, riffler et transgloutir. » (Pates-ouaintes.) Ici commence la partie en jargon ; Paul Aebischer fut conseillé par LAZARE SAINÉAN, l’auteur des Sources de l’argot ancien, t. I, 1912. 31 En plein jour, quand le soleil était haut. 32 En plein jour, n’ayant pas les moyens d’acheter des chandelles pour veiller le soir. 33 Couché. Le peautre est une paillasse : « De nuyt couchéz à nostre peaultre. » Les Maraux enchesnéz. 34 Sur la dure planche. « Cagnard, qui est un lieu à l’abri du vent, exposé au soleil, où les vaut-riens & fainéants s’assemblent à rien faire & estre le ventre au soleil. » (Jean Nicot.) Le Gueux des Souhaitz du monde parle du sien : « Soubz le caignart où je faitz mon repaire. » Cf. les Bélistres, vers 98. 35 Riche. Idem vers 113. 36 L’heur, la chance. Dans Villon 3, « Faisons/ La fée » se traduit par : Tendons un piège. 37 De la fée Morgane. 38 Comment va. 39 Je m’adonne à la mendicité. « As-tu jamais esté en drogue en ce pasquelin [pays] de Berry ? » Ollivier Chéreau, le Jargon, ou langage de l’Argot réformé. 1630. 40 « Ilz appellent argent aubert. » (Jehan Rabustel, procureur de Dijon qui mena l’interrogatoire des Coquillards, en 1455, et qui est par conséquent l’auteur du tout premier dictionnaire d’argot.) Idem vers 67. 41 Il n’a plus cours, comme une monnaie bonne pour la refonte. 42 Éd. : piece a (Depuis longtemps.) « Ne feust l’aide du noble Mardigras (…), Quaresmeprenant les eust jà piéçà exterminées de leur manoir. » Rabelais, Quart Livre, 29. 43 Éd. : bec (Je viens me mettre au sec, vêtu seulement d’un corset.) 44 Je cours, je m’enfuis. (Idem vers 58, 73, 84.) « Brouez au large, et vous esquarrissez ! » Villon 8. 45 Je sors sans manteau, de peur d’avoir trop chaud. On connaît plusieurs variantes de cette vieille plaisanterie : « L’un son soulier persoit,/ De peur du chaud. » Le Resveil des Chrestiens. 46 « Riens en recepte, tout en mise. » Mallepaye et Bâillevant. 47 Sous cette planète : c’est ma destinée. « Orbastie (…) n’ayma oncques elle ny aultre, tant estoit née en mal gracieuse planette. » Nicolas de Herberay. 48 Nettoyé, ruiné. « En la fin, je l’afine/ Ainsi net que quant il fut né. » Le Dorellot. 49 Éd. : Le (Je suis purifié, débarrassé de mon argent.) 50 Ruiné. « Il est defferray tout à plat./ Vous le voyez eschec et mat. » Le Dorellot. 51 Bien habillé. « Robbe doublée de tafetas./ Chascun d’eux, si, n’a de quoy vivre,/ Et veulent porter telz estas. » Guillaume Coquillart, Monologue des Perrucques. 52 Éd. : Mais (Où j’affrontai aux dés, par tricherie. « Joncheurs jonchans en joncherie. » Villon 5.) 53 Il n’avait même pas une cotte de mailles pour se couvrir. Ce vers est recyclé à 78. Nos deux tricheurs prétendent gagner au jeu les vêtements de leurs victimes, mais ils n’ont rien à se mettre : ou ils trichent mal, ou ils se vantent. 54 Aebischer comble cette détérioration avec « saint Éloy » ; or, l’auteur privilégie les rimes riches. « Saincte Croix !/ A ! garde-t’en, se tu m’en croyx ! » (Le Porteur de pénitence.) La croix étant le côté face d’une monnaie, « sainte Croix » désigne facétieusement la patronne de ceux qui ont — ou qui cherchent — de l’argent : « C’est dommaige, par saincte Croix,/ Que l’on ne vous paye trèsbien. » (Jehan qui de tout se mesle.) 55 Je lui ôtai sa bourre, son argent. Idem vers 76. 56 Deux capes. « Il foncera [paiera], se je puis,/ Ou il y laissera l’endosse. » Le Dorellot. 57 « Georget : pourpoint. » Péchon de Ruby, la Vie généreuse des mercelots, gueuz et boësmiens, contenant leur façon de vivre, subtilitéz & gergon [jargon]. 1596. 58 Plus volontiers qu’un auget. Ainsi se nomme la pelle en bois qu’empoignaient les vagabonds condamnés à nettoyer les alentours de la prison du Châtelet ou les fossés parisiens : « Trois haies de sapin pour faire les augetz à gecter l’eaue des fondemens du bolevart. » (Godefroy.) Voir l’usage parcimonieux qu’en font les Maraux enchesnéz. 59 Je m’enfuis de chez mon hôte. Prononciation argotique de l’italien ospite. 60 Je mets au défi tous les pipeurs de dés. « Ung pipeur, c’est ung joueur de déz et d’aultres jeux où il y a advantaige et décepcion [tricherie et tromperie]. » Jehan Rabustel. 61 Martin a donc fait les guerres d’Italie. Les Français occupèrent le duché de Milan de 1499 à 1513. 62 Éd. : desbourte (Note 55.) Le brelan est la table des joueurs de dés. 63 À avoir plus de points qu’eux. 64 Bruit qu’on fait en crachant par terre pour exprimer son dégoût. « Pouac ! vous avez vessy [pété]. » (Calbain.) Cf. la Ballade de champ royal, vers 41. 65 Ce sont là. 66 Éd. : les (Gourpin semble être une déformation argotique de pourpoint. D’après le vers 97, celui-ci est rembourré avec des plumes, ce qui n’était pas rare : voir la note 123 de la Pippée.) 67 Éd. : hargne (Herme = petite monnaie de bronze.) Ce mot rime en -erne : « Car je n’ay ne pion ne herme/ De quoy je peusse, en la taverne,/ Avoir du vin une choppine. » ATILF. 68 À Paris. « À Parouart, la grant mathe gaudie. » Villon 1. 69 « Vergne : ville. » (Péchon de Ruby.) Idem au vers 116. « En ceste fameuse vergne de Paris, au lieu qu’on appelle le Port-au-Foin. » Response et complaincte au Grant Coësre sur le “Jargon de l’argot réformé”. 1630. 70 Un sergent : « Par les anges suivans la paillardie/ Sont greffiz et prins. » (Villon 1.) La poue = la patte. 71 Pour me griffer, m’empoigner. « Seroit-ce point le marieux [bourreau]/ Qui vient icy pour nous graffer ? » Les Tyrans au bordeau. 72 « Les jambes, ce sont les quilles. » (Jehan Rabustel.) Gautier joue des jambes, s’enfuit. « Poussez de la quille, et brouez ! » (Villon 5.) 73 Sur le territoire. « Se treuve point quelque Laurence [prostituée]/ Aulcuneffoiz sur le terrant ? » Les Premiers gardonnéz. 74 Cæli enarrant : Les cieux racontent. (Psaume 19.) 75 La terre du Seigneur. (Deutéronome.) Gautier veut dire qu’en cherchant la terre, il a trouvé le ciel, la liberté. 76 Du vrai. Martin, qui est moins bon latiniste que son compère, veut sans doute dire : En vérité ? 77 Ce sergent me le paiera. « Bien le comparrez,/ Car demain le matin mourrez ! » ATILF. 78 Aebischer propose de lire « péteillé », qui a le sens de « piler, écraser ». 79 Ce cachot. « Enmahés en coffres, en gros murs. » (Villon 1.) Nous avons toujours le verbe coffrer. 80 Éd. : mon 81 Je me serais tortillé sous les coups de verges. 82 Le bourreau, qui marie le supplicié à la Mort. « Qui est en plant en ce coffre joyeulx,/ Pour ces raisons, il a, ains qu’il s’escroue,/ Jonc verdoiant, havre du marieulx. » Villon 10. 83 Tout au long de la voie. Attaché torse nu « au cul de la charrette », le condamné était fustigé à tous les carrefours : lui et son bourreau arpentaient donc les rues. « Car qui est grup [condamné], il a, mais c’est au mieulx,/ Par la vergne [ville], tout au long de la voue [voie],/ Jonc verdoiant, havre du marieulx. » Villon 10. 84 Éd. : ioues (Les verges. « Se j’en debvoys avoir le jonc/ Et bastue. » Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) 85 Une double pinte de vin : « Je suis contant de paier quarte/ Pour desjeuner. » Jehan qui de tout se mesle. 86 Éd. : floc (« Flouant : jeu. » Ollivier Chéreau.) 87 Aux cartes. « Jouer aux déz, aux quartes. » Jehan Rabustel. 88 En extorquant un pourpoint rembourré de plumes. 89 Aebischer évoque le « passe dix », un « jeu à trois dés où l’on peut amener plus de dix ». Mais cela n’a aucun rapport avec les cartes. Le Roux écrit dans son Dictionnaire : « Un homme en fait passer quinze pour douze à un autre, quand il trompe celui qui a en lui quelque confiance. » 90 Surveille ton bec, tais-toi. Cf. les Tyrans, vers 179. « Luez au bec, que ne soiez greffiz. » Villon 1. 91 Du museau. Jehan Rabustel a consigné l’expression originale : « Ferme en la mauhe, c’est celluy qui se garde bien de confesser riens à Justice etc., lorsqu’il est prins et interrogué. » 92 Chanter quatre, ou chanter trois : dire des mensonges. « Chantez-leur trois sans point songer. » Villon 5. 93 Les becquets sont probablement des rapporteurs, qui ont « bon bec ». 94 Peur. Idem vers 327. 95 On chantonne ce refrain pour signifier qu’on n’est pas concerné par ce qui vient d’être dit. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 163. 96 Éd. : aubet (Voir les refrains 100 et 106.) L’imprimé distribue le reste du vers à Gautier. 97 Que je baisse mes houseaux, que je me déculotte. 98 Éd. : Nyues nyues (Tout ce passage est une incitation à nier lors des interrogatoires.) 99 Sans bavardages. « Sans faire plus long caquet. » Les Repues franches de maistre Françoys Villon. 100 Il n’y a rien à acquérir, à gagner. 101 Tout ce que tu possèdes est à la merci du hasard. « Risquer le paquet : Hazarder, courir hazard, risque, fortune. » Le Roux. 102 Miroir aux alouettes. « –Bon guet ! –Son pour la caille ! » (Mystère des Trois Doms.) On capture les cailles sauvages en produisant un son avec un appeau nommé caillier. « [Il] le maine com l’oiselier/ Fait la caille au son du caillier. » (ATILF.) « En avril, prenoie les cailles…./ En venant au son du caillier,/ [Elles] se laissoient prendre. » (ATILF.) « Au premier son on ne prent pas la caille. » (ATILF.) 103 Le pauvre hère échauffé par l’alcool. Beaucoup de voleurs opéraient en duo : l’un des deux détournait l’attention de la victime, et l’autre la détroussait. Voir les Repues franches. 104 Mange, vole. 105 Je lui couvre la tête avec un foulard de soie, pour qu’il ne voie pas que je triche. 106 Sorte de casque. « J’ay mon bonnet d’escaille/ Et ma belle cote de maille. » Mistère de la Passion. 107 Meilleur. Idem vers 373. 108 C’est bon pour un changeur de monnaies, pour un usurier. 109 « Fy de thrésor ! Je ne désire,/ En ce monde, qu’avoir Sancté. » (Deulx Gallans et une femme qui se nomme Sancté, LV 12.) Gautier réaffirme l’importance de la santé aux vers 192 et 390. Cette scène est du plus haut comique : les deux mendiants qui jouissent d’une si bonne santé exhibent de fausses blessures, de faux ulcères, de fausses gangrènes et de fausses infirmités pour apitoyer les passants. Le chirurgien Ambroise Paré dénonça les artifices des gueux et « leur meschanceté et imposture ». 110 Le mot de passe, le sésame qui ouvre toutes les portes. « Non ayant autre moyen pour s’entrecongnoistre, sinon par le cry de la nuyt en le demandant l’ung à l’autre. » Claude de Seyssel. 111 Forgeron. Ou faux-monnayeur : Jehan Rabustel découvrit chez l’un d’entre eux « ung petit enclumeau à pampes aiant une pointe pour le fischer sur un plot de bois et forger dessus ». 112 « Ung vendengeur, c’est ung coppeur de bourses. » (Jehan Rabustel.) « Car vendengeurs, des ances circoncis [on coupait les oreilles aux voleurs],/ S’en brouent du tout à néant. » (Villon 1.) 113 De raisin pelé : de marchandises impossibles à revendre. 114 Tout comme Fortune, Malheur est une personnification allégorique. Idem vers 265. 115 Avec prudence. « Et le suivez tout par compas. » Frère Frappart. 116 Éd. : aloige (Je corrige la même bizarrerie aux refrains 138 et 142.) Le mot horloge n’avait pas encore acquis sa forme et son genre définitifs. « Je suys juste comme ung reloge. » La Pippée. 117 Et de pièces de monnaie frappées d’un léopard. 118 Ni dépôt. 119 « River : foutre…. Bis : con…. La chambrière (…) se vient mettre contre moy. Je fuz tout estonné, comme n’ayant jamais rivé le bis. » Péchon de Ruby. 120 « Gourdement : beaucoup. » Ollivier Chéreau. 121 À l’auberge du clair de lune : il couche à la belle étoile. 122 Nous avons été coulés dans un même moule. 123 En signant des reconnaissances de dettes, comme Marchebeau et Galop (vers 74), ou Mallepaye et Bâillevant (vers 126). 124 Paya. Comme tous les filous, Mallepaye et Bâillevant ont eux aussi la farce de « Pathelin en main ». 125 Qui y trouve à redire ? « Qui dit ? Qui grongne ? Qui grumelle ? » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps. 126 Nul ; personne. Idem vers 259 et 283. 127 Railler. « C’est le mestier de mainte gent/ Que de coppier. » Les Coppieurs et Lardeurs qui sont copiéz et farcéz. 128 Comme des « Enfants sans souci ». Dans la sottie de la Réformeresse, la pingrerie des mécènes est déplorée par des « Enfans sans soucy ». Gautier et Martin revendiqueront de nouveau ce titre : « –Quels gens sommes-nous ? –Sans soucy. » La joyeuse « bande » dont ils se réclament (vers 15 et 313) rappelle la « bende friande galande » qui, dans la Réformeresse, se gargarise des abus qu’elle commet. Tous ces profiteurs assument la même paresse, le même attrait des plaisirs faciles, du jeu et des chansons. 129 Éd. : Qui (Les caprices de la roue de Fortune sont encore dénoncés aux vers 177-8.) Camus = piteux. 130 Réjouissons-nous. C’est le refrain des chansons d’étudiants. On prononçait godéamu. 131 Éd. : Cherie (« Franc-Gontier et sa compaigne Hélaine » inspirèrent à Villon les Contreditz de Franc-Gontier.) 132 Si on nous a prêté des draps. Nouvelle allusion au drapier de Pathelin : « Me cousta, à la Magdalaine,/ Huit blans, par mon serment, la laine…./ Je n’ay point aprins que je donge/ Mes draps…./ Je ne les eusse point acreus. » 133 C’est elle qui nous héberge. 134 Et de : le manque d’argent et de beau tissu. 135 Du pain blanc, réservé aux riches, ou du pain mal raffiné. 136 Comment je me réjouis. « Huby et gay, gent et gaillart. » Le Povre Jouhan. 137 En haut comme en bas, d’un côté que de l’autre. 138 Du vent arrière, qui nous pousse en avant. 139 Le retour de Bon Temps est le sujet de beaucoup de pièces ; voir par exemple la Première Moralité jouée à Genève. Bien sûr, Mallepaye et Bâillevant l’attendent eux aussi : « Quant reviendra le bon temps ? » 140 Trop de temps à revenir. 141 Éd. : estime pugne (Il faut qu’il règne à son tour.) 142 C’est la première marche de l’escalier : c’est un bon début. « En montant les pas du degré. » La Muze historique. 143 Éd. : sens (On ne nous verse aucune rente, ni l’impôt du cens.) 144 Avares. 145 Éd. : ces cinqc ns (Tel a tous ses sens en éveil.) 146 Galette faite avec de la farine bise, mal raffinée. Mais ce vers devrait contenir un nom de lieu. On a peut-être expurgé une allusion aux souteneurs des prostituées qui occupaient la rue Brise-miche, à Paris. 147 De l’étang dont on a pêché tous les poissons. Le noble désargenté du Gentil homme et son Page en possède un semblable. 148 Quand il est pendu pour avoir trop parlé. L’argot servait surtout à mettre en garde les bavards ; voir le vers 100. 149 On le pousse dans le vide. « Sa rançon sera au gibet…./ On luy donra ung soubressault. » Vie de sainct Christofle. 150 La corde. 151 Éd. : le (C’est par sa faute. Ou, en terme de droit : C’est parce qu’il n’était pas présent à son procès pour se défendre.) 152 Celui qui. 153 Ne nous manque : on n’a plus besoin de rien. 154 Sont en bonne réputation. « Nous trouverons la voie/ D’avoir le bruit. Nous serons les plus grans. » Les Sotz escornéz. 155 Sont cassés de gages, sont tombés en défaveur. 156 Élégants avec ostentation. Cf. la Folie des Gorriers. Nous arrivons à la satire des pauvres qui veulent passer pour riches en suivant des modes ridicules. 157 Bien attifés. « Fus-je acoustré, fus-je agencé,/ Bien peigné. » Le Résolu. 158 Cf. le Gentil homme et son Page. 159 Ils ont une mauvaise monture. Cf. Mallepaye, vers 176. 160 Minces, mal fournis. Idem vers 228. « Tu es bien mince de pécune. » (Les Bélistres.) La forme misse est attestée : « –Il fust bien temps que je disgnisse [dîne]./ –Vostre mesnage est si très misse/ Qu’il n’y a céans pain ne miche. » (Le Pont aux asnes, BM 25.) 161 Le service dans une place forte gardée par de vieux soldats qui ne touchent qu’une demi-solde. « Rendre me fault, par mes aveaux,/ En quelque vieille morte-paye :/ Mon pourpoint est de vieille soye,/ Dérompu et tout décassé. » G. Coquillart, Monologue des Perrucques. 162 Se vante qu’il peut en trouver. 163 Il lave ses habits, faute d’en avoir de rechange. 164 N’a plus que la trame. 165 Les élégants arborent une chemise froncée : « Dessoubz le pourpoint, la chemise/ Froncée. » (Le Résolu.) Fron-ci-e et gor-gi-as comptent chacun pour 3 syllabes. 166 Éd. : gorgeas (Forme correcte à 248.) Le gorgias couvre la gorge des femmes : « Elz ont icy ung grant gorgias ;/ S’elz ne monstrent tout le fatras,/ Par mon âme, tout n’en vault rien ! » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 167 « S’elz ne monstrent tout le fratras. » Note 166. 168 Avec de larges manches. « De satin, pourpoins à grans manches,/ Et hocquetons pareillement,/ Bien cours, qui ne passent les hanches. » Folle Bobance, BM 40. 169 Idem vers 245. Les galants veulent un col bas pour qu’on voie leurs colliers : « Chaînes d’or, colliers d’abondance/ Pour porter sur ses bas colletz. » (Folle Bobance.) Les hommes qui sont un peu « collet monté » le préfèrent haut : « Cousturier, faites-moy, à hault/ Collet, une robbe bien faitte. » (Seconde Moralité de Genève.) 170 De la peau de chevreau. 171 Un miroir, un peigne, une cuvette. 172 Le shampooing à base d’oignon pour faire blondir les cheveux. 173 La cruche d’eau pour se rincer la tête. « Une aiguière d’argent doré, et une grande cruque d’argent pour mectre de l’eau. » Jehan de Vandenesse. 174 Leur tignasse. « À Paris, ung tas de béjaunes/ Lavent trois fois le jour leur teste,/ Affin qu’il aient leurs cheveulx jaunes…./ Hector se pourmaine au soleil/ Pour faire sécher sa perrucque. » Coquillart, Perrucques. 175 Une cape munie d’un capuchon. 176 On plaçait dans les armoires à linge des sachets de plantes odoriférantes. Cf. la Pippée, vers 354. 177 Déguerpit de l’auberge. 178 Il laisse des dettes. « Planter ung beau rosier chez l’oste. » (Coquillart, Perrucques.) « [Je le] convie/ D’aller en quelque morte-poye,/ Et luy commande qu’à sa voye [en chemin]/ Il me plante de beaux rosiers. » (Folle Bobance.) 179 Du gosier inemployé : il meurt de faim. 180 Encore un affamé, d’après la farce du Capitaine Mal-en-point. 181 Le bourreau s’en servait pour fustiger publiquement certains condamnés. C’est le « jonc verdoyant » du vers 93. 182 Éd. : Et nont pas (Voir le balancement entre l’un et l’autre aux vers 6, 7, 112, 165, 166, 187, 188, 203, 207.) 183 Élégants, qui aiment se fringuer. Le rythme de ce vers sera repris dans Mallepaye et Bâillevant : « –Fringans, –bruyans, –allans, –parlans. » 184 Contraints à la mendicité. Idem vers 240. Voir la note 39. 185 Éd. : Prestz de la turne (La rime est en -une.) « La thune : l’aumosne…. En cette vergne [ville], fiche-on la thune gourdement ? » (Ollivier Chéreau.) En argot moderne, la thune désigne toujours l’argent ; et nous avons gardé l’expression « Être près de ses sous ». 186 Éd. : a fynes souuent ont (On plume les fines mouches. « Fine affinée et pleine de finesse. » Rondeau.) 187 Pauvre. Cf. les Tyrans, vers 68. « –Il ne vault rien, non, pour foncer [payer]./ –Pourquoy ? –Il est trop bas de poil. » Le Dorellot. 188 Éd. : pour 189 Pour peu qu’il ait sur son chapeau. 190 Aux gens de la Noblesse. 191 Jouisseurs, plaisantins. Cf. la Ballade pour ung vieil gaudisseur caducque et la sottie du Gaudisseur. 192 Éd. : pensent (Ne nous payent que de mots. « Payant seulement de langage. » Marchebeau et Galop.) 193 Éd. : en court / Martin 194 Contrefaire le sage. « Trenchant du sage. » Repues franches. 195 Bons, habiles. « Il a de l’aubert [de l’argent] et du caire [’’]./ Il est gourt ; si, scet son mestier. » Maistre Doribus. 196 Contraints à la mendicité. Idem vers 228. « N’espargnez trésor ne chevance [richesses],/ Combien que soyez droguelès. » Folle Bobance. 197 Malgré eux. Il existe de nombreuses variantes de cette imprécation : « Y fault que vous venez/ Malgré vos dens et vostre cœur ! » Jehan de Lagny. 198 « À pié par faulte de cheval. » Coquillart, Perrucques. 199 Branche d’arbre dépouillée de son écorce, et servant de canne aux mendiants. « Me voilà réduit au baston blanc. » (Godefroy.) On nommait peut-être cette canne un « valet », comme le manche d’une faux. 200 De loin, le laiton peut passer pour de l’or. « Fringueurs à huitaines/ Ont chaînes (…)/ De beau laton. » Coquillart, Perrucques. 201 Les souliers carrés, alors à la mode, étaient si larges que les moqueurs les appelaient « souliers à dormir debout ». 202 C’est de bon ton, selon la mode en vigueur. 203 Élégants. « –Entre les gorgias ? –Mignons ! » Mallepaye. 204 Porteurs de perruques. « Ilz se pourmainent hault et bas,/ Fringans, faisans les perruquins./ Quant la chausse est rompue par bas,/ Ilz chaussent ungz vielz brodequins. » Coquillart, Perrucques. 205 Quand les bas sont déchirés, il faut les dissimuler sous des bottines montantes. « Que je voy porter brodequins/ À ces povres frans musequins,/ Par-dessus leurs chausses persées ! » (Les Rapporteurs.) « Ces fringans mondains/ Qui portent ces beaux brodequins /Dessus la chausse déchirée. » (Ung Fol changant divers propos.) 206 « Faire le pié-derrière : Saluer, faire la révérence à quelqu’un. » (Le Roux.) « Humble, je fis le pié derrière. » (La Muze historique.) C’est aussi un terme du jeu de quilles. 207 Éd. : ou la 208 À l’attaque ! Les vers 257-268 exploitent le registre militaire. 209 Question que pose la sentinelle, et à laquelle on doit répondre en donnant le mot de passe. (Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 154-6.) « –Qui vive ? –Qui ? Mondain plaisir./ Vuydez, Maleur ! » Folle Bobance. 210 L’embuscade galante. 211 Un mastic a fait tomber cette rubrique au-dessus de celle de Martin, au vers 270. 212 Où allons-nous ? 213 En bon ordre. 214 Le bât, la selle qui écorche le dos de l’âne. « Je sçay mieulx où le bâs m’en blesse/ Que vous n’ung aultre ne sçavez. » Pathelin. 215 À la suite d’Aebischer, je complète ce décasyllabe d’après les refrains 284 et 292. 216 Totalement loyaux. 217 Fidèle. Nous passons en décasyllabes jusqu’au vers 292. 218 Un paradis. 219 Élus, prédestinés. 220 Abondance. Allusion au cri de guerre des rois de France : « Montjoie ! Saint Denis ! » 221 Une renommée. 222 Plaisirs. 223 Les trois fleurs de lis d’or sur champ d’azur sont les armes des rois de France. Les argotiers, qui avaient leur propre royaume, ne les oubliaient pas dans leurs prières à Dieu : « En te priant aussi de tousjours conserver/ La noble Fleur de Lys. » Ollivier Chéreau. 224 Digne d’être fêtée. 225 Totalement, parfaitement. Idem vers 281. 226 Cette chanson de Ninot le Petit venait d’être composée. Gautier chante horriblement faux. 227 L’imprimé scinde cet octosyllabe en deux. 228 On pourrait en faire un roman. 229 Celui qui possède le moins a le moins de soucis. 230 Un songeur, un mélancolique. « Songears ne soiez pour dorer. » Villon 1. 231 Éd. : Souffisance 232 Dans la Réformeresse, on fait ce reproche aux Enfants sans souci : « Faictes-vous poinct quelque dizain,/ Quelque rondeau, quelque huictain/ Pour envoyer à vostre amye ? » 233 Ne nous abandonnera pas. « Quand nous avons vidié nos potz (de vin),/ À l’hospital prenons repos. » Jehan Molinet, Chanson sur l’ordre de Bélistrie [mendicité]. 234 Si une maladie. 235 Danser. 236 Nous nous moquons des menaces de l’Église. 237 Au juge suprême, le jour du Jugement dernier. 238 La targe est une monnaie. Étant pauvres, nous entrerons au royaume des cieux, contrairement aux riches. 239 Pièce de monnaie qu’on dépensait souvent à la taverne : « Tu me verras tantost humer [boire]/ Ce grant blanc à la Bonne Pie. » (Trote-menu et Mirre-loret.) Targer = tarder. 240 Éd. : tour (Correction d’Aebischer.) 241 Éd. : cy (En revanche.) 242 Un compte rond. 243 Éd. : seront 244 Nos débiteurs. Les patenôtres sont des prières. 245 Il n’y a pas d’habits aussi rapiécés que les nôtres. 246 Phébus, soleils. « Quand elle vous verra, brillant comme un Phébus. » Scarron. 247 Provoquée. Nous ne risquons pas d’être tués par des voleurs. 248 « Pour trésor que j’aye amassé,/ Laron ne se fera jà pendre. » Coquillart, Perrucques. 249 Si nous songeons à amasser des trésors. 250 Incroyables. « Deux gaudisseurs de l’autre monde. » Les Maraux enchesnéz. 251 Un simple mot. 252 Je veux bien qu’on me traite de fou. Sur la tonsure en croix qu’on infligeait aux fous, voir la note 31 des Sotz triumphans. 253 Si j’acquiers de l’argent en quantité suffisante. 254 La déroute. 255 Des gens à dire avec insolence « D’où venez-vous ? », comme Mallepaye et Bâillevant aux vers 35 et 164. « Ung homme/ Franc pour dire : “Dont venez-vous ?” » Coquillart. 256 Notre devise. « –Vostre cry, quel ? –“Nouvelle guise !” » Mallepaye. 257 Qui nous querelle ? 258 Sortez. 259 Gare ! « Eschec qu’acolléz ne soiez/ Par la poue du marieux [par la patte du bourreau] ! » Villon 5. 260 Videz les lieux ! 261 Nous sommes lunatiques. « Mignons qui tenez de la lune. » (Jeu du Prince des Sotz.) Mais voir le vers 141. 262 Une règle, une façon de vivre. 263 Meilleurs. 264 En quantité. 265 Dans sa bourse. « Prens dix escus en ma tasse. » Le Ramonneur. 266 On lui mesure. 267 Surmontés par un caveau. 268 Pour nous, le temps passe vite. 269 Nous avons sur nous tout ce que nous possédons : dans une maison, cela risquerait de brûler. 270 Éd. : pourres 271 Ce personnage biblique devint « pauvre comme Job », mais il supporta patiemment sa pauvreté. Un Mystère s’intitule la Pacience Job. 272 Ni seigneur dont nous serions les vassaux. « Vagabonds, gens sans maistre ny adveu. » ATILF. 273 C’est déjà beaucoup. 274 Nous n’avons aucun autre souci : nous sommes des Enfants sans souci (note 128). 275 « Qui me dit “sap !”, je luy dis “soup !”. » L’Avantureulx. 276 Nous en avons pleine suffisance, nous en avons largement assez. 277 Jeu de mots : la croix est une pièce de monnaie. 278 Non plus, pas plus. Les cordeliers de l’Observance avaient plutôt une réputation de débauche que de piété. 279 Contrairement aux carmes déchaux, les cordeliers n’allaient pas pieds nus, sauf quand ils voulaient passer pour des saints : « L’an 1517, vint à Genève prescher ung cordellier pieds deschaux, nommé frère Thomas. » François de Bonnivard.
LA PRÉSENTATION DES JOYAUX
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LA PRÉSENTATION
DES JOYAUX
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Ce petit dialogue sans prétention fut écrit pour accompagner la remise des cadeaux de fiançailles à une jeune fille, de la part de son futur époux. Les banquets d’ « accordailles » et de noces charriaient un vaste répertoire de gauloiseries que la promise faisait semblant de ne pas comprendre : boutades multiséculaires, chansons particulièrement lestes, sermons joyeux célébrés par un faux curé ou une fausse religieuse. Les familles riches pouvaient y faire jouer par des professionnels de véritables saynètes, les farces de noces1. « Quant le jour des nopces est près,/ Il faut (…)/ Louer ménestriers et farseurs. » Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage.
Sources : Recueil de Copenhague, pp. 140-148. Ce recueil d’anciennes farces, imprimé à Lyon en 1619, est conservé à la bibliothèque royale de Copenhague sous la cote 176:1, 224 01475. — Archives de l’État de Fribourg2, cote CH AEF Littérature 7.1-3. Ces trois fragments manuscrits, copiés vers 1520, furent trouvés par Paul Aebischer dans la reliure d’une « grosse3 » du bailliage de Saint-Aubin. Attention ! nous avons là un document très précieux. Il s’agit d’un « rôlet », qui servait d’antisèche à l’acteur en cas de trou de mémoire ; ce rôlet ne comporte que le texte dit par le Fol4. Pour que le comédien sache où intervenir, les deux ou trois dernières syllabes prononcées par son partenaire sont écrites au milieu d’une ligne vide ; le pauvre garçon devait donc se raccorder à des bribes aussi inconsistantes que traiture [pourtraiture], ou nettes [besongnettes]. Nous connaissons peut-être le nom de cet acteur : au verso d’une des feuilles, on déchiffre vaguement « Petrus Jozats5 ». Le relieur suisse a dû hériter des paperasses de ce comédien, parmi lesquelles figurent un grand nombre de rôlets : on reconnaît celui de la Chambrière et, sur un manuscrit différent, celui de Johannès, dans la Nourrisse et la Chambèrière, qui compte trois personnages. Ou bien le rôle de la Femme dans la Fontaine de Jouvence. (Un manuscrit de cette farce comportant les trois personnages avait été découvert dans une reliure des Archives de la Nièvre !) En ce qui concerne la Présentation des joyaux, le relieur suisse a rogné les vers 39-40, 82-84 et 130-131.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets et un rondel double.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Je retranscris l’édition intégrale <Éd.>. Je la corrige d’après le manuscrit <Ms.> chaque fois que cela est nécessaire, mais je ne rétablis pas la graphie du moyen français, qui ne concerne qu’une réplique sur deux, et qui gênerait la lecture de l’ensemble.
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La Présentation
des joyaux
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À deux personnages, c’est à sçavoir :
LE SOT
et LE MESSAGER
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LE SOT entre premier, et dit : 6
Dieu gard la noble fiancée7
Avec sa noble compagnie,
Et qui8 l’a si bien addressée !
Dieu gard la noble fiancée !
5 Volontiers vous eusse baisée9,
Mais j’ay grand peur qu’on ne s’en rie.
Dieu gard la noble fiancée
Avec sa noble compagnie !
Je viens tout droit de Picardie10 ;
10 [C’est] pour vous voir tant seulement.
LE MESSAGER
Dame, d’Honneur le parement11 :
Dieu vous doint honneur et liesse,
Et maintienne ceste noblesse
En vivant12 très joyeusement !
15 Venu suis tout présentement
Pour accomplir nostre promesse13.
Dame, d’Honneur le parement :
Dieu vous doint honneur et liesse !
LE SOT
Je vous jure par mon serment,
20 Mon bien, m’amour et ma maistresse :
Une « andouille14 » pleine de gresse
On vous garde bien chèrement…
LE MESSAGER
Dame, d’Honneur le parement :
Dieu vous doint honneur et liesse,
25 Et maintienne ceste noblesse
En vivant très joyeusement !
Vostre amy15, qui très loyaument
Vous veut servir, de corps et d’âme,
Ce16 vous envoye, belle dame,
30 Pour vous donner resjouyssance.
Le Messager lui présente le coffre, et dit :
Tenez17 le coffre de plaisance
Où sont de précieux joyaux,
Les plus honnestes, et les plus beaux
Qu’on sçache par-deçà les monts18.
LE SOT
35 Le cuysinier cy19 m’a semons
Pour boire du vin de la feste.
LE MESSAGER ouvre le coffre
Tenez ce miroir, très honneste
Pour mirer ceste20 douce face.
LE SOT
Advisez, il a bonne grâce ;
40 Recevez-le de cœur joyeux.
LE MESSAGER
Tenez ce chappeau gracieux,
Qui est honneste, riche et gent.
LE SOT
Il a bien cousté de l’argent ;
Pleust à Dieu qu’il21 fust en ma bource !
45 Baille-luy (qu’elle ne se cource22)
Le demourant sur ceste table23.
LE MESSAGER
Recevez ce présent notable :
[C’est une belle bague]24 d’or ;
À bien parler, c’est un thrésor
50 Paré de riche pourtraicture.
LE SOT
Si j’eusse sceu ceste advanture25,
Sainct Jean, je t’eusse destroussé !
Mais puisqu’ainsi il est passé26,
Il ne m’en chaut, je n’en ay cure.
LE MESSAGER
55 Tenez le surcint27, et ceinture,
Bourse, pendant28, et gros cousteaux.
LE SOT
C’est pour tailler mignons morceaux,
Quand serez en banquet ou feste29.
LE MESSAGER
Pour mieux adorner30 vostre teste :
60 Chevelières et oreillettes31.
Le pigne32 aurez, bel et honneste,
Et cinq cens mille besongnettes33.
LE SOT
Ce sont choses bien godinettes34,
M’amie : n’en refusez rien,
65 Prenez tout ! Prendre faut le bien
Quand il vient35. Prenez hardiment !
LE MESSAGER
D’espingles aurez largement,
Qui sont bien fines et poignantes36 ;
À vostre estat sont bien duysantes37.
70 Vostre amy si les vous envoye.
LE SOT
Il vous en garde [une en sa]38 braye,
Qui vous poindra39 si doucement
Qu’il vous semblera proprement
Que vous soyez en paradis.
LE MESSAGER
75 Ne prenez pas garde en ses dits,
Mais recevez joyeusement,
De franc cœur, le joyau présent,
Car vostre amy le vous envoye.
LE SOT
Il y aura des coups en roye40
80 Ruéz, devant qu’il soit mardy41.
On verra qui sera hardy
Au combatre42.
LE MESSAGER
Tais-toy, follastre !
LE SOT
Sans aller par trois ne par quatre43,
Je suis esbahy grandement44
85 Qui se rendra premièrement45.
Qu’en dis-tu ?
LE MESSAGER
C’est à eux affaire46 :
De cela, tu n’en as que faire,
Car bien s’accorderont sans toy.
LE SOT
Mais je suis esbahy pourquoy
90 On faict si grant solemnité47,
Tant en hyver comme en esté,
Pour adjouster deux culz48 ensemble.
Car, par mon serment, il me semble
Que c’est une grande folie.
95 Et puisqu’il faut que je le die,
Chacun n’en fait pas si grand bruit49…
LE MESSAGER
Prendre faut soulas et déduit50,
Et surtout quand on se marie.
LE SOT
M’amie, ne soyez marrie51.
100 Prenez hardiesse et courage
(Car la première nuict, c’est rage),
Combien qu’un petit vous cuira52.
Mais jamais plus ne vous nuira :
Rien cher que la première empainte53.
105 Depuis qu’une fois serez ointe54,
Jamais ne vous fera douleur.
LE MESSAGER
Ce seroit bien un grand mal-heur,
Qui seroit55 tousjours en tel peine.
LE SOT
Oncques tabourin ne douc[e]ine56
110 Ne fut plus doux.
LE MESSAGER
Laissons cela,
Et nous en allons par-delà :
Nous avons assez séjourné.
LE SOT
Je n’en seray pas adjourné57 :
J’en suis content.
LE MESSAGER
Prenons congé
115 De ceste noble compagnie.
LE SOT
Aussi, je l’avoye songé.
J’en suis content.
LE MESSAGER
Prenons congé,
Puisque je me suis deschargé58…
LE SOT
De quoy ?
LE MESSAGER
De ma messagerie.
120 J’en suis content.
LE SOT
Prenons congé
De ceste noble compagnie,
Et nous en allons.
LE MESSAGER
Je t’en prie.
LE SOT
Sus ! devant59, torches allumez !
LE MESSAGER
Prenez en gré cet entremets60
125 De vostre amy, qui vous l’envoye.
LE SOT
Or, puisqu’à vous je le remets,
Prenez en gré cet entremets.
LE MESSAGER
D’autres n’aurez, je vous promets.
Adieu tant que je vous revoye61 !
LE SOT
130 Prenez en gré cet entremets
De vostre amy, qui vous l’envoye.
LE MESSAGER
Jésus vous doint honneur et joye,
Vous préservant de vilenie !
Adieu toute la compagnie !
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FIN
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1 C’est ainsi qu’on les appelle, avec effroi, dans les Coppieurs et Lardeurs : « Farce de nopces ? Jamais ! » 2 Nous remercions vivement les Archives de l’État de Fribourg, en Suisse, et M. David Blanck, pour l’obligeance et la célérité qu’ils ont mises à nous fournir une copie numérique de ce manuscrit, malgré le confinement que nous subissons. 3 En Suisse romande, ce terme désigne un registre de reconnaissance foncière. On ne m’enlèvera pas de l’idée que le contenu de la reliure est plus intéressant que le contenu du registre : c’est là qu’on a trouvé Jehan qui de tout se mesle, et Gautier et Martin. Voir l’article de P. Aebischer dans la revue Romania, t. 51, 1925, pp. 518-521. 4 Ce « Fol », ainsi baptisé au début du rôlet, sera rebaptisé « Sot » dans l’édition tardive. 5 Je pourrais dire comme P. Aebischer, qui a lu Petrus Joczti : « Ce nom, dont la lecture n’est pas absolument sûre, m’est totalement inconnu. » 6 Ms. : Le Fol (Plus haut, on lit en exergue l’invocation Jhésus Maria.) 7 Ce 1er vers rappelle le 1er vers –qui est aussi le refrain d’un triolet– de Pour porter les présens à la Feste des roys : « Dieu gard tous bons Sotz assoctéz ! » Dans cette pièce comme dans la nôtre, deux Sots, dont un vient de loin, vantent les qualités d’un cadeau qu’ils remettent à une personne réelle. L’ultime vers est : « Dieu gard de mal la compaignie ! » 8 Celui qui lui a procuré un si bon mari. 9 Même double sens qu’aujourd’hui : voir la note 29 du Trocheur de maris, et la note 130 du Povre Jouhan. 10 Le Sot était peut-être en Picardie en 1513, pour faire la guerre aux Anglais, comme celui des Sotz nouveaulx farcéz : « Quant je revins de Picardie. » 11 Qui êtes l’ornement de la vertu, « comme Lucresse, d’Honneur le parement ». Eurialus et Lucresse. 12 Tout en vous faisant vivre. 13 La promesse que j’ai faite à votre futur mari. 14 Un pénis ; cf. la Confession Margot, vers 85. La graisse désigne le sperme. 15 Votre fiancé. Idem vers 70, 78, 125. 16 Ceci, le contenu de ce coffre. « En-voi-e » compte pour 3 syllabes, comme « a-voi-e » au vers 116. 17 Prenez. 18 De ce côté-ci des Alpes. Paul Aebischer, qui a retrouvé la pièce à Fribourg, suppose qu’elle était « représentée assez fréquemment, à l’occasion de noces, dans le sud-est de la France ». 19 Éd.-Ms. : si (M’a fait venir ici.) Ce dialogue est joué pendant le banquet des fiançailles. 20 Votre. 21 Que cet argent. Mais la syntaxe biscornue, qui est habituelle chez les Sots, peut faire croire qu’il s’agit du chapeau. 22 Éd. : courouce — Ms. : courrousse (Correction d’É. Picot et C. Nyrop, Nouveau Recueil de farces françaises, p.183.) Se courcer = se courroucer : « Je vous prie qu’âme ne se cource. » Jeu du Prince des Sotz. 23 La table où sont assis les invités du banquet des fiançailles. 24 Éd. : Où sont de belles bagues (On n’offrait qu’une seule bague de fiançailles, étant donné le symbolisme sexuel qui s’y rattachait : voir la note 150 de Frère Guillebert. D’ailleurs, tout ce quatrain est au singulier.) L’alliance offerte s’orne d’un portrait du futur mari ; c’est donc un objet de luxe. Dans ce genre de cérémonies, les familles étalaient leur richesse, et l’or des cadeaux le disputait aux épices du festin. Aucune comparaison avec les fiançailles de pauvres que décrivent le Mariage Robin Mouton et le Porteur d’eau. 25 La présence de cette bague. 26 Puisqu’il est trop tard. 27 Le surceint est une ceinture qui fait bouffer la robe. Tous ces cadeaux sont traditionnels ; dans le Sermon joyeulx de tous les maulx que l’homme a en mariage, le futur époux offre les mêmes : « Il luy donne des joyaulx,/ Comme demyssaintz et anneaulx. » 28 Un pendant, un ornement de ceinture. 29 Généralement, les convives apportent leur propre couteau. « Allons mettre cousteaulx sur table. » Les Sotz nouveaulx farcéz. 30 Éd. : adouber (Adorner = orner, parer. « Leur teste adornée de mesmes à la nimphale, avec force perles et pierreries. » Brantôme.) 31 Voici des rubans et des pendants d’oreilles. 32 Ce peigne. 33 Babioles. 34 Plaisantes. Ces 6 rimes en -ette(s) trahissent un remplissage a posteriori : on adaptait le texte du dialogue en fonction des cadeaux que le fiancé comptait faire à sa promise. 35 Proverbe relevé par Le Roux de Lincy, Livre des proverbes français, t. II, p. 285. 36 Piquantes. 37 Convenables. Les bourgeoises confiaient les tâches ingrates à leurs servantes, et se réservaient les petits travaux de couture. 38 Éd. : bien en — Ms. : une en sa (Dans ses braies, son pantalon.) Épingle = pénis : « J’avois haste d’assouvir son désir et de l’enfiler comme un grain de chapelet…. Après que j’eus retiré mon espingle du jeu, elle me dit… » Charles Sorel. 39 Qui vous piquera, au sens érotique. « Lance au bout d’or qui sais et poindre et oindre. » Ronsard. 40 Dans votre raie. Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 109 et note. Ruer = frapper. 41 Avant mardi. Le Sermon pour une nopce, de Roger de Collerye, dit à peu près la même chose : « On joustera à la quintaine/ Avant qu’il soit demain matin. » 42 Pour battre le con : « Il ne sçait pas qu’est-ce que de combatre,/ Cil qu’entreprend de plusïeurs cons batre. » Gratien Du Pont. 43 Sans y aller par quatre chemins. 44 Je me demande bien. 45 Lequel des deux criera forfait le premier. 46 Éd. : à faire (Rime du même au même. Correction Picot-Nyrop, p.185.) C’est leur affaire. 47 Le cérémonial du mariage. 48 Éd. : œufs — Ms. : culz (« Du mariage aussi de nos deux culs ensemble. » Nicolas Joubert.) 49 Les adultères font l’amour plus discrètement. 50 Du plaisir et de la jouissance. 51 Contrariée. Mais on peut comprendre : ne soyez pas une Marie (ne restez pas vierge). 52 Bien que cela vous cuise un peu. 53 Rien n’est pénible que le premier choc. « Je n’ay rien cher que le soucy et la peine. » Montaigne. 54 Enduite de sperme. Voir la citation de Ronsard, note 39. 55 Si une femme était. 56 Jamais un tambourin ni une flûte. « Plus douce que nulle douceinne. » ATILF. 57 Inutile de m’y contraindre juridiquement. 58 Puisque j’ai accompli ma mission de messager. Mais l’interruption du Fol donne à ce verbe un sens scatologique : « Se décharger le ventre. » (Furetière.) 59 Devant nous. Des valets munis de torches raccompagnaient chez eux les hôtes de marque. Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 444-445. 60 Le dialogue fut donc joué au milieu du banquet de fiançailles. 61 Jusqu’à ce que vous vous fianciez avec quelqu’un d’autre.
LA MAUVAISTIÉ DES FEMMES
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LA MAUVAISTIÉ
DES FEMMES
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Certaines femmes poussent l’obstination jusqu’à refuser de céder devant l’obstination de leur époux. Leur « mauvaiseté1 » s’exprime dans des joutes verbales et parfois physiques dont témoigne ce dialogue normand2 écrit au début du XVIe siècle.
Les deux époux n’ont aucune chance de s’entendre, car ils ne sont pas de la même étoffe : la femme se nomme Finette. Ce mot désigne un tissu de coton très fin. Le mari se nomme Rifflard ; ce mot désigne la laine la plus longue et la plus grossière d’une toison. Nos deux tourtereaux se volent dans les plumes en échangeant des noms d’oiseaux, pour savoir lequel des deux va mettre l’autre en cage. Et la gagnante est… ?
Sources : Recueil de Florence, nº 48, peut-être imprimé à Paris vers 1517,3 sous le titre : « La Mauvaistié des femmes. » Recueil du British Museum, nº 3, imprimé à Lyon entre 1532 et 1550 sous le titre : « L’Obstination des femmes. » (Cette farce n’a pas de rapport avec celle qui s’intitule la Ruse, meschanceté et obstination d’aucunes femmes.) J’utilise l’édition F <Florence>, et je la corrige tacitement sur l’édition BM <British Museum>.
Structure : Rimes plates, avec six triolets dont les 30 refrains, par leur côté itératif et obsessionnel, matérialisent les rabâchages du couple.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
à deux personnages
C’est assavoir :
RIFFLART
et FINETTE 4
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LA MAUVAISTIÉ DES FEMMES
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RIFLART 5 commence [en chantant] :
Gens mariéz ont assez paine, SCÈNE I
À bien considérer leur cas.
Par chascun jour de la sepmaine,
Gens mariéz ont assez peine.
5 L’ung tracasse, l’autre pourmaine 6
De nuit, de jour, vélà le cas.
Gens mariéz ont assez peine,
À bien considérer leur cas.
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À besongner ne fauldray pas7 :
10 Car se ma femme survenoit,
Certainement el me batroit.
Nuit et jour ne fait que hongner8.
Il me fault aller besongner
Pour éviter son hault langaige.
15 Je vueil assouvir9 ceste cage ;
Ce sera pour mectre une pie.
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FINETTE SCÈNE II
Que fait Riflart ?
RIFLART
Quoy ? Dea, m’amye,
Je remetz à point ceste cage.
FINETTE
Esse tout ? Que la malle rage
20 Te doint Dieu, villain malostru !
Or dy : comme gaigneras-tu
Ta vie ? Tu ne veulx riens faire.
Du mal monseigneur saint Aquaire10
Puisse-tu estre tourmenté !
25 Et aussi, que malle santé
Te doint Celuy qui te forma11 !
RIFLART
Me mauldissez-vous ? Qu’esse-là ?
Dea, Finète, quant je me mis
En mesnage, tu me promis
30 Que feroye mon commendement ;
Et tu me maulditz, maintenant.
Fault-il qu’endure ? Qu’esse-cy ?
Je feray ceste cage icy,
Et deussiez-vous vive enrager !
FINETTE
35 Mais pour quoy faire ?
RIFFLART
Pour loger
Une pie : c’est ung bel oyseau.
FINÈTE
Et que dira-(e)lle12 ?
RIFFLART
« Maquereau13 !
Va hors ! Va, larron ! »
FINETTE
Que vous estes14 !
Hé ! Dieu, qu’il est de sottes testes !
RIFFLART
40 Je ne suis point macquereau, non.
FINETTE
Se la pie par vostre nom
Vous appelle, vous l’orrez15 bien.
RIFFLART
Je suis aussi homme de bien
Qu(e) homme qui soit, dessus16 mes piedz.
45 Et vueil bien que vous le saich[i]ez :
Puisque je l’ay mis en ma teste,
Ce ne sera pour autre beste
Que pour une pie, je le vueil !
FINETTE
Se17 vous en aviez plus grant dueil
50 – Et deussiez de courroux crever
Et de male rage enrage[r] –,
Par la tocque bieu18, non sera !
Ung cocu19 on y boutera,
Entendez-vous bien ?
RIFFLART
Ung cocu ?
55 J’aymeroye mieux perdre ung escu !
Comment ! en serez-vous maistresse20 ?
Je mourroye plustost de destresse !
[Certe,] une pie y sera mise.
FINETTE
Certes, j’en feray à ma guise,
60 Vueillez ou non !
RIFFLART
Voire, Finette,
Que jamais on ne m’en quaquette21 :
G’y mettray une pie.
FINETTE
Vous, paillart !
Vueillez ou non, par Dieu, Rifflart,
Je mettray ung cocu dedans !
RIFFLART
65 Vous en mentirez par les dens22 !
Par le sainct sang que Dieu me fist23 !
Puisque je l’ay dit, il souffist,
Finette, n’en quaquetez plus !
Ou, foy que doy au roy Jésus,
70 Ung coup aurez sur la narrine !
FINETTE
Foy que doy saincte Katherine !
Vous ne le porterez pas loing24.
Je vous bailleray sur le groing,
Entendez-vous, villain jaloux ?
RIFFLART
75 Et ! belle dame, taisez-vous !
Paix !
FINETTE
Pour qui ?
RIFFLART
Taisez-vous, mèshuit25 !
FINETTE
Pour ung loudier26 ? Pour ung yvrongne ?
RIFFLART
Encore ?
FINETTE
Fy-fy27 !
RIFFLART
C’est trop dit !
Paix !
FINETTE
Pour qui ?
RIFFLART
Taisez-vous, mèshuit !
FINETTE
80 Me tairé-ge pour ung [ mauldit,
Pour ung homme qui tousjours grongne ?28
RIFFLART
Paix !
FINETTE
Pour qui ?
RIFFLART
Taisez-vous, mèshuit !
FINETTE
Pour ung loudier ? Pour ung ] yvrongne ?
RIFFLART
Avoir pourrez sur vostre trongne !
FINETTE
85 De qui ? De vous ?
RIFFLART
Et de qui doncques ?
FINETTE
Faictes, faictes vostre besongne !
RIFFLART
Avoir pourrez sur vostre trongne !
FINETTE
Par Nostre Dame de Boulongne !
Je ne vous crains en rien quiconques29.
RIFFLART
90 Avoir pourrez sur vostre trongne !
FINETTE
De qui ? De vous ?
RIFFLART
Et de qui doncques ?30
Par la mort bieu ! je ne vy oncques
Femme qui eust telle caboche !
Mais que j’aye cy mis une broche31,
95 Ma cage sera assouvie32.
FINETTE
Et qu’i mettra-l’en33 ?
RIFFLART
Une pie.
FINETTE
Mais ung cocu !
RIFFLART
Mais ung estronc34 !
Laissez-moy faire35 !
FINETTE
Quel folie !
Mais qu’i mettra-l’en ?
RIFFLART
Une pie.
100 Elle sera cointe36 et jolie ;
Et si, sera à demy ront37.
FINETTE
Mais qu’i mettra-l’en ?
RIFFLART
Une pie.
FINETTE
Mais ung cocu !
RIFFLART
Mais ung estronc !
Aussi tost que les gens l’orront
105 Appeler38 « macquereau ! », siffler,
Par mon âme, ce sera fer39 !
Il n’en fault point parler du pris40.
FINETTE
Ung cocu dedens sera mis,
Qui est ung oyseau de grant bien.
RIFFLART
110 Par ma foy, il n’en sera rien !
Et ne m’en parlez plus, Finette !
Aussi tost qu’elle41 sera faicte,
G’iray une pie acheter.
FINETTE
Pour quoy faire ?
RIFFLART
Pour y bouter.
FINETTE
115 Saint Jehan ! mais ung cocu jolis.
RIFFLART
Si sur vous je gecte mes gris42,
Vous direz « une pie43 ».
FINETTE
Feray ?
Par Dieu, ennuit44 ne me tairay !
[Dictes « ung cocu »]45, oyez-vous ?
RIFFLART, en frappant
120 La chair bieu ! vous aurez des coups,
Tenez ! Dictes « une pie ». Ferez ?
FINETTE
Mais ung cocu !
RIFFLART
Vous en aurez
Plus de cent coups, n’en doubtez mye,
Ou « une pie » vous nommerez46.
FINETTE
125 Mais ung cocu !
RIFFLART
Vous en aurez !
FINETTE
C’est pour neant47 : avant, me tuerez.
RIFFLART
Dictes « une pie », je vous prie.
FINETTE 48
Mais ung cocu !
RIFFLART
Vous en aurez
Plus de cent coups, n’en doubtez mie !
130 Cuidez-vous que soit mocquerie ?
Il fault que je vous serve49 à bon.
FINETTE
Me tueras-tu, traistre larron,
Méseau50 pourry ? Que veulx-tu faire ?
Je conteray tout ton affaire
135 Au maire51 de nostre village.
Tu ne te vis52 que de pillage,
Sanglant bougre53 d’un vieil thoreau !
Je te donray54 sur le museau,
Se tu me frappes aujourd’uy !
RIFFLART
140 Par Dieu ! si vous parlez mèshuy
De cocu ne de tel oyseau,
Je vous casseray le museau,
Tant vous donray de horions55 !
Taisez-vous donc, et ne disons,
145 Chascun, mot56 ; et je vous en pry.
F[I]NETTE
Que je me taise ? Je t’affy
Que c’est bien envis57, par ma foy !
RIFFLART
Certes, Finette, je t’en croy…
Or dy doncques, je te supplye,
150 Que ma caige est pour une pie ;
Car je l’ayme bien58, entens-tu ?
FINETTE
Et ! par Dieu, c’est pour ung cocu !
Jamais ce propos ne lerray59.
RIFFLART
Mais pour une pie !
FINETTE
[Quel testu !]60
155 Et ! par Dieu, c’est pour ung cocu !
RIFFLART
Je te donneray ung escu,
Et le dy61.
FINETTE
Sainct Jehan, non feray !
[Et !] par bieu, c’est pour ung cocu :
Jamais ce propos ne lerray.
RIFFLART
160 (Au fort, tout luy accorderay,
Je n’y voy point de meilleur62 voye.
Le sang bieu ! avant la turoye
Qu’elle changast [d’]oppinion63.)
FINETTE
Par saint Jehan ! ce ne feray mon64,
165 Car jà pie n’y sera mise.
J’en feray tout à ma devise65.
Tu m’as rompu tout le(s) costé(s)66.
Ung cocu y sera bouté,
Et ne m’en tiens plus de langaige ;
170 Ou, en despit de ton visaige,
[Se mettre y veulx nul]67 contredit,
Je la brûleray68 par despit !
Entens-tu, [Rifflart] ?
RIFFLART
Belle dame,
Je suis bien mari69, par mon âme,
175 Que vous avez si malle70 teste.
Les gens si me tiendroyent pour beste
Se n’estoye maistre en ma maison ;
Aussi esse droit et raison,
Aultrement ne seroye pas saige.
FINETTE
180 Cela n’est pas à nostre usaige71,
Et ne sert72 point à mon propos.
Femmes n’ont jamais le bec clos,
Et ce n’est pas de maintenant73 !
En ta caige, certainement,
185 Y mettré ung joli cocu.
Or dy : le m’achetteras-tu,
Ou se je l’iray acheter ?
RIFFLART
J’ayme mieulx le vous apporter,
Car j’en trouveray mieux que vous…
FINETTE
190 À quoy dea[b]le congnoistrez-vous
S(e) il est mâle ou [s’il est] fumelle74 ?
RIFFLART
Regarder luy fault soubz l’esselle75,
Finette : là le congnoist-on.
FINETTE
Entour Noël76, en la saison,
195 [Ilz] chantent soubz la cheminée77 ;
C’est [là] une chose esprouvée.
RIFFLART
Or allons, vous et moy, chercher
Se ung [nous] en pourrons trouver
– Pour bouter dedens vostre78 cage –,
200 Qui gouvernera le mesnage79
Tandis que g’irons80 au marché.
.
Bonnes gens, vueillez prendre en gré.
Nous en allons par-cy le pas,
Ung chascun selon son degré81.
205 Vueillez prendre en gré nos esbatz !
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FINIS
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1 Que Jean de Marconville étudiera en 1564 dans De la bonté et mauvaistié des femmes. 2 Plusieurs tournures normanno-picardes ont résisté aux éditeurs parisiens et lyonnais : vers 23, 37, 66, 93, 96, 105, 116, 191, 201, etc. 3 D’après Jelle Koopmans : le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 673-680. 4 Une jeune fille porte ce nom dans la farce des Femmes qui vendent amourettes (F 38). 5 Il est seul dans son atelier d’artisan. Au lieu de travailler, il répare une cage en osier. Il chante un rondel (que le ms. Phillipps 3644 baptise Rondeau). Dans la Confession Rifflart, le personnage éponyme obéit lui aussi aux volontés de son épouse. 6 Le mari se décarcasse, la femme va et vient. 7 Je ne m’abstiendrai pas de travailler. 8 Elle ne fait que grogner. 9 Finir de rafistoler. Idem vers 95. 10 « On appeloit ceux qui acquèrent, qui gagnent : pèlerins de St Aqaire. » La Curne de Sainte-Palaye. 11 Que le Créateur te donne une mauvaise santé. 12 L’aphérèse du « e » de (e)lle après un futur confirme l’origine normanno-picarde de la pièce. « Sy en sera-’lle resjouye. » Marchebeau et Galop. 13 On dressait des oiseaux parleurs pour qu’ils insultent les visiteurs, notamment ceux qui venaient voir la maîtresse de maison. Clément Marot se plaint que les femmes de Paris traitent quelqu’un de « maquereau,/ Comme une pie en cage injurieuse ». Voir aussi la Résurrection de Jénin Landore : « –Quand on met une pie en cage,/ Que luy aprent-on de nouveau/ À dire ? Parle ! –“Macquereau.” » 14 Maquereau vous-même ! 15 F : lornez — BM : lorres (Orrez est le futur du verbe ouïr.) Vous entendrez bien que vous êtes un maquereau. 16 Leçon BM. F : sur (Quand je suis debout : quand je ne suis pas ivre.) 17 Même si. 18 De Dieu. Pour ne pas jurer sur le corps de Dieu, on jure sur ses vêtements. « Par les patins bieu ! » Te rogamus audi nos. 19 Un coucou. « Cocu » est le second degré traditionnel : « J’ay une autre forest/ Où tous les jours le cocu chante. » (Le Faulconnier de ville.) La femme veut mettre en cage un cocu semblable à son mari, lequel veut y mettre une pie qui passe son temps à jacasser, comme son épouse. 20 Est-ce vous qui commanderez ? 21 La femme caquette, comme une pie. De même au vers 68. 22 Votre bouche n’aura pas dit la vérité. « Vous y mentirez par les dens ! » Actes des Apostres. 23 « Par le sainct sang que Dieu me fist/ (Puisqu’il fault jurer en piquart) ! » Éloy d’Amerval. 24 Vous ne l’emporterez pas au Paradis. 25 Maishui, à présent. 26 Pour un vaurien comme vous. Cf. le Mince de quaire, vers 229. 27 F et BM : Fy fy fy (Voir la note 193 du Munyer.) La femme traite son époux de Fy-fy, de merdeux. On comprend la réplique offusquée de Rifflard. 28 Un « bourdon » a mutilé ce triolet. Je reconstitue le vers qui a sauté en m’inspirant de Raoullet Ployart, qui, d’après sa femme, « tousjours tence, riotte ou grongne ». 29 En rien du tout. « –Or ne riez point. –Rien quiconques,/ Mais pleureray à chaudes larmes. » Pathelin. 30 F répète dessous : Par la mort bieu / Et de qui donques 31 Lorsque j’aurai mis ici une tige pour obstruer l’ouverture. 32 Terminée. 33 Qu’y mettra-t-on ? « L’en » est surtout employé en Normandie : cf. Pates-ouaintes, vers 66, 77, 94, 210, 313, 401, 522. 34 Cet étron virtuel met fin aux contestations. « –Malade suis. –Mais ung estront ! » Le Povre Jouhan. 35 Laissez-moi finir ma cage. 36 Gracieuse. « Ma femme sera coincte et jolie comme une belle petite chouette. » Rabelais. 37 Et aussi, elle aura « les plumes de sa queüe estalées en demy rond », comme celles du paon dans les armoiries. Voir le Trésor héraldique ou Mercure armorial. 38 L’entendront crier. 39 Ce sera grandiose. « À ceste foys, nous ferons fer ! » (ATILF.) Fer rime avec sifflèr, à la manière normande. Vaugelas déplorera qu’en Normandie, on prononce l’infinitif aller « tout de mesme que si l’on escrivoit allair ». 40 Peu importe son prix. 41 Que la cage. 42 Mes griffes. Cf. Tout-ménage, vers 61. Ce normandisme désigne également les serres d’un oiseau. 43 Il n’y a là aucun rapport avec l’expression « dire pie » ; v. la note 66 des Coppieurs et Lardeurs. 44 Anuit, aujourd’hui. 45 F : Dung cocu — BM : Dictes pie 46 F : mommeres (Les vers 123-125 manquent dans BM.) Un fragment de sottie qui suit la moralité de Digeste Vieille fait allusion à ce passage, à moins que notre farce ne s’inspire de ladite sottie : « On luy livre sy durs assaulx/ Qu’i n’ose nommer une pie…./ Et vous plaise de prendre en gré,/ Se le coqu gaigne la pie. » 47 Ça ne sert à rien. (« Nian » compte pour 1 syllabe.) Vous me tuerez avant que je ne capitule. 48 F et BM intercalent un vers dans le triolet ABaAabAB : Non feray par sainte marie 49 Leçon BM. F : fine (« Servir au bond » est une action du jeu de paume.) 50 Lépreux. Ce mot ne servait plus que d’insulte : cf. la Laitière, vers 265. 51 Le maire est officier de justice. Cf. Colin, filz de Thévot le maire, vers 23-24. 52 Tu ne te nourris. « Que les loups se vivent de vent. » François Villon. 53 Homme qui copule avec des animaux. « Bougre à chièvres. » (Scarron.) Cette accusation n’était pas anodine : la bestialité était punie de mort. Jody Enders, qui a eu la bonne idée d’adapter notre farce en américain, traduit ce vers ainsi : « Fuck you and bugger off, you crook ! » (Holy Deadlock and further ribaldries, pp. 118-134.) 54 Leçon BM. F : donneray (Je corrige le même défaut à 143.) Je te donnerai un coup. 55 De coups. Avec la diérèse, ho-ri-ons fait 3 syllabes. 56 Et qu’aucun de nous ne dise un mot. Dans le Chauldronnier et dans les Drois de la Porte Bodés, un couple s’écharpe jusqu’au moment où il décide de se taire, le premier qui parle ayant perdu. 57 Je t’affirme que c’est bien malgré moi. Dans le Chauldronnier, la femme avoue : « Et moy, qui me tais bien envys. » 58 Aimer la pie = aimer boire du vin. Cf. le Roy des Sotz, vers 222. Rifflard est porté sur la boisson : vers 44, 77. 59 Je ne laisserai. 60 F : Ay non feray (L’éditeur a mélangé ce 3e vers du triolet, qui rime en -u, avec la rime de 157. « Un mary testu et génin. » Le Trocheur de maris.) BM omet les vers 154-159. 61 Si tu dis qu’on y mettra une pie. 62 F et BM : meilleure (« J’en eusse ung peu meilleur mémoyre. » Trote-menu et Mirre-loret. « Dedans la meilleur de noz chambres. » La Confession Margot.) 63 Elle se laisserait tuer plutôt que de changer d’avis. 64 Jamais je ne changerai de langage. Finette, qui n’a pas entendu l’aparté de Rifflard, complète sa tirade 157-159. 65 Selon ma volonté. « Là où jouë l’obstination des femmes, elles veulent tousjours vaincre & emporter le dessus. » Pierre de Larivey. 66 La rime est au singulier, comme dans BM : tout rompu le couste. À partir de maintenant, les rôles, ou plutôt les genres, sont inversés : Finette tutoie son mari, qui se met à la vouvoyer. 67 F : Se mtttre y veulx — BM : Ce mettrcy veulx (« Je n’y mectray nul contredict. » Sœur Fessue.) 68 Je brûlerai cette cage en osier. 69 Marri, fâché. Jeu de mots banal sur « mari ». 70 Si mauvaise. L’auditoire pouvait comprendre : si mâles testes [des testicules si masculins]. Voir la note 99 du Faulconnier. 71 Dans nos habitudes (que vous portiez la culotte). 72 Leçon BM. F : seroit (« Ostez hardiement ceste clause,/ Elle ne sert pas au propos. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat.) 73 Cela remonte à Ève. Finette parle du « bec » des femmes : on ne quitte pas l’ornithologie. 74 Femelle (normandisme). V. la note 159 de Frère Frappart. Finette veut un mâle, car c’est lui qui chante le fameux « cou-cou ». Des marchands de coucous arpentaient les rues en criant : « Je fais le coqu, moy ! » On peut en entendre un dans les Cris de Paris, de Clément Janequin. 75 Si le coucou est épilé sous les ailes, c’est une femelle. Dans les étuves, les femmes se faisaient épiler, ou raser. « Qui oste le poil des aiscelles à ceuls qui vont aux estuves. » Robert Estienne. 76 Ce dialogue fut peut-être joué un 28 décembre, à l’occasion de la Fête des Fous. 77 Le coucou est un migrateur qui revient en France au printemps ; si on l’installe en hiver sous le large manteau d’une cheminée (seul endroit chaud et lumineux de la maison médiévale), il croit que le printemps est de retour, et se met à chanter. Mais on peut s’interroger sur ce cocu qui chante devant une cheminée, alors que le mot « cheminée » est synonyme de vagin : cf. le Ramonneur de cheminées. 78 La cage appartient désormais à la femme, comme tout le reste. 79 La maison. 80 Que nous irons. C’est du moins l’avis de John Palsgrave qui, en 1530, a cité les vers 39 et 201 de notre pièce, et qui reproche aux Français de dire : « Hee Dieu, qu’il est de sottes testes, for : Il y a de sottes testes. And : Faictez-le ce pendant que g’yrons au marché, for : Nous yrons. » (L’Esclarcissement de la langue françoyse.) La réalité est plus ambiguë, et bien souvent, le provincialisme « j’irons » se traduit par « j’irai » : « J’irons, pour vous, courir la prétentaine. » (Hauteroche.) On peut en conclure que, désormais, c’est Rifflard qui fera les courses à la place de Finette. 81 Chacun marchant à la place qui lui revient ; en l’occurrence, la femme devant et l’homme derrière. Même vers dans Pour porter les présens, et dans les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.
LE GENTIL HOMME ET SON PAGE
*
LE GENTIL HOMME
ET SON PAGE
*
Ce dialogue normand, composé après le mois d’octobre 15251, campe un nobliau famélique et mythomane, contredit par un valet insolent qui a malgré tout de l’affection pour lui, oscillant entre Sancho Pança et Figaro. On trouvait le même couple bancal dans Légier d’Argent, et des emprunts à cette farce émaillent le présent dialogue.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 10.
Structure : Rimes plates, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce joyeuse à deulx personnages,
c’est asçavoir
ung Gentil homme
et son Page
lequel devient laquès
*
LE GENTIL HOMME commence
Mon page !
LE PAGE
Qui fut et n’est plus.
LE GENTIL HOMME
Pourquoy ?
LE PAGE
Je veulx changer de maistre2.
LE GENTIL HOMME
La raison ?
LE PAGE
Vous estes reclus3.
LE GENTIL HOMME
Mon page !
LE PAGE
Qui fut et n’est plus.
[ ………………………………. -us
……………………………….. -estre.
LE GENTIL HOMME
5 Mon page !
LE PAGE
Qui fut et n’est plus. ]
LE GENTIL HOMME
Pour quoy cela ?
LE PAGE
Je veulx changer de maistre.
LE GENTIL HOMME
Beaucoup de bons tours puys congnoistre,
Que t’ay monstré le temps passé.
LE PAGE
Vous chûtes par une fenestre,
10 À la montre4, et fustes cassé.
LE GENTIL HOMME
Pource que j’estoys espassé5
Et hardy en une bataille,
On m’a cassé6 ; car on me baille,
Le temps avenir, plus grand charge.
LE PAGE
15 Vous avez beau mentir ; que per-ge7 ?
Car je cuyde, pour abréger,
Que vous estes hors de danger
De rien prendre8 à l’argent du Roy.
LE GENTIL HOMME
Tient-on pas grand conte9 de moy,
20 Quant je suys parmy les seigneurs ?
LE PAGE
Ouy dea. Mes ce sont les greigneurs10
Avec qui je vous vis jamais
Que le Fin-Vergus11 de Beauvais,
Monsieur du Croq, Hape-Gibet,
25 Qui ont tant usé de débet12
Et trouvé13 chose[s] non perdus :
Yl ont esté tous troys pendus
Par le prévost des mareschaulx.
LE GENTIL HOMME
Viençà, viençà !
Nombrerès-tu bien les monceaulx
30 Des cors que j’ey mys à [la] fin14 ?
LE PAGE
Ouy dea ! ouy dea ! Se j’avois un coffin15
Des poulx qu’avez mys à [la] mort16,
Yl en seroyt plain jusque au bort,
Et fût-y grand comme un boysseau.
LE GENTIL HOMME
35 M’a[s]-tu pas veu porter l’oyseau17,
Et tenir train de gentillesse18 ?
LE PAGE
[L’oyseau ?] Ouy dea, par hardiesse :
Mais c’estouent poulès19 dérobés.
LE GENTIL HOMME
Touchant joueurs de cartes et de dés,
40 En vis-tu onc[ques] en ta vye
Un mieulx prisé en seigneurye20,
N(y) un plus beau joueur que je suys ?
Car certainnement, je poursuys
Tousjours le train des gentis hommes.
LE PAGE
45 Jamais vous n’y perdîtes grans sommes
En un jour de vostre vivant :
Car jamais je ne vous vis vailant
Troys soublz que vous n’en dussiez sis21.
LE GENTIL HOMME
Je ne sçay plus comme je suys ;
50 Mon varlet se moque de moy.
LE PAGE
Non fais, je vous promais ma foy.
Mais je ne me puys convertir22
À vous ouïr sy fort mentir
Et vous gorgier23 en ce poinct.
LE GENTIL HOMME
55 Or viençà ! Ne te souvient-y poinct
Que j’entris sans plus d’atente
Vailamment [de]dens une tente
Où je conquestis une enseigne24 ?
Et sy, je prins un capitaine
60 Et deulx pièces d’artillerye.
LE PAGE
[Et] où fusse ?
LE GENTIL HOMME
Dens une tente.
LE PAGE
Où ?
LE GENTIL HOMME
Dens une tente.
LE PAGE
[ Où bien vite
Avez fuy ?
LE GENTIL HOMME ]
Une bonne fuyte
Vault mieulx c’une mauvaise atente25.
[LE PAGE]
65 Quant de cela, je n’en sçay rien.
Mais vrayment, y me souvient bien
Qu’à la Journée des Esperons26,
[Par la crainte des horions,]
Vous fuÿtes dens ung fossé.
Et puys quant tout fut [d]éblocé27,
70 Vous [ac]courûtes au pillage28.
LE GENTIL HOMME
Tant tu me fais de dommage,
De desplaisir et destourbier29 !
Et sy tu me vouloys un petit suplier
Et me coloquer30 en tous lieux,
75 Tu t’en trouverès beaucoup mieux :
Je te pourvoyerès devant tous.
LE PAGE
Je vous emprie, prenez pour vous
Des biens, sy en povez avoir31 ;
Garde n’avez de m’en bailler,
80 Ce croi-ge, sy n’en avez d’aultres.
LE GENTIL HOMME
Y fauldra que je vous épiaultres32,
Sy de bref vous ne vous changez !
LE PAGE
Y fauldra bien que vous rengez33,
Ou que vous vous servez vous-mesmes !
LE GENTIL HOMME
85 Tu sçays bien que tu es à mesmes34
De tout mon bien d’or et d’argent.
Tu congnoys tout entièrement,
Maistre et seigneur de mes mugos35
–Et tu m’entens bien en deulx mos36.
LE PAGE
90 Le deable emport qui [ne] vous vit
Jamais que des gros [sans crédit]
Qui courent parmy ces maraus37 !
Vous n’avez jumens, ne chevaus,
Ny habis qui ne souent en gage38 ;
95 Vostre chemyse est de louage.
Et sy39, vous fault ung serviteur !
LE GENTIL HOMME
Tu says bien que tu es menteur :
J’ay troys ou quatre nobles fieulx40,
Et de la terre en plusieurs lieux.
100 Parmy les dames, qui [m’en croyt41,
Quant auprès d’elles on me voyt,]42
Je ne say aux-quelles entendre.
LE PAGE
Il est bien vray que je vous vis prétendre,
En un soeir43, au cler de la lune,
105 De coucher avec[que] que[l]que une
Qui d’une main estoyt manquete44 ;
Et vous eng[ign]a d’une pouquete45
La galande, et revîntes tout nu46.
LE GENTIL HOMME
Voylà pour toy bien mal congneu
110 Le bon plaisir que je t’ay faict.
Je t’ay acoustré, en effaict,
Depuys l’espasse de dix ans.
Voylà le train des bons enfans,
Maintenant : ne congnoyssent rien.
LE PAGE
115 Sy vous ay-ge faict plus de bien
Que vous ne m’avez déservy47.
LE GENTIL HOMME
Ne soyons poinct icy mèsuy48.
As-tu poinct veu mon estan ?
LE PAGE
Ouy, ouy, [et] les neiges d’anten49 !
120 (Y n’a ny estan, ne clapier50 :
C’est ung grand fossé de bourbier
Où sont gregnouiles et mûrons51.)
LE GENTIL HOMME
Que dis-tu ?
LE PAGE
Je dis Monssieur que : « Les hérons
Vous [y] ont faict un grand dommage52. »
LE GENTIL HOMME
125 Vers quel costé ?
LE PAGE
Vers le rivage.
Yl ont gasté le petit fieu.
LE GENTIL HOMME
Je t’en croy bien, page, par Dieu :
Sy avoyt-y force pouesson53.
LE PAGE
Il y en y a autant c’un ouéson
130 Porteroyt bien dedans son bec.
LE GENTIL HOMME
Mon grand muret […….. sec],
Combien contient-y bien de tour ?
LE PAGE
Autant qu’on feroit, de ce jour,
À boyre chopine de vin.
135 (Y n’a terre, vigne, ne vin54 :
Je dis vray, par saincte Marye !)
LE GENTIL HOMME
Que dis-tu ?
LE PAGE
[Que] vostre prarye
Contient envyron quatre lieux55.
LE GENTIL HOMME
A ! tu as dict vray, semydieux56 :
140 Yl y sont à la grand mesure.
Quans herpens57 ay-ge de pasture ?
LE PAGE
Envyron III ou IIII cens.
LE GENTIL HOMME
Qui ne te croyt, y n’a pas sens.
LE PAGE
(Ouy, bien autant de sens, je dis,
145 Que sur la queue d’une souris.)
LE GENTIL HOMME
Tous mes grains, où seront-y mis ?
LE PAGE
Où y seront ?
LE GENTIL HOMME
Ouy, ouy.
LE PAGE
Cheux vos amys58 !
Et me semble qu’i seroyt bon
De les mectre en un mulon59,
150 Près du grenier où est le foing.
(Par ma foy ! y n’a pain ne grain
Qu’i séroyt60 mectre en sa gorge.
Je dis vray, par monsieur sainct George !)
[ LE GENTIL HOMME
Mon avoynne61 est-elle battue ?
LE PAGE
Par ] ma foy, je ne l’ay poinct veue.
155 (El est d’une estrange couleur !
D’avoynne ? Vouélà grand douleur.
Je ne say qui luy eust baillée :
Y n’en a pas une escullée62,
De cela je suys bien certain.)
LE GENTIL HOMME
160 Et du reste de l’autre grain,
Nous en avon à grand foyson ?
LE PAGE
Ouy dea, assez et de raison,
Ma foy, Monsieur, pour nostre année.
LE GENTIL HOMME
Viençà, page ! Ceste journée,
165 As-tu pas veu mes grans chevaux63 ?
LE PAGE
Ouy, ma foy, Monssieur : y sont beaux.
Y les faict bon vouèr à l’estable.
(Des grans chevaulx ? Yl a le deable !
Y n’a que de vielles jumens
170 Qui n’ont aux g[u]eulles nules dens :
Vouélà tous les chevaux qu’il a.)
LE GENTIL HOMME
Page, viençà ! Qui me bailla
Ce cheval qui est à ma femme ?
LE PAGE
Ce fust le roy, Monssieur. (Mon âme !
175 Comme y baille de la bigorne !
C’est un viel cheval qui est borgne,
Et n’est c’une vielle carongne
De jument à qui les os percent ;
Le cul et les jambes luy herchent64
180 De malle fine povreté.)
LE GENTIL HOMME
Viençà, page ! Suy-ge monté,
À ton advis, à l’avantage65 ?
LE PAGE
Ouy Monssieur, [ainsy] comme [un] page
Qui va à pié le plus66 du jour.
LE GENTIL HOMME
185 Je ne doibtz pas avoir de pa[o]ur67,
Quant je me trouve en quelque assault.
Page !
LE PAGE
Monssieur ?
LE GENTIL HOMME
Pren mon courtault68 :
Je te le donne pour ton étrène ;
Le tien te faict par trop de peine,
190 Car y me semble par trop las.
LE PAGE
Grand mercy, Monssieur ! Et ! quel soulas !
Je me doys bien réconforter.
(S’il en avoyt pour le porter
Luy-mesmes, le povre cocu,
195 De XX soublz69 ou d’un povre escu,
Pensez-vous qu’i feroyt du maistre ?)
LE GENTIL HOMME
Page !
LE PAGE
Monssieur ?
LE GENTIL HOMME
Y te fault estre
Dedens un moys en Angleterre.
LE PAGE
Et pour quoy faire ?
LE GENTIL HOMME
Tu m’iras querre
200 Douze haquenés70 à Hantonne,
Que le roy [des] Engloys me donne ;
Y valent bien, chascun, cent frans.
Tu luy mairas71 mes chiens courans
Pour coupler avec ses lév(e)riers.
LE PAGE
Ouy, par ma foy !
205 (Y n’a que des chiens à bergers,
Tous aussy velus c’une vache ;
Et sy, ont l’oreille aussy flache
Et aussy mole c’une trippe.)
LE GENTIL HOMME
Que dis-tu ?
LE PAGE
Que c’est [de] la tippe72,
210 Monssieur ? Voulez-vous qu’on luy maine ?
LE GENTIL HOMME
Laquelle esse ?
LE PAGE
C’est Marjollaine,
[C’est] la plus belle du tropeau.
(Par ma foy ! on luy voyt73 la peau,
Tant est morfondue et rongneuse.)
LE GENTIL HOMME
215 Que dis-tu ?
LE PAGE
Elle est plaisante y amoureuse74,
Ceste chienne, la plus du monde.
LE GENTIL HOMME
Et ! c’est cela où je me fonde.
LE PAGE
Voulez-vous qu’el y soyt menée ?
LE GENTIL HOMME
Ouy dea !
LE PAGE
[Sy elle n’est]75 traînée,
220 Ceste chienne va sy à loysir
Qu’à peine poura-’le suyvir76
Un cheval sy tost que le pas
–Entendez-vous ? je ne mens pas–,
Tant [elle] est vilaine, orde et salle.)
LE GENTIL HOMME
225 Page !
LE PAGE
Monssieur ?
LE GENTIL HOMME
Dedens ma salle77,
Y faict-y pas maintenant beau ?
LE PAGE
Ouy de[a], Monssieur, tout de nouveau78
[Vous] l’avez faict paindre, pour seur.
(Mais quelle salle ! c’est hideur :
230 Il n’en a poinct, que sa chemise79 ;
C’est celle-là dont y devise
Et de quoy il entent80 parler.)
LE GENTIL HOMME
Page !
LE PAGE
Monssieur ?
LE GENTIL HOMME
Va-moy seller
Mon courtault, qui est à l’estable !
LE PAGE
235 Vostre courtault81 ? (De par le deable !
Je n’en sache poinct qui vous hète82,
Que celuy de vostre brayète,
Qui vous donne bien du tourment…)
LE GENTIL HOMME
Page !
LE PAGE
Monssieur ?
LE GENTIL HOMME
Aproche-toy légèrement !
240 Et ! tout le temps que me83 servy[s],
–Je me croy bien à ton avis84,
[Dis-moy le vray, par ton serment]–,
T’ai-ge pas payé ton paiment
Vaillamment, par chascun cartier85 ?
LE PAGE
Y n’a poinct falu de papier
245 Pour en escripre la quictance !
(J’en tiens86 encores sans doubtance
Tout ce qu[e j’]en receus jamais.)
LE GENTIL HOMME
Gens qui ont serviteurs parfaictz
Les doibvent bien entretenir.
LE PAGE
250 Mais leur laisser tout leur[s] aquestz
Vailamment, sans rien retenir.
Je vous suplye, alons-nous-ent87
Bien tost ; parton légèrement,
Et laissez ceste vanterye
255 Dont estes plain : c’est moquerye
[Que] de vous et de vostre affaire.
Adieu, ne vous veuile desplaire88 !
FINIS
*
1 André Tissier : Recueil de farces, tome 10, pp. 187-189. Droz, 1996. 2 D’après le titre, il veut devenir laquais [valet d’armée]. Un page ne restait jamais dix ans <vers 112> dans cette fonction peu lucrative, et surtout, réservée aux enfants : car un page devait être le modèle réduit de son maître, comme en témoigne l’eau-forte de Jacques Callot intitulée un Gentilhomme et son Page (1617). 3 Cloîtré : la misère lui interdit toute vie sociale. 4 En regardant défiler la troupe. Il faisait donc partie des badauds, et non des soldats qui paradaient. 5 Loin de mes camarades (qui étaient restés en arrière). 6 Cassé aux gages, révoqué sans solde. Il fait semblant de mal comprendre le « cassé » du vers 9, qui se rapportait à ses fractures. 7 Vous mentez pour rien ; qu’ai-je à perdre ? 8 LV : perdre (Vous ne risquez pas d’être payé par l’État, contrairement aux militaires.) 9 Jeu de mots involontaire sur « tenir compte » et « tenir des contes » [se livrer à des racontars]. 10 Les plus importants. 11 Fin-verjus est un savetier alcoolique et roublard (F 33, T 11). Le croc est le crochet des tireurs de bourses, et un outil pour crocheter les serrures : « Successeurs de Villon en l’art de la pinse et du croq. » (Marot.) Happe-gibet est synonyme de brigand, meurtrier et voleur (les Épithètes de M. de la Porte). Bref, le Gentilhomme ne fréquente que du gibier de potence. 12 Des reconnaissances de dettes. (Lat. debet = il doit.) 13 Euphémisme pour « volé ». 14 Parviendrais-tu à compter les ennemis que j’ai tués ? « Je ne cognois deux ne trois tant soyent puissans hommes que (il) ne les eust bien mys à la fin. » A. de La Sale. 15 Un couffin, une corbeille. 16 Forme attestée : « Furent jugés & mys à la mort. » Brut. Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 422. 17 Le faucon, que les nobles portaient sur leur poing quand ils chassaient. Cf. le Faulconnier de ville. 18 Le train de vie de la Noblesse (vers 43-44). 19 C’étaient des poulets. 20 Parmi les seigneurs, qui jouaient gros jeu. 21 Vous n’avez jamais eu trois sous vaillants sans en devoir six. 22 Résoudre. 23 Vous rengorger, vous vanter. 24 Un étendard dans une tente de l’ennemi. 25 « Le proverbe qui dict qu’une bonne fuitte vaut mieux qu’une mauvaise attente. » (P. de Larivey.) Pour garder ce proverbe intact, notre auteur a dû introduire un quatrain abba. 26 LV : alemans Le 20 mai 1525, la « guerre des Boures » (ou des Rustauds) donna lieu à la bataille de Scherwiller : les soldats lorrains (renforcés par quelques gentilshommes français) battirent l’armée des paysans luthériens allemands. Mais aucune « Journée des Allemands » n’est connue sous ce nom. La seule « journée » qui avait marqué les esprits, c’est la Journée des Éperons (bataille de Guinegatte, 16 août 1513), lors de laquelle les soldats français avaient pris la fuite, à l’instar de notre Gentilhomme : cf. l’Avantureulx, vers 408 et note 114. Remarquons d’ailleurs que ce vers 67 n’a pas de pendant : on ignore s’il rimait en -ans ou en -ons. Il est probable qu’un des premiers copistes a modifié ce vers en songeant au traité de Moore (30 août 1525), sur lequel la France comptait encore en octobre pour établir une paix durable avec la perfide Albion ; plutôt que de rappeler aux Normands, déjà furieux contre ce traité, qu’Henri VIII d’Angleterre était en plus le vainqueur de Guinegatte, il valait mieux détourner l’attention populaire sur des vaincus allemands. 27 Quand le blocus fut levé. « Les habitans commencèrent à débloquer et sortir. » Godefroy. 28 Comme un vulgaire troupier : « Plusieurs soldats accoururent de tous costéz, (…) chacun accourant au pillage. » (Le Mercure françois.) Les combattants français de Guinegatte guerroyèrent surtout contre des poules : « Actes de batailles/ Font contre poulailles/ Noz gens. » (G. Cretin, Lascheté des gensd’armes de France à la Journée des Esperons.) 29 De contrariété. 30 Me mettre en bonne place. Il demande à son page de le valoriser devant les gens, comme le gentilhomme de Légier d’Argent (v. notice) : « Jaquet, tu me fais grant plaisir/ Des biens que vas disant de moy. » 31 Rime normande avèr / baillèr. 32 Fracasse. « Courbatu, espaultré et froissé. » Rabelais, Quart Livre, 14. 33 Que vous vous corrigiez. 34 Gérant. « Je vous mettray à mesme mes biens, où vous pourrez puiser et prendre tant de richesse comme il vous plaira. » Amyot. 35 LV : tresors (En Normandie, mugot = trésor <cf. Godefroy>. « Nous trouvasmes force trésors inutiles ; nous descouvrismes (…) le beau et ample mugot de Molan. » Satyre Ménippée.) 36 À demi-mot : je n’en dis pas plus pour ne pas révéler où ils sont cachés. 37 Des pièces dévaluées qui ont cours chez les vauriens que vous fréquentez. « De toutes receptes,/ Je ne sache c’un gros qui court. » Le Poulier à sis personnages. 38 Qui ne soient hypothéqués. 39 Pourtant. 40 Fiefs. Idem à 126. 41 Si vous m’en croyez. Cf. le vers 143. 42 LV : plus est / ne me croyent pas la on y me vouent 43 Un soir. 44 Manchote. 45 Elle vous escroqua d’une bourse. 46 Sans argent. Galande = galante : cf. la Réformeresse, vers 89. 47 Payé de retour. « Jamais je ne pourroye/ Vous desservir les biens que me donnez. » Charles d’Orléans. 48 LV : messuy (Maishui = indéfiniment. Cf. le Tesmoing, vers 248.) Entre la rubrique et le vers 117, LV a intercalé des pattes de mouches sans rime ni rythme : Vienca nen parle iamais 49 De l’an passé. Clin d’œil à Villon : « Mais où sont les neiges d’antan ? » 50 Ni étang, ni monceau de pierres. Les vers 118-161 sont à rapprocher de ceux où Messieurs de Mallepaye et de Bâillevant font l’état des lieux de leurs domaines en ruines (vers 247-249). Beaucoup d’autres thèmes sont communs à ces deux dialogues. 51 Des grenouilles et des mûriers-ronces. 52 En exterminant les grenouilles dont vous vous nourrissez. 53 Beaucoup de poisson. 54 Rime dupliquée, qu’on pourrait remplacer par « grain » ou « foin ». 55 4 lieues normandes = 17,7 km. 56 Atténuation de « si m’ait Dieu » [si Dieu m’aide]. Cf. Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, vers 174. 57 Combien d’arpents. 58 Chez les affamés avec qui vous frayez. La formule annonce le « cheulx mes amys » des Troys Gallans et Phlipot, v. 442. 59 D’en faire une meule : « Deux petiz mullons de blé. » (Godefroy.) Mais le page parle-t-il des grains, ou des amis de son maître ? 60 Qu’il saurait, qu’il pourrait. 61 À la place du fragment que j’ajoute entre crochets, le copiste a écrit puis biffé : davoynne 62 De quoi emplir une écuelle. 63 Ceux qu’on utilisait à l’armée. De là vient l’expression : « Monter sur ses grands chevaux. » 64 Se traînent. 65 Ai-je une bonne monture ? M. de Mallepaye (vers 176) s’en inquiétait déjà. 66 La plus grande partie. Cf. Légier d’Argent : « Et par deffault d’une jument,/ Il va à pié le plus souvent. » 67 De peur, puisque j’ai un bon destrier. 68 Cheval de selle. Idem vers 234. 69 Pour 20 sous : lorsqu’il a un peu d’argent. 70 Montures réservées aux femmes : « Ils sont suivis des litières & des hacquenés de Sa Sainteté. » (Du Mont.) Hantonne = Southampton : « [Ils] singlèrent devers Angleterre ; puis arrivèrent et prirent terre à Hantonne. » (Froissart.) 71 Mèneras. Henri VIII n’aurait jamais abâtardi ses lévriers greyhounds ! On rapproche les vers 199-204 du Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier : « Au dict an 1525, environ le huictiesme octobre, passèrent parmy la ville de Paris vingt ou vingt-cinq hacquenées d’Angleterre que le roy d’Angleterre envoyoit à monsieur le Daulphin estant à Bloys ; et envoia aussi un grand nombre de chiens de chasse, comme cent ou plus, où y avoit grandz dogues d’Angleterre. » Si la référence aux chevaux paraît convaincante, la référence aux chiens l’est beaucoup moins, puisque c’est les chiens français que le page doit conduire en Angleterre, et non l’inverse. 72 « Que doit-on faire de la tippe ? » Mot inconnu ; c’est peut-être un de ces normandismes dont la pièce regorge. 73 LV : vord 74 Digne d’être aimée. « La plus belle dame du roiaulme d’Engleterre, et la plus amoureuse. » Froissart. 75 LV : quelle 76 Pourra-t-elle suivre. 77 La salle principale du château. 78 Tout récemment. 79 Jeu de mots : il n’a de « sale » que sa chemise. 80 Il veut. 81 Le Gentilhomme oublie qu’il vient de le donner au page (vers 187-188). Ce dernier se venge en dénigrant son autre courtaud, c’est-à-dire son pénis : cf. la Complainte d’ung Gentilhomme à sa dame, note 94. 82 Qui puisse vous faire plaisir. 83 LV : mas 84 LV : serment (Je me fie à ton avis.) 85 Chaque trimestre. 86 Je retiens de mémoire. 87 Rime attestée : Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 193. 88 Ce congé s’adresse-t-il au public, comme il se doit, ou au Gentilhomme ?
LA CONFESSION DU BRIGANT AU CURÉ
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LA CONFESSION DU BRIGANT
AU CURÉ
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Ce dialogue normand1 du XVIème siècle présente une particularité : le prêtre ne succombe ni au péché de luxure, ni au péché de gourmandise ; seul le péché d’avarice lui est imputable. Dans une forêt obscure, un bandit de grands chemins réclame sa bourse à un curé, qui la prétend vide, mais qui accepte de confesser le brigand. Celui-ci, à genoux aux pieds du curé, vide peu à peu la sainte bourse, tout en commentant son forfait dans les termes d’une confession en règle.
Le Plaisant boutehors d’oysiveté (1553) relate la même tromperie, intitulée D’un Pipeur venant à confesse à un bon prebstre :
… Car cependant qu’il estoit à genoux
Devant Monsieur, faignant jetter courroux
Et maints souspirs pour son vice & péché,
Et que ce prebstre estoit bien empesché
À s’enquérir, certainement, ce hère
Fouilloit dedans la bourse ou gibes[s]ière
De ce bon prebstre, où estoyent sept escus,
Dont en print cinq comme à luy bien escheuz ;
Les autres deux il laissa jusque à tant
Que Monsieur vînt à luy dire entre-tant :
« Çà, mon amy, criez à Dieu mercy
De vos péchéz ! & vous souvienne aussi
Vous repentir, & de ne laisser rien
Que vous puissiez. Car –entendez-vous bien ?–
Vous ne seriez pas absouls, autrement. »
Sur quoy, il a respondu promptement :
« De cela faire, ainsi m’aid Dieu, prétends,
Mais que donnez le loisir & le temps. »
« C’est la raison (dit Monsieur). Besongnez,
Et à tout dire & confesser, songnez. »
Sur tel propos, cestuy mignon, encore,
Eust de rechef le soing & la mémoire
De refouiller dedans la gibecière
De son prédit confesseur ou beau Père,
Tant qu’à la fin, les sept escus il eust.
Puis, par après les avoir, dire il peust
Au confesseur que plus rien ne sçavoit….
Dont sans tarder absolution donne
Audit gallant, auquel encore ordonne
Tant seullement trois patenostres dire.
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Source : Recueil de Florence, nº 10.
Structure : Rimes embrassées, rimes plates, rimes croisées. Les 44 derniers vers, dans un état désespéré, semblent avoir été reconstitués de mémoire.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle du Curé et du Brigant
*
À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE BRIGANT
LE CURÉ
La Confession
du Brigant au Curé
*
LE BRIGANT commence SCÈNE I
Je suis desconfit de quinquaille2,
Tout mon argent est despendu3.
À malle hart4 soit-il pendu,
Qui soustient ne denier ne maille5 !
5 Or n’est-il riens qui ne me faille,
Et [n’ay] grant planté6 d’escuz vieulx.
Ma robbe a le ventre creux
Depuis que je n’ay eu nul gaige.
Tout me fauldra7, en mon mesnaige :
10 Du pain, du lart et du fourmaige.
Je ne le tiendray pas à saige,
Qui8 passera ains que je couche.
.
LE CURÉ SCÈNE II
Voicy la feste qui s’approuche
De Pasques ; et pource, à ma cure
15 Je veulx aller à l’aventure
Confesser mes paroissiens,
Car ilz sont si trèsnégligens
Que ce n’est que toute ignorance.
Pour acquiter ma conscience,
20 La Dieu mercy, je suis tout prest.
Aller me fault sans nul arrest ;
Et si, convient que [me haston]9.
Mais ung homme sans baston
Est à la mercy des chiens10.
25 Or avant ! Je ne crains [plus] riens.
Dieu me conduye, et Nostre Dame !
.
LE BRIGANT SCÈNE III
Par la croix bieu ! il ne passe âme.
Je ne fois icy que morfondre…
Je prie à Dieu qu’il me confonde
30 Si je ne voy là quelque proye.
Ho, ho ! Il convient que je voye
S’il y a point de compaignie.
Sang bieu ! vous y perdrez la vie
Tantost, domine Curate 11.
.
LE CURÉ SCÈNE IV
35 Je me suis [assez tost]12 hasté,
Je seray bientost à mon estre13.
LE BRIGANT 14
À mort ! à mort ! Demourez, prestre :
Il fault retourner par-deçà15 !
LE CURÉ
Hélas, hélas ! Et ! qu’esse-là ?
40 Pour Dieu, ne me faictes nul mal !
LE BRIGANT
[Vient-on]16, à pié ou à cheval ?
LE CURÉ
Je n’ay veu âme. [Quel tourment]17 !
LE BRIGANT
Vous avez peur, maistre gallant18 ?
LE CURÉ
Je cuydoye premièrement
45 Que ce fussent mauvaises gens ;
Mais [voy que] non sont, Dieu mercy !
LE BRIGANT
Jamais ne partiray d’icy
Que n’aye compté vostre monnoye.
LE CURÉ
(C’est donc pis que [je] ne cuydoye.)
50 Las, ne me faites nul effors !
LE BRIGANT
Je te mettray la dague au corps,
Par la chair Dieu, se tu dis mot !
LE CURÉ
Nenny, je ne suis pas si sot ;
Il n’en sera jamais nouvelle19.
LE BRIGANT
55 Çà, de l’argent !
LE CURÉ
Il n’y a rouelle20,
Par le Dieu qui me fist21, en ma tasse.
LE BRIGANT
Parle bas, [de peur] qu’i ne passe
Quelq’un qui face empeschement.
LE CURÉ
Vous dictes vray, par mon serment ;
60 [Desjà] je l’avoye oublié.
J’ay mon argent tout employé
Au luminaire de la feste.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, ribault [de] prestre,
Vous chanterez d’autre martin22 !
LE CURÉ
65 Je vous don(ne)ré ung pot de vin,
Beau sire, et soyons amys.
LE BRIGANT
Baille des escus cinq ou six :
Tu n’auras garde qu’on [les t’emble]23.
LE CURÉ
Je n’en vis oncques tant ensemble,
70 Par Dieu qui me fist, en ma bource.
LE BRIGANT
S’il convient que je me cour(ou)ce…
LE CURÉ
[Ce me]24 seroit une grant peine.
LE BRIGANT
Voicy desjà25 longue sepmaine
Que je veulx estre confessé.
LE CURÉ
75 A ! par Dieu, tout sera laissé
Devant que je ne vous confesse.
Or sus, mectez-vous à vostre aise,
Debout, assis, agenoillé26,
Et dictes : « Bénédicité,
80 Dominus 27. »
LE BRIGANT
Dy-le pour moy, [don28].
LE CURÉ
Bénédicité… Sempiternum…
[Et] spiritus sancti… Amen !
Or, dites donc : « Je me confesse. »
LE BRIGANT
85 Dy-le pour moy.
LE CURÉ
« Je me co[n]fesse
À Dieu31. »
LE BRIGANT
Et maulgré bieu du villain prestre32 !
T’en veulx-tu desjà aller [paistre] ?
LE CURÉ
C’est ung mot de confession.
LE BRIGANT
Par la mort ! sans rémission
90 Je te tueray, se tu quaquettes.
LE CURÉ
Or sus, dictes voz besongnettes33 :
Avez-vous prins rien de l’autruy34 ?
LE BRIGANT
[Se j’ay prins ?] Et ! morbieu, ouÿ :
Quant je jou[o]ye aulx espinettes35
95 Avec[ques] les belles fillettes,
Je leur ostoye leurs espilles36
Et les donnoye à d’autres filles.
LE CURÉ
Or Dieu le vous pardoint, [beau] sire !
Comment vous va du péché d’ire37 ?
100 Vous courro[u]cez-vous voluntiers ?
LE BRIGANT
Quant je vois38 parmy les santiers,
[S’]une ronce ou une espinette
Me happe parmy ma jambette,
Incontinent je maulgroye Dieu
105 Et la couppe par le mellieu ;
Voire tout bas39, sans mot sonner.
LE CURÉ
Dieu le vous vueille pardonner !
Mais d’argent prendre, il s’en fault f[r]aindre40.
LE BRIGANT 41
Si fois-je, quant n’y puis actaindre.
LE CURÉ
110 C’est bien fait, car Dieu s’en courrouce.
Avez-vous point, voyant42 la bource
À ces gallans, et joué de « force »43 ?
LE BRIGANT
Nenny, [pas encore, par Dieu]44.
LE CURÉ
Or sus, faicte[s] bien vostre deu45 ;
115 Il faul[t] laisser, chascun, son fais46.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, je suis emprès ;
Encor(e) ne fais que commencer.
LE CURÉ
Il vous fault trèsbien [a]penser
À mettre tout hors, mon amy.
LE BRIGANT
120 Aussi fais-je tant que je puis,
Mais le pertuis47 est trop petit.
LE CURÉ
Ce sera [pour] vostre prouffit,
Mon amy : ne laissez rien.
LE BRIGANT
[Pour] mon prouffit ? Par sainct Julien,
125 Au moins y ay-je espérance !
LE CURÉ
N’avez-vous pas en Dieu fiance ?
Dea ! ne vous hastez48 qu’à vostre aise.
LE BRIGANT
Nenny dea, je suis bien aise.
Vous fais-je point de desplaisir ?
LE CURÉ
130 Nenny non, faictes tout à loisir ;
De vous amender j’ay grant joye.
LE BRIGANT
Je vaulx mieulx que je ne faisoye
Des escus, par Dieu, plus de six49.
LE CURÉ
Vostre confession, beau filz,
135 Elle doit estre parfaicte.
LE BRIGANT
El(le) sera, par Dieu, toute nette,
Se je puis, avant que [je cesse]50.
LE CURÉ
Dea, il ne fault pas que l’en laisse
Aucuns péchés : n’en laissez nulz.
LE BRIGANT
140 Je prens les grans et les menus,
Certes, j’en foys bien mon effors.
LE CURÉ
Dieu vous sera miséricors.
Or çà, savez-vous autre chose ?
LE BRIGANT
L’autre jour, il y a grant pose51,
145 On avoit mis ung gras confit52
À la gelée53, toute [une] nuyt ;
Et je le prins.
LE CURÉ
[C’est bien forgé]54 !
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! je le mengay
Sans sel55, dont je m’en confesse.
LE CURÉ
150 Or çà, oyez-vous point la messe,
Au dimenche, quant elle sonne ?
LE BRIGANT
Je l’oy bien d’où je suis.
LE CURÉ
[Grant somme
Avez]56, mais que faites vous tousjours ainsi ?
LE BRIGANT
J’en ay beaucoup, [la] Dieu mercy57 !
LE CURÉ
155 Or mon amy dictes, après, [vos reliques58],
Sans [me] faire tant de réplicques.
LE BRIGANT
Je mengay l’autre jour des trippes
D’une59 tripière, [à fines lippes]60 ;
Et luy abbatis [sa tripière]61
160 Tant que la gresse cheut à terre.
Et [j’ay] laissé là son62 couteau.
LE CURÉ
Dea, nous en sommes bien et63 beau !
Confession est-elle faicte ?
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! elle est [bien] nette :
165 Je ne sçay en [tout mon couraige]64
Plus riens seul, s’il n’est bien sauvaige65.
LE CURÉ
C’est vostre prouffit, j’ay66 fiance.
LE BRIGANT
Or sus doncques, que l’en s’avance67 !
LE CURÉ
Il vous fault avoir pénitence,
170 Pour des68 péchéz pardon avoir69.
LE BRIGANT
Monsïeur, vueillez y penser :
Car si vous me baillez grant charge,
Je ne la sçauroie porter70.
LE CURÉ
…………………. Égo asvoté 71…
175 De la crouste d’ung pasté72…
Sicut érat… Sempiternam…
[Et] spiritu sancti… Amen !
.
LE BRIGANT 73 SCÈNE V
Sire Moris[s]e, mon amy,
[De grant sens vous estes garny]74.
LE CURÉ
180 Vertu bieu ! je [chante mercy]75
Que je n’é pas laissé l’endosse76.
Morbieu ! se je reviens par cy…
Je m’en vois à mon sacerdoce77,
Confesser mes parroisiens.
185 Prenez en gré l’esbatement !
Sire Dieu [vous donne tous biens]78 !
Adieu vous dy pour maintenant.
FINIS
*
1 Comme d’habitude, les particularismes normands n’ont survécu que dans les rimes : vers 16 et 17, 22 et 23, 111 et 112, 113 et 114, 170 et 171… Mais il nous reste un couplet sur les tripes, spécialité normande ! 2 Cliquaille, monnaie. Cf. les Tyrans, vers 49. 3 Dépensé. 4 À une maudite corde. 5 Celui qui a des deniers ou des piécettes. « Je ne soustiens denier ne maille. » La Confession Rifflart. 6 Quantité. Les écus vieux furent décriés le 5 décembre 1511. Voir la note 124 du Jeu du Prince des Sotz. 7 Me fera défaut (verbe faillir, vers 5). 8 Celui qui passera avant que je ne me couche. 9 F : ie me haste (Tournure normande : « Je n’avons pas putost eu gagé, que j’avons vu les deux hommes tout à plain. » Molière, Dom Juan, II, 1.) 10 Il ramasse une branche morte, et l’utilise comme canne pour marcher et se défendre pendant le long trajet entre son presbytère et la cure où il officie. Les villes se trouvaient dans la forêt, alors peuplée de chiens sauvages, de loups, et de détrousseurs. 11 Monsieur le Curé. C’est du vrai latin, contrairement à celui que va écorcher le curé. « Et ma femme banquètera/ Avecques domine Curate./ Ell’ en ara le cul frapé. » Le Vilein, sa Femme et le Curé. 12 F : asses toust 13 À destination. 14 Il surgit de derrière un arbre. 15 Par ici, vers moi. Il attrape le curé qui s’enfuyait. 16 F : Vient il (Est-ce que quelqu’un d’autre vient ? Voir le vers 32.) 17 F : quelconques (« N’y est-elle point ? Quel tourment ! » Les Botines Gaultier.) 18 Les prêtres avaient une réputation de séducteurs. 19 F : nouuoelles (Je n’en parlerai à personne. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 256.) 20 Aucune pièce de monnaie. 21 Même expression au vers 70. Tasse = bourse : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 61. 22 Vous changerez de ton. « Bientost vous ferai d’autre martin chanter. » Godefroy. 23 F : le lemble (Tu ne craindras plus qu’on te les vole.) 24 F : Se (On se demande si le curé plaint le brigand ou son argent.) 25 F : la (Il y a déjà longtemps.) 26 F : ou a genoulx (Cf. la confession du Nouveau Pathelin : « –Çà, dictes, sans plus vous brouiller,/ Tout premier Bénédicité…./ –Seray-je cy agenoillé ? » 27 Nombreux points communs avec la confession du Testament Pathelin (notamment les vers 327-330), et la confession du Munyer (vers 390-391). 28 Donc. On plaquait parfois cette rime commode à la fin d’un vers bancal : « Il suffist, je n’en dy rien, don. » Maistre Pierre Doribus. 29 Le curé amalgame le début de secula et la fin de sursum corda [élevons nos cœurs]. Il a tellement peur qu’il mélange et estropie les textes liturgiques. Voir la note de Gustave Cohen, Recueil de farces françaises, p. 82. 30 F : predicale (qui ne rime pas. Emprunt classique à saint Augustin : divino eloquio praedicatam = prêchée par une éloquence divine — que ne possède visiblement pas notre pauvre curé de campagne.) Prédicatan rime avec aman, de même que le sempiternon du vers précédent rime avec don. 31 Le brigand comprend « Adieu ! », et croit que le curé va s’en aller. On trouve exactement le même jeu scénique dans la farce du Ribault marié, vers 403-405. Et dans la 13e Nouvelle de Philippe de Vigneulles : « “Or dictes doncques ainsi, sire : Je me confesse à Dieu”, ce dit le curé. Et le rusticque, pensant qu’il eust désjà fait (…), dit : “Et ! adieu ? Messire prebtre, en voullez-vous desjà aller ?” » 32 Maudit soit ce vilain prêtre ! « Maugré du vieux ! » Farce de la Cornette. 33 Vos petites affaires. Double sens érotique (besogner = coïter) : cf. Jolyet, vers 54. 34 Du bien d’autrui. Cf. la confession du Testament Pathelin, vers 388. 35 Espine = pine, pénis. « Dame Proserpine/ Fust espinée de l’espine/ Qui est en ta brague cachée. » (Rabelais, V, 46.) On peut comprendre : quand je faisais l’amour. 36 F : espingles (Les espilles sont des épingles qui fermaient les robes : « S’il choit à la dame une espille. » XV Joyes de mariage.) 37 La colère est un péché capital. 38 Vais. 39 Silencieusement. 40 Se retenir (Godefroy). Le curé estime moins grave d’enfreindre le deuxième Commandement (« Tu ne prendras point le nom du Seigneur ton Dieu en vain ») que le septième (« Tu ne desroberas point »). 41 À partir de là, le brigand à genoux entrouvre discrètement l’aumônière du curé, puis en sort les pièces une à une. Le curé lui parle de sa conscience qu’il doit vider de tout péché, mais le brigand parle de la bourse du curé, qu’il vide de ses écus. 42 F : veu en 43 Les forces étaient les ciseaux des coupeurs de bourses. Voir l’édition Koopmans, p.176, note 32. 44 F : par dieu pas encore (Cf. Koopmans, note 33.) 45 Votre devoir. « Diu » rime avec « dû », à la manière normande. 46 Chacun doit laisser son fardeau moral. Le brigand songe plutôt à un fardeau métallique. 47 Le goulot de ma conscience. (Et l’ouverture de votre bourse.) 48 F : hastrs 49 Je vaux 6 écus de plus que je ne valais avant de me confesser. 50 F : la laisse (Rime du même au même.) 51 Il y a longtemps. 52 F : chappon 53 À la campagne, on laissait refroidir les plats chauds sur une fenêtre, pour le plus grand plaisir des chapardeurs. 54 F : Dea iulfhange (C’est bien combiné.) 55 Goulûment, comme le chat de Renart le nouvel quand il dévore un héron « sans nape et sans sel ». 56 F : Par dieu vous auez grant somme (Vous avez tellement sommeil, que vous restez couché au lieu d’aller à l’église ? Le brigand va équivoquer sur les sommes d’argent. Cf. Koopmans, note 49.) 57 Même exclamation au vers 20. Cf. la Seconde Moralité de Genève, vers 129. 58 Le reliquat, le reste. « S’il y a encores en vous quelques reliques de l’amour passée. » Marguerite de Navarre. 59 F : A une (Vers trop long.) Les tripières vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle ou une chope : « Demandé luy ay du brouet [sauce],/ En mon escuelle, de ses trippes. » (Farce de la Trippière, F 52.) « Je payeray choppine de tripes. » (Le Disciple de Pantagruel.) À défaut, on versait les tripes dans un cornet de papier fort : « Ma besace sera gastée,/ Se ne le metez au cornet. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Les tripières de la littérature comique sont toujours victimes de resquilleurs, comme dans les Repues franches de maistre François Villon. 60 F : qui passoit (« Regardez là quelz fines lippes/ Pour tesmoigner d’ung plat de tripes. » Le Capitaine Mal-en-point.) 61 F : son bacquet (Tripière = large pot en terre cuite muni d’un petit couvercle.) 62 F : mon (Je me suis enfui avant qu’elle me poignarde.) Le redoutable couteau à double tranchant des tripières était passé en proverbe : « L’Évangile est un cousteau de tripière, qui coupe des deux costéz. » Satyre Ménippée. 63 F : el (Ce « nous » de majesté désigne le curé lui-même, qui regrette charitablement que la tripière n’ait pas tué le brigand.) 64 F : ma conscience (Dans mon cœur, dans mon âme. « Ce sont choses (…) qui moult me grièvent et poisent en mon courage. » Froissart.) 65 Je n’ai pas laissé un sou, à moins qu’il n’ait eu des griffes. 66 F : Se ie ny ay part iay 67 Qu’on en finisse. 68 F : vos 69 Rime normande : avèr rime avec pensèr. Cf. Pates-ouaintes, vers 420 et 422. 70 Il faudrait une rime en -arge, ou à la rigueur en -age. Les pénitents resquillent toujours pour diminuer leur pénitence ; le meilleur exemple se trouve dans la Confession Rifflart. 71 Ego absolvo te [je t’absous]. Pressé d’en finir, le curé recommence à dire n’importe quoi (note 29). 72 « De la croûte » évoque Juxta crucem [près de la croix], et « D’un pâté » rappelle Deus Pater [Dieu le Père]. 73 Il s’éloigne en se parlant à lui-même. On apprend qu’il se nomme Maurice. 74 F : Vous estes garny de grant sens 75 F : eschape bien aucy (Chanter merci = rendre grâces à Dieu.) 76 Le bas du dos : le curé se félicite de ne pas s’être fait violer ! Voir le glossaire des Ballades en argot homosexuel de Villon <édition de Thierry Martin>. D’après le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud, « se faire endosser » = se faire sodomiser. 77 F : avanture (Réminiscence des vers 15-16.) 78 F : le vous pardonne (Encore une fois, ces « biens » sont plus terrestres que spirituels.)
MALLEPAYE ET BÂILLEVANT
*
MALLEPAYE
ET BÂILLEVANT
*
Ce dialogue écrit vers 1516, qu’on imputait jadis à François Villon, est maintenant attribué à Roger de Collerye1 (voir la notice du Résolu). La virtuosité de sa versification, l’écriture en questions-réponses, l’absence d’intrigue et de scénographie, les caractères stéréotypés qui n’évoluent pas : tout l’apparente au jeu verbal des Sots. L’auteur s’est peut-être inspiré du dialogue de Gautier et Martin, qui présente les mêmes caractéristiques.
La pièce exploite un cas de figure très courant : un fils de famille délaisse la gestion de son patrimoine pour aller vivre aux abords de la Cour dans l’espoir d’y être admis. L’espoir est vain ; le domaine, mis en coupe réglée par son métayer, ne peut plus entretenir la folie des grandeurs du courtisan, qui meurt de faim. Sauf qu’ici, nous n’avons pas affaire à une Moralité pontifiante, mais à un dialogue mené tambour battant. Nul désespoir et nulle aigreur dans cette partie de jeu de paume survoltée ; uniquement la confiance dans un avenir qui appartient aux plus débrouillards.
Source : Œuvres de Maistre Françoys Villon. Édition princeps de Galliot du Pré, Paris, 1532 <BnF., Inv. Rés. Ye-1295>.
Structure : aabaab/bbcbbc.
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) G = édition Galliot du Pré.
*
Dyalogue de Messieurs de
Mallepaye & de Bâillevant
*
MONSIEUR DE BÂILLEVANT2
Monsïeur de Mallepaye3 !
MALLEPAYE
Quoy
BÂILLEVANT
De neuf ? M.4 On nous tient en aboy5
Comme despourveux malureux.
B. Si j’avoye autant que je doy,
5 Sang bieu, je seroye chez le Roy,
Ung paige après moy, voire deux !
M. Nous sommes francs, B. adventureux.
M. Riches ? B. Bien aises. M. Plantureux ?
B. Voyre, de souhais6. M. C’est assez.
10 B. Gentilz hommes, M. hardis B. et preux
M. Par l’huys7 ; B. Du joly Souffreteux8
M. Héritiers ; B. De gaiges casséz9.
M. Nous sommes, puis trois ans passéz,
Si mainces ! B. Si mal compasséz10 !
15 M. Si simples ! B. Ligiers11 comme vent.
M. Si esbaudiz ! B. Si mal pansés12 !
M. De donner pour Dieu ? [B.] Dispenséz,
Car nous jeusnons assez souvent.
M.13 Hée ! monsïeur de Bâillevant14 !
20 [B.] Qui peûlt15 trouver soubz quelque auvant16
Deux ou troys mille escus : quel(le) proye !
M. Nous ferions bruyt. B. Toutale(s)ment.
M. Le quartier en vaul[droi]t l’arpent17.
[B.18] Par Dieu, monsieur de Mallepaye,
25 J’escriptz contre ces murs. M. Je raye
Puis de charbon et puis de croye19.
B. Je raille. M. Je fays chère20 à tous.
B. Nous avons beau coucher en [b]raye21,
L’oreille au vent22, la guelle baye :
30 On ne faict point porchatz23 de nous.
M. Hélas ! serons-nous jamais soûlx24 ?
B. Il ne fault que deux ou trois coups
Pour nous remonter. M. Doux, B. droictz, M. drutz25
B. Pour fringuer26, M. pour porter le houx27 ;
35 B. Gens M. à dire : « Dont venez-vous28 ? »
De [nous, vous] seriez tous recreux29.
B. Francs, M. fins, B. froictz, M. fors, B. grans,
< M. gros, B. escreux30.
M. Et ! si(lz) n’avions nulz biens acreuz31 !
B. Nous debvons. M. On nous doibt B. fourraige32.
40 M. Entretenuz B. comme poux creux33.
M. Jurons « sang bieu ! », nous serons creuz34.
Arrière, piettons de village35 !
B. Ne suis-je pas beau personnaige ?
M. J’ay train de seigneur, B. pas de saige36 ;
45 M. Ressourdant B. comme bel alun37.
M. Pathelin 38 en main, B. dire raige.
M. Et, par la mort bieu ! c’est dommaige
Que ne mettons villains en run39.
B. Hée ! cinq cens escus ! M. C’est esgrun40.
50 B. Quant j’en ay, j’en offre à chascun,
Et suis bien aise quant j’en preste.
M. 41 Mes rentes sont sur le commun42 ;
Mais povres gens n’en ont pas ung :
Je m’y romp(e)roye pour neant la teste.
55 B. S’il nous povoyt venir quelque enqueste,
Quelque mandement ou requeste,
Ou quelque bonne commission…
M. Mais, en quelque banquet honneste,
Faire acroire à cest ou à ceste
60 La Pramatique Sanction43.
B. Et s(i) elle y croit ? M. Promission44 !
B. S(i) elle promect ? M. Monicion45 !
B. S(i) on l’admoneste ? M. Qu(e) on marchande !
B. S(i) on faict marché ? M. Fruïctïon46 !
65 B. Se on fruit ? M. La pétition47
En forme de belle demande
D’ung beau cent [d’]escus. B. Quel vïande !
M. Qui l’auroit quant on la demande,
On feroit… B. Quoy ?48 M. Feu. B. Sainct Jehan49, voire !
70 M. On tauxeroit50 bien grosse admende
Sur le faict de ceste demande,
Se j’en quictoye le pétitoire51.
B. Quel bien ! M. Quel heur ! B. Quel accessoire52 !
M. Je me raffroîchiz la mémoire,
75 Quant il m’en souvient. B. Quel plaisir !
M. S(e) on nous bailloit par inventoire53
Deux mil escuz en une armaire54,
Ilz n’auroient garde d(e) y moysir.
B. Qui peûlt55 prandre, M. qui peûlt choisir,
80 B. Gaigner, M. espargner, B. se saisir :
Nous serions par tout bien venuz.
M. Ung songe ! B. Mais quel ? M. De plaisir.
B. Nous prendrons si bien [le] loisir
De compter ne sçay quantz escuz56.
85 M. Nous sommes bien entretenuz,
B. Ayméz, M. portéz B. et soustenuz.
M. De noz parens B. de bonne race57.
M. Rentes assez et revenuz ;
Et s(i) à présent n’en avons nulz,
90 Ce n’est que Malheur qui nous chasse.
B. Je n’en faiz compte. M. Je grimasse58.
B. Je volle par coups. M. Je tracasse
Puis au poil [et] puis à la plume59.
B. Je gaudis ; et si, je rimasse60.
95 Que voulez-vous ? il [ne] tient qu(e) ad ce
Que je ne l’ay pas de coustume61.
M. D’honneur assez. B. Chascun en hume.
M. Je destains le feu. B. Je l’allume62.
M. Je m’esbas. B. Je passe mon dueil.
100 M. Le plus souvent, quant je me fume63,
Je batt(e)roye comme fer(t) d’enclume,
Se je [ne] me trouvoye tout seul !
B. Je ris. M. Je bave sur mon seuil.
B. Je donne à quelqu(e) une ung guin d’ueil64.
105 M. Je m’esbas à je ne sçay quoy.
B. J’entretiens. M. Je faiz bel acueil.
B. On me fait [tout] ce que je veueil,
Quant nous sommes mon paige65 et moy.
M. Je ne demande qu’avoir de… [B.] Quoy ?
110 [M.] Belle amye ; et vivre à requoy66,
Faire tousjours bonne entreprise,
Belles armes, loyal au Roy.
B. Mais, trois poulx rempans en aboy,
Pour le gibier de la chemise.
115 M. Je porteroye pour devise
La marguerite en or assise
Et le houlx67 par tout estandu.
B. Vostre cry, quel ? M. « Nouvelle guise68 ! »
B. Riens en recepte, tout69 en mise,
120 Et toute somme « item perdu70 ».
M. Je vous seroye, au résidu71,
Gorgias, sur le hault verdu72 ;
Le bel estomac d’alouette73.
B. Robbe ? M. De gris blanc, gris perdu ;
125 Bien emprunté et mal rendu,
Payé d’une belle estiquette74.
B. Puis la chaîne d’or, la baguette75,
Le latz76 de soye, la cornette
De velours, le77 bel affiquet.
130 M. Quant nous aurions fait nostre emplète,
La porte seroit bien estroicte,
Se nous ne passions jusqu(es) au ticquet78 !
B. Nectelet, M. gorgias, B. friquet79.
M. De vert80 ? B. Tousjours quelque bouquet,
135 Selon la saison de l’année.
M. Et de paige ? B. Quelque naquet81.
M. S’il vient hasart en un banquet ?
B. Le prendre entre bont et volée82.
M. Aux survenans ? B. Chère meslée.83
140 M. Aux povres duppes ? B. La havée84.
M. Et aux rustes ? B. Le jobelin85.
M. Aux mignons de Court ? B. L’accollée.
M. Aux gens de mesmes ? B. La risée.
M. Et aux ouvriers ? B. Le pathelin86.
145 M. D’entretenir ? B. Damoiselin87.
M. Et saluer ? B. Bas comme clin88.
M. Et diviser89 ? B. Motz tous nouveaulz.
M. Pour contenter le féményn90,
Nous ferions plus, d’un esc[he]lin91,
150 Qu(e) ung aultre de quinze royaulx.
B. Hée ! cueurs joyeulx ! M. Hée ! cueurs loyaulx !
B. Prestz, M. prins92, B. promps, M. preux, B. espéciaulx93,
M. Ayméz, B. supportéz94, M. bien receuz.
B. Nous dev[e]rions passer aux sceaulx
155 Envers les officier[s] royaulx
Comme « messieurs les Despourveuz »95.
M. De congnoissance avons [en sus]96.
B. ………….…………., on nous a veuz
Si gent(il)z, M. si netz, B. si francs, M. si doulx.
160 B. Hélas ! cent escuz nous sont deubz97.
M. Au fort, si nous les eussions euz,
On ne tînt plus compte de nous.
B. Nous avons faict plaisir à tous.
M. Chère à dire : « Dont venez-vous ? »
165 B. Émerillonnéz98, M. advenans.
B. Cent escuz, et juger des coups99 :
On auroit beau mettre aux deux bouz100,
Se ne nous tenions des gaignans !
M. Nous sommes deux si beaulx gallans !
170 B. Fringans, M. bruyans, B. allans, M. parlans101,
B. Esmeuz de franche volunté,
M. Aagés de sens B. et jeunes d’ans,
M. Bien guetz102 B. [et] assez resc[r]éans,
M. Povres d’argent, B. prou de santé.
175 M. Chascun de nous est habité103 :
B. Maison à Paris ; M. Bien monté104,
Aussi bien aux champs qu(e) en la ville.
B. Il y a ceste malheurté
Que, de l’argent qu(e) avons presté,
180 Nous n’en [avons ne]105 croix ne pille.
M. Où sont les cens et deux cens mille
Escus que nous avions en pille106,
Quant chascun avoit bien du sien ?
B. Au fort, se107 nous n’en avons mille,
185 Nous sommes (selon l’Évangille108)
Des bien-heureulx du temps ancien.
M. J’aymasse mieulx qu’il n’en fust rien !
B. Trouvons-en par quelque moyen.
M. Qu(i) en a, à présent ? B. Je ne sçay.
190 M. Hé ! ung angin109 parisien !
B. Art lombart110 ! M. Franc praticien111,
Pour faire à présent ung essay112 !
B. Je vis le temps que j’avanssay
L’argent de Chose113, et adressay
195 Tel et tel et tel bénéfice114.
M. Et ! mais moy, quant je commensay115
Monseigneur Tel, et luy pourchassé116
Moy-mesmes, tout seul, son office.
B. [J’estoye tousjours à tous]117 propice.
200 Mais je crains… M. Et quoy ? B. Qu’Avarice
Nous surprînt, si devenyons riches.
M. Riches ? Quoy ! ceste faulce lisse118,
Povreté, nous tient en sa lisse119.
B. C’est ce qui nous faict estre chiches.
205 M. Nous sommes légiers B. comme biches,
M. Rebondis [B.] comme belles miches,
M.120 Et frayzés121 [B.] comme beaulx ongnons,
M. Aussi coutelléz B. comme chiches122,
M. Adventureux B. comme Suÿsses
210 À Nancy, sur les Bourguygnons123.
M. Entre les gallans ? B. Compaignons !
M. Entre les gorgias ? B. Mignons !
M. Entre gens d’armes ? B. Courageux !
M. S’on barguigne124 ? B. Nous bargui[g]nons !
215 M. Heureulx B. comme beaulx champignons,
Mis sus125 en ung jour ou en deux.
M. Nous sommes les adventureux
Despourveuz. B. D’argent ? M. Planteureux126 !
B. De nouvelles plaisantes ? M. Tant !
220 B. Pour servir princes ? M. Curieux !
B. Et pour les mignons ? M. Gracieulx !
B. Et pour le commun ? M. Tant à tant127.
Hée ! monsïeur de Bâillevant !128
[B.] Quant reviendra le bon temps ? M. Quant ?
225 Quant chascun aura ses souhais129.
B. Cent mille escus argent content,
Sur ma foy, je seroye content
Qu’on ne parlast plus que de paix130.
M. Nous sommes si francs, B. si parfaiz,
230 M. Si sçavans, B. si caux en nos faiz131,
M. Si bien néz, B. si preux, M. si hardis,
B. Saiges, M. subtilz, B. adviséz. M. Mais
B. Faulte d’argent et les grans prestz
Nous ont ung peu appaillardis132.
235 M. Habandonnéz ? B. Comme hardis133 !
M. Requis ? B. Comme les gras Mardis134 !
M. Et fiers ? B. Comme ung beau pet en baing !
M. J’ay dueil que vieulx villains tarnys135
Soient d’or et d’argent si garnis,
240 Et mignons en ont tant besoing.
B. Nous avons froit, M. chault, B. fain, M. soif, B. soing ;
M. Nous tracasson136 B. çà, M. là, B. près, M. loing,
B. Sans prouffit, M. sans quelque adventaige.
B. Mais s(i) on nous fonsoit137 or au poing,
245 Nous serions pour faire à ung coing
Nostre prouffit d’aultruy dommaige138.
[M.] Avez[-vous] tousjours l’éritaige
De Bâillevant ? B.139 Ouÿ. M.140 J’enraige
Qu(e) en Mallepaye n’a vins, bléz, grains.141
250 Cent franc[s] de rente et ung fromaige,
Vous [m’]oriez142 dire de couraige :
« Vive le Roy ! » B. Ronfflez, villains143 !
M. Qui a le vent144 ? B. Joyeulx mondains.
M. Gré de dames ? B. Amoureux crains.
255 M. Et l’argent, qui ? B. Qui plus embource.
M. Qu’esse d’entre nous, courtissains145 ?
B. Nous prenons escus pour146 douzains
Franchement, et bource pour bource.
M. Ha, monsïeur ! B. Sang bieu ! l’amourse147
260 M’a trop co[u]sté. M. Et pourquoy ? B. Pource148.
M. Hay, hay ! B. Tout est mal compassé149.
M. Comment ? B. On ne joue plus du pousse150.
Qui ne tire ? M. Quicte la trousse151 :
Autant vaul[droit] ung arc cassé.
265 B. Monsieur mon père eust amassé
Plus d’escu[s] qu(e) on n’eust entassé
En ung hospital152 de vermine.
M. Mais nous avons si bien sassé
(Le sang bieu !) que tout est passé,
270 Gros et menu, par l’estamyne153.
B. S’i vient guerre, mort ou famine
(Dont Dieu nous gard !), quel train, quel myne
Ferons-nous pour gaigner le broust154 ?
M. Quant est à moy, je me détermine
275 D’entrer chez voisin et voisine
Et d’aller veoir se155 le pot bout.
B. Mais regardons à peu de coust(z)
Quel train nous viendroit mieulx à goust156,
Pour amasser biens et honneurs.
280 M. Le meilleur est : prendre par tout.
B. De rendre, quoy ? M. On s’en absoult
Pour cinq solz à ces pardonneurs157.
B. Allons servir quelques seigneurs.
M. Aucuns sont si petitz donneurs158
285 Qu(e) on n’y a que peine et meschance.
B. Et prouffit, quel ? M. Selon les eurs159.
Mais entre nous, fins estradeurs160,
Il nous fault esplucher161 la chance.
B. Servons marchans. M. Pour la pitance,
290 Pour fructus ventris 162, pour la pence,
On y gaigneroit ses despens.
B. Et de fonsser163 ? M. Bonne asseurance,
Petite foy, large conscience :
Tu n’y scèz riens, et y aprens.
295 B. De procès164, quoy ? M. Si je m’y rens,
Je veulx estre mis sur les rencz,
S’ilz ont argent, si je n’en crocque !
B. Quelz gens sont-ce ? M. Gros maschesens165
Qui se font bien servir des gens.
300 [B.] Mais de payer ? [M.] Quérez qui bloque166 !
B. Officiers, quoy ? [M.] C’est toute mocque :
L’ung pourchasse, l’autre desroque167 ;
Et semble que tout soit pour eulx.
Laissons-les là.168 B. Ho ! je n’y tocque169 !
305 Il n’est point de pire défroque170
Que de malheur à malheureux.
M. Pour despourveuz adventureux
Comme nous, encor c’est le mieulx
De faire l’ost171 et les gens d’armes.
310 B. En fuitte, je suis couraigeux.
M. Et à frapper ? B. Je suis piteux.
Je crains trop les coups, pour les armes172.
M. Servons donc Cordeliers ou Carmes,
Et prenons leurs bissatz à fermes173,
315 Car il n’y a pas grant débit174.
B. Il[z] nous prescheroient en beaulx termes
Et pleureroyent maintes lermes
Devant que nous prinssions l’abit175 !
M. S(e) en ceste malheure et labit176
320 Nous mourions, par quelque acabit177,
Âme n’y a qui bien nous face178.
B. J’ay ung vieil harnoys qu’on forbit,
Sur lequel je fonde ung aubit179.
Et du surplus, Dieu le parface180 !
325 M. Hée ! fault-il que Fortune efface
Nostre bon bruyt181 ? B. Malheur nous chasse ;
Mais il n’a nul bien, qui n’endure.
M. Prenons quelque train182. B. Suyvons trasse.
M. Nous trassons, et quelq’ung nous trasse183.
330 À loups rabis184, grosse pasture.
B. Allons ! M. Mais où ? B. À l’aventure.
M. Qui nous admoneste185 ? B. Nature.
M. Pour aller ? B. Où on nous attend.
M. Par quel chemin ? B. Par soing ou cure186.
335 M. Logéz où ? B. Près de la clousture
De monsïeur d’Angoulevent187.
M. Comment yrons-nous ? B. [ En marchant.
Yrons ] jusques à Claquedent188 .
[M.] Et passerons par Mallepaye.
340 Brief ! c’est le plus expédient189
Que nous gettons la plume au vent190 :
Qui ne peult mordre, si abaye191.
B. Où ung franc couraige s’employe,
Il treuve à gaigner. M. Quérons proye !
345 B. Desquelz serons-nous ? M. Des plus fors !
B. Il ne m’en chault, mais que j’en aye192,
Que la plume au vent on envoye.
M. Puis après ? B. Alors comme alors193.
M. La plume au vent ! B. Sus ! M. Là ! B. Dehors !
350 M. Au hault et au loing ! B. Corps pour corps194 !
Je me tiendray des mieulx venuz.
M. On n’yra point, quant serons mors,
Demander au Roy les trésors
De messïeurs les Despourveuz.195
355 La plume au vent ! B. Je le concluz,
Pour les povres de ceste année.
M. Ne demourons plus si confuz.
Au grat ! la [gelée ne tient plus]196.
B. Allons ! M. Suyvons quelque traînée197,
360 [N]ou[s] faisons cy [grant] demourée198.
B. Devant199 ! M. Nostre fièvre est tremblée200,
Car nous sommes tous estourdis201.
B. Dieu doint aux riches riche & bonne année !
M. Aux despourveuz ? B. Grasse journée202 !
365 M. Et aux femmes ? [B.] Pesant[z] maritz203 !
Prenez en gré, grans et petitz !
*
1 Jean-Claude Aubailly : « Essai d’attribution et de datation du dialogue de MM. de Mallepaye et Baillevent. » (Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Pierre Le Gentil. S.E.D.E.S., 1973, pp. 65-73.) Voir également : Sylvie Lécuyer : Roger de Collerye. Un héritier de Villon. (Champion, 1997, pp. 77-81 et 143-148.) 2 Baille-vent = qui rembourse avec de belles paroles. Je préfère lire « Bâille-vent », qui se nourrit de vent : au vers 336, Bâillevant nommera son quasi homonyme, « monsieur d’Angoulevent » [engouler = avaler]. 3 Mauvaise paye. « [Crédit] eut un coup d’espée en beuvant ;/ Et dit-on qu’il receut la playe/ Du capitaine Male-paye. » (Le Labyrinthe d’Amour.) Ces deux noms de pauvres génèrent aussi une lecture scatologique : Mâle-pet et Baille-vents. Cf. le vers 237. 4 À partir d’ici, G (Galliot) réduit les noms à leur initiale : M. et B. J’aligne horizontalement ces rubriques et les fragments de vers, pour faciliter la lecture d’une œuvre qui, bien qu’injouable, fut écrite pour être entendue et non pour être lue, comme en témoigne le dernier vers. 5 Les créanciers nous harcèlent. « Vous me tenez en voz aboys ;/ De moy, n’avez mercy aucun. » Mieulx-que-devant (BM 57). 6 Nous prenons nos désirs pour la réalité. Tout le dialogue alterne des rêves éveillés et des retours à la dure réalité. 7 Courageux devant une porte. Cf. les vers 274-276. 8 Héros d’une pièce perdue de Triboulet, le Povre Souffreteux. <Triboulet, la Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles, GayKitschCamp, 2011, pp. 8 et 228.> 9 Allusion possible aux francs-archers, qui furent cassés de gages en 1481. 10 Mal arrangés. Idem vers 261. 11 Légers, ayant le ventre vide. Idem vers 205. 12 G : tapiz (Pansé = nourri. Mal-pansé est un nobliau famélique dans le Capitaine Mal-en-point.) 13 G : B. 14 G : mallepaye (qui ne rime pas.) 15 Qui pût = si on pouvait. Idem vers 79. 16 G : amant (Auvent = abri pour les poules ; d’où la proie du vers suivant. Les paysans cachaient leurs économies dans des lieux inattendus. Cf. les Gens Nouveaulx, vers 87-88.) 17 Le quart en vaudrait le tout : nous nous contenterions de peu. 18 G n’attribue à Bâillevant que le vers 25. 19 De craie. On traçait sur les murs des églises des inscriptions votives, en espérant qu’elles se réalisent. 20 Bonne figure. 21 Dormir habillés, au cas où on nous appellerait à la Cour. 22 Aux aguets. La gueule bée = la bouche ouverte, prête à répondre aux appels. 23 Pourchas : on ne nous réclame pas. 24 Rassasiés. 25 Monosyllabes sur une même initiale. Idem vers 37 et 152. 26 Pour folâtrer. Ou bien : pour trousser une femme. « Trois foys il l’a fringuée à l’ombre d’ung buisson. » Fringuez, moynes, fringuez. 27 Les bellâtres qui voulaient faire croire qu’ils avaient un cheval se promenaient housés (chaussés de bottes de cavaliers), et tenaient à la main une houssine, baguette de houx servant de cravache. 28 Injonction provocatrice, comme au vers 164. « En ce temps-là, j’estoye ung homme/ Franc pour dire : “Dont venez-vous ?” » (Monologue Coquillart.) 29 Vaincus. 30 Naturels. 31 Accru = prêté. Cf. les vers 179 et 233. 32 Nous devons de l’argent, mais on ne nous doit que du fourrage. 33 Aussi bien nourris que des poux affamés. 34 Crus, crédibles. On reconnaissait les hommes (et les femmes) de la bonne société aux jurons dont leurs phrases étaient pleines. On s’affichait comme un « homme de grant affaire » en « jurant fort d’estoc et de taille ». Les Sotz triumphans. 35 Soi-disant fantassins, faux soldats. « Ces pehons de villaige,/ J’entens pehons de plat pays. » Franc-archier de Baignollet. 36 Une démarche de sage. Mais on peut comprendre : Vous n’avez pas un train [un comportement] de sage. 37 G : alain (Ressuscitant comme l’alun de plume [l’amiante], qui sort du feu plus pur qu’avant. « La toille que l’on faisoit avec l’alun de plume, lors qu’elle estoit sale, on n’avoit qu’à la jetter dans le feu & on la retiroit blanche comme de la neige. » Pierre Pomet.) Prêts à tout pour avoir de l’or, les deux hommes fréquentent des alchimistes : cf. les vers 191-192. 38 Le livret de la Farce de maistre Pathelin. Ce mystificateur sans foi ni loi était un modèle pour tous les chevaliers d’industrie. La première édition connue de Pathelin parut vers 1485. 39 Que nous ne mettions pas nos paysans en rang, au pas. (Cf. Troys Galans et un Badin, vers 126.) En l’absence durable de leur maître, les paysans ne travaillaient plus, ou travaillaient pour leur profit personnel. 40 Une source d’aigreur. « Persévérer en son mal, c’est esgrun. » Clément Marot. 41 G : B. 42 Me sont payées par des gens du peuple. 43 Abuser de sa crédulité. La Pragmatique Sanction de 1438 était un instrument de chantage du roi de France contre le Vatican. À ce titre, elle fut abrogée puis rétablie plusieurs fois, selon que le roi était content ou mécontent du pape. Cette ordonnance devint un sujet de moqueries : dans le Moyen de parvenir, un chanoine la renomme grivoisement « la practique de l’ascension ». Quant à Rabelais, il écrit : « Voyant doncques, dist Baisecul, que la Pragmatique Sanction n’en faisoit nulle mention et que le pape donnoit liberté à un chascun de péter à son aise. » 44 Une promesse de don. 45 Une injonction de payer. 46 La jouissance, l’obtention. 47 La requête. 48 Dessous, l’imprimé répète : B. Quoy ? 49 Jeu de mots sur le « feu de la Saint-Jean ». 50 On taxerait, on fixerait la somme. 51 Si j’acquittais l’acte pour la reconnaissance de mon droit de propriété. 52 Quel renfort. 53 Inventaire après décès, joint au testament. 54 Armoire, coffre en bois. 55 Si nous pouvions. 56 Je ne sais combien d’écus. 57 De par nos ancêtres, nous sommes de bonne race. 58 G : reimasse (Grimacer = simuler.) 59 Je traque le gibier à poils et le gibier à plumes : je prends tout ce que je trouve. 60 Je fais le bel esprit, et même, j’écris des vers. « Mieulx que moy rithmassez. » Marot. 61 Que je n’y sois pas accoutumé. « On dit : Avoir de coustume (…), Il avoit de coustume, pour dire : Avoir accoustumé. » Dictionnaire de l’Académie françoise. 62 G : la hume 63 Quand je me fâche. « Quant je me fume,/ Il n’est homme, tant soit subtil,/ Qui osast lever le sourcil. » Mistère du Vieil Testament. 64 Un clin d’œil, une œillade. 65 Bâillevant rêve encore : il n’a pas de page, comme il l’avoue au vers 6. 66 En repos. « Je désire à requoy vivre, content de peu. » J.-A. de Baïf. 67 En héraldique, la marguerite symbolise la pureté, et le houx la persistance. 68 Le cri, c’est la devise : « –Nostre cry ? –C’est “Vive liesse !” » (Gautier et Martin.) La nouvelle guise est la dernière mode : « Ou soit qu’elle se vête à la nouvelle guise. » (Jean Godard.) 69 G : tant (Tout en investissement, sans engranger aucune recette.) 70 À perte, à ne jamais rembourser. « Aux premiers motz de la cédule [du contrat],/ Tu peus bien mettre : Item perdu. » La Jessée, À Lumes, mauvais payeur. 71 Au reste. 72 G : verdi (Être sur le haut verdu = être gorgias = être élégant. « Vous estes sur le hault verdus. » Le Monde qu’on faict paistre.) 73 Le jabot en avant, comme un oiseau qui se rengorge. 74 D’une reconnaissance de dette, comme Marchebeau et Galop dans un dialogue qui doit beaucoup au nôtre : « Ou nous payons par étiquète. » 75 Petite bague. La sottie de Folle Bobance (BM 40) met en scène des Fols qui se ruinent pour suivre la mode : ils arborent eux aussi des « baguettes » et des « chaînes d’or ». 76 Le lacet, le cordon. Cornette : extrémité longue du chaperon masculin, pouvant servir d’écharpe. Cf. la Farce de la Cornette, de Jehan d’Abundance. 77 G : ce (Affiquet = bijou agrafé sur le vêtement ou sur le chapeau.) 78 Jusqu’au loquet. 79 Pimpant. 80 Un brin de verdure ? 81 Petit valet. Ou entremetteur : Trote-menu et Mirre-loret, note 61. 82 Saisir l’occasion au vol, comme la balle du jeu de paume. « Contre Fortune l’esvolée,/ Prenez entre bond et vollée. » Maistre Antitus. 83 Montrer aux nouveaux venus un visage mitigé. 84 La poignée de main. Mais aussi, la poignée de pièces qu’on emporte : « (Il) aura, pour toutes ses corvées,/ En ma bource quatre havées. » Villon. 85 Jargon réservé aux initiés, au détriment des rustres. 86 Les paroles trompeuses. Voir la note 38. 87 Avec obséquiosité. « S’il est couart, c’est ung damoyselin. » Contreditz du Prince des Sotz, autrement dit Songecreux. 88 G : luy (Clin = inclinaison de tête, révérence.) 89 Deviser, dire. 90 Les femmes, qui sont forcément vénales. 91 Shilling, petite monnaie ; opposé au royal, qui est une pièce d’or. « Eschelins et toutes autres monnoyes. » Histoire de Lorraine. 92 Les premiers. Voir « le prin tans » (le printemps), « le prin some » (le premier sommeil), « de prin saut » (tout d’un coup). 93 Puissants. « Hercules le très espécial. » Godefroy. 94 Entretenus. 95 Nous devrions être enregistrés par les chambellans sous le nom de « Messieurs les Dépourvus ». 96 G : assez (En sus = à revendre.) 97 Dus. Voir la note 31. 98 Enjoués. 99 Des coups de dés. 100 « On aurait beau mettre des enjeux aux deux bouts de la table. » Édouard Fournier, le Théâtre français avant la Renaissance, p. 119. 101 Accumulation d’homéotéleutes. 102 Gais. 103 Bien logé. (Encore un rêve !) 104 Ayant une bonne monture. Cf. le Gentil homme et son Page, vers 181-182. 105 G : arions (Ni croix ni pile : pas un sou.) 106 En piles. 107 G : ce (Se = si.) 108 L’Évangile selon saint Luc : « Beati pauperes : quia vestrum est regnum Dei. » [Heureux vous qui êtes pauvres : car le royaume de Dieu est à vous.] 109 Une ruse de Paris. Cette édition de Galliot du Pré contient aussi les Repues franches, qui dévoilent les ruses des étudiants parisiens pour se procurer le nécessaire. 110 L’usure. Les usuriers lombards prêtaient aux nobles sur la caution de leur patrimoine : « Et les nobles emprunteront/ À belle usure des Lombars. » Henri Baude. 111 Un alchimiste qui transmue le mercure en or. Voir la note 37. 112 Une épreuve de la pureté de l’or sur la pierre de touche des alchimistes. « La pierre de touche fait le premier essay de l’or. » René François. 113 Untel. Cf. la Résurrection Jénin à Paulme, vers 96. 114 Et procurais des charges ecclésiastiques (abbayes, cures, etc.). 115 G : commence (Commenser = avoir pour commensal, pour invité.) « Monseigneur » se lit « mon sieur », en 2 syllabes. 116 Et cherchai à obtenir pour lui. « Lorsque Cicéron briguoit et prochassoit son consulat. » Godefroy. 117 G : iay este tousiours a tout (Propice = serviable.) 118 Cette fausse lice, cette perfide chienne. 119 Dans sa lice, dans son enclos. 120 G : B. 121 Polis. « Gorgias, mignon,/ Franc, fraiz, frasé comme ung ongnon. » G. Coquillart, Monologue du Puys. 122 Ouverts comme des pois chiches fendus. 123 Le 5 janvier 1477 eut lieu la bataille de Nancy, où les troupes suisses du duc de Lorraine battirent les Bourguignons menés par Charles le Téméraire, qui fut tué. 124 Si on marchande. 125 Les champignons poussent en un jour. 126 Abondamment pourvus. « Gens qui sont en biens plantureux. » (Godefroy.) Nos galants continuent à rêver. 127 « Ces mots se disent entre joüeurs & veulent dire : nous voilà égaux en matière de jeu…. Nous voilà tant à tant, quitons. » Richelet. 128 G attribue ce vers à Bâillevant. 129 Ce qu’il souhaite. Le retour de Bon Temps est le moteur de nombreuses sotties. 130 Qu’on fasse la paix (avec nos débiteurs et nos créanciers). 131 Si prudents en nos actes. 132 Mis sur la paille. 133 Livrés à nous-mêmes comme des audacieux. Double sens : Abandonnés comme les hardits, petites pièces de monnaie dont on ne faisait plus grand cas. « Ces chevaliers estoient si très hardis/ Que de leur vie ne donnoyent deux ardiz. » (Godefroy.) 134 Le Mardi gras était notamment recherché par les acteurs de sotties : c’est le jour où ils pouvaient dire tout ce qu’ils voulaient sans craindre la censure. 135 Ternes, sans éclat. (Prononciation dite parisienne.) 136 Nous courons. 137 Payait. (Idem vers 292.) Cf. le Dorellot, vers 132, 141 et 152. 138 Nous profiterions, dans un coin, du préjudice financier d’autrui. 139 G : M. 140 G : B. 141 Les deux hobereaux parlent de leurs terres à l’abandon. G ajoute dessous la rubrique : M. 142 Vous m’entendriez. 143 Allez vous coucher, laissez la place ! « Ronfflez, villains ! Les jeunes ont le gal [l’avantage] ! » (Lefranc.) Cf. les Sotz nouveaulx, vers 129. 144 Qui a le vent en poupe ? 145 Courtisans, selon la prononciation affectée de la Cour. « Courtissain jusques à la moelle des os, il estoit infatigable à faire des courbettes aux puissans. » Arsène Groulot. 146 G : peur (Pour = au lieu de.) 147 G : la mousse (L’amorce = l’appât. « L’amource qu’elle me laissa du feu amoureux par sa gratieuse promesse. » Amadis de Gaule.) 148 Parce que ! Bâillevant refuse de répondre à Mallepaye, qui insiste au vers suivant. 149 Agencé. 150 Les gens ne payent plus. « On tombe aisément d’accord avec eux, mais que on ne soit paresseux à jouer des poulces. » (Godefroy.) Nous avons gardé le geste de frotter notre pouce contre l’index quand nous parlons d’argent : c’est ainsi, en jouant du pouce, que nos aïeux faisaient tomber une à une les pièces qu’ils tenaient dans leur paume. 151 Pose son carquois. 152 Bâtiment religieux qui accordait l’hospitalité aux pauvres et aux pèlerins, dont l’hygiène n’était pas la principale vertu. 153 Par le tamis. Cf. la Pippée, vers 113. 154 Pour trouver quelque chose à brouter. « Ceulx qui ne bougent d’alentour des tables plantureuses et friandes, qui ne cherchent que le broust. » Jacques Amyot. 155 G : ce 156 Quel genre de vie nous conviendrait. « Ilz me viendront trèsbien à goust. » Gournay et Micet. 157 Escrocs qui vendaient des indulgences et des pardons. Voir le Pardonneur. 158 G : dhonneurs (« Grans promecteurs et petis donneurs. » L’Art d’Amours.) 159 Les heurs, les hasards. 160 Batailleurs. « Ung homme d’armes de Berne, grant pillart et fort estradeur. » Godefroy. 161 Dépouiller. « Celuy-là est plumé et espluché. » Michel Menot. 162 Dans l’Angélus, le « fruit des entrailles » désigne Jésus. Ici, plus prosaïquement, c’est la nourriture. Béroalde de Verville ira même plus loin dans le Moyen de parvenir (chap. 41) : « Fruict de ventre, c’est merde. » 163 Est-ce qu’ils payent bien ? V. la note 137. 164 Après avoir envisagé de servir les seigneurs et les marchands, on examine le cas des gens de Justice. Puis on étudiera les officiers royaux, les militaires, et les moines. Mais rien de tout cela ne rapporte. 165 G : marchesens (= Sages. « De procureurs et d’advocatz,/ De docteurs et gros mâche-sens. » Coquillart. Cf. les Sotz triumphans, v. 61 et note 30. Cf. le Capitaine Mal-en-point, v. 327.) 166 Cherchez ce qui bloque. 167 Renverse (le contribuable). 168 G attribue cet hémistiche à Mallepaye. 169 Je n’y touche pas. 170 Malheur. 171 L’armée. Les gens d’armes sont les soldats. Nos deux soldats d’opérette ressemblent à Monsieur Turelututu et Monsieur de Grange-Vide qui, dans le Mistère du Viel Testament, préfèrent courir au butin qu’au combat, et se montrent surtout « hardys sur la poulaille ». 172 G : carmes 173 Prenons en bail leurs bissacs [besaces], avec lesquels ils mendient de la nourriture. « Nous sommes réduits au bisac…. Nous sommes voléz et ruinéz. » Monluc, Comédie de proverbes. 174 Il n’y a rien à débourser. 175 Avant que nous prenions l’habit religieux, que nous entrions dans les Ordres. 176 Dans ce triste état. 177 Accident. 178 Il n’y a personne qui pourrait nous sauver de l’Enfer (où nous irions en tant que moines). Au très attendu couplet antimilitariste succède le non moins attendu couplet anticlérical. 179 Fonder un obit = instituer une messe anniversaire pour un défunt, afin qu’il sorte plus vite du Purgatoire, moyennant finances. « Me laysser de quoy fonder un obit & fayre les aulmosnes requises. » Marie Stuart. 180 Que Dieu y pourvoie. 181 Notre bonne réputation. 182 Mêlons-nous à la suite qui accompagne une haute personnalité. « Un grand logis où estoit logé le train et l’ordinaire de Mme la princesse de Condé. » Godefroy. 183 Double sens de « tracer » : Nous errons, et quelqu’un nous traque (les créanciers des vers 2-4). 184 G : ravis (Rabi = enragé. « Ainsi que loups rabis/ Meurtrissans les brebis. » Chansonnier huguenot.) 185 Qui nous y incite ? 186 Souci. 187 Pauvre qui se nourrit de vent. « Noble seigneur d’Angoulle-vent. » (Monologue des Nouveaulx Sotz.) C’est le surnom qu’adoptera le prince des Sots Nicolas Joubert au début du XVIIe siècle. Voir la note 2. 188 « Le païs de Clacquedent : lieu où l’on tremble de froid. » (Antoine Oudin.) C’est une maison qu’on n’a pas les moyens de chauffer. Dans la Chanson sur l’ordre de Bélistrie [mendicité], Jehan Molinet parle du « noble président de Clacquedent. » Les dépensiers de Folle Bobance <note 75> finiront leur vie dans une ruine du même genre, « le chasteau de Pouvreté ». 189 Avantageux. 190 Que nous allions au gré du vent. Idem vers 347. 191 Au moins, il aboie. 192 Du moment que j’ai de l’argent. Cf. le vers 189. 193 Nous aviserons le moment venu. « Le duc respondy qu’alors comme alors, du demain on s’aviseroit comme des autres jours. » George Chastellain. 194 En scellant nos deux destins. « Un geolier respond d’un prisonnier qui est à sa garde corps pour corps. » Furetière. 195 Il semble manquer un vers en -uz. 196 G : terre est degeleee (Ce vers rimait en -uz, mais l’éditeur l’a modifié en croyant reconnaître un proverbe : « Allez au grat, la terre est desgelée : le vulgaire se sert de ces mots pour refuser ou chasser une personne. » Antoine Oudin.) Le grat est l’action de gratter la terre –quand elle n’est plus gelée– pour trouver des vers à picorer. 197 Trace. À moins que pour finir, nos opportunistes ne se transforment en proxénètes : cf. le Povre Jouhan, vers 115 et 178. 198 Nous tardons trop. « Ne fere ci grant demorée. » Roman de Renart. 199 En avant ! 200 G : Vostre (Une fièvre tremblée s’accompagne de frissons.) 201 Cet adjectif qualifie ordinairement les Sots. Cf. le 1er vers du Prince et les deux Sotz et du Jeu du Prince des Sotz, ainsi que le vers 226 des Sotz fourréz de malice. 202 Un jour gras, où il est permis de manger de la viande. 203 Des maris lourdauds, qui se laissent berner.