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LE FAULCONNIER
DE VILLE
*
Cette farce écrite en 1511 exploite « une anecdote grossière dont le comique douteux repose sur quelques équivoques gaillardes1 ». C’est dire son intérêt ! Ce n’est toutefois pas sans finesse que l’auteur applique à la drague le vocabulaire de la chasse, comme le faisait le Capitaine des Sotz fourréz de Malice. Malgré son nom, le fauconnier champêtre pratique une chasse ordinaire, et non la chasse au faucon, apanage des nobles ; mais l’auteur était obligé de faire un pendant au Fauconnier de ville, qui traque le « faux con2 », c’est-à-dire le sexe des femmes. On notera la présence d’un personnage féminin muet, ce qui est très rare.
Source : Recueil de Florence, nº 26.
Structure : abab/bcbc irrégulier, mêlé de rimes plates et de sixains aababb, avec 2 virelais.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle du
Faulconnier de ville
qui emmaine la beste privée tandis que
le Faulconnier champestre et le Gentilhomme
sont bendéz pour la cuider prendre à tastons
*
À III personnages3, c’est assavoir :
FAULCONNIER DE VILLE
FAULCONNIER CHAMPE[STRE, PÉROTON]
LE GENTILHOMME
[UNE BELLE FILLE]
*
LE FAULCONNIER DE VILLE
commence en sifflant SCÈNE I
Huit huit huit huit huit huit huit ! À coup ! Sus ! Au déduict !
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
[en cornant de son cornet]
Pront pront pront pront pront pront [pront pront] !
LE FAULCONNIER DE VILLE, en sifflant
Huit huit huit huit huit huit huit [huit] !
Sus ! À coup, icy environ !
En parlant à ung quidem 4 de la compaignie :
5 Escoutez, hay, mon compaignon,
Celluy que je vis avant-hier :
Prestez-moy vostre grant furon5
Pour aller chas[s]er au terrier6.
Avez-vous point de reg[n]ardier7
10 Lequel vous me puissiez prester ?
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Est-il moyen de conquester,
Ennuit8, quelque beste sauvaige ?
Pour tracasser ne pour guetter
Au boys, n’est-il nul(le) avantaige ?
15 En ung bois ramaige9,
Soubz ung verd bocaige,
N’est-il nulle proye ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
Je sçay le passaige
Tout à l’avantaige
20 D’en prendre montjoye10.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Qui est celluy-là ? Qu’on le voye !
Qui estes-vous, hay, compaignon ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
Je suis vostre, or et monnoye.
Par ma foy, mon gentil mignon,
25 N’avez-vous pas nom Péroton,
Celluy que je congneus ouan11 ?
Esse vostre frère Jouhan
Qui morut, ou [si] ce fut vous12 ?
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Il mourut, dont j’euz grant couroux.
LE FAULCONNIER DE VILLE
30 N’en reschappa-il point ?
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Nenny.
Mais par ma foy, j’euz bien la toux13,
Et fus plus malade que luy.
Adonc, le Faulconnier champestre corne de son cornet.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Et pourquoy corne-tu ainsi ?
Sang bieu ! tu me romps bien la teste.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
35 Ha ! tu n’entens pas, mon amy :
C’est pour espovanter la beste.
Aultrement je ne la conqueste
Jamais, se n’est par mon cornet.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Sang bieu ! cela n’est point honneste.
40 Je n’y veulx q’ung petit sifflet.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Ha, dea ! dictes-moy, s’il vous plaist,
Qui vous estes, si trèsabille14 ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
Mignon, dorelot et dehait15,
Ung gentil faulconnier de ville.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
45 Sainct Jehan ! je sçay bien le s[e]tille16
De faulconnerie des champs.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Nous sommes donc bien différens :
Se cornez pour espovanter,
Je siffle pour (l’) aprivoyser.
50 Mais dictes-moy sans plus baver :
Que faictes-vous de cest espieu ?
LE FAULCONNIER DES CHAMPS
Que j’en fais ? C’est pour le senglier :
Quant [je] le treuve en quelque lieu,
[Je le frappe par le milieu.]
Vous ne portez point de baston ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
55 Si fais, si fais, par le sang bieu !
J’en ay ung17 gorgias, mignon.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Et que ne le portez-vous dont ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
Si fais-je tousjours quant et moy18.
Ma foy ! c’est ung maistre baston,
60 Long de demy pié et ung doy19.
Mais aucuneffoys, par ma foy,
Il ploye20 quant je baille ung estoc.
Certes, oncques creste de coq21
Ne fut plus rouge22 que le manche.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
65 Où le portez-vous ? En la manche ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
Nenny non, il a ung estuy
Que j’ay tout proprement pour luy.
Et jamais je ne le remue
Sinon qu’ayes [la] beste abatue23.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
70 Vertu bieu, vous me dictes raige !
Je suis en dangier qu’on me tue,
Quant le senglier vient au passaige ;
Et j’ay baston long d’avantaige,
Ferré, et pour frapper de loing.
LE FAULCONNIER DE VILLE
75 Par sainct Jehan, je sçay [bien] l’usaige
D’abatre [la] beste en ung coing.
Lors, prens mon baston en mon poing
Et frappe d’estoc et de taille.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Sang bieu ! je cuide qu’il se raille.
LE FAULCONNIER DE VILLE
80 J’avou Nostre Dame ! non fais.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Je congnois les quartiers du boys,
Et si24, suis souvent sans rien prendre ;
Tousjours de bons chiens deux ou trois
À chacun buisson pour actendre.
85 Aussi, nul ne sçauroi[t] comprendre
La joyeuseté qui y est.
La belle petite herbe y croist,
Et [si], le rossignol y chante 25.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Sainct Jehan ! j’ay une autre forest
90 Où tous les jours le cocu26 chante.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
J’ay belle hacquenée27 courante ;
Le beau troctier28, s’il est besoing
Trèsbien monter et courir loing
Par-dessus le plain boys ramage ;
95 Tousjours le bel espieu au poing
Pour prendre la beste sauvaige.
Et s’il est besoing, j’ay mon paige
Habillé gorgiasement29,
Menant lévrier à l’avantaige.
100 Courir au boys légièrement ;
Tomber tout plat (le plus souvent)
En ung fossay, homme et cheval.
Mais cela, c’est déduit royal,
Il n’est jamais rien si honneste.
105 Aulcuneffoys, fendre la teste,
[Se] rompre une jambe ou ung bras ;
Ce n’est rien, mais qu’on ayt la beste,
Pour tresbucher du hault en bas.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Par ma foy ! ce n’est pas mon cas.
110 Jà n’est si beau boys que Paris.
Mais danger y a des marys
Qui font le plus souvent le guet ;
Ce sont les plus grans ennemis
Qui [nous] puissent nuyre, en effect.
115 Saillir par la fenestre nect,
Le plus souvent nous le faison(s).
Puis estre empoignés [par le]30 guet,
V(e)ez-en là toute la façon.
Mais bien souvent, par tel blason31
120 Et par une belle promesse,
J’abatz le beau féron32
Quant je luy monstre ceste lesse33.
Et puis jamais je ne la blesse,
Car mon baston n’est point ferray.
[……………………… -ray :]
125 Lever le beau petit corpset,
Beau petit téton sadinet34,
Belle entredeux35, belle poictrine,
Belle croppièr[e], belle eschine,
Beau musequin36, belles paupières,
130 Beaux petis yeulx, belle babine,
Bel entretien, belles manières.
Donner le vin aux chambèrières
Pour parvenir à son actaincte37 ;
Faire des choses singulières,
135 Mais que chandelle soit estaincte.
Je [l’]ay chassay nuytée mainte ;
À telz chaces je me congnoys :
J’en suis ouvrier (sans faire feinte38)
À la ville, nompas aux boys.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
140 Cela n’est point chasse de roys,
De ducz, contes et gentilzhommes.
Entre nous, mignons, quant nous sommes
À chasser après quelque cerf,
Il n’y a bras, jambe ne nerf
145 Que tout ne soit remply de joye,
Quant ce vient à prendre la proye.
LE FAULCONNIER DE VILLE
C’est une grant joye,
Quant on a monnoye,
De chasser en ville.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
150 Pour prendre la proye
Aux champs, par la voye,
N’est chien39 si habille.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Il est inutille
De sçavoir le stille
155 De chasser aux bestes :
L’homme s’i débille
Et s’en adnichille40,
On s’i rompt [les testes]41.
Nul ne face festes
160 De bestes muettes
(Ne m’en parlez point !),
Mais bestes honnestes
Portant belles testes42
Et le corps bien oint43.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
165 Quant on est à point,
Jamais on ne faint44
De courir aux boys.
G’y ay faulté maint45
Sans en faire plaint
170 En mon beau lourdoys46,
Pour en prendre troys
Tout à une foys
Quant est le lever47.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Quant je voy chasser48
175 Sans trouver danger,
C’est une plaisance ;
Mais au bois troter,
C’est pour enrager :
Ce n’est que grevance.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
180 Moy, de ma naissance,
J’ay la congnoissance
Que49 c’est de chasser ;
Mais par ignorance,
Souvent on s’avance
185 Pour son col casser.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Qui se peult lasser
Bestes pourchasser,
Qui sont si mignonnes,
Et les embrasser,
190 Et s’entrebaiser ?
Telz chaces sont bonnes.
[C]es belles tétonnes,
Ces petites connes50,
Ces beaux musequins51 ;
195 Bourgoises, nonnains,
Les beaux brodequins :
V(e)ez-en là la vie !
Les beaux pathelins52
Pour venir aux fins
200 De prendre s’amye.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Tant cela m’ennuye !
Tu dis resverie :
Il n’est que le boys.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Par saincte Marie !
205 Je n’ay point d’envie
Qu’à ces beaux minoys.
LE GENTILHOMME SCÈNE II
Arrière, villains ! Gentilloys53
Sont-ilz point gens pour avoir bruyt54,
Pour avoir bestes en leurs boys,
210 Pour chasser et faire déduyt ?
En toutes pars sont, jour et nuyt.
On doit aux gentilzhoms honneur.
Il appartient à gentil cueur
Services, hommaiges, honneurs.
215 Que font icy ces deux seigneurs ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
Seigneur, « saigneurs55 », ce sont barbiers ;
Nous sommes simples faulconniers,
Il n’y a quelque56 seigneurie.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Je suis ung simple faulconnier,
220 Faulconnier me vueil renommer
Et le seray toute ma vie.57
LE GENTILHOMME
A-il quelque beste ravie ?
Avez-vous riens prins en mon boys ?
Je suis homme de seigneurie,
225 Je vueil entretenir mes droitz :
Tribut me fault toutes les fois
Qu(e) on prent [une] beste en ma terre.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Et ! que mauldicte soit la guerre58 !
Je ne cessay huy de chasser,
230 De tournoyer, de tracasser,
Ne de corner, ne de courir,
De me tuer, de me lasser,
Et n’ay rien sceu faire mourir.
LE GENTILHOMME
Ha, dea ! il me soufist d’obéir ;
235 Je vous en crois bien, mon mignon.
Ce non obstant que nous soyon
Gentilzhommes, si fault-il bien
Obéyr, et sur toute rien59
Aux dames et aux damoyselles ;
240 Espéciallement aux belles
Qui ont mynois mignon et doulx.
Quant nous nous trouvons devant elles,
Nous nous mettons bien à genous.
Avez-vous riens prins aussy, vous ?
LE FAULCONNIER DE VILLE
245 Sang bieu ! qu’en avez-vous affaire ?
Cuidez-vous qu’il soit nécessaire
Que saichez se je prens ou non ?
Que vous sachez de mon affaire,
Sur mon âme, le vélà bon !
LE GENTILHOMME
250 Si en sçauray-je ! Pourquoy non ?
Certes, vous en aurez60 à dire.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Par le sang bieu ! Vueillez ou non,
Vous n’en sçaurez jà rien, beau Sire.
LE GENTILHOMME
Par le sang bieu ! vélà pour rire :
255 Il vueult contrefaire du maistre.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Il n’y a rire ne desrire :
Point ne suis faulconnier champestre,
Vous n’avez sur moy que congnoistre61.
Je ne quiers point la sauvegine62 ;
260 Je quiers la beste féminine
(Portant robe et chaperon,
Gentil corps traictifz63 et mignon)
Qui court tousjours sans nul arrest
De çà de là, à l’environ
265 De Paris, à la grant forest64.
LE GENTILHOMME
Sang bieu ! si [sçaurai-ge]65 que c’est,
Se vous prenez riens66 sur ma terre.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Or sus, sus ! À coup qu’on s’affaire67,
Par le sang bieu ! Je siffleray ;
270 Et vray(e)ment, après je verray,
Se je prens quelque venoyson,
Se vous aurez tribut ou non.
Sang bieu ! on le verra ennuyt. Adonc, il siffle :
Huit huit huit huit huit huit huit [huit] !68
275 Je vous requier que chascun voye
S’il nous viendra point quelque proye…
Icy, vient une belle fille de dehors, sans mot dire.
Je ne suis pas si lourdinet :69 SCÈNE III
Vécy le gent musequinet
Qui se vient offrir à mes mains.
280 Tenez, quelz yeulx ! sont-il bien painctz ? Icy, prent la belle fille.
Rondes70 paupières, blondz sourcilz,
Large fronc, petit nés traictifz,
Long bras, molle main, menus dois.
Regardez, à vostre advis,
285 S’on71 prent telles bestes au boys.
Joues vermeilles, petit mynoys,
Corps court, ferme pié et petit,
Sertie72 comme ung beau harnoys.
N’esse [pas] proye à l’appétit,
290 Ceste proye, pour chasser de nuyt ?
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Puisque [tu] as proye et déduit,
Ne sçais-tu tirer ton baston ?
Tu m’as dit qu’il est si mignon
Et qu’il est si bien emmanchié73 :
295 Je te prie que nous le voyon
Avant qu’il en soit plus presch[i]é.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Que le voyez ? C’est bien chié !
La beste n’est pas abatue.
LE GENTILHOMME
Dea ! il en fault avoir la veue,
300 De ceste beste nouvelle prise.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Et ! par la mort bieu, je la prise
Plus que tous ceulx de vostre boys.
Regardez-la bien au mynoys,
[Et qu’]ung chascun sa veue y fiche.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
305 Sang bieu ! c’est une belle biche.
LE GENTILHOMME74
Elle a le corps beau et mignon :
G’y ay tribut, vueillez ou non.
En effect, il n’y a remède.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Il fault qu’aultrement on procède,
310 Par ma foy ! Vous n’y aurez rien
Tant que vivez, soit belle ou laide.
Gentilesse75, m’entendez bien :
Allez quérir vostre grant chien,
Et en allez chasser au bois.
315 Que ayez ce gentil minoys ?
Mais, beau Sire, de quel endroit76 ?
Tel demande qui se déçoipt.
Beste n’est point à départir77.
LE GENTILHOMME
Le sang bieu ! avant que partir
320 D’icy, si en auray ma part !
LE FAULCONNIER DE VILLE
Beau Sire, tirez-vous à part
Et gardez d’y mectre la pa(c)te :
Car se vous estes si cocquart,
Danger y a que ne vous bate.
325 La mort bieu ! fault-il qu’on départe
Une mignonne si pollye ?
LE GENTILHOMME
S’el estoit cent foys plus jolye,
Et l’euss[i]ez-vous cent foys plus chère,
Mon mignon, je vous certiffie :
330 J’auray du quartier de derrière78.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
C’est une biche fort entière,
Voyre qui n’est pas fort sauvaige ;
Et vray(e)ment, ce seroit dommage
De [la] faire mettre en quartiers :
335 El79 a les yeulx si beau[x] et clers,
Si doulx et si bénivollens80.
Pleust à Dieu que moy et mes chiens
À nostre boys l’eussions trouvée !
Saint Jehan ! je l’eusse esprouvée,
340 Et eusse sceu qu’elle sçayt faire.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Ma foy, il n’est point nécessaire
À telz gens de trouver telz bestes ;
C’est à entre nous81, gens honnestes,
Qui sçavent les places et les lieux
345 Là où nous trouvons noz conquestes
Et bestes qui portent telz yeulx.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Vous debvez bien estre joyeulx
De congnoistre si bien le trac82.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Je [vous foys]83 mon beau trique-trac84
350 Tout doulcement, à ung sifflet ;
Et se ne vient, je torche sac85
Sur la joue, d’ung beau soufflet.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Vous en faictes ce qui vous plaist.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Rien, rien ! Je ne m’en vueil qu’aler
355 Au matin à l’issue d’un cloistre86,
Sans une seulle heure guetter87.
Je suis homme pour les congnoistre88.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
La mort bieu ! je vouldrois bien estre
Devenu faulconnier de ville,
360 Et que j’eusse laissé mon estre89.
Je prise bien ung tel s[e]tille.
Vélà beste assez habille
Pour me nourrir toute ma vie.
En effect, j’en ay grant envie.
365 En somme, je ne sçay que dire.
LE GENTILHOMME
Çà, çà ! mignon, sans contredire,
Il est temps de prendre mon droit90.
LE FAULCONNIER DE VILLE, en se mocquant
Que vous fault-il91 ?
LE GENTILHOMME
De quel endroit
Contrefaictes-vous le mocqueux ?
370 Je vueil avoir [de] l’entredeux,
Du millieu et de la poictrine.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Vous portez par trop lasche mine92
Pour avoir ce que demandez,
Je cuide. Se vous actendez
375 Que la beste soit départie,
Vous aurez petite partie.
Vous n’estes point assez rusay.
LE GENTILHOMME
Qu’esse-cy, suis-je abusay ?
Vécy ung terrible censier93 !
LE FAULCONNIER DE VILLE
380 Dieu ait l’âme du devancier
De vostre premier père-grant !
S’il estoit icy maintenant,
Il vous seroit94 bien [au] besoing.
De ce gentil sadinet groing95,
385 Que vous en eussiez une pièce ?
Garde n’avez qu’on la deppièce,
Qu’en eussiez à96 vos appétis !
Gentilz faulconniers de Paris,
Mignons, fraséz97 et [bien] honnestes,
390 Entendus en faitz et en ditz,
Lairront-ilz départir98 leurs bestes ?
Nenny non ! Ilz ont bonnes testes99,
Ilz sont pour deffendre leur proye.
Ilz ont de l’argent et monnoye,
395 Bagues, aneaulx et afficquetz :
Ce sont leurs chiens et leurs bracquetz100,
De quoy ils chassent tous les jours.
Ilz sçavent les façons et tours
De chasser [l]a beste privée101.
LE GENTILHOMME
400 Et ! sans plus faire d’estrivée102,
[Je] propose en conclusion,
Puisque tu as intencion
Que n’en ayes rien aulcunement :
Jouons, à quelque esbatement103,
405 À qui el sera toute entière.
LE FAULCONNIER [DE VILLE]
Sang bieu, vécy bonne manière !
Oncques-mais je ne vy mieulx dire.
Certes j’en suis content, beau Sire.
Regardez à quoy nous jouerons.
LE GENTILHOMME
410 Or çà, vécy que nous ferons,
Affin que bien [vous] l’entendez :
Moy et vous, nous serons bendéz104 ;
Et ferons105 en telle manière
Que on se tirera arrière.
415 Et qui plus tost dessus la teste
Les deux mains mettra sur la beste,
Il l’emmènera loyaulment106.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Par le sang bieu ! j’en suis content,
Pourveu que l’autre joue pour moy.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
420 Le voulez-vous ?
LE GENTILHOMME
Ouy, sur ma foy.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Or çà doncques, que je vous bende !
Aultre chose ne vous demande.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Ne moy aussi. Je suis tout prest.
LE FAULCONNIER DE VILLE
Or çà doncques, sans plus d’arrest ! En les bendant :
425 Vous estes bendés, à ceste heure.
LE GENTILHOMME
Demeure107 !
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Demeure !
LE GENTILHOMME
Demeure !
Par ma foy, elle sera mienne.
LE FAULCONNIER DE VILLE,
en emmenant la Mignonne
(Ce sera mon108, mais qu’il la tienne ;
Mais il n’a garde qu’il [la touche]109.)
LE GENTILHOMME SCÈNE IV
430 Ha, ha ! s’emprès d’elle j’approuche,
Je l’empoigneray hault et bas.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Mon serment ! il ne m’en chault pas
Guères110, se je n’y metz la main.
LE GENTILHOMME
Elle est mienne, pour tout certain,
435 Puisque tu n’y prétens nul droit.
El111 debvroit estre cy endroit.
Faire me fault encore ung pas.
LE FAULCONNIER CHAMPESTRE
Je prometz à Dieu qu’el n’y est pas.
En effect, je n’y treuve rien. En se desbendant :
440 Certes, le cueur me disoit bien
Qu’il nous112 joueroit de passe-passe.
LE GENTILHOMME, [en se desbendant]
Pleust à Dieu que je le trouvasse113
Tout au coupet de nos garniers114 :
Je le ferois saulter en bas !
445 Esse le fait de faulconniers
De me tromper par ung tel cas ?
Se je le tenois en mes las115,
[Luy] et la beste, à mon chasteau,
Ha ! il ne m’eschapperoit pas
450 Que il ne beust tout son saoul d’eau116 !
Je vois117 après le ribaudeau.
La mort bieu ! je le feray pandre118.
Le sang bieu ! j’estoye bien veau
De ce quoquart jeu119 entreprandre.
455 Messeigneurs, se voulez attendre SCÈNE V
Jusqu(es) à une prochaine120 fois,
Et nous essayerons à comprendre121
Matière de pris et de poix122.
Prenez en gré, car je m’en voys.
.
EXPLICIT
*
1 Halina Lewicka, Études sur l’ancienne farce française, Klincksieck, 1974, p. 119. 2 Faux = perfide, trompeur. « J’ay autrefois vostre faucon tenu,/ Et m’en suis veu seul gouverneur et maistre. » (Mellin de Saint-Gelais.) Cf. Gratien Du Pont, vers 126, 228, 302, etc. Le Livre du Faulcon <Montaiglon, XII, 264-306> œuvre lui aussi dans l’équivoque gaillarde : « Par le Faulconnier, j’entens le gentilhomme amoureulx, et par le Faulcon, la gente damoiselle…. J’ay de longtemps vu les tours et façons du Faulconnier et du Faulcon, et les ay plusieurs fois trouvés où ilz faisoient grant chière, et estoient délibérés de faire beaucop de choses qui seroient longues à raconter. » 3 Quatre en comptant la fille. 4 Un quidam. Il se choisit un acolyte involontaire dans le public, que ce gag faisait toujours rire. Le fauconnier champêtre est de l’autre côté de la scène. 5 Furet. Mais au second degré : pénis (Guiraud, Dictionnaire érotique). « Son braquemard,/ Son furon furetant sans cesse. » Jodelle. 6 Sexe de la femme (Guiraud). « J’adressay [Je pointai] son furon et le boutay en mon terrier. » Cent Nouvelles nouvelles. 7 Chien pour chasser le renard. Ici, c’est un rabatteur, comme la lice des Sotz fourréz de Malice. 8 Aujourd’hui (anuit). Idem vers 273. 9 Ombragé par de nombreux rameaux. Idem vers 94. 10 Favorable pour en prendre une quantité (de proies). Mais aussi : pour en tirer du plaisir : « Dame Vénus, des amantz la montjoye. » Godefroy. 11 Cette année. 12 Déjà le rat de ville se moquait du rat des champs. 13 Il y avait eu une grave épidémie de coqueluche en août et septembre 1510. (On pense aujourd’hui qu’il s’agissait de la grippe.) Voir la Coqueluche, composée par Pierre Gringore, dit Mère Sotte. 14 Si habile. 15 Plaisant et joyeux. 16 Manière d’agir, ruse, subtilité. (Idem vers 361.) « J’en sçavoyes trèsbien le setille. » Les Sotz ecclésiasticques. 17 « Le baston à un bout qui me pend entre les jambes. » Rabelais, Tiers Livre, 18. 18 Avec moi, sur moi. 19 De 19 cm. 20 « Je feroye une jouste seulle,/ Mais ma pouvre lancette ploie. » Jehan Molinet. 21 Le phallus qui orne parfois le bonnet des Sots peut être symbolisé par une tête de coq, comme celles de ce fou et de sa marotte. 22 « Il jouera bien de son baston/ Au bout rouge. » Le Mariage Robin Mouton. 23 Abattre une femme = la coucher par terre. « Liève sa chemise…./ Puisqu’elle est surprise,/ Abas-la, fouz-la ! » (Parnasse satyrique.) Idem vers 76, 121 et 298. 24 Et pourtant. 25 Le fauconnier champêtre est un amateur de chansons. Cf. le vers 221. 26 Jeu de mots sur coucou et cocu : « Ce n’est maintenant la saison/ Que les cocus doivent chanter. » (1623.) Le même calembour sous-tend la Mauvaistié des femmes. 27 Jument. 28 Cheval qui va le trot. 29 Fastueusement. 30 F : du (Le guet est une petite troupe armée qui effectue des rondes nocturnes.) 31 Tromperie. « Elle sçavoit tant de tours,/ Tant de ruses, tant de blason. » Guillaume Coquillart. 32 La bête sauvage : la pucelle. 33 Ce collier précieux. Cf. le vers 395. 34 Doux. Mais le sadinet désigne aussi le mont de Vénus. Cf. le Dorellot aux femmes, note 2. 35 Entrefesse. « En son entre-deux,/ (Elle) sentit un gros chose nerveux/ Qui lui farfouille le derrière. » (Cabinet satyrique.) Idem vers 370. 36 Museau, minois. 37 À son but. « J’en viendray à mon attainte. » Gournay et Micet. 38 F : feste 39 F : ciens (Il n’y a pas de chien si habile.) 40 S’y affaiblit et en est annihilé. 41 F : la teste 42 F : gestes 43 Parfumé. 44 On ne fait semblant. 45 J’ai échoué souvent. 46 Dans mon langage rustique. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 312. 47 F : leurier (« Le lever », c’est le moment de lever le camp, de partir.) Il semble manquer 2 vers en -oys, et 1 en -er. 48 F : chasser (Je voy = je vais.) 49 De ce que. 50 Diminutif affectueux : « Acollez-moy, ma doulce conne ! » Le Dorellot. 51 Par métonymie, musequin [minois] représente la femme. Idem vers 278. Il semble manquer 2 vers en -onnes, et 1 en -ins. 52 Langages insidieux. 53 Les gentilshommes. 54 Réputation. 55 F : seigneurs (Les barbiers pratiquaient les saignées. Le fauconnier de ville traite les privilèges de la noblesse avec la même insolence que le barbier Figaro.) 56 Aucune. 57 Ce vers apparaît dans plusieurs chansons : voir le Gaudisseur, vers 3. L’une d’entre elles a servi de timbre au tercet : « Je l’ayme bien & l’aymeray./ À ce propos suis & seray,/ Et demeurray toute ma vie. » Fleur de toutes joyeusetéz. 58 Cette polémique. 59 Sur toute chose. 60 F : scaures (Dans ce vers, le futur a la valeur du présent.) 61 Rien à savoir. 62 La sauvagine, le gibier. 63 Traitis = bien tourné. Idem vers 282. 64 Le bois de Boulogne, aux abords de Paris, était déjà un lieu de rencontres galantes : cf. Pour le cry de la Bazoche, vers 164-180. 65 F : scauuaige 66 Quelque chose. F ajoute sous ce vers : Et scauray plaise ou non plaise / Que cest ou il y aura guerre 67 F : serre 68 F ajoute : Seigneurs ne faicies point de bruit 69 F ajoute au-dessus : Or regardes si je mentoye 70 F : Blondes 71 F : Sont (Si on.) 72 F : Seruie (Sertie = ajustée, bien cousue. On scande ser-ti-e.) 73 Pourvu d’un bon manche. « Un bon garçon de village très bien ammanché. » Bonaventure Des Périers. 74 F ajoute dessous : Ha par le sang bieu cest mon / Sans bieu quel petite genice 75 Monsieur le gentilhomme. 76 De quel droit. Idem vers 368. 77 À partager. 78 Terme de boucherie, et métaphore grivoise. Dans le Pasquil des cocus, on voit une femme « branler les quartiers de derrière » et danser le branle du loup, « la queue entre les jambes ». 79 F : Et 80 Bienveillants. 81 « Entre nous » est un normandisme pour « nous autres ». Idem vers 142. Cf. Lewicka, p. 61. 82 Action de suivre une trace. 83 F : voys (Foys = fais.) 84 Manœuvres d’approche. « Le Trictrac des frères Frapars. » Pantagruel, 7. 85 Je frappe ma bourse pleine de pièces (afin d’attirer une proie). La vénalité des femmes est évoquée notamment aux vers 394-397. Voulant séduire une Parisienne, « Panurge l’alla veoir, portant en sa manche une grande bourse, (…) faisant sonner ses gettons comme si ce feussent escutz au soleil ». Pantagruel, 21. 86 On donnait des rendez-vous galants à la sortie des églises, et même à l’intérieur. Cf. le Dorellot, vers 109. 87 Attendre. 88 « Connaître » au sens biblique et néanmoins érotique. 89 F : maistre (Estre = condition, manière d’être.) 90 Le tribut dont il est question aux vers 225-227. F ajoute : Nous ne faisons icy que nuyre / Qui meshuy attendre vouldroit 91 « Que vous faut-il ? » fut d’abord une demande polie des serviteurs. Puis les pages en firent une réplique insolente. « –Et ! viens à moy, quant je t’appelle !/ –Et ! me voicy. Que vous fault-il ? » Le Savetier qui ne respont que chansons, F 37. 92 Les amateurs de contrepets diront que sa mine est piteuse. 93 Un homme redoutable, comme celui qui perçoit l’impôt du cens. « Que je suis ung maistre senssier ! » Le Mince de quaire. 94 F : feroit (Il vous serait bien utile.) On respectait beaucoup plus les hommes anoblis lors des croisades, que leurs inutiles descendants qui s’étaient « donné la peine de naître ». Voir la Satire V de Boileau. 95 Jolie fille. Par métonymie, le groin [visage] représente l’ensemble du corps. 96 F : en 97 Polis. Cf. Mallepaye et Bâillevant, vers 207. 98 Laisseront-ils partager. 99 Ils ont des couilles ! Testes = testicules : « Ung homme a deux testes, et la femme n’en a que une. » Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge. 100 Leurs braques, leurs chiens de chasse. 101 Apprivoisée. « Un cheval, qui est beste privée et domestique. » (Hugues de Salve.) Idem dans le sous-titre de la pièce. 102 De débat. 103 À un jeu. 104 Nous aurons les yeux bandés. (Ils vont jouer la fille à colin-maillard.) 105 F : serons 106 F : royaulment (Loyaument = à la loyale.) Cf. le Dorellot, vers 183 et 185. 107 Ne bouge plus ! (Il s’adresse à la fille.) 108 C’est mon avis. Cf. Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, vers 155. 109 F : lapproche (au vers suivant.) 110 C’est sans intérêt. « Il ne m’en chaut pas guères, car je ne fay pas mestier de ces gentillesses. » Jean-Pierre Camus. 111 F : Et 112 F : vous (Qu’il nous jouerait un tour de passe-passe. Cf. le Munyer, vers 340.) 113 F : tenisse 114 Tout en haut de mon silo à grains. « Au coupeau d’un petit grenyer. » Le Trocheur de maris. 115 Lacs, liens. 116 Dans les douves du château. 117 Je vais, je cours. Ribaudeau = petit débauché. 118 Maître Pathelin, dupé par le berger, quittait les lieux en maugréant de pareilles menaces. 119 F : ien (Coquard = stupide.) 120 F : autre 121 Renfermer (dans nos propos). 122 De prix et de poids.