LE RETRAICT
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LE RETRAICT
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L’une des Cent Nouvelles nouvelles, que je publie en appendice, a inspiré cette farce normande. Toutefois, le dramaturge a eu le génie d’y ajouter un rôle de valet, et de le confier à l’un de ces « badins » bornés, goinfres, ivrognes et cupides qui tyrannisent leurs maîtres. Et de fait, le valet Guillot a de nombreux rapports avec les badins Janot ou Jéninot.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 54.
Structure : Rimes plates, avec 2 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
et fort joyeuse
À quatre personnages, c’est asçavoir :
LE MARY
LA FEMME
GUILLOT, [varlet]
et L’AMOUREULX [monsieur Lacoque]
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LA FEMME 1 commence SCÈNE I
Sy le myen cœur est remply d’ire ?
Las ! à bon droict je le puys dire.
J’ey bien raison de me complaindre,
Et de mon mauvais [sort] me plaindre2 :
5 Car mon mary me tient soublz las3
De grand rigueur, dont n’ay soulas4.
En luy, n’a poinct de passetemps.
Dont bien souvent mauldictz le temps,
Le jour, et l’heure de ma naissance.
10 Pensez-vous que prenne plaisance
En luy ? Non, non, je vous promais !
Sy le servirai-ge d’un mais5,
Par Dieu, dont pas il ne se doubte.
Car j’ey mys mon amytié toute
15 En un beau filz6 : voylà, je l’ayme.
Je mouray plustost à la payne
Que je ne face son désir.
J’ey espoir avec luy gésir7,
Sy mon mary s’en va aulx champs.
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GUILLOT, varlet8, en chantant : SCÈNE II
20 Hau ! les gans, bergère ! Hau ! les gans, les gans ! 9
LA FEMME
Par Dieu, voylà de très doulx chans !
Vien ç[à], Guillot !
GUILLOT
Plaist-il, Mêtresse ?
LA FEMME
Tu mes10 mon cœur en grand détresse,
Car tu n’es poinct…
GUILLOT
Je ne suys poinct ?
LA FEMME
25 Je ne t’ose dire le poinct,
Tant tu es léger du cerveau.
GUILLOT
Je ne suys pas bon maquereau :
Esse pas ce que voulez dire ?
LA FEMME
(Par mon âme ! il me faict [bien] rire.)
30 Ce n’est pas cela, malautru11 !
GUILLOT, en chantant :
Turelututu, tutu, tutu,
Turelututu, chapeau poinctu ! 12
LA FEMME
Ne chante plus, escouste-moy !
GUILLOT, en chantant :
C’est de la rousée de moy13.
LA FEMME
35 Vien çà, Guillot ! Es-tu tigneulx14 ?
Comment ! tu n’es poinct gratieulx15,
Que ne mes16 la main au bonnet.
GUILLOT, [en chantant :]
Y faict bon aymer l’oyselet 17.
Parlez-vous du bonnet de nuict ?
40 Quant je le frotes, il me cuyct ;
Y tient bien fort à mon tygnon18.
LA FEMME
Tant tu es [un] bon compaignon !
Sy je te pensoys sage et discret,
Je te diroys tout mon segret19 ;
45 Mais, par Dieu, tu n’es c’un lourdault.
GUILLOT
D’un baston rond20 comme un fer chault
Soyez[-vous] batue toulte nue !
« Lourdault21 » ?
LA FEMME
Voyre : [des]soublz la nue,
N’a poinct de plus lourdault que toy.
GUILLOT
50 Ha, ha ! « Lourdault » ?
LA FEMME
Escouste-moy !
Sy parfaire veulx mon désir,
Je te feray tant de plaisir
Qu’en toy jamais n’aura défault22.
GUILLOT
Vous m’avez apelé lourdault ;
55 Mais, par Dieu, le mot vous cuyra23 !
[LA FEMME]24
Guillot, laissons ces propos là :
Plus ne t’en fault estre mar[r]y.
Vien çà ! Tu sçays que mon mary,
Aujourd’uy, est alé aulx champs,
60 Ouïr des oysillons les chans25 ;
Pas ne doibt, ce jour, revenir.
Et mon amy doibt cy venir
Pour coucher entre mes deulx bras.
Tu auras ce que tu vouldras
65 Sy tu veulx guéter à la porte.
GUILLOT
Guéter ? Le deable donc m’emporte !
Je guèteray en bas, en hault,
Et vous m’apèlerez gros lourdault ?
Taisez-vous, c’est tout un !
LA FEMME
Guillot,
70 Sy j’ey dict quelque mauvais mot,
Pardonne-moy. Je te promais
Par la main qu’en la tienne mais26 :
Ne t’apelleray jà27 lourdault.
GUILLOT
Par Dieu ! vous fistes un lourd sault28,
75 Quant vous me dictes telle injure.
« Lourdault » ?
LA FEMME
Guillot, par Dieu j’en jure :
Je le disoys en me riant.
GUILLOT
Apelez-moy plustost Friant29.
LA FEMME
Et ! bien je te prye, au surplus :
80 Laissons cela, n’en parlons plus.
Vray est que ce mot ay lasché.
GUILLOT
Sainct n’y a30 qui n’en fust fasché,
De leur dire sy vilain nom31.
Ne m’y apelez plus !
LA FEMME
Non, non,
85 J’aymerois plus cher32 estre morte.
Guillot, va garder à la porte.
Veulx-tu, Guillot ?
GUILLOT
Et pour quoy faire ?
LA FEMME
Jésus ! n’entens-tu poinct l’afaire ?
Tant tu es un friant bémy33 !
GUILLOT
90 A ! j’entens bien : c’est vostre amy
Qui doibt venir.
LA FEMME
Ouy. Tu sourys34 ?
GUILLOT
Y vous ostera bien les sourys,
Tantost, du cul.
LA FEMME
Parle tout doulx !
GUILLOT
Or çà ! que me donnerez-vous ?
LA FEMME
95 Dy-moy en un mot : que veulx-tu ?
GUILLOT
Donnez-moy un bonnet35 poinctu,
Puys je garderay à la porte.
LA FEMME
Tien ! en voylà un de la sorte.
Es-tu content ?
GUILLOT
Par sainct Jehan, ouy !
100 Jésus, que je seray joly(s) !
LA FEMME
Sy ton maistre estoyt36, d’avanture,
Venant, ne luy fais ouverture
Sans nous advertir.
GUILLOT
Bien, bien, bien.
Y n’y viendra ny chat37, ny chien.
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L’AMOUREULX entre 38 SCÈNE III
105 Fy d’avoir, qui n’a son plaisir39 !
Fy d’or, fy d’argent ! Fy de richesse !
Hors de mon cœur toult déplaisir !
Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !
Toult passetemps je veulx choisir,
110 Chassant de moy deuil et tristesse.
Fy d’avoir, qui n’a son plaisir !
Fy d’or, d’argent ! Fy de richesse !
Y fault aler voir ma mêtresse.
Car c’est mon plaisir et soulas.
115 C’est celle qui, de moy, tracas40
Faict évader.
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LA FEMME SCÈNE IV
Viendra poinct, las,
Celuy en qui je me conforte ?
Guillot, voys-tu rien en la porte ?
Ne voys-tu nul icy venir41 ?
GUILLOT 42
120 Deffendez-vous, car assaillir
On vous vient par cruel effort !
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L’AMOUREULX 43 SCÈNE V
Holà ! hau44 !
GUILLOT
Qui est là ? Vous buquez45 bien fort !
Quoy ? Que demandez-vous ?
L’AMOUREULX
La Dame.
GUILLOT
Monsieur, soyez sûr, par mon âme,
125 Que la Dame n’est pas céans.
L’AMOUREULX
Où est le maistre ?
GUILLOT
Il est léans46,
Là où il prépare la cuysine
Avec une sienne voysine47.
LA FEMME
Ouvre, Guillot ! Et ! tu te moque :
130 C’est mon amy monsieur Lacoque48.
Faictz-l(ay)49 entrer !
GUILLOT
Ouy, mais que je sache
Qu’il ayt quelque cas en besache50,
Aussy le vin pour le varlet51.
LA FEMME
Va, méchant ! Va, vilain ! Va, let52 !
135 Entrez, Monsieur.
GUILLOT
Quoy ? Voycy rage !
Je servyray de maquelerage53,
Et sy54, ne seray poinct payé ?
Et « Monsieur » sera apuyé
Avec Madame sur un lict
140 Où trèsbien prendra son délict55 ?
Et moy, un povre maquereau,
Feray la grue56 ainsy c’un veau ?
Non, non, je ne suys pas sy beste57 !
L’AMOUREULX
Ouvre, ouvre !
GUILLOT
Vous me rompez la teste !
145 Pensez-vous que vous laisse entrer
Sans argent en main me planter58 ?
A ! non, jamais !
L’AMOUREULX
Tien un escu.
GUILLOT 59
Sainct Jehan, voylà très bien vescu60 !
Je ne demandoys aultre chose.
LA FEMME
150 Guillot, que la porte soyt close !
Faict[z] bien le guet !
GUILLOT
Laissez-moy faire.
Monsieur, faictes-la-moy61 bien tayre :
N’avez62 garde de la fâcher.
Aportez-vous poinct à mâcher63 ?
155 Que je me sente64 du festin !
L’AMOUREULX
Acolez-moy, mon musequin65 !
Quant je vous voys, je suys transy66.
GUILLOT
Et67 mon Maistre qui n’est icy !
Mort bieu, comme il riroyt des dens !
LA FEMME
160 A ! mon Dieu amy, entrez dedens
Hardiment68 : mon mary est dehors
S’en est alé. Ne craignez fors69
Que de faire le « passe-temps70 ».
Mon mary est alé aulx chans71 ;
165 Aujourd’uy pas ne reviendra.
Par quoy, amy, il vous plaira
Coucher ensemble entre deulx dras,
Tous nus, nous tenans par les bras.
Voulez-vous poinct ?
L’AMOUREULX
Ma doulce amye,
170 Vous obéir pas ne dénye72.
[GUILLOT]
Jamais n’us sy grand fain de boyre.
[L’AMOUREULX]
Baisez-moy !
LA FEMME
Acolez-moy !
GUILLOT
Et voyre !
« Fermy[n]73, sengles-moy le mulet ! »
L’AMOUREULX
Je suys maintenant à souhaict74 ;
175 Jamais ne fus sy à mon aise.
Venez, ma mye, que je vous baise !
Tousjours serez mon doulx tétin75.
GUILLOT
Tentost aura son picotin76.
Et ! ventre bieu, où est mon Maistre ?
180 Je croy qu’i vous envoyret pestre77.
Regardez bien s’y la mordra.
L’AMOUREULX
Nul, au78 monde, tel temps n’aura
Jamais, car j’ey tout à pouvoir79
Ce c’un amoureulx doibt avoir :
185 J’ey belle amye, j’ey or, monnoye,
J’ey jeunesse, sancté et joye.
GUILLOT
Il est bien vray ; mais j’ey grand peur
Qu’i n’y ayt tantost du malheur.
L’AMOUREULX
Menger nous fault ceste bécace80.
[LA FEMME]
190 Hélas ! que j’aporte [une casse81].
GUILLOT
Puysque je suys leur maquereau,
J’en mengeray quelque morceau,
Y n’est pas possible aultrement.
L’AMOUREULX
[Boyre du bon]82 pareillement.
195 Or sus, ma mye, faisons grand chère !
Chose je n’ay, tant fust-el chère,
Qu’elle ne soyt du toult83 à vous,
Il est ainsy, ma mye. Je boys84 à vous,
À Dieu, et à la Vierge Marye !
LA FEMME
200 Grand mercy, syre85 !
GUILLOT
El86 est mar[r]ye
D’estre vis-à-vis du galant.
[ L’AMOUREULX
Je boy à vous !
LA FEMME
Non pas d’aultant87 !
GUILLOT ]88
Or là couraige ! sus, ma Mêtresse !
Sang bieu, vous pétez bien de gresse89 !
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205 Monsieur, gardez-la un petit90 : SCÈNE VI
El a l’estomac fort petit,
[Trop] plus petit c’unne pucelle.
Moy, je vous plègeray pour elle91.
Or regardez : ay-je failly ?
210 Il est dedens, et non sailly
Au deable92. Laissez faire à moy.
L’AMOUREULX
Tu es bon garson, par ma foy !
LA FEMME
De boyre, jamais ne reboulle93.
GUILLOT
Monsieur, sy je faulx par la goulle94,
215 Ne vous fiez jamais en beste95.
Ne laissez poinct à96 faire feste,
Je voys en la porte.
LA FEMME
Or va !
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LE MARY commence 97 SCÈNE VII
Holà, hau ! Ouvrez l’uys !
GUILLOT
Qu(i) est là ?
LE MARY
Ouvrez ! Le deable vous emporte !
GUILLOT
220 Ce deable abastra [donc] la porte,
[Ou,] par la Mort, vous atendrez !
LE MARY
Ouvrez, de par le deable ! Ouvrez !
Ouvriras-tu, meschant folastre ?
GUILLOT
Atendez, je n’ay pas [grand] haste.
LE MARY
225 Par Nostre Dame d’Orléans !
Sy je [ne] puys entrer léans98,
Les os je te rompray de coulx99 !
GUILLOT
A ! Dieu gard(e) la lune100 des loups !
Mais pensez-vous qu’il est mauvais !
LE MARY
230 Ouvriras-tu, méchant punays101 ?
Par la Mort, je te tu[e]ray !
GUILLOT 102
Dis-moy ton nom103, puys j’ouvriray.
Pense-tu que je soy[e]s beste ?
LE MARY
Comment ! tu ne congnoys ton maistre ?
GUILLOT
235 Vrayment, vos blés sont bien saclés104 :
Mon Maistre, je voys quérir les clés.
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Ma Mêtresse, voy(e)cy mon Maistre ! SCÈNE VIII
L’AMOUREULX
Vray Dieu ! Où me pourai-ge mestre ?
Je suys perdu, je suys péry,
240 Puysque voycy vostre mary.
Conseillez-moy que105 je doy faire.
Jamais ne fus en tel afaire.
Hélas ! ma mye, voycy ma fin.
GUILLOT
Tantost arez du ravelin106,
245 Quatre ou cinq grans coups toult d’un traict.
LA FEMME
Tost mectez-vous en ce retraict107,
Mon amy. Ne vous soulciez.
Sy d’avanture vous toussiez,
Boutez la teste [en ce]108 pertuys.
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LE MARY SCÈNE IX
250 Et puys ? Hau ! Ouvriras-tu l’huys ?
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L’AMOUREULX SCÈNE X
Voycy, pour moy, piteux délict109.
Sy me métoys debsoublz le lict,
Ce seroyt le meilleur, ma mye.
LA FEMME
Hélas ! ne vous y mectez mye :
255 Car sy dessoublz le lict visoyt110
Et là caché vous advisoyt,
Mourir nous feroyt langoureulx111.
GUILLOT
Sus ! au retraict ! Sus, amoureulx !
Car je [luy] voys ouvrir la porte.
260 Encor j’ey peur qu’i ne me frote112.
Mais devant113 que céans il entre,
Ce vin je métray à mon ventre.114
L’AMOUREULX
Las115, Guillot !
GUILLOT
Monsieur, qu’on se cache !
Mêtresse, ostez-moy la bécache116.
265 Sy esse117 que j’auray cecy.
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LE MARY SCÈNE XI
An ! Nostre Dame, qu’esse-cy ?
De crier je me rons la voys118.
GUILLOT
Holà, mon Maistre, [à vous ge]119 voys.
Entrez ! Vous soyez bien venu !
270 Vous est-il nul mal avenu,
Depuys le temps [qu’estiez aux vignes]120 ?
LE MARY
Je vous romp[e]ray les échignes121 !
[Vous vous ferez]122 rompre la teste !
GUILLOT
Vous puissiez avoir male123 feste !
275 Rompu vous m’avez le serveau124.
LE MARY
Dictes-moy quelque cas nouveau :
Où est ma femme ?
LA FEMME
A ! mon mary,
Bien voys qu[e vous] estes mar[r]y :
Le marchant125 ne vous a payé ?
LE MARY
280 Non126.
LA FEMME
Ne s’est-il poinct essayé
De vous faire quelque raison127 ?
LE MARY
Raison ? Par ma foy, ma mye, non :
Car trouvé ne l’ay au logis.
Onques-puys que [je] le logys128,
285 [Je] ne l’ay veu.
LA FEMME
Vierge Marye !
Je ne fus jamais sy mar[r]ye.
À tous les deables soyent les meschans
Qui trompent ainsy les marchans,
Les gens d’honneur et gens de bien !
LE MARY
290 Et de nouveau y129 a-il rien ?
Que dict-on de bon ?
LA FEMME
Tout va bien.
GUILLOT
Tout va bien, puysque [on mect] la nappe130.
LA FEMME
Y fauldra [donc] que je te happe131 ?
GUILLOT
Mon Maistre, voicy la nape myse.
295 Il[z] ont bien levé la chemyse.
LE MARY
Qui, Guillot ?
GUILLOT
Qui ? Ma foy, personne.132
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LA FEMME SCÈNE XII
Guillot, que [plus] mot on ne sonne133 !
GUILLOT
Qui, moy ? Sy feray, par mon âme !
Que me donnerez-vous, ma Dame ?
300 Et je n’en diray rien.
LA FEMME 134
Guillot,
Voylà pour toy. Ne sonne mot !
GUILLOT
Voicy ce que je demandoys.
Et ! que l’amoureulx est courtoys135,
D’estre sy long temps au retraict !
LA FEMME
305 Tays-toy ! Auras-tu tant de plet136 ?
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Et puys, mon mary ? Comme[nt] esse SCÈNE XIII
Qu’il vous a joué de finesse,
Ce méchant, [ce] malureulx homme ?
GUILLOT
Y vouldroict bien [myeulx] estre à Romme,
310 Vostre amoureulx dont n’ose dire.
LA FEMME
J’ey le myen cœur tant remply d’ire
De ce sot qui ront137 nos propos !
Y s’en estoyt alé dehors,
Ce meschant ?
LE MARY
Ouy, [ne l’ay trouvé]138.
315 C’est un méchant laron prouvé139 !
Je suys fort las : j’ey tant troté !
GUILLOT
Hélas ! povre Amoureulx140 croté,
Tu es bien en [un] grand soulcy !
LE MARY
« [Povre] amoureulx » ? Dea ! qu’esse-cy ?
320 A-il un amoureulx céans ?
LA FEMME
A ! Nostre Dame d’Orléans !
Prenez-vous garde à ce qu’i dict ?
LE MARY
Je puisse estre de Dieu mauldict
Sy ne j’en sçay la vérité !
325 Vien ç[à ! Dy,] qui t’a incité
De parler d’un [povre] amoureulx ?
Je ne seray jamais joyeulx
Jusques à ce que le séray141.
GUILLOT
Que je l’ay dict, il n’est pas vray :
330 Jamais [je] n’en parlis, mon Maistre.
LE MARY
Vertu142 bieu ! Que peu[lt-]ce cy estre143 ?
Je l’ay ouÿ de mes horeilles144.
LA FEMME
Mon mary, [trop] je m’émerveilles
Que prenez garde à ce… lourdault.
LE MARY
335 Je l’ay ouÿ dire145 toult hault.
Vien çà, malhureulx ! Qu’as-tu dict ?
GUILLOT
Rien, ou je soys de Dieu mauldict !
LE MARY
Rien ? Et de quoy parlès-tu donques ?
GUILLOT
Escoustez que je [dis adonques]146 :
340 Je parloys de la haquenée147,
Qui a esté bien chevauchée
D’un aultre bien myeulx que de vous.
LE MARY
Je prye à Dieu que les maulx loups148
Te puisse[nt] le gosier ronger !
[LA FEMME]
345 Ce fol ne faict [cy] que songer ;
Laissez cela.
[LE MARY]
Avez-vous rien
À menger ? Je mengeroys bien :
Je n’ay mengé puys que partys.
GUILLOT
Quoy ! voulez-vous d’une perdris149 ?
350 Baillez-moy, sans plus enquérir,
De l’argent : je l’iray quérir.
LE MARY
Tient, voylà cinq soublz150.
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GUILLOT 151 SCÈNE XIV
Voylà la beste.
A ! mort bieu, je leur en apreste152 !
Je prens argent à toutes mains153.
355 Voycy pour moy, c’est pour le moins ;
Je le métray dedens ma bource.154
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Mon Maistre cher155, qu’on ne se course156 ! SCÈNE XV
Voicy la perdrys, que j’aporte.
LE MARY
Où l’as-tu prise ?
GUILLOT
Où157 ? En la porte.
LE MARY
360 La portoyt-il toute rôtye ?
GUILLOT
Ouy. Et avec [est] la rostye158,
Que vous voyez icy dessoublz.
LE MARY
Combien couste-elle ?
GUILLOT
Cinq soublz159.
LE MARY
Sus, sus, mengeons ! Qu’on s’esjouisse !
365 Comment ! qu’est devenu la cuisse ?
LA FEMME
Par Nostre Dame ! je ne sçay160.
LE MARY
Qu’en as-tu faict ?
GUILLOT
Je [la laissay]161
Tumber, puys le chat l’a mengée.
LE MARY
L’auroys-tu162 poinct bien vendengée ?
370 Tu as esté, par Dieu, le chat !
LA FEMME
C’est pour la paine de l’achat ;
Cela luy a faict un grand bien.
GUILLOT
Sy mengée l’ay, je n’en sçay rien ;
Plus ne m’en souvyent, par la mort !
LE MARY
375 Mengez, ma femme ! Tiens, Guillot :
Mors163 ! Puys après, nous verse à boyre !
GUILLOT
Buvez donc tout [fin] plain le voyr[r]e164,
Puys après, je vous plègeray165.
Atendez, je commenceray.
380 Je boys à vous, tous deulx ensemble166 !
Et puys, mon Maistre : que vous en semble167 ?
Ay-ge failly ?
LE MARY
A ! par Dieu, non !
LA FEMME
Guillot est un bon compaignon.
GUILLOT
À bien « sifler168 », ne faulx jamais.
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L’AMOUREULX SCÈNE XVI
385 Je suys servy d’un piteulx mais169.
Hélas ! je ne séroys issir170.
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LE MARY SCÈNE XVII
Qu[i] esse là que j’os171 toussir ?
GUILLOT
Que c’est ? C’est vostre bidouart172
Qui a la toux…
LE MARY
Dieu y ayt part173 !
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LA FEMME 174 SCÈNE XVIII
390 Mon amy, vous nous gasterez175.
Je vous prye, quant vous toussirez,
Afin qu’on ne vous oye, [de faict]176,
Métez la teste [en ce]177 retraict.
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L’AMOUREULX SCÈNE XIX
Voycy des mos fort rigoureulx.
395 Hélas ! fault-il c’un Amoureulx
Mète la teste en sy ort178 lieu ?
Et ! qu’esse-cy ? Hélas, vray Dieu !
Las ! je ne puys [r]avoir179 ma teste.
Voicy, pour moy, dure tempeste.
400 Et oultre plus, la puanteur,
Hélas, me faict faillir le cœur.
J’ey le visage plain d’ordure.
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GUILLOT,180 [en chantant :] SCÈNE XX
Endure, povre Amoureulx, endure ! 181
Parlez plus bas, de par le deable !
L’AMOUREULX
405 Voicy un cas fort pitoyable.
Fault-il que je meures icy ?
GUILLOT
Par la chair bieu ! il a vessy182,
Au moins, ou183 ne sent guère bon.
Et vous faisiez du compaignon,
410 Naguères, avec ma Mêtresse.
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LE MARY 184 SCÈNE XXI
Guillot !
GUILLOT 185
Qu’esse ?
LE MARY
Sy grand détresse
M’est venu[e] empongner sy fort
Au petit ventre186 ! Que nul confort
Trouver ne puys. Y fault d’un traict
415 M’aler esbatre à mon retraict,
Afin que mon mal s’amolice.
GUILLOT
Et moy, un peu fault que je pisse.
Et ! je vous tiendray compagnye.
LE MARY
Hélas, le ventre !
GUILLOT
Et ! la vessye !
LE MARY
420 Je croy que tu faictz de la beste.
L’AMOUREULX
Las ! y me chiront sur la teste.187
LE MARY 188
Et ! qu’esse-cy ? Las ! je suys mort !
L’AMOUREULX
Brou ! [Brou !] Ha ! Ha189 !
GUILLOT
Et ! fuyons fort !
Gardez bien qu’i ne vous emporte !
LA FEMME
425 A ! Nostre Dame, je suys morte !
L’AMOUREULX
Je vous porteray en Enfer
Avec le maistre Lucifer,
Lequel vous romp[e]ra la teste !
GUILLOT
Et ! aportez de l’eau bénoiste190 !
430 Asperges me, Domyne191 !
Mon Maistre, vous estes danné :
[L’afreux]192 deable vous vient quérir.
LE MARY
Et ! doulx Dieu !193
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L’AMOUREULX SCÈNE XXII
Et ! de [tant] courir,
De la grand peur, y sont fuÿs.
.
LA FEMME SCÈNE XXIII
435 De courir, hors d’alaine suys.
GUILLOT
Et moy aussy.
LE MARY
A ! Nostre Dame,
En vostre garde ayez194 mon âme !
GUILLOT
Et moy la mienne ! Où est-il alé ?
Je croy qu’i soyt redévalé
440 Là-bas, au grand [puits] infernal195.
LA FEMME
Qu’i m’a faict de peur et de mal !
LE MARY
Hélas196 ! doulx Dieu, que pouroit-ce estre ?
GUILLOT
A ! je sçay bien que c’est197, mon Maistre.
LE MARY
Et quoy ?
GUILLOT
Au deable les jaloux198 !
445 Il199 vous eust e[n]traîné trè[s]toulx200
En Enfer, se n’eust esté moy201.
Escoustez la raison pourquoy :
C’est que tantost, par cas difame202,
Avez esté vers203 vostre femme
450 Jaloux, sans cause ny raison.
Et n’ust esté mon oraison204,
Le deable des jaloux porté205
Vous eust là-bas, et transporté.
Or, ne soyez jamais jaloux.
455 Métez-vous donc à deulx genoulx ;
Cryez mercy206 à vostre espouse.
LE MARY
La fièbvre cartaine m’espouse
Sy jamais je [ne seray]207 jaloux !
GUILLOT
Métez[-vous donc à deulx]208 genoulx.
LE MARY
460 Je pry Dieu que ravissans loups209
M’estranglent se plus je marmouse210 !
GUILLOT
Mectez-vous donc à deulx genoulx ;
Criez mercy à vostre espouse.
[LA FEMME] 211
Me voylà.
GUILLOT
Sus ! que l’on ne bouge212 !
465 Ne luy criez-vous pas mercy ?
LE MARY
Ouy, et me mes213 à [sa] mercy.
Du toult, à elle m’abandonne.
GUILLOT
Pardonnez-luy !
LA FEMME
Je luy pardonne.
GUILLOT
Voylà vescu honnestement.
470 Vous luy pardonnez ?
LA FEMME
Ouy, vraiment.
GUILLOT
Or sus ! Mon Maistre, levez-vous.
Vous ne serez jamais jalous,
Ores214 ?
LE MARY
Que je soys donq bany !
GUILLOT
(Voylà un bon Jehan de Lagny215,
475 [La] mort bieu ! Il en a bien d’une216.)
.
L’AMOUREULX SCÈNE XXIV
J’ey eschapé belle fortune217 !
Sans ma218 finesse, j’estoys mort.
Ce n’est pas tout que d’estre fort ;
Mais c’est le tout (pour abréger),
480 Quant l’on est en quelque danger,
[Que] trouver fault manyère et stille219
D’en eschaper, et estre abille220
En évytant la mort et blâme.
Messieurs, de peur qu’on ne nous blâme,
485 Disons, au partir de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu !
.
FINIS
*
.
..
D’UNG GENTIL HOMME DE PICARDIE 221
.
…Le douloureux222 mary, plus jaloux que nul homme vivant, fut contrainct d’abandonner le mesnaige & aller aux affaires, qui tant luy touchoient que, sans y estre en personne, il perdoit une grosse somme de deniers…. En laquelle gaignant, il conquist bien meilleur butin, comme d’estre nommé coux223, avec le nom de jaloux qu’il avoit auparavant. Car il ne fut pas si tost sailli de l’ostel224, que le gentil homme, qui ne glatissoit225 après aultre beste, vint pour se fourrer dedans ; & sans faire long séjour, incontinent exécuta ce pour quoy il venoit, et print de sa dame tout ce que ung serviteur en ose ou peut demander….
Ce dyable de mary (…) revint le soir, dont la belle compaignie — c’est assavoir de noz deux amoureux — fut bien esbahie….
Nostre povre gentil homme ne sceut aultre chose que faire, ne où se mussier226, sinon que de soy bouter dedens le retraict de la chambre…. Le povre gentil homme rendoit bien gaige227 du bon temps qu’il avoit eu ce jour, car il mouroit de fain, de froit et de paour. Et encores, pour plus engrégier228 son mal, une toux le va prendre, si grande et si horrible que merveille…. La dame, qui avoit l’œil et l’oreille tousjours à son ami, l’entre-ouÿt d’aventure, dont elle eut grant frayeur au cueur, doubtant229 que son mary ne l’ouÿst aussi. Si treuve manière, tantost après souper, de soy bouter seulette en ce retraict ; et dist à son amy, pour Dieu, qu’il se gardast ainsi de toussir….
Quant ce bon escuier se vit en ce point assailly de la toux, il ne sceut aultre remède, affin de non estre ouÿ, que de bouter sa teste au trou du retrait, où il fut bien ensensé (Dieu le sçait !) de la confiture de léans230…. La toux le laissa. Et se cuidoit tirer hors ; mais il n’estoit pas en sa puissance de se retirer, tant estoit avant et fort bouté léans…. Il se força tant, qu’il esracha l’ais percé231 du retrait, et le raporta à son col. Mais en sa puissance ne eust esté de l’en oster….
À tout l’ais232 du retraict à son col, l’espée nue en sa main, la face plus noire que charbon, commença à saillir233 de la chambre. Et de bonne encontre, le premier qu’il trouva, ce fut le dolent234 mary, qui eut de le veoir si grant paour — cuidant que ce fust le dyable — qu’il se laissa tumber du haut de luy235 à terre (que à peu qu’il ne se rompît le col), & fut longuement pasmé236. Sa femme, le voyant en ce point, saillit avant, monstrant plus de semblant d’effrey qu’elle ne sentoit beaucoup237…. Il dist, à voix casse238 et bien piteuse : « –Et ! n’avez-vous point veu ce deable que j’ay encontré ? –Certes, si ay (dist-elle). À peu que je n’en suis morte de la frayeur que j’ay eue de le veoir ! –Et dont peult-il venir céans (dist-il), ne qui le nous a envoyé ?…. »
Et depuis, continua arrière le dyable dessusdit, le mestier que chascun fait si volentiers, au desceu239 du mary et de tous aultres, fors de une chambèrière secrète.
*
1 Chez elle, seule. 2 LV : complaindre (à la rime.) 3 Sous ses lacs, sous son joug. 4 Plaisir. Idem vers 114. 5 Aussi, je le servirai d’un mets, d’un plat à ma façon. Idem vers 385. 6 Dans un beau garçon. 7 De coucher avec lui. 8 Il entre par le rideau de fond, et accomplit une quelconque tâche ménagère en chantant. 9 Chanson inconnue. Brown, nº 143. 10 Tu mets. Cette graphie du verbe mettre, qui revient aux vers 37 et 466, est propre au copiste. 11 Imbécile. Un Sot des Coppieurs et Lardeurs se nomme Malostru. 12 Les versions actuelles de cette comptine reflètent mal ce que devait être la version originale, certainement beaucoup moins innocente. Le très rabelaisien Philippe d’Alcripe s’en souviendra en 1579 : « Descharge, tu as vendu ! Turlututu, chappeau pointu ! » Le Mistère du Viel Testament en a tiré un personnage ridicule, monsieur Turelututu. 13 Cette chanson normande a pour titre : C’est de la rosée de mai. La « rosée de moi » qu’évoque Guillot s’apparente à la « douce rosée de Nature » que Béroalde de Verville fait couler du « manche de Priape ». 14 Es-tu atteint de la teigne, que tu gardes ton bonnet sur la tête ? 15 Poli. 16 De ne pas mettre. Il faut enlever son bonnet quand on parle à des gens qui nous sont supérieurs. Dans Messire Jehan, on prie un autre badin de s’adresser au curé en ayant toujours « la main au bonnet ». 17 Le petit oiseau. Chanson d’Antoine de Févin, mort en 1512. Le vers 195 du Pèlerinage de Mariage en est tiré. Brown, nº 173. 18 À mon chignon. Mais aussi : à mes plaques de teigne, ce qui répond au vers 35. 19 Mon secret, mon projet. 20 LV : ronge (« Mais si j’empoigne un baston rond,/ Bien te feray tirer tes guestres ! » Le Cousturier et Ésopet.) 21 Guillot s’indigne de ce mot bénin, alors que sa patronne l’a précédemment traité de cerveau léger, de malotru et de teigneux, et qu’elle va encore le traiter impunément de friand bémi [de glouton niais], de méchant, de vilain, de laid, de sot, de fou, et de… lourdaud (vers 334). Mais Guillot, qui est un grand amateur de chansons, a peut-être en mémoire celle qui s’intitule Lourdault, lourdault, lourdault : je l’ai publiée dans la notice de Régnault qui se marie. 22 Que tu ne manqueras jamais de rien. 23 Vous le regretterez. « Par Dieu, la chanson vous cuyra ! » Le Ribault marié. 24 LV : guillot 25 En fait, il est allé se faire payer les fournitures dont il a fait crédit à un autre marchand. 26 Je te promets sur ma main, que je mets dans la tienne en guise de gage. 27 LV : jamais 28 Un faux pas. 29 Appétissant. C’est bien ce que fera sa patronne au vers 89, mais elle donnera au mot « friand » son autre sens : goinfre. LV ajoute dessous : que lourdault 30 Il n’y a aucun saint, aussi saint soit-il. 31 LV : non 32 LV : chere (J’aimerais mieux. « J’aymeroye plus cher estre à Romme. » Raoullet Ployart, et l’Aveugle et Saudret.) 33 Un glouton niais. Cf. Lucas Sergent, vers 69. 34 LV : soublz rys 35 Les Badins sont coiffés d’un béguin [bonnet de nourrisson]. Rien ne leur fait plus plaisir que de pouvoir empiler un bonnet d’adulte par-dessus. « Et un bonnet te donneray. » C’est ce que promet au Badin qui se loue l’amant de sa patronne ; voir la note 87 de ladite farce. Notons que le bonnet pointu est l’apanage des juifs, des astrologues et des médecins, trois catégories qui prêtaient à rire. 36 LV : venoyt (Être venant = venir. « Bien soyez venant ! » ATILF.) 37 LV : chast (Sous ce vers, il manque un vers en -sir pour amorcer le triolet.) 38 Il est dans la rue, et s’approche de la maison. 39 Peu importe l’argent, si on n’a pas de plaisir. 40 LV : est metresse (à la rime.) C’est celle qui fait sortir de mon cœur les soucis. 41 On songe à la Barbe bleue, de Charles Perrault : « Ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » 42 Par la porte entrouverte, il voit venir l’amoureux. Il se dépêche de refermer. 43 Il toque à la porte, chargé d’une besace pleine de victuailles. 44 LV : hola (Voir le vers 218.) 45 Vous frappez à la porte. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 25. 46 Là-dedans. Idem vers 226. 47 LV : voyesine 48 La femme invente ce sobriquet pour ne pas compromettre le noble, qui doit avoir un nom à particule. Dans les Cent Nouvelles nouvelles, le patronyme du gentilhomme picard n’est pas davantage révélé. À tout hasard, on trouvait en Normandie des sieurs de La Cocquerie. 49 Fais-le. Ce pronom normand peut s’élider devant une voyelle : « Alons-nous-en, laisson–l(ay) en pais. » Troys Gallans et Phlipot. 50 À condition que je sache s’il a de la nourriture dans sa besace. 51 Du vin en guise de pourboire : ce mot vient de là. 52 Laid. « Soit bel ou let. » L’Aveugle et Saudret. 53 Prononcer « maclerage ». Cette forme métathétique de maquerellage est bien attestée : « Une de ses femmes, qui sçavoit parfaictement le mestier de macqueleraige. » (Anthoine Le Maçon.) La forme contractée est plus souvent macrelage : « De faire ung secret macrelaige/ Pour ung gueux bien anvitallié. » (Jehan Molinet.) 54 Et pourtant. 55 Son plaisir. Idem vers 251. « Coucher dedens quelque beau lit./ Et là prendrez vostre délit. » Régnault qui se marie. 56 Je ferai le pied de grue, je monterai la garde. Un veau est un imbécile. 57 Guillot vient de se métamorphoser lui-même en trois bêtes : un poisson, un oiseau, un ruminant. 58 Sans que vous me mettiez de force de l’argent dans la main. 59 Il laisse entrer l’amoureux, et il met l’écu dans sa bourse. 60 Voilà de bonnes manières. Idem vers 469. 61 LV : faictes le moy (Faites-lui l’amour. « Pour la bien faire taire,/ Il luy fault prendre ung bon “clystère”…./ S’el prent médecine par “bas”,/ Jamais tu n’auras nulz débas. » Deux hommes et leurs deux femmes.) Guillot, près de la porte, se livre à des commentaires qui prennent à témoins les spectateurs ; le couple est trop loin pour l’entendre. 62 LV : vous maues (Vous ne risquez pas.) 63 Quelque chose à manger. 64 Que je me ressente, que je profite. 65 Museau, minois : jolie fille. Cf. les Tyrans, vers 202. 66 LV : transye (Je suis transporté. Cf. Lucas Sergent, vers 282.) 67 LV : ou est (Et dire que mon maître n’est pas là !) 68 Pénétrez-moi, puisque mon mari en est sorti. 69 Ne vous souciez pas d’autre chose. 70 « L’amoureux passe-temps. » La Ruse et meschanceté des femmes. 71 Aux champs : dans un lointain village. C’est la litote qu’emploient les marchands qui ont rendez-vous avec un gros client : voir les vers 48-49 et la note 79 d’Ung Mary jaloux. 72 Je ne refuse pas de vous obéir. 73 Firmin. « Fermyn de Mésan. » (Débat de deux gentilz hommes espagnolz.) Sangler une femme, c’est la besogner : cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 88. « Mulet » joue sur le latin mulier [femme] : « Sanglée comme ung beau mulet. » Le Povre Jouhan. 74 J’ai tout ce que je souhaite. 75 Terme affectueux. Cf. Jolyet, vers 57. 76 Le mulet du vers 173 aura bientôt sa ration d’avoine. Mais la femme aura bientôt sa ration de sperme : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 15 et note. 77 Qu’il vous enverrait paître, avec le même sens qu’aujourd’hui. Cf. le Raporteur, vers 72. Les amants s’embrassent. 78 LV : en ce 79 LV : souhaict (J’ai à mon entière disposition.) 80 L’amoureux tire de sa besace un papier dans lequel est enveloppée une volaille rôtie, pour la collation qui précède traditionnellement le coït : « J’aporteray pour le repas/ Un gras chapon avec une oie. » (Le Poulier à sis personnages.) LV ajoute dessous : ma mye 81 Il faut que j’apporte une casserole. (Cf. le Munyer, vers 437 et note.) La femme en prend une et pose le gibier rôti dedans. LV reporte le mot casse au début du vers suivant. 82 LV : voyre du don (Il nous faut aussi boire du bon vin. « Que je perds les biens et la veue/ À force de boire du bon. » Olivier Basselin.) Le galant tire de sa besace une bouteille. 83 Totalement. Idem vers 467. 84 LV : vous (« Je bois à vous, à vostre santé. » Furetière.) 85 Tout comme dans les Cent Nouvelles nouvelles, l’amant est un gentilhomme : « –Je boys à vous ! –Grand mercy, sire ! » Le Poulier à sis personnages. 86 LV : quel 87 Pas autant que moi. « Maistre, je bois à vous d’autant ! » L’Aveugle et Saudret. 88 LV met ce fragment sous le vers 204. 89 Vous pétez de santé. L’enfant Gargantua <chap. 11> « pettoyt de gresse » et, comme au vers 228, « gardoyt la lune des loups ». Guillot abandonne la porte et rejoint les deux buveurs. 90 Épargnez-la un peu. 91 Je vous ferai raison à sa place, en vous portant des toasts. Idem vers 378. Guillot boit le verre de sa patronne. 92 Le vin n’est pas ressorti de mon estomac. 93 LV : reculle (Jamais il ne rechigne. « Et ce firent sans rebouler. » Godefroy.) 94 La gueule (normandisme). « Il nous fault eschauffer/ Par la goulle. » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) Faillir par la gueule, ou par le bec, c’est être à court d’arguments. Mais Guillot sous-entend : si ma bouche a une défaillance au moment de boire. 95 En aucune créature. Ou bien : En aucun idiot. 96 Ne cessez pas de. 97 Il tape à la porte, derrière laquelle se trouve Guillot. Le couple est trop loin pour entendre leur dialogue. 98 LV : dedens (Là-dedans.) 99 De coups. « Coux » signifie cocu, comme dans les Cent Nouvelles nouvelles. 100 LV : quenee (Que Dieu nous protège ! « Les enfans de Dieu peuvent bien dire à tous leurs ennemis ce qu’on dit en commun proverbe : Dieu gard la lune des loups ! » Pierre Viret.) 101 Puant. 102 LV : le mary guillot 103 LV : non (Feignant de n’avoir pas reconnu la voix de son patron, Guillot en profite pour le tutoyer.) 104 Sarclés. « Sacler blés. » (Godefroy.) Vos affaires vont bien. 105 Ce que. « Conseillez-moy que faire doy. » Jeu du Prince des Sotz. 106 Vous aurez du ravaut, du bâton. Voir la note d’André Tissier : Recueil de farces, t. I, 1986, pp. 179-242. 107 Dans les cabinets, qui sont fermés par une porte. 108 LV : dens le (Je corrige de même le vers 393.) 109 Un pitoyable plaisir. 110 S’il regardait sous le lit. 111 Bien malheureux. Cf. Poncette et l’Amoureux transy, vers 81. 112 Qu’il ne me frotte les reins avec un bâton. L’auteur normand amuït le « r » de « po(r)te », comme celui de « sa(r)clé » à 235 ; ce phénomène d’amuïssement explique les rimes des vers 30, 145, 223, 234, 313, 374. 113 Avant. 114 Guillot boit le verre de l’amoureux. 115 LV : helas 116 La bécasse (prononciation normande). 117 Il est certain. Guillot arrache une cuisse et la mange. La femme pose la casserole compromettante sur le bord extérieur de la fenêtre. 118 Je me casse la voix. 119 LV : gy (Je vais à vous. « À vous je vois. » L’Aveugle et Saudret.) Guillot ouvre la porte. 120 LV : que ne vous vimes (Les vignes représentent un village campagnard, comme les champs des vers 19, 59 et 164.) 121 L’échine. « Rom-pe-rai » compte pour 3 syllabes, grâce au « e » svarabhaktique normanno-picard, comme à 428. « Je te romperay le museau ! » Jéninot qui fist un roy de son chat, et les Chambèrières et Débat. 122 LV : me faictes vous (« Vous vous ferez bien batre ! » Le Mince de quaire.) Le maître tape sur la tête de son valet. 123 Une mauvaise. 124 Ce n’est pas une grosse perte : Guillot était déjà « léger du cerveau » (vers 26). 125 LV : mechant (Le mari, qui est grossiste, avait rendez-vous avec un commerçant qui devait lui payer des marchandises achetées à crédit ; mais ce dernier lui a posé un lapin.) 126 LV : nom 127 N’a-t-il pas essayé de vous faire réparation ? 128 Depuis que je l’ai logé ici. Sur la route des foires, les commerçants trouvaient plus économique — et moins risqué — de loger chez un confrère. 129 LV : et (Le copiste a confondu le « y » du manuscrit de base avec une esperluette « & ».) Y a-t-il quelque chose de nouveau ? 130 « On dit aussi qu’on met la nappe, quand on reçoit la compagnie chez soy, lorsque les autres apportent de quoy manger. » Furetière. 131 Que je t’attrape. Cf. le Pardonneur, vers 226. 132 Le mari va chercher ses bagages, qu’il a laissés devant la porte. 133 Ne dis plus rien. « O ! que plus mot on ne me sonne ! » L’Arbalestre. 134 Elle donne de l’argent au valet, qui le met dans sa bourse. 135 LV : je croys (Cette remarque est ironique : il était discourtois de monopoliser les toilettes.) 136 De plaids, de bavardages. Le mari revient. 137 Qui interrompt. 138 LV : pour vray (Au vers 283, le mari disait déjà : « Car trouvé ne l’ay au logis. ») 139 Un fieffé voleur. « Tu sembles bien larron prouvé ! » Le Brigant et le Vilain. 140 Extrait d’une chanson non identifiable que Guillot reprend au vers 403. 141 Jusqu’à ce que je le sache. Même forme normande à 386. 142 LV : vert tu (« Vertu bieu ! qu’esse à dire ? » Le Poulier à quatre personnages.) 143 Qu’est-ce donc ? « Que peult-ce estre ? » Frère Guillebert. 144 Quoi qu’on en dise, ce « h » initial est bien attesté : voir par exemple le v. 257 des Povres deables, le v. 93 de la Mère de ville, ou le v. 15 de l’Aveugle, son Varlet et une Tripière. 145 LV : y disoyt 146 LV : vous comptes (Ce que je dis maintenant.) 147 De votre jument. Mais aussi : De votre femme. Voir la ballade intitulée Une haquenée atout le doré frain, dont le refrain est : « Ainsi que dient ceulx qui l’ont chevauchée. » Poésie homosexuelle en jobelin, GKC, 2007, pp. 98-100. 148 Que les maudits lupus, que les ulcères. « Les loups luy mangent les jambes : il a les jambes mangées d’un mal que l’on appelle loups. » Antoine Oudin. 149 C’est encore une perdrix au vers 358, mais c’était une bécasse aux vers 189 et 264. Les versificateurs étaient soumis à la tyrannie de la rime… 150 5 sous. 151 Il sort, et prend sur la fenêtre la casserole où se trouve la volaille, amputée d’une cuisse. 152 LV : baille (Confusion avec « apprêter des bayes [des moqueries] ». « Et luy apprestois bien des bayes. » Frère Fécisti.) En apprêter à quelqu’un = lui préparer un mauvais tour. 153 De tous les côtés : cf. les Povres deables, vers 166. 154 Guillot met les 5 sous dans sa bourse, et porte la casserole dans la maison. 155 LV : grand chere 156 Ne vous courroucez pas. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 237. 157 LV : cy (Le rôtisseur ambulant passait devant notre porte.) 158 La tranche de pain grillé sur laquelle coule la graisse de la volaille. C’est encore la recette de la caille sur canapé. 159 Guillot va donc garder pour lui les 5 sous, en plus de l’écu qu’il a extorqué au galant comme droit d’entrée (vers 147), de l’argent grâce auquel l’épouse a acheté son silence (vers 301), du bonnet dont elle lui a fait cadeau pour le soudoyer (vers 96). Et je ne compte pas la nourriture et la boisson, ni le plaisir qu’il a dû prendre à se moquer de tous ces gens supérieurs qui le traitent de lourdaud. 160 LV : scays (Voir les vers 324, 373 et 443.) 161 LV : lay laissee (Cf. l’Avantureulx, vers 56.) 162 LV : laires tu (Vendanger = voler. Le Badin Guillerme, qui a gobé une des deux figues que le curé lui a confiées, lui montre la dernière, s’attirant cette remarque : « Il n’y en a qu’une ?/ Je croy que l’autre est vendangée. ») 163 LV : mort (Le mari donne à Guillot l’os de la seconde cuisse pour qu’il morde dedans.) 164 Ce verre bien plein. 165 Je vous ferai raison (note 91). 166 Guillot boit les verres de ses patrons. 167 « Et puis, m’amour, que vous en semble ? » Deux hommes et leurs deux femmes. 168 Boire. « Siffler le vin en abondance. » (Parnasse des Muses.) Nous disons toujours : Siffler un verre. 169 D’un pitoyable aliment. 170 Je ne saurais sortir. Le galant tousse. 171 Que j’ois, que j’entends tousser. 172 LV : haquenee (Un bidouard est un petit cheval : cf. le Gaudisseur, vers 86. Mais c’est également un des noms du pénis, qui tousse quand il est trop vieux.) 173 Que Dieu lui vienne en aide ! 174 Elle entre dans les toilettes. 175 Vous nous ferez découvrir par mon mari. 176 LV : en efaict (En pratique. « De faict,/ Y me fault aler au retraict. » Lucas Sergent.) 177 LV : dens le (Note 108.) La femme retourne à table. 178 Sale. L’amoureux plonge sa tête dans le trou. 179 Récupérer. Mahuet, aux vers 117 et 220, ne peut « ravoir » sa main, qu’il a coincée dans un bocal de crème. 180 Il entre dans les toilettes, en chantant pour couvrir les plaintes de l’Amoureux. 181 Voir la note 140. Nous ne possédons plus cette rengaine, qui a dû finir dans un retrait, mais des quantités d’autres serinent les mêmes clichés ; voir par exemple celle qui figure aux vers 28-35 du Povre Jouhan. 182 Il a vessé, pété. 183 LV : on 184 En se tenant le ventre, il essaie d’ouvrir la porte des toilettes, que Guillot a fermée de l’intérieur. 185 Sans ouvrir la porte. 186 Au bas-ventre. Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 23. 187 L’amoureux se relève en arrachant la planche, qu’il porte autour de son cou comme un pilori. Sa figure est noire d’excréments. Pour ce genre de « maquillage », on utilisait du son mouillé, qui a la consistance et la couleur voulue ; voir la note 204 du Munyer. 188 Il parvient à ouvrir la porte, et tombe nez à nez avec un diable noir qui brandit son épée en hurlant. Voir l’illustration des Cent Nouvelles nouvelles. John Harington, le poète (car il en fallait bien un pour cela) qui inventa la chasse d’eau en 1596, publia une gravure où le diable fuit un homme assis sur un retrait. Nous devons cette trouvaille à Jody Enders, la traductrice américaine de notre farce : Holy Deadlock and further ribaldries. University of Pennsylvania Press, 2017, pp. 59-99. 189 Dans les Mystères, c’est le hurlement traditionnel des diables. « Brou ! Brou ! Ha ! Ha ! Puissans deables iniques ! » (Mystère de saint Martin.) Dans les Trois amoureux de la croix, un amoureux déguisé en diable profère ce cri au vers 429. 190 De l’eau bénite, pour l’exorciser. Les Normands prononçaient « bénète » : « Dame nonnète,/ Vous voulsissiez que l’eau bénoiste.» Les Mal contentes. 191 Tu m’aspergeras, Seigneur ! (Psaume 51.) Même vers dans les Chambèrières qui vont à la messe de cinq heures pour avoir de l’eaue béniste. 192 LV : lamoureulx (La confusion tient au fait que c’est l’Amoureux qui fait le diable.) 193 Le mari, la femme et Guillot s’enfuient de la maison. Le mari a complètement oublié son besoin pressant ; il s’est peut-être conchié de peur, comme tant d’autres personnages de farces. 194 LV : prenes 195 « Puys infernal, dampné gouffrineux roc !/ Deable d’Enfer, que vault ton villain croc ? » (Mystère de saint Martin.) Là-bas = en bas, en enfer. Idem vers 453. 196 LV : et 197 Ce que c’est, de quoi il retourne. 198 Quand on voue les jaloux au diable, il les emporte en enfer. 199 LV : qui (Le diable.) 200 Tout entier. 201 Si je n’avais pas été là pour le faire fuir à coup de latin (vers 430). 202 Infâme. 203 Envers. 204 Ma conjuration latine. 205 LV : emporte (Voir le vers 426.) 206 « À jointes mains et à genoux,/ (Ton mari) te crira mercy. » Le Ribault marié ; ledit ribaud, du moins, implore à genoux le pardon de son épouse parce qu’il l’a trompée, et non pas parce qu’elle l’a trompé avec la complicité intéressée du confesseur. 207 LV : suys (Voir le vers 472.) Dans Martin de Cambray <F 41>, un amoureux déguisé en diable emporte la femme d’un jaloux, qui promet alors de ne plus l’être : « M’amye, je vous cri mercy !/ Jamais, nul jour, ne le seray ! » Le vers précédent, qui provient des Chambèrières et Débat, perturbe le triolet. 208 LV : metes vous a (Même refrain que 455 et 462.) 209 Des loups ravisseurs. « De ces loups ravissans remplis de cruauté. » La Chasse du loup. 210 Si je grogne encore. Cf. les Coquins, vers 297. 211 LV : le mary 212 La rime est anormalement faible, sauf si Guillot prononce « bouse », pour se moquer du peureux qui s’est chié dessus. 213 Et je me mets. 214 LV : or non (Désormais.) 215 Un homme velléitaire, qui n’a aucune suite dans les idées. Voir la notice de Jehan de Lagny. 216 On lui en a fait une bien bonne. « Tu m’en bailles bien d’une ! » D’un qui se fait examiner. 217 Je l’ai échappé belle. 218 LV : la (Sans ma présence d’esprit.) 219 Style. Qu’il faut trouver l’art et la manière. 220 Habile. 221 Voici des extraits de la 72e des Cent Nouvelles nouvelles, qui a fourni le sujet de la farce. 222 Le fâcheux. 223 Cocu. 224 Sorti de sa maison. 225 Qui ne chassait. 226 Se musser, se cacher. 227 Remboursait avec les intérêts. 228 Aggraver. 229 Redoutant. 230 Qui était là-dedans. 231 Qu’il arracha la planche percée sur laquelle on s’assied. Ladite planche, qu’on appelle aujourd’hui la lunette, se nommait l’anneau : voir la 11e nouvelle de l’Heptaméron, de Marguerite de Navarre. 232 Avec la planche. 233 À sortir. 234 Le fâcheux. 235 De toute sa hauteur. 236 Évanoui. 237 Affichant plus d’effroi qu’elle n’en éprouvait. 238 Faible (féminin de l’adjectif cas). « J’ay la voix, dit-il, ung peu casse. » ATILF. 239 À l’insu.
BEAUCOP-VEOIR ET JOYEULX-SOUDAIN
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BEAUCOP-VEOIR ET
JOYEULX-SOUDAIN
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Ce dialogue parisien1, écrit peu après 1480, confronte un vieux dragueur revenu de tout à un jeune galant qui ne doute de rien. Un Casanova usé, dont l’ultime plaisir est de se remémorer ses frasques amoureuses, tente de rebuter un jeune Don Juan qui s’apprête à commencer le catalogue de ses conquêtes. On assiste au même face à face dans le dialogue du Viel amoureulx et du Jeune amoureulx (LV 9). Le Trésor des sentences résume ces affrontements générationnels dans un proverbe : « Si jeunesse sçavoit / Et vieillesse pouvoit. »
Le dialogue tourne parfois au monologue : dès que le vieux radoteur a enfourché son dada, il fonce en ignorant les questions que lui pose son jeune interlocuteur, au demeurant peu sympathique.
Source : Recueil Trepperel, nº 24. Publié avant 1510.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 1 triolet et des quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Dialogue fort joyeulx
à deux personnages, qui parle
de plusieurs matières pour rire.
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C’est assavoir :
BEAUCOP-VEOIR
JOYEULX-SOUDAIN
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BEAUCOP-VEOIR commence 2 SCÈNE I
Le deable y ait part à la feste,
Quant jamais je fuz amoureux !
JOIEULX-SOUDAIN
Suis-je en bruyt3 !
BEAUCOP-VEOIR
J(e) en gratte ma teste4.
Le deable y ait part à la feste !
JOYEULX[-SOUDAIN] 5
5 Pour faire quelque chose honneste,
Je suis plaisant et savoureux.
BEAUCOP-VEOIR
Le diable y ait part à la feste,
Quant jamais je fuz amoureux !
JOYEULX-SOUDAIN
Suis-je gay6 !
BEAUCOP-VEOIR
Que je fusse eureux
10 S(i) une fois puisse regauldir7 !
JOYEULX-SOUDAIN
Quant à moy, je me tiens de ceulx
Qui ne comptent que tout plaisir.
BEAUCOP-VEOIR
J’ay veu que j’avoye mon désir8.
En faitz d’amours, j’estoye huppé9.
15 Maintenant, il me fault gésir10
Incontinent que j’ay souppé…
JOYEULX-SOUDAIN
Suis-je plaisant et esveillé,
Maintenant !
BEAUCOP-VEOIR
Sur ma conscience !
Quant j’ay ung petit « fatrouillé11 »,
20 Je ne puis soustenir ma pence.
JOYEULX-SOUDAIN
Je ne quiers que toute plaisance :
Pour faire la nicque [à l’eunucque]12,
Me vécy !
BEAUCOP-VEOIR
Par Dieu ! quant j(e) y pense,
Je suis devenu trop caducque.
JOYEULX-SOUDAIN
25 Quant Margot y est et je bucque13,
Elle me vient bien tost ouvrir.
BEAUCOP-VEOIR
Quant de ce vin cléret je chucque14,
Tantost me fault aller dormir.
JOYEULX-SOUDAIN
Je ne me pourrois assouvir
30 De riz15, d’esbatemens, de jeuz.
BEAUCOP-VEOIR
Je me souloye resjouyr16 ;
Mais maintenant, je suis trop vieux.
JOYEULX-SOUDAIN
Je suis gent, plaisant et joyeulx.
Viengne qui veult, je ne [me] bouges17 !
BEAUCOP-VEOIR
35 J’ay piéçà les yeulx chacieulx18 ;
Et si, ay les paupières rouges19.
JOYEULX-SOUBDAIN
Je sçay le grant chemyn de Bourges20
Où nous, amoureux, prétendons.
BEAUCOP-VEOIR
Et je sçay bien, quant je me mouches,
40 [Gecter de gros guillevardons]21.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce bon vieillart en dit de bons ;
Je vueil [l’]entendre sans22 demaine.
BEAUCOP-VEOIR
Et, par le sang bieu ! Pour tous dons,
Encore ay-ge une belle vaine23.
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JOYEULX-SOUDAIN SCÈNE II
45 Dieu gard le gueux24 !
BEAUCOP-VEOIR
Bonne sepmaine
Vous envoye Dieu !
JOYEULX-SOUDAIN
Que25 fa[i]ctes-vous ?
BEAUCOP-VEOIR
Que je fois26 ? La chose est certeine :
J’escaille noix27.
JOYEULX-SOUDAIN
Que dictes-vous ?
Vous me respondriez à tous coups28,
50 Maintenant.
BEAUCOP-VEOIR
Me dictes-vous veoir29 ?
JOYEULX-SOUDAIN
Ouÿ. Comment vous nommez-vous ?
Que je le sache !
BEAUCOP-VEOIR
Beaucop-veoir.
JOYEULX-SOUDAIN
Vous avez le visage noir
Et estes jà vieulx.
BEAUCOP-VEOIR
Pour certain.
55 [Mais vous, qui]30 faictes bien devoir
D’estre propre ?
JOYEULX-SOUDAIN
Joyeulx-soubdain.
BEAUCOP-VEOIR
A ! par sainct Jehan, c’est à demain31 !
J’entens toute la fiction.
JOYEULX-SOUDAIN
Des faiz d’amours je suis tout plain ;
60 C’est toute ma condiction.
BEAUCOP-VEOIR 32
Hon, hon, hon, hon, hon, hon, hon, [hon] !
[Pour neant]33 n’estes-vous pas si gay.
Est-il proprelet et mignon
Pour bien cryer ung « hoppegay34 ! ».
JOYEULX-SOUBDAIN
65 Je suis gent comme ung papegay 35,
Chacun le voit à mon habit.
BEAUCOP-VEOIR
Par sainct [Jehan] ! le proverbe est vray :
« Tant gratte chièvre que mal gist.36 »
JOYEULX-SOUDAIN
Beau sire, en avez-vous despit,
70 Se je me tiens honnestement37 ?
BEAUCOP-VEOIR
A ! par le sang que bieu38 me fist,
Nenny, que bon gré mon serment !
Que quérez-vous ?
JOIEULX-SOUDAIN
Mon aysement39.
BEAUCOP-VEOIR
Le venez-vous icy quérir ?
JOYEULX-SOUDAIN
75 Je quiers vivre amoureusement ;
C’e[st] là où je veulx parvenir.
BEAUCOP-VEOIR
Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?
JOYEULX-SOUDAIN
Quelque mignonne ou plaisant(e) dame :
Je ne voy chose, sur mon âme,
80 [Qui trop]40 mieulx me viengne à plaisir.
BEAUCOP-VEOIR
Ha, ha ! Y voullez-vous courir ?
JOYEUX-SOUDAIN
En chantz, en riz, en jeuz, en dance,
Je ne quiers que dame à plaisance
Où je me puisse resjouir.
BEAUCOP-VEOIR
85 Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?
JOYEULX-SOUDAIN
Je suis gent, mignon et parfait.
Et pour mieulx acomplir mon faict,
Amoureux je veulx devenir.
BEAUCOP-VEOIR
Ha, ha ! Y voulez-vous courir ?
JOIEULX-SOUDAIN
90 Pourquoy non ?
BEAUCOP-VEOIR
C’est bien pour périr
Et pour avoir ung soubressault41.
Ces motz ay-je bien sceu suivir.
JOYEULX-SOUDAIN
Beaucop-veoir, dire le vous fault.
BEAUCOP-VEOIR
Tu luy baille belle, Michault42,
95 Si tu y vas sans beste vendre43 !
JOIEULX-SOUDAIN
Déclarez-le-moy cy tout hault,
Car la cause je vueil entendre.
BEAUCOP-VEOIR
Hée ! povre sot, où veulx-tu tendre44 ?
À amours, tu prens soing et cure45.
100 Scez-tu bien là où tu veulx [pré]tendre46 ?
JOYEULX-SOUDAIN
Dea, ne me dictes point d’injure !
BEAUCOP-VEOIR
Par le sang Dieu ! C’est la nature
De tous ces jeunes coquardeaux47.
Seulement pour une seinture48,
105 J’en descliqué bien vingt réaulx49.
JOYEULX-SOUDAIN
Y sert-on de si gros morceaulx ?
BEAUCOP-VEOIR
Quoy, de si gros ? Ventre saint Gris !
Je baillay dix salus50 bien beaulx
Pour une fourreure de gris51.
JOIEULX-SOUDAIN
110 C’est trop.
BEAUCOP-VEOIR
Je suis du jeu apris
Autant que personne fut oncques.
JOIEULX-SOUDAIN
De vray ?
BEAUCOP-VEOIR
Il m’a cousté bon pris.
JOIEULX-SOUDAIN
Je croy qu’i m’en coustera, doncques.
Mais qui vous meut52 premier à l’estre ?
BEAUCOP-VEOIR
115 Qui ? Ho ! Je fis ung tour de maistre
Pour le premier coup53. Mais aussi,
Oncques-puis ne fut54 (Dieu mercy !)
Que ne me trouvasse trompé.
JOYEULX-SOUDAIN
Fustes-vous bien assez huppé
120 Que de trouver cest adventaige ?
BEAUCOP-VEOIR
Hupé ? Nostre Dame ! Mais saige
Plus que dix autres ou que cent.
JOIEULX-SOUDAIN
Où fusse ?
BEAUCOP-VEOIR
Emprès Sainct-Innocent55,
Où je me sceuz bien employer ;
125 Car alors, j’estoye escollier,
Ung trotet ou coureux de ville56.
Et pensez que j’estoye habille57.
J’avoye argent, les beaulx signetz58,
Tous les jours mes cheveulx pignéz,
130 Fines chausses, belle saincture
Ferr[é]e59 d’argent, de l’estature60,
Duisans61 souliers de cordouen.
Mais je suis trop vieux, mésouen62.
JOYEULX-SOUDAIN
Après ? Dictes c’en qui s’ensuit !
BEAUCOP-VEOIR
135 Ainsi comme j’alloye de nuyt,
Je me trouvé, ce m’est advis,
Droit à la rue Sainct-Denis :
J(e) y alloye pour moy resjouyr63.
JOYEULX-SOUDAIN
Après ?
BEAUCOP-VEOIR
Tantost [vé]cy venir
140 Le guet.
JOYEULX-SOUDAIN
Vous n’estiez pas trop à seur64.
BEAUCOP-VEOIR
Nostre Dame ! j’avoye grant peur,
Pensez, et bien grant chault [aux fesses65].
JOYEULX-SOUBDAIN
Après ? Qu’on sache [les finesses]66 !
BEAUCOP-VEOIR
[Quant j’ouÿ]67 le guet arriver,
145 Je me cuidoie aller musser68.
Je m’allé mettre69 par raison
Entre deux huys d’une maison.
Sitost que fuz entré dedans,
Voicy la dame de léans70
150 Qui s’en vint tout doulcètement,
Et me dist : « Entrez hardiment !
Vous soiez le trèsbien venu ! »
Je fuz, par Dieu, tant esperdu
Que ne sçavoye dont venoye71.
JOYEULX-SOUDAIN
155 A ! mort bieu, que je n’y estoye !
BEAUCOP-VEOIR
A ! dea, dea, ce n’est pas le bout ;
Vous n’avez pas ouÿ trèstout.
Quant je fuz dedans, de par Dieu,
Je ne dis mot. Lors, en ce lieu
160 — Puisque desclairer le vous fault —
Elle me dist : « Montez en hault72 ! »
Et se print à monter devant,
Et moy après.
JOIEULX-SOUDAIN
Avant73, avant !
Il y aura jeu de regnart74.
165 Avoit-elle bien beau regard ?
BEAUCOP-VEOIR
S’elle l’avoit ? Et, ouÿ dea !
Par [le] sainct sang que Dieu pissa75 !
C’est une belle godinette76.
Elle avoit une grosse tette77 ;
170 Je ne sçay, moy, qu’elle78 avoit fait,
Mais dedans y avoit du lait.
Lors, quant je fuz en hault monté,
J’estoye presque tout esbété79,
Nonobstant que je ne dis mot.
175 Car je cuydoie qu’on fist du sot80
De moy. Mais, par mon sacrement,
C’estoit tout à bon escient81.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce ne fut pas sans la toucher ?
BEAUCOP-VEOIR
Brief elle m’envoya coucher,
180 Et me dist que me despouillasse
Bien tost, et coucher m’en allasse.
Quant j’ouÿ ces parolles-là,
Point ne respondis à cela.
Et je vous oste mon pourpoint,
185 Mes chausses, et me mis en point82 ;
Et me vois mettre83 en ung grant lit.
Joyeulx-soudain84, il estoit nuyt ;
Et pour mieulx faire la cautelle85,
Il n’y avoit point de chandelle,
190 Car elle m’eust assez congnu86.
JOYEULX-SOUBDAIN
Quant tu fuz en ce lit tout nu ?
BEAUCOP-VEOIR
Ce fut le plus beau de ses faitz :
Elle s’en vint coucher a[u]près87.
JOYEULX-SOUDAIN
Et, dea ! Se quelque grant ribault
195 Eust monté après toy en hault
Pour cuider avoir la coquarde88 ?
BEAUCOP-VEOIR
Pensez, j’eusse eu belle vésarde89 !
Il estoit jà de moy sué90.
JOIEULX-SOUDAIN
Comment ?
BEAUCOP-VEOIR
[Car] j’eusse esté tué :
200 On m’eust tantost bouté [à fin]91
Aussi tost q’ung petit poussin.
Mais vous me voyez (Dieu mercy !)
Présentement en ce lieu-cy.
JOYEUX-SOUDAIN
Retournons à nostre propos.
205 Quant emprès vous se vint coucher ?
BEAUCOP-VEOIR
Vous le povez assez penser :
Entre nous deux, selon droicture92,
Jouasmes des jeuz de nature.
JOYEULX-SOUDAIN
Ainsi, vous eustes ce tatin93 ?
BEAUCOP-VEOIR
210 Et puis le lendemain, au matin,
Quant j’euz usé de son amour,
Me fist lever au point du jour.
Et quant elle me renvoya,
Une bource me présenta,
215 À boutons d’argent soubz et suz94,
Où il y avoit vingt escus.
JOYEULX-SOUDAIN
Et vous de croquer ceste prune95 ?
BEAUCOP-VEOIR
Je m’en allay au clèr de lune,
À ce beau matin, tout joyeulx.
220 Ceste fois-là, je fuz heureux96.
Mais elle me print pour ung97 autre.
JOYEULX-SOUDAIN
Je vous eusse envoyé au peaultre98,
Par le sang bieu, vieillart meschant99 !
BEAUCOP-VEOIR
La croix bieu ! j’estoye plus gent
225 Que je ne [le] suis, par mon âme !
On m’eust tenu en une paulme,
Tant estois gent et proprelet.
JOIEULX-SOUDAIN
L’endemain, que fist le varlet100 ?
BEAUCOP-VEOIR
Je gambéoye101 la matinée ;
230 Et puis allay, à l’après-dînée,
Achapter du drap à l’hostel102
Où le cas avoit esté tel.
JOIEULX-SOUDAIN
Et la bourgoise, que disoit ?
BEAUCOP-VEOIR
Plus elle ne me congnoissoit.
235 Mais tantost qu’on m’eust dit le pris,
Je fuz par Dieu si bien apris103 :
« Ho (ce dis-ge), qu’on ne se cource104 ! »
Et je vous tiray ceste bource
De mon sain105, que donnée m’avoit,
240 Pour tirer argent.
JOYEULX-SOUDAIN
Quoy qu’i soit,
Ce fut très fainctement106 joué.
BEAUCOP-VEOIR
Et je fuz le mieulx advoué107
Du monde.
JOYEULX-SOUDAIN
Quant la bource eust108 veue ?
BEAUCOP-VEOIR
La façon fut toute congneue109.
245 Tantost110 elle la regardoit ;
D’autre part, elle me guignoit111.
JOYEULX-SOUDAIN
Or çà, çà ! Que dist la bourgoise ?
BEAUCOP-VEOIR
« Mon amy, il fault que l’en voise
Là-derrière sans faire effroy112.
250 Venez-vous-en avecque moy,
Car il y a des draps assez
Qui y sont plusfort entasséz. »
JOYEULX-SOUDAIN
Tendois-tu113 pas desjà les mains ?
BEAUCOP-VEOIR
Ouy, car je n’en pensois pas mains114.
JOYEULX-SOUDAIN
255 Quant tu fuz là, que [te] dist-elle ?
BEAUCOP-VEOIR
« Je vous pry qu’i n’en soit nouvelle115
De la bource ne de l’argent :
Je vous pry amoureusement
Que la mussez116. »
JOYEULX-SOUDAIN 117
Han, han, han, [han] !
BEAUCOP-VEOIR
260 Alors, de beau gris de Rouen118
Elle vous va couper dix aulnes,
Et m’en fist les mains toutes jaulnes119.
Je fis ung peu le gratieux120,
Mais je ne demandoye pas mieulx.
265 Elle me les fist emporter
Ainsi, et moy de m’en aller.
Je n’en vis, oncques-puis, l’oreille121.
JOYEULX-SOUBDAIN
Vous me racomptez cy merveille !
BEAUCOP-VEOIR
Je fus heureux, à ceste fois.
JOYEULX-SOUDAIN
270 C’est une joye nompareille
Que d’estre amoureux.
BEAUCOP-VEOIR
Ouy dea, troys122 !
J’en ay bien soufflé en mes doiz123
Plus de .XL. fois, depuis.
Et se vous y estiez, galloys124,
275 Vous seriez des plus esbahis.
JOYEULX-SOUDAIN
Se devoye tracasser pays125
Et bien cheminer çà et là,
Pas ne seroys de[s] plus haÿs
Des dames.
BEAUCOP-VEOIR
Ha ! trop bien, cela126 !
280 Mais quoy, vous asseurez-vous là127 ?
N’e[n] prenez jà vostre fiance128 :
Je fus heureux ceste fois-là,
Mais j’en ay eu mainte meschance129.
JOYEULX-SOUDAIN
Comment ?
BEAUCOP-VEOIR
On m’a bien tourné la chance
285 Et m’a-on fait ronger mon frain.
JOYEULX-SOUDAIN
Dictes-vous ?
BEAUCOP-VEOIR
Sur ma conscience !
Je recommanceroye demain
— Veu que je suis si vieulx et vain130 —
Par bieu, pour ces deables de femmes !
290 De leurs fatras je suis si plain
Qu’estaindre je ne puis mes flames.
JOYEULX-SOUDAIN
Entendent-elles bien les games131 ?
BEAUCOP-VEOIR
S’elles l’entendent ? Ouÿ dea.
Par bieu ! Bien fin se trouvera
295 Et bien cauteleux132, sur mon âme,
[Celuy] qui les affinera133 !
JOYEULX-SOUDAIN
Mon cas134 trop bien se portera.
BEAUCOP-VEOIR
Comment ! Y voulez-vous prétendre ?
A ! se vous montez jusques-là,
300 Je croy qu’on vous fera descendre.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce cas-cy ne puis bien entendre ;
Vous avez esté si huppé !
BEAUCOP-VEOIR
Depuis, on le m’a bien fait rendre,
Car j’ay esté tousjours trompé.
JOYEULX-SOUBDAIN
305 Pourquoy ?
BEAUCOP-VEOIR
J(e) y ay esté gruppé
Au tresbuchet135, et bien fourby136.
Maintes fois m’y suis attrappé.
Hélas ! j’en suis tout desgarny137.
JOYEULX-SOUBDAIN
Comment ?
BEAUCOP-VEOIR
Pour ung jour et demy,
310 J’euz138 quatre paires de souliers
— Seullement pour estre joly,
Car les miens estoyent tous entiers.
JOYEULX-SOUDAIN
Je suyveray139 bien ces santiers.
BEAUCOP-VEOIR
Hélas ! j(e) y ay eu tant de maulx,
315 Trop plus que ces pallefreniers
Qui gardent tousjours les chevaux.
JOYEULX-SOUDAIN
Et ! vécy des cas bien nouveaux.
BEAUCOP-VEOIR
Touteffois, elle estoit finette :140
Elle eut, par moy, de bons morceaux141.
320 Que Dieu met en mal an142 Perrette !
JOYEULX-SOUDAIN
La paix n’est-elle pas reffaicte ?
BEAUCOP-VEOIR
Ce fut ung jour de mercredi.
En chemise, sur la perchette143
Je fuz trois heures et demy.
JOYEULX-SOUDAIN
325 Trois heures ?
BEAUCOP-VEOIR
Nostre Dame, ouy !
Elle me joua de ce tour.
JOYEULX-SOUDAIN
Vous me faictes bien esbahy.
BEAUCOP-VEOIR
Ce fut pour avoir son amour
[Que fuz en si piteux séjour.]144
330 Quant son mary vint à l’hostel,
Elle me donna ce bonjour145.
Joyeulx-soudain, le cas fut tel.
JOYEULX-SOUDAIN
Par le sacrement de l’autel146 !
Vélà terrible fiction !
BEAUCOP-VEOIR
335 Je fuz bien sallé de gros sel147 ;
C’estoit toute mon unction148.
JOYEULX-SOUDAIN
Ce n’est qu(e) ymagination :
Vous l’avez trouvé en voz manches149.
BEAUCOP-VEOIR
Je ne sçay quel chion-chion150,
340 Mais j’en tremblay les fièvres blanches151.
JOYEULX-SOUDAIN
Combien de fois ?
BEAUCOP-VEOIR
Par trois dimenches
Je m’y fourray à l’estourdy.
Je m’en alloye, riant aux anges152,
Quant j’avoye bien esté fourby153.
JOYEULX-SOUDAIN
345 Vous estiez dont si estourdy
Que l’en154 [n’]avoit cure de vous ?
BEAUCOP-VEOIR
Par le sang que bieu respendit !
J(e) y ay receu de bien grans coups.
JOYEULX-SOUDAIN
Mais où ?
BEAUCOP-VEOIR
Une fois entre tous,
350 Le mary de Bellot155 me vit ;
Et je m’en vins fourrer dessoubz
Ung grant filz de putain de lict156.
JOYEULX-SOUDAIN
Tout dessoubz ?
BEAUCOP-VEOIR
Entre le challit
Et la couchette157 bien couché.
355 Et quant le paillart y saillit158,
Il crioit comme ung enraigé.
JOYEULX-SOUDAIN
Et la femme ?
BEAUCOP-VEOIR
C’est bien songé :
Elle parloit comme une caille
[Pour que de fuir j’eusse congé.]159
360 Dieu scet qu’i fist belle bataille !
JOYEULX-SOUDAIN
De vray ?
BEAUCOP-VEOIR
Et ! le paillart s’éraille160
Et tire son espée ; après,
Il vous [la fourre]161 en ceste paille
Comme se c’estoit beurre fraiz.
JOYEULX-SOUDAIN
365 Où frappa-il ?
BEAUCOP-VEOIR 162
Icy emprès.
De ce coup-là, ce fust merveille :
De ma teste il alla si près
Qu’i m’alla larder une oreille163.
JOYEULX-SOUDAIN
Et ! vélà peine nompareille.
370 Qui s’y boute trop est bien sot.
BEAUCOP-VEOIR
De ce coup-là je m’esmerveille164,
Mais touteffois, je n’en diz mot.
JOYEULX-SOUDAIN
Après ?
BEAUCOP-VEOIR
Il y eut beau trippot.
Le filz de putain regnioit165
375 Dieu et sa Mère de grant flot,
Par le sang bieu, qu’i me tueroit.
JOYEULX-SOUDAIN
Je cuide, moy, qui vous croyroit166,
Vous feriez tout le monde beste.
………………………………167
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Toute tempeste.
JOYEULX-SOUDAIN
380 Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Doulleur grevable168.
JOYEULX-SOUDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
On ront sa teste169.
JOYEULX-SOUDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Trop détestable.
JOYEULX-SOUBDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
C’est le grant diable.
JOYEULX-SOUDAIN
Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Morceau amer.
JOYEULX-SOUDAIN
385 Qu’esse d’amours ?
BEAUCOP-VEOIR
Trop abhominable.
C’est ung droit abisme170 de mer.
JOYEULX-SOUDAIN
Pource que ne povez aymer,
Vous en dictes tous ces fatras.
.
BEAUCOP-VEOIR
Seigneurs, vueillez nous pardonner,
390 Et prenez en gré noz esbas !
.
EXPLICIT
*
1 On y évoque le cimetière des Saints-Innocents et la rue Saint-Denis. Toutefois, l’auteur est d’origine picarde. 2 Chacun des deux personnages monologue sans remarquer l’autre. Beaucoup-voir <BV> est un vieil homme qui en a « vu beaucoup ». Joyeux-soudain <JS> est un jeune blanc-bec qui cherche des renseignements et non des conseils. 3 En bonne réputation auprès des femmes. 4 « Gratter sa teste : Estre fasché ; se repentir. » Antoine Oudin. 5 Trepperel <T> abrège souvent les noms dans les rubriques ; je les compléterai. 6 « Sui-ge gay ! Sui-ge nètelet ! » Le Viel amoureulx et le Jeune amoureulx <v. ma notice>. 7 Si une fois je pouvais rebander. Du bas latin gaudire (jouir), qui a donné le gaudé-michi (le réjouis-moi : le godemiché) puis l’actuel verbe goder (bander). Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 87. Notons que BV usera du véritable verbe réjouir aux vers 31 et 138. 8 J’ai vu le temps où je réalisais mes désirs sexuels. Mais désir = érection. « Mon désir est mol comme laine ;/ La paillardise est morte, en moy. » Cabinet satyrique. 9 Chanceux, bien vu par les femmes. Idem vers 119, 121, 302. 10 Je dois me coucher. 11 Quand j’ai un peu copulé. Cf. la Confession Margot, vers 114 et note. 12 T : ou la nucque (Faire la nique = narguer avec un geste obscène de la tête. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 421.) 13 Et que je frappe à sa porte (picardisme). Le prénom Margot était peu reluisant : cf. la Confession Margot, ou la Ballade de la Grosse Margot. 14 Je suce (picardisme). 15 De rires. Idem vers 82. 16 J’avais coutume de me réjouir. 17 J’attends les femmes de pied ferme. 18 J’ai depuis longtemps les yeux chassieux. 19 À cause du « vin clairet » du vers 27. « (Il) but, au disner, de vin chargé deux courges [gourdes] ;/ Lors, eust tué le prévost de Beaucaire,/ S’il n’eust eu les paupières si rouges. » Eustache Deschamps. 20 Il était emprunté par les femmes qui se rendaient en pèlerinage à Orléans, et par les étudiants. « Je y recongnu le grand chemin de Bourges. » Rabelais, Vème Livre, 25. 21 T : Gectes de gros guilleuardans (Des filets de morve.) JS entend ces dernières paroles. 22 T : le (Sans délai. « Vers vous venons sans nul demaine. » Les Enfans de Maintenant, BM 51.) JS se rapproche discrètement de BV. 23 Verge, du latin vena. « Pour aucun des fais de nature,/ J’ay encore une verte vaine. » Ung jeune moyne et ung viel gendarme : cette farce qui oppose deux générations d’amoureux présente plus d’un point commun avec notre dialogue. 24 Formule de salutation entre voyous : « Dieu gard les gueux de fier plumaige ! » (Jehan Michel.) Les étudiants, amateurs d’argot, s’en étaient emparés. JS traite BV avec condescendance, pour ne pas dire avec mépris ; dès le vers 191, il va le tutoyer. 25 T : Et 26 Ce que je fais ? 27 Écaler [ouvrir] une noix = dépuceler une fille. « Archeprestre d’Escaille-noix,/ Archediacre de Trousse-quille,/ En l’esglise Saincte-Cheville. » Guillaume Coquillart. 28 Vous me feriez concurrence. Jeu de mots sur « coup » : coït. 29 Vrai. 30 T : Mes vous que (Mais comment vous nommez-vous, vous qui…) 31 Ce sera pour une autre fois. « À Paris ? Ouy, c’est à demain ! » Mahuet. 32 Il se force à rire. 33 T : Ponrneant (Vous n’êtes pas si gai pour rien.) Néant se prononce niant, en 1 syllabe : « Il n’y a pas pour neant esté. » Le Ribault marié. 34 Pour qu’on pousse un cri d’admiration en le voyant. « Mais pour ung gallant amoureux,/ Je suis devenu gracieux./ Si disoyent les gens : “Houppegay !” » Monologue Coquillart. 35 Je suis mignon (et coloré) comme un perroquet. On entend ce refrain dans la chanson qui ouvre le Gaudisseur. 36 Le mieux est l’ennemi du bien. Voir par exemple la Ballade des proverbes, de Villon. 37 Si je suis vêtu et coiffé proprement. 38 Euphémisme pour « Dieu ». Idem vers 347. Cf. le Cuvier, vers 22. 39 Mon plaisir. 40 T : Que (Qui me plaise mieux. « Le gentil clerc luy avoit monstré aultre fasson qui trop mieulx luy plaisoit. » Cent Nouvelles nouvelles.) 41 Pour finir pendu. Cf. Gautier et Martin, vers 190 et note. 42 BV fait-il un clin d’œil à une œuvre non identifiée ? De toute manière, on accolait le nom passe-partout de Michaud à plusieurs expressions : « Souffle, Michaud ! » « C’est dit, Michaud ! » « Viens-t’en, Michaud ! » Etc. 43 Sans subir quelque dommage. Cf. les Tyrans, vers 75. 44 Quel est ton but ? Mais aussi : Où veux-tu aller bander ? Cf. la Bergerie, vers 42 et note. 45 En matière d’amour, on a du souci. 46 Ce que tu veux. Idem vers 298. « Scez-tu où veulx prétendre ? » Les Queues troussées. 47 Crétins. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 338. 48 T : serrure (BV insiste sur sa « belle ceinture » au vers 130.) 49 J’ai chié facilement la somme de 20 royaux. 50 Le salut est une pièce d’or. 51 Pour m’acheter de la fourrure d’écureuil. Cf. le Tesmoing, vers 232. 52 Vous mut (verbe mouvoir) : Qui vous incita d’abord à être amoureux ? 53 Dans la bouche du Cid, cette formule érotique deviendra héroïque : « Et pour leurs coups d’essay veulent des coups de maistre. » 54 T : fuz (Il ne se trouva jamais que je sois trompé. Mais au vers 304, BV avouera qu’il a un peu embelli la vérité.) 55 Près du cimetière parisien des Saints-Innocents. 56 Ou un trotteur qui courait les rues. Allusion à un proverbe qui dit notamment : « Jeune escolier, trotier et amoureux. » Les femmes qui vont à un rendez-vous galant disent à leur mari qu’elles vont prier saint Trottet ; cf. le Povre Jouhan, vers 287 et note. 57 Habile. 58 Des bagues ornées d’un sceau. 59 Munie d’une boucle. 60 Une belle stature. 61 T : Dhuy sans (De parfaits souliers en cuir de Cordoue.) 62 Désormais. 63 Cette rue parisienne était déjà mal famée. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 425-6 et note. 64 Rassuré. Les sergents du guet, au cours de leurs rondes nocturnes, rançonnaient les passants. Cf. le Faulconnier de ville, vers 117. 65 Ces 2 mots manquent. Cf. la Mère de ville, vers 45. 66 T : la finesse (Les ruses que vous avez employées. « Les finesses Pathelin. » Dyalogue pour jeunes enfans.) 67 T : Je ouy (Voir le v. 182.) 68 Je songeai à me cacher. 69 Je m’introduisis. Le portail était percé d’une petite porte appelée « guichet » ; c’est par là que se faufilaient tous les amants de Madame. 70 De céans. Elle n’a plus de mari, mais elle agit avec discrétion pour ne pas réveiller ses domestiques. 71 Que je ne savais d’où je venais. 72 À l’étage, où se trouvent les appartements. Nous verrons que la dame utilise le rez-de-chaussée comme boutique. 73 Continuez ! 74 Sorte de jeu de dames où un pion, le renard, « doit attaquer & prendre douze pions qu’on appelle poules ». (Furetière.) C’est un des jeux de l’enfant Gargantua <chap. 22>. 75 T : pilla (On confondait facilement le « s » long avec le « l » : ſ et l.) Le juron normal se lit dans la Farce de Pathelin : « Par le sainct sang que Dieu rëa ! » Raya = répandit, que BV emploie d’ailleurs au vers 347. Eustache Deschamps condamnait ce juron : « Et “le saint sang que Dieu roya”/ Jurent hui maint, mais c’est folie. » La proximité graphique entre pilla et raya n’étant pas évidente, je préfère m’appuyer sur Étienne Tabourot, qui écrit à propos du vin — c’est-à-dire du sang du Christ : « Voilà du vin que Dieu pissa de sa quine [verge]. » 76 Mignonne. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 328. 77 Tétine, poitrine. 78 Ce qu’elle. La dame, sans doute veuve, avait pourtant été enceinte récemment. 79 T : esbute (Hébété, ahuri. « Que des amoureux esbétéz. » Claude de Trellon.) 80 Je croyais qu’on se moquait. 81 C’était sérieux. Cf. l’Avantureulx, vers 316. 82 En érection. « Le “billouart” se mettoit en point &, à ce conte, Jacques s’enfiloit avec sa femme. » Béroalde de Verville. 83 Et je vais me mettre. 84 T : mondain (Le lapsus tient au fait que ce Joyeux-mondain fut sans doute un personnage de farce ; voir la note 299 des Botines Gaultier.) 85 Ma mystification. 86 Car la femme aurait reconnu que je n’étais pas celui qu’elle attendait. 87 Près de moi. Voir le vers 205. 88 Pour remporter la cocarde, la récompense. Mais une coquarde est aussi une poularde et une femme légère. 89 Frayeur. « Morbieu, j’ay eu belle vésarde ! » Te rogamus audi nos. 90 C’en était fait de moi. « Il est de moy sué. » Le Dorellot. 91 T : affin (Il m’aurait mis à mort. Cf. Colin filz de Thévot, vers 4 et 38.) 92 Selon la coutume. Mais aussi : selon ma rigidité. Cf. la Mère de ville, vers 9. 93 Ce bon morceau. 94 T : faitz (Dessous et dessus.) Les bourses des femmes d’un certain rang valaient parfois plus que leur contenu. 95 La bourse pleine est comparée à un fruit juteux, comme au vers 130 des Trois amoureux de la croix. 96 Chanceux. Le même vers est configuré différemment à 269 et 282. 97 T : vue 98 Au diable. Cf. les Sotz qui corrigent le Magnificat, vers 321. 99 Délabré. 100 Que fîtes-vous ? Un valet est un jeune garçon. 101 Forme picarde de jamboyer : faire les cent pas. 102 Dans la maison de ma maîtresse. Le rez-de-chaussée abrite un commerce de drap. 103 Bien inspiré. 104 Ne nous courrouçons pas. BV fait semblant de discuter le prix d’une étoffe avec la drapière, pour ne pas donner l’éveil aux vendeurs. 105 De mon sein : de sous ma robe. 106 Astucieusement, par feinte. 107 Reçu. 108 T : fust (Quand la drapière eut vu la bourse.) 109 Sa forme fut reconnue par la drapière. 110 T : Plustost 111 Elle me lorgnait du coin de l’œil. Cf. le Résolu, vers 32. 112 Il faut que nous allions dans l’arrière-boutique chercher l’étoffe que vous désirez, sans que vous fassiez du scandale. La drapière parle à voix haute pour les vendeurs et les clients. 113 T : Tendez tu (Ne tendais-tu pas les mains, pour tâter le drap ou la drapière ?) 114 Pas moins. 115 Que vous ne parliez à personne. Cf. la Confession du Brigant, vers 54. 116 Que vous la cachiez, de peur que mes employés ne la reconnaissent. 117 Il éclate de rire. 118 « C’est ung très bon drap de Rouen », d’après maître Pathelin, qui en vole 6 aunes pour sa femme et lui. 119 Elle me dora les mains : elle me graissa la patte (comme avec de l’or) pour acheter mon silence. Cf. la Mère de ville, vers 36. 120 Je fis semblant de refuser. 121 T : bouteille (Je n’en ai plus vu le bout de l’oreille : je ne l’ai pas revue.) 122 Locution désabusée qu’on pourrait traduire par : Causez toujours ! « –Le vous feray-je ? –Ouy dea, trois ! » Le Dorellot. 123 Pour les réchauffer pendant qu’il faisait le pied de grue sous la fenêtre d’une belle. « Il souffle souvent en ses doigts. » Le Gaudisseur. 124 Compagnon. 125 Si je devais aller et venir par le pays. Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 180. 126 Admirable ! Cf. Jehan qui de tout se mesle, vers 7. 127 Comptez-vous là-dessus ? 128 Ne vous y fiez pas. 129 Malchance, malheur. 130 Considéré que je suis vieux et faible. Cette tournure juridique est employée contre un amoureux décrépit dans le Procès d’ung jeune moyne et d’ung viel gendarme : « Or, veu que vous avez vescu (…),/ Vous estes faible. » 131 Sont-elles expertes ? Nous dirions : Elle connaissent la musique ! « Ne vous chaille, j’entens ma game. » Régnault qui se marie. 132 T : oultrageux (Bien malin. Voir le v. 188.) « Qui de parolle cuyderoit femme vaincre (…),/ Tant soit expert, cauteleux & bien fin. » Gratien Du Pont. 133 Qui les bernera. Voir ce Rondeau. 134 Mon affaire. Mais le cas désigne aussi le pénis ; cf. les Cris de Paris, vers 429 et note. 135 J’ai été pris au piège. Cf. Jénin filz de rien, vers 130. 136 T : iougny (Fourbé, victime d’une fourberie. Idem vers 344.) 137 Dégarni d’argent. 138 Je me suis acheté. 139 Je suivrai. Le « e » svarabhaktique est picard. 140 T distribue ce vers à Joyeux-soudain. Beaucoup-voir, maintenant qu’il est lancé, saute du coq à l’âne sans trop se préoccuper de savoir si on arrive à le suivre, tel le vieux bavard du Tesmoing. 141 On songe à cette épouse qui, voyant sans armure la braguette de son mari soldat, craignait de perdre « le bon morceau dont elle estoit friande ». Rabelais, Tiers Livre, 8. 142 Que Dieu mette en mauvaise année, en malheur. « Dieu met en mal an le folastre ! » (La Résurrection de Jénin Landore.) Perrette est une fille facile qu’on croise dans nombre de farces et de chansons ; voir la note 5 de Jehan de Lagny. 143 Sur le perchoir : sur le demi plafond à claire-voie qui sert de poulailler intérieur dans certaines maisons. C’est là que se perchent les amants du Poulier à quatre personnages et du Poulier à sis personnages lorsque le mari débarque à l’improviste. 144 Vers manquant. « Vé-me-cy en piteux séjour. » Colin qui loue et despite Dieu. 145 Ce mauvais tour. Cf. Frère Frappart, vers 145 et note. 146 T : lhostel (à la rime du v. 330.) Ainsi corrigé, c’est notamment le vers 173 de Jehan qui de tout se mesle. 147 Je fus bien assaisonné. Voir les Femmes sallent leurs maris. 148 Mon onction : ce fut ma seule consolation. 149 Vous tirez cette histoire de votre manche, comme les escamoteurs publics en tirent des œufs durs. 150 Locution inconnue, peut-être apparentée au très scatologique chia-brena, qui désigne les embarras causés par les femmes. « Le chiabrena des pucelles. » Pantagruel, 7. 151 Je tremblais de désir. « Affin d’avoir les poictrines plus blanches/ Et pour tenir les tétins plus serréz,/ Qui font à maints trembler les fièvres blanches. » L’Advocat des dames de Paris touchant les pardons Sainct-Trotet. 152 T : autres (Même rime négligée dans les Sotz qui corrigent le Magnificat : « Ces vrays amoureux des dimenches (…),/ Ilz s’en vond tous riant aux anges. ») 153 Victime d’une fourberie (note 136). 154 T : nen (Voir le v. 248.) Que l’on : que vos maîtresses. 155 Diminutif d’Isabelle. C’est encore un nom douteux ; par exemple, G. Coquillart le donne à la tenancière d’un bordel : « Bellot a ses deux filles grosses [enceintes],/ Qu’el descharge d’une massue/ Et d’ung ravault sur leurs endosses [d’un coup de bâton sur les reins]. » 156 Aujourd’hui, nous dirions simplement : sous un putain de lit. 157 T : couste tout (BV est étendu sur une couchette, sous le châlit du lit principal.) Les riches ont dans leur chambre un lit de camp où dort la chambrière. Le jour, on pousse cette couchette sous le lit des maîtres. « Une petite couchecte qui est dessoubz le lit. » ATILF. 158 Quand le mari fit irruption. 159 Vers manquant. L’épouse attire l’attention de son mari afin que Beaucoup-voir ait la possibilité de s’enfuir. « Il a eu congé de s’en aller. » ATILF. 160 T : se raille (Roule les yeux. « Cateline serre les dens, esraille les yeux. » ATILF.) BV qui, dans sa cachette, ne pouvait pas voir le jaloux, dramatise la situation à plaisir ; JS va le lui reprocher à 377. 161 T : fourroit (Il plante son épée dans la paille qui emplit le matelas du lit principal. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 123.) 162 Il montre son oreille. 163 Dans le Monologue Coquillart, la blessure de l’amant est accidentelle : « Le paillart paige fist merveille,/ Car il fist si parfonde enqueste [car il planta sa fourche si profond dans le foin où je me cachais]/ Qu’il me va larder une oreille. » 164 T : men resueille (Je suis surpris.) 165 Jurait sur. « Il regnya Nostre Seigneur qu’il tueroit ledit Blanchefort. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 166 Je pense, moi, que si on vous croyait. 167 Il manque un vers en -oit et un vers en -este. 168 Cruelle. 169 « Femmes nous font bestes,/ Et rompre les testes/ Par cris et tempestes. » Le Viel amoureulx et le Jeune amoureulx <v. notice>. 170 C’est un vrai abîme, un gouffre.
MESSIRE JEHAN
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MESSIRE JEHAN
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Messire Jean est une des incarnations de l’ecclésiastique paillard et sans scrupule : on le rencontre dans Jénin filz de rien, dans Jehan de Lagny, dans le Testament Pathelin, dans le Savetier Audin, etc. Ici, tout comme dans l’Eugène d’Étienne Jodelle (1552), messire Jean est le chapelain d’un prêtre. Ce dernier, qui convoite la maîtresse du chapelain, n’est pas le personnage le moins pervers de la pièce : en virtuose de la confession, il extorque les détails les plus scabreux au jeune Jacquet (le fils bâtard de messire Jean et de sa maîtresse), un simple d’esprit qu’on fait parler ou qu’on fait taire en lui offrant du vin.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 29. Cette farce normande remonte aux années 1520 ; elle avait donc beaucoup circulé avant que le copiste idiot du ms. La Vallière ne la dégrade encore, un demi-siècle plus tard : bref, elle est dans un état déplorable.
Structure : Rimes plates, avec 1 triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À quatre personnages, c’est assavoir :
MESSIRE JEHAN
LA MÈRE DE [JAQUET]
JAQUET, qui est Badin 1
LE CURÉ
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MESSIRE JEHAN 2 commence SCÈNE I
Dieu te gard, Jaquet, mon amy !
Je ne te voys pas à demy3,
Tant suys espris de ton amour.
LE BADIN [Jaquet]
Et mon Dieu, que vous estes flatour4 !
5 Savons bien pourquoy vous le dictes.
MESSIRE JEHAN
Pourquoy esse ? Dy-lay5 !
LE BADIN
Vresmyques6 !
Je ne vous en diray [plus] rien.
MESSIRE JEHAN
Tu ne feras donques pas bien :
Tu te peulx bien à moy fier.
LE BADIN
10 Et ! mon Dieu, que vous seriez fier7
Se vous le saviez, messir(e)8 Jehan !
MESSIRE JEHAN
Tu n’auras rien donc de cest an9.
LE BADIN
[Ne] me donr[i]ez-vous donc à boyre10,
Sy vous veniez onc11 veoir ma mère ?
15 [Aussy] de la chair ou du choisne12,
Dictes ?
MESSIRE JEHAN
Ouÿ, par sainct Anthoeine !
Je t’en donray, tu en auras.
LE BADIN
A ! je ne le vous diray pas :
Vous viendr[i]ez au logis en13 ville.
MESSIRE JEHAN
20 Escouste, parle à moy, anguille14 !
Tu es un très merveilleur15 corps !
LE BADIN
Sy vous savyez [qu’il fust]16 dehors
De l’ostel17, de messir(e) Jehan, mon père18,
Bien tost viendryez-vous19 voèr ma mère.
25 Mays je ne le [vous] diray mye.
MESSIRE JEHAN
Vien çà ! Dy-moy [donc], je te prye,
Quant viendra20 ? Dy-moy hardyment ;
Poinct ne t’acuseray, vrayment.
LE BADIN
Qui vous a dict qu’il est dehors ?
30 Le deable me [rompe le corps]21 !
Je croy que vous [m’oignez bien d’]22 huylle.
MESSIRE JEHAN
Or je te pry par raisons23 mille :
Dy-moy quant c’est qu’i reviendra.
LE BADIN
À retourner el24 l’atendra
35 (Mauldict soye-ge !) demain au soir.
C’est un homme de grant valoir.
Messir(e) Jehan, y vous fault pencer
Que me donnerez à souper,
Se venez coucher cheulx25 ma mère.
MESSIRE JEHAN
40 Je le veulx bien.
LE BADIN
Sans vous desplaire26.
MESSIRE JEHAN
(Tu es un garson odieulx.)
LE BADIN
Mon serment ! el vous ayme myeulx
Que mon père, je le say bien.
MESSIRE JEHAN
Taisez-vous27 !
LE BADIN
Je n’en diray rien
45 À mon père, ne vous en chaille,
Car mon père poinct ne me baille
Du vin à boyre comme vous.
MESSIRE JEHAN
Et ! qu’esse icy ? Vous térez-vous ?
LE BADIN
Et ! comment donc ? Qui esse qui m’ot28 ?
MESSIRE JEHAN 29
50 Tès-toy, ne parle mèsuy30 mot !
Entens[-y], je te prye, beau sire.
LE BADIN
En bonne foy, je le voys31 dire
À ma mère, alant le [grant] pas32.
MESSIRE JEHAN
Quoy ?
LE BADIN
Je luy diray que de beaulx draps
55 Blans elle mète à nostre lict,
Et qu(e) y coucherez ceste nuict,
Ainsy que vous avez amors33
Quant mon père est alé dehors.
MESSIRE JEHAN
Ne luy dist pas, el te batroict.
LE BADIN
60 Aussy bien elle y en métroyct ;
Et ! qu’av’ous34 perdu qu’on luy die ?
MESSIRE JEHAN
Non feras, que Dieu te mauldie !
LE BADIN
Bien35.
.
Je say bien que36 je feray. SCÈNE II
Par mon serment ! je mengeray
65 De bon pain blanc et de la cher37,
Car messir(e) Jehan s’en vient coucher
Ceste nuict avec[ques] ma mère.
Et sy, n’en séra38 rien mon père.
.
Escouste[z], hay ! Ma mère, hau ! SCÈNE III
LA MÈRE entre 39
70 Que veulx-tu ? C’a-il40 de nouveau ?
LE BADIN
Messir(e) Jen vient : boutez41 la table !
LA MÈRE
Et ! taisez-vous, de par le deable !
…………………………………….
« Enfant ayme qui beau luy dict.42 »
LE BADIN
In Jen43 ! je soys de Dieu mauldict !
75 Mon père le séra, alez.
LA MÈRE
Par ma foy ! sy vous en parlez,
Ma foy, je vous assommeray !
Et sy, vous n’érez44 rien de moy
Qui ne soyt après la Sainct-Jehan.
LE BADIN
80 Par mon serment ! messire Jehan
M’a promys qu’i me donnera…
Voyre dea : qu’il45 aportera
À boyre et de toult aultre bien.
Mais je ne vous en diray rien.
LA MÈRE
85 Par ma foy, tu es bien subtil !
LE BADIN
Par mon serment ! il est gentil ;
Y m’ayme bien, c’est un bon homme.
S’y n’avoyt à luy c’une pomme,
Sur ma foy, il me la bauldroict46.
LA MÈRE
90 Tu es fol naturel à droict47,
Par l’image du crucefis48 !
LE BADIN
A ! il m’ayme comme son fis.
Tout plain de gens disent, aussy,
Que suys son fis : est-il ainsy ?
95 Vous semble-il que je soys aintel49 ?
LA MÈRE
Et ! tais-toy ! Tu n’as que frestel50
[Et que babil.]
.
MESSIRE JEHAN 51 SCÈNE IV
Holà ! Holà !
.
LE BADIN SCÈNE V
Escouste, escouste, le voylà ! 52
Ma mère, vécy messir(e) Jehan.
LA MÈRE
100 Paix ! Que Dieu te mect[e] en mal an53 !
LE BADIN
Que je suys fier54, [par] Nostre Dame !
LA MÈRE
Se tèra ce garson infâme ?
LE BADIN 55
Entrez, entrez : mon père n’y est pas.
LA MÈRE
Ne parleras-tu poinct plus bas ?
105 Tu en auras56, par sainct Remy !
LE BADIN
Voécy [messir(e) Jehan, mon amy]57 ;
Ma mère, en estes-vous bien fière ?
LA MÈRE
Tu [en] éras sur ton dèrière,
Je le voys bien.
.
MESSIRE JEHAN 58 SCÈNE VI
Dieu gard, commère !
LA MÈRE
110 Et à vous aussy, mon compère !
MESSIRE JEHAN
Métez ce pot de vin à poinct59.
LA MÈRE
A ! vrayment, il n’en faloyt poinct.
MESSIRE JEHAN
Tiens60, Jaquet, voélà une pomme.
LE BADIN
Vrayment, vous estes un bon homme.
LA MÈRE
115 Remercye-lay, Dieu te mauldye !
LE BADIN
Vous n’avez garde que je dye
À mon père que venez seans61.
LA MÈRE
Je croy qu’i se moque des gens :
N’est-il pas moins62 sot qu’i ne semble ?
LE BADIN
120 Couchez-vous tous [les] deulx ensemble !
LA MÈRE
Mais regardez-moy quel danger !
MESSIRE JEHAN
Il ne fault poinct, pour abréger,
Que devant luy rien nous fasson.
Y nous fault trouver la fasson
125 De l’envoyer à la chandelle63.
LA MÈRE
Y le fault batre comme toylle64 !
Vien çà, Jaquet !
LE BADIN
Hau !
LA MÈRE
[Mais quel « hau » ?]65
Tu es encore bien nouveau66 ;
Ne says-tu67 dire : « Que vous plaist ? »
LE BADIN
130 Hau ! hau ! « Que vous plaist ! »
LA MÈRE
Bo, que de plaict68 !
Aler te fault aler au prébitaire69.
LE BADIN
Nostre Dame ! qu’iray-ge faire ?
Vous m’envoyez tousjours ainsy,
Quant messire Jehan est icy.
LA MÈRE
135 Et, dea ! fault-il [tant] c’on quaquète ?
LE BADIN
Que j’ayes70 donc de ceste bouète
Que messir(e) Jehan vous a baillée !
MESSIRE JEHAN
C’est raison qu’il ayt la lipée71 ;
Jaquet, à toy je m’en voy boyre.
LE BADIN
140 Je vous remercye, mon père72…
C’est « messir(e) Jehan » que je doys dire.
MESSIRE JEHAN
Comment, « ton père » ? Hélas, beau sire,
Tu ne says pas bien que73 tu dis !
LE BADIN
Par mon serment ! y m’est avis,
145 Quant parles à mon propre père,
Que c’est à vous.
MESSIRE JEHAN
Je croy que voire.
Boy vitement ! Sy, partiras.
LE BADIN
G’y voys74.
LA MÈRE
Qu’esse que tu dyras ?
Où t’en vas-tu ?
LE BADIN
Au prébitaire.
LA MÈRE
150 Et ! voire ; mais qu’i vas-tu faire ?
LE BADIN
Et ! vous ne m’avez poinct dict qué75.
LA MÈRE
Y pert que les py[e]s l’ayent76 cauqué.
Tristre77 vilain, mauldist soys-tu78 !
Tu luy diras, vilain testu,
155 Se c’est son plaisir, qu’i nous preste
Une chandelle. Et [sy], n’areste
(Entens-tu bien ?) ne brin ne gouste79 !
LE BADIN
Non ferai-ge, n’en ayez doubte80.
LA MÈRE
Vien çà ! Comme luy dyras-tu ?
LE BADIN
160 Je luy diray : « Vilain testu… »
LA MÈRE
Je pry Dieu que tu soys mauldict !
LE BADIN
Sur ma foy ! vous me l’avez dict.
LA MÈRE
Et ! ne séroys-tu myeulx parler ?
Ainsy te fauldra commencer :
165 « Monsieur le Curé, désbonsoir81 ! »
Ou « désbonnuyct », ce m’est tout un.
Saluer le convyent par run82.
Puys gentiment emprunteras
La83 chandelle. Et tousjours éras
170 La main au bonnet84.
LE BADIN
Et ! bien, bien.
LA MÈRE
Par ma foy ! tu ne congnoys rien ;
Tu es plus sot qu’agnyau qui belle85.
Va-t-en disant « une chandelle »,
Afin que tu ne l’omblye86 pas.
175 Et revyens87 plus tost que le pas !
.
LE BADIN 88 SCÈNE VII
[Je le veulx mettre en ma cervelle :]89
« Une chandelle. Une chandelle… »90
Que deable ! je ne say que c’est ;
À bien peu que je ne suys quest91.
180 Le deable y ayt part à la pierre !
Je ne say plus que je voys querre92,
Maintenant… Je seray mengé93.
.
Ma mère, je suys trébuché ; SCÈNE VIII
Par mon serment, un bien grant sault94 !
185 Je ne sçay plus ce qu’il me fault.
LA MÈRE
Une chandelle, dy, vilain !
LE BADIN
Et bien, bien.95
LA MÈRE
Garde-toy bien de dire rien
De messir(e) Jehan !
LE BADIN
Et ! je n’ay garde96.
.
LA MÈRE SCÈNE IX
Par ma foy ! quant je [le] regarde,
190 Ce garson est encor bien sot.
MESSIRE JEHAN
Ne me chault, mais qu’i ne dye mot
De moy : car je seroys infâme.
.
LE BADIN 97 SCÈNE X
Holà ! Hay ! A-il céans âme98 ?
LE CURÉ entre 99
Qui esse là ?
LE BADIN
Et ! c’est mé100.
LE CURÉ
Qui, « mé » ?
[ LE BADIN
195 Jaquet.
LE CURÉ ]
Que ne t’es-tu nommé ?
LE BADIN
Et ! c’est Jaquet.
LE CURÉ
Entre, beau sire,
Et c’on sache que101 tu veulx dire.
LE BADIN 102
Dieu gard ! Dieu soyt ceans ! Désbonsoir !
LE CURÉ
Entre, Jaquet, et viens te soir103.
LE BADIN
200 Ma mère se commande104 à vous
Plus de cent foys, entendez-vous ?
Elle m’a dict deulx ou troys coups
Qu’el[le] vous prira par amours
Que luy envoye[z]… je ne say quoy.
205 Je n’en says rien, quant est à moy105,
Car par ma foy, j’ey omblyé ;
Par quoy, j’en suys tant ennuyé.
À ma mère savoir je voys106.
.
Ma mère, qu’esse que je doys SCÈNE XI
210 À nostre curé emprunter ?
LA MÈRE
Le deable te puisse emporter !
Faloyt-il, pour ce107, revenir ?
Et ne séroys-tu retenir
« Une chandelle », dy, vilain ?
LE BADIN
215 Et bien, bien108.
.
MESSIRE JEHAN SCÈNE XII
Entendez vous : pour tout certain,
Y nous joura un mauvays jeu.
LA MÈRE
Ma foy, il est sot en toult lieu.
[MESSIRE JEHAN] 109
Ma foy, c’est un dangereulx sot,
Pour le vous dire [bref et]110 tost ;
220 Et en érons froyde nouvelle111.
.
LE BADIN 112 SCÈNE XIII
Mon seigneur113, c’est une damoyselle !
LE CURÉ
Tu en éras, Jaquet, vrayment !
Pourquoy as-tu sy longuement
Mys la main à ton bonnet ?
LE BADIN
Et ! voyre.
LE CURÉ
225 Pourquoy esse ? Dy-lay !
LE BADIN
Ma mère
M’a dict que je [l’y ayes]114 tousjours
Quant je vouldray parler à vous.
LE CUR[É]
[Ne le fault à tort, mais]115 à droyt.
LE BADIN
Ma foy ! ma mère me batroyt.
LE CURÉ
230 Vous l’ôterez116, vrayment, beau sire.
LE BADIN
Bien ; mais il ne le fault poinct dire
À ma mère, [m’]entendez-vous ?
LE CURÉ
Vien çà, Jaquet.
LE BADIN
Que voulez-vous ?
LE CURÉ
Et ! que tu parles sotement !
235 Parle un petit117 plus gentement.
LE BADIN 118
« Que vous fault-il ? » Je parle aussy gresle
Comme faict une Damoyselle119.
LE CURÉ
Tu parle[s] aussy droyt c’un mesle
Qui est en la cage120, beau sire.
LE BADIN
240 Me voulez-vous [pas] faire dire
Ce que ma mère a121 défendu ?
LE CURÉ
Ce n’est pas trop mal entendu.
LE BADIN
Aussy je ne le diray mye.
LE CURÉ
Or vien çà ! Dy-moy, je te prye,
245 Beau sire, qui est cheulx122 ta mère.
LE BADIN 123
Que voélà de beau rouge [à] boyre !
LE CURÉ
Vrayment, Jaquet, tu en buras ;
Mais av[ant], sy, tu me diras
Qui est cheulx ta mère, entens-tu ?
LE BADIN
250 Par ma foy ! je seroys batu.
LE CURÉ 124
Tien, tien, avale ce petit,
Et goûte de quel apétit
Il est, se tu n’es équeuré.
LE BADIN 125
Grand mercy, monsieur le Curé !
LE CURÉ
255 Il est bien meileur que cervoyse.
LE BADIN
Mon serment, vous estes bien èse126 !
En buvez-vous tousjours de tel ?
LE CURÉ
Dy-moy qui est à vostre hostel,
Tu buras encor de mon vin.
LE BADIN
260 Et ! mon Dieu, que vous estes fin !
Vous voulez tousjours [tout] sçavoir.
Mon serment ! je vouldroys avoir
Une aussy belle robe que vous.
LE CURÉ
Mais qu’en feroys-tu ? Dy-le-nous,
265 Afin que plus tu ne crételle127.
Messir(e) Jehan [n’a-il]128 poinct de telle ?
LE BADIN
[Nennin,] elle n’est poinct pelue129
– Au moins celle qu’il a vestue130 –
Par-dedens, comme la vostre est.
LE CURÉ
270 Jaquet, tu n’es pas encor prest
D’avoir chandelle, sûrement,
Se ne me dis premièrement
Se messir(e) Jehan est à l’ôtel.
LE BADIN
Qui vous a donné ce coustel131 ?
275 Il est bel. Où en est la gayne ?
LE CURÉ
Or me dis132 donc, sans plus de paine,
Se messir(e) Jehan est à vostre astre133.
LE BADIN
A ! vous me voulez faire batre
À ma mère, je le voys bien.
LE CURÉ
280 Vrayment, elle n’en séra rien.
LE BADIN
Par ma foy ! el(le) frape tousjours ;
Se messir(e) Jehan ne m’eust rescous134,
L’autre jour, el m’eust bien batu.
LE CURÉ
Messir(e) Jehan [couche tout vestu]135,
285 Ou y se despouile136, avec ta mère ?
LE BADIN
Il se despouile quant mon père
Ne doibt poinct au soir revenir.
LE CURÉ
Quant tu as137 deu icy venir,
Avec ta mère il y estoyt ?
LE BADIN
290 Et ! sur mon âme, non estoyt !
LE CURÉ
Vrayment, il y debvoyt souper ?
LE BADIN
Ma foy, poinct n’avez vostre pèr138 :
Au moins, tousjours tout vous savez.139
Monsieur le Curé, vous avez
295 Icy de belles gens, av’ous140 ?
LE CURÉ
Voyre, Jaquet.
LE BADIN
Que [n’estes-vous]141
Parmy ces belles damoyselles !
LE CURÉ
Veulx-tu poinct coucher avec elles ?
LE BADIN
Ouy, ouy, mais vous en seriez mar[r]y.
LE CURÉ
300 Veulx-tu poinct estre le142 mary
D’une d’icy ?
LE BADIN
[Moy ?] Et quoy donques143 !
[De plus belles je ne vys oncques.]144
Nous serions tant aise, nos deulx145 !
Demandez-vous sy je la veulx ?
305 Ouÿ ! Et sy, veulx estre prestre146.
LE CURÉ
Tu ne séroys, ce me semble, estre
Prestre et marié [tout] ensemble.
LE BADIN
Pourquoy ? [Cela n’est sans example]147 :
Ma mère, sans estre hariée148
310 (Entendez-vous ?) est mariée
À mon père ; et sy149, est prestresse.
LE CURÉ
Or je te pry : dy-moy qui esse,
Gentil Jaquet, qui te l’a dict.
LE BADIN
In Jen ! je soys de Dieu maudict
315 Sy vous n’êtes fort enquérant150 !
Qui mengeust vostre demourant151,
Monsieur le Curé ? Vostre basse152 ?
LE CURÉ
Voyre, Jaquet.
LE BADIN
Elle est bien grasse,
D’avoir de sy bonne mengaille153 !
LE CURÉ
320 Jaquet, y fault que je t’en baille.
LE BADIN
Et ! baillez çà !
LE CURÉ
Atens154 encor,
Car tu me diras, par sainct Mor,
Quant c’est que messir(e) Jehan y vient.
LE BADIN
Par ma foy ! oncques155 il n’y vient
325 Synon quant mon père est dehors ;
Maishuy156 survyent.
LE CURÉ
Mengust ung mors157,
Puys tu auras tantost à boyre.
LE BADIN
Vous me faictes bien bonne chère,
Monsieur le Curé, de ce choisne.
LE CURÉ
330 Je t’ayme mieulx, par sainct Anthoine,
Que s’estoys158 mon cousin germain !
LE BADIN
Ne mengez-vous oncques159 de pain ?
Meng’ous160 du choisne ou de la miche ?
LE CURÉ
Par ma foy ! je ne suys pas siche161.
LE BADIN
335 Mon Dieu, qu’estes-vous èse162, icy !
LE CURÉ
Par ma foy ! tu seras ainsy
(Le cas venu) y aparyé163,
Sy t(u) es une foys marié.
Vien çà ! laquelle veulx-tu avoir ?
LE BADIN
340 Et ! vous la v[i]endriez souvent voir,
Comme messir(e) Jehan faict ma mère !
LE CURÉ
Quant y vient-il ?
LE BADIN
C’est quant mon père…
A ! il n’y vient poinct, sur ma foy,
Car ouez vous a je me croy
345 Voir164 ma mère, par le grand Roy !
El me batroyt de vous le dire.
LE CURÉ
Je te pry, dy[-le-]moy, beau sire.
LE BADIN
Donnez-moy donc de vostre cher165,
[Car je n’ay plus rien à mascher.]
LE CURÉ
350 Tu en éras, vrayment, Jaquet ;
Or tien, emple bien ton saquet166.
Que cest os-là vous soyt curé167 !
LE BADIN
Gros mersy, monsieur le Curé !
LE CURÉ
(Y se168 faict gras comme un ouéson.)
LE BADIN
355 Voécy une belle maison,
Monsieur le Curé !
LE CURÉ
Ma foy, voire.
LE BADIN
Par mon serment, elle est bien clère !
Voilà de belles Nostres Dames169 !
Et ! je vous demande : ces femmes
360 Sont-elles trèstoutes vos basses170 ?
LE CURÉ
Nennin dea, Jaquet. Je me passes
À moins171 ; il ne m’en fault poinct tant.
LE BADIN 172
Je vous pry, baillez-moy contant173
Ma174 chandelle, je vous emprye.
LE CURÉ
365 Vien çà ! Quant ton père n’est mye
À l’ôtel, tu le vas quérir175
Et le fais promptement venir,
Ainsy comme un simple valet ?
LE BADIN 176
Mon serment ! je n’en ay que faire :
370 Il y vient bien tout seulet.
LE CURÉ
Mais voyre ?
……………………………………
LE BADIN
Y se couchent177 entre deulx draps
Et s’entre-acolent178 bras à bras
Dedens un lict, de boult en boult.
Par mon serment ! vous savez toult ?
375 Qui vous l’a dict ?
LE CURÉ
Et [sy], ton père
Faict à messir(e) Jehan bonne chère179 ;
Bien aise est de l’entretenir.
LE BADIN
A ! il n’a garde d’y venir,
À l’ostel, quant mon père y est.
LE CURÉ
380 Jaquet, voycy qui me desplaist !
Que tousjours messire Jehan casse
La fenestre par où il passe,
C’est une mauvaise besongne !
LE BADIN
Par mon serment, ce n’est que hongne180 !
385 N’a-il pas la181 clef de nostre us
De dèrière ? Y n’y passe plus182…
LE CURÉ
Quant y vient, les chiens disent-il rien ?
LE BADIN
Nennin, y le congnoissent bien.
LE CURÉ
Et qui [se] couche aveques eulx183 ?
LE BADIN
390 Y n’y couche âme que ces184 deulx.
LE CURÉ
Et toy, Jaquet, où couches-tu ?
LE BADIN
En un câlict185.
LE CURÉ 186
[Rien n’entens-tu]187,
Jaquet ? S’entr’ébatent-il poinct188 ?
LE BADIN
J’os bien messire Jehan qui gainct189,
395 Et ma mère luy va disant :
« Messir(e) Jehan, vous estes pesant ! »
LE CURÉ
Et que font-il, par ton serment ?
LE BADIN
Et ! mauldict soyt-il qui ament190 !
Ce191, vous le savez myeulx que moy.
400 Et sy agardez je vous en croy, ma foy,
Je seray assommé de coups,
Monsieur le Curé, et192 par vous.
[Çà !] donnez-moy une chandelle !
LE CURÉ
Tien, Jaquet, veulà une belle ;
405 Les troys [en] valent myeulx que sis.
LE BADIN
Adieu donc !
LE CURÉ
Adieu ! Grand[s] mersis !
LE BADIN
Y n’y a de quoy.
LE CURÉ
Sy a, sy193.
.
LE BADIN 194 SCÈNE XIV
Or tenez, ma mère, en voécy.
LA MÈRE
[Que] tu as beaucoup aresté195 !
LE BADIN
410 Le curé m’a bien demandé
Qui estoyt seans.
LA MÈRE
Et qu’as-tu dict ?
LE BADIN
Je n’ay poinct – ou je soys mauldict –
Rien parlé que de messir(e) Gen.
LA MÈRE
Luy as-tu dict, sot cahuen196 ?
LE BADIN 197
415 Ç’a esté luy qui me l’a dict.
MESSIRE JEHAN
Va, que de Dieu soys-tu mauldict !
Maintenant, nous sommes au boult198.
LE BADIN
Par mon serment ! y sçayt bien tout :
Y m’a bien dict que quant mon père
420 N’y est, que couchez avec ma mère.
LA MÈRE
Et ! je t’avoys tant dict, beau sire,
Que te gardasse de le dire !
Que de taigne soys-tu coifé !
LE BADIN
Je luy ay bien dict, sur ma fé199,
425 Que me l’avyez bien défendu.
MESSIRE JEHAN
Le deable y est, tout est perdu !
C’est un maleur que de telz sos.
Je disoys bien à tous propos
C’une foys nous la bauldroyt200 belle.
LE BADIN
430 Je201 n’usse poinct eu de chandelle :
Et alors202, vous m’ussiez mengé.
LA MÈRE
Le deable m’en a bien engé203 !
Tousjours nous ferez vitupère204.
A205 poinct demandé sy ton père
435 Sayt bien que messir(e) Jehan y vienne ?
LE BADIN
Qu’a-il dict, donc ?
LA MÈRE
Y fault qu’il t’en souvyenne206 !
Et qu’as-tu dict ? Que le feu t’arde207 !
LE BADIN
Et ! je luy ay dict qu’il208 n’a garde
De venir quant mon père y est.
[MESSIRE JEHAN] 209
440 Par Nostre Dame ! y nous meschest210.
[LA MÈRE]
Tousjours ferez ainsy ? Ferez ?
Par la croys bieu, vous en érez !
Je vouldroys que fussiez en byère211 !
Alons-nous-en icy dèrière212,
445 Les verges ne sont pas icy.
LE BADIN
Ma mère, je vous cry mercy !
LA MÈRE
Et ! par Dieu, le sang en sauldra213 !
Me donras-tu tant de soucy ?
LE BADIN
Ma mère, je vous cry mercy !
MESSIRE JEHAN
450 D’encreté j’ey le cœur noirsy214.
Et de ce cas, mal nous en prendra215.
LE BADIN
Ma mère, je vous cry mercy !
LA MÈRE
Et ! par Dieu, le sang en sauldra !
.
Mes bons seigneurs, y nous fauldra,
455 Pour mestre hors mérencolye,
Chanter216 hault – chascun l’entendra –
Une chanson qui soyt jolye.
MESSIRE JEHAN
Ne prenez poinct garde à folye ;
Aussy, sages gens n’en font compte :
460 Car la parole est abolye
D’un fol, fust-il roy, duc ou compte.
Et au départir de ce lieu,
Une chanson pour dire adieu ! 217
.
FINIS
*
1 Sur ce type comique qui a fait les beaux jours de la farce médiévale, voir la note 1 de Jénin filz de rien. 2 Il rencontre Jacquet près de l’église. 3 Aussi souvent que je le voudrais. 4 Flatteur. Jacquet parle comme un petit paysan normand. 5 Dis-le. On retrouve ce pronom normand aux vers 115 et 225. 6 Euphémisme pour « vrai Dieu » ; c’est un croisement entre vraibique et vrémy. Jacquet va monnayer un secret que l’amant de sa mère aimerait connaître : son père est absent jusqu’au lendemain soir. 7 Content. Idem vers 101 et 107. Cf. le Clerc qui fut refusé, vers 154. 8 LV : mesire (Graphie personnelle du copiste.) On prononçait « messer Jean » ; voir la note 74 du Testament Pathelin. 9 Je ne te donnerai rien cette année, si tu ne parles pas. LV ajoute dessous : dis le moy 10 Les Normands transformaient le son « oi » en « è », ce qui explique cette rime et celles des vers 78, 126, 139, 146, 165, 224, 246, 255, 327, 356, 370. 11 LV : donc (Si jamais vous veniez voir ma mère.) 12 De la viande ou du pain de chanoine, qui est un pain blanc de qualité supérieure, alors que Jacquet se contente ordinairement de pain bis. On ne peut que songer au proverbe : « Faire comme les enfans du prestre, manger son pain blanc le premier. » Antoine Oudin. 13 LV : bien (Les Badins prennent facilement un petit village pour une grande ville. La maison de Jacquet, dont la porte de derrière donne sur une cour où veillent des chiens, est plutôt caractéristique d’un village. De même, la pierre contre laquelle il va buter rend mieux compte d’un chemin que d’une rue.) 14 LV : inutille (Une anguille est un homme insaisissable, qui nous glisse entre les mains : « Il est mouvant comme une anguille. » Maistre Mymin qui va à la guerre.) 15 LV : merueilleurs (Un étonnant personnage. « Par leurs grans cris, plains et pleurs merveilleurs. » ATILF.) 16 LV : quay faict (Voir le vers 29.) 17 De notre maison. Idem vers 258, 273, 366, 379. 18 Ambiguïté de langage propre aux Badins. 1) Si vous saviez que mon père est hors de notre maison. 2) Messire Jean, mon père : voir le vers 140. 19 LV : viendryes o (Vous viendriez voir.) 20 Quand reviendra ton père. 21 LV : rompt le colrps 22 LV : lyes (Oindre d’huile = flatter, embobiner. Les ecclésiastiques emploient de l’huile pour les onctions.) 23 LV : auoir (« Comme il affiert par raisons mille. » Jardin de Plaisance.) 24 LV : il (Ma mère attend son retour.) 25 LV : auec (Si vous venez coucher chez ma mère. Voir le vers 245.) 26 Si cela ne vous déplaît pas. Les gens qui ont du savoir-vivre énoncent cette formule de politesse avant de demander une faveur, et non après l’avoir obtenue. 27 Rappelons que la scène se déroule près d’une église, et que les Badins parlent fort (vers 104). 28 Qui m’oit, qui m’entend. 29 À partir d’ici, LV abrège les rubriques en : mesire i 30 LV : messuy (Maishui = désormais.) 31 Vais. Idem vers 139, 148, 181, 208. 32 En marchant vite. « Aler le grant pas. » ATILF. 33 Accoutumé. Cf. l’Avantureulx, vers 265. 34 Qu’avez-vous (normandisme). Idem vers 295. 35 C’est le mot que prononce Jacquet chaque fois qu’il feint de se plier aux règles des adultes : voir les vers 170, 186, 215, 231. Il retourne chez lui. 36 Ce que. 37 Le choine et la chair promis au vers 15. Même graphie de chair à 348. 38 Saura (normandisme). Idem vers 75, 163, 213, 280, 306. 39 Cette didascalie marque le début d’un rôle, comme celui du Curé au vers 194. La mère est dans la maison, où Jacquet déboule avec son raffinement habituel. 40 Qu’y a-t-il. 41 LV : bouter (Mettez la table : installez la planche sur les tréteaux.) 42 Variante du proverbe : « Enfant aime moult qui beau l’appelle. » L’incongruité de ce proverbe à cet endroit et la réplique hors de propos du garçon montrent qu’il manque au moins 2 vers au-dessus. 43 Forme normande de « saint Jean », comme au vers 314, qui est d’ailleurs identique à celui-ci. Cf. le Bateleur, vers 217. 44 Vous n’aurez (normandisme). Idem vers 108, 169, 220, 222, 350, 442. 45 LV : et sy (Jacquet se reprend.) 46 Il me la baillerait. C’est d’ailleurs ce qui va se produire au vers 113. 47 Tu es vraiment un fou authentique. Cf. la Pippée, vers 65. 48 Du crucifix. 49 Tel. « Vous le faictes aintel qu’il est. » Les Bâtars de Caulx, LV 48. 50 Du bavardage. « Ung Sainct-Frestel,/ Filz de Babil. » Saincte Caquette. 51 Il frappe à la porte. 52 Jacquet ne tutoie pas sa mère ; il chante quelques notes graves de la Chasse, de Clément Janequin : « Escoute, escoute à cestuy-là ! » Dans cette chanson, qui était à coup sûr populaire avant d’être éditée en 1528, des chasseurs finissent par tomber sur une « beste noire » ; malheureusement, il s’agit d’un « gris caffart », d’un Cordelier, comme l’est peut-être notre chapelain. 53 En mauvaise année, en malheur. « Que Dieu si te mecte en mal an ! » Le Prince et les deux Sotz. 54 Content. Voir la note 7. 55 Il crie par la fenêtre. 56 Tu auras des coups de verges sur les fesses. Idem vers 108, 222, 350, 442. 57 LV : mon amy mesire iehan 58 Il entre. 59 Dans un endroit frais. Les amants qui vont chez leur maîtresse apportent toujours de quoi boire : « Que ceste bouteille boutée/ Me soyt en un lieu proprement ! » Le Poulier à sis personnages. 60 LV : tient 61 Céans. Les Normands prononçaient parfois sian en 1 syllabe. Idem vers 198 et 411. 62 LV : plus (C’est la question qu’on se pose toujours face à un Badin, qui joue de ses inaptitudes bien réelles pour parvenir à ses fins.) 63 De l’éloigner. Comme toujours dans les farces, cette expression va être prise au sens littéral. 64 Les lavandières battaient le linge au lavoir. Toile se prononce tèle. 65 La fin du vers manque. « Hau ! », pour répondre à un appel, est impoli : « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » (Le Roy des Sotz.) Aux vers 9-22 de Jénin filz de rien, la mère du badin donne à son fils la même leçon de politesse. 66 Novice. « Voicy ung homme bien nouveau ! » Les Cris de Paris. 67 LV : seroys tu (« Dictes : “Que vous plaist ?” » Jénin filz de rien.) 68 Que de plaid, de discours. 69 Au presbytère, chez le curé. 70 LV : ges (La boite est la boisson, i.e. le pot de vin du vers 111. « Ilz vendangeoient leur cloz, auquel estoit leur boyte de tout l’an fondée. » Gargantua, 27.) 71 Une gorgée de vin. Le chapelain emplit deux gobelets, et trinque avec l’enfant. 72 « Ouy, cheux mon père messir(e) Jehan. » Jénin filz de rien. 73 Ce que. 74 J’y vais. Jacquet vide son verre et s’apprête à sortir. 75 Prononciation patoisante de « quoi ». « Que t’importe quay ny comment ? » La Muse normande. 76 LV : laict (Il appert que des pies l’ont engendré.) Cauquer = côcher, saillir un oiseau : « J’avon notte vieux coq, je le bouteron cuire ;/ Ossi bien, asteur-chy, y ne s’ret pu cauquer. » (Muse normande.) Les Sots naissent dans des œufs, et les imbéciles sont couvés par une pie : « Jamais la pye qui te couva/ Ne fut brullée de feu grégeoys. » Les Povres deables. 77 Traître. 78 LV : soyt tu 79 Et aussi, ne tarde aucunement. 80 Crainte. 81 Forme extrêmement vulgaire de : « Que Dieu vous doint une bonne soirée ! » (Cf. Jolyet, vers 189.) Avec un professeur de maintien aussi distingué, on comprend pourquoi l’élève a de si bonnes manières… Souèr rime avec commencèr. 82 Selon son rang. 83 LV : une 84 Là encore, le professeur s’exprime mal : Tu auras ton bonnet à la main. 85 Qu’un agneau bêlant. 86 L’oublies. Idem vers 206. 87 LV : reuyent 88 Il va vers le presbytère. 89 Vers manquant. « Je ne veux mettre en ma cervelle,/ Pour le présent, autre nouvelle. » Jean Godard. 90 Jacquet ferme les yeux pour se concentrer sur le mot « chandelle ». Il achoppe contre une pierre et manque de tomber. 91 Forme patoisante de « chu ». « Une autre quet le cul en bas. » Muse normande. 92 Ce que je vais demander. 93 Je vais me faire dévorer tout cru par ma mère. Idem vers 431. Cf. le Badin qui se loue, vers 7 et 181. Jacquet retourne à la maison, où le couple adultère est en chemise de nuit. 94 Jeu de mots involontaire sur « grand sot ». 95 LV a tenté de caser ici le vers 214 et le début du vers 215. 96 Je m’en garderai bien. Jacquet repart, en faisant un large détour pour éviter la pierre. 97 Il tambourine contre la porte du presbytère. 98 Y a-t-il quelqu’un là-dedans ? 99 Entre en scène ; voir la note 39. 100 Prononciation patoisante de « moi ». « Vous disputiez la fille, et ch’est may qui l’éray ! » Muse normande. 101 Ce que. 102 Il reste sur le seuil et fait des révérences au curé en alignant toutes les formules de politesse qu’il connaît. 103 T’asseoir. Jacquet entre, et se laisse choir dans le fauteuil du curé. 104 LV : recommande (« Je vous commande à Dieu ! » Le Cuvier.) 105 Quant à moi. 106 Je vais le demander. Jacquet retourne à la maison, laissant le curé abasourdi. Tout aussi confus sera le couple adultère, qui allait se mettre au lit. 107 LV : sen (Pour si peu.) 108 Jacquet repart, en contournant la pierre qu’il avait heurtée. 109 LV : le cure 110 LV : bien (« Pour la françoise terre/ Conquester bref et tost. » J’ay vu roy d’Angleterre.) 111 Nous en aurons une mauvaise expérience. 112 Il entre sans frapper dans le presbytère. Jusqu’au vers 231, il tient la main contre son bonnet, qui est toujours sur sa tête. 113 Scander « mon sieur » en 2 syllabes. (Cf. le Roy des Sotz, vers 165.) Au lieu de réclamer une chandelle, Jacquet demande une demoiselle : il est troublé par la vision d’élégantes jeunes filles qui sont peintes sur un grand tableau religieux. 114 LV : dyes 115 LV : y le fault a tort ou (Mais à bon escient.) 116 Votre bonnet. Mais Jacquet comprend : votre main. La scène du badin qui ne songe pas à ôter son bonnet devant un prêtre était déjà dans Jénin filz de rien, vers 114-119. 117 Un peu. 118 Il prononce la formule correcte en minaudant. 119 Les femmes de la Noblesse prenaient une voix haut perchée parce qu’elles croyaient que c’était plus distingué. Le compositeur Émile Martin nous racontait que dans les églises de son enfance, les femmes du peuple chantaient la partie d’alto, alors que les bourgeoises s’égosillaient dans les aigus. 120 On mettait des merles en cage pour leur apprendre à écorcher quelques mots. « Le merle (…) apprend aisément ce qu’on luy montre, comme parler & siffler. » Louis Liger. 121 LV : ma 122 Chez. Le curé se met au niveau du petit paysan pour mieux l’amadouer. 123 Parmi les reliefs du repas, il aperçoit sur la table une bouteille de vin rouge. 124 Il verse à l’enfant un plein gobelet de vin pour le soûler. 125 Il boit d’abord, et il remercie ensuite. 126 Aise, qui rime avec cervaise. 127 Tu ne caquettes. Cf. le Trocheur de maris, vers 85. 128 LV : en ile 129 Fourrée. 130 Celle qu’il porte aujourd’hui. 131 Ce couteau. Jacquet voudrait bien qu’on le lui offre en échange de ses confidences. Les Badins ne comprennent rien d’autre que leur intérêt, comme l’avoue celui de Jénin filz de rien, qui s’est fait offrir l’écritoire de messire Jean : « Je suis à qui le plus me donne. » 132 LV : dict 133 À votre âtre, votre foyer. 134 N’était venu à ma rescousse. 135 LV : coucha tout verstu 136 LV : despouila (Je corrige la même faute au vers suivant.) Il se dépouille, se déshabille. 137 LV : es (Quand tu as dû, quand on t’a obligé.) 138 Votre pair. « Oncques-mais je ne vy ton pèr. » Les Sergents. 139 Jacquet observe le tableau qui représente les jeunes saintes. 140 N’est-ce pas ? Voir la note 34. 141 LV : vous estes vrous 142 LV : la (S’il n’était pas question de mariage, on pourrait lire « l’amarri », le voisin de lit. Cf. les Femmes qui demandent les arrérages, vers 79.) 143 Et comment donc ! Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 351. 144 Vers manquant. « C’est la plus belle qu’onques vy. » Le Poulier à quatre personnages. 145 Nous deux : elle et moi. 146 Beaucoup d’enfants stupides veulent accéder à cette sinécure qu’est la prêtrise : voir par exemple le Clerc qui fut refusé à estre prestre. Jacquet fait preuve d’une solide vocation : il veut boire du bon vin, manger de bonnes choses, porter de beaux habits, loger dans une maison confortable, avoir une servante, et lutiner des femmes mariées. 147 LV : celle est ases ample (Il y en a des exemples. « Pour monstrer que mon advis n’est sans exemple. » Michel de l’Hospital.) 148 Persécutée. 149 Et pourtant. La prêtresse est la concubine d’un prêtre : cf. Jénin filz de rien, vers 165. 150 Inquisiteur, poseur de questions. Jénin lorgne depuis un moment les restes du repas qui traînent sur la table. 151 Qui mange vos restes ? 152 LV : base (Graphie personnelle du copiste.) Votre servante. Idem vers 360. « Icelle baasse ou chambèrière dudit prestre. » Godefroy, à l’article Baiasse. 153 Mangeaille, nourriture. 154 LV : atemps (Attends avant d’en avoir.) 155 LV : poinct (Même erreur de lecture du copiste au vers 332.) 156 LV : mais il (À ce moment il survient. Voir le vers 50.) LV répète dessous le vers 58 : quant mon pere est ale dehors 157 Mange un morceau. Le curé lui donne du choine [du pain blanc]. 158 Que si tu étais. Le curé sert à l’enfant un autre gobelet de vin. 159 LV : poinct 160 Mangez-vous seulement. Voir la note 34. 161 Chiche, regardant à la dépense. Cf. la Réformeresse, vers 103. En fait, les curés se laissaient nourrir et vêtir par les bigotes de la paroisse : ils n’achetaient presque rien. 162 LV : esse (Aise, comme au vers 256.) 163 Sur un pied d’égalité avec moi ? Possible confusion avec « appareillé » : loti, fourni. 164 LV : de (Le grand Roi est le Roi des cieux : Dieu.) 165 Chair. Voir la note 37. Le vers suivant est perdu. 166 Emplis bien ta besace (ou ton ventre). « Or, enplez doncque mon saichot. » ATILF. 167 Récuré, car il y a encore de la viande autour. 168 LV : le (Jacquet devient gras comme une oie.) 169 Retour au tableau qui représente les jeunes saintes. 170 LV : bases (Vos servantes : note 152.) 171 Je me contente de moins. « Je me passasse bien à moins. » Le Capitaine Mal-en-point. 172 LV met cette rubrique après le vers 363. 173 Comptant, sans frais. 174 LV : une 175 Tu vas chercher messire Jean. 176 LV met cette rubrique après le vers 369. 177 LV : couchoyt (Jacquet ne répond jamais à des questions qu’on ne lui a pas posées ; il manque donc au moins 2 vers au-dessus.) 178 LV : sentre acolest 179 Bonne figure. 180 C’est une calomnie. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 177. 181 LV : une (L’huis de derrière est traditionnellement la porte par où se faufile l’amant d’une dame.) « Messire Jehan ne failloit point à entrer par un huys derrière, dont elle luy avoit baillé la clef, et se venoit mettre au lict en la place du mareschal. » Bonaventure Des Périers. 182 Ce petit « guichet » (c’est son nom officiel) ne permet plus au chapelain de passer, car il est devenu trop gros : vers 396. 183 Avec ta mère et messire Jean. 184 LV : leur (Personne d’autre que ces deux-là.) 185 Un châlit, une couchette. (Cf. la Veuve, vers 8.) Les familles modestes n’avaient qu’une chambre, dans laquelle on disposait plusieurs lits. 186 LV met cette rubrique après le vers 392. 187 LV : bien men tens tu 188 LV remplace le mot « poinct » par un nouveau vers : dy moy viensa les os tu poinct 189 Qui geint. 190 L’expression exacte est : qui en ment [celui qui ment]. « Ou mauldict soyt-il qui en ment ! » (La Veuve.) Jacquet commet un lapsus sur le mot amant. 191 LV : se (Cela.) 192 LV : cest (Et à cause de vous. « Et par vous, Sotte Occasion. » Jeu du Prince des Sotz.) 193 Grâce aux renseignements qu’il vient d’obtenir, le curé va pouvoir limoger son chapelain, et soumettre la mère de Jacquet. 194 Il rentre chez lui et donne la chandelle à sa mère. 195 Tardé. Idem vers 156. 196 Un chat-huant est un lourdaud. « À grand-peine sçauroit-on faire/ D’ung chahuan ung espervier. » Gilles Corrozet. 197 LV ajoute dessous : nennin nennin 198 Nous sommes acculés. 199 Prononciation patoisante de « foi ». « Ma mère,/ J’en jure sur ma fay ! Je crain trop les bâtons. » Muse normande. 200 LV : bailleroyt (Voir le vers 89.) Qu’un jour il nous la baillerait belle. 201 Si je ne lui avais pas tout raconté, je… 202 LV : puys 203 Pourvu, fait un cadeau empoisonné. « Le grant diable m’a bien engé/ De vostre corps ! » Frère Guillebert. 204 Honte. 205 LV : y (N’a-t-il point.) 206 Tâche de t’en souvenir ! 207 Te brûle. 208 Que messire Jean. 209 LV : la mere (Messire Jean ne parle qu’à sa maîtresse, et emploie le collectif « nous ».) 210 Il nous méchoit : nous jouons de malchance. 211 Dans un cercueil. « Elle vouldroit que fusse en bière. » Le Messager et le Villain. 212 Derrière le rideau de fond. 213 Jaillira de vos fesses. 214 Je me fais un sang d’encre. 215 Il nous adviendra du mal. LV attribue cet hémistiche à la Mère. 216 LV : chantes 217 Ce congé standard, dû au copiste du ms. La Vallière, clôt notamment le Vendeur de livres.
LE POULIER à quatre personnages
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LE POULIER
à quatre personnages
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Le manuscrit La Vallière contient deux farces normandes du XVIe siècle qui se nomment le Poulier [le poulailler] : celle-ci, à quatre personnages, et une autre, fort différente, qui compte six personnages. Le Poulier à quatre personnage est un digne ancêtre du théâtre de Boulevard : dès que la femme infidèle crie « Ciel, mon mari ! » (ou en l’occurrence : « Voici mon mari ! »), son amant se cache dans un poulailler, faute de placard.
En 1616, Béroalde de Verville réutilisa la scène des « jamais » (vers 230-263) :
On hurta à la porte assez espouventablement. Lors elle, comme surprise : « Hélas, Monsieur, où vous mettrez-vous ? Je suis perdue ! » D’autre costé, on frappoit, disant : « Ouvrez-moy, Françoise, ouvrez vistement ! Je suis mort ! Je te prie, ouvre viste ! » Elle crioit : « Mon mary, je me lève en si grand haste que je ne sçay que je fay. » Cependant, elle aydoit au curé à monter sur un travers [une soupente] où les poules nichoyent. Cela fait, comme tout hors de soy, elle vint ouvrir la porte à son mary, & luy dit : « –Et où allez-vous si tard ? Il est belle heure de venir ! –Ha ! m’amie, excusez-moy. Je suis mort. Ne te fasche point. Tu ne me verras plus guère, je me meurs. Envoyez quérir monsieur le curé, que je me confesse. » Il se tenoit le ventre auprès du feu comme s’il eut eu la colique, & faisoit semblant parfois de s’esvanouyr. Il fait appeller des voisins à l’aide, qui s’assemblent à le réconforter, & le mettent sur un lict à terre. Mais il ne faisoit plus que souspirer, & dire : « –Jamais, jamais… –Hé ! compère, prenez courage. –Jamais… –Ce ne sera rien. Or sus, mon amy ! Là, aydez-vous. –Jamais… –Il faut avoir monsieur le curé. –Jamais… –Il vous dira quelque bonne parole. –Jamais… –Encor ne faut-il pas se laisser ainsi aller. –Jamais… –Il semble que vous ne nous cognoissiez point. –Jamais… –Voilà mon compère cetuy-cy, mon cousin cettuy-là, qui vous sont venus voir. –Jamais… » Quand presque toute la parroisse fut assemblée, & que l’on lui va dire : « Or çà, compère, debout ! Allons au lict, vous y serez mieux. Et bien, que vous faut-il ? » Adonc, jettant les yeux & dressant la main vers le curé, il va dire : « Jamais je ne vy un tel jau1 avec mes poules. » <Le Moyen de parvenir, chap. 69.>
Source : Manuscrit La Vallière, nº 45.
Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, abab/bcbc, rimes plates, avec un triolet.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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La farce du
Poulier
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À quatre personnages, c’est assavoir :
LE MARY 2
LA FEMME
et L’AMOUREULX
et LA VOYSINE
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L’AMOUREULX 3 commence et dict :
Est-il [donc] un plus grand plaisir SCÈNE I
Que de joÿr à son désir
D’une dame de bonne grâce,
Au lict aveq elle gésir,
5 Et l’acoler à son loysir
Pendant qu’on a lieu ou espasse4 ?
Je croys que non et, sans falasse5,
[Poinct ne vouldroys laisser ma place.]
Par une, mon cœur est ravy ;
10 De la baiser, poinct ne m’en lasse.
En la voyant, je me solasse6.
C’est la plus belle qu(e) onques vy.
Mais elle a un sot de mary :
De l’ostel n’eslongne7 d’un pas.
15 Sang bieu ! je le feray mar[r]y.
Sans luy, je feroys bien mon cas8.
Sy perdre debvoys9 mon repas,
Je feray encore un voyage
Par-devant son logis.
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LE MARY 10 SCÈNE II
Je gaige
20 Que c’est l’un de nos amoureulx ;
Je ne séroys dormir, pour eulx11 :
Il ne cessent toutes les nuictz.
L’un viendra heurter à mon huys,
Puys l’autre à mes fenestres rue12 ;
25 L’un sifle ou chante amy13 la rue.
C’est pityé, je n’ay nul repos.
Encore, sy j’en tiens propos
À ma femme, elle me veult batre.
« Quoy ! (faict-elle), laissez-les esbatre :
30 Ce sont jeunes gens. » Quel raison !
Mais [qu’ont à faire ma]14 maison,
Ma rue, ma fenestre ou ma porte,
Ma femme [ou] moy, qu’on leur aporte
Telz réveillemens, sur la nuyct ?
35 Par la mort ! cela trop me nuyt.
Mais s’il advient c’un je rencontre,
Je luy bailleray mal encontre15,
Me deust-il couster cent escus16 !
Le grand deable y ayt part, aulx cus !
40 Je dis : ceulx qui sont plains de noise17,
Comme celuy de ma bourgoise.
Mais sy j’en veulx avoir raison,
Tenir18 me fault en ma maison
Afin d’en garder le pissot19.
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LA FEMME 20 SCÈNE III
45 Femme qui a un mary sot
Est bien malheureuse, en ce monde.
J’en ay un (que Dieu le confonde !)
Sot, malaustru21 et tant jaloux !
Que menger le puissent les loups !
50 Je ne séroys22 avoir loysir
D’acomplir en rien mon plaisir.
Contemplez un peu sa manyère.23
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LE MARY SCÈNE IV
D’où venez-vous ?
LA FEMME
De là-derière,
D’aruner24 un peu mon ménage.
LE MARY
55 Par la mort bieu ! vous faictes rage
D’aler. Tenez-vous à l’ostel25 !
LA FEMME
Qui vist jamais un homme tel
Que vous ? Mais quant je vous escouste,
Il semble que soyez en doubte
60 De moy26.
LE MARY
A ! par ma foy, non suys !
Mais toutesfoys, sy je poursuys27,
Et28 qu’en poursuyvant…
LA FEMME
Quoy ?
LE MARY
Rien, rien,
Vous estes trop femme de bien ;
Mais le cul…
LA FEMME
Quoy ?
LE MARY
Il est honneste,
65 Je n’en dis mot.
LA FEMME
Estes-vous beste !
Je m’ébaÿs que n’avez honte.
LE MARY
Ma mye, sy j’ey la langue prompte
À dire quelque petit mot,
Il n’y a icy que vous qui m’ot29.
70 Mais sy j’en trouvès un…
LA FEMME
[Un quoy]30 ?
N’est poinct vostre esprit à requoy31 !
LE MARY
N’en parlons plus, et nous taison.
LA FEMME
Il me semble qu’il fust saison
De nous estorer32 de pourceaulx :
75 Y nous en fault deulx ou troys beaulx
Pour nostre estorment33.
LE MARY
In Jehan34, voyre !
LA FEMME
Irez-vous demain à la foyre35,
Mon amy, veoir s’on en aron36 ?
LE MARY
Ouy, ouy, nous y aviseron.
LA FEMME
80 Ou gardez icy37, et g’iray.
LE MARY
Non feray, tudieu38, non feray !
G’y veulx aler moy-mesmes. Mais…
LA FEMME
Et ! tousjours a son entremais39.
Dea ! n’arez-vous jamais repos ?40
LE MARY
85 Pourquoy leur tenez-vous propos ?
LA FEMME
À qui ?
LE MARY
Je n’en parle plus. Mais…
LA FEMME
Quel « mais » ?
LE MARY
Qu’i n’y viennent jamais !
Gardez-vous de les escouter.
LA FEMME
Vous vous voulez donques doubter41
90 De moy ?
LE MARY
Je ne daigneroys42 ! Mais…
LA FEMME
Quel « mais » ? Quel « mais » ?
LE MARY
Je vous promais
(Touchez là43 !), sy je les tenoys,
Sans espargner foyble ne fort,
Je ruroys tant que je pouroys
95 Dessus : « Tip ! Toup ! Tap ! Tu es mort ! »
LA FEMME
Sans confession44 ?
LE MARY
Droict ou tort45.
Et pour tant46, qu’il vous en souvyenne !
LA FEMME
Je garderay bien qu’il n’en vienne
Pièce47 céans.
LE MARY
Je vous en prye,
100 Se n’en voulez estre marrye :
Je les turoys tous sans pityé !
LA FEMME
Je ne vous cherches qu’amytié ;
Tout vostre bon plaisir feray.
LE MARY
Çà donc, de l’argent48 ! Et g’iray,
105 À la foyre, des pourceaulx quère.
LA FEMME
Or tenez ! Et alez grand erre49,
Afin que vous revenez d’heure50.
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L’AMOUREULX 51 SCÈNE V
Mon homme s’en va grand aleure52.
Je m’en voys53 visiter sa femme,
110 Puysqu’il est party.
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Bon jour, Dame ! SCÈNE VI
Et54 ce mary, il est en voye ?
LA FEMME
Pour l’amour de vous, je l’envoye
À la foyre, mon amy doulx ;
Car il est de moy tant jaloux
115 Qu’il ne s’oze alongner55 d’un pas.
L’AMOUREULX
Ma doulce amye, croyez d’un cas56
Que j’ey faict plus de mile tours57
Par cy-devant, depuys huict jours,
Désirant fort à vous parler ;
120 Mais tousjours le voyès aler
Ou venir à l’entour de vous.
LA FEMME
Il en faict autant tous les coups,
Tant est plain de sote folye.
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LE MARY SCÈNE VII
Au ! vertu goy58, voécy la pluye !
125 Bren ! Et le temps estoyt tant beau !
Je m’envoys quérir mon chapeau :
D’estre mouillé seroys marry.59
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LA FEMME SCÈNE VIII
Mon amy, voécy mon mary !
L’AMOUREULX
Et ! vertu bieu, que ferons-nous ?
LA FEMME
130 Métez-vous souldain à genous
Icy, soublz ceste couverture60.
L’AMOUREULX
Voécy pour moy male adventure.
Le deable en emport le vilain !
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LA FEMME 61 SCÈNE IX
Où retournez-vous sy souldain ?
135 Av’ous62 amené un pourceau ?
LE MARY
Je venoys quérir mon chapeau,
Car vous voyez, le temps se brouille ;
Et puys, vous savez, la pluye mouille.
Je le veulx porter, puysqu’i pleust.
LA FEMME
140 Et esse tout ce qui vous meust63 ?
Tenez, le voélà. Que d’ensongne64 !
LE MARY
Voécy une belle besongne :
Que faict cy ceste couverture ?
LA FEMME
Laissez-la, sote créature !
145 Alez où vous devez aler !
LE MARY
Non feray, tu as beau parler !
Je la65 veulx remectre en son lieu.
LA FEMME
Et ! non ferez, sire, par Dieu !
On en puisse avoir froide joye66 !
LE MARY
150 Et pourquoy ?
LA FEMME
Je ne veulx pas qu’on voye
En ce poinct mes67 nécessités.
LE MARY
Je congnoistray vos vérités,
À ce coup-cy !
LA FEMME
Estes-vous yvre ?
Je prye à Dieu qu’i m’en délivre !
155 Puysqu’il vous fault conter l’afaire,
Là-dessoublz sont tous mes menus68…
LE MARY
Quelz menus ? D’où sont-ilz venus,
Ces menus ? Hau ! et qu’esse à dire,
Ses menus ? Je n’en congnoys nus.
160 « Ses menus » ? Voécy [bien] pour rire !
LA FEMME
Mais vous le fault-il tant redire ?
Ce sont mes menus drapelés.
Quant ilz sont [sy] sales et lais,
Encores les fault-il blanchir69.
LE MARY
165 Bien, va, je te laisse ves[t]ir70.
Je voys parfaire mon voyage.
LA FEMME
Et alez !71
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Que la male rage SCÈNE X
M’en puisse bien tost despescher72 !
Sortez dehors, mon amy cher.
170 J’ey eu pour vous belle bésarde73.
L’AMOUREULX
Que le feu sainct Anthoine74 l’arde !
Je n’en seray d’une heure asseur75.
Je n’ay membre qui ne me tremble.
Que debvons-nous faire, ma seur76 ?
LA FEMME
175 Y nous fault banqueter ensemble77 ;
C’est le meilleur, comme il me semble.
Je voys aprester le dîner.
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LE MARY SCÈNE XI
Au ! voécy bon pour retourner :
Quant mes afaires je recordes78,
180 Je n’ay poinct aporté de cordes
Pour mes deulx pourceaulx amener.
Y fault à l’hostel retourner
En quérir.79
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LA FEMME SCÈNE XII
Jésus ! Mon amy,
Voécy revenir mon mary !
185 La Mort m’en puisse despescher !
L’AMOUREULX
Et où me pourai-ge cacher ?
Pleust à Dieu qu’i fust en la bière80 !
LA FEMME
Entrez souldain icy derière81,
Et montez à nostre poulier.
L’AMOUREULX
190 La fièbvre le puisse relier !
Y me donne bien de la paine.
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LA FEMME SCÈNE XIII
Mais qui esse qui vous ramaine ?
D’aler et venir ne cessez.
LE MARY
Et, [in] Jen ! g’ay82 du trouble assez.
195 Puysqu’il fault que je le recorde83,
J’avoys omblyé84 une corde
Pour [nos deulx pourceaulx]85 amener ;
C’est ce qui86 me faict retourner.
S’y s’enfuy[oy]ent, je les perdroye.
LA FEMME
200 On en puisse avoir male joye !
Et esse tout ce qu’il vous fault ?
J’en voys quérir une là-hault.
LE MARY
Va tost87 !
LA FEMME
Atendez-moy à l’uys.
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LE MARY 88 SCÈNE XIV
À l’uys ? Non feray, sy je puys.
205 À l’uys ? Vertu bieu, qu’esse à dire ?
À l’uys ? À l’uys ? Voécy pour rire !
À l’uys ? Et ! je feray89 le deable !
À l’uys ? Voécy pas bonne fable ?
À l’uys, vilaine ? À l’uys, infâme ?
210 « À l’uys ! », faict ma deable de femme.
« À l’uys ! » Il y a quelque chose90…
À l’uys91 fault entrer, mais je n’ose :
Se c’est un homme de courage,
Y m’enpongnera au visage.
215 À l’uys. Mot92 ! je [le vay]93, en traïson,
Atendre à l’uys de ma maison :
[S’il vient] à l’uys, par le grand Dieu,
Le feray mourir en ce lieu !
Voélà une trop grosse honte94…
220 A ! vertu bieu, voécy mon compte !
À l’uys95 ! Voélà un de mes gens96.
À l’uys ! Et ! venez-vous céans
Humer les œufz de nos guélines97 ?
Y me fault faire bonnes mynes,
225 Mais que98 des cordes el m’aporte.
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LA FEMME SCÈNE XV
Tenez, en voélà une bien forte ;
C’est assez pour en lier deulx.
Hastez-vous bien tost, car je veulx
Nous estorer mieulx qu’onques-mais99.
LE MARY 100
230 Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME
Et pourquoy ? Voécy la saison
Qu’i fault estorer la maison
De blé, de lard, je vous promais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME
235 Hélas ! et qu’esse qui vous poinct101 ?
Hau ! mon amy, parlez-vous poinct ?
Av’ous faily à vos amès102 ?
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME 103
Hélas ! à l’ayde, bonnes gens !
240 Mon mary est troublé de sens !
Venez tost icy, je vous prye !
.
LA VOISINE 104 SCÈNE XVI
Et ! qu’esse ?
LA FEMME
Mon mary, ma mye :
Hélas ! je cuyde qu’il afolle105.
LA VOISINE
Alez, alez, vous estes folle,
245 Voisine ! Ne vous tuez mye.
LA FEMME
Hélas ! [ma] voisine, ma mye :
Voécy un piteulx entremais106.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA VOISINE
Hélas ! mon voisin, mon amy :
250 Seignez-vous107, c’est quelque ennemy
Qui ne vous veult laisser en pais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA FEMME
Hélas ! mon amy, bon courage !
Pour vous je feray un voyage
255 À Sainct-Mary108, je vous promais.
LE MARY
Jamais, jamais, jamais, jamais…
LA VOISINE
Ma voisine, courez bien vite109 :
Alez quérir de l’eau bénite,
Car je croy qu’i voyt le Mauvais.
LE MARY
260 Jamais, jamais, jamais, jamais,
Jamais ne me fusse doubté
Qu’i se fust au poulier bouté
Pour faire pondre nos guélines.
LA VOISINE
Et ! qu’esse qu’il110 montre par signes ?
265 Nostre Dame ! Et ! esse cela ?
[LE MARY]
Sus, sus ! Sortez, galant, de là !
Maintenant serez chaponné111 !
LA FEMME
Hélas ! il est tout estonné,
Le povre homme : y n’y pence poinct112.
270 Mais je vous veulx dire le poinct
Pourquoy en ce poulier s’est mys.
Deulx gros ribaulx, ses ennemys,
Le cachoyent113 à grans coups d’espée ;
La teste luy eussent coupée,
275 S’y ne l’eust gaigné au courir114.
Et pour le povre secourir,
Je l’ay faict entrer en ce lieu.
Et m’a pryé, au nom de Dieu,
Que je ne l’encuse115 à personne.
280 Aussytost est venu un homme
Le chercher, son baston tout nu116,
Sy furé117 que s’y l’eust tenu,
Y l’eust tué et despesché.
LE MARY
A ! vertu bieu, c’est trop presché !
285 Vous ne m’en ferez plus mouler118.
Çà ! hastez-vous de dévaler119,
Que je ne vous face descendre !
L’AMOUREULX 120
Pour Dieu, veuilez-leur donc deffendre
[D’entrer : ce]121 sont mauvais garçons !
LA VOISINE
290 Encor fault-il que nous sachons
Le débat122.
L’AMOUREULX
Pour un coup d’espieu123…
LE MARY
Estes-vous monté de par Dieu ?
Or124, dessendez de par le deable
(Puysqu’il fault que tant je m’endiable125) !
295 Santo126 santorun, dessendez !
L’AMOUREULX
Pour l’honneur de Dieu, atendez
Qu’i soyent bien loing de la maison !
LE MARY
Et ! vertu bieu, que de blason127 !
Et ! alez faire vostre plaincte128 !
L’AMOUREULX
300 Non feray. Je n’ay poinct de craincte :
Mais que j’aye l’espée au poing,
Je ne les doubte près ne loing129.
Sang bieu, je leur rompray les dens !
LE MARY
A ! voécy mes bateurs de gens.
305 Je puisse estre de mort oultré
Se maintenant n’êtes chastré !
LA FEMME 130
Hé, mon mary !
LA VOISINE
Hé, mon voisin !
Hélas, et ! c’est vostre cousin,
Bien prochain de vostre lygnage131.
LE MARY
310 Et ! vertu bieu, quel cousinage !
C’est donc[ques] lignage de cul.
Cousin, me faictes-vous coqu ?
A ! je vous feray fauverète132.
Et ! vertu bieu, langue safrète133 !
315 Mais quoy, vous le venez deffendre ?
Et ! vous avez le cul134 trop tendre,
De par tous les grandz deables, commère135 !
LA VOISINE
Çà ! vous avez tort, mon compère.
Pour Dieu, cessez ceste querelle !
LE MARY
320 Et ! vous en estes maquerelle136,
De par tous les grands deables, voyre !
Vous servez pour avoir à boyre :
Vostre nés en est tout violet.
LA VOISINE
Maquerelle ? Ce mot est let137 !
LE MARY
325 Par sainct Jehan, sy le faictes paindre138 !
L’AMOUREULX
Vous avez tort, cousin.
LE MARY
Tant gaindre139,
Morbieu ! Et ! y revenez-vous ?
LA VOISINE
On nous debv(e)royt meurdrir140 de coups,
De nous laisser tant lédenger141.
330 Sus, voisine, sans calenger142,
Qu’i me soyt de coups tout noircy143 !
LE MARY 144
Mes amys, je vous crye mercy,
Au nom de Dieu et des apostres !
LA VOISINE
Que dis-tu ?
LE MARY
Tous mes biens sont vostres !
LA VOISINE
335 Suis-je telle comme tu dys145 ?
LE MARY
Sy j’ey rien dict146, je m’en desdis.
Pour Dieu, laisson tous ces débas !
LA FEMME
Je te mectray en Paradis147 !
LE MARY
Sy j’ey rien dict, je m’en desdis.
[L’AMOUREULX]
340 [Quoy ! tu m’injuries]148 ou mauldis,
Mon cousin, à cause du « bas149 » ?
[LE MARY]
Sy j’ey rien dict, je m’en desdis.
Pourdieu, laisson tous ces débas !
Tout est à vous, et hault et « bas » :
345 N’espargnez poinct nostre maison.
L’AMOUREULX
Grand mercy, cousin !
LE MARY
C’est raison.
Couvrez-vous150 ! (Il n’y a de quoy151,
Dont y me fault taire tout quoy152.)
.
Pour congnoistre et venir à fin,
350 Il n’y a homme, tant soyt fin,
Et tant [e]ust-il la teste fine153,
Que fine femme, en fin, n’afine154.
Et ! pour oster nostre mérenc[o]lye155,
Une chanson, je vous emprye !
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FINIS
*
1 Les éditions donnent « Jan », et de fait, le curé adultère s’appelle messire Jan. Mais le « jau » est un coq, mieux à sa place dans un poulailler : « Ils n’auroient pas assez de demye douzaine de femmes, non plus qu’ung jau de poulles. » Nicolas de Troyes. 2 LV : maistre 3 Il est dans la rue. L’auteur va enchaîner trois monologues dans lesquels les personnages se présentent eux-mêmes. 4 Du temps. « Durant quelque espace. » Marchebeau et Galop. 5 Sans mentir. Le vers suivant est perdu. 6 Je prends du soulas, du plaisir. 7 LV : neslongneroyt (De la maison il ne s’éloigne jamais d’un pas. Voir le vers 115.) 8 Ma petite affaire. 9 Quitte à sauter. 10 Il est à sa fenêtre et aperçoit l’amoureux qui, l’ayant vu, passe devant lui sans ralentir. 11 Je ne saurais dormir, à cause d’eux. 12 Il jette des petits cailloux contre la vitre afin d’attirer l’attention de sa maîtresse. « Ledit Amoureux (…) vint ruer deux ou trois grosses pelottes de neige contre les fenestres de sadite Dame. » Martial d’Auvergne. 13 Enmi : parmi. 14 LV : qua afaire la 15 Une malchance, un malheur. 16 D’amende. 17 Aux culs qui sont pleins de bruit et de fureur. « Tu me remplis le cul de noyse. » Trote-menu et Mirre-loret. 18 Me tenir, rester. 19 L’appareil urinaire de ma femme. 20 Elle s’approche de sa maison. 21 Malotru. 22 Je ne saurais, je ne pourrais (normandisme). Idem vers 21. 23 Elle entre dans la maison. 24 De mettre en ordre. 25 Au logis. Idem vers 14 et 182. 26 Que vous doutiez de ma fidélité. 27 Si j’enquête sur vous. 28 LV et LV2 : en 29 Qui m’oit, qui m’entend. LV2 : lot 30 LV : et quoy un — LV2 : quoy 31 En repos. 32 De nous fournir, en prévision de l’hiver. (Idem vers 229 et 232.) Par association d’idées, l’épouse passe de ses amants aux cochons. 33 LV : estoyrerement — LV2 : estorement (Pour notre provision. « Quar qui a bon vin d’estorment,/ Il ne doit pas boire à la mare. » ATILF.) 34 Forme normande de « saint Jean », comme au vers 194. « In Gen ! c’est mon : c’est mon frérot. » Le Bateleur. 35 La foire du Pardon s’ouvrait à Rouen le 23 octobre ; c’est là que les Rouennais se fournissaient pour l’hiver. Cf. les Veaux, vers 72. 36 Si nous en aurons, des porcs. 37 Sinon, gardez la maison. 38 LV : vertu bieu — LV2 : tu dieu 39 Il a toujours une objection toute prête. 40 Le scribe, sans même s’en apercevoir, duplique ensuite les vers 57-84. J’ai tenu compte de sa seconde copie (LV2) lorsqu’elle est plus satisfaisante que la première. 41 Méfier. 42 Je n’oserais pas. 43 Topez là pour accepter ma promesse. « Touchez là, le marché est fait ! » L’Homme à mes pois. 44 Vous les laisseriez mourir sans confession ? 45 À bon droit ou à tort. 46 Pour cette raison. 47 Un seul. « Il n’y en a pièce : Il n’y a personne d’entr’eux. » Antoine Oudin. 48 Donnez-moi de l’argent. C’est souvent l’épouse qui gère la cagnotte du ménage : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 108. 49 En toute hâte. 50 De bonne heure. 51 Il voit le mari s’en aller. Cet amoureux se comporte exactement comme le Résolu : « Est-il party, est-il vuydé ?/ Comme ung amoureux bien guydé,/ Derrièr’ la porte, d’une tire,/ Gaillardement je me retire. » 52 D’une bonne allure. 53 Vais. Idem vers 166, 177, 202. 54 LV : ou est 55 Éloigner. Voir le vers 14. 56 Croyez bien. « Si nourrices n’ont point de laict/ Ès mammelles, croyez d’un cas/ Qu’il leur faut quelque gros varlet/ Pour leur battre souvent leur “bas”. » La Médecine de maistre Grimache. 57 Dans le Badin qui se loue, l’Amoureux se plaint de même à la Femme : « Certes, m’amye, je vous asseure/ Que depuis environ huyt jours,/ J’ay fait plus de quarante tours/ Icy entour vostre logis./ Mais tousjours vostre grand longis/ De mary présent y estoit. » 58 Ho ! par la vertu de Dieu ! 59 Il revient sur ses pas, et frappe à sa porte. 60 Dans Frère Guillebert aussi, la femme expédie son époux au marché ; mais il revient à l’improviste parce qu’il a oublié son bissac. Elle cache alors sous du linge le postérieur de son amant agenouillé. 61 Elle ouvre, et son mari entre. 62 Avez-vous (normandisme). Idem vers 237. 63 Vous meut, vous motive. 64 Que de soins, de tracas ! 65 LV : le (Il veut remettre la couverture à sa place, mais son épouse l’empêche d’y toucher.) 66 Mauvaise joie, malheur. « Qu’il en ait froide joye ! » Serre-porte. 67 LV : vos (Mes affaires intimes.) 68 Son mari l’interrompt avant qu’elle ait eu le temps d’ajouter drapelets : chiffons qui tenaient lieu de serviettes hygiéniques. Voir le vers 162. 69 Nettoyer. Pour porter le linge au lavoir, on l’enveloppait dans un drap noué. 70 Mettre ton manteau pour aller au lavoir. 71 Elle referme la porte sur son mari. 72 Débarrasser. Idem vers 185 et 283. 73 Forme normande de vésarde : frayeur. « Ma foy, j’avoys belle bésarde ! » Les Sotz nouveaulx farcéz. 74 LV : anthoeine (Que le mal des ardents [l’ergotisme] le brûle !) 75 LV : aseur (Je n’en serai pas rassuré avant une heure.) 76 Ma sœur : terme affectueux. 77 Avant de passer à l’acte, les amants prennent toujours des forces. Cf. le Poulier à sis personnages. 78 Je récapitule. 79 Il revient sur ses pas, et frappe à sa porte. 80 Dans un cercueil. Mais le public normand a pu comprendre : noyé dans la bière. 81 Derrière le rideau de fond, une échelle permet de monter dans le poulailler, qui n’est autre qu’une mezzanine, un demi plafond à claire-voie : il suffit de lever la tête pour voir l’individu qui s’y cache. 82 Le « g » dur normand remplace le « j » : bourgoise (v. 41), guéline (v. 223), gaindre (v. 326). 83 Que je le raconte. 84 Oublié (normandisme). Cf. l’Homme à mes pois, vers 260, 278, etc. 85 LV : nostre pourceau (Voir le vers 181.) 86 LV : quil 87 Vas-y vite. Mais le public normand a pu comprendre que le mari traitait sa femme de chiasse : « N’apportez point de vin nouveau,/ Car il faict avoir la va-tost. » (Testament Pathelin.) C’est également une maladie vénérienne : « Les ungz font la beste à deux dos…./ Les autres gaignent le vatos/ Et la chaudepisse. » Jehan Molinet. 88 Il reste sur le seuil (à l’huis), pendant que sa femme passe derrière le rideau de fond. 89 J’attendrai. (Faire est subrogé au verbe du vers 203.) 90 De loin, il entrevoit quelque chose dans le poulailler. 91 Par la porte. 92 Ne disons pas un mot. 93 LV : laray 94 Honteux d’avoir exprimé une idée aussi lâche, le mari entre, lève la tête, et aperçoit l’amoureux. 95 À lui ! C’est-à-dire : À l’attaque ! Cf. le Roy des Sotz, vers 141 et 183. 96 Un de ces prétendants qui me font passer des nuits blanches. 97 Forme normande de « géline » : poule. « Au poulier à noz guélines. » (Le Poulier à sis personnages.) Pour « humer » un œuf : prenez un œuf cru du jour. Percez avec la pointe d’un couteau le sommet de sa coquille. Bouchez ce trou avec l’index. Retournez l’œuf et percez l’autre côté. Renversez la tête en arrière. Appliquez ce nouveau trou contre vos lèvres. Enlevez l’index qui bouche le trou du dessus. Aspirez lentement le contenu de l’œuf. 98 Je ne dois faire semblant de rien en attendant que… 99 Que jamais. 100 Les yeux au ciel, il arbore un air extatique. 101 Qu’est-ce qui vous prend ? 102 Êtes-vous à cours de (questions) pièges ? « Vous y estes sy très propice/ Et si soubtil en tous ametz. » ATILF. 103 Elle ouvre la porte et crie dans la rue. 104 Elle entre. 105 Qu’il devient fou. 106 Divertissement. C’est le vers 238 de Frère Frappart. 107 Signez-vous : faites le signe de la croix, car vous êtes possédé. L’Ennemi, ou le Mauvais du v. 259, c’est le diable, qu’on chasse avec l’eau bénite du v. 258. La voisine est très superstitieuse. 108 Au pèlerinage de Notre-Dame-des-Miracles, à Mauriac, où on adorait les reliques de saint Mary. Ce nom prête à un calembour facile : saint mari. 109 À l’église. 110 LV : y (La voisine lève la tête et voit l’amoureux.) 111 Châtré comme un coq. Le mari réitère sa menace au vers 306. 112 Il n’est pas venu là pour faire la bagatelle. 113 Le chassaient (prononciation normande). « Vive Bon Temps ! Cachons [chassons] mélancolie,/ Qui nous engendre une pure folie ! » La Muse normande. 114 S’il n’avait pas couru plus vite qu’eux. 115 Que je ne le dénonce. 116 Avec son arme dégainée. « Et les troiziesmes bastons estoient deux dagues. » ATILF. 117 Furieux (normandisme). « Il est entré tout furé au logis et, prenant un baston, s’est mis à nous charger. » Huguet. 118 « On dit qu’on en fera bien mouler à quelqu’un, pour dire qu’on lui en donnera bien de la peine. » Le Roux. 119 De descendre du poulailler. 120 Il juge plus prudent de rester perché, en prétextant la fiction inventée par sa maîtresse. 121 LV : quilz nentrent se 122 Quel contentieux vous avez avec eux. 123 L’amoureux commence à forger une histoire ; mais il s’arrête net quand il se souvient que l’épieu a un double sens phallique. 124 Maintenant. 125 LV : rable (« Judas (…) commença à s’endiabler. » Gabriel Chappuys.) 126 LV : santy (Sancto sanctorum ! Par le Saint des saints : au nom de Dieu !) 127 Que de discours. 128 Allez vous plaindre d’eux aux autorités. 129 Je ne les redoute ni de près, ni de loin. 130 Les deux femmes se désolent devant une perspective si regrettable. Dans une circonstance analogue, la maîtresse de Frère Guillebert se lamente aussi, au vers 237. 131 Dans le Munyer, on veut aussi faire admettre au cocu qu’il est le cousin de l’amant de sa femme : « –Dieu vous doinct bon jour, mon cousin !/ –Il suffit bien d’estre voisin/ Sans estre de si grant lignaige. » Même jeu dans Pernet qui va au vin : « C’est vostre grant cousin germain. » 132 Si vous faites de moi un coucou, je ferai de vous une fauvette : j’irai pondre dans votre nid. « Coqu ne pond qu’un œuf, qu’il met au nid de la Fauvette. » Pierre Belon, Histoire de la nature des oyseaux. 133 Frétillante. Le mari vitupère la voisine, qui a inventé ce cousinage pour sauver les attributs de l’amoureux. 134 En principe, on dit « le cœur ». Mais voir Deux Hommes et leurs deux femmes, dont l’une a malle teste, et l’autre est tendre du cul. 135 LV : voyre (Il n’y a aucune raison que ce vers, qui n’est pas un refrain, soit identique au vers 321.) 136 Vous êtes son entremetteuse. 137 Laid, injurieux. 138 Faites repeindre ce mot, pour qu’il soit moins laid ; ou votre nez, pour qu’il soit moins rouge. 139 Geindre. 140 On devrait nous tuer. Meurtrir = commettre un meurtre. 141 Injurier. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 700. 142 Sans contester. Forme normande du vieux verbe « challenger ». 143 LV : noiercy (Les deux femmes tapent sur le mari.) 144 LV : la mere (Le copiste a vainement gribouillé un « y » sur le « e » final.) 145 Suis-je toujours une maquerelle ? 146 Si j’ai dit quoi que ce soit. 147 Je vais te tuer. 148 LV : ou inimres 149 Du sexe de ta femme. Cf. les Femmes qui font renbourer leur bas. Même jeu de mots à 344. 150 Remettez votre chapeau. Cf. le Povre Jouhan, vers 198-201. 151 Il n’y a pas la place : le plafond est trop près du poulailler pour que l’amoureux puisse mettre son chapeau. 152 Tout coi, sans parler. « Mais j’y ay fait des escolliers/ Taire tout coy. » Serre-porte. 153 L’esprit fin. 154 Ne trompe. Les mêmes jeux de langage alimentent ce Rondeau. 155 Ma mélancolie. « Et pour oster mérencolie. » Charles d’Orléans.