SCIENCE ET ASNERYE
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SCIENCE ET
ASNERYE
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Cette farce moralisée, écrite en Normandie vers 1499, comporte comme il se doit des personnages allégoriques : Science représente la connaissance théologique (et non pas la connaissance scientifique). Ânerie représente l’arrivisme des ecclésiastiques qui obtiennent les meilleurs postes par la corruption et non par le mérite. Le clerc d’Ânerie est un personnage de farce, un rôle de Badin, nom sous lequel les rubriques le désignent.
L’auteur craint que les bassesses et les insuffisances du clergé ne provoquent un rejet, qui se produira effectivement avec la Réforme. Cet auteur pourrait être Pierre de Lesnauderie (1450-1524), dont on retrouve ici toutes les qualités et tous les défauts. À l’époque où je situe l’œuvre (~1499), il professait à l’université de Caen. Il a signé deux autres pièces de théâtre : la sottie de Pates-ouaintes (1493) étrille les autorités royales et ecclésiastiques qui voulaient nuire aux privilèges fiscaux dont jouissait l’université de Caen. La Cène des dieux (~1497) est une moralité chrétienne jouée par les dieux de l’Olympe ; pour punir le genre humain, ils ne lui envoient pas un inefficace déluge, mais la syphilis.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 50.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec une ballade initiale et des quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À quatre personnages, c’est asçavoir :
SCIENCE,
SON CLERQ.
ASNERYE,
et SON CLERQ, [maistre Johannès], qui est Badin.
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SCIENCE commence 1 SCÈNE I
Tant de fins tours, tant de finesses2,
Tant de maulx [et] tant de rudesses,
Pertes, exès, calamytés !
Les uns eslevés en richesses,
5 Nobles délaissans leurs noblesses,
Faisant tort aulx communités3.
Tant de sos4 mys en dignités,
Tant de gens plains d’iniquictés,
Et tant de gens sans consience !
10 Tant de pompes5 et vanités !
Et toutes ces énormytés
On faict sans moy, qui suys Science.
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J’ey veu que j’estoys florissante,
Aulx cœurs des princes reluysante ;
15 Qu’on prisoyt mes faictz et mes dis.
Mais maintenant, suys impotente.
Mesme l’Église mylitante6
Ne tient compte de mes édis.
Asnes mytrés7, sos estourdis
20 Ont mes serviteurs interdis.
Force m’est prendre en pacience,
Sans mesprisons8 et contredis ;
Car vilains, par moyens mauldis,
Ont faict sans moy, qui suys Science.
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25 Les philozophes anciens
Montroyent aulx princes les moyens
À9 bien leurs subjectz gouverner.
Mais un tas de praticiens10
Pires que les magiciens11
30 Veulent aujourd’uy gouverner,
Tirer à soy et rapiner12,
Et quelque fraulde machiner ;
Sans avoir congé ne licence,
Prendre l’autruy et larcyner13.
35 Telz finesses détermyner
Ont faict14 sans moy, qui suys Science.
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Seigneurs, imaginez comment
Gens vivent vertueusement,
Pourveu que je soyes en présence15.
40 [Jugez que]16, sans sçavoir comment,
Telz finesses certainement
On17 faict sans moy, qui suys Science.
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LE CLERQ DE SCIENCE entre SCÈNE II
Y me fault faire diligence,
Car il est temps et grand saison
45 De me pourvoir18.
SCIENCE
C’est négligence
De croupir auprès du tyson19.
Et dictes, par vostre raison20 ?
LE CLERQ DE SCIENCE entre
J’apète21 science aquérir.
SCIENCE
C’est bien parlé. Mais pour poison
50 Se donne22 à qui la va quérir.
LE CLERQ DE SCIENCE
Y ne fault poinct [sy] loing courir :
Science n’est pas esgarée.
SCIENCE
On m’a cuydé faire mourir.
J’ey esté quasy séparée
55 De mon lieu.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qu’elle est désolée !
Dont provyent cecy, noble Dame ?
SCIENCE
J’ey esté blessée et foullée,
Et navrée23 de corps et d’âme.
LE CLERQ DE SCIENCE
Vostre renom, bruict, los et fame24
60 Est-il mys au bas ?
SCIENCE
C’en est faict.
LE CLERQ DE SCIENCE
Par Dieu ! Pour vous, c’est un ort blasme25.
Qui peult avoir faict ce forfaict ?
SCIENCE
Gens despourveux de bon éfaict26,
Qui de moy ne font pas grand compte.
LE CLERQ DE SCIENCE
65 L’homme ne peult estre refaict27
S’y n’a Science, en fin de compte.
SCIENCE
Par Science, l’homme hault monte.
LE CLERQ DE SCIENCE
[Il est monté]28, le temps passé ;
Mais maintenant, on le desmonte.
70 Toult est aultrement compassé29.
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LE CLERQ D’ÂNERYE, en Badin30, entre.
’Nadiès31 ! ’Nadiès ! SCÈNE III
LE CLERQ DE SCIENCE
Dieu gard, clérice32 !
LE BADIN
Afin que je vous advertisse,
Cléricé 33 suis-je voyrement,
À vostre bon commandement !
75 Je sçay mon françoys et latin :
Vultis vobis, ser[v]os et in…34
Voy(e)là tout mon latin par cœur.
LE CLERQ DE SCIENCE
Méchant, séroys-tu35 faire honneur
À ceste Dame d’excellence ?
LE BADIN
80 Et qui est-elle ?
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est Science,
Combien qu’elle soyt mal en poinct.
LE BADIN
Bau, bau ! Je ne la36 congnoys poinct.
Je n’ay poinct de Science envye.
Je ne la vis onq en ma vye.
85 J’en sçay assez pour mon user37.
Je ne me veulx poinct amuser38
Aveq(ues) elle, car gens scïens39
Sont, pour le jourd’uy, mendiens.
Je voys40 chercher alieurs pasture.
LE CLERQ DE SCIENCE
90 Et où vas-tu ?
LE BADIN
À l’advanture41.
Peult-estre que seray pourveu
Plus tost c’un grand clerq, dea, pourveu42
Que j’ay[e] d’aulcune43 la grâce.
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ASNERYE entre 44 SCÈNE IV
Pour bien jouer de passe-passe45,
95 C’est moy, c’est moy : j’en suys ouvrière46.
J’en prens, j’en donne, j’en amasse ;
J’en ay une grande mynière47.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui est ceste grande loudière48 ?
LE BADIN
N’en dictes mal, je vous en prye !
LE CLERQ DE SCIENCE
100 La congnoys-tu ?
LE BADIN
Elle est ma mère49.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui est-elle ?
LE BADIN
C’est Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
Ânerye ? Vierge Marye !
Elle taille nos manteaulx cours50.
SCIENCE
Mon amy, je te certifye
105 Qu’Ânerye se tient aulx Cours51.
ÂNERYE
Je voys, je viens, je suys en52 cours,
J’ey grande domination.
À mes serviteurs faictz secours,
Et leur donne provision.
LE CLERQ DE SCIENCE
110 C’est une grand irision53
De voir Ânerye eslevée.
SCIENCE
C’est une malédiction !
C’est par elle que suys grevée54.
Elle est maintenant sy privée55
115 De ceulx qui ont gouvernement,
Qu’el a tant faict que suys privée
De tous mes droictz.
LE CLERQ DE SCIENCE
Dictes comment ?
SCIENCE
Elle estudye incessamment
À faire inventions nouvelles.
LE CLERQ DE SCIENCE
120 Nous congnoissons certainement
Qu’Ânerye veult voler sans elles56.
SCIENCE
Et qu’el a faict des plays57 mortelles,
Jadis, dedens noble sité :
[Elle engendra maintes querelles
125 Au sein de l’Université.]58
LE CLERQ DE SCIENCE
Ânerye ? Bénédicité !
Qu’elle cause, au pays, de maulx !
SCIENCE
Tant avons eu d’aversité,
Depuys qu’el a faict ses grans saulx59 !
LE CLERQ DE SCIENCE
130 Nous voyons, par mons et par vaulx,
Courir une estrange saison.
LE BADIN
Pourveu seray (sy je ne faulx60)
De bénéfices à foyson.
Je sçay qui est scriptorium61.
135 A quo, a qua. Non régula62 !
Da michy bénéficium63,
[Âneria !]
ÂNERYE 64
Holà, holà !
Avoir les bénéfices ? Dea !
En tel poinct, il fault bien entendre
140 Qu’i sont estalés çà et là.
LE BADIN
Comment donc ? Les voulez-vous vendre ?
ÂNERYE
Tu n’es pas expert pour entendre
Ce que j’en veulx détermyner.
LE BADIN
[ …………………… -endre,
…………………….. -ner ?
ÂNERYE ]
J’en puys vendre, j’en puys donner.
145 J’en domyne, j’en prens, j’en taille :
C’est à moy. Pour en ordonner,
J’en oste à l’un, à l’aultre en baille.
Je les espars plus dru que paille65
Pourveu, dea, qu’on face debvoir66.
150 Le plus souvent, y a bataille,
Car à force67 les fault avoir.
LE CLERQ DE SCIENCE
Dame Science, alons sçavoir
Sy pouroys, par vostre moyen,
Estre pourveu.
SCIENCE
Je le veulx bien.
LE CLERQ DE SCIENCE
155 Ânerye départ68 bénéfices
En ellevant gens en ofices,
Ce que jadis vous ay veu faire.
SCIENCE
Je n’en puy[s] mais69, c’est l’ordinaire.
LE CLERQ DE SCIENCE
De nuict, de jour, en diligence70
160 Je vous ay aquise, Science :
Au moins, que j’ay[e] je ne sçay quoy !
SCIENCE
Bref, il ne tiendra poinct à moy ;
Avec vous g’iray volontiers. Parlant à Ânerye :
Voi(e)cy un de mes famillyers
165 Que j’ey à honneur introduict71.
De par moy a esté instruict,
On le voyt par expérience.
ÂNERYE
Je ne vous congnoys.
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est Science.
SCIENCE
Je le plévys sientifique72,
170 Usant73 de raison politique.
À luy, n’y a quelque74 insolence.
ÂNERYE
Je ne vous congnoys.
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est Science.
ÂNERYE
Ayez un peu de pacience,
Car je suys à aultruy debteur75.
SCIENCE
175 Il est digne d’estre pasteur76 :
Vous luy donnerez, s’y vous plaist,
Gouvernement77.
ÂNERYE
À peu de plaist78,
Je n’y ay poinct encor pencé.
LE BADIN
Ânerye, je suys dispencé79
180 D’obtenir quatre bénéfices ;
Donnez-les-moy, y sont propices
À mon estat et faculté.
N’en faictes poinct dificulté :
Monsieur80 le veult et vous le mande.
ÂNERYE
185 Il sera faict, puysqu’il commande.
Tu me semble bien nouvelet81.
LE BADIN
Je suys pour son secret valet82,
Long temps y a, et longue espace.
ÂNERYE, bail[l]ant une amuche83 au Badin :
Recommande-moy à Sa Grâce84 !
190 Tu es pourveu, voi(e)là pour toy.
SCIENCE
Ânerye, à ce que je voy,
Vous pourvoyez un tas de sos
Qui ne séroyent parler deulx mos
De latin congru, et lessez
195 Plusieurs bons clers intéressés85.
N’esse pas grosse rêverye ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Que voulez-vous ? C’est Ânerye,
Qui mect en biens ânes et veaulx.
SCIENCE 86
Voi(e)cy des termes bien nouveaulx !
200 Que vendez-vous ?
ÂNERYE
Des bénéfices.
Les uns je despesches gratis87.
J’en vens de grans et de petis ;
Les denyers m’en sont bien propices.
SCIENCE
Que vendez-vous ?
ÂNERYE
Des bénéfices.
205 Je les dépars, je les eschange,
L’un à privé, l’aultre à l’estrange88,
Mès89 que j’aye bonnes espices.
LE CLERQ DE SCIENCE
Que vendez-vous ?
ÂNERYE
Des bénéfices.
SCIENCE
A ! beste robuste90, Ânerye,
210 Plaine de toulte tricherye :
Me veulx-tu abolir ainsy ?
ÂNERYE
Je vis sans soing et sans soulcy
Malgré vous, Science, ma dame.
SCIENCE
Et ! se faictz mon91, bon gré mon âme !
215 Tu en es92 cousu et taillé.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui, grand deable, vous a baillé93
Gouvernement ?
ÂNERYE
C’est trop raillé !
On le veult, il vous doibt suffyre.
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est pour les bons clers desconfire.
220 Vous avez bénéficié94
Qui ne sçayt (pour toute devise)
Dire, quant il est à l’église,
Seulement un Per omnya97.
LE BADIN
225 Qui, moy ? Qui, moy ? Sy feray, dea !
Mot98, mot ! J’en voys prendre le ton :
« Per omnya sécula séculorum !! »
N’ei-ge pas l’oreille haultainne99 ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Va ! Ta forte fièbvre quartaine !
230 Tu n’y entens ny gros, ny gresle100.
LE BADIN
Sy fault-il bien que je m’en melle,
Puysque j’ey la pèleterye101.
SCIENCE
Qui t’a apoinct102 ?
LE BADIN
C’est Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
Vous voyez bien qu’i ne sçayt rien.
ÂNERYE
235 À mon avys, qu’il chante bien103,
À ce que voy et puys congnoistre !
LE CLERQ DE SCIENCE
Faire d’un tel conard104 un prestre !
Qu’esse icy ? À qui sommes-nous105 ?
LE BADIN
J’éray106 cornète de velou(r)s
240 Traînnante jusques à la terre.
ÂNERYE
C’est le moyen pour bruict aquerre107.
Car, posé108 c’un homme a science,
S’y ne tient terme d’aparence109,
On luy laisse ronger son frain110.
LE BADIN
245 On me descongnoistra111, demain,
Puysque je suys bénéficïé :
Chascun m’apeloyt « Socié » ;
J’auray non « maistre Johannés ».
On engressera les bonnés112
250 Par force de me saluer.
LE CLERQ DE SCIENCE
Y nous fault de propos muer113,
Et conclure sans alibis114
Qu’on faict révérence aulx abis,
Non pas aulx gens siencieulx115.
SCIENCE
255 A ! seigneurs conciencieulx,
Où estes-vous ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Ilz sont aucteurs116.
SCIENCE
Qui faict nouveaulx expositeurs117
A[i]nsy gloser glose sur glose ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui faict les subtilz inventeurs,
260 Maintenant, avoir bouche close ?
N’avons-nous pas, en belle prose,
La Bible en françoys118 ?
SCIENCE
Je suys pérye,
Car toult se faict par Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui faict les bons clers ravaler ?
SCIENCE
265 Qui faict Justice mal aler ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui cause tant d’impôs nouveaulx ?
SCIENCE
Qui faict au monde tant de maulx ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui entretient la pillerye ?
SCIENCE
Conclusion : c’est Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
270 D’où vient c’un homme de métier119
On élève aujourd’uy sy hault ?
SCIENCE
D’où vient qu’en clouestre et moutier120
On crie comme en guerre à l’assault ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Et d’où vient que soufrir y fault
275 Qu’on perde prévilège et droys121,
Et Justice soyt en défault ?
SCIENCE
Ânerye le veult.
LE CLERQ DE SCIENCE
Je vous croys.
Qui défleure simples pucelles ?
SCIENCE
Qui entretient ces maquerelles ?
LE CLERQ DE SCIENCE
280 Qui entretient déception122,
Larcin, usure, tromperye ?
Dictes-m’en vostre opinion.
SCIENCE
Conclusion : c’est Ânerye.
Nota que le Badin se pourmaine 123,
tenant l’amuche sur son bras.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui esse qui ainsy copye124,
285 Tenant termes125 ? Où sommes-nous !
ÂNERYE, parlant au Badin :
Honneur, Monsieur !
LE BADIN
Dieu vous bénye !
ÂNERYE
Monsieur, comme vous portez-vous ?
LE BADIN
Gorier, je faictz la barbe à tous126.
LE CLERQ DE SCIENCE
Johannés faict du capitaine,
290 Johannés porte le velou(r)s.
LE BADIN 127
Johannés ? Ta fièbvre cartaine !
SCIENCE
Il tient termes.
LE CLERQ DE SCIENCE
Il se pourmaine.
Nos deulx128 sommes petis novices,
Près129 de luy.
SCIENCE
Ânerye le mayne.
ÂNERYE 130
295 Je repliray mes bénéfices.
LE CLERQ DE SCIENCE
Ânerye, nous sommes propices131
D’en obtenir.
ÂNERYE
Rien, pas la maille132 !
LE CLERQ DE SCIENCE
Gros ânyers [et] gens plains de vices
En ont bien.
SCIENCE
Or sus ! qu’on nous133 baille
300 Quelque chose, vaille qui134 vaille,
Au mains135 pour soy entretenir.
ÂNERYE
Ouy dea, de beaulx136 !
LE CLERQ DE SCIENCE
Elle se raille.
C’est perdre temps de nous tenir
En ce lieu-cy.
SCIENCE
De revenir
305 Une aultre foys seroyt folye,
Car il nous peult bien souvenir
Qu’on pourvoyt gens par Ânerye.
Une chanson, je vous emprye137 !
En prenant congé de ce lieu,
310 Une chanson pour dire « à Dieu » !
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FINIS
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1 Elle est vêtue de loques : voir le vers 81. 2 De fourberies. Idem vers 35 et 41. 3 À la communauté. Cf. les Sotz escornéz, vers 282. 4 De sots. Idem vers 19 et 192. Les dignités sont les hautes fonctions des dignitaires de l’Église. 5 D’apparat. 6 « L’Église militante : la présente Église catholique, qui milite en combatant contre ses adversaires, qui sont le deable, le monde et la chair. » ATILF. 7 Les ânes coiffés d’une mitre sont les évêques. Lors de la fête de l’Âne, un de ces quadrupèdes est affublé d’une mitre épiscopale. 8 LV : mes raisons (Sans paroles méprisables. « Depuis vingt ans, sans mesprison,/ J’ay esté tousjours en prison. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) 9 Pour. Dans Pates-ouaintes (vers 433-446), Pierre de Lesnauderie opposait déjà l’idéalisme des Anciens au prosaïsme des Modernes. 10 D’experts, ici avec un sens péjoratif. 11 « Ceux qui employent les paroles sainctes & divines à des sorcelleries & effects magiciens. » Montaigne. 12 Tirer l’argent vers eux et se livrer à des rapines. 13 Ils veulent prendre les biens d’autrui et commettre des larcins. 14 Ils ont fait s’accomplir de telles magouilles. 15 En leur présence. 16 LV : juges et 17 LV : ont (Même refrain qu’au vers 12.) 18 De m’octroyer un bénéfice ecclésiastique ou une cure. On croirait entendre Guermouset, qui appartient pourtant à la catégorie des ânes : « Je deusse estre pourveu présent,/ Avoir bénéfices et cures./ N’est-il pas temps qu’on me pourvoye ? » 19 De rester devant sa cheminée, au lieu d’être utile à la communauté. 20 Quelle raison donnez-vous ? 21 Je désire. 22 LV : nomme (La science se montre sous une forme amère à celui qui la recherche.) 23 Blessée. Na-vré-e compte pour 3 syllabes. 24 Ces 4 mots ont un même sens : réputation. 25 Un sale, un indigne blâme. 26 Dépourvus d’une bonne influence. 27 Ne peut se corriger. 28 LV : Ie le montys 29 LV : compense (Agencé. « Tout est mal compassé. » Mallepaye et Bâillevant.) 30 Tout comme cet autre clerc ignorant qu’est Maistre Mymin qui va à la guerre, il est « habillé en Badin d’une longue jacquette, et enbéguyné d’ung béguin, ayant une grande escriptoire ». 31 Les collégiens paresseux abrègent ainsi bona dies [bonjour] par aphérèse. « ’Nadiès, ’nadiès, dominus Totus ! » Tout, Rien et Chascun (BM 56). 32 Clerice est le vocatif (prononcé à la française « cléricé ») de clericus : clerc. Cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 194. Mais le clerc de Science caricature l’ignorance du Badin en prononçant « clérice », qui est la forme locale du prénom féminin Clarisse. 33 LV : clerise (Je suis vraiment un clerc. Ou bien : Je m’appelle vraiment Cléricé, comme le clerc du curé dans Régnault qui se marie.) 34 Il semblerait — mais par quel miracle ? — que le Badin cite le second livre des Chroniques : « Filios Juda et Jerusalem vultis vobis subjicere in servos et ancillas. » À la française, servos et in se prononce comme « cerveaux éteints ». 35 Ne saurais-tu. Même normandisme à 193. 36 LV : le (« Bo, bo ! » est une interjection normande. Cf. Lucas Sergent, vers 66.) 37 Pour mon usage personnel. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 22. 38 Perdre mon temps. 39 Savants. L’idée que le savoir ne nourrit pas son homme était fort commune : « Les clers n’ont riens,/ Pour chose qu’ilz aient leu ne veu…./ Les clers bien lettréz ont des poulx. » Les Sotz ecclésiasticques. 40 Je vais. Idem vers 106 et 226. 41 LV : la vuanture 42 LV : pour voir 43 D’une certaine femme. Le Badin voit arriver Ânerie. 44 Elle a des oreilles d’âne, et elle tient un chiffon noué qui renferme quelque chose. 45 « Si jouerez-vous de passe-passe/ Ou vous le ferez ! » P. de Lesnauderie, Cène des dieux. 46 J’en suis spécialiste. 47 Une mine inépuisable. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 168. 48 Cette pouffiasse. Cf. le Mince de quaire, vers 170, 179, etc. 49 LV : mye (« Ce sont Resverie et mère Asnerie, et non pas Artifice [technique] ni Science. » Jehan Le Bon.) « Ignorance est mère de tous maulx. » Proverbe. 50 À cause d’elle, nous sommes court-vêtus. 51 Dans les cours royales, et dans les cours de Justice, y compris la cour d’Église. 52 LV : je (Je suis en vogue. « Vous estes en cours. » Raoullet Ployart.) 53 Moquerie. « C’est grand déshonneur/ Pour nous, et grande irrision. » ATILF. 54 Accablée. 55 Si intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485. 56 Veut péter plus haut que son cul. « C’est folie de vouloir voler sans aile. » Trésor des sentences. 57 Des plaies. 58 2 vers omis (censurés ?). Pierre de Lesnauderie enseignait à l’université de la « noble cité » de Caen, où sévissait l’ânerie : voir Pates-ouaintes. « Le tort qu’il luy faisoit engendra maintes querelles. » Nicolas de Herberay. 59 Ses sauts périlleux, ses bouffonneries. 60 Si je n’y manque pas (verbe faillir). 61 Secrétaire. (À la française, on prononce « scriptorion ».) Dans le colophon de Pates-ouaintes, Lesnauderie se dit « scriba Conservatoris » : secrétaire du conservateur de l’université de Caen. 62 Pas la règle ! Plutôt que d’une règle de grammaire, il doit s’agir de la règle [latte en bois] qui sert à frapper le postérieur des cancres. 63 LV : beneficia (Donne-moi un bénéfice ecclésiastique !) 64 Elle déploie par terre son chiffon, qui contient une aumusse et d’énormes clés de couleur argentée, ouvrant l’accès à telle ou telle cure. Dans la moralité Hérésye et Frère Symonye (LV 57), cinq personnages armés de telles clés veulent entrer dans l’Église : « C’est une clef d’argent/ Qui faict en tous lieux ouverture/ Et mect les gens en prélature. » 65 Je les distribue plus serrés que des fétus dans une botte de paille. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 11. 66 Pourvu qu’on me rémunère. 67 Par la force. 68 Distribue. Idem vers 205. 69 Je n’y peux rien. 70 Avec diligence, empressement. 71 Que j’ai initié à l’honneur. 72 Je vous le garantis savant. « Si la vous plévis-ge pucelle. » Maistre Mimin estudiant. 73 LV : lysant 74 Aucune. Dessous, le scribe a recopié par inadvertance le vers 168. 75 Je suis débitrice à d’autres que vous. 76 Curé. 77 Charge d’âmes. Idem vers 217. 78 De plaids : en peu de mots. 79 Autorisé par une dispense spéciale. 80 Peut-être s’agit-il de « Monsieur de Bayeux » : c’est le titre qu’on donnait aux évêques du diocèse. « Le sieur official de Monsieur de Bayeux, en ce siège de Caen. » (Ch. de Bourgueville.) L’évêque Charles de Neufchastel appartenait à une famille de redoutables capteurs de bénéfices ; lui-même fut archevêque de Besançon à 20 ans ! Lesnauderie ne court aucun risque en l’attaquant, puisque cet « âne mitré » venait de mourir en 1498 ; d’ailleurs, l’auteur de Pates-ouaintes n’avait pas craint de tourner en ridicule l’évêque de Chalon, bien vivant. Charles de Neufchastel était en outre chancelier de l’université de Caen, où Lesnauderie professait. 81 Un peu jeunot pour régir quatre cures. 82 Je lui tiens lieu d’entremetteur. « Par son secret varlet, (elle) envoya lettres au chastellain. » Les Amours du chastellain de Coucy. 83 Une aumusse : le capuchon fourré que portent les prêtres. Idem entre les vers 283-284. Cf. les Brus, vers 113. 84 À monseigneur l’évêque (note 80). « S’il plaist à Vostre Grâce. » Grandes Chroniques de France. 85 Lésés. Cf. Régnault qui se marie, vers 288 et note. 86 Elle regarde le chiffon sur lequel sont alignées les clés. 87 J’expédie gratuitement. 88 L’un à un proche, l’autre à un étranger. 89 Mais. C’est la graphie personnelle de Lesnauderie : « Car mès qu’ilz aient le liminaire. » (Pates-ouaintes.) Les épices sont les pots-de-vin grâce auxquels on soudoie les juges. 90 La bête robuste désigne l’âne. « Le plus robuste asne qu’on sauroit trouver. » G. de la Bouthière. 91 Moi aussi. « Sy fayz mon, ouy-dea ! » La Pippée. 92 LV : as (Tu en es réduite au silence. « Il en est taillé et cousu. » Le Munyer.) Ce vers inutile et mal accordé, qui introduit une 3e rime, est apocryphe. 93 LV : donne 94 Vous avez pourvu d’un bénéfice. Idem vers 246. 95 Un clerc ignorant. C’est le prénom Jean latinisé. Idem vers 248 et 289. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 37. 96 Un latiniseur inculte. Idem vers 247. C’est le nom d’un écolier dans le Maistre d’escolle. « Pour farcer ygnares sociéz. » Les Coppieurs et Lardeurs. 97 C’est la prière de base : tous les clercs débutants doivent pouvoir la chanter, ou plutôt la brailler le plus fort possible. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 1 et 141. 98 Plus un mot ! Prendre le ton = prendre la note. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 77 et note. 99 Parfaite. 100 Tu n’y connais rien. « Je n’y entens ne gros, ne gresle. » Farce de Pathelin. 101 La fourrure : l’aumusse (note 83). 102 Qui t’a investi (verbe appointer) ? 103 Les mères des futurs prélats sont toujours en extase devant la puissance vocale de leur rejeton : « Il chante bien Orémus,/ Et chante le Péromnia. » D’un qui se fait examiner pour estre prebstre. 104 D’un tel bouffon, pareil aux Conards de Rouen, qui écriront : « Tel est un asne qui pense estre un grand clerc. » Les Asniers remplis d’asnerie. 105 Où sommes-nous ? Même vers dans la Nourrisse et la Chambèrière. 106 J’aurai (normandisme). La cornette est l’extrémité longue du chaperon des docteurs en théologie. 107 Pour acquérir de la réputation. 108 En admettant. 109 S’il ne soigne pas son apparence. 110 On le laisse attendre au lieu de lui donner un poste. 111 On ne me reconnaîtra plus. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 306. 112 Mes thuriféraires mettront des traces de doigts graisseuses sur leur bonnet. 113 LV : changer (« Le roy mua propos à force d’estre pressé du duc de Milan. » ATILF.) 114 Sans mauvaises excuses. 115 Savants. L’idée qu’on respecte davantage les hommes pour la qualité de leurs habits que pour leur intelligence n’était pas nouvelle. 116 L’auteur se classe donc parmi les « seigneurs consciencieux ». 117 Commentateurs, glossateurs de la Bible. 118 En 1498, Antoine Vérard venait de publier la Bible historiée. Bien que cette édition fût supervisée par un évêque, Jean de Rély, elle fit grincer des dents aux scholiastes qui entendaient garder le monopole de l’exégèse biblique. Évidemment, les farceurs ont mis leur grain de sel : « La Théologienne scet tout./ Elle a veu de bout en bout/ La grant Bible en françoys…./ Brief, en tous livres elle glose. » Farce de Quattre femmes (F 46). 119 Qu’un artisan. 120 Que dans un cloître et dans un monastère, où le silence est de règle. 121 C’est le sujet de Pates-ouaintes. 122 La fourberie. 123 Se promène. (Idem vers 292.) Imitant les dignitaires de l’Église, il retrousse avec son bras la longue écharpe de son aumusse. 124 LV : corige (Se moque de nous. « Je coppiray mains cocardeaulx. » Les Coppieurs et Lardeurs.) 125 Nous tenant tête. Idem vers 292. 126 Élégant, je snobe tout le monde. « Et si, ferez la barbe à tous. » Colinet et sa Tante. 127 Il s’indigne qu’on ne l’appelle pas « maître Johannès » (vers 248). 128 Nous deux (normandisme). 129 LV : aupres 130 Elle replie le chiffon qui contient les clés. 131 Bien dignes. 132 Pas un centime. 133 LV : leur 134 Que. Cf. la Première Moralité de Genève, vers 297. 135 Au moins. Cf. Pates-ouaintes, vers 45. 136 Des beaux mots, des promesses. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 220. 137 LV : suplye (Ce vers, tel que je le corrige pour la rime, est l’ultime vers de l’Homme à mes pois, du Poulier à quatre personnages, etc.) Le distique final est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.
LES TROIS AMOUREUX DE LA CROIX
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LES TROIS AMOUREUX
DE LA CROIX
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Le style et le vocabulaire de cette farce normande1 nous reportent au premier quart du XVIe siècle. L’intrigue de la pièce rappelle une farce normande contemporaine, les Amoureux qui ont les botines Gaultier : une femme mariée, pour se débarrasser de deux solliciteurs plus qu’insistants, leur donne rendez-vous le même soir et dans un même lieu, avec la ferme intention de ne pas les rejoindre.
Nicolas de Troyes vit-il une représentation des Trois Amoureux de la croix ? En lut-il le texte imprimé ? Ou, plus probablement, connut-il une autre source de la même histoire ? Toujours est-il qu’en 1536, le sellier champenois traita le même sujet dans son Grant parangon des nouvelles nouvelles, resté inédit jusqu’au XIXe siècle. Je publie sous la pièce la nouvelle concernée.
Source : Recueil de Florence, nº 8. Les folios contenant les vers 78-117 et les vers 118-161 sont intervertis ; les éditeurs modernes2 les ont remis dans l’ordre.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 5 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle de
Trois amoureux
de la croix
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À quatre personnages, c’est assavoir :
MARTIN [premier amoureulx]
GAULTIER [second amoureux]
GUILLAUME [tiers amoureux]
et LA DAME 3
*
MARTIN, premier amoureulx, commence en chantant 4 :
J’ayme mieux mourir bref que languir : SCÈNE I
Ce m’est douleur mendre 5.
Puisqu’aultrement ne puis guérir,
Me vienne donc la Mort quérir
5 Sans plus attendre !
.
Je doy bien avoir [en] recors6
D’aller au lieu où j’ay promis.
Je n’ay nésung7 désir au corps,
Fors [de] celle où j’ay mon cueur mis.
GAULTIER, second amoureux.
10 Tenir dois bien donc le compromis
Que j’ay fait avec ma maistresse.
Il n’y fault pas estre endormis :
Ce seroit à moy grant simplesse.
GUILLAUME, tiers [amoureux], commence.
Qui est en l’amoureuse adresse8
15 D’estre en grâce cy comme moy
Doit bien vivre en joye et lyesse
Pour oster soulcy et esmoy.
GAULTIER
Qui se submet en celle foy,
Il pert monnoye et [si] aloy9,
20 Et est de chacun débouté.
MARTIN
Non est, par Dieu !
GUILLAUME
C’est bien bouté10 !
Jouez tousjours de vos sornettes.
MARTIN
En ce temps de joyeuseté11,
Vas-tu point veoir tes amourettes12 ?
25 Or nous dy : sont-ilz13 joliettes ?
Monstre-les-nous ung peu, de loing !
GUILLAUME
On n’a de tieux chalans besoing14 :
On ne vous y demande pas.
GAULTIER
Et pourquoy ?
GUILLAUME
Vous perdriez vos15 pas.
30 Il suffist bien de ma personne.
Adieu vous dy !
GAULTIER
[Plus mot ne sonne]16.
[Martin], je m’en vois d’aultre part17 ;
[Ne viens-tu]18 ?
MARTIN
Ains [qu’il soit]19 plus tard,
Je laisseray la compaignie,
35 Requérant que Dieu me mauldie
Se ne visite mes amours.
.
LA DAME 20 SCÈNE II
Que jeunes gens font de faulx tours21
Pour parvenir à leur entente22
À bien jouir de leurs amours !
40 Mais il n’ont pas plaisir de rente23,
Car bien souvent, on les contente
De promesses, sans le surplus.
.
MARTIN 24 SCÈNE III
Or çà ! je suis bien près de l’hus25.
Vélà ma Dame souveraine,
45 Pour qui je soutiens tant de paine.
Je la veux aller saluer.
.
Dame, de mon povre povèr26 SCÈNE IV
Je vous salue trèshumblement,
Vous suppliant trèsdoulcement
50 Que je soye en vostre demaine27.
Car vous estes la primeraine28
Des Dames, et plaisez à tous.
LA DAME
Bien venez, puisque c’estes vous.
Quel vent vous maine ?
MARTIN
Fin cueur doux,
55 Je le vous diray s’il vous plaist.
Sachez bien, de certain, qu’il m’est
Trop fort d’endurer mes doulours29
Se par vous n’ay aucun secours ;
Car je vous ay longtemps clamée30
60 Plus que nulle femme, et aymée.
Si, vous requiers, ma doulce amie,
Que de tous poins ne perde mie
L’amour que j’ay de vous si grande31.
LA DAME
Or çà, sire, je vous demande :
65 Estes-vous donc si fort espris
De mon amour ?
MARTIN
Las ! je suis pri(n)s,
Et si, [suis] ardamment lié
De vostre amour. Si délié
N’en suis bref32 par vostre doulceur,
70 Certainement je suis asseur
De mourir, sans aucun secours.
LA DAME
Entre vous33, galans, sçavez tours
Subtilz, et faictes les semblans
D’estre malades et tremblans
75 Tousjours ; mais ce n’est que faintise.
MARTIN
Voire : gens plains de couvétise34
Qui vouldroient pour35 leurs beaux yeux
Qu’on les aimast ; mais (se m’aist Dieux36 !)
Mon or, mon argent37 n’est pas mien :
80 Tout est vostre.
LA DAME
Vous parlez bien.
Mais ung amant qui veult aimer
Sa Dame doit bien espier
Le temps, la saison, aussi l’heure
Et le lieu où elle demeure
85 Segrètement38, sans faire bruit.
MARTIN
Et pourquoy ?
LA DAME
Vous ser[i]ez destruit,
Se mon mary aucunement
Vous trouvoit tenant parlement
Avec[ques] moy ; vélà le cas.
MARTIN
90 Pour Dieu, prenez ces dix ducas39,
Je vous [requiers, jusqu’au]40 retour.
Mais je vous prie que le tour
D’aymer me vueillez ottroier41 :
Vélà l’enseigne du bergier42.
LA DAME
95 Ce don n’est pas à refuser.
Grant mercy ! Je suis bien joyeuse
De vostre amour ; malgratieuse
Seroit qui vous refuseroit43.
Mais je vous diray : orendroit44
100 Ne povez venir à l’ostel45.
MARTIN
Et pourquoy, Dieux ?
LA DAME
Le cas est tel :
Mon mari [s’y tient] sans faillir.
Dieu46, sçay[t] s’il vous feroit saillir,
Car il est malement47 jaloux !
MARTIN
105 Quel senglant gibet48 dictes-vous ?
Où se fera donc l’assemblée49 ?
LA DAME
Il fault donc que soit à l’emblée50.
Je vous diray qu’il est de faire51 :
Allez tost en vostre repaire52
110 Vous vestir en guise de prestre,
Car autrement ne pourroit estre
Que d’aucun ne [fussiez congneu]53.
MARTIN
Il est vray.
LA DAME
Or, soiez pourveu
D’ung livre, ou [tenez ung] bréviaire54
115 Pour mieux le prestre contrefaire55.
Quant ainsi serez desguisé
Comme je vous ay devisé,
Tout fin droit vous vous en irez
À une croix56 qui est cy près,
120 Là endroit57. Se rien ne me nuist,
À dix heures devant minuit58
J(e) iroy à vous ce certainement.
MARTIN
Vous m’y trouverez seurement.
Mais n’y fallez pas59 !
LA DAME
Nenny dea.60
.
125 Par saint Jehan ! [tout demeurera]61. SCÈNE V
Maistre, vous avez beau huer62 :
Je vous feray ennuit63 suer
En chassant du nez la roupie64.
M’aist Dieux ! il a beau dire « pie65 ! » :
130 Puisque j’ay de luy ceste prune66,
Il gardera ennuyt la lune
À celle fin qu’on ne la robe67.
.
MARTIN 68 SCÈNE VI
Il me fault vestir ceste robe
Et la trousser dessubz mon bras.
135 C’est fait. Je m’en vois tout le pas69,
À la croix, à Dieu me command,
Avec70 peine et tribulation,
Pour faire la jubilation
Avec ma Dame par amour.
.
GAULTIER 71 SCÈNE VII
140 Ma D[a]me, Dieu vous doint bon jour,
Bonne santé et bonne estraine72 !
Vous ne sçavez pas qui me maine
Par-devers vous ?
LA DAME
Sans faulte, non.
Vous me direz vostre raison,
145 Et se je puis, g’y pourvoyra[y]73.
GAULTIER
Ha ! Madame, je vous diray :
Nul n’y sauroit remède mettre
Que vous, car vous estes le maistre
De74 l’euvre de ma maladie.
150 Que voulez-vous que je vous die ?
Je seuffre tel paine et douleur
Pour vous, que se vostre doulceur
Ne consent à moy secourir,
Force me sera de mourir
155 Du mal que j’ay et du martire.
LA DAME
Et que vous ay-je fait, beau sire,
Parquoy devez recevoir mort ?
Advis m’est que vous avez tort75
De proposer telle matière,
160 Car bien seroye rude et fière
S(i) ung amoureux mouroit pour moy.
GAULTIER
Touteffois je meurs, par ma foy,
S’il ne vous plaist par amytié
Avoir de mon grant mal pitié.
165 Si, vous requiers que de présent76
Prenez en gré cestui présent
Que je vous fais, courtoise et sage,
En [m’]ottroyant d(e) humble couraige
Vostre amour, que tant je désire.
LA DAME
170 Je ne vueil rien du vostre77, sire ;
Si vous plaist78, ne m’en parlez plus !
GAULTIER
Pour Dieu, prenez ces dix escuz.
Je vous requier, ma Dame chière,
Ne79 me vouloir vendre si chière
175 La douleur que pour vous je porte.
LA DAME
Or çà, çà ! affin que je supporte
Le [mal qu’ay]80 de vous recevoir,
Contente suis de les avoir.
Mais sçavez-vous81 qu’il est de faire ?
180 Allez tost en vostre repaire
Vous vestir en guise d’ung mort ;
Et puis après, cheminez fort
Tant que soiez, à motz82 exprès,
À une croix qui est cy près,
185 Là endroit. Se rien ne me nuist,
À unze heures devant minuit
G’iray à vous sans nulle doubte83.
GAULTIER
Ha, que c’est bien dit ! Somme toute,
Je m’en vois tantost apprester84.
190 Mais ne vueillez point arrester85.
LA DAME
Non feray-ge, saincte Marie !
J(e) y seray aussi tost86 que vous.
GAULTIER
Adieu vous dis, mon fin cueur doulx87.
Tenez ce que m’avez promis !
LA DAME
195 À Dieu soiez, mon doulx amy[s]88 !
.
Ainsi s’en doit-on despescher89. SCÈNE VIII
Toute nuit me venoit prier
– En faisant piteuses90 clamours –
Que je l’aimasse par amours.
200 Je ne sçay s’il avoit par nom
Gaultier, mais il changera nom :
Car en ceste heure, pour tout vray,
Aura [nom Martin]91 de Cambray.
Il en sera par la moue pri(n)s92.
.
GUILLAUME 93 SCÈNE IX
205 Dieu, qui tout bien en terre a mis,
Vous ottroie s’amour94 et sa grâce !
LA DAME
Gardé95 soit de vous, beaux amys,
Dieu qui tout bien en terre a mys !
GUILLAUME
Amours m’a devers vous transmis.
LA DAME
210 Le dites-vous point par falace96 ?
GUILLAUME
Dieu, qui tout bien en terre a mys,
Vous ottroie s’amour et sa grâce !
Je vous diray sans plus d’espace97
Mon cas, et le concluray bref.
215 Je sens au cueur mal si trèsgrief98
Que [je] ne doubte, à tout comprendre99,
Que l’âme ne me faille rendre,
Se brefment100 n’ay de vous secours.
LA DAME
Hélas ! ce sont des communs tours.
220 Vous m’aimez ? Dea, voire, de beaux101 !
GUILLAUME
Pour Dieu, prenez ces dix royaulx102,
Et103 tant moins pour commencement ;
Mais je vous prie chèrement
Que je soie vostre servant
225 Et loyal amy.
LA DAME
Or avant !
Puisqu’ainsi est, j’en suis contente104.
[Pour que vostre amour je contente,]
Sçavez-vous comment vous ferez ?
Prestement vous desguiserez,
230 Et puis vous verrez bonne fable105.
GUILLAUME
Et comment ?
LA DAME
En guise de dyable
Vous mettrez, au mieux que faire ce pourra106.
GUILLAUME
Mauldit soit-il qui y107 fauldra !
Je le feray, soiez certaine.
LA DAME
235 Or prenez quelque grosse chaîne108,
Et après vous, la traînerez.
Et puis attendre [vous m’irez]109
(Oyez-vous ?), mais qu’il n’y ait faulte110,
À une croix qui est si haulte,
240 Là endroit. Pour prendre déduit111,
À do[u]ze heures devant minuit112
J(e) iray à vous sans nul délay.
GUILLAUME
Aussi ferai-ge, croyez-lay113,
Quoy qu’après en doibve advenir.
LA DAME
245 Or ne faillez pas à venir,
Car je me rendray en la place.
GUILLAUME
Ha ! ma Dame, jà Dieu ne face114
Que j(e) y falle, par saint Symon
Et par tous les sains de renom !
250 Aussi, venez tost après moy.
Je m’en vois bouter en arroy115
Secrètement, sans séjourner.
LA DAME
Alez à Dieu !
.
Sans sermonner116, SCÈNE X
Dieu sçait quel gracieulx déduyt
255 Ilz auront tous troys, ceste117 nuyt !
De cela, je n’en doubte point.
*
GAULTIER 118 SCÈNE XI
Je croy que je suis bien en point ;
Je ressemble119 à ung mort proprement.
Je m’en voys tout secrètement
260 À la croix ; j(e) y vois sans répit.
.
Le sang bieu120, vélà grant despit !
Vélà à la croix aucun[e] âme121.
C’est ung prestre, par Nostre Dame,
Qui prie pour les trépassés.
265 Va, bon gré bieu ! Pr[e]stre122, passez !
Vous me rompez mon entr[e]prise.
Je vouldroye qu’il fût en Frise,
Foy que je doy à saint Amant123 !
Se ma Dame vient maintenant,
270 Tout nostre fait rompu sera.
Ce prestre nous encusera124,
[Ma Dame et moy, mais qu’il nous voye.]
.
MARTIN SCÈNE XII
(Haro ! Je voy en ceste voye
Ung homme mort, ce m’est advis.
275 Beau sire Dieu de paradis,
Vueillez-moy de mal huy deffendre !)
GAULTIER
(Je requier à Dieu qu’on puist pendre
Ce prestre qui est cy venu !)
MARTIN
(Hélas, il m’est mal advenu !
280 Je voy bien que péché me nuyt.
Mourir me fauldra ceste nuyt,
Car j’en suis en grant adventure125.)
[Mort,] retourne à ta sépulture !
Réquien étertam 126 cunctis
285 Pro fidélibus défunctis !
(Or, meschant fol très oultrageux,
J’estoye venu faire mes jeulx127
Devant ceste croix précieuse
Où Dieu souffrit mort angoisseuse :
290 C’est bien droit que Dieu m’en chastie.)
GAULTIER
(De goutte128, de mal et chassye
Ait ce prestre crevé les yeulx !
Et du mal du saint de Baïeux129 !
Dit-il tant de ses patenostres ?
295 [Dea !] que de tous les douze apostres
Soit[-il] maudit et confundu,
Et par le col soit-il pendu,
Tant me fait-il [de] desplaisir !
Se ma Dame vient, quel plaisir !
300 Ce sera bien pour enrager !)
.
GUILLAUME 130 SCÈNE XIII
Me vécy prest. Sans plus targer131,
Vers la croix vois sans faire noise132,
Car ma Dame doulce et courtoise
Le m’a en ce point ordonné.
305 Qui m’auroit cent mars d’or donné133,
Pas ne seroye si joieulx
Que je seray (ainsi m’aist Dieux !)
Quant entre mes bras la tendray134.
[Tout de ce pas je m’en iray :]135
310 Elle doibvra tantost venir.
.
MARTIN SCÈNE XIV
(Las ! je ne sçay que devenir.
Ce mort de moy trop près s’aproche.)
GAULTIER
Malle Mort te puisse tenir !
MARTIN
(Las ! je ne sçay que devenir.
315 Bien voy qu’il me fauldra fuïr.)
GAULTIER
Va-t’en, que je ne te desroche136 !
MARTIN
(Las ! je ne sçay que devenir.
Ce mort trop près de moy s’aproche.
Je n’ay membre qui ne me hoche137,
320 Tant suis effroyé maintenant.)
.
GUILLAUME 138 SCÈNE XV
Qu’esse que je voy cy-devant,
Là où je doy ma Dame attendre ?
Le grant deable l’en139 puisse pendre !
Vélà ung prestre, ce me semble…
325 Haro140 ! trèstout le cueur me tremble.
Vélà encore bien plus fort :
C’est [je ne]141 sçay quel homme mort.
Vray Dieu, vueillez-moy secourir !
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MARTIN 142 SCÈNE XVI
(Je voy bien qu’il me fault mourir
330 Par mon péché desraisonnable…
Et ! qu’esse-cy ? Vélà ung dyable
Qui vient cy pour ma mort jurer143.
Il le me convient conjurer.)
Aspergès et collocavit !
335 Mémento Dominé David !
Quaré frémuérunt gentès ?
Salvé régina, gémentès !
(Trèsdoulx Jésus, mé protégé 144
De ce mauvais deable enragé !)
340 Dÿalética sanctorum !
Communionem Francorum !
Va-t’en d’icy, dyable d’enfer,
Avec ton maistre Lucifer,
Sans faire envers moy ton pourchas !
MARTIN
345 Bénédicamus gratïas !
(Hélas ! dolent plain de péché,
Je seray tantost despesché145.
Qu’esse-cy ? Foy que doy à saint Pol146 !
Ce dyable me rompra le col ;
350 Il me vient ma vie abréger.)
GUILLAUME
(Et, vécy bien pour enrager !
Je n’y voy entrée ne yssue147.
[Et !] par mon serment, je tressue
De paour148 ! Vray Dieu, fay-moy mercy !
355 — Dieu vueille [qu’Il le]149 face ainsi ! —
Ce mort demande quelque don ;
Je luy en donray ung bel et bon150.
Car c’est quelque âme, sans doubtence,
Qui fait icy sa pénitence.
360 Au nom de saint Pierre l’apostre !
Je diray une patenostre151
Cy endroit, par dévocion.
Dieu152 luy donne rémission,
Et aux autres ensevelis !)
365 Pater noster qu(i) es in célis !
Libéra mé dé mortuos 153 !
Afin que je die et né nos 154
Pour [tous] ceulx qui sont trespassés,
Arrière, Mort ! D’ici passez !
370 Libéra a malo ! Amen !
MARTIN
Érubescant vérumptamen !
In mulïéribus ventris !
(À Dieu me comment155 !) Béatrix !
Pour ma Dame156 me fault mourir,
375 Nul ne m’en peult plus secourir ;
Tout ce meschef157 me vient par femme.
Deffens-moy, glorieuse Dame !
Régina céli létaré !
Dÿabolus, dy-moy quaré 158
380 Tu me viens faire ce meschef.
(Je n’ay sur moy membre ne chef159
Qui ne soit hors de son bon sens.)
GAULTIER
(Se [j’]avois des escuz cinq cens,
Je voudroye avoir tout donné
385 Et que je fusse retourné
À mon hostel et à mon estre160.
Hélas ! je m’en voys à ce prestre,
Lui prier par dévocion
Qu’il me donne confession,
390 Que je ne meure impénitent161.)
Confession, sire !
MARTIN
Va-t’en !
Par le corps Dieu ! tu n’en as garde162.
Va-t’en d’icy ! Que le feu t’arde,
Car je ne te demande rien !
GAULTIER
395 Hélas ! sire, je suis chrestien.
Je ne suis mort ne trespacé.
MARTIN
Tu mens : tu as le pas passé163 ;
Ton âme est jà à l’autre monde.
GAULTIER
La Mort [ne] m’a cy164 pourchassé.
[ MARTIN
400 Tu mens : tu as le pas passé. ]
GAULTIER
[Non ay. Ce brouet m’a brassé]165
Une femme, que Dieu confonde !
MARTIN
Tu mens : tu as le pas passé ;
Ton âme est jà à l’autre monde.
405 Je requiers à Dieu qu’on le tonde
Qui166 t’attendra, mais que j(e) y soye167 !
GUILLAUME
(Par Nostre Dame ! se j’osoie,
Je conjurasse ung peu ce mort
Afin qu’il s’en allast, au fort168.
410 Par Dieu ! puisque j’en ay juré,
De par moy sera conjuré.)
Miséréré ! Cicatricès !
Va-t’en sans point faire d’exès169 !
Létamini ! Et cantaté !
415 Béati quorum 170 ! Laudaté !
Inimicos ! Dominibus !
Fructibus ! Et in noctibus !
De profundis ! Vigilïa !
Qui facis mirabilïa !
420 Et ! Mort171 desloyalle [et] inique,
Va-t’en sans me faire la nique172,
Ne jamais de moy ne t’aproche !
GAULTIER
Hélas ! se ce dyable m’acroche,
De mon corps s’en ira souper173.
425 En enfer se puisse chauffer,
Et m’oster hors de ceste presse174 !
Elle seroit bien grant maistresse,
Qui me feroit plus séjourner175 !
GUILLAUME
Brouhaha176 ! (Je voys adjourner
430 Ce prestre : il fault qu’il ait la guerre
À moy.)
Çà, çà ! je te viens querre !
Attens, prestre, il te fault mourir !
MARTIN
Tu le gaigneras au courir,
Par le corps bieu, se tu m’atrapes !
435 Me cuides-tu en tes attrapes177
Ainsi croquer178 ?
GUILLAUME
Je te tiendray !
MARTIN
Par le corps bieu ! je [te donray]179,
Se tu viens près, de mon bréviaire !
Deable, va-t’en à ton repaire !
440 Tu es Sathan, bien le congnoy180.
GAULTIER
Hélas, beau Père, attendez-moy !
Pour Dieu, vueillez-moy confesser !
MARTIN
Me viens-tu encore presser ?
Qu’on en puisse avoir malle181 feste !
445 Oste-toy, mort !
GAULTIER
À ma requeste,
Écoute-moy parler deux mos,
Et te diray de gros en gros182
Tous mes péchéz. Car, par ma foy,
Je suis homme vif183 ; et pour vray
450 Dire, oncques [mort je]184 ne senti.
MARTIN
Par le corps bieu ! tu as menti,
Mais tu me le veulx faire acroire.
Tu viens tout droit du purgatoire.
Je te congnois bien, ne te chaille :
455 Tu es une âme !
GAULTIER
Non suis, sans faille185 ;
Je suis homme tel comme vous.
MARTIN
Va-t’en, ou tu seras secoux186 !
Tu ne tens qu’à me faire injure187.
Et de rechief, je te conjure
460 Que de ce lieu-cy tu destables188,
De par quatre-vings mille dyables
Chargés d’or [fin] et de billon189,
Et par Godefray de Billon190,
Et [de] par Bertran de Cloquin191,
465 Et de par l’Amorabaquin192,
Et [de] par tous ceulx d’Adam néz193 !
Que voisez avec les dampnéz194 !
Avé salus ! Dominus pars 195 !
Se de ce lieu-cy ne te pars,
470 Tu verras bien qu’il me desplaist.
GAULTIER
Escoutez ung peu, s’il vous plaist :
Par ma foy, je ne suis pas mort.
Mais conscience me remort196 ;
Je diray chose véritable.
MARTIN
475 Va-t’en d’icy, de par le dyable !
Te fault-il messe ne matine ?
GAULTIER
Haa ! sire, je ne suis pas digne197
Qu(e) on die matines pour moy :
Car je vous prometz par ma foy
480 Que pas ne suis mort, proprement.
Mais j’ay prins cest abillement
Trèstout de fin fait advisé198,
Et me suis ainsi desguisé
Affin qu’on ne congneust ma chère199.
MARTIN
485 Oste donc ceste visaigière200
Pour savoir mon se c’est vérité.
GAULTIER
Il fauldra donc qu’il soit porté201
Le plus secret que vous pourrez.
MARTIN
Jamais nul jour vous n’en orrez202
490 Parler, fors à moy et à vous.
Je seray secret, amy doulx,
Je le vous prometz.
GAULTIER
Seurement ?
MARTIN
Et ! voire, par [le sacrement]203
(Mon trèsdoulx amy) de la messe !
495 Se je ne vous tiens ma promesse,
Nommez-moy hardiment gaultier204.
GAULTIER
Mettez la main sur le saultier205,
Affin que ne soiez parjure.
MARTIN
Sur ces lettres-cy, je vous jure
500 Que jamais je n’en diray rien.
GAULTIER
Or sus donques, il suffist bien.
Or me regarde206 : sui-ge mort ?
Tu me mescr[oy]ois à grant tort.
Advise ung petit207 mon visage !
MARTIN
505 [Et !] par mon serment, voici raige !
Tu es mon compaignon Gaultier,
Que j’é laissé huy au monstier208,
Emprès [de] Guillaume, à l’église209.
GAULTIER
Et, sang bieu ! quant je me ravise,
510 Et ! es-tu prestre devenu ?
Pas ne t’avoie recongneu.
Par le sang que Dieu [print] à Romme210 !
Or me dy la manière comme
Tu es venu cy en ce lieu.
.
GUILLAUME SCÈNE XVII
515 Qu’esse-cy ? Foy que doy à Dieu !
Ce mort est retourné en vie ?
Ce prestre luy tient compaignie.
Je vois vers eulx sans nul séjour211.
Afin que n’aient de moy paour212,
520 J(e) osteray du chief ma testière213.
.
GAULTIER SCÈNE XVIII
Sang bieu ! vécy faulce matière214 :
Ce dyable s’en vient devers nous.
GUILLAUME
Dieu gard, seigneurs ! Que faites-vous
Entre vous deulx ?
MARTIN
Et, par mon âme !
525 C’est nostre215 compaignon Guill[aum]e
Qui estoit dyable devenu.
GUILLAUME
Et, par Dieu ! vécy bien venu.
Mais qui216 vous a mis en cest estre217,
Que vécy qui faisoit le prestre
530 Et vécy qui faisoit le mort ?
GAULTIER
Confessons nous trois, par acord,
L’ung à l’autre, nostre secret.
MARTIN
Tu dis bien. Mais se on le sçait,
Chascun de nous sera infâme.
GUILLAUME
535 Promettons qu’à homme n(e) à femme
Jamais ne sera révélé.
GAULTIER
De par moy, il sera selé218 ;
De ce, ne faite[s] nulle doubte.
MARTIN
Se j’en parle ne grain ne goutte219,
540 Ne me croiez jamais de rien.
GUILLAUME
Aussi me garderai-ge bien
De dire nostre cornardie220.
GAULTIER
Voullez-vous pas que je vous die ?
Par mon âme ! mes beaux amys,
545 Une femme m’a cy transmis
Et m’a baillé ce bont221 icy.
MARTIN
J’en ay autant.
GUILLAUME
Et moy aussy222.
Nous en avons, tous trois, pour une223.
GAULTIER
Chantons doncques [nostre infortune]224 !
Ilz chantent.
GAULTIER
550 Tous trois avons gardé la lune 225 ;
On n’avoit garde de la perdre.
MARTIN
Des plus fines lames 226, c’est l’une.
GAULTIER
Tous trois avons gardé la lune.
GUILLAUME
Dea ! elle a eu de ma pécune
555 Dix royaulx [d’or] 227. Qu’on la puisse ardre !
MARTIN
Tous trois avons gardé la lune ;
On n’avoit garde de la perdre.
GAULTIER
Mais comme s(e) ose femme herdre228
De farcer ainsi les galans ?
MARTIN
560 Compaignons, se en somme[s] blans229,
Aussy sont plusieurs compaignons.
GUILLAUME
Je conseille que nous prenons
Congié à nostre seigneurie230.
Puisqu(e) on joue de tromperie,
565 Je n’en vueil plus estre assoté.
.
GAULTIER
Vous qu’estes 231 en amours bouté[s],
Gardez-vous de telles finesses 232.
MARTIN
Nos ébas, s’il vous plaist, notez,
Vous qu’estes en am[o]urs boutéz.
GUILLAUME
570 Les tromperies redoubtez
De telles qui en sont maistresses.
GAULTIER
Vous qu’estes en amours boutés,
Gardez-vous de telles finesses.
Ne vous fiez pas en promesses
575 Ainsi qu’avons fait simplement233.
[Vivez ores gorrièrement]234
En joyes, festes et liesses !
Prenez en gré l’esbatement !
.
EXPLICIT
*
.
D’UNE FILLE QUI FIST ALLER TROIS COMPAIGNONS COUCHER EN UNG CYMETIÈRE, QUI TOUS TROIS FURENT AMOUREULX D’ELLE, ET Y FURENT VEILLIER L’UN EN ABIT DE MORT, L’AUTRE DE GENDARME, ET L’AUTRE EN ABIT DE DIABLE. 235
.
…[La fille] se advisa que ung jour entre les autres, ung de ces trois gallent[s] la prioit d’amour, et luy prométoit tant de belles choses que jamais ne devoit avoir faulte de biens. « –Or venez çà (dist la fille) ! Vous me prométez tant de bien, et dictes que vous ferez tant de choses pour moy, mesmes pour aller en Jésuralem [sic] s’il estoit possible, et que tous vos biens seront miens, et tant de belles choses que me promettez, que je ne vous puis esconduire, moyennant que me fac[i]ez ung service, lequel me sera bien grant et à vous bien facille à faire. –A ! m’amye (respondit le compaignon), toutes les choses à moy possible de faire, pour l’amour de vous je feroye, et tout tant qu’i vous plaira. Mon corps et mes biens sont vostres, à en faire tout à vostre plaisir. » Respondit la fille : « –Mon amy, je vous remercye, car des biens ay-je assez, Dieu mercy ! Mais d’une chose vous vouldroys bien prier. Vous devez sçavoir, et estes assez adverti, comme puis naguères ma mère est allée de vie à trespas. Et pour venir au point, son esperit revient céans toutes les nuytz, et en suis toute tormentée, tellement que je m’en suis conseillée à tout plain de gens de bien ; mesmes en ay esté à confesse par plusieurs foys, et eu du conseil. Tellement que le mellieur remède, c’est que je fasse veiller quelqu’un une demye nuyt seullement sur la fosse de ma mère. Et pour tant, si vous estes si hardy de le faire, et que vous diste[s] que vous ferez tant pour moy, vrayement (dit-elle) je ne vous demende autre chose. Et puis vous en venez, et je vous prometz que vous coucherez avec moy. »
Le compaignon fut diligent et bien joyeux de ceste parolle. « –Comment (dit-il), m’amye ! N’y a-il autre chose à faire ? –Nenny (dit-elle). Mais sçavez-vous comment il fault que vous y allez, et que236 l’on m’a conseillé ? –Nenny (respondit le compaignon). –Il fault (dit-elle) que vous soyez en chemise, et envelopé d’un drap, tout ne plus ne mains comme si c’estoit ung esperit ou quelqu’un que l’on voussist237 enterre[r]. –Et ! je vous prometz (dit-il) ma foy que je iré. Mais or me dicte[s] quant ce sera. –Il fault (dit-elle) que ce soit à ung vendredy. Et n’y serez seulement que trois ou catre heures au plus. Et fault que vous y allez environ entre huit et neuf heures du soir, et y estre seulement jusque à minuyt. Et quant vous serez là, vous direz vos heures et prières bien [à] Dieu et honnestement, pour l’âme de ma feue mère. Et puis quant minuyt sera sonné, venez-vous-en couche[r] avec moy, et je acompliré [l]a vostre voulenté, moyennant que ne faillez pas, et aussi que vous jurerez et prométrez d’y estre. Et si vous ne voulez, distes-le-moy à ceste heure, car je louerés ung homme pour y aller, et luy baillerés plustost une bonne somme d’argent affin que ne me faillist point et que je fusse bien asseurée. –A ! m’amye (dit le compaignon), je vous prometz la foy que je dois à mon Dieu que, pour l’amour de vous, je iré en belle chemise238, enveloppé d’un drap ainsi que m’avez dit ; et y seré jusques à minuyt. Mais or me dicte[s] sy je iré dès annuyt239. –Nenny (dit-elle). Il fault que ce soit à ung vendredy : ce sera vendredy prochain, si vous voulez, ou bien à ung autre vendredy. »
Si entreprindrent que ce seroit au plus prochain ; et n’estoit encore que lundy, de quoy il ennuyoit bien au compaignon, et eust bien voulu que le vendredy eust jà esté venu. Et par ainsi, se départit de la jeune fille, luy prométant sa foy que il ne fauldroit point au jour assigné, ainsi qu’il avoit promis.
Or, pour revenir à nostre propos des trois gallent[s] amoureux, le IIe vint parler à elle ainsi comme il avoit acoustumé, luy prométant tant de belles [r]aisons et qu’il couchast avec elle, encore plus que l(es) autre(s). Tellement que, quant elle vit qu’il estoit ainsi délibéré, se disposa de luy bailler la venue240 comme à l’autre. Et elle luy dist qu’il failloit qu’il allast sur la fosse de sa mère, dont il luy promist qu’il iroit sans nulle faulte. « –Or sçavez-vous qu’il y a (dit-elle) ? Il fault que vous y allez vendredy prochain, et que vous soyez bien armé et enbastonné241 ; à tout le moins, si aulcun vous demandoit quelque chose, que fussiez délibéré de vous deffendre. –O ! (ce dist le compaignon), m’amye, ne vous souciez : car je seré bien armé et enbastonné. –Or bien (dit-elle). Mais sçavez-vous ? Il fault que vous y allez entre neuf et dix heures du soir ; et n’y allez ne plus tost ne plus tart, car tout ne vauldroit rien. Et y soyez seulement jusques à minuyt. Et puis vous en venez couche[r] avec moy, et je acompliré vostre voulenté, moyennant que ne faudrez à y aller. –A ! m’amye (dit le compaignon), j’aymeroye mieulx estre mort de mort amère que de avoir failli à l’entreprinse ainsi que l’avez ordonné ! » Alors pr[ent] congé d’elle, part et s’en va.
Or devez sçavoir que voicy venir le troyesme242 compaignon, lequel la vint prier d’amour comme il avoit acoustumé ; et elle luy dist tout ne plus ne mains que aux autres. Et fit l’entreprinse d’y aller audit vendredy. « –Or sçavez-vous qu’il y a (dit-elle), mon amy ? Il fault que vous y allez en abit de diable : à tout le moins, si survenoit quelque esperit, il aroit paour243 de vous veoir seulement. Et fault que vous y allez environ entre dix et onze heure[s], et jusque à mynuyt seulement ; et n’y allez ne plus tost, ne plus tart, car tout ne vaudroit rien. –Or bien, m’amye (dit le compaignon). Ne vous souciez : il n’y ara faulte nulle que je n’y voise244. » Lors pr[e]nt congié d’elle et s’en va….
Or va venir l’heure de entre huit et neuf. Et voicy venir le compaignon en belle chemise, enveloppé d’un beau drap blant, nonobstant qu’i fist grant froit, car c’estoit en yver ; et estoit celluy qui plus devoit endurer de peine et de froit. Mais a[i]nsi fit-il, comme vous orrez cy après : car le pouvre gallent s’en vint en belle chemise se mettre sur la tombe. Et fut là une grande espace de temps assis, atendant la minuyt.
Et quant il fut passé neuf heures, l’autre compaignon se aprestoit pour venir audit cimetière. Lequel s’en vint bien en ordre, armé et acoustré comme sainct George. Et devez sçavoir que, de nuyt, on entent mieulx que de jour. Si va regarder de loing celluy qui faisoit l’esperit245, et vit ce gendarme venir devers le cymetière ; lequel quant il fut entré dedens, il eut une frayeur merveilleuse, et non sans cause : car il se aprochoit tousjours pas à pas devers la tombe là où estoit celluy qui faisoit l’esperit ; lequel, quant il le vit venir, se cacha hastivement dessoubz la tombe246, tellement que celluy qui faisoit le gendarme n’en vit onques rien, et se vint asseoir dessus ladicte tombe, là où estoit l’autre caché dessoubz. Et fut là grande espace de temps, assis sur celle tombe. Et puis se pourmenoit là alentour de peur de se morfondre247, dont celluy de dessoubz n’estoit pas trop aise, car il n’avoit pas grant chault en sa chemise.
Si y fut qu’il estoit plus de dix heures, tant que voicy venir celluy qui faisoit le diable, acoustré d’une teste248 de diable merveilleuse et espoventable ; et tout le demorant de l’abit estoit de mesme. Et gettoit feu et flambe par la bouche et par les naseaulx, et avoit une chaîne de fer autour de luy, dont il faisoit grant bruyt. Et n’y avoit joincte249 dessus son corps que, en cheminant ou ployant bras ou janbes, il ne rendist feu et flambe, tant estoit subtillement abillé. Et à bref parler, il estoit horrible et espoventable, car il n’y avoit pas plaint l’argent à se faire ainsi acoustre[r] pour couche[r] avec la belle fille. Or vient arriver ledit diable auprès du cymetière. Mais quant le gendarme le vit venir, si commença à trembler de peur, et non sans cause : car il entra dedens le cymetière et commença à cheminer droit vers la tombe, dont le gendarme commença à reculer quant il vit que il se aprochoit près de luy.
Or, vous devez savoir que celluy qui estoit soubz la tombe, faisant l’esperit, n’avoit point veu encor ce diable, mais ne taschoit sinon à autre chose que le gendarme se escartast ung peu de là pour s’en fuyr ; et mist la teste dehors de dessoubz la tombe, et vit le gendarme assez loing de là. Puis d’aultre costé, advisa venir ce diable avec ses chaînes et crochés250, dont il eut plus grant peur que par advent. Le diable véoit251 le gendarme qui ne bougeoit point de là, dont il eut quelque peur. Et tout ainsi qu’il[z] demoroi[e]nt tous deulx debouz, l’esperit va sortir de dessoubz la tombe, et commença à courir à travers le cymetière comme si tous les diables eussent esté après luy. Alors le gendarme et le diable, qui le virent ainsi fouyr, pensoi[e]nt que ce fust l’esperit de la dame qui estoit là enterr[é]e, et commencèrent si trèsfort à fouyr, l’un d’un costé et l’autre d’autre, que il[z] n’avoi[e]nt garde de se rencontrer. Et se retira chacun des trois gallens en sa maison, en ayant trèstous euz une grande frayeur…
*
1 Certains critiques l’ont récemment décrétée « parisienne » ; je donnerai donc en note les preuves de son origine normande. 2 Gustave COHEN : Recueil de farces françaises inédites du XVe siècle, 1949, pp. 57-66. André TISSIER : Recueil de farces, t. XI, 1997, pp. 117-181. Jelle KOOPMANS : le Recueil de Florence, 2011, pp. 138-150. À quoi il faut ajouter une traduction américaine de Jody ENDERS : « The Farce of the Fart » and other ribaldries, 2011, pp. 219-251 et 437-442. Signalons enfin un article très éclairant de Jean-Pierre BORDIER : Rencontres au pied de la croix, 2012. 3 F : lamoureuse (Toutes les rubriques donnent la Dame, ce qui se justifie mieux.) On a déduit un peu vite du vers 373 que cette femme se nomme Béatrix. 4 Les 3 galants sortent bredouilles de l’église d’un monastère (vers 507-8), où ils espéraient faire d’agréables rencontres, car les femmes y vont sans leur mari. Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 150 et note. 5 « Mendre : moindre. » (Louis Du Bois, Glossaire du patois normand.) Cf. Lucas Sergent, vers 67. Cette chanson n’a pas été conservée. 6 En mémoire. « Luy venoit aussi en recort la puissance et vaillance du roy Jhéro. » Valère Maxime. 7 F : mais ung (Aucun. « Plus n’a amys ne nésung parentage. » ATILF.) 8 L’amant qui est en bonne voie. 9 Et même (vers 67) sa mauvaise monnaie composée d’alliage. Mais l’aloi désigne également la réputation : Il perd aussi son bon aloi. 10 C’est bien envoyé ! 11 F : ioyeux este (Pendant ces jours gras, propices au théâtre comique. « Joyeuseté faire convient/ En ces jours gras. » Le Jeu du Prince des Sotz, créé lors du Mardi gras de 1512.) 12 Tes amoureuses. Idem vers 36. 13 Sont-elles. En Normandie, c’est une forme prépondérante : « –Et quelles sont-ilz ? –Ilz sont telles. » Maistre Mimin estudiant. 14 Je n’ai pas besoin de tels compagnons. Cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 260 et 407. Tieux = tels : « La povre Normandie/ Pour un tieul cas sera mize o z’appiaux [en accusation]. » La Muse normande. 15 F : vous 16 F : Ho ie ne sonne plus mot (Corr. Koopmans.) « Ne des aultres plus mot ne sonne. » Jehan Vaillant. 17 Je m’en vais d’un autre côté. 18 F : Que deuiens tu 19 F : que (Avant qu’il ne soit trop tard. « Çà ! venez ains qu’il soit plus tart. » La Pippée.) 20 Elle n’est pas dans la rue, où une femme honnête ne pourrait discourir avec des jeunes gens. Elle n’est pas non plus chez elle, où ses amoureux ne pourront entrer à cause du mari jaloux. Cependant, l’un de ses visiteurs dit qu’il arrive près de sa porte (vers 43). Je ne vois qu’une solution : elle tient la boutique de son époux ; la devanture est ouverte sur la rue, et les prétendants, qui restent dehors, passent pour des acheteurs. L’argent qu’ils vont lui donner devant tout le monde entretiendra cette fiction. Les auteurs qui veulent discréditer la rhétorique courtoise, comme c’est bien le cas ici, la rabaissent toujours au niveau bourgeois et terre à terre. 21 Jouent des mauvais tours aux femmes. 22 À leur intention. Cf. le Ribault marié, vers 134. 23 De reste, en réserve : ils en reçoivent peu de plaisir. 24 Il va vers la devanture où officie la commerçante. 25 De l’huis, de la porte. Cette prononciation est normande : cf. le Gentil homme et Naudet, vers 283 et note. 26 Pouvoir. Povèr ne se rencontre que dans des pièces rouennaises, et rime ici avec saluèr, à la manière normande. « Je pry à Dieu de mon povèr. » (Les Femmes qui font renbourer leur bas.) « Sy povèr avoyent plus qu’i n’ont. » (Troys Galans et un Badin.) 27 Que je sois votre vassal. Cf. Pour porter les présens, vers 185. 28 La première, la souveraine. Ce mot a une dimension religieuse : « Par les sains Pères primerains. » Pates-ouaintes. 29 F : douleurs (Cet archaïsme avait encore cours en Normandie : « Pour alléger ma grief doulour. » La Confession Rifflart.) 30 Encensée. 31 L’amour si grand que j’ai pour vous. 32 Brièvement, rapidement. Idem vers 214. 33 Vous autres. Idem vers 524. C’est un normandisme : cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 18 et note. 34 De convoitise, d’avarice. La graphie de ce mot transcrit sa prononciation normande. « La malice de couvétise avoit si ardamment enlacié l’umain lignage. » Coutumier de Normandie. 35 F : par (Correction suggérée par J. Koopmans.) Qui voudraient qu’on les aime sans qu’ils aient à payer. Vou-drai-ent compte pour 3 syllabes, comme à 267. 36 Que Dieu m’assiste ! Idem vers 129 et 307. 37 F : argant (Corr. Cohen.) 38 En secret. L’éditeur a omis de parisianiser cette forme normande, comme il le fera aux vers 252 et 259. 39 C’est beaucoup ; à titre de comparaison, l’épouse d’un avocat ne coûte que 3 ducats. <Pour le Cry de la Bazoche, vers 397.> Les deux concurrents de Martin seront plus raisonnables. 40 F : requies iusquers au (Jusqu’à ce que vous me remboursiez en caresses.) 41 Octroyer. Idem vers 168 et 206. 42 Voilà mon paiement, par allusion au mouton qui figure sur certaines monnaies (le Tesmoing, vers 213). « Pour estre aymé, il fault foncer [donner] pécune./ Il fault donner à la blanche et la brune/ Ou leur bailler l’enseigne du berger. » Roger de Collerye. 43 L’épouse vénale du Povre Jouhan sert les mêmes platitudes à son amoureux : « Maintenant seroye-je joyeuse./ Elle seroit mal gratieuse,/ Par Dieu, qui vous esconduiroit. » 44 Maintenant. 45 Dans ma maison. 46 F : Ne (Il vous ferait sortir violemment.) 47 Extrêmement. 48 Que diable. Cf. la Folie des Gorriers, vers 27. 49 Notre accouplement. 50 À la dérobée. « Mais qu’el rue [qu’elle tire] son coup à l’emblée. » Les Chambèrières qui vont à la messe. 51 Ce qu’il faut faire. Idem vers 179. 52 Votre maison. Idem vers 180 et 439. 53 F : fussions congneues (Corr. envisagée par Tissier.) Sinon, il serait impossible que vous ne soyez pas reconnu par quelqu’un. 54 « À sa main tient son brévière. » (Le Testament Pathelin.) M’appuyant sur le vers 438, je scande bré-viaire sans diérèse. 55 Quand la voisine du Ribault marié se déguise en prêtre, elle se soucie du même détail : « Puisque prestre suis devenu,/ Auray-je point de brévière ? » 56 On trouvait un calvaire à presque tous les carrefours et à la sortie des villes. Des pèlerins pouvaient dormir sous sa protection : « Je le pris au pied de la croix…./ Et ! je le prins au premier somme,/ Ce pendant comme il se dormoit. » Colin filz de Thévot. 57 Par là. Comme aux vers 185 et 240, la Dame montre du doigt le calvaire, qui est déjà sur la scène. Les vers 119-122 sont recyclés à 184-187. 58 À 10 heures avant minuit : à 10 h du soir. 59 N’y faillez pas, n’y manquez pas. Idem vers 248. 60 Martin va chez lui. 61 F : vous demeureres (Rien ne se fera. « Sans cappes, tout demeurera. » Première Moralité de Genève.) 62 Crier. « Tu as beau huer ! » Troys Gallans et Phlipot. 63 Ce soir, cette nuit. Idem vers 131. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 340. 64 Je vais vous moucher, vous remettre à votre place. 65 J’ai gagné ! C’est le cri que pousse le roi de la pie quand il pense avoir mis sa flèche dans la cible : cf. les Coppieurs et Lardeurs, vers 81 et note. « Je puis bien dire “pie !”,/ Je ne fais pas ce que je veulx. » Martin de Cambray, F 41. 66 Cette bourse, comparée à un fruit juteux. « –Une bource (elle) me présenta/ Où il y avoit vingt escus./ –Et vous de croquer ceste prune ?/ –Je m’en allay au clèr de lune. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain. 67 F : desrobe (Afin qu’on ne la vole pas. « Te vient-on rober ta poulaille ? » Jeu du Prince des Sotz.) Le jeune Gargantua <chap. 11> « gardoyt la lune des loups ». 68 Chez lui. Il se déguise en prêtre, avec une robe à capuche. 69 D’un bon pas. « Aux plaitz je m’envoys tout le pas. » Le Testament Pathelin. 70 F : Auac (Corr. Cohen.) Avec une mine attristée, comme il sied à un prêtre devant un crucifix. 71 Il vient à la devanture de la commerçante. 72 Bonne fortune. Cf. le Testament Pathelin, vers 212. 73 C’est la réplique d’une marchande désireuse de satisfaire un client. 74 F : Et (Le maître d’œuvre, la responsable. « Le maistre de l’euvre, qui resgarde et commande sus tout. » ATILF.) 75 F : rort (Corr. Cohen.) Gautier a tort de proposer le thème de la mort : la Dame va sauter sur l’occasion pour le déguiser en fantôme. 76 Que présentement. Gautier tend une bourse à la Dame, qui fait quelques manières avant de l’empocher. 77 De votre argent. « Rien ne vouldriez avoir du nostre. » Massons et charpentiers. 78 F : prie (« Pri-e » est dissyllabique dans les 3 autres occurrences.) 79 F : Sans (De ne pas me faire payer si cher.) « Je te requiers et humblement supplie,/ Pour les douleurs de quoy je suis ramplie,/ Ne me vouloir jamais habandonner. » (Josquin des Préz.) La phraséologie courtoise est toujours alambiquée, pour faire rire le public populaire. 80 F : ml que aye (L’impossibilité que j’ai de vous laisser entrer ? Les autres corrections qu’on a proposées sont aussi peu convaincantes que la mienne.) 81 F : scaues veus (Corr. Cohen.) Savez-vous ce qu’il faut faire ? Ce vers et les deux suivants démarquent les vers 108-110. 82 F : moy (Pour parler clairement. « Quant j’y houe/ Une journée, à motz exprès,/ Les rains m’en font trois jours après/ Tant de mal ! » Raoullet Ployart.) 83 Comme au vers 538, on peut traduire sans nul doute, ou bien sans nulle crainte. 84 Je vais me préparer. 85 Veuillez ne pas tarder. 86 En même temps. « G’y seray aussi tost que toy. » Les Drois de la Porte Bodés. 87 Trop tard : au vers 54, Martin a déjà sorti cette formule éculée. 88 Même singulier archaïque à 207. Cf. le Pasté et la tarte, vers 217. Gautier retourne chez lui. 89 C’est ainsi qu’on doit s’en débarrasser. 90 F : piteulx (Clamour est encore un archaïsme normand : voir la note 29. Cf. la Pippée, vers 137.) La nuit, les amants donnaient la sérénade sous la fenêtre de leur belle. 91 F : non gaultier (Corr. Félix Lecoy. Il aura pour nom Martin de Cambrai.) Plusieurs chevaliers s’appelèrent Gautiers de Cambrais, mais ce n’étaient pas des rigolos* ; en revanche, un « Martin de Cambrai » désigne couramment une dupe, pour des raisons locales qui nous échappent : « Je ne sçay comment on l’apelle,/ Se ce n’est Martin de Cambray. » (Te rogamus audi nos.) Voir aussi la farce de Martin de Cambray (F 41). *On en trouve un dans la Chanson de la croisade albigeoise. 92 Il sera abusé par des grimaces. « Ainsi sera prins/ Ton adversaire par la moe. » Farce de Pathelin. 93 Il vient à la devanture de la commerçante. 94 Vous octroie son amour. 95 Respecté. « Dieu soyt gardé de vous ! » (Maximilien Ier.) Beaux amis = bel ami : note 88. 96 Par tromperie. 97 De délai. 98 Un mal si grave, si pesant. 99 Tout bien réfléchi. Cf. Mahuet, vers 173. 100 F : brefuement (Si brièvement, rapidement. « Dieu doint que briefment vous revoye ! » Le Patinier, F 35.) 101 Des beaux mots, des promesses. Même expression rare dans une Moralité normande : « –Ouy dea, de beaulx ! –Elle se raille. » Science et Asnerye. 102 Ces 10 pièces d’or. 103 F : En (À tout le moins pour commencer. « Receverez ce passe-avant [ce coup]/ Et tant moins sur vostre museau. » La Laitière.) 104 Elle empoche l’argent. Les scènes qui se produisent trois fois sont de plus en plus courtes ; d’un point de vue dramaturgique, c’est d’une grande habileté. Le vers suivant est perdu. 105 Un bon tour. Cf. le Poulier à quatre personnages, vers 208. La Dame fait un clin d’œil au public. 106 En apparence de diable vous vous mettrez, le mieux que vous pourrez. Cf. Raoullet Ployart, vers 279. 107 F : en (Celui qui y manquera.) Guillaume éructe cette malédiction en grimaçant et en roulant des yeux comme un diable de théâtre. 108 Pour ressembler à Lucifer, que Dieu avait enchaîné en enfer. 109 F : men ires (Dans le Lai de la Rose, une dame accorde un rendez-vous nocturne à un soi-disant amoureux : « Vous m’irez un petitet atendre ». L’amoureux sera ridiculisé, de même que son successeur.) 110 Sans faute, sans y manquer. 111 Du plaisir. Idem vers 254. Cf. Raoullet Ployart, vers 66. 112 À minuit. Ce vers est maladroit parce qu’il calque les vers 121 et 186. 113 « Lay » est un pronom normand qui signifie « le ». « Il ment, le ribault, croyez-lay ! » Le Pardonneur. 114 F : sache (Que Dieu ne permette jamais que j’y faille !) 115 Je vais me mettre en costume. 116 F : seiourner (à la rime.) Sans longs discours. « Sans plus sermonner. » Le Tesmoing. 117 F : malle 118 ACTE II. La Dame a quitté la scène définitivement. On a pendu au rideau de fond une lune semblable à celle qui orne le bas de cette page. Chez lui, Gautier achève de se déguiser en fantôme ; la nouvelle de Nicolas de Troyes précise que l’esprit est « en belle chemise, enveloppé d’un beau drap blanc ». Bref, Gautier porte un suaire, comme le revenant Jénin Landore <vers 33>. Il couvre son visage avec un masque de carton (vers 485) où est peinte une tête de mort. 119 Ce verbe est souvent transitif : « Vous resemblez assez un mien frère. » ATILF. 120 F : beau (Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 792.) Arrivé près du calvaire, Gautier découvre qu’un prêtre y est déjà. Il ne reconnaît pas Martin : ce dernier a rabattu son capuchon pour dissimuler sa figure. Et par convention théâtrale, la scène se déroule au clair de lune (vers 550). 121 Voilà quelqu’un. « Assez tost viendra/ Aucune âme qui nous fera/ Gaingner monnoie. » ATILF. 122 Il faut sans doute lire « Maistre », pour obtenir une célèbre contrepèterie ; voir la note 2 des Hommes qui font saller leurs femmes. 123 Par la foi que je dois au protecteur des amoureux. 124 F : emcusera (Nous accusera d’adultère.) Le vers suivant est perdu. 125 En grand risque. 126 Requiem æternam est le début de l’office des morts, que le faux prêtre arrange à sa sauce afin d’apaiser le revenant : Repos éternel pour tous les fidèles défunts ! Tout le latin — prononcé à la française — que nos pétochards vont estropier par la suite provient de la liturgie courante et des Psaumes ; pour plus de détails, on se reportera aux éditions de G. Cohen et d’A. Tissier. 127 Mes jeux sexuels. Cf. Frère Guillebert, vers 132. 128 Que par une maladie des yeux : « Qui bien voit et mal prent, male goute li griet l’oill [lui crève l’œil] ! » (Proverbe.) La chassie est le principal symptôme de la conjonctivite. F intervertit les deux vers suivants. 129 Saint Gerbold fut évêque de Bayeux, en Normandie. On l’invoquait contre la dysenterie. Quand maître Pathelin délire en patois normand, il s’écrie : « J’é le mau saint Garbot./ Suis-je des foureux [des foireux] de Baïeux ? » 130 F : Gaultier (Corr. Cohen.) Guillaume, chez lui, achève de se déguiser en diable. Ce déguisement apparaît dans beaucoup de Mystères et de farces. L’acteur porte une têtière (vers 520), c’est-à-dire un serre-tête muni de cornes, et a « la face plus noire que charbon » (Cent Nouvelles nouvelles). Un justaucorps dont la fourrure est tournée vers l’extérieur complète la panoplie, avec des accessoires bruyants comme les chaînes et les crochets. 131 Tarder. Cf. Gautier et Martin, vers 332. 132 Je vais vers le calvaire sans faire de bruit. Cette phrase est comique, vu le boucan produit par la chaîne que Guillaume traîne derrière lui (vers 235-6) : voir la nouvelle de Nicolas de Troyes. 133 Même si on m’avait donné 100 marcs d’or. 134 Je la tiendrai. Cette forme picarde avait gagné la Normandie. 135 Vers manquant. « Tout de ce pas nous en irons. » Les Hommes qui font saller leurs femmes. 136 Que je ne te jette par terre. 137 Qui ne soit secoué de tremblements. Comme le note Jody Enders, « a pun here on membre : extremities like the arms and legs but also the virile member. » 138 Déguisé en diable, il s’approche du calvaire. 139 F : sen (On confondait facilement le « l » avec le « s » long : l et ſ.) Que le diable puisse pendre ce prêtre ! 140 Les diables poussent souvent ce cri, tel Lucifer au vers 318 du Munyer. Guillaume prend son rôle tellement à cœur qu’il hurle comme un diable : voir les vers 325 et 429. Pour l’instant, il vient d’apercevoir le fantôme. 141 F : ieue (Corr. Cohen.) 142 F : Gaultier (Corr. Enders ; voir sa note 30.) Les incantations latines contre le diable sont plus crédibles de la part d’un prêtre — fût-il faux — que d’un fantôme. Martin a d’ailleurs adjuré ledit fantôme en latin aux vers 284-5. L’habit fait le moine. 143 F : liurer (Le « l » est en trop.) « Se Fortune a ma mort jurée/ Et du tout tasche à moy destruire. » Christine de Pizan. 144 Mes prédécesseurs n’ont par repéré cette injonction latine, qui signifie : Protège-moi. « Me protege et conserva ! » Guillaume Dufay. 145 Tué. 146 Par la foi que je dois à saint Paul. « J’iray donc, foy que doy sainct Pol ! » Jehan qui de tout se mesle. 147 Ma situation est sans issue. 148 Je transpire de peur. 149 F : quelle (F descend ce vers après 357.) Qu’Il me fasse grâce. « À requérir grâce et mercy/ À Dieu, lequel vous face ainsi ! » Frère Frappart. 150 Une superstition remontant à la barque de Charon voulait qu’on pourvût les morts d’un viatique — en l’occurrence d’un Notre Père — sans lequel leur âme ne pouvait gagner sa destination finale. 151 Je vais réciter un Pater noster. Voir le vers 365. 152 F : Que (Que Dieu lui pardonne ses péchés !) 153 Délivre-moi des morts ! Au prix d’une belle faute de déclinaison, Guillaume combine le « libera me de morte » de l’office des défunts, avec le « et mortuos » du Credo. 154 Retour au Pater noster : « Et ne nos inducas in tentationem. » 155 Je me recommande à Dieu. Idem vers 136. Beatrix pose problème ; certains y voient le prénom de la Dame, dont il va être question au vers suivant. Koopmans rappelle que « Beatrix est également un qualificatif de la Vierge ». En effet, le vers précédent contient des mots de l’Ave Maria. 156 Martin mélange sa très profane Dame, et la glorieuse Dame du vers 377 : la Vierge. 157 Ce malheur. Idem vers 380. 158 Diable, dis-moi pourquoi. 159 Ni tête. Idem vers 520. Ce « membre » incongru fait écho à celui du vers 319 ; et chaque fois, on parle de celui du curé, comme il se doit dans une farce. 160 À ma maison et à mon foyer. 161 desconfes (Sans pénitence, sans confession.) « Celuy qui meurt impénitent est assûrément damné. » Furetière. 162 Tu n’as plus besoin de confession, puisque tu es mort. Les trois personnages vont se mettre à tourner de plus en plus vite autour du calvaire, l’un fuyant l’autre. 163 Tu es mort. Cf. le Testament Pathelin, vers 163. 164 F : icy 165 Le triolet 397-404 est altéré : il manque un refrain, et ce vers que je reconstitue. Brasser un brouet = mijoter un mauvais coup. « Nous a-on telz brouetz brasséz ? » Les Coppieurs et Lardeurs. 166 Celui qui. On tondait les fous : cf. l’Aveugle et Saudret, vers 1219. 167 F : soys (Corr. Cohen. Voir le vers 50.) Pour peu que j’y sois : au cas où ce serait moi. 168 En fin de compte. 169 Sans me faire de mal. Cf. Ung jeune moyne, vers 448. 170 Voir la note 22 de Serre-porte. 171 F : moult de (Guillaume invoque le personnage allégorique qui incarne la Mort. Voir les vers 4, 313, 369, 399.) 172 Sans me narguer. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 170 et note. 173 F : sans per (Les diables sont anthropophages.) Dans le Mystère des Trois Doms, Proserpine cuisine un damné ; voici ce grand moment de l’art culinaire français : « –Lucifer en aura pasté,/ Pour souper, à la siboullette./ S’aulcunemant est desgoutté,/ Le mettrons à la vineygrette…./ Friquasser te ferey son foye./ –Mon esthomac en veulx pourvoyr ! » 174 De cette oppression. Cf. le Cuvier, vers 218. 175 Celle qui me ferait rester plus longtemps. Allusion à la femme qui lui a donné ce rendez-vous. 176 Dans les Mystères, c’est le cri traditionnel des diables. « Brou ! Brou ha ha, puissans deables iniques ! » (Mystère de saint Martin.) Je vais ajourner = je vais provoquer. 177 Avec tes pièges, tes crochets. 178 Accrocher (voir la note 250). L’imprimeur parisien a laissé ce normandisme en croyant avoir affaire au verbe croquer. « Croque ta dague à ten costay [à ton côté] ! » La Muse normande. 179 F : donneray (Je te donnerai un coup. Voir le vers 357.) 180 F : congnois (Corr. suggérée par Tissier.) Je le constate. Cf. le Tesmoing, vers 55. 181 Mauvaise. (Idem vers 313.) Halina Lewicka précise que « les jurements composés avec male feste n’ont pas été, à notre connaissance, employés en dehors de la Normandie ». D’ailleurs, ce vers n’est autre que le vers 331 d’une farce normande, Sœur Fessue. 182 En laissant de côté les péchés véniels. « De groz en groz, à vous me confesseray. » ATILF. 183 Vivant. 184 F : molt (Jamais je n’ai subi la mort.) 185 F : faulte (Corr. Cohen.) 186 Secoué. Cf. la sottie caennaise de Pates-ouaintes, vers 60. 187 F : mourir (Corr. Tissier. Cf. le Cuvier, vers 137.) 188 F : ten ailles (Tu déloges, comme un cheval quitte l’étable.) 189 Monnaie d’alliage. « Et quatre chars chargéz de fin or sans billon. » ATILF. 190 Godefroy de Bouillon, l’un des chefs de la première croisade. Martin imagine que plusieurs hommes connus pour leurs crimes ont quitté l’enfer, et qu’ils devraient y retourner. 191 Bertrand du Guesclin, un des chefs de la guerre de Cent Ans. 192 F : lamortabaquin (Le sultan Bajazet Ier, grand massacreur de chrétiens.) « Jà ce chien mécréant, son adversaire l’Amorabaquin, n’auroit dons ne présens qui venissent du royaume de France. » Froissart. 193 Les fils d’Adam : Caïn — meurtrier de son frère Abel — et la proche descendance d’Adam et Ève, qui compte un grand nombre d’assassins. 194 Que vous alliez en enfer avec les damnés ! « C’est ung péchié qui a dampné/ Maint homme depuis Adam né. » Guillaume Alécis. 195 Voir le vers 201 de la Bouteille, et la note 7 de la Réformeresse. 196 J’ai des remords de conscience : j’ai besoin de me confesser. 197 A. Tissier ajoute en note : « Parodie de la prière dite avant la Communion : “Domine, non sum dignus…” (Seigneur, je ne suis pas digne…). » On chantait des matines pour les défunts, comme dans les Vigilles Triboullet. 198 Conçu tout spécialement. 199 Pour qu’on ne reconnaisse pas ma figure. 200 F : visaigeire (Corr. Cohen.) Ôte ce masque, où est peinte une tête de mort. 201 Que cela soit gardé. 202 F : ores (Vous n’en entendrez, futur du verbe ouïr.) 203 F : mon serment (Corr. F. Lecoy.) « Par le sacrement de la messe ! » Colin qui loue et despite Dieu. 204 Traitez-moi de gautier, de joyeux drille. Cf. Colin qui loue et despite Dieu, vers 149. La phrase est drôle parce qu’elle s’adresse à un nommé Gautier. 205 Jurez-le sur votre psautier, sur votre bréviaire. On doute que Martin en ait trouvé un chez lui ; ce libertin a plutôt pris un recueil de contes salaces, comme les Cent Nouvelles nouvelles, dont le format pouvait faire illusion. 206 Gautier retire son masque. 207 Examine un peu. 208 Au moutier, au monastère (note 4). Cette forme est fréquente en Normandie : voir le vers 58 de la Confession Rifflart, ou le vers 116 de Maistre Mymin qui va à la guerre. 209 La chapelle de certains monastères accueillait des fidèles venant de l’extérieur. Martin retire le capuchon qui dissimulait le haut de son visage. 210 C’est le vers 866 du Pourpoint rétréchy. Les trois éditeurs qui ont publié ces deux pièces ne s’en sont pas rendu compte, et ils ont tenté vainement d’expliquer ce vers au lieu de le compléter sur le modèle de l’autre. 211 Je vais vers eux sans retard. 212 Pour qu’ils n’aient pas peur de moi. Paour compte pour 1 syllabe, comme au vers 354 ; n’ai-ent compte pour 2 syllabes. 213 J’enlèverai de sur ma tête mon bonnet à cornes. 214 Une mauvaise affaire. 215 F : mon (Corr. suggérée par Tissier.) La rime Guillâme est normande : cf. le Ribault marié, vers 298 et note. Maistre Mymin qui va à la guerre fait aussi rimer Guillaume avec âme. 216 F : quil (Corr. Cohen.) 217 En ce lieu. Idem vers 386. Cf. Frère Frappart, vers 373. 218 En ce qui me concerne, notre secret sera celé. 219 Si peu que ce soit. Cf. la Satyre pour les habitans d’Auxerre, vers 34. 220 De révéler notre stupidité. Cf. la Cornerie des anges, vers 17. Mais la cornardie est aussi le statut des cornards, des cocus ; voir la note 46 de J. Enders. Enfin, l’ex-diable fait allusion aux cornes qu’il portait. 221 F : bruyt (Bailler le bond : se dit quand une femme congédie son amant. « Pour luy cuyder faire bailler le bont de sa dame…. La dame en qui il se fioit si l’abandonna et bailla le bont. » Martial d’Auvergne.) 222 F : autant (Corr. Koopmans.) 223 Nous en tenons, nous sommes bernés. « En avoir pour une » est une expression très répandue en Normandie : cf. le v. 297 du Pardonneur, le v. 265 du Testament Pathelin, le v. 293 de Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, le v. 299 des Sotz triumphans, etc. 224 F : tous trois pour une (Contamination du vers précédent.) Au-dessus de ce vers, F a imprimé : Et moy autant 225 Nous avons perdu notre temps au clair de lune. Voir le vers 131. C’est là une chanson de circonstance ; les acteurs appliquaient une musique à la mode sur beaucoup de triolets composés spécifiquement pour la pièce. 226 F : fames (« On apelle une bonne lame, une fine lame, une personne fine & adroite ; & ne se dit qu’en mauvaise part. » Le Roux.) 227 Le vers 221 ne précisait pas le métal. « La somme de vint royaulz d’or. » (ATILF.) Ardre = brûler, comme à 393. 228 Comment une femme ose-t-elle se mêler. 229 Blanc = candide, facile à duper. « Nous ne sommes pas assez blans ! » Le Bateleur. 230 Des seigneurs qui composent notre public. Le congé est l’ultime occasion de flatter l’assistance, à plus forte raison si elle n’a pas encore payé. 231 Vous qui êtes. Ce congé, en forme de triolet (chanté sur le même air que le précédent ?), s’adresse au public. 232 F : fuiesses (Corr. Cohen. Refrain correct à 573.) De ces ruses féminines. 233 Naïvement. 234 Il semble manquer un vers pour amener le suivant sans heurt et pour retomber dans les réjouissances carnavalesques. J’emprunte le vers 286 de la Folie des Gorriers. Gorrièrement = somptueusement. 235 Voici la 2ème nouvelle du Second volume du Grant parangon des nouvelles nouvelles, que Nicolas de Troyes composa en 1536. Il la situe dans « la région de Poictou ». 236 Et ce que. 237 Qu’on voulût. Un esprit est un fantôme. 238 J’irai en simple chemise, sans rien dessous. 239 Si j’irai dès cette nuit (note 63). 240 La bienvenue : une tromperie. 241 Muni d’une arme. « Armé et embastonné d’une espée, dague, arc et trousse de flesches. » (ATILF.) Il sera déguisé en gendarme : en soldat. Nous n’aurons donc pas de prêtre, ni de confession. 242 Le troisième. 243 Ce fantôme aurait peur (vers 519). 244 J’irai sans faute. 245 Celui qui faisait le fantôme regarda. 246 Nicolas de Troyes précise : « Laquelle tombe estoit enlevée [élevée] de la hauteur d’un escabeau, et de catre pierres par-dessoubz qui soutenoient ladite tombe, tellement que ung homme se fust caché dessoubz tout à son aise. » 247 De s’enrhumer. 248 D’une têtière (vers 520). 249 Il n’y avait aucun membre. Cette description relève de la liberté littéraire, et non des contraintes théâtrales. Pour la même raison, l’écrivain dépeint tout un cimetière là où le dramaturge se contente d’une croix plantée au milieu de la minuscule scène. Voir l’article de J.-P. Bordier. 250 Les crochets pour « accrocher » (vers 423 et 436) l’âme des damnés. 251 Voyait.
D’UN QUI SE FAIT EXAMINER POUR ESTRE PREBSTRE
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D’UN QUI SE FAIT
EXAMINER POUR
ESTRE PREBSTRE
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Le thème de « l’enfant mis aux écoles1 » faisait rire le peuple, même si ce peuple n’était guère plus instruit que les ignorants aux dents longues dont il riait. Cette farce normande, écrite dans le premier quart du XVIe siècle, est un modèle du genre : un petit paysan se satisfait de garder les oies et de baragouiner son patois ; mais sa mère veut en faire un prêtre ou même un pape, et transforme l’idiot du village en parfait abruti. Quand ce dernier se retrouve devant l’examinateur, le vernis latin craque, et le naturel revient au galop.
Nous avons là une de ces farces de collège2 que les apprentis latinistes jouaient à l’occasion de certaines fêtes. Nous savons que l’obscénité, la scatologie et l’anticléricalisme y étaient bienvenus : voir par exemple Maistre Jehan Jénin, ou la Résurrection Jénin à Paulme.
Sources : Recueil du British Museum, nº 45 : « La Mère, le Filz et l’Examinateur. » Le vrai titre est sous la vignette : « D’un qui se fait examiner pour estre prebstre. » Publié à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550. — Manuscrit La Vallière, nº 58 : « La Mère, le Filz (lequel veult estre prestre) et l’Examynateur. » Copié à Rouen vers 1575, peut-être d’après un exemplaire de l’édition Chrestien. Aucune de ces deux adaptations tardives n’étant publiable en l’état, je prends pour base l’édition BM, et je la corrige tacitement sur le manuscrit LV, quand il résout un problème sans en créer un autre.
Structure : Rimes plates. Beaucoup de rimes identiques et d’assonances approximatives.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse
À troys personnages, c’est assavoir :
LA MÈRE
LE FILZ [Pernet] 3
et L’EXAMINATEUR
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D’UN QUI SE FAIT EXAMINER
POUR ESTRE PREBSTRE.
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LE FILZ commence en chantant 4 SCÈNE I
Bouriquet, bouriquet, Hanry bourilane !
Bouriquet, bouriquet, Hanry bouriquet !
Ma mère, ay-je pas un beau Moulinet 5 ?
Agardez6, je l’ay fait comme pour moy.
LA MÈRE
5 Las, que je suis en grand esmoy !
LE FILZ
[Et ! dictes-moy] pourquoy, ma mère.
LA MÈRE
Hé(e) ! Dieu ayt l’âme de ton père7 !
S’il eust vescu, t’eust fait grand homme.
LE FILZ
Il m’eust fait évesque de Romme,
10 C’est pour le moins, je l’entens bien.
LA MÈRE
Las ! qu’il estoit homme de bien,
[N’en desplaise aux villains jaloux.]8
LE FILZ
Nul n’en dit mal, si ce n’est vous,
Qui l’appellez [boiteux et] borgne9.
LA MÈRE
15 Tenez, regarde-le-moy à la trongne.
Jamais ne vis [chose ou personne]10
[Qui] mieulx ressemble11 l’un[e] à l’autre.
LE FILZ
Ma mère, il en fault trouver un autre.
LA MÈRE
Dis-moy où nous en trouveron.
LE FILZ, en chantant 12
20 Au Vau13, lure lurette !
Au Vau, lure luron !
Mon Dieu, que je suis vray huron14 !
Mais quand [bien je pense]15 à part moy,
Hé ! qui suis-je ? Encor je ne sçay.
25 M’a-l’on point escript aux Cronicques16 ?
Je me gaige que, sus méniques17,
Que j(e) y suis, avecq Bouderel
Ou avecq[ues] Jaquet Hurel18,
Car je suis homme de renom.
30 Mais sçav’ous point comme j’ay nom ?
« Chose », [a-l’on]19 bouté en escript !
Je fus né devant20 l’Antéchrist,
De cela me souvient encore.
Ma mère avoit nom Li[ber]nore21,
35 Et mon père, messir(e) Gaultier22,
Aux enseignes de son saultier23,
Qu’il me donna quand il fut mort.
LA MÈRE
Par Nostre Dame de Monfort !
Je croy que tu es matelineux24 ou yvre.
LE FILZ
40 Ma mère, çà, mon petit livre25 !
Quia égo volo iré ad Ordos26,
Affin que je soys sacerdos27
Devant qu’il soit la Penthecouste28.
LA MÈRE
Tu le seras, quoy qu’il me couste,
45 Puisque tu as volunté telle.
LE FILZ
Ma mère, quand esse ? [On frételle]29 ;
De cela30, vous n’en parlez point.
LA MÈRE
Ne t’en soucie que bien apoint.
Mais j’ay envie que tu soys prestre.
LE FILZ
50 Sainct Jehan ! aussi je le veulx estre,
Car j’ay assez estudié.
LA MÈRE
Aussi, il t’en est bon mestié31,
Car c’est une chose commune
Qu’on32 te demand(e)ra si la plume
55 Tu [ne] sçais très bien manier.
LE FILZ
La plume ? Sainct Gris, ouy !
Hé ! c’est[oit] mon premier mestier33 :
Je ne fis jamais autre chose,
Et quand j’aloys mener nostre Chose34…
LA MÈRE 35
60 Et, quoy ? Dis-le-moy vistement.
LE FILZ
Hé ! nostre grand vieille oye au(x) champ(s) ;
Souvent luy manioye la plume.
LA MÈRE
Vrayment, tu m’en bailles bien d’une !
Ce n’est pas ce que je [te] dis.
LE FILZ
65 Elle a de la plume[s], à mon advis ;
À tout le moins, ma mère, ce croy-je.
LA MÈRE
Jamais un sot ne sera saige36,
Au moins un pareil que tu es.
LE FILZ
Où avez-vous mis mon Donnest 37
70 Qu’aviez l’aultre ier38, dictes, ma mère ?
LA MÈRE
Vien çà ! Dy-moy : qu’en veulx-tu faire ?
LE FILZ
Que j’en veulx faire ? [Sainct Didier !]
Je veulx dedans estudier.
Ou autrement, je m’en iron39
75 Jouer à l’ombre d’un buisson40.
Entendez-vous, dictes, ma mère ?
LA MÈRE
Ce n’est pas ainsi qu’il fault faire ;41
Tu es un trèsmauvais garson !
Il fault bien estre plus sage.
80 Çà42 ! je m’en voys à la maison
De l’examinateur c’est le vicaire43.
LE FILZ
Hay, ma mère, dictes-moy que faire ;
Iray-je point o44 vous ?
LA MÈRE
Nenny.
LE FILZ
Et pourquoy ?
LA MÈRE
Parce que tu n’es c’un bémy45,
85 Et tu me ferois déshonneur.
LE FILZ
[Ma mère, à l’examinateur
Recommandez-moy]46, s’il vous plaist.
LA MÈRE
Tais-toy, car tu n’as [fors] que plest47.
Ne pense qu’à faire du sage.48
LE FILZ
90 Luy portez-vous point de fromage,
Pour luy faire quelque présent49 ?
LA MÈRE
Ha ! tu ditz vray, par mon serment !
En voilà, que luy porteray.
Et à luy te recommand(e)ray.
95 Aussi, je compteray ton affaire.
LE FILZ
Adieu vous ditz donques, ma mère !
Pause.
LE FILZ SCÈNE II
Aviser fault à mon affaire,
Pour me démonstrer homme sage.
Vestu je suis selon l’usage50.
100 Apprendre veulx comme il fault faire.
Saluer me fault ce vicaire
Tout aussi tost que le verray.
.
LA MÈRE 51 SCÈNE III
Dieu vous gard, Monsieur [le Curé] !52
L’EXAMINATEUR
Et vous, m’amye ! Qui vous ameine ?
LA MÈRE
105 Las ! c’est mon filz qui me démaine
Et me dit qu’il veult estre prebstre.
L’EXAMINATEUR
Possible. Est-il sage53 pour l’estre ?
Que ne l’avez-vous amené ?
LA MÈRE
Monsieur, je vous voulois ouÿr parler
110 Et sçavoir vostre volunté.
Mais je m’en retourne à l’hostel54
Et l’amèneray devers vous.
L’EXAMINATEUR
Allez doncques, despêchez-vous,
Ne demourez pas longuement !
LA MÈRE
115 Non feray-je, par mon serment !
[Je m’y en voys.] Adieu, Monsieur !
Je prie à [Dieu], Nostre Seigneur,
Qu’i vous donne55 joye et santé !
.
LE FILZ 56 SCÈNE IV
Je veulx faire cy un autel
120 Et chanter le Per omnia57,
En ce temps pendant qu’il n’y a
Que moy [tout] seul en cest hostel.
Et si, me fault apprester mon cas [tel]
Que je n[’en] aye fascherie.
.
LA MÈRE 58 SCÈNE V
125 Or çà, mon filz, Dieu te bénie !
LE FILZ
Et ! vous ma mère, que dictes-vous ?
LA MÈRE
Je pense que tu prieras pour nous59
Et pour ceulx qui te f(e)ront du bien.
LE FILZ 60
Qu’en dictes-vous ? Cela61 est-il bien ?
130 Ma mère, escoutez-moy chanter.
LA MÈRE
As-tu fait toy-mesmes cest autel62 ?
LE FILZ
Ouy dea, ma mère, Dieu mercy !
LA MÈRE
Las ! que tu as un bel esprit !
LE FILZ
Si63, fus-je fait au cymetière ?
135 Or m’escoutez chanter, ma mère :
Je diray un Per omnia.
LA MÈRE
Je pense qu’au monde il n’y a
Homme plus sçavant que tu es.
LE FILZ
Or escoutez-moy, s’il vous plaist.
LA MÈRE 64
140 Je t’escoute, par mon serment !
LE FILZ, [en chantant]
Per omnia sécula séculorum !! Amen !! 65
[Or] qu’en dictes-vous, voirement ?
[Une autre fois bien chanteray]66.
LA MÈRE 67
Par mon âme ! l’on dit bien vray68 ;
145 Mon filz chante deisjà la messe.
Et ! par Dieu, il sera évesque ;
Je le sçay bien certainement,
Voyre, s’il vit bien longuement.
Aussi l’avois-je bien songé69.
150 Regardez comme il a changé,
Depuis qu’il ne fut à nourrice.
Tout ce qu’il fait luy est propice,
Et sy, fait desjà fort de l’homme.
Je cuyde70 que d’icy à Romme,
155 Il n’y a [ne] beste ne gent
Qui ayt si bel entendement
Comme il a, [vous] le voyez tous71.
[Çà], mon filz, que je parle à vous !72
Il fault que tu soyes un curé.
LE FILZ
160 C’est bien dit. Il nous fault aller
Bien tost vers l’examinateur ;
Mais qui sera mon conduicteur ?
LA MÈRE
Moy, pour le plus honnestement.
LE FILZ
Or dictes-moy, premièrement,
165 Et m’enseignez comme dois faire.
LA MÈRE
C’est bien dit. Que je te voye faire73 !
LE FILZ
Monstrez-moy doncq premièrement.
LA MÈRE 74
Faire fault le pied75 gentement.
Et saluer Monsieur haultement.
170 Pas ne fault faire l’estourdy76.
LE FILZ
J’ay entendu ce qu’avez dit,
Ma mère, ne vous souciez point.
LA MÈRE
Chemine par bon contrepoint77,
Et te gouverne honnestement.
LE FILZ
175 Luy fauldra-il bailler argent78 ?
Car, par ma foy, je n’en ay point.
LA MÈRE
Je croy qu’il n’en demand(e)ra point ;
S’il en demande, il en aura.
Allons-nous-en veoir qu’il79 dira.
180 Au moins, il sçaura que tu scez dire.
LE FILZ
Je ne me pourray tenir80 de rire,
Agardez, tant je suis joyeulx.
LA MÈRE
Regarde-le faire entre deux yeulx :
Je croy que n’auras fain81 de rire…
185 Mais as-tu plume pour escripre ?
Et aussi ton escriptoire, [où est-elle] ?
LE FILZ
Baillez-moy l’autre, elle est plus belle ;
Car ceste-là ne vault plus rien.
LA MÈRE
Saincte Marye, tu dis bien !
190 Tien, la voicy ; metz-y tes plumes.
LE FILZ
Or, tout y est ; ne s’en fault82 qu’une
Que je mettray à mon oreille.
LA MÈRE
Prens ton ganif et l’appareille83,
Que tu escripves comme un pape.
LE FILZ
195 Hay ! Ma serpe, ma mère ! Ma serpe
Me servira de ganivet84.
LA MÈRE
Or allons doncques, c’est bien fait.
Il nous fault tost parler à luy.
Présente-toy tost devers luy,
200 Et le salue bien haultement.
LE FILZ
A, je l’avoys oublié, vrayment.
Il sera fait, sans y faillir.
Esse [pas il]85 que voys venir
Par ce chemin, si gentiment86 ?
LA MÈRE
205 Ouÿ, mon filz, par mon serment !
Va-t’en à luy honnestement,
Et le salue bien haultement.
Fais tout ainsi que je t’ay dit.
.
LE FILZ 87 SCÈNE VI
Je vous salue bien haultement,
210 Monsieur : ma mère me l’a dit.
L’EXAMINATEUR
Qui m’amaine cest88 estourdy ?
Pourquoy viens-tu ?
LE FILZ
Pour estre prebstre.
L’EXAMINATEUR
Ceinct89, tu es assez sot pour l’estre !
Viens-tu pour estre examiné ?
LE FILZ
215 Ita, per quidem, Dominé,
Si placéat vobis, modo.90
Car le jour de Quasimodo91,
Je chant(e)ray ma première messe,
Entendez-vous pas bien92 ?
L’EXAMINATEUR
Ouy dea ; qu’esse ?
LE FILZ
220 Je vous semons93, ne faillez pas :
Vous y aurez un bon repas.
Et si, vous mengerez du rost,
Voire, et si burez plus de trois potz,
Sur ma foy, du vin de la feste94.
225 Car puisque je l’ay mis en ma teste,
Il sera fait per quoniam95 !
L’EXAMINATEUR
Je ne vis onc(ques), de demy an96,
Un si grand sot, par sainct Victor97 !
LE FILZ
Je sçay bien mon Rétributor98,
230 Mon Imanus99, mon Quanterra100,
Vény Créato, Hora nonna.101
Et si, cognois toutes mes lettres.
J’en ay fait reus102 cent fois les maistres
De nostre escolle, sur mon âme !
L’EXAMINATEUR
235 Par la benoiste Nostre Dame !
Je croy que tu es matelineux ou yvre. 103
LE FILZ
Ma mère, çà, mon petit livre !
Quia égo volo disputaré.
Déclina michi « létaré »104 :
240 Je vous l’envoye105 de bout en bout.
L’EXAMINATEUR
Et puis, sera-ce tantost tout ?
Ton blason106 beaucoup me desplaist.
LA MÈRE
Examinez-le, s’il vous plaist.
L’EXAMINATEUR
Or çà ! Quo nomine vocaris107 ?
LA MÈRE
245 Il ne fut jamais à Paris,
Et si108, [il] est si antificque :
Il sçait toute sa Réthoricque
Courant comme son ABC.
LE FILZ
Par bieu ! je suis tout mort de soif109 :
250 Ma mère, çà, nostre bouteille,
Car je luy veulx tirer l’oreille110 !
LA MÈRE
Attens que nous soyons hors d’icy.
LE FILZ
[Instruisez-moy : qui a vécy]111 ?
Per fidem méam112, je n’en sçay rien.
L’EXAMINATEUR
255 Hé(e), que tu es homme de bien !
Vien çà, dis. Ad quam, amicé…113
LE FILZ
Or attendez que j’aye pissé,
Monsieur : j’auroy à cest heure114 fait.
LA MÈRE
Tu es un villain trèsparfait !
260 Que ne respons-tu sagement ?
LE FILZ
Mais qu’esse qu’il dit ? Voirement,
Per méam fidem, je n’en sçay rien115.
L’EXAMINATEUR
Ma foy, mon filz, tu ne scez rien ;
Tu ne sçaurois [parler latin]116.
LE FILZ
265 Égo, vultis117 ? Par sainct Copin !
Eccé desjà librus méus118.
L’EXAMINATEUR
Or avant, doncq[ues] ! Dicamus119 !
LA MÈRE
Sire120, il chante bien « Orémus ! » :
Car autresfois, quand je m’envoys 121
270 Sy122 le laisse seul à l’hostel,
Il fait de la table un autel
Et chante le Péromnia123.
Vous diriez, [en voyant]124 cela,
Qu’il seroyt digne d’estre pape.
275 [Mais] il met aussi bien la nappe
À l’heure qu’il nous fault disner125.
L’EXAMINATEUR
Laissons tout, [c’est assez jaser]126 !
Dy-moy, qu’esse ? Vadis127 mecum ?
LE FILZ
Allez, villain128 ! Par sainct Symon !
280 Vous estes plain de vitupère.
[Av’ous parlé]129 du con ma mère ?
A ! par ma foy, je luy voys dire130 !
.
L’EXAMINATEUR
Messieurs131, ce lourdault me fait rire
Tant, que c’est un merveilleux cas.132
285 Nous vous prions, tant hault que bas133,
[Que prenez en gré noz esbatz,]
[Si vous avons]134 aucun tort fait.
LE FILZ
Et qui se trouv(e)ra en tel cas,
Qu’il ne face pis que j’ay fait.135
.
FIN
.
*
LE VILLAIN ET
SON FILZ JACOB 136
*
………………………………..
LE VILLAIN
Je te requiers que tu y137 goucte ;
Il me tarde que t(u) y soie jà.
JACOB
Jà mauldit soit qui le fera !
Et puis me diroient cléribus138.
LE VILLAIN
5 Tu seras desvêtus tous nuz,
Se tu n’y vas de tom bon grey139.
JACOB
Tant que vive, ne le ferey.
Le diable [sur vous]140 puisse cheoir !
LE VILLAIN
Tu ne m’eschappes paz encoir,
10 Puisque je te tiens par la main.
JACOB
Vous y serez jusqu(es) à demain :
En ma vie je n’y entandray141.
LE VILLAIN
[Par] saint Jehan ! Je t’y pourteray ;
On verra qui(l) sera plus fort.
Pausa.142
15 À la mort ! À l’ayde143 ! À la mort !
Sanc bieu, qu’il a les dans aguë[s] !
Hélas, par ma foy, tu me tue[s] !
Laisse-m(oy) aller, tu n’yras pas.
JACOB
Or, levez144 le doy.
Or lèves le doy [le Villain].
…………..
………………………………. 145
20 ……….
LE VILLAIN
Saint Jehan ! non feray.
Tu ne m’aras pas pour tel, fis146.
Marchant147, puizque [vous] estes prins,
Vous y [serez porté]148 au sac
Toust à ceste heure.
JACOB
Nac149, nac, [nac] !
25 Encoir ne sommes-nous pas là.
LE VILLAIN 150
On verra qui plus fort sera.
Or çà, marchant, entres dedans !
JACOB
Par Dieu ! père, vous perdez tenpz :
Tant que vive, je n’y entrey151.
LE VILLAIN
30 Par Dieu ! doncques, je t’y bout(e)ray.
Or çà ! et l’eusse-tu juré152,
Entres !
JACOB
Vous avez beaul hué153 :
Ce ne sera huit154 ne demain.
LE VILLAIN
Puisque j’ay prins le fait en main,
35 Tu y155 viendras, ribon ribainne !
Ilcy, le charge sur ses espaule[s].156
JACOB
Vraiement, vous prenez grant paine
De chouse qui gaire ne vault.
LE VILLAIN
Ha ! Nostre Dame, qu’il fait chault !
J’ay heue cy une malvaise poincte157.
40 Ha, que le maistre fera grant plainte158,
Quant il verra mon filz Jacob !
JACOB
Encoir n’y suy-ge pas, siro159.
Je vous eschaulferey vostre eau160.
Ilcy le prant Jacob par 161 les orelles.
LE VILLAIN
Dea, Jacob, tu me fais courtaud162 !
45 Ce n’est pas fait163 de bon enffant.
JACOB
Or, vous déportez donc à tant164,
Ou je le[s] vous araicherey !
LE VILLAIN
Las ! mon filz Jacob, je ferey
Ce que vouldras165 ; n’an tires plus !
JACOB
50 Me quictez-vouz166 ?
LE VILLAIN
Ouy, par Jhésus !
Jamès [plus] ne t’an requiérey,
[Ny maistre ne te donneray.]167
Va, fait[z] du piz que tu pouraz.
Hélaz, mon trèsbeaul filz, hélas !
55 J’ay les oreilles dessirées168.
(Hélas ! or pers-je mes soudées169,
Se Jacob [ne] va à l’escolle.
Il [l]e fault prendre de parolle170
Doulcement : sy s’acordera.)
60 Jacob !
JACOB
Que voulez-vous ?
LE VILLAIN
Vien çà !
Beaul filz Jacob, je te suply171
Que face[s] ce que [je] t’ay dist.
JACOB
Quoy, siro ?
LE VILLAIN
Aller à l’escole.
Tu estoie jà172 escript ou rôle
65 De quoy on fait les cardinaulx.
JACOB
Il ne m’an chault pas de deux aulx173,
Par Dieu : je veulx garder les pors.
LE VILLAIN
Jacob, soies de mes acors174
Et je te donray du fromaige,
70 De la rotiecte175, que sai-ge,
Et des pommes dedans tom sac.
JACOB
Et quoy avec(que) ?
LE VILLAIN
Des nois aul flac176
Et ung gros cartier de fromaige.
Es-tu contant, Jacob ?
JACOB
Que sai-ge ?
75 G’y panseray sans dire mot(z).
Or, enplez doncque mom saichot177,
Et que j’aye la boutellecte178.
LE VILLAIN
Ho ! Jacob, par saincte Mamecte,
Tu auras ce que tu vouldras.
80 Tien, mon enffent. Or, va le pas179,
Et mez painne180 de bien apprandre,
Car vraiement, je veulx tout vandre
Pour toy fère clert181 excellant.
A Dieu. Filz Jacob, à Dieu vous commant182 !
[JACOB]
Tandis que le sac durera,
86 [Je feray tout ce qu’on vouldra.]183
LE VILLAIN
……………………………………
*
1 Voir Halina LEWICKA : Études sur l’ancienne farce française, pp. 32-46. 2 Voir la note 2 des Sotz escornéz. 3 Dans le recueil du British Museum, cette farce est suivie par une autre, Pernet qui va à l’escolle : on y reconnaît le personnage de la mère, et celui du fils, qui se nomme Pernet. Cette farce où Pernet ânonne l’alphabet précède la nôtre, qui en reprend de nombreux vers. On peut donc en déduire que le nom du fils est le même dans les deux pièces. 4 Hari bouriquet, chanson franco-provençale de Claudin de Sermisy. « Hari, bourriquet ! » est une injonction pour faire avancer les ânes. Elle est vite passée dans le registre érotique : « Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, c’en dessus dessoubz, c’en devant derrière, harry bourriquet ! Et desjà commençoyt exercer sa braguette. » (Gargantua, 11.) Le prénom Hanry doit viser un des magisters du collège rouennais qui créa cette œuvre. La copie LV rend au prénom son orthographe originale : « Bouriquet, bouriquet, Henry boury lane !/ Bouriquet, bouriquet, et Henry bouriquet ! » Pour se moquer d’un prêtre ainsi prénommé, les huguenots modifieront de la sorte ce refrain : « Le prestre se vest,/ Henri, Henri l’asne,/ Le prestre se vest,/ Henri bouriquet ! » (La Gabelle de la messe, ms. Cinq cents de Colbert 488.) 5 Bâton au bout duquel pend une vessie de porc emplie de pois secs, que les enfants et les Sots font tourner pour produire du bruit : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 157. Je laisse aux érudits rouennais le soin de vérifier si la victime de cette chanson ne serait pas un certain Henry Mo(u)linet : de nombreux Normands portèrent ce nom. 6 Regardez, voyez. Même normandisme au vers 182. Pernet chante les deux derniers décasyllabes sur le même air. 7 Comme beaucoup de Badins, Pernet est le fils d’un prêtre. Cf. Jénin, filz de rien. 8 Vers manquant. 9 Je comble arbitrairement cette lacune d’après Lucas Sergent, bouéteulx et borgne. En tout cas, ce père n’était pas manchot : dans Pernet qui va à l’escolle (note 3), il bat son fils et il fend du bois à la hache. Borgne rime en -o(r)ne. 10 BM : chose — LV : personne (La mère observe son fils, qui a peut-être un bandeau sur l’œil.) 11 BM-LV : ressembler 12 Chanson inconnue ; voir H. M. Brown, nº 31. Le refrain imite une flûte, comme le confirme ce Noël : « De la fleûte, lure lurette. » Mais il pourrait s’agir d’une musette : « La cornemuse, avec lire lirette, lire liron, commence à fredonner plusieurs sortes de danses. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe. 13 Nous vous trouverons un amant au Vau (au Val-de-Vire). Cette vallée normande fournira de nombreuses chansons à boire : « D’une chanson du Vau-de-Vire/ Le fault servir, à ce matin. » Actes des Apostres. 14 Sagouin. « Ce n’est q’ung sot,/ Filz de quelque huron saulvaige (…),/ Et c’est ung prestre de villaige,/ Ou le clerc de quelque vieil moyne. » (Guillaume Coquillart.) Pernet s’adresse au public. 15 BM : ie pense — LV : je pence bien (Mai rime avec sai, à la manière normande. Cf. Messire Jehan, vers 194.) 16 Dans la farce de George le Veau (BM 22), un orphelin en quête de parents demande au curé : « Av’ous point une croniquaille/ Pour y regarder ? » Il s’y choisit un père et une mère : « Voy-les-cy en droictes cronicques. » 17 Litote normande : « Sur mon âme ! » Cf. Jolyet, vers 38. La répétition de « que » au vers suivant est populaire. 18 Pernet, qui ne connaît personne en-dehors de son village, ne peut se comparer qu’à deux notables du cru. Ou aux deux cancres du collège. 19 BM-LV : ma lon point (Il va de soi que son père, le curé, n’allait pas l’inscrire dans le registre des baptêmes sous son propre nom.) « Chose » est un pseudonyme pratique : voir le v. 96 de la Résurrection Jénin à Paulme, le v. 37 des Chambèrières et Débat, ou le v. 194 de Mallepaye et Bâillevant. 20 Avant. Les prêcheurs apocalyptiques prétendaient que l’Antéchrist venait juste de naître. « Fuyons-nous-en : j’ay entendu/ Que l’Antéchrist si est jà né ! » Les Menus propos. 21 Le psautier dont Pernet a hérité de son père (vers 36-37) s’ouvre comme tant d’autres sur un ex-libris en latin de sacristie : « Liber in honore * messire Gaultier. » Pernet, qui a une forte tendance à estropier les expressions latines, n’a retenu que le début et la fin de liber in honore, et il s’imagine que le nom de sa mère précède le nom de son père. *Un auteur normand nous a laissé un Liber in honore sancti Petri et sancti Philiberti. 22 Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) évoque ce curé lubrique : « À confesse,/ Vous distes à messir(e) Gaultier/ Que je subtenoys ma maistresse. » On prononce « messer ». 23 D’après ce qu’indique l’ex-libris de son psautier. 24 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Mathellineux,/ Foulx, estourdis. » (Le chastiement du Monde.) La Mère s’indigne que Pernet croie ne pas être son fils. 25 Donnez-moi mon manuel de latin ! Dans un souci tout campagnard de faire durer le matériel, la mère conserve toutes les affaires de son fils, et lui prête au compte-gouttes ses livres, son Donat (v. 69), son écritoire neuve (v. 190), et même sa serpe (v. 195). 26 Car je veux entrer dans les Ordres. « Et comment envoyoit-on ad ordos gens si ignorans ? Il fault noter que ceux qui les examinoyent n’en savoyent guère davantage qu’eux. » Henri Estienne. 27 Prêtre. 28 Avant la Pentecôte. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 406. 29 BM : que lon fretille — LV : que on fretelle (On se contente de bavarder. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 41.) 30 De la date de mon investiture. 31 Il t’en est bien besoin. 32 BM-LV : Que lon (Il s’agit de la plume d’oie pour écrire. Mais pour le public, qui a l’esprit mal tourné, une plume est un pénis : cf. le Dorellot, vers 119 et note. Nous avons conservé la vieille expression érotique « tailler une plume ».) 33 Enfant, Pernet gardait les oies, tout comme Maistre Mimin estudiant. Dans le Villain et son filz Jacob, que je publie en appendice, le petit paysan garde les cochons. 34 Pernet a baptisé son oie de son propre nom de famille : Chose. 35 Elle ne comprend pas qu’il s’agit de l’oie, et elle pense que son fils ne trouve plus ses mots. 36 Même constat dans les Sobres Sotz, vers 123. 37 Manuel de grammaire latine de Donatus. Cf. le Maistre d’escolle, vers 11. « Ce petit Donet je (lui) présente,/ Pour tant qu’il a mis son entente/ À volloir grammaire sçavoir. » Jehan Molinet. 38 L’autre hier = l’autre jour. BM : lautruy/ 39 BM-LV : iray (Forme populaire normande. « G’irons au marché. » La Mauvaistié des femmes.) À la rime, le « s » final est facultatif, comme au vers 19. 40 Pernet retient mieux les chansons que les prières. D’innombrables refrains nous renseignent sur l’utilité des buissons : « Trois foys il l’a fringuée à l’ombre d’ung buisson. » (Fringuez, moynes, fringuez.) « Livre-la-moy en ung lict toute nue (…),/ Ou la m’envoye en l’umbre d’ung buisson. » (C. Marot.) « Ma belle se repose/ À l’ombre du buisson./ Moy, j’embroche son chose/ De mon roide poinçon. » (Chansons folastres.) 41 BM-LV intervertissent ce vers et le suivant. 42 BM-LV : Car (Allons ! je m’en vais…) 43 Le vicaire-examinateur, suppléant de l’official, interrogeait les candidats à la prêtrise. 44 BM-LV : auecq (En Normandie, « o » = avec. « Voulez-vous demourer o moy ? » Les Esbahis.) 45 BM-LV : fol (Un niais. À propos de ce normandisme, cf. la Veuve, vers 100 et note.) 46 BM-LV : Recommandez moy a lexaminateur / Dictes ma mere 47 Pas autre chose que plaidoirie, contestation. « Et ne leur laissent nullement/ Avoir fors que plait et riote. » Eustache Deschamps. 48 Les vers 89-91 s’inspirent librement des vers 55-57 de Pernet qui va à l’escolle (note 3). 49 Le bon sens paysan du villageois resurgit. 50 Pernet porte le costume usuel des Badins, décrit dans la note 4 de Colinet et sa Tante, une farce qui développe le même thème que la nôtre. <Voir aussi André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989. On consultera la n. 15 de la p.114, et la n. 99 de la p.137.> 51 Elle arrive devant l’examinateur. 52 Les vers 103-7 s’inspirent librement des vers 76-80 de Pernet, mais ne comblent pas ses lacunes. 53 En-dehors d’une farce, on attendrait plutôt la question : Est-il d’âge pour l’être ? Dans la vraie vie, l’âge canonique était alors de 25 ans. 54 À la maison. Idem vers 122 et 270. La mère châtie son langage, et ne parvient qu’à produire un effet comique : J’amènerai l’hôtel devant vous. Hôté rime avec volonté ; voir les vers 118-9 et 130-1. 55 BM-LV : doint 56 Il installe sur la table un autel de fortune, fait avec du linge de maison et des ustensiles de cuisine. 57 C’est le cheval de bataille des candidats à la clergie : cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 348. 58 Elle rentre. Son fils, qui gueule à tue-tête le Per omnia, ne l’entend pas. 59 Quand tu seras prêtre. 60 Désignant l’autel qu’il a bricolé sur la table. 61 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « chla » : « Vrayment, chla va bien autrement. » La Muse normande. 62 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « st’autel ». « Entendant discourir avant-hier de st’affaire. » La Muse normande. 63 BM-LV : Possible (Pour lui, un esprit est un fantôme.) Des prostituées racolaient dans certains cimetières. 64 BM-LV ajoutent dessous : Chante mon filz 65 Par tous les siècles des siècles. C’est le premier vers de Pernet. « Amen » rime en -an : voir la note 160 de Régnault qui se marie. 66 BM-LV : Je chanteray bien une autre fois (Je chanterais bien une fois de plus.) 67 Au public. 68 Cela confirme le proverbe : « Tel père, tel fils. » La tirade 144-158 reprend les vers 5-19 de Pernet. 69 Voir la note 6 de Pernet. 70 BM-LV : croy — Pernet : cuyde 71 BM-LV : vous 72 Dans Pernet, ce vers contenait le nom de l’enfant : Pernet que ie parle a vous 73 Fais le salut que tu feras devant lui. 74 Elle imite gestuellement et vocalement ce qu’elle croit être une grande dame. Rappelons que cette fermière simplette, vêtue d’un tablier, d’un fichu et de sabots, fut jouée par un collégien. 75 BM-LV : petit (Faire le pied-arrière, ou le pied-derrière, ou le pied de veau, ou le pied : faire une révérence. Voir la note 206 de Gautier et Martin.) Gentement = avec noblesse. 76 Le fou. Idem vers 211. 77 Avec mesure. 78 BM-LV : de largent (Nouvelle manifestation du bon sens paysan.) 79 Ce qu’il. 80 Me retenir. « Celui qui ce nous récitoit/ Les assistans tant incitoit/ Qu’ils ne pouvoyent tenir de rire. » (Le Banquet des chambrières.) « Monsieur de Nançay (…) ne pust tenir de rire. » (Marguerite de Navarre.) 81 Faim, envie. « J’ay grant fain de rire. » Serre-porte. 82 Il n’en manquera. Les clercs et les comptables avaient toujours une plume derrière l’oreille, comme les épiciers d’avant-guerre y auront un crayon. 83 Aiguise ton canif : il sert à tailler le bec des plumes, pour écrire aussi fin qu’un chancelier pontifical. 84 Au lieu du petit canif, le paysan aura une vulgaire serpe à la main. « La serpe/ Me servira de canivet. » (Pernet qui va à l’escolle.) Sarpe rime avec pape. 85 BM-LV : il pas (N’est-ce pas lui ? « Le vélà, c’est il, vrayement. » Les Sotz fourréz de malice.) 86 Noblement. Idem vers 168. 87 Il barre la route à l’examinateur en brandissant sa serpe. 88 BM-LV : se sot 89 BM : Sainct — LV : ma foy (« Le prestre ceint d’une ceinture de chanvre. » Anastase Cochelet.) 90 Oui, par mon quidam, Monsieur, / S’il plaît à vous, du moins. Pernet a beau avoir appris ce salut par cœur, il prononce « per quidem », qui n’a aucun sens, au lieu de « per fidem » [par ma foi]. Un jeune clerc inculte commettra la même boulette au vers 461 de l’Avantureulx. 91 Le dimanche qui suit Pâques. 92 Sous l’effet du trac, Pernet lâche un pet sonore. « Mais sy je lâche le derière/ Par avanture, (entendez-vous ?),/ Vostre part y sera tousjours. » (Le Bateleur.) Nous aurons la suite de ses aventures intestinales au vers 253. 93 Je vous y invite. Lorsqu’un jeune curé célèbre sa première messe, la famille et les amis organisent ensuite une fête bien arrosée. Cf. le Clerc qui fut refusé à estre prestre, vers 105-6 et note : dans cette farce, un candidat à la prêtrise est renvoyé deux fois par son examinateur. 94 « Le cuysinier cy m’a semons/ Pour boire du vin de la feste. » La Présentation des joyaux. 95 Pernet veut sans doute dire « perquam » : tout à fait. 96 En six mois. 97 Le mal de saint Victor est la folie. « Malade du mal S. Victor, et lié comme homme hors du sens. » Godefroy. 98 Peut-être le Confiteor. Le retributor est celui qui paye. 99 BM : in manus — LV : imanus (BM nomme correctement cette prière qui accompagne l’extrême-onction, mais l’ignare Pernet ne peut que la nommer incorrectement : je choisis donc la version LV.) « Je sçay bien mon Avé salus,/ Mon Imanus, mon Déo pars. » La Bouteille. 100 Prononciation à la française de l’hymne Quem terra pontus. Voir la note 79 de Maistre Jehan Jénin. 101 Seul LV consigne ce vers, qui manque dans BM. On ne présente plus le Veni Creator. La 9ème heure (hora nona), ou heure de none, désigne dans les monastères la prière de 15 heures. 102 À bout d’arguments : cf. le Maistre d’escolle, vers 85. Pernet qui va à l’escolle raconte le laborieux apprentissage de l’alphabet par notre futur pape. 103 Ce vers et le suivant reprennent hors de saison les vers 39-40. 104 Moi je veux discuter : / Conjugue-moi le verbe « tuer ». Pernet confond lætare [réjouir] et letare [tuer]. « Declina mihi » est la rengaine des manuels de latin destinés aux enfants. 105 Je vous le conjugue à toute vitesse. 106 Ton discours. Cf. Marchebeau et Galop, vers 274. 107 Par quel nom es-tu appelé ? Pernet ne comprend pas cette question banale et reste muet. Sa mère tente de sauver la situation. 108 Et pourtant. Les villageoises qui s’aventurent à user d’un terme « scientifique » se prennent toujours les pieds dans le râteau, comme la mère de Maistre Jehan Jénin : « De trologie et merdecine. » 109 LV transcrit phonétiquement la prononciation normande : say. La leçon de latin de Pernet qui va à l’escolle joue sur cette homophonie : « –“C”./ –Et ! j’ay le dyable si j’ay soif ! » Voir la note 33 de Troys Galans et un Badin. 110 Une anse. 111 BM : Construise moy quia fecit — LV : construises moy quia fecy (« Caillette a vécy ! » La Résurrection Jénin à Paulme.) Comme au vers 219, le candidat a vessi, a pété. Le trac fait remonter à la surface tout ce qui était mal enfoui : le patois <v. 249>, le besoin d’alcool <v. 250>, le relâchement de l’anus <v. 253> ou de la vessie <v. 257>, la sexualité <v. 281>. 112 Par ma foi ! Même vers que 262. 113 À laquelle, mon ami… Pernet interrompt l’examinateur parce qu’il pense avoir enfin compris un mot latin : « aquam » = eau, urine. Or, le seul examen qu’il soit en mesure de réussir, c’est justement un examen d’urine. (Voir la note 256 d’André Tissier.) 114 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « asteure » : « De che qu’on fet et dit, asteure, dans Rouen. » La Muse normande. 115 Les clercs qui ont peur en perdent leur latin. Terrorisé par Pantagruel <chap. 6>, l’écolier limousin oublie son jargon universitaire et retrouve instantanément le patois de Limoges ; cet épisode a également une conclusion scatologique, qui est la réponse naturelle du corps à ce genre de stress. 116 BM-LV : dire oremus — Pernet donne ici le vers original, que notre plagiaire a sacrifié : Mais dieu il fault parler latin (La correction est de Tissier.) 117 Moi, vous voulez (que je parle latin) ? Les vers 264-7 reprennent les vers 202-5 de Pernet. 118 Voici déjà mon livre. 119 Disons : parle ! 120 BM-LV : Monsieur (Voyant que les choses se gâtent, la mère monte d’un degré dans la flagornerie.) Oremus = prions. 121 Les vers 269-277 reprennent les vers 138-146 de Pernet, où ce vers était justifié par celui qui le précédait : « Il y a long temps que le congnois. » Là encore, notre plagiaire a bâclé son travail. 122 BM : Et ie — LV : sy je 123 Le Per omnia du vers 120. La mère de cet autre futur pape qu’est Maistre Jehan Jénin n’aurait pas dit mieux : « On chantoit Perronnia/ À haulte voix. » 124 BM-LV : quant a 125 Voir la note 64 de Pernet. 126 BM-LV : le iasement — Pernet : cest assez iase (L’examinateur poursuit sa route ; Pernet marche à ses côtés.) 127 BM-LV : adire (Vas-tu avec moi ?) On prononçait à la française, et en l’occurrence à la normande : « Va, dis-mé con. » [Va, dis-moi « con ».] Le con désigne le sexe de la femme. On trouve la même astuce de collégiens aux vers 207-211 de Pernet, d’où proviennent les vers 279-283. 128 Paysan. C’est le monde à l’envers ! Dans Pernet, la mère traite de « villain » le professeur de son fils quand il lui enseigne la lettre Q. 129 BM : Vous auez parle — LV : parles vous — Pernet : Auous parle (Av’ous est la contraction normande d’avez-vous.) « Du con ma mère » est un génitif archaïque : du con de ma mère. 130 Je vais le lui dire. Pernet retourne vers sa mère, qui est restée au même endroit. 131 Le public du collège est masculin. 132 Les vers 284-5 reprennent les vers 214-5 de Pernet, dont le congé final attribue le spectacle aux collégiens : « Nous vous prions que, hault et bas,/ Pardonnez aux gentilz enfans/ De ceste ville ces esbatz/ Qu’ont voulu faire en passant temps. » 133 Autant les maîtres que les élèves. Le vers suivant est perdu. 134 BM-LV : Sans vous auoir (Ce tercet sera textuellement repris à la fin du Savetier Audin.) 135 Ce distique bâclé, dit par un personnage qui n’est plus censé être là, inspirera celui qui clôt le Savetier Audin : « Si vous trouvez voz femmes en tel cas,/ Donnez-les au dyable comme j’ay faict. » Le scribe du ms. La Vallière — et lui seul — ajoute comme d’habitude sa péroraison personnelle : « En prenant congé de se lieu,/ Une chanson pour dyre adieu ! » 136 Faute de savoir où le mettre, je colle ici un bout de farce sans titre dont il manque le début et la fin. Ce fragment de 84 vers se trouve dans le manuscrit fr. 904 de la Bibliothèque nationale de France, à la suite d’un Mystère avec lequel il n’a aucun rapport. Il nous en reste ce dialogue entre un Vilain [un paysan] qui veut que son fils fasse des études pour obtenir un diplôme de cardinal, et ledit fiston qui préfère garder les porcs. C’est peut-être la première apparition théâtrale d’un « enfant mis aux écoles » : ses éditeurs, D. W. Tappan et S. M. Carrington*, le font remonter au milieu du XVe siècle. *Deux pièces comiques inédites du manuscrit B.N. fr. 904. Romania, t. 91 nº 362, 1970. Pages 161-169. 137 Ms : il (Que tu goûtes à l’école : que tu y ailles au moins une fois.) 138 On me dirait que je fais partie des clercs. 139 De ton plein gré. 140 Ms : y 141 Je n’y consentirai pas. 142 Pendant cette pause, le père attrape son fils pour le mettre sur ses épaules. Jacob lui mord un doigt et refuse de le lâcher. 143 Ms : la mort (« À la mort ! À l’ayde ! À la mort !/ Ha, hay ! ha, hay ! hay ! Il me mord ! » Le Roy des Sotz.) 144 Ms : leues (Enlevez votre doigt de ma bouche.) 145 Le ms. n’est pas détérioré : c’est le copiste qui a omis un passage. 146 Tu ne m’auras pas comme cela, mon fils. 147 Marchandeur. Idem vers 27. 148 Ms : seres porter (Le scribe a une orthographe et une grammaire très personnelles.) 149 « Gnac ! » transcrit le bruit d’une morsure. (Cf. André de La Vigne, vers 11.) Jacob menace son père de le mordre à nouveau. 150 Il ouvre par terre un grand sac pour y enfermer son fils. On n’a pas attendu les Fourberies de Scapin pour mettre des acteurs dans un sac : cf. les Veaux, ou Janot dans le sac, ou Resjouy d’Amours, ou la Laitière, ou Cautelleux, Barat et le Villain. Le catalogue d’un libraire de Tours au XVe siècle mentionne la farce de Chascun qui mect Tout en son sac. 151 Je n’entrerai pas dans votre sac. 152 Même si tu avais juré le contraire. 153 Hurler. « Tu as beau huer. » Troys Gallans et Phlipot. 154 Hui, aujourd’hui. 155 Ms : en (Ribon, ribaine = De gré ou de force. C’est le nom d’un arriviste dans Pates-ouaintes.) 156 Cette didascalie est notée dans la marge gauche du distique suivant. Le père jette sur son épaule le sac entrouvert, d’où émergent la tête et les mains de Jacob. 157 J’ai un point de côté. 158 Ms : conpte 159 Petit sire ? Idem vers 63. Ce mot rime avec Jaco. 160 Je vais uriner dans votre bouteille, qui est au fond du sac. 161 Ms : por (Par les oreilles.) 162 Ms : mal (Un courtaud est un chien – ou un cheval, ou un voleur – auquel on a coupé les oreilles. « Le courtault gris qui ast les aureilles couppé. » Guillaume de Nassau.) 163 Un fait, une action. Dessous, le ms. répète dans la marge gauche la didascalie : Icy le prant jacob pour les orelles 164 Renoncez à cela. 165 Ms : vouldres (Le Vilain tutoie presque toujours son fils.) 166 Me tenez-vous quitte ? Cf. le Poulier à sis personnages, vers 699. 167 Vers manquant. Le Vilain pose le sac, et Jacob s’en extirpe. 168 Déchirées. 169 Mon argent. « Les diz Anglois avoient esté bien paiéz de leurs gaiges et souldées. » ATILF. 170 Il faut le bercer de paroles. Le point faible de tous les Badins, c’est la gourmandise. 171 Ms : prie (« Je te suply, ayons ta femme ! » Le Savatier et Marguet.) 172 Ms : jay (Être inscrit au rôle : être sur la liste.) Dans D’un qui se fait examiner (v. ci-dessus), la mère voit déjà son fils évêque ou pape. 173 Cela ne m’importe pas plus que deux grains d’ail. 174 Sois d’accord avec moi. « Je suys de vos acors. » Troys Gallans et Phlipot. 175 Mot inconnu. S’agit-il d’une boisson pétillante ? Dans le même esprit, l’argot des gargotes a baptisé « roteuse » la bouteille de champagne. Mais peut-être faut-il lire bouteillette, comme au vers 77. 176 Des noix à flac, en quantité. « Monsieur de Sic-Sac,/ Lequel a des escutz à flac. » Légier d’Argent. 177 Emplissez mon sac avec ce que vous m’avez promis. 178 Ma petite bouteille de rotiette (note 175). Cf. l’Amoureux, vers 209. 179 Va à l’école d’un bon pas. 180 Mets peine, applique-toi. 181 Pour faire de toi un clerc. 182 Je vous recommande à Dieu. Cf. le Munyer, vers 118. 183 Vers manquant. Je le restitue d’après les vers 48-49. La rubrique suivante montre que la farce n’est pas finie. Au prochain folio commence la Moralité novelle de la Croix Faubin, copiée par la même main, et elle aussi incomplète.
LA RÉSURRECTION DE JÉNIN LANDORE
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LA RÉSURRECTION
DE JÉNIN LANDORE
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La Résurrection de Jénin Landore, farce normande écrite en 1516, doit beaucoup à la Résurrection Jénin à Paulme, sottie parisienne composée dix-sept ans plus tôt. Jénin à Paulme revenait de l’Enfer en parlant le dialecte picard ; Jénin Landore revient du Paradis en bredouillant du latin de sacristie.
Un jénin est un niais ; en Normandie, un landore est un endormi, un paresseux. Accessoirement « Frère Landore » est un des petits noms du pénis : « Elle avoit peur que l’on vît le Frère Landore de son mary…. Quand le petit Frère Landore sentit les mains de madame ainsi le toucher & manier, commence à lever la teste. » (Les Délices de Verboquet.) Dans notre farce, Jénin Landore est surtout un soûlard : il est entré dans un coma éthylique si profond qu’on le croit mort, alors qu’il n’est qu’ivre mort. Et il rêve qu’il est au paradis. L’auteur de la farce a visiblement lu la 6ème des Cent Nouvelles nouvelles :
–Si à ceste heure je mouroye, n’yrois-je pas en Paradis ? dit l’yvroigne. –Tout droit, tout droit, sans faillir, dit le curé…. Ilz perceurent ce bon yvroigne, couché comme s’il fust mort, les dens contre la terre…. Si le prindrent par teste, par piéz et par jambes, et tout en air le sourdirent et tant huchèrent1 qu’il ouvrit les yeulx. Et quand il parla, il dist : “–Laissez-moy, laissez ; je suis mort. –Non estes, non, dirent ses compaignons. Il vous en fault venir avecques nous. –Non feray, dist l’yvroigne. Où yrois-je ? Je suis mort et desjà en Paradis. –Vous vous en viendrez, dirent les aultres : il nous fault aller boire. –Boire ? dit l’autre. Jamais ne buray, car je suis mort…. –Si vous porterons en terre sur nostre chariot, au cimitère de nostre ville, ainsi qu’il appartient à ung crétian ; aultrement, n’yrez pas en Paradis.” Quand l’yvroigne entendit que encores le falloit enterrer, ains2 qu’il montast en Paradis, il fut tout content d’obéyr. Si fut tantost troussé et mis dessus le chariot, où guères ne fut sans dormir…. Ce bon yvroigne fut descendu tout devant sa maison. Sa femme et ses gens furent appelléz, et leur fut ce bon corps saint rendu, qui si trèsfort dormoit que, pour le porter du chariot en sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne s’esveilla. Et là fut-il ensevely entre deux linceux3, sans s’esveiller bien de deux jours après.
Entre les vers 45 et 84, l’auteur transpose au paradis la cinquième Guerre d’Italie (1515-1516). Chaque nation et chaque grande ville y est représentée par un saint qui guerroie contre les autres.
Source : Recueil du British Museum, nº 24. Publié à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550.
Structure : Rimes plates, avec 3 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse de
la Résurrection
de Jénin Landore
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À quatre personnages, c’est assavoir :
JÉNIN [LANDORE]
SA FEMME
LE CURÉ
et LE CLERC
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LA RÉSURRECTION
DE JÉNIN LANDORE
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LA FEMME 4 commence SCÈNE I
Or est-il mort, hélas, hélas,
Jénin Landore, mon mary,
Mon espoir, mon bien, mon soulas5 !
Or est-il mort, hélas, hélas !
5 Quand m’en souvient, je pers esbas6,
Et ay le cueur triste et marry.
Or est-il mort, hélas, hélas,
Jénin Landore, mon mary !
LE CURÉ
Quand il estoit ensepvely7,
10 Il demandoit au clerc à boire8.
LE CLERC
Toutesfois, il est mort.
LA FEMME
Las9, voire !
LE CURÉ
Il mourut de soif10.
LA FEMME
Se fist mon11.
LE CURÉ
S[i] estoit un bon biberon12 :
En son voirre13 ne laissoit rien.
LE CLERC
15 De cela, vous ressembloit bien :
Car voluntiers vins alloit tâtant14.
LA FEMME
Failloit-il, puisque l’aymois tant,
Que Mort le vînt ainsi abatre ?
LE CURÉ
Il estoit assez bon folastre.
20 Et se, marchoit de bon bïes15.
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JÉNIN LANDORE 16 SCÈNE II
Bona [journus ! Bona dïès !]17
C’est à dire, en latin : « Dieu gard18 ! »
Retirez-vous ! À part, à part19 !
J’en viens, j’en viens, j(e) y ay esté.
LA FEMME
25 Qu’esse icy ? Bénédicité !
Nostre Dame de Réconfort !
JÉNIN
C’est vostre mary.
LA FEMME
Il est mort.
Jamais ne fus si esbahye !
JÉNIN
Je suis mort, et je suis en vie,
30 Tout aussi vray que je le dis.
LA FEMME
D’où venez-vous ?
JÉNIN
De Paradis.
Qu’esse icy ? C’est trop quaqueté.
Mon suaire en ay apporté.
Et suis passé par Purgatoire20.
LA FEMME
35 Vous n’estes point Jénin Landore ;
Ne sçay que faire icy venez.
JÉNIN
Si suis-je Jénin par le nez,
Et Landore par le menton21.
LE CURÉ
C’est luy, sans autre.
JÉNIN
Se suis mon22.
LA FEMME
40 Si, ne veulx-je pas qu’il me touche !
JÉNIN
Si je voulois ouvrir la bouche,
Je vous dirois bien des nouvelles.
LA FEMME
Et ! je vous prie, dictes-nous quelles :
Icy, rien celer ne vous fault.
JÉNIN
45 J’ay veu faire un terrible assault.
LE CURÉ
Y a-il eu quelque meschef23 ?
JÉNIN
J’ay veu sainct Pierre à tout sa clef24 ;
Et sainct Paul25 à tout son espée,
Qui avoit la teste coupée
50 À sainct Denys26, se luy sembloit27.
Et sainct Françoys28 les combatoit,
Frappant sur eulx, patic patac29.
Alors y arriva sainct Marc30,
Qui trèsbien secoua leur plisse31.
55 Puis vint sainct Jacques en Galisce32,
À tout sa chappe33 bien doublée.
Quand Dieu vit toute l’assemblée
Ainsi frapper, il est notoire
Qu’à sainct Françoys donna victoire34.
60 Mais je m’en vins, de paour35 des coups.
LE CURÉ
Jénin Landore, dictes-nous
[Ce] que faisoit alors sainct George36.
JÉNIN
Il n’estoit point en bonne forge37,
Car il craignoit fort l’intérest38.
LE CURÉ
65 Ainsi, comme il nous apparoist,
Il y eut terrible bataille ?
JÉNIN
Il falut39 clorre la muraille
De Paradis soubdainement.
Autour a esté seurement
70 Plain de Suysses et lansquenetz40
Qui eussent fait, je vous prometz,
Terrible guerre en Paradis,
Tous aussi vray que je le dis !
Dieu leur fist, plus tost que plus tart,
75 À chascun un Paradis à part,
Car de long temps hayent41 l’un l’autre.
LE CLERC
Tout beau ! il y a de la faulte42
[Dans ce que vous dictes. Tout beau !]
C’est donc un Paradis nouveau,
80 Fait et construyt nouvellement ?
JÉNIN
Or c’est mon, [dea], par mon serment !
Mais ainsi qu’on s’entrebatoit,
Sainct Laurens43 [veis], qui s’esbatoit
À rostir sus son gril Souÿsses
85 Tout ainsi qu’on fait les saulsices
À une taverne, en yver.
Garde n’avoys de m’y trouver !
LE CURÉ
Raison ?
JÉNIN
Je crains trop coups de picques44.
LA FEMME
Dictes-nous sans plus de réplicques
90 Que c’est de Paradis.
JÉNIN
[Hélas !]
Je vous prometz que ce n’est pas
Ainsi comme le temps passé
[On voyoit.]
LE CLERC
C’est bien dist, Massé45 !
Raison46 ?
JÉNIN
Il n’est47 rien qui [ne] change :
95 Soubz les piedz de sainct Michel l’ange48,
A une femme en lieu d’un diable.
LE CURÉ
Cela n’est pas bien convenable.
JÉNIN
Si est-il ainsi demidieulx49…
Il y a sainct Benoist le vieulx50
100 Qui tient bien la Loy ancienne ;
Mais certes, sainct Benoist le jeune51
De l’Église ne prent plus soing :
Il porte l’oyseau sur le poing52
Et contrefait du gentilhomme,
105 Et trenche du bragard53.
LE CURÉ
En somme,
Jénin Landore en parle bien.
JÉNIN
J’en puis bien parler, quand j’en vien(s)
Tout aussi droit qu’une faucille54.
Se j[e n’]eusse esté bien habille55,
110 Je ne fusse pas retourné56.
LA FEMME
Avez-vous long temps séjourné
En Paradis ?
JÉNIN
Certes, m’amye.
Je vous prometz qu’i n’y ennuye
Non plus que quand on est à table.
LE CURÉ
115 Je croy bien qu’il est véritable,
Et qu’on n’y endure nul mal.
JÉNIN
Sainct Christofle57 y va à cheval.
LE CLERC
Sainct Martin58, qu’esse que de luy ?
JÉNIN
Il va à pied, pour le jourd’huy.
LA FEMME
120 Dictes qu’i faisoient les apostres.
JÉNIN
Ilz disent tous leurs patenostres59.
LE CURÉ
En Paradis, fait-on excès ?
JÉNIN
Il n’y a ne plet60, ne procès,
Colère61, envie ne débat.
125 Car il n’y a qu’un advocat62 ;
Parquoy il n’y fault nulx plaideurs.
LE CLERC
Combien y a-il de procureurs ?
Dictes-nous s’il y en a point.
JÉNIN
Ma foy, je n’en mentiray point,
130 Je le diray devant chascun :
Je n’en y ay pas veu [mesme] un.
La vérité vous en raporte.
Il en vint un jusqu(es) à la porte ;
Mais quand vint à entrer au lieu,
135 Il rompit tant la teste à Dieu
Qu’on le chassa hors de léans63.
LE CLERC
Çà, Jénin : quand est de sergens64,
Paradis en est bien pourveu ?
JÉNIN
Corbieu ! je n’y en ay point veu.
LE CURÉ
140 Tout fait, tout dit et tout comprins,
Quelque chose y av’ous65 aprins ?
JÉNIN
C’est66 mon, dea.
LE CURÉ
Or nous l’aprenez !
JÉNIN
J’ay aprins… Si, le retenez,
Mais [à chascun] faictes silence.
145 [J’ay aprins…]
LE CLERC
Quoy ?
JÉNIN
Une science.
LA FEMME
Quelle ? Ne la vueillez celer !
JÉNIN
Garder les femmes de parler
Quant je veulx.
LE CURÉ
C’est une grand chose,
Par l’âme qui en moy repose !
150 Je [le] verrois voluntiers l’usage.
JÉNIN
Voyre ?
LA FEMME
Et comment Jénin ?
JÉNIN
Baillez-leur à boire :
Car je croy, tandis qu’ilz bevront67,
Qu(e) alors point ilz ne parleront68.
Il est tout vray, la chose est telle.
LE CLERC
155 Quelle autre science nouvelle
Sçavez-vous, Jénin ?
JÉNIN
J’en sçay bien une :
Je dis bien la bonne fortune69
Des gens sitost que voy leurs mains.
LE CLERC
Est-il vray ?
JÉNIN
Tout ne plus ne moins,
160 Voire, par sainct Pierre l’apostre !
Curaté 70, monstrez-moy la vostre
Hardiement !
LE CURÉ
Tenez, beau sire :
[Voicy livre ouvert pour y lire.]71
JÉNIN
Je voy ce que [dire je n’ose]72…
LE CURÉ
165 Je vous avoue que l’on propose73
Tout ce qu’on vouldra proposer.
JÉNIN
Pour la vérité exposer,
Vous estes yreux74 et gourmant ;
Parquoy vous vivrez longuement.
170 Et si, aymez le féménin75,
Et appétez76 boire bon vin.
Ailleurs ne vous voulez esbatre77.
LE CURÉ
Dieu met en mal an78 le folastre !
JÉNIN
Tibi soli 79 !
LA FEMME
Et dea, Jénin !
175 Qu’esse-cy ? Vous parlez latin ?
Je ne puis entendre voz dis80.
JÉNIN
C’est du latin de Paradis
Qui m’avoit enflé tout le corps ;
Se ne l’eusse bouté dehors,
180 Crevé fusse, pour tout certain.
LE CLERC
Çà, çà, regardez [en] ma main !
JÉNIN
Que tu es une bonne beste !
LE CLER[C]
Dea ! Jénin, vous hochez la teste ?
JÉNIN
C’est pour le sang de ma servelle,
185 Qui dedans ma teste se mesle,
Car mon engin81 est trop subtil.
LE CLERC
Sus ! que suis-je ?
JÉNIN
Poisson d’apvril82.
LE CLERC
Poisson d’apvril ?
JÉNIN
Voylà le cas.
LE CLERC
Et, voire ! Mais je n’entens pas
190 Que c’est à dire.
JÉNIN
Voicy rage !
Quand on met une pie en cage83,
Que luy aprent-on de nouveau
À dire ? Parle !
LE CLERC
« Macquereau. »
JÉNIN
Clericé 84, tu es tout gentil
195 Macquereau : c’est poisson d’apvril.
Ainsi es-tu, je le te jure.
La fin de ta bonne adventure,
C’est que tu aymes long repos.
LA FEMME
Or çà, mon amy : quelz propos
200 Direz-vous [maintenant] de moy ?
JÉNIN
[Ostez vostre main,] par ma foy !
Je ne veulx rien sçavoir, ma femme,
De paour de trouver quelque blasme ;
Car s’en voz mains je regardoye,
205 Peult-estre que je trouveroye
Quelque cas qui me desplairoit.
Et puis…
LA FEMME
Et puis quoy ?
JÉNIN
Jénin se tairoit.
LA FEMME
En85 auriez-vous bien le courage ?
JÉNIN
Ma foy, ma femme, un homme sage
210 Ne s’enquiert jamais de sa femme
Que le moins qu’il peult.
LE CURÉ
C’est la game86 ;
Cela évite mains courroux.
LA FEMME
Jénin, quel(le) science avez-vous
Encor(es) aprins en Paradis ?
JÉNIN
215 Se vous n’estes tous bien hardis87,
Belle paour vous feray tantost.
LE CLERC
Et comment ?
JENIN
Or ne dictes mot,
Et vous verrez chose terrible :
Car je me feray invisible
220 Quand je veulx, plus n’en fault enquerre.
Voicy les rethz88 de quoy sainct Pierre
Et sainct Andry peschent tous deux.
LE CLERC
Je vous en croy bien, par mes dieux89 !
Vous sçavez procurer vostre cas90.
JÉNIN 91
225 Ma foy, vous ne me voyez pas,
[Maintenant, et je vous voy bien.]
LE CLERC
Mais dis-nous où c’est92 que tu vas.
[ JÉNIN
Ma foy, vous ne me voyez pas.
LE CURÉ
Où estes-vous, Jénin, hélas ? ]
JÉNIN
230 Le corps bieu ! vous n’en sçaurez rien.
Or sus ! Vous ne me voyez pas,
Maintenant, et je vous voy bien.
LA FEMME
Dea ! Jénin Landore, combien
Serez-vous bien en ceste mode93 ?
JÉNIN
235 Autant que fut le roy Hérode
À décoler les Innocens94.
Ennuict95, verrez que par mon sens
Auray bruyt entre les hardis96.
LE CURÉ
Gens qui viennent de Paradis,
240 Sans faulte, sont tous invisibles ?
LA FEMME
On ne voit point, sans contredis,
Ceulx qui viennent de Paradis.
JÉNIN
Bon jour ! Bon soir ! Adieu vous dis !
LE CLERC
Jénin fait choses impossibles.
LE CURÉ
245 Ceulx qui viennent de Paradis,
Sans doubte, sont tous invisibles97.
JÉNIN
Je ferois des choses terribles,
Se j’estoys un peu reposé ;
Adieu vous dis : je prens congé98.
.
FINIS
*
1 Ils le projetèrent et tant l’appelèrent. 2 Avant. 3 Enveloppé entre deux draps. Voir le vers 9 de la farce. 4 Jénin Landore, couvert d’un linceul, repose sur son lit, au milieu de la scène. La veillée funèbre réunit sa femme, le curé, et le clerc du curé. On songe aux Vigilles Triboullet où, pendant sa veillée funèbre, ledit Triboulet fait le pitre dans son cercueil ouvert. Jody Enders* pense que le triolet initial est chanté, ce qui ne serait certes pas un cas unique. *Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, p. 379. 5 Mon réconfort. 6 Mes ébats : ma joie. Mais aussi, mes ébats sexuels. 7 Pendant qu’on l’enveloppait dans un linceul. Voir la note 3. 8 Triboulet réclamait encore à boire après sa mort : cf. les Vigilles Triboullet, vers 297-299. 9 BM : Helas 10 Encore un souvenir de Triboulet : « Or est-il mort et trespassé ;/ Mais se c’est de soif, je ne sçay. » Les Vigilles Triboullet. 11 C’est ce qu’il fit, oui. La particule de renforcement « mon » revient aux vers 39, 81 et 142. 12 Buveur, du latin bibere [boire]. « Les bons biberons/ Qui du bon vin font mouillerons. » Troys Galans et un Badin : dans cette sottie normande, un Badin alcoolique a rêvé qu’il était « Dieu en Paradis ». La peinture qu’il fait de ce lieu dont les sergents et les femmes bavardes sont exclus diffère peu de celle qu’en fait Jénin. 13 Verre. 14 Goûtant. Le curé aime boire, d’après le vers 171. 15 Il marchait en biais, en zigzaguant. « L’une tout droit, et l’autre de biès. » ATILF. 16 Il reste allongé sur le lit. 17 BM : dies bona iournus / A dechifre par les menus (Les deux hémistiches ayant été inversés, l’éditeur a cru devoir ajouter un vers pour la rime.) Les salutations de collégiens bona dies et bona journus se lisent aux vers 34-36 de Serre-porte. 18 Que Dieu vous garde ! 19 Arrière ! « À part, à part !…./ Faiz, à coup, de ce lieu départ ! » (André de La Vigne.) Jénin se met debout, avec le suaire sur la tête. 20 Il faut rétablir la rime normanno-picarde purgatore : voir la note 85 du Bateleur. 21 Les comédiens qui jouaient un rôle d’alcoolique avaient le nez peint en rouge. Lever le menton = boire. 22 Je le suis vraiment. Voir la note 11. 23 Quelque événement fâcheux. 24 Avec sa clé. Les clés de saint Pierre symbolisent la papauté. (Voir Frère Fécisti.) Pierre est donc le représentant du pape Léon X. 25 Un des protecteurs de Rome. Bien que l’épée soit un de ses attributs, ce n’est pas lui qui décapita saint Denis ; il s’est juste contenté de lapider saint Étienne. 26 Protecteur des rois de France, qui se firent longtemps sacrer et inhumer dans sa basilique. L’art médiéval le montre debout après sa décapitation, portant sa tête dans ses mains. 27 Du moins, il le croyait. 28 François Ier. À peine monté sur le trône, il voulut s’arroger le duché de Milan. 29 Onomatopée courante. Cf. le Résolu, vers 21. 30 Protecteur de la république de Venise, qui était alors aux côtés de la France. Rappelons que la bataille de Marignan n’est pas une victoire de la France contre l’Italie, mais une victoire des Vénitiens contre les Suisses. 31 Leur pelisse. 32 Saint Jacques de Compostelle, protecteur de l’empire espagnol, représente Ferdinand II d’Aragon. 33 Avec sa « cape à l’espagnole ». 34 À Marignan, le 14 septembre 1515. 35 De peur. Idem vers 203 et 216. 36 Protecteur de l’Angleterre. Pendant que la France perdait ses forces en Italie, Henri VIII faisait la guerre à la France. C’est bien le seul monarque auquel les guerres d’Italie auront profité ! 37 « Gens de bonne forge : People (…) of an honest disposition. » Cotgrave. 38 Des retombées préjudiciables. 39 BM : fault 40 De mercenaires suisses et allemands. 41 Depuis longtemps ils se haïssent. 42 « Et jà soit que communément l’on estime les gens de pied souysses et les [in]fanteries hespaignolles estre invincibles, ce nonobstant, en tous les deux il y a de la faulte, qui pourroit estre cause qu’une ordonnance mieulx bastye les pourroit surmonter et deffaire. » (Jacques de Vintimille.) Le vers suivant est perdu. 43 Il fut martyrisé sur un gril. Ce plaisantin demanda au bourreau de le retourner pour que l’autre côté puisse cuire également : « Tu as rosty une partie/ De mon corps…./ Mais tourne-moy premièrement/ De l’autre part ! » Mistère de sainct Laurens. 44 On pique les saucisses pour les empêcher d’éclater en grillant. 45 Expression d’origine obscure, dont on connaît une autre variante : « Il a dit vray, Macé ! » Le Capitaine Mal-en-point. 46 BM : La raison. (La même question sans article figure en tête du vers 88.) 47 BM : nya (Tout change.) Les deux négations s’annulent : « Or n’est-il riens qui ne me faille. » La Confession du Brigant au Curé. 48 Cet archange guerrier foula aux pieds un dragon. 49 « (Ilz) devienent, d’hommes, saincts ; & de saincts, demidieulx. » Jacques Amyot. 50 Benoît de Nursie est toujours peint avec un livre contenant la « règle bénédictine ». 51 Benoît d’Aniane, conseiller des rois. Il faut rétablir la rime normande jenne : « Hélas ! jenne bru crestïenne,/ Vous avez la chair tendre et jenne. » Les Brus. 52 Il chasse avec un épervier, comme les nobles. 53 Il fait l’élégant. Cf. le Pauvre et le Riche, vers 267. 54 « Droit comme une faucille : de travers. » (Antoine Oudin.) Cf. Maistre Jehan Jénin, vers 273. Jénin est revenu du Paradis en zigzaguant. 55 Habile. 56 Revenu. 57 Saint Christophe allait toujours à pied. 58 Ce légionnaire romain est souvent portraituré à cheval. « Car si j’alloye en Paradis/ À cheval, comme fist jadis/ Sainct Martin et aussi sainct George. » Le Franc-archier de Baignollet. 59 Ils égrènent leur chapelet : ils se tournent les pouces, n’ayant plus rien à faire. 60 Ni plaidoiries. 61 BM : Guerre (Nous avons vu que l’endroit est fort belliqueux.) 62 Il s’agit bien sûr de saint Yves. 63 De là-dedans. 64 En ce qui concerne les sergents. Sur ces bandits que tout le monde détestait, voir les vers 469-472 du Testament Pathelin. 65 BM : auez vous (Sur cette contraction normande, cf. Messire Jehan, vers 61 et 295.) Y avez-vous appris. 66 BM : Say (Voir le vers 81.) C’est mon avis. 67 Qu’elles boiront. « Ils », forme normande de « elles », se retrouve au vers suivant. 68 La Médecine de maistre Grimache propose le même traitement : « Si vostre femme brait et crie, (…)/ Envoyez-luy quérir foison/ De bon vin, quoy que couster doyve ;/ Et je vous dy que par raison,/ Ne criera point tant qu’elle boyve. » 69 BM : aduenture (Je lis dans les lignes de la main. « Une femme appellée Semnon, qui se mesloit de dire la bonne fortune. » Blaise de Vigenère.) 70 Curé. On lit ce latinisme au vers 34 de la Confession du Brigant au Curé. 71 L’éditeur a supprimé un vers parce qu’il croyait avoir ses deux rimes en -ire. 72 BM : ie nose dire (« En devisant de toutes choses/ Et aultres dont dire je n’oses. » La Fille esgarée.) 73 J’accepte qu’on expose, qu’on énonce. 74 BM : yure (Sujet à l’ire, coléreux.) On notera que ce curé pratique assidûment plusieurs péchés mortels. 75 Le sexe féminin. « Pour contenter le féményn. » Mallepaye et Bâillevant. 76 Vous cherchez à. 77 Vous ne voulez rien faire d’autre. 78 Que Dieu mette en mauvaise année, en malheur. 79 Contre toi seul. Extrait du Psaume 51. 80 Comprendre vos paroles. Jénin en est tout de même à sa quatrième citation latine. Sa femme en a d’ailleurs commis une au vers 25. 81 Mon esprit. 82 « Poisson d’avril : Macquereau. Parce que d’ordinaire, les macquereaux se prennent & se mangent environ ce mois-là. » (Oudin.) Cf. le Povre Jouhan, vers 76 et note. 83 On mettait cet oiseau parleur en cage pour lui apprendre à traiter les visiteurs de maquereaux. Cf. la Mauvaistié des femmes, vers 33-37 et note 13. 84 Clerc (latinisme). Dans Régnault qui se marie, le clerc du curé s’appelle Clericé. 85 BM : Et (Il est vrai que Jénin est plus bavard que ses trois comparses réunis : la recette qui consiste à faire boire les femmes pour qu’elles se taisent ne fonctionne pas sur les hommes.) 86 C’est la bonne manière d’agir. 87 Courageux. Idem vers 238. 88 Les rets, le filet. Pierre et son frère André pêchaient au filet dans le lac de Tibériade. Jénin désigne le linceul qu’il a sur la tête. 89 Le clerc du curé emploie un juron musulman. « Par mes dieux, crestien, tu me parles de grant folie ! » Croniques et Conquestes de Charlemaine. 90 Avancer votre affaire. « Il m’a procuré/ Aulcun cas. » Le Munyer. 91 Il se recouche et remet sur lui le linceul. Le triolet 225-232 est bancal, contrairement à celui de 239-246. 92 BM : esse 93 Combien de temps resterez-vous invisible ? 94 À faire décapiter les enfants qui avaient moins de 2 ans. « C’est un Inocent inocent :/ Sy le roy Hérodes le sent,/ Y luy fera couper la teste. » (Troys Gallans et Phlipot.) La fête des Saints-Innocents, le 28 décembre, était plus connue sous le nom de Fête des Fous. 95 Anuit, aujourd’hui. 96 J’aurai une bonne réputation parmi les gens courageux. 97 « J’ay choses quasi impossibles :/ J’ay pour faire gens invisibles. » Maistre Doribus. 98 Il se met à ronfler bruyamment.
GUILLERME QUI MENGEA LES FIGUES
*
GUILLERME
QUI MENGEA LES
FIGUES DU CURÉ
*
.
.
Cette farce, imprimée à Lyon vers 1550, exploite avec un sens comique aigu le stéréotype du jeune clerc gourmand, gaffeur, abruti par un enseignement inadapté, et réduit à l’état de larbin (ou d’entremetteur) par son maître.
Source : Recueil du British Museum, nº 19.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce nouvelle trèsbonne et fort joyeuse de
Guillerme qui mengea
les figues du Curé
*
À quatre personnages, c’est assavoir :
LE CURÉ [maistre Parle-bien1]
GUILLERME2
LE MARY3
SA FEMME
*
.
LE CURÉ commence SCÈNE I
Guillerme !
GUILLERME
Placet, Magistrum 4 ?
LE CURÉ
Tu as5 ung notable patron ;
[Lors,] d’où viens-tu ?
GUILLERME
[D’]où ? De foras 6.
Égo fuit duabus horas
5 Légendo épistolibus 7.
LE CURÉ
Que mauldit soit le lordibus 8 !
Il n’a sens non plus qu(e) ung oyson9.
GUILLERME
Maistre, je sçay une raison10
Pour guérir les chatz de la t[e]igne.
LE CURÉ
10 Et ! tays-toy, ta fièbvre quartaine !
Tu me feras vif enrager.
Tu ne cesses de langager,
Mais tu ne dis rien à propos.
GUILLERME
Mon engin11 n’a point de repos ;
15 La clergie12 me ront la teste.
Quant il vient une bonne feste13,
J(e) estudie à tort comme ung dyable.
Ce que je dis, ce n’est pas fable :
Les escoliers sont frénatiques14.
LE CURÉ
20 Voicy nouvelles bien antiques15,
[Que l’estudiant]16 en theologie
[Est ung fol].
GUILLERME
Vrayement, je le nye,
Que Légistes ou Décrétistes
Soyent plus saiges que les Artistes17.
25 Il n’est rien que cavillation18.
LE CURÉ
Tais-toy, [ou] que de passion19
Puisses-tu estre passionné20 !
Tu m’as longuement sermonné,
Et en françoys et en latin ;
30 Mais tout ne vault pas ung patin21,
Car tu ne dis chose qui vaille :
Je [n’en donray]22 pas une maille.
Chascun dit que ne sçays respondre23.
GUILLERME
Les chatz feront les canars pondre24 !
35 Mais, beau sire, qui vous l’a dit ?
LE CURÉ
Tout le monde.
GUILLERME
Je soys mauldit
S’ilz ne sont en bien grant esmoy !
Ilz ne sçavent nomplus que moy.
Que sçavent-ilz se je sçay rien25,
40 Ou se je sçay honneur ou bien,
Quant moy-mesmes ne le sçay pas ?
Je ne desmarcheroys ung pas26 ;
Je m’y porteray27 rondement.
LE CURÉ
Tu n’as sens ne entendement.
45 Quant tu voys que [je] me pourmaine28
Les dimenches et la sepmaine,
Tu marches tousjours quant et quant29 :
Tout le monde s’en va mocquant,
Maistre, varlet et chambèrière.
GUILLERME
50 Et où doys-je marcher30 ?
LE CURÉ
Derrière,
Et me faire honneur au besoing.
GUILLERME
Et fault-il que j(e) aille bien loing ?
LE CURÉ
À quatre piedz ou environ.
GUILLERME
Et ! par sainct Jacques, nous yron.
55 (Il vauldroit mieulx estre courtaud31.)
LE CURÉ
Guillerme !
GUILLERME
Dictes : « Hure ho32 ! »
Mais gardez bien que me frappiez.
LE CURÉ
Où es-tu ?
GUILLERME
[Cy,] à quatre piedz,
Tout ainsi que [vous] m’avez dit.
LE CURÉ
60 Va, que de Dieu soys-tu mauldit !
Tu n’es pas ainsi que j’entens33.
GUILLERME
Aussy, je n’auroys pas bon temps :
J’auroys les mains enfourassées34 ;
Elles en sont encor(es) brouillass[é]ez35.
65 Je ne fus onc(ques) en tel esmoy.
LE CURÉ
J’entens : à quatre piedz de moy ;
Ung [pied], deux piedz, troys [piedz] et quatre piedz.
GUILLERME
Cela ne vault pas le débatre.
Pour faire la chose plus sceure36,
70 Il nous fauldroit une mesure
Pour mettre entre moy et nous deux.
Ne croyez pas les envieulx37 ;
S’ilz vous l’ont dit, je n’en puis mais.
LE CURÉ
Ilz ne m’en parlèrent jamais,
75 Mais je congnoys [la faincte toute]38.
GUILLERME
Comment [feray] ?
LE CURÉ
Vien çà, escoute.
Quant je dis « Bénédicamus
Domino 39 », tu es si camus
Que ne sçais dire, [ne scies]40
80 Respondre « Déo gratïés 41 » ;
Dont tu m’engendres de grans blasmes.
GUILLERME
Et ! vrayement, j(e) en croyray les femmes :
Et ! mes42 grans seurs et mes grans tantes
Dirent, ung jour [qu’estoyent présentes]43,
85 Que j’avoys une bonne gorge44.
LE CURÉ
Ouy [da], parlez-luy d’une forge,
Il respondra [d’]une pantoufle.
[Quant je diray]45, teste d’escoufle,
Je diray « Bénédicamus Domino »,
90 Dy « Déo gratïés ». En chantant.
GUILLERME, en chantant :
« Déo
Grâce(s)46 oyez ! »
LE CURÉ
Quelles « grâce(s) oyez » ?
Il y a : « Déo gratïés. »
As-tu bien petit47 de mémoire.
GUILLERME
« Déo » comment ?
LE CURÉ
« Gratïés ! »
GUILLERME
Et voire, voire :
95 « Déo gratïés. »
LE CURÉ
C’est ainsi[n]48.
GUILLERME
Et ! venez çà, frère Martin :
« Déo gratïés », en latin,
Sont-ce pas, [pour dire en françoys,
« Deux grâce(s) oyez]49 » ?
LE CURÉ
Pas je n’y pensoys.
100 (Il est revenu à son point.)
GUILLERME
Taisez-vous, je n’y fauldray point50,
Maintenant.
LE CURÉ
Ce sera bien faict.
Je t’aymeray bien, en effect,
Et t’entretiendray comme [ung] père51.
*
105 Sçayz-tu pas bien ? Chez ma commère,
Où je prins l’autre jour l’oyson…
GUILLERME
Je doys bien sçavoir la maison :
Vous m’y envoyez bien souvent.
LE CURÉ
Je te voys [faire] poursuyvant52,
110 Mais garde bien de te couper53.
Tu sçais qu’il est temps de soupper ;
Va-t’en mon compère54 quérir
Et ma commère requérir
Que je les prie qu’ilz viennent cy
115 Soupper, pour m(e) oster de soulcy.
Ne viens point sans les amener !
GUILLERME
Laissez-moy le cas démener55,
Je m’y porteray par compas56.
Ilz viendront (ou ilz ne viendront pas),
120 Si je les debvoys apporter57 !
LE CURÉ
Or, pense de t’y transporter
Incontinent et sans arrest58 ;
Cela me tient59 à intérest.
Mais avant que tu voyges là60,
125 Metz-moy en quelque lieu cela,
Que tu m’en saches rendre compte.
Il luy baille deux figues à garder.
GUILLERME
Quoy ?
LE CURÉ
Des figues.
GUILLERME
Que je les compte :
Il n’y en a que deux ?
LE CURÉ
Et non61.
GUILLERME
Des figues ? C’est saulvaige nom62.
130 Je n’en vis oncques, [Parle-bien]63.
LE CURÉ
Sçays-tu qu’il y a ? Garde-les bien :
Elles seront pour ma commère.
GUILLERME
Je la semondray64 la première :
Vous l’aymez mieulx que son mary.
LE CURÉ
135 Ne fais point long charivary,
Entens-tu bien ?
GUILLERME
Laissez-moy faire ;
Je sçay bien ce que j’ay affaire.
Ne faictes que mettre la table.
*
LE CURÉ65 SCÈNE II
Ce sot me sera proffitable ;
140 Je cuyde qu’il assagira,
Et croy que sagement yra
Faire le cas66.
*
GUILLERME SCÈNE III
Par mon serment !
C’est grant faict que d’entendement67,
Autant en fébvrier qu(e) en novembre.
145 Mais toutesfoys, je me remembre68 :
Il fault veoir de ce fruict nouveau.
Ventre sainct Gris ! et, qu’il est beau !
En ma vie n’en [p]uis gouster.
Ne séroys-je69 la dent bouter
150 Dedans ceste ficassion70 ?
Qu’il est doulx, par la Passion !
Je cuyde que je l’ay fendue ;
Puisque [je] l’ay ainsi mordue,
Il vault mieulx que la menge toute.
155 Mon maistre n’en verra jà goutte.
Je croy qu’il en aura pitié :
Je n’ay71 mengée que [l]a moytié ;
Il ne me battra qu(e) à demy.
C’est grant faict que de l’Ennemy72,
160 Qui rien que tempter ne me faict !
Mais si, m’en repens-je, de faict,
De l’avoir mengée, maintenant.
Si c’estoit par73 ung lieutenant…
Il en est faict, elle est farcye74.
165 Encore, Dieu je remercye
De quoy l’autre75 en est eschappée.
*
LE CURÉ SCÈNE IV
Ilz font bien longue demeurée.
Le soupper est jà préparé.
J’eusse jà mon hostel76 paré,
170 Et si77, ne sçay s’i viendront point.
Au fort, je m’en voys metre à point
La nappe, tandis qu’ilz viendront.
*
GUILLERME SCÈNE V
Je croy que les chiens me mordront ;
Pourtant, je sçay bien le passaige78.
175 Il me fault faire mon messaige,
Ainsi. Comment ? Je sçauray bien.
*
Dieu vous gard de mal et de bien79, SCÈNE VI
De fortune et bonne santé !
LA FEMME
Maistre sotelet éventé80,
180 Sans raison, ne belle ne bonne !
GUILLERME
Mon Maistre a dit que vous semonne81
Pour venir soupper avec soy.
Il a juré dessus sa Foy
Qu’il fera de belles négoces82
185 Et vous traictera comme aux nopces
Du père de son matribus 83.
LE MARY
(Au grant dyable soyent les abus !
Je congnoys bien leur accointance84.)
Y voulez-vous aller ?
LA FEMME
S’on85 tence,
190 Il n’y fault point aller.
GUILLERME
Tresdame !
Menez hardyment vostre femme ;
Au moins, se [nostre huys est bouclé]86,
Elle [en] porte tousjours la clef,
Car elle vient veoir bien souvent
195 Mon Maistre.
LA FEMME
Va, va-t’en devant,
[Nous te suivrons.] Quel messaiger !
LE MARY
(Ne voicy pas pour enrager ?)
Sus, yrons-no[u]s ?
LA FEMME
Je le veulx bien.
LE MARY
Et ! par bieu, je n’en feray rien,
200 Belle dame.
GUILLERME
Vélà le cas :
Perdrez-vous ung si beau repas
Par despit [qu’avez] l’ung de l’autre ?
LE MARY
Or allons, de par [Jehan l’apostre]87,
Puisqu’ainsi est.
LA FEMME
Je n’iray jà !
GUILLERME
205 Vous y vouldriez estre desjà.
Et ! mon Dieu, que vous estes fine.
LE MARY
Et, vertu bieu ! ceste mastine88
Me donra-el(le) tousjours diffame89 ?
GUILLERME
Ne parlez point de vostre femme
210 Ne de mon90 maistre Parle-bien !
Au grant jamais ne luy fut rien91,
Nomplus que vous avez esté.
LA FEMME
Taisez-vous, villain affetté92 !
Que de fièbvre soyez-vous oingt !
GUILLERME
215 Venez çà : vous souvient-il point
Que vous fustes ung jour93 dehors ?
Il me puisse meschoir du corps
Se ne commist son bon désir,
Ma foy, pour vous faire plaisir.
220 Pource qu’el est si dangereuse94,
Et qu’el est si fort paoureuse95
De nuyct, que de grant frayeur tremble,
Ilz couchèrent tous deux ensemble
Aussi privément96 que vous faictes.
LA FEMME
225 (Voylà parolles bien discrètes !
A-il envoyé par devers moy
Tel messaiger ?)
GUILLERME
Il est tout vray,
Mais il ne vous en souvient pas.
Encores, que après le repas,
230 Vous allastes soubz la cheminée97.
LE MARY
(Oncques feu ne fut sans fumée.
Quant j’escoute bien ces parolles,
Je congnoys bien qu’elles sont folles ;
Mais il y a quelque chose, en somme.)
GUILLERME
235 Par ma foy ! mon Maistre est bon homme.
Par la croix de chair et de paille98
Se tous ses biens il ne luy baille !
Et bien souvent se joue99 à elle.
Et puis il l’appelle : « La Belle,
240 Jouons-nous et luyttons100 bien fort ! »
Mais mon Maistre est bien le plus fort :
Il la gette tousjours en bas101.
LA FEMME
Laisse-nous en paix ces débatz !
Qu(e) au grant dyable soys-tu donné !
GUILLERME
245 Bénédicité ! Fault-il pas dire la bonté
De mon Maistre ?
LE MARY
Va-t’en devant ;
Nous en parlerons plus avant.
Si nous voulons aller, allons !
GUILLERME
Or marchez du bout102 des tallons,
250 Et vive la fleur du raisin !
Ne vous batez pas en chemin :
Noyse ne vault rien sans débat.
*
LE CURÉ103 SCÈNE VII
Qu’esse, Guillerme ?
GUILLERME
Ung [grant] sabat104
Qu’il[z f]ont s’ilz viendront [ouy] ou non,
255 Et qu’elle avoit maulvais renom105,
Et qu’il a tort et qu’el a droit,
Et s’i vouloit qu’elle viendroit
L’ung sans l’autre, comme il me semble,
Et qu’ilz viendroyent tous deux ensemble
260 Coucher à vostre presbytère.
Vous ne vistes onc(ques) tel mystère.
*
Les voicy, ilz sont jà106 venus. SCÈNE VIII
LE CURÉ
(Il en compte107 par les menus,
Mais je ne sçay que c’est à dire.)
265 Or çà ! ne voulons-nous pas rire ?
Bien soyez venus, mon compère !
LA FEMME
Dieu y soit !
LE CURÉ
Et Dieu gard, commère !
LE MARY
Nous sommes venus privément108,
Monsieur.
LE CURÉ
C’est par commandement.
LA FEMME
270 Hélas ! il nous ayme tous cher(s).
LE CURÉ
Se fust esté ung jour de « chair109 »,
Nous eussions eu quelque aultre « chose ».
Or çà ! que chascun se dispose110.
Venez deçà, commère, par ma foy :
275 Vous serez au plus près de moy,
Au moins s’il vous plaist.
LA FEMME
Grant[z] mercy[s].
LE CURÉ
Puisque tout le monde est assis,
Mengeons fort, ne nous faignons point111 !
GUILLERME112
(Sainct Jehan ! je m’en voys mettre à point113,
280 Et fust pour aller à la guerre.)
LE CURÉ
Guillerme !
GUILLERME
Placet, Monsieur ? Voire,
Dis-je114 le Magistrum.
LE CURÉ
Viens servir !
GUILLERME
(Il ne m’a pas donné loysir115 ;
Mais si, m’en vengeray-je bien.)
LE CURÉ
285 [N’avez-vous faim ?] Estrong de chien !
Je vous prie, mengez, mon compère.
LA FEMME
Regardez, voicy nostre père
Spirituel116.
LE MARY
Vrayement, c’est mon117.
Que vous feistes ung beau sermon,
290 Ces jours passés, [saincte Marie] !
LE CURÉ
Laissons cela, je vous [en] prie ;
Parlons d’aultre chose.
GUILLERME
Hec ! hic ! hec 118 !
(Ung estronc d’chien en vostre bec !)
LE CURÉ
Qu’esse qu’il y a, sans-cervelle119 ?
GUILLERME
295 Si je porteray de la chandelle :
Pas ne demandez autre chose ?120
*
LE CURÉ SCÈNE IX
Mengez tousjours, car je suppose
Que vous n’estes pas bien traictéz.
LE MARY121
Vrayement, nous sommes bien gastéz.
LA FEMME
300 Nous som(me)s122 bien, Dieu mercy et vous.
LE CURÉ
Et de mon vin, qu’en dictes-vous ?
LE MARY
Il est de goust bien affiné.
LE CURÉ
Vous ne venez point, Guillerme ? [Hé !]
Mais où, dyable, est cest estourdy ?
305 Viendras-tu [pas] ? Respons-moy, dy !
*
GUILLERME123 SCÈNE X
Égo gardatis cuysina.
LE CURÉ
De folier huy ne fina124.
Mais viendras-tu, que ne t’empoigne ?
GUILLERME
(Le dyable y ait part à la besongne !
310 Ilz auront tantost tout rongé.)
LE CURÉ
Se tu sors mèshuy sans congé125,
Par bieu, je te romp(e)ray la teste !
GUILLERME
Non ferez.
LA FEMME
Il est [par] trop beste ;
Comment vous serv[ez-v]ous de soy126 ?
LE CURÉ
315 Et ! par mon âme, je ne sçay.
LE MARY
Je ne sçay pas s’il avoit beu,
Aujourd’huy, mais si l’eusse creu
Des parolles qu’il me disoit,
J’eusse creu certes, en effect,
320 Que coqu m’eussiez voulu faire.
Mais j’apperçoys bien le contraire :
À cela, n’y aquérez blasme.
LE CURÉ
Je ne daigneroys127, sur mon âme !
LA FEMME
Non, seurement, mon vray amy.
LE MARY
325 Il y a bien ung point, ma femme ;
Aussi ne le vouldroys [pas, voire]128.
LE CURÉ
Guillerme !
GUILLERME
Placet ?
LE CURÉ
Verse à boire.
GUILLERME
Égo vadam 129. (Que au grant dyable
Soient toutes voz dens! [Sur la table,]
330 Ilz ne laisseront que les os.)
LE CURÉ
Mengez !
LE MARY
Si fais-je à tous propos.
Je suis soûl130, plus n’en puis porter.
GUILLERME
Je puis bien, doncques, tout lever131 ?
(La reste sera pour ma peine.)
LE CURÉ
335 Laisse ! Que de fièbvre quartaine
Eusses-tu132 le cueur affollé !
GUILLERME
Et ! puisqu’il dit qu’il est saoullé133,
Le voulez-vous faire crever ?
LE MARY
Il luy en fault pour son souper.
LE CURÉ
340 Il en aura.
GUILLERME
Ouy, des reliques134.
(Il n’y a guères grans pratiques135 :
Ilz sont jusqu(es) à ossa mea 136.)
LE CURÉ
Puisque ma commère ayme ça137,
Je luy veulx monstrer, [ce me semble,]
345 À m[él]anger la langue138 ensemble,
Mais que je l’aye bien acoustrée139.
LA FEMME
Quant ma leçon m’aurez monstrée,
Je pourroys bien estre maistresse140…
LE CURÉ
Tien, villain, que je ne te dresse !
350 Boute sur le feu [ce pasté141].
GUILLERME
(Par sainct Jehan ! je la mengeray142.)
LE CURÉ143
Compère, tastez de cela,
Il est trèsbon. Que fais-tu là144 ?
Aprens-tu à parler latin,
355 Là-derrière ?
GUILLERME
(Passe, mâtin145 !
Il a cuidé verser la pinte146.)
LE CURÉ
Garde-la bien147.
GUILLERME
J’en ay grant crainte148.
LE CURÉ
Or sus ! sans [plus] longue harengue,
Apporte[s] icy ceste langue.
GUILLERME
360 Quelle langue ? Que vous estes bon[s] !
LE CURÉ149
Il l’a laissée sur les charbons,
Ou je ne fus onc(ques) plus déceu150.
GUILLERME
Jésus ! si j’eusse apperceu
Vostre malice…
LE CURÉ
Quel malice ?
GUILLERME
365 Et ! me tenez-vous si novice
Que je n’aye bien osté la reste151 ?
Ma foy ! je ne suis point si beste
Que je ne l’aye bien osté.
LE MARY
Il a mengé et brouillassé152.
370 Il cuidoit que [vous] parlissiez
À luy, quant me disiez : « Mengez ! »
LE CURÉ
Par le sang goy, vous en aurez !
Debout, [pour de ce lieu s’esbatre]153 !
GUILLERME
Dictes, ne me venez point batre.
375 Tenez-vous là, tout de séjour154.
Vous me batistes l’autre jour,
Après que vous [n’]eustes gousté155 ;
Mais par ma foy, si l’eusse156 esté,
Je me fusse bien revangé.
LE CURÉ
380 À ce coup, te donnes congé.
Mais croys [bien], par le Dieu parfaict,
Que si ne157 joues plus de tel faict,
Que je t’iray bien avancer158.
LA FEMME
C’est faict, il n’y fault plus penser :
385 De luy, vous n’aurez que diffame.
LE MARY
[Or] il s’en fault aller, ma femme :
La nuyct approche.
LE CURÉ
Non ferez ;
Quelque aultre chose vous aurez.
Il n’est pas encores fort tart.
390 Où sont ces figues, dis, sotart ?
(De tel n’en y a159 soubz la lune.)
GUILLERME
Les voylà.
LE CURÉ
Il n’en y a qu(e) une ?
Je croy que l’autre est vendangée ;
Qu(e) en as-tu faict ?
GUILLERME
Je l’ay mengée.
LE CURÉ
395 Tu l’as mengée ?!
GUILLERME
[Sainct] Michel ! ouy.
LE CURÉ
Tenez, que je suis resjouy !
Le diable de toy me parla160 !
Et comment as-tu fait cela,
Villain [de déshonneur]161 farci ?
GUILLERME
400 Et ! par sainct Pierre, tout est ainsi162,
Ne plus ne moins.
LE CURÉ
Ha !! Ha !! Villain !!
Par bieu, vous en sentirez ma main !
Vous venez-vous de moy gaber163 ?
LA FEMME
Hé ! Monsieur…
LE CURÉ
Laissez-moy aller164 !
405 Me tromperez-vous en ce point ?
LE MARY
Hé ! Monsieur…
LE CURÉ
Ne me tenez point,
Car il en aura de ce pas !
GUILLERME
Par saint Jehan ! vous ne me tenez pas :
Quant vouldray165 je courray à vous.
LA FEMME
410 Va-t’en, que tu n’ayes des coups ;
S’il te tient, il t’affollera166.
LE CURÉ
Par le jour Dieu ! il y viendra.
Et ! m’a-il faict tant de reproche167
En ma maison ?
GUILLERME
Ouy, d’une broche168.
415 Et si, cassay169 deux ou troys potz.
LE CURÉ
Par bieu, vous irez chier dehors !
Ailleurs irez coquilles170 vendre !
LE MARY
Voylà comment il fault apprendre
À faire telle abusion.
*
LE CURÉ
420 Et pour toute conclusion,
De sottes gens ne vous servez ;
Mettez-les hors si en avez.
Et ne faictes faire messaige
À homme vivant s’il n’est saige ;
425 Qu(e) à son cas [soit] duit et aprins171.
Car, pour conclure ce passaige,
Vous voyez comment m’en est prins.
FINIS
Cy fine la Farce de Guillerme
qui mengea les figues de son maistre le Curé.
Imprimé nouvellement
en la maison de feu Barnabé Chaussard,
près Nostre-Dame-de-Confort.
*
1 Ce nom, ratifié par les vers 130 et 210, désigne un beau parleur. 2 Guillaume. C’est le jeune clerc du Curé. En tant que tel, il s’évertue à baragouiner du latin de sacristie. 3 BM : voysin (C’est effectivement un voisin du Curé, mais il est partout désigné comme « le Mary ».) 4 Plaît-il, Maître ? On prononçait magistron. 5 BM : es (Le notable maître craint que son élève, roi de la gaffe, ne lui fasse du tort à l’extérieur.) 6 De dehors. 7 Je fut (sic) deux heures à lire des lettres. On lisait souvent dehors, pour profiter de la clarté naturelle, comme le curé du Testament Pathelin (vers 239). 8 Ce lourdaud. « Et moy, pauvre lourdibus, ne sçavois/ De sens la manière. » Fleur des Chansons nouvelles. 9 Il n’a pas plus de bon sens que le petit d’une oie. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 282. 10 Un moyen. 11 Mon esprit. 12 L’étude de la théologie. 13 Un jour férié, où je pourrais me reposer. 14 Atteints de délire. 15 Il y a longtemps qu’on le sait. 16 BM : Quel estudiant (On scandait « tio-lo-gie » en 3 syllabes.) 17 Que les étudiants en droit civil et en droit canon soient plus sages que ceux de la faculté des Arts, lesquels passaient pour des demeurés. (Voir la note 124 de l’Avantureulx.) « Chascun voit par expérience lezquelx sont plus ydios, les Juristes ou les Artistes. » Le Songe du vergier. 18 BM : eauillation (Cavillation = argument spécieux.) 19 Par la colique. 20 Crucifié. 21 Une semelle de bois. 22 BM : ne t en donneray (« Je n’en donneroys une maille. » Daru.) Maille = centime. 23 Chanter les répons pendant la messe. 24 Les gens se mêlent de ce qui ne les regarde pas. 25 Qu’en savent-ils, si je sais quelque chose ? 26 Je ne changerai rien à ma conduite. 27 Je m’y adonnerai. 28 Promène. 29 En même temps que moi, à mon côté. Un disciple doit marcher quatre pas derrière son maître. 30 BM : aller 31 BM : cheual (Le courtaud est un cheval de selle : le Gentil homme et son Page, vers 234.) Guillerme se met « à quatre pieds », c’est-à-dire à quatre pattes, derrière le Curé, qui ne le voit plus et le cherche. 32 Hue ! Ordre qu’on donne à un cheval pour qu’il tourne à droite. « Ung chartier sans fouet/ Qui ne dit “dea !” ne “hurehau !”. » (Sermon pour une nopce.) BM ajoute sur la même ligne : car ie suis cheual 33 Tu n’es pas disposé comme je le veux. 34 BM : fourassez (À rapprocher du normand foureuses [foireuses], ou d’un éventuel fréquentatif de enfoirées [encrottées] : « Vous vous enfoireriez les babines. » Godefroy.) 35 Graisseuses. Voir le vers 369. 36 Plus sûre : pour que je sois à la bonne distance de vous. 37 La conversation reprend où on l’avait laissée au vers 43. L’intermède comique fut-il inséré postérieurement ? 38 BM : toute la faincte (Interversion courante : « Celle où j’ay ma joye toute. » Serre-porte.) 39 Louons le Seigneur. Cette formule conclusive de la messe appelle en réponse : Deo gratias [merci à Dieu]. Camus = coi. 40 BM : scias (Ni ne sauras jamais répondre.) 41 BM : gratias (Comme toujours dans les pièces comiques, le maître ne connaît pas mieux le latin que son élève. Il dit systématiquement graties, qu’on prononçait alors grassïé ; mais un correcteur a partout rétabli gratias, ce qui empêche de comprendre le pataquès de Guillerme, résolu aux vers 97-99. J’ai donc décorrigé la correction.) 42 BM : voz 43 BM : questoys present 44 Une belle voix. C’est à cet unique détail qu’on jugeait si un garçon était fait pour la cléricature. On dit de Maistre Mimin estudiant : « A-il belle voix ! » Et de Maistre Mymin qui va à la guerre : « Tu as encore belle voix. » Dans un autre registre, « avoir une bonne gorge » signifie : « Avoir une bonne descente. » 45 BM : Or respond (Tête d’écoufle = tête de buse.) 46 BM : gratias (Voir l’explication des vers 97-99.) La versification chaotique du passage 88-99 montre qu’il n’a pas été compris. 47 Tu as bien peu. 48 Ainsi. « Faictes doncques ainsin. » (ATILF.) 49 BM : deux gracesoyez / En francoys (On prononçait le latin à la française.) « Déo grassïé » est une homophonie approximative sur « deux grâce(s) oyez ». Les clercs s’amusaient à traduire omnia tentate par « on y a tant tâté », natura diverso gaudet par « Nature a dit : verse au godet », ou cornua confringam par « corps nu à con fringant ». Tabourot consacre un chapitre des Bigarrures à ces « équivoques latins-françois ». 50 BM : pas (Je n’y manquerai point.) 51 Le Curé aurait pu être le père de Guillerme : dans Jénin filz de rien, que le recueil du British Museum colle à notre pièce, le prêtre est le père de Jénin, un autre grand dadais auquel il veut apprendre à écrire. La progéniture des hommes d’Église était un sujet comique : voir la généalogie de Maistre Jehan Jénin, aux vers 91-96. 52 Je vais faire de toi mon messager. 53 De gaffer devant le mari. 54 Mon voisin. 55 Mener l’affaire. 56 Je me comporterai sagement. 57 Quand bien même je devrais les porter. Cf. la Nourrisse et la Chambèrière, vers 244-245. 58 Sans t’arrêter en chemin. 59 BM : vient (Cela me tient à cœur.) 60 Que tu y ailles. 61 Il n’y a que deux figues dans le sachet. La réponse « Et non ! » peut avoir une valeur positive après une phrase contenant une négation : « –(Je) n’en parleray/ Mèshuy, pour chose qu’il adviengne./ –Et non, mais qu’il vous en souviengne. » Farce de Pathelin. 62 C’est un nom exotique. Il est totalement exclu que Guillerme n’ait jamais vu de figues, connues depuis l’Antiquité, et qu’il ne sache pas leur nom, employé tel quel depuis le XIIe siècle. À l’époque où notre farce fut écrite, les figues poussaient partout et avaient peu de valeur : « On ne gaigne (même) plus une figue. » <La Réformeresse.> Mais notre Curé goûte fort les allusions érotiques (vers 271-2 et 343-6) ; il veut donc offrir des figues à sa maîtresse parce que ce fruit symbolise à la fois le sexe de la femme et, lorsqu’il y en a une paire, les testicules. Le Jeune homme aux figues, de Simon Vouet, représente la figue féminine avec sa main droite, et les figues masculines avec sa main gauche. Au bout du compte, c’est Guillerme qui va faire la figue au Curé. 63 BM : Par le sainct bien (Il n’existe pas de saint Bien, et le vers est trop long. Voir la note 1.) 64 Je l’inviterai. 65 Il commence à « mettre la table » sur deux tréteaux qu’il a dépliés, tandis que Guillerme sort en tenant le sachet de figues. 66 Accomplir sa mission. 67 Que d’être intelligent. 68 Je me souviens. Guillerme ouvre le sachet de figues. 69 Ne saurais-je, ne pourrais-je. Cf. Troys Gallans et Phlipot, vers 26. 70 Cette figue (bas lat. fica). Guillerme ignore le nom français de ce fruit, mais il en connaît le nom latin ! 71 BM : ne lay (Je n’ai mangé que la moitié des figues : une sur deux.) 72 Le diable, qui ne fait que me tenter. 73 BM : pour (Si elle avait été mangée par un autre, « tenant lieu » de Guillerme.) 74 Je l’ai bien eue. 75 La seconde figue. 76 Préparé ma maison. Jeu de mots sur « parer un autel », bien digne d’un homme d’Église. 77 Et cependant. 78 BM : chemin (Les voisins habitent dans le même village que le Curé, mais assez loin du presbytère. Ils sont censés avoir des chiens dans leur cour.) 79 Guillerme entre chez les voisins. Sa formule de politesse inversée est typique des Badins et des Sots. « –Dieu vous gard/ De bien et de bonne santé !/ –Il a le cerveau évanté. » Les Cris de Paris. 80 Ayant la tête pleine de vent. 81 Que je vous invite. 82 « Négoces domesticques qu’il avoit à faire par la maison. » ATILF. 83 Son beau-père ? Plus d’un auditeur a dû entendre : son attribut. 84 La liaison sexuelle de ma femme avec le Curé. À la suite de cet aparté, le mari interroge son épouse. 85 BM : Ce on (Si nous devons nous disputer.) 86 BM : vostre huys ferme a clef (Rime du même au même.) 87 BM : Jesus (Il est normal que les cocus jurent sur le prénom Jean, qui est bien souvent le leur. Dans le Cuvier, Jaquinot, qui vient de se marier, se fait traiter de « Jehan » par sa belle-mère, et s’étonne « d’estre si tost Jehan devenu ».) 88 Cette chienne (femelle du mâtin). 89 BM : blaspheme (La rime diffame / femme est un couple inséparable. Voir les vers 385-386, et la note 67 des Sotz escornéz.) 90 BM : moy 91 Pour votre femme, il ne fut rien de plus que vous. 92 Affecté, hypocrite. 93 Une journée entière. 94 Craintive des dangers. 95 Peureuse. « La paoureuse est celle qui ne ose coucher sans homme. » Les IX manières de conditions des femmes. 96 Intimement. 97 À l’abri des regards sous le large manteau de la cheminée. « On dit qu’un mariage a esté fait sous la cheminée, pour dire qu’il a esté fait clandestinement. » Dict. de l’Académie françoise. 98 Que le diable m’emporte si… « Si j’y vais jamais, croix de paille ! Si cette fille épouse cet homme, croix de paille ! » Dict. de l’Académie françoise. 99 S’unit. « La fille de l’hoste n’estant point mariée, mais s’estant jouée avec quelc’un, accoucha d’une fille. » Henri Estienne. 100 Luttons corps à corps. « Il estoit aussi bien fourny de lance que sa femme de cul, et ne demandoit autre chose que luitter. » Bonaventure Des Périers. 101 À bas, à la renverse. 102 BM : bont (À grands pas.) Le vers suivant pourrait provenir d’une chanson à boire. 103 Il parle à Guillerme, qui vient d’entrer. 104 Une discussion houleuse. 105 Son époux la traite de chienne au vers 207. 106 Désormais. Le couple entre dans le presbytère. 107 Il en raconte. 108 En toute intimité. 109 C’est donc un jour maigre, où on ne mange pas de viande. Mais notre Curé, que les scrupules religieux n’étouffent pas, va tout de même servir une langue de bœuf. Et pour faire bonne mesure, il omettra de dire le Bénédicité avant le repas. Ledit Curé se complaît dans les allusions érotiques (vers 343-6) ; à l’intention de sa maîtresse, il met un double sens dans la « chair » (la verge : Complainte d’ung gentilhomme, vers 34), et dans le « chose » (le pénis : la Fille bastelierre, vers 201). 110 Se mette à table. 111 Ne faisons pas semblant. 112 Il reste debout, sans manger, pour servir les convives. 113 Je vais m’armer. Il déplie son couteau, et tente de piquer un morceau dans le plat qu’il tient. 114 Pardon, je veux dire Maître. 115 Le temps (de piocher dans le plat). 116 Pour nous, le Curé est bon comme un père. 117 C’est mon avis. Cf. le Munyer, vers 458. 118 Là ! Ici ! Là ! « On passe par hic ou par hec. » (G. Coquillart.) Guillerme sautille en face du Curé pour capter son attention. 119 BM : guillerme (« Tous deux sont sans cervelle. » Farce de Pathelin. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 177, et les Cris de Paris, vers 82.) 120 Sous prétexte d’aller quérir des chandelles, Guillerme va grappiller à la cuisine, derrière le rideau de fond, auquel le Curé tourne le dos. 121 BM : cure 122 On pouvait écrire « nous soms », comme aux vers 79 et 93 de la Seconde Moralité de Genève. 123 Il revient, la bouche pleine. Le latin de cuisine va remplacer le latin de sacristie. 124 Il ne cessa de faire l’idiot de tout aujourd’hui. 125 Sans ma permission. 126 De lui. Voir le vers 182. 127 Je n’oserais pas vous faire cocu. 128 BM : ie pas veoir (Vraiment, je ne le tolérerais pas.) 129 Je vais y aller. 130 Rassasié. 131 Débarrasser. Il fait mine d’enlever le plat. 132 BM : Puisses tu auoir 133 Rassasié. 134 Des restes. Jeu de mots sur les reliques conservées dans l’église. 135 Il n’y a plus grand-chose à faire. 136 Mes os. (Ils mangent même les os que je comptais ronger.) Double sens : ils ont lu le Psaume 21 jusqu’à « Dispersa sunt omnia ossa mea ». 137 BM : la carpe (« Ça » commençait à devenir l’abréviation de « cela » : « Veulx-tu changer à moy ça tien ? » Les Sotz ecclésiasticques.) 138 Le mari comprend : De la langue de bœuf (vers 359). Sa femme comprend : À mêler nos langues. 139 Assaisonnée. Accoutrer une femme = la besogner. « Il la besongna toute vive…. Il l’accoustra naturellement, charnellement. » Béroalde de Verville. 140 Passer ma maîtrise. Mais aussi : Être votre maîtresse. 141 Il donne à Guillerme une poêle contenant un pâté de langue à réchauffer dans la cheminée. C’est une langue de bœuf enveloppée de pâte et cuite au four. « Ung pasté de veaul, quatre poussins en pasté, ung pasté de langue. » Jehan de Vandenesse. 142 Derrière le dos du Curé, où est stylisée une cheminée, Guillerme ouvre le pâté, mange la langue, et referme le pâté. 143 Il sert du vin au mari. 144 Cette réplique s’adresse à Guillerme, qui achève la langue derrière le Curé. 145 File, clébard ! Cette expression est surtout appliquée aux humains : cf. Daru, vers 201. 146 En se retournant pour voir Guillerme, le Curé a failli renverser la cruche de vin. 147 Surveille bien la langue, pour qu’elle ne brûle pas. 148 Je veille sur elle avec le plus grand souci. 149 Il s’aperçoit que le pâté est vide, et croit que la langue est tombée dans la cheminée. 150 Escroqué par le traiteur qui m’a vendu ce plat. 151 Le reste du pâté, c’est-à-dire la langue. Un bon serviteur doit ôter les restes, mais Guillerme donne à ce mot une étendue très personnelle. 152 Il s’est mis de la graisse partout. Voir le vers 64. 153 BM : que de ce lieu on ne desplace (Pour que tu t’en ailles de ce lieu.) 154 BM : ce iour (En repos.) Même faute au vers 206 de Troys Gallans et Phlipot. 155 Ce goinfre de Guillerme a aussi mangé le goûter du Curé. 156 BM : ieusse (Guillerme a pu échapper à la punition.) 157 BM : me (Si tu ne me joues plus de tels tours.) 158 J’œuvrerai pour ton avancement, je te favoriserai. 159 D’aussi sot, il n’y en a pas. C’est « à la Lune » que Rabelais voue les « lunatiques, folz, écerveléz ». Pantagruéline prognostication. 160 C’est le diable qui t’a présenté à moi. 161 BM : deshonneste (« Il est farcy de joye. » Les Cris de Paris.) 162 En guise de démonstration, Guillerme engloutit la dernière figue. 163 Moquer. 164 Faire. Le mari et la femme le retiennent de tuer Guillerme. 165 BM : vouldrez (Quand je voudrai : si je veux.) 166 Il t’assommera. 167 De honte. 168 Du bouchon d’un tonneau, que Guillerme a oublié de remettre, laissant couler le vin. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 203. 169 BM : cassera (Et aussi, j’ai cassé.) La rime pot / deho(r)s est normande. 170 Vos sornettes. Cf. Marchebeau et Galop, vers 203. 171 Qu’à son affaire il soit instruit et expert.
LA CONFESSION DU BRIGANT AU CURÉ
*
LA CONFESSION DU BRIGANT
AU CURÉ
*
Ce dialogue normand1 du XVIème siècle présente une particularité : le prêtre ne succombe ni au péché de luxure, ni au péché de gourmandise ; seul le péché d’avarice lui est imputable. Dans une forêt obscure, un bandit de grands chemins réclame sa bourse à un curé, qui la prétend vide, mais qui accepte de confesser le brigand. Celui-ci, à genoux aux pieds du curé, vide peu à peu la sainte bourse, tout en commentant son forfait dans les termes d’une confession en règle.
Le Plaisant boutehors d’oysiveté (1553) relate la même tromperie, intitulée D’un Pipeur venant à confesse à un bon prebstre :
… Car cependant qu’il estoit à genoux
Devant Monsieur, faignant jetter courroux
Et maints souspirs pour son vice & péché,
Et que ce prebstre estoit bien empesché
À s’enquérir, certainement, ce hère
Fouilloit dedans la bourse ou gibes[s]ière
De ce bon prebstre, où estoyent sept escus,
Dont en print cinq comme à luy bien escheuz ;
Les autres deux il laissa jusque à tant
Que Monsieur vînt à luy dire entre-tant :
« Çà, mon amy, criez à Dieu mercy
De vos péchéz ! & vous souvienne aussi
Vous repentir, & de ne laisser rien
Que vous puissiez. Car –entendez-vous bien ?–
Vous ne seriez pas absouls, autrement. »
Sur quoy, il a respondu promptement :
« De cela faire, ainsi m’aid Dieu, prétends,
Mais que donnez le loisir & le temps. »
« C’est la raison (dit Monsieur). Besongnez,
Et à tout dire & confesser, songnez. »
Sur tel propos, cestuy mignon, encore,
Eust de rechef le soing & la mémoire
De refouiller dedans la gibecière
De son prédit confesseur ou beau Père,
Tant qu’à la fin, les sept escus il eust.
Puis, par après les avoir, dire il peust
Au confesseur que plus rien ne sçavoit….
Dont sans tarder absolution donne
Audit gallant, auquel encore ordonne
Tant seullement trois patenostres dire.
.
Source : Recueil de Florence, nº 10.
Structure : Rimes embrassées, rimes plates, rimes croisées. Les 44 derniers vers, dans un état désespéré, semblent avoir été reconstitués de mémoire.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle du Curé et du Brigant
*
À deux personnaiges, c’est assavoir :
LE BRIGANT
LE CURÉ
La Confession
du Brigant au Curé
*
LE BRIGANT commence SCÈNE I
Je suis desconfit de quinquaille2,
Tout mon argent est despendu3.
À malle hart4 soit-il pendu,
Qui soustient ne denier ne maille5 !
5 Or n’est-il riens qui ne me faille,
Et [n’ay] grant planté6 d’escuz vieulx.
Ma robbe a le ventre creux
Depuis que je n’ay eu nul gaige.
Tout me fauldra7, en mon mesnaige :
10 Du pain, du lart et du fourmaige.
Je ne le tiendray pas à saige,
Qui8 passera ains que je couche.
.
LE CURÉ SCÈNE II
Voicy la feste qui s’approuche
De Pasques ; et pource, à ma cure
15 Je veulx aller à l’aventure
Confesser mes paroissiens,
Car ilz sont si trèsnégligens
Que ce n’est que toute ignorance.
Pour acquiter ma conscience,
20 La Dieu mercy, je suis tout prest.
Aller me fault sans nul arrest ;
Et si, convient que [me haston]9.
Mais ung homme sans baston
Est à la mercy des chiens10.
25 Or avant ! Je ne crains [plus] riens.
Dieu me conduye, et Nostre Dame !
.
LE BRIGANT SCÈNE III
Par la croix bieu ! il ne passe âme.
Je ne fois icy que morfondre…
Je prie à Dieu qu’il me confonde
30 Si je ne voy là quelque proye.
Ho, ho ! Il convient que je voye
S’il y a point de compaignie.
Sang bieu ! vous y perdrez la vie
Tantost, domine Curate 11.
.
LE CURÉ SCÈNE IV
35 Je me suis [assez tost]12 hasté,
Je seray bientost à mon estre13.
LE BRIGANT 14
À mort ! à mort ! Demourez, prestre :
Il fault retourner par-deçà15 !
LE CURÉ
Hélas, hélas ! Et ! qu’esse-là ?
40 Pour Dieu, ne me faictes nul mal !
LE BRIGANT
[Vient-on]16, à pié ou à cheval ?
LE CURÉ
Je n’ay veu âme. [Quel tourment]17 !
LE BRIGANT
Vous avez peur, maistre gallant18 ?
LE CURÉ
Je cuydoye premièrement
45 Que ce fussent mauvaises gens ;
Mais [voy que] non sont, Dieu mercy !
LE BRIGANT
Jamais ne partiray d’icy
Que n’aye compté vostre monnoye.
LE CURÉ
(C’est donc pis que [je] ne cuydoye.)
50 Las, ne me faites nul effors !
LE BRIGANT
Je te mettray la dague au corps,
Par la chair Dieu, se tu dis mot !
LE CURÉ
Nenny, je ne suis pas si sot ;
Il n’en sera jamais nouvelle19.
LE BRIGANT
55 Çà, de l’argent !
LE CURÉ
Il n’y a rouelle20,
Par le Dieu qui me fist21, en ma tasse.
LE BRIGANT
Parle bas, [de peur] qu’i ne passe
Quelq’un qui face empeschement.
LE CURÉ
Vous dictes vray, par mon serment ;
60 [Desjà] je l’avoye oublié.
J’ay mon argent tout employé
Au luminaire de la feste.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, ribault [de] prestre,
Vous chanterez d’autre martin22 !
LE CURÉ
65 Je vous don(ne)ré ung pot de vin,
Beau sire, et soyons amys.
LE BRIGANT
Baille des escus cinq ou six :
Tu n’auras garde qu’on [les t’emble]23.
LE CURÉ
Je n’en vis oncques tant ensemble,
70 Par Dieu qui me fist, en ma bource.
LE BRIGANT
S’il convient que je me cour(ou)ce…
LE CURÉ
[Ce me]24 seroit une grant peine.
LE BRIGANT
Voicy desjà25 longue sepmaine
Que je veulx estre confessé.
LE CURÉ
75 A ! par Dieu, tout sera laissé
Devant que je ne vous confesse.
Or sus, mectez-vous à vostre aise,
Debout, assis, agenoillé26,
Et dictes : « Bénédicité,
80 Dominus 27. »
LE BRIGANT
Dy-le pour moy, [don28].
LE CURÉ
Bénédicité… Sempiternum…
[Et] spiritus sancti… Amen !
Or, dites donc : « Je me confesse. »
LE BRIGANT
85 Dy-le pour moy.
LE CURÉ
« Je me co[n]fesse
À Dieu31. »
LE BRIGANT
Et maulgré bieu du villain prestre32 !
T’en veulx-tu desjà aller [paistre] ?
LE CURÉ
C’est ung mot de confession.
LE BRIGANT
Par la mort ! sans rémission
90 Je te tueray, se tu quaquettes.
LE CURÉ
Or sus, dictes voz besongnettes33 :
Avez-vous prins rien de l’autruy34 ?
LE BRIGANT
[Se j’ay prins ?] Et ! morbieu, ouÿ :
Quant je jou[o]ye aulx espinettes35
95 Avec[ques] les belles fillettes,
Je leur ostoye leurs espilles36
Et les donnoye à d’autres filles.
LE CURÉ
Or Dieu le vous pardoint, [beau] sire !
Comment vous va du péché d’ire37 ?
100 Vous courro[u]cez-vous voluntiers ?
LE BRIGANT
Quant je vois38 parmy les santiers,
[S’]une ronce ou une espinette
Me happe parmy ma jambette,
Incontinent je maulgroye Dieu
105 Et la couppe par le mellieu ;
Voire tout bas39, sans mot sonner.
LE CURÉ
Dieu le vous vueille pardonner !
Mais d’argent prendre, il s’en fault f[r]aindre40.
LE BRIGANT 41
Si fois-je, quant n’y puis actaindre.
LE CURÉ
110 C’est bien fait, car Dieu s’en courrouce.
Avez-vous point, voyant42 la bource
À ces gallans, et joué de « force »43 ?
LE BRIGANT
Nenny, [pas encore, par Dieu]44.
LE CURÉ
Or sus, faicte[s] bien vostre deu45 ;
115 Il faul[t] laisser, chascun, son fais46.
LE BRIGANT
Par le sang bieu, je suis emprès ;
Encor(e) ne fais que commencer.
LE CURÉ
Il vous fault trèsbien [a]penser
À mettre tout hors, mon amy.
LE BRIGANT
120 Aussi fais-je tant que je puis,
Mais le pertuis47 est trop petit.
LE CURÉ
Ce sera [pour] vostre prouffit,
Mon amy : ne laissez rien.
LE BRIGANT
[Pour] mon prouffit ? Par sainct Julien,
125 Au moins y ay-je espérance !
LE CURÉ
N’avez-vous pas en Dieu fiance ?
Dea ! ne vous hastez48 qu’à vostre aise.
LE BRIGANT
Nenny dea, je suis bien aise.
Vous fais-je point de desplaisir ?
LE CURÉ
130 Nenny non, faictes tout à loisir ;
De vous amender j’ay grant joye.
LE BRIGANT
Je vaulx mieulx que je ne faisoye
Des escus, par Dieu, plus de six49.
LE CURÉ
Vostre confession, beau filz,
135 Elle doit estre parfaicte.
LE BRIGANT
El(le) sera, par Dieu, toute nette,
Se je puis, avant que [je cesse]50.
LE CURÉ
Dea, il ne fault pas que l’en laisse
Aucuns péchés : n’en laissez nulz.
LE BRIGANT
140 Je prens les grans et les menus,
Certes, j’en foys bien mon effors.
LE CURÉ
Dieu vous sera miséricors.
Or çà, savez-vous autre chose ?
LE BRIGANT
L’autre jour, il y a grant pose51,
145 On avoit mis ung gras confit52
À la gelée53, toute [une] nuyt ;
Et je le prins.
LE CURÉ
[C’est bien forgé]54 !
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! je le mengay
Sans sel55, dont je m’en confesse.
LE CURÉ
150 Or çà, oyez-vous point la messe,
Au dimenche, quant elle sonne ?
LE BRIGANT
Je l’oy bien d’où je suis.
LE CURÉ
[Grant somme
Avez]56, mais que faites vous tousjours ainsi ?
LE BRIGANT
J’en ay beaucoup, [la] Dieu mercy57 !
LE CURÉ
155 Or mon amy dictes, après, [vos reliques58],
Sans [me] faire tant de réplicques.
LE BRIGANT
Je mengay l’autre jour des trippes
D’une59 tripière, [à fines lippes]60 ;
Et luy abbatis [sa tripière]61
160 Tant que la gresse cheut à terre.
Et [j’ay] laissé là son62 couteau.
LE CURÉ
Dea, nous en sommes bien et63 beau !
Confession est-elle faicte ?
LE BRIGANT
Par le sang bieu ! elle est [bien] nette :
165 Je ne sçay en [tout mon couraige]64
Plus riens seul, s’il n’est bien sauvaige65.
LE CURÉ
C’est vostre prouffit, j’ay66 fiance.
LE BRIGANT
Or sus doncques, que l’en s’avance67 !
LE CURÉ
Il vous fault avoir pénitence,
170 Pour des68 péchéz pardon avoir69.
LE BRIGANT
Monsïeur, vueillez y penser :
Car si vous me baillez grant charge,
Je ne la sçauroie porter70.
LE CURÉ
…………………. Égo asvoté 71…
175 De la crouste d’ung pasté72…
Sicut érat… Sempiternam…
[Et] spiritu sancti… Amen !
.
LE BRIGANT 73 SCÈNE V
Sire Moris[s]e, mon amy,
[De grant sens vous estes garny]74.
LE CURÉ
180 Vertu bieu ! je [chante mercy]75
Que je n’é pas laissé l’endosse76.
Morbieu ! se je reviens par cy…
Je m’en vois à mon sacerdoce77,
Confesser mes parroisiens.
185 Prenez en gré l’esbatement !
Sire Dieu [vous donne tous biens]78 !
Adieu vous dy pour maintenant.
FINIS
*
1 Comme d’habitude, les particularismes normands n’ont survécu que dans les rimes : vers 16 et 17, 22 et 23, 111 et 112, 113 et 114, 170 et 171… Mais il nous reste un couplet sur les tripes, spécialité normande ! 2 Cliquaille, monnaie. Cf. les Tyrans, vers 49. 3 Dépensé. 4 À une maudite corde. 5 Celui qui a des deniers ou des piécettes. « Je ne soustiens denier ne maille. » La Confession Rifflart. 6 Quantité. Les écus vieux furent décriés le 5 décembre 1511. Voir la note 124 du Jeu du Prince des Sotz. 7 Me fera défaut (verbe faillir, vers 5). 8 Celui qui passera avant que je ne me couche. 9 F : ie me haste (Tournure normande : « Je n’avons pas putost eu gagé, que j’avons vu les deux hommes tout à plain. » Molière, Dom Juan, II, 1.) 10 Il ramasse une branche morte, et l’utilise comme canne pour marcher et se défendre pendant le long trajet entre son presbytère et la cure où il officie. Les villes se trouvaient dans la forêt, alors peuplée de chiens sauvages, de loups, et de détrousseurs. 11 Monsieur le Curé. C’est du vrai latin, contrairement à celui que va écorcher le curé. « Et ma femme banquètera/ Avecques domine Curate./ Ell’ en ara le cul frapé. » Le Vilein, sa Femme et le Curé. 12 F : asses toust 13 À destination. 14 Il surgit de derrière un arbre. 15 Par ici, vers moi. Il attrape le curé qui s’enfuyait. 16 F : Vient il (Est-ce que quelqu’un d’autre vient ? Voir le vers 32.) 17 F : quelconques (« N’y est-elle point ? Quel tourment ! » Les Botines Gaultier.) 18 Les prêtres avaient une réputation de séducteurs. 19 F : nouuoelles (Je n’en parlerai à personne. Cf. Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain, vers 256.) 20 Aucune pièce de monnaie. 21 Même expression au vers 70. Tasse = bourse : cf. le Ramonneur de cheminées, vers 61. 22 Vous changerez de ton. « Bientost vous ferai d’autre martin chanter. » Godefroy. 23 F : le lemble (Tu ne craindras plus qu’on te les vole.) 24 F : Se (On se demande si le curé plaint le brigand ou son argent.) 25 F : la (Il y a déjà longtemps.) 26 F : ou a genoulx (Cf. la confession du Nouveau Pathelin : « –Çà, dictes, sans plus vous brouiller,/ Tout premier Bénédicité…./ –Seray-je cy agenoillé ? » 27 Nombreux points communs avec la confession du Testament Pathelin (notamment les vers 327-330), et la confession du Munyer (vers 390-391). 28 Donc. On plaquait parfois cette rime commode à la fin d’un vers bancal : « Il suffist, je n’en dy rien, don. » Maistre Pierre Doribus. 29 Le curé amalgame le début de secula et la fin de sursum corda [élevons nos cœurs]. Il a tellement peur qu’il mélange et estropie les textes liturgiques. Voir la note de Gustave Cohen, Recueil de farces françaises, p. 82. 30 F : predicale (qui ne rime pas. Emprunt classique à saint Augustin : divino eloquio praedicatam = prêchée par une éloquence divine — que ne possède visiblement pas notre pauvre curé de campagne.) Prédicatan rime avec aman, de même que le sempiternon du vers précédent rime avec don. 31 Le brigand comprend « Adieu ! », et croit que le curé va s’en aller. On trouve exactement le même jeu scénique dans la farce du Ribault marié, vers 403-405. Et dans la 13e Nouvelle de Philippe de Vigneulles : « “Or dictes doncques ainsi, sire : Je me confesse à Dieu”, ce dit le curé. Et le rusticque, pensant qu’il eust désjà fait (…), dit : “Et ! adieu ? Messire prebtre, en voullez-vous desjà aller ?” » 32 Maudit soit ce vilain prêtre ! « Maugré du vieux ! » Farce de la Cornette. 33 Vos petites affaires. Double sens érotique (besogner = coïter) : cf. Jolyet, vers 54. 34 Du bien d’autrui. Cf. la confession du Testament Pathelin, vers 388. 35 Espine = pine, pénis. « Dame Proserpine/ Fust espinée de l’espine/ Qui est en ta brague cachée. » (Rabelais, V, 46.) On peut comprendre : quand je faisais l’amour. 36 F : espingles (Les espilles sont des épingles qui fermaient les robes : « S’il choit à la dame une espille. » XV Joyes de mariage.) 37 La colère est un péché capital. 38 Vais. 39 Silencieusement. 40 Se retenir (Godefroy). Le curé estime moins grave d’enfreindre le deuxième Commandement (« Tu ne prendras point le nom du Seigneur ton Dieu en vain ») que le septième (« Tu ne desroberas point »). 41 À partir de là, le brigand à genoux entrouvre discrètement l’aumônière du curé, puis en sort les pièces une à une. Le curé lui parle de sa conscience qu’il doit vider de tout péché, mais le brigand parle de la bourse du curé, qu’il vide de ses écus. 42 F : veu en 43 Les forces étaient les ciseaux des coupeurs de bourses. Voir l’édition Koopmans, p.176, note 32. 44 F : par dieu pas encore (Cf. Koopmans, note 33.) 45 Votre devoir. « Diu » rime avec « dû », à la manière normande. 46 Chacun doit laisser son fardeau moral. Le brigand songe plutôt à un fardeau métallique. 47 Le goulot de ma conscience. (Et l’ouverture de votre bourse.) 48 F : hastrs 49 Je vaux 6 écus de plus que je ne valais avant de me confesser. 50 F : la laisse (Rime du même au même.) 51 Il y a longtemps. 52 F : chappon 53 À la campagne, on laissait refroidir les plats chauds sur une fenêtre, pour le plus grand plaisir des chapardeurs. 54 F : Dea iulfhange (C’est bien combiné.) 55 Goulûment, comme le chat de Renart le nouvel quand il dévore un héron « sans nape et sans sel ». 56 F : Par dieu vous auez grant somme (Vous avez tellement sommeil, que vous restez couché au lieu d’aller à l’église ? Le brigand va équivoquer sur les sommes d’argent. Cf. Koopmans, note 49.) 57 Même exclamation au vers 20. Cf. la Seconde Moralité de Genève, vers 129. 58 Le reliquat, le reste. « S’il y a encores en vous quelques reliques de l’amour passée. » Marguerite de Navarre. 59 F : A une (Vers trop long.) Les tripières vendaient au marché des tripes chaudes que les clients consommaient sur place, dans une écuelle ou une chope : « Demandé luy ay du brouet [sauce],/ En mon escuelle, de ses trippes. » (Farce de la Trippière, F 52.) « Je payeray choppine de tripes. » (Le Disciple de Pantagruel.) À défaut, on versait les tripes dans un cornet de papier fort : « Ma besace sera gastée,/ Se ne le metez au cornet. » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Les tripières de la littérature comique sont toujours victimes de resquilleurs, comme dans les Repues franches de maistre François Villon. 60 F : qui passoit (« Regardez là quelz fines lippes/ Pour tesmoigner d’ung plat de tripes. » Le Capitaine Mal-en-point.) 61 F : son bacquet (Tripière = large pot en terre cuite muni d’un petit couvercle.) 62 F : mon (Je me suis enfui avant qu’elle me poignarde.) Le redoutable couteau à double tranchant des tripières était passé en proverbe : « L’Évangile est un cousteau de tripière, qui coupe des deux costéz. » Satyre Ménippée. 63 F : el (Ce « nous » de majesté désigne le curé lui-même, qui regrette charitablement que la tripière n’ait pas tué le brigand.) 64 F : ma conscience (Dans mon cœur, dans mon âme. « Ce sont choses (…) qui moult me grièvent et poisent en mon courage. » Froissart.) 65 Je n’ai pas laissé un sou, à moins qu’il n’ait eu des griffes. 66 F : Se ie ny ay part iay 67 Qu’on en finisse. 68 F : vos 69 Rime normande : avèr rime avec pensèr. Cf. Pates-ouaintes, vers 420 et 422. 70 Il faudrait une rime en -arge, ou à la rigueur en -age. Les pénitents resquillent toujours pour diminuer leur pénitence ; le meilleur exemple se trouve dans la Confession Rifflart. 71 Ego absolvo te [je t’absous]. Pressé d’en finir, le curé recommence à dire n’importe quoi (note 29). 72 « De la croûte » évoque Juxta crucem [près de la croix], et « D’un pâté » rappelle Deus Pater [Dieu le Père]. 73 Il s’éloigne en se parlant à lui-même. On apprend qu’il se nomme Maurice. 74 F : Vous estes garny de grant sens 75 F : eschape bien aucy (Chanter merci = rendre grâces à Dieu.) 76 Le bas du dos : le curé se félicite de ne pas s’être fait violer ! Voir le glossaire des Ballades en argot homosexuel de Villon <édition de Thierry Martin>. D’après le Dictionnaire érotique de Pierre Guiraud, « se faire endosser » = se faire sodomiser. 77 F : avanture (Réminiscence des vers 15-16.) 78 F : le vous pardonne (Encore une fois, ces « biens » sont plus terrestres que spirituels.)
SŒUR FESSUE
*
SŒUR FESSUE
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Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée. La nonne est enceinte, mais l’abbesse aurait pu l’être aussi. On connaît d’ailleurs plusieurs versions scéniques d’un Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure, enceinte de son clerc, obtient de la Vierge Marie un accouchement indolore et discret, contrairement à celui des honnêtes femmes ; la Vierge confie le bébé à un ermite, et comme bon sang ne saurait mentir, elle en fera bientôt un évêque.
La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. La religieuse des Mal contentes exhale quelques jolis soupirs aux vers 424-429.
Source : Manuscrit La Vallière 1, nº 38.
Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
à cinq personnages
C’est assavoir :
L’ABEESSE
SEUR DE BON-CŒUR
SEUR ESPLOURÉE
SEUR SAFRÈTE 2
SEUR FESSUE
*
SEUR ESPLOURÉE commence SCÈNE I
Seur de Bon-cœur, je suys perdue,
Et me treuve tant esperdue
Que plus n’en puys !
[SEUR DE BON-CŒUR] 3
Qu’esse, ma seur ?
Quel nouvèle av’ous entendue ?
5 Quoy ! vous estes-vous estendue
Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin.
SEUR DE BON-CŒUR
Rendez mon esprit seur5.
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
SEUR DE BON-CŒUR
Hélas !
Donner je vous pouroys soulas,
10 Et vous garder de desplaisir.
Dictes-le-moy tout [à] loysir :
À ses amys, rien ne se celle.
SEUR ESPLOURÉE
A ! ma mye…
SEUR DE BON-CŒUR
Prenez une selle6.
Vous estes bien fort couroucée.
15 Déclarez-moy vostre pencée :
Qu’avez-vous ?
SEUR ESPLOURÉE
Rien.
SEUR DE BON-CŒUR
À brief parler,
Dictes-moy et [ne] mentez poinct.
Vous estes-vous laissée aler7,
Que8 vous tourmentez en ce poinct ?
20 Dictes !
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
Agardez, l’honneur en despent.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est mal chanté son contrepoinct ;
L’honneur sy près du cul ne pent.
SEUR ESPLOURÉE
Sy vous avez hapé le roide9,
25 Agardez, il n’y a remède :
Nostre abesse en faict bien autant !
SEUR DE BON-CŒUR
Par ma foy ! mon cœur se repent
Qu’i fault que j’en oye parler tant.
SEUR ESPLOURÉE
Je vous veuil dire tout contant
30 Que c’est que céans il y a :
Vous congnoyssez bien seur Fessue ?
Frère Roydimet l’a déseue10
Et gastée11.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
SEUR ESPLOURÉE
Elle est deigà grosse et ensaincte.
35 Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :
Nous sommes toutes à quia13
Par son faict.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,
Et à mon plaisir satisfaict
40 Sans estre grosse !
SEUR ESPLOURÉE
Hélas, mon Dieu !
Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,
Comme elle.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Que j’en ay au cœur de détresse
Et de douleur !
SEUR SAFRÈTE SCÈNE II
Et ! qu’esse ? qu’esse ?
45 Que j’entende vostre débat !
Comptez-moy, par forme d’esbat,
Ce que maintenant vous disiez.
SEUR ESPLOURÉE
Ce n’est rien, non.
SEUR SAFRÈTE
Vous devisiez
D’amour, en ce lieu, en commun ?
50 Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :
Je n’en fais pas moins, en tout temps,
Que les bonnes seurs de céans.
Dictes hardiment !
SEUR DE BON-CŒUR
On le sçayt bien
Que toutes on n’espargnons rien
55 Du nostre ; mais tel pissendalle14
Sera cause d’un grand scandalle
Dont nous serons désonor[é]es15.
SEUR SAFRÈTE
Vous me semblez fort esplour[é]es :
Quelle chose av’ous aperceue ?
60 Qui a failly ?
SEUR ESPLOURÉE et SEUR DE BON-CŒUR
ensemble disent :
C’est sceur Fessue
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Quoy ?
SEUR DE BON-CŒUR
Nous n’osons dire.
SEUR SAFRÈTE
Dictes, sy ce n’est que pour rire.
SEUR ESPLOURÉE
Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,
Et de larmes sont mes yeulx plains,
65 Pour la douleur que j’ey conceue.
SEUR SAFRÈTE
Qui cause cela ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Seur Fessue.
SEUR ESPLOURÉE
Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;
Je n’ay ne repos, ne séjour,
Ains de douleur je tremble et sue.
SEUR SAFRÈTE
70 Qui vous faict ce mal ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Sceur Fessue,
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Ouy, mectre à genoulx16
Quelque un ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict comme nous ;
Mais le pire, c’est qu’el est grosse.
SEUR SAFRÈTE
Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !
75 Esbahy[e] suys qu’on le permect.
Mais déclarez-nous, je vous prye,
Sans que son honneur on descrye,
Qui l’a faict ?
SEUR ESPLOURÉE
Frère Rèdymet.
SEUR SAFRÈTE
Hélas ! el est déshonorée.
80 Et ! Vierge Marie honorée !
Où la pourons-nous [bien] cacher,
Le jour qu’el poura acoucher ?
SEUR DE BON-CŒUR
Je ne sçay.
SEUR ESPLOURÉE
J’ey bien descouvert
Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,
85 Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert
Pour estre faicte religieuse.
SEUR SAFRÈTE
Elle est plaisante et amoureuse.
Long temps il y a qu’el aymoyt.
SEUR ESPLOURÉE
Qui, ma sœur ?
SEUR SAFRÈTE
Frère Rèdymet,
90 Rouge comme un beau chérubin19.
Un jour, avec frère Lubin20,
In caméra charitatis 21,
Tout doulcement je m’esbatis ;
Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.
SEUR DE BON-CŒUR
95 Il est tant doulx et amyable,
Sœur Safrète, quant y s’y mect !
SEUR ESPLOURÉE
Ouy, le bon frère Rèdymet,
Quant il a la « teste » dressée
Et que de luy suys embrassée,
100 Ma leçon23 bien tost se comprent.
SEUR DE BON-CŒUR
A ! jamais il ne me reprent24.
Nous vivons no[u]z deulx comme amys :
Aussy mon cœur luy ay promys.
Bon Amour25 ainsy le permect.
SEUR ESPLOURÉE
105 Quant au bon frère Rèdymet,
Je le congnoy digne d’aymer.
Mais afin de n’estre à blasmer,
Pour faindre estre de saincte vye,
Je veuil déclarer par envye26
110 À nostre abesse (ce n’est faincte)
Comme sœur Fessue est ensaincte.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien faict.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien faict, ma sœur.
Nostre bon père confesseur
En orra27 le miséréré.
SEUR DE BON-CŒUR
115 Je vouldroys qu’i28 fust enserré
En ma chambre, pour sa prison.
SEUR SAFRÈTE
Sainct Pierre ! vous avez rayson :
D’amour, aparence il y a
En vos dictz.
SEUR ESPLOURÉE,
allant à l’abeesse pour parler à elle :
Avé Maria ! SCÈNE III
L’ABEESSE
120 Gratia pléna 29 ! Qu’avez-vous,
Qui vous amène devers nous30 ?
SEUR ESPLOURÉE
Sans cause je [ne] vous viens voyr31.
L’ABEESSE
Certes, j’estoys en ce parloyr,
En saincte… contemplation
125 Des mos d’édiffication32,
Atendant l’heure du… menger33.
SEUR ESPLOURÉE
Sy Mort m’estoyt venue charger,
Hélas ! je seroys bien heureuse.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?
130 Regrétez-vous encor le monde ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin, non.
L’ABEESSE
Céans, il habonde
Autant de plaisir[s] savoureulx
Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,
[De]dens ceste maison icy,
135 Povez avoir un amoureulx.
SEUR ESPLOURÉE
Hélas ! mon cœur trop douloureulx
Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse, ma mye ?
SEUR ESPLOURÉE
Seur Fessue,
Qui a faict…
L’ABEESSE
Vous dict-elle injure ?
140 Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,
Elle en sera incarsérée.
Comment ! faict-el la reserrée35 ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Je n’y entens rien en effaict.
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Et quoy ?
SEUR ESPLOURÉE
F[r]icatorès 36.
L’ABEESSE
145 Ô le grosson peccatorès 37 !
Per Dieu38, [elle] habuyct grandos
Punitionnès 39 sur le dos !
Qui l’eust pencé ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle [l’]a faict,
Et a son péché satisfaict,
150 Car elle est grosse.
L’ABEESSE
Ô la laide !
Il y convient mectre remède.
Mais à qui a-elle adonné
Son corps ?
SEUR ESPLOURÉE
[El l’a]40 habandonné
À frère Rèdymet, le moynne,
155 Il y a long temps.
L’ABEESSE
Que de peine41 !
Tenamus chapitrum totus ! 42
Sonnaté 43 clochétas bien totus !
Qu’el véniat 44 !
.
.
SEUR DE BON-CŒUR SCÈNE IV
Sus ! entre nous,
Y nous convient mectre à genoulx45,
160 À ce chapitre.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien dict ;
Je n’y mectray nul contredict.
L’ABEESSE
Or, chantez !
SEUR ESPLOURÉE
Bénédicité ! O lieu de le dire, y chantent 46 :
Voz « huys » sont-il tous fermés ?
Fillètes, vous dormez.47
165 Quant pour vous sont consumméz48
Dormez-vous,
(Fillètes, fillètes vous dormez)
[Mes sens d’amour]49 enflamés,
Dormez-vous, fillètes ?
Fillètes, vous dormez.50
SEUR FESSUE entre SCÈNE V
170 A ! j’éray quelque advercité ;
Je crains fort le punis[s]antés 51.
L’ABEESSE
Vénité, et aprochantez !
Madamus, agenouillaré,
Quia vo[u]z fécit mouillaré
175 Le boudin52 : il est bon à voir !
SEUR DE BON-CŒUR
Vous avez laissé décepvoir
Vostre honneur, dont le nostre en souffre.
L’ABEESSE
Vous en sentirez feu et souffre
En Enfer ; et de vostre vye,
180 N’irez en bonne compaignye
Sans injure. Et ! comme a-ce esté
Qu’avez faict ceste lascheté ?
Vous en souffrirez le trespas !
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez pas
185 Ce qui vous pent devant les yeulx ?
L’ABEESSE
Mon cœur ne fust onc curieulx
D’estre d’honneur tant descouverte53.
SEUR FESSUE
Hélas ! vostre veue est couverte,
Dont vostre grand faulte despent :
190 Ce que devant les yeulx vous pent
N’est pas de tous en congnoissance54.
L’ABEESSE
Puys que sur vous j’ey la puissence,
Je vous pugniray bien à poinct.
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct
195 Ce qui est devant vostre veue ?
J’ey failly comme despourveue
De sens, dont coupable me sens.
Mais…
L’ABESSE
Quel mais ?
SEUR FESSUE
Il en est cinq cens
Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;
200 Et sy56, ne font pas mieulx que moy.
L’ABEESSE
[Encore vous]57 levez la teste ?
Vous estes une faulse58 beste,
Et avez grandement erré.
SEUR ESPLOURÉE
Y luy fault le Miséréré,
205 Pour la faulte qui est yssue59.
SEUR FESSUE
Et ! pardonnez à sœur Fessue !
SEUR SAFRÈTE
Y luy fault donner telle peine
Que de douleur soyt toute plaine,
Puysqu’on la void ainsy déceue.
SEUR FESSUE
210 Et ! pardonnez à seur Fessue,
Pour cela qu’el a entour60 elle.
SEUR ESPLOURÉE
Vrayment, el a juste querelle61 :
Y ne fault pas son fruict62 gaster.
SEUR FESSUE
Qui vous eust voulu trop63 haster,
215 Lors qu’estiez ainsy comme moy,
En plus grand douleur et esmoy
Eussiez esté que je ne suys.
L’ABEESSE
Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :
Qui vous a ainsy oultragée ?
220 Vous estes grosse, et tant chergée65
Que plus n’en povez.
SEUR FESSUE
A ! ma dame,
Frère Rèdymet faict ce blasme
En mainte religion66 bonne.
Mais je vous pry qu’on me pardonne.
L’ABEESSE
225 Où fusse ?
SEUR FESSUE
[De]dens le dorteur67,
À ma chambre, près le monteur68.
Ici tant enquérir ne s’en fault69…
SEUR DE BON-CŒUR
Et que ne criez-vous bien hault ?
SEUR FESSUE
Crier ? Je ne sçay qui en crye70.
SEUR SAFRÈTE
230 Comment ! voécy grand moquerye !
Nostre abeesse en sera blasmée.
SEUR FESSUE
Comment, crier ? J’estoys pasmée.
Et puys en nostre reigle est dict
(Où je n’ay faict nul contredict)
235 Qu’au dorteur on garde silence.
Et sy j’eusse faict insolence,
Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,
C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.
Voyélà pourquoy n’osay mot dire.
SEUR ESPLOURÉE
240 Vouélà bonne excuse pour rire !
SEUR DE BON-CŒUR
Très bien le silence el garda…
L’ABEESSE
Mais escoustez : qui vous garda
De faire signe pour secours ?
On y fust alé le grand cours72,
245 Et n’ussiez receu tel acul73.
SEUR FESSUE
Las ! je faisoys signe du cul,
Mais nul(e) ne me vint secourir74.
SEUR SAFRÈTE
Je n’eusse eu garde d’y courir.
SEUR ESPLOURÉE
Signe du cul ?
SEUR SAFRÈTE
Il est possible :
250 Frère Rèdymet est terrible ;
Et n’eust sceu ceste povre ânière75
Faire signe d’aultre manière.
SEUR ESPLOURÉE
C’est le signe d’un tel mestier76…
L’ABEESSE
Mais il y a un an entier
255 Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu
Nous dire qu’el avoyt conceu ?
SEUR FESSUE
Dire ? Hélas !
SEUR DE BON-CŒUR
Ouy, dire, ouy, dire.
SEUR FESSUE
J’ey bien cause d’y contredire.
SEUR SAFRÈTE
Et comment ?
SEUR FESSUE
Hélas ! quant j’eu failly,
260 Mon cœur alors fut assailly
De repentance et de grand peur
Que l’Ennemy78, qui est trompeur,
Ne m’enportast pour telle faulte.
Demanday à la bonté haulte79
265 Pardon, lequel aulx bons permect.
Et au bon frère Rèdymect
Je demanday confession ;
Lequel, à l’asolution80,
Lors que bien il me descharga81,
270 Absolutement m’encharga
De ne dire ce qu’avions faict
No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict
Pour craincte de dannation :
Car dire sa confession
275 Et dire le secrect du prestre,
C’est assez pour à jamais estre
Danné avec les obstinés82.
SEUR ESPLOURÉE
Certes, nous voélà bien menés !
Ses excuses sont suffisantes.
L’ABEESSE
280 Punye en serez, je me vantes.
Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !
SEUR FESSUE
Hélas ! je vous suply, ma dame :
Ne regardez tant mon péché,
Que le vostre (qui est caché)
285 Ne considérez83.
L’ABEESSE
Ha ! rusée,
Suys-je de toy scandalisée84 ?
SEUR FESSUE
On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre
Un petit festu odieulx,
Mais on ne veoyt poinct une poultre
290 Qu’on a souvent devant les yeulx85…
L’ABEESSE
Ma renommée se porte mieulx
Que la tienne.
SEUR FESSUE
Ne jugez poinct86 !
Les jugemens sont odieulx
Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.
295 Vous le sçavez de poinct en poinct.
Paul87, glorieulx apostre sainct,
Dict que celuy n’aura refuge
D’excuse, qui sera tasché ;
Et que luy-mesme il se juge
300 S’il est subject à tel péché.
L’ABEESSE
Voyélà suffisamment presché !88
Suys-je comme toy, dy, meschante ?
Par Celle-là de qui on chante89 !
Je te feray bien repentir.
SEUR SAFRÈTE
305 Elle se poura convertir,
Ma dame : ce sera le myeulx.
SEUR FESSUE
Ce qui vous pent devant les yeulx,
Qui faict vostre faulte congnoistre,
Nous démonstre qu’i ne peult estre
310 Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.
L’ABEESSE
Ce qui me pent devant les yeux ?
Avé Maria ! qu’esse-cy ?
Vous m’avez trop hastée, aussy :
De venir, j’estoys empeschée.
315 Et ! mon Dieu, que je suys faschée !
SEUR ESPLOURÉE
Croyez, sy les loix ne sont faulces,
Que c’est icy un hault-de-chaulces.
L’ABEESSE
Avé Maria ! Saincte Dame !
Je ne suys moins digne de blasme
320 Que sœur Fessue.
SEUR DE BON-CŒUR
Sont-il d’usance91,
Hault-de-chaulses ?
L’ABEESSE
J’ey desplaisance
De mon faict.
SEUR SAFRÈTE
Et ! Dieu, quel outil !
Les abeesses en portent-il,
Maintenant ? J’en suys en soucy92.
SEUR ESPLOURÉE
325 Un hault-de-chaulses !
SEUR DE BON-CŒUR
Qu’esse-cy ?
L’ABEESSE
Et ! n’en parlons plus.
SEUR SAFRÈTE
C’est pour rire ?
A ! vous ne debvez escondire
Seur Fessue d’absolution.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien nouvelle invention,
330 Porter des chaulces sur la teste.
L’ABEESSE
On en puisse avoir male feste !
SEUR SAFRÈTE
Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.
On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,
Et q’une main l’autre suporte95.
335 Y convient faire en ceste sorte :
Donnez-luy l’asolution.
SEUR ESPLOURÉE
Voeylà très bonne invention.
Vous estes à noz96 audinos.
L’ABEESSE
Tu fessisti sicut et nos 97 ;
340 Parquoy absolvo te gratis
In pécata 98. Nunc dimitis
[In cor bonnum]99, comme au passé100.
Plus oultre, vadé in passé 101 !
SEUR FESSUE
Gratias ! Me voeylà garie.
345 Je n’ay cause d’estre marie102.
SEUR ESPLOURÉE SCÈNE VI
Conclusion : Je trouve erreur caché
Que cestuy-là veult un péché reprendre,
Duquel il est taché et empesché,
Et par lequel en fin on le peult prendre.
350 Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.
La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,
Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103
En prenant congé de ce lieu,
Unne chanson pour dire « à Dieu » !
FINIS
*
1 Dans ce même manuscrit, la Mère de ville (composée dans les années 1530) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir d’estre pansue. » 2 Lascive. 3 LV : la IIe seur esplouree (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.) 4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 5 Sûr : éclairez mon esprit. 6 Un siège. 7 Avez-vous fauté ? 8 LV : qui 9 Le raide, le phallus. V. note 10. 10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot. 11 Engrossée. 12 LV : oues (Ouez = oyez, écoutez.) 13 En mauvaise posture. 14 Pisser sur les dalles d’un cimetière est un sacrilège : « Qu’on me brusle ce savetier :/ Il a pissé au cymitière ! » Clément Marot. 15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. Je signale que deux rôles féminins sont tenus par des messieurs dans la réjouissante interprétation de Sœur Fessue qu’ont donné des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada). 16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit : cf. le Tesmoing, vers 332. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ». 17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner “l’amoureuse aubade”/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche. 18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et 448. « D’un jeune sotouard, lequel ne sut trouver l’engin de sa femme la première nuit. » Les Joyeuses narrations. 19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>. 20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Marot. 21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins. 22 LV : est bien (Lubin n’est pas aussi bon “compagnon” que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & à manger. » Miroir de la navigation.) 23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot. 24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ». 25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle. 26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent. 27 LV : aura (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.) 28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141. 29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. Notre fatiste avait lu le Miracle de l’abbesse grosse : voir ma notice. 30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule. 31 LV : voyer (Je ne viens pas vous voir sans raisons.) 32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » Au XIVe siècle, Jehan de Condé mit « un beau abbé joli » dans le lit de l’abbesse ; laquelle, « kant son couvrechief cuida prendre,/ (…) les braies à l’abbé prist,/ Et puis les jeta erranment/ Sur son chief. » <Le Dit de la Nonnète.> 33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.) 34 Aller plus loin. 35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges allaient voir « l’étrécisseuse » qui, avant leur nuit de noce, utilisait l’eau de tan, « les eaux de myrthe, alun & autres astringens pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». Noël Du Fail. 36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme. 37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.) 38 LV : perdien (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.) 39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.) 40 LV : elle a 41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit. 42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée]. 43 LV : sonnare (Sonnez toutes les cloches.) 44 Qu’elle vienne. 45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse. 46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7. 47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ? 48 Partition : consummez — LV : consommes 49 Partition : Mes sens damour — LV : mais sans amours 50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ? 51 La punition, en langage macaronique. 52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur. 53 Dégarnie. 54 N’est pas (encore) connu de tous. 55 LV : ny 56 Et pourtant. 57 LV : leues (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.) 58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet. 59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée. 60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213. 61 Elle a raison de se plaindre. 62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. » 63 LV : tant (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.) 64 Restez ici ! Je continue. 65 Chargée, alourdie. 66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers. 67 LV : dortoueur (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235. Cf. le Maistre d’escolle, vers 4.) 68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé). 69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit. 70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié. 71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. » 72 En courant. 73 Une telle contrainte. 74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet. 75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu. 76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier. 77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari. 78 Le diable. 79 À Dieu. 80 LV : la solution (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.) 81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Elles déchargent quand on les secoue. » (Cyrano de Bergerac.) 82 Les hérétiques. 83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3. 84 Transformée en objet de scandale. 85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3. 86 Matthieu, VII-1. 87 Romains, II-1. 88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique ! 89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges. 90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. Ce passage doit beaucoup au Dit de la Nonnète : « Que savez-vous que il vous pent,/ Belle dame, devant vos ieuls ?…./ Un couvrechef à menus plis/ Vous y pent, dame, ce me samble,/ Qui, par le cor Dieu, bien resamble/ Ce de quoi on couvre son cul. » 91 Est-ce la mode (de porter sur la tête). 92 LV : esmoy (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.) 93 LV : changons en (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.) 94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière. 95 Qu’une main aide l’autre. 96 LV : voz (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.) 97 Tu as fait comme nous. 98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés. 99 LV : Incorbennem (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.) 100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé. 101 Va en paix. 102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché. 103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.