LA BOUTEILLE
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LA BOUTEILLE
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Cette Farce de la Bouteille à 4 ou à 5 personnages n’est pas une farce, ne s’intitule pas « la Bouteille », et ne comporte que 3 personnages. Le titre « la boutaille » fut ajouté après coup par une main plus récente que celle du copiste, et ne se trouve d’ailleurs pas dans la table des matières établie par ledit copiste au début du manuscrit : « Farce joyeuse à .III. ou à .IIII. ou à .V. personnages. »
En revanche, c’est bien notre copiste qui a greffé dans l’index personæ un 4ème comparse, une Bergère, sous prétexte que le vers 285 évoque une bergerie. Et c’est toujours le même copiste qui ajoute un 5ème personnage, un Badin, en dédoublant le rôle du Fils : dans la table des matières, il note « la Mère, le Badin » au lieu de « la Mère du Badin ».
Cette pièce normande, écrite dans les années 1525-1540, n’est pas une farce mais une moralité de propagande. Son but est de convaincre le peuple du danger de la Réforme1, qui progressait à Rouen par la faute du clergé, dont les insuffisances et la corruption agaçaient jusque dans ses propres rangs. Le Badin, personnage comique et populaire, se transforme donc en prêcheur et invoque des entités allégoriques : Police a été tuée par Avarice, et doit être vengée par Justice, bien que celle-ci soit aveugle. Pour que les spectateurs — j’allais dire les fidèles — restent jusqu’au bout, cette moralité fut suivie comme d’habitude par une vraie farce, annoncée au dernier vers : « Attendez, vous aurez la Farce. »
Source : Manuscrit La Vallière, nº 47.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
[de la Boutaille]
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À .III.2 personnages, c’est asçavoir :
LA MÈRE DU BADIN
et LE VOUÉSIN
et SON FILZ [Philipin] 3
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LA MÈRE commence [en chantant :] SCÈNE I
[Se je ne puis estre joyeuse…] 4
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Mon Dieu, qu’est une femme heureuse5,
Quant il advient que Dieu luy donne
Un enfant, et puys qu’il s’adonne
5 À estre sage et bien aprins !
J’en ay tel deuil en mon cœur prins
Qu(e) impossible est que ne desvye6.
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LE FILZ entre à tout 7 unne bouteille. SCÈNE II
Ma foy, ma mère, j’ey envye
De vous compter aulcune chose8
10 Qui est en mon esprit enclose
Sy très avant que c’est merveille.
LA MÈRE
Et quoy, mon Dieu ?
LE FILZ, BADIN
Je m’émerveille
Comment un homme fust sy sage
Qui, par un sy petit passage,
15 Mist ce vaisseau en cest esclisse9.
LA FEMME
Mon Dieu ! je croy qu’il est éclipse
Soyt du soleil ou de la lune.
En est-il, au monde, encor une
Plus tourmentée que je suys ?
LE FILZ
20 Je ne dy pas sy le pertuys10
Fust assez grand pour le passer ;
Mais de luy mectre sans casser,
Cela me faict trop esbahir.
LA FEMME
Vray Dieu, que je doy bien haÿr
25 La journée que vins sur terre !
LE FILZ
Sy le vaisseau ne fust de terre,
J’estimeroys que ce fust fonte11.
LA FEMME
A ! mon filz, n’as-tu poinct de honte
De tout cela te démenter12 ?
LE FILZ
30 Tel cuyde aucunefoys monter
Deulx pas[s]es13 qui en descent quatre.
LA FEMME
Regardez : il se va débatre
D’une chose dont n’a que faire.
LE FILZ
Ma mère, bien souvent un bon taire14
35 Vault myeulx, dis foys, que tant parler.
LA FEMME
Il parachève d’afoller !
Je ne sçay, moy, que ce peult estre15.
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LE VOÉSIN entre SCÈNE III
Honneur, honneur !
LE FILZ
Dieu vous gard, Maistre16 !
Vous soyez le trèsbien trouvé17 !
LA FEMME
40 Joyeuse suys qu’estes aryvé,
À ceste heure, je vous afye18 !
LE VOÉSIN
Pourquoy cela ?
LA FEMME
A ! je me fye,
[Et au moins y ay-je espérance,]19
Que sy vous remontrez l’ofence
45 À ce garson, y vous croyra.
LE VOÉSIN
Pensez, commère, qu’il fera
Plustost pour vous que pour un aultre.
LE FILZ
(Autant pour l’un comme pour l’aultre !
Je voy bien que perdez vos peines.)
LE VOÉSIN
50 Que dictes-vous ?
LE FILZ
Que les avoynes20
Seront chères, l’an[n]ée qui vient.
LA FEMME
Regardez quel propos il tient !
En vîtes-vous onc de sa sorte ?
LE VOÉSIN
Ma commère, vous estes sote :
55 Fault-il pas voir ains que pourvoir21 ?
Alons un peu à luy sçavoir
Quel estat22 c’est qu’i veult tenir.
Un jour, il poura parvenyr
À bien grande perfection.
LA FEMME
60 Hélas, j’avoys intention
De luy faire métier aprendre.
LE VOÉSIN
Il est encor[e] jeune et tendre
Pour luy metre, sy vous voulez.
[LA FEMME] 23
Beaucoup de gens pensent voler
65 Devant24 qu’il ayent aulcune(s) plume(s).
[LE VOÉSIN]
Que voulez-vous : c’est la coustume
Des jeunes gens de maintenant.
[LE FILZ]
Lors qu’Absalon25 estoyt la main tenant
Contre David (son père géniteur),
70 Par le vouloir du divin Créateur
[Sans cordelle ny corde il fust pendu]26,
Signyfiant que nul, de sa vertu27,
Ne doibt voler devant qu’il ayt des elles28.
LE VOÉSIN
[ Ne scays-tu poinct d’aultres nouvelles ?29
LA FEMME
75 À tous les coups son sot sens erre.30 ]
Ph[i]lipin, voécy mon compère
Qui te veult dire un mot segret31.
LE FILZ
Quant Pharaon, par un despit aygret32,
Fist assembler son ost et [son hostel]33
80 Pour courir sus aulx enfans d’Israël,
N’estoit-ce34 pas contre Dieu faict ofence ?
Lors, le Seigneur, par sa digne clémence,
Feist eschaper les Ébreulx sans danger.
Et Pharaon et toute sa puissance
85 Au fons de l’eaue furent tous submergés.
LA FEMME
Tu nous faictz bien icy songer !
Respons-nous un mot à propos.
LE FILZ, en chantant :
Combien les pos ? Combien les pos ? 35
Deulx liars ? C’est trop.
90 Dancez « les Amourètes » :
Tel les a qui ne les dance mye,
Tel les a qui ne les dance pas.
LA FEMME
[Nulle chose ne respondras]36 ?
LE FILZ
Ma foy, je ne vous voy[oi]es pas,
95 Ma mère : pardonnez-le-moy.
LE VOÉSIN
Vien çà, orphelin ! Parle à moy :
Tu es jà grand et bien taillé ;
Y convyent que tu soys baillé
À quelque maistre pour aprendre.
LE FILZ
100 Hen ?
LE VOÉSIN
Il convyent que tu soys baillé.
LE FILZ
A, il convyent que je soys taillé37 ??
LE VOÉSIN
Nennyn non !
LE FILZ
Faictes-moy donq entendre.
Je l’avoys ainsy entendu.
LA FEMME
Tu es tant sot et tant testu
105 Qu’on [n’]entent riens à ton afaire.
LE FILZ
Tousjours n’est pas temps de se taire.
Aulcunefoys, fault paroller.
LA FEMME
Tu ne faictz que crier et braire,
Et ne sçays de quoy te mesler.
LE FILZ
110 On aura bien à desmeller
Devant qu’i soyt long temps d’icy38…
Par sainct Jehan ! vous avez vécy39 :
Qu’esse donc icy que je sens ?
LE VOÉSIN
Il est encor plus hors du sens,
115 Qui40 prend garde à tout son langage.
LE FILZ
Salomon, qui fust le plus sage
De tous les roys, et le plus fin,
Toutefoys, par mauvais usaige,
Y fust ydolastre41 à la fin.
LA FEMME
120 Or çà ! que dictes-vous, voésin ?
Y trouvez-vous ny boult ny ryve42 ?
LE FILZ
Ceulx de la cité de Nynyve
Pour43 leurs maulx firent pénytence.
Qui fist cela ? La remonstrance
125 Que leur fist Jonas le Prophète.
Combien fauldroict-il de prophètes
À prescher maintenant le monde ?
N’esse pas chose bien immunde
Qu’i faille que le propre père
130 Pourchasse à son filz vitupère44 ?
Vous le voyez de jour en aultre.
LE VOÉSIN
Mais laissons cela, parlons d’aultre,
Orphelin : vous estes troublé.
LE FILZ
Pleust à Dieu que l’on eust criblé45
135 Le bon grain d’avèques la paille !
LA FEMME
Nous ne gaignons pas une maille46
De plus luy cryer à l’horeille.
LE FILZ
Je suys encor à ma bouteille :
Mais quant g’y pence, c’est la chose
140 La plus subtillement enclose
(Sur ma foy) que je vis jamais !
LE VOÉSIN
Vous dictes vray, orphelin ; mais
Tout cela ne nous sert de guère.
LE FILZ, chantant :
Fauchez, fénez la feugère 47 :
145 S’el est verte, el revyendra 48.
Vous vouérez un temps qui viendra
Changer ce49 temps en maincte guise.
LE VOÉSIN
Faisons-en un homme d’Église :
Je n’y trouves aultre moyen.
LA FEMME
150 Hélas, compère, y ne sçayt rien :
Ce ne seroyt que vitupère50.
LE VOÉSIN
O ! ne vous chaille, ma commère :
Il en est bien d’aultres que luy
Qui ne sayvent ny fa ny my 51.
155 Mais qu’il sache son livre lyre52
Et qu’il puisse sa messe dyre,
C’est le plus fort de la matyère.
LA FEMME
Je vous prye donc, mon compère :
Faictes-en vostre intention.
LE FILZ
160 Cil53 qui trouva l’invention
De la faire par là passer54,
Ce ne fust pas sans y penser
(Le deable m’enport) longue pose55 !
LA FEMME, plorant.
Sa povre teste ne repose
165 Non plus que faict l’eau de la mer.
Ne me doibt cela estre amer,
De le veoir ainsy assoté56 ?
LE VOÉSIN
Vous en dictes la vérité ;
Mais c’est jeunesse qui se passe.
LE FILZ
170 « Assez va qui fortune passe57 »,
Ce dict-on en commun langaige.
Thobye escheva58 ce passaige
Quant [Dieu, par grâce, l’eut]59 conduict
Vers Raphaël60 (comme il est dict)
175 Pour avoir la61 fille à espouse.
Toute personne qui dispouse
De tout son cœur et son entente
À aymer Dieu, a ! je me vante
Qu’il viendra à chef de ses fins62.
180 Pensez-vous qu’il est des gens fins63
Qui [n’observent pas ce]64 grand cas ?
LA FEMME
Voécy bien un merveilleux cas !
Il ne respont à nulle chose
Que nul de nous deulx luy oppose65.
185 Je ne sçay, moy, que c’est66 à faire.
Entens un peu à mon compère,
Et faictz tout ce qu’il te conseille !67
LE FILZ
Alez tout beau, pour ma bouteille !
À peu68 que ne l’avez cassée.
LA FEMME
190 J’ey la teste sy très lassée
Que je ne sçay que devenyr.
Quel estat veulx-tu maintenyr ?
Il est de le sçavoir mestier69.
LE VOÉSIN
Sy tu veulx estre de mestier70,
195 Il est saison71 que tu t’avise.
LE FILZ
Y me fault estre gens d’Église :
Ce me semble un mestier notable.
LE VOÉSIN
La chose est toute véritable.
Mais il fauldroict
LE FILZ
Et quoy ?
LE VOÉSIN
200 Mais72 fauldroict estre cléricus.
LE FILZ
Je sçay bien mon Avé salus 73,
Mon Imanus 74, mon Déo75 pars.
J’en sçay (par Dieu) plus des troys pars76
Que ne faisoyt maistre Morelles77.
205 Quoy, je remue bien les escuelles78 ;
Et sy, say bien les poys eslyre79.
J’escriptz bien (sy je savoys lyre).
Je faictz res[s]us[c]iter les mors.
Tel que je suys, je chye dehors,
210 Puys à la maison voys80 menger.
Et sy81, aussy bien sçay garder
Comme [vous-]mesmes les ouésons82.
LE VOÉSIN
Voy(e)là les plus sotes raisons
Qu(e) homme pouroyt veoir ne congnoistre !
LA FEMME
215 Regardez : y veult estre prestre,
Et ne sçayt rien qui soyt, beau syre.
Le filz ridet 83 modicum longe.
LA FEMME
Qu’as-tu ?
LE FILZ
Je me suys prins à rire
Quant j’ey oÿ vostre parolle.
LA FEMME
Pourquoy cela ?
LE FILZ
Vous estes folle
220 De présumer sy peu de sens
En moy, veu que [plus de] cinq cens
Sont aujourd’uy parmy le monde,
En qui84 tant de richesse abonde
Du revenu de la coquille85 ;
225 Et toutefoys, il n’y a drille86
De sçavoir en eulx, somme toute.
LE VOÉSIN
Qu[oy !] il n’y a poinct…
LE FILZ
Grain ny goute !
C’est un cas87 tout acerténé.
LE VOÉSIN
Vous me rendez bien estonné88.
230 Comme se pouroyt cela faire ?
LE FILZ
Par le moyen d’un beau vicaire89
Qui prendra le soing et la cure90
Du bénéfice91 ou de la cure.
Voylà comme c’est qu’on en use.
LE VOÉSIN
235 Voyre. Mais le curé s’abuse
De recepvoir le revenu,
Sy par luy n’est entretenu
Le divin service ordinaire.
LE FILZ
De quoy servyroit le vicaire
240 Qu’il auroyt commys en son lieu92 ?
LE VOÉSIN
Yl prennent donc le bien de Dieu
Sans en faire [nul] droict quelconques.
LE FILZ
Et ! comme l’entendez-vous donques ?
On n’est jamais prins qu’en prenant.
245 Mais autant curés que servant93
Y fauldra, du94 tout, satiffaire.
Nous avons eu beaucoup à faire,
Puys95 la mort de nostre nourisse.
LE VOÉSIN
Qui estoyt-el ?
LE FILZ
[C’estoyt] Police96.
250 Y n’en fust onq[ues] de la sorte.
LE VOÉSIN
Police ?
LE FILZ
Ma foy, elle est morte :
Il n’est plus de Police au monde.
LE VOÉSIN
O ! la meilleure de ce monde,
Av’ous97 ceste ville laissée ?
LE FILZ
255 C’en est faict :98 elle est trespassée,
Il est certain, je vous assure.
LE VOÉSIN
C’est une piteuse avanture,
D’avoir laissé mourir Police.
[Et] qui en est cause ?
LE FILZ
Avarice99,
260 Qui, par son art et sa malice,
L’a abatue et consommée100.
Et sy de brief el n’est sommée
De vyder101 hors de ces quartiers,
Il ne demeurera le tiers
265 Du monde que tout ne consomme102.
LE VOÉSIN
C’est donq bien [à] droict103 qu’on la somme
De vyder hors : il est propice104.
LE FILZ
[Hélas,] qui le fera ?
LE VOÉSIN
Justice ;
Il n’en fault poinct avoir de doubte.
LE FILZ
270 Justice ?
LE VOÉSIN
Voy(e)re.
LE FILZ
El(le) ne voyt goute105.
Je faictz doubte qu’el(le) ne varye106.
Celuy ou celle qui charye107
Soublz la conduicte de la nuyct,
Bien souvent, aucun cas108 luy nuyct,
275 Qui le faict en bas trébucher.
Mais celuy qui veult chevaucher
Par voyes109, champaigne et brierre,
Ensuyve tousjours la lumyère
Du jour, afin qu’i ne forvoye110. Il chante :
280 Las ! je ne puys aler la voye 111
Pour rencontrer le myen amy.
Las ! je ne puys aler la voye.
Et sy, ne puys parler à luy.
Cestuy-là qui n’entre par l’huys
285 En l’estable de la bergerye 112,
Il y a quelque cas 113 en luy,
Puysqu’il ne veult entrer par l’uys.
De belle nuyct, il [faict saillie] 114
Par-dessus la massonnerye 115,
290 Et ne veult pas entrer par l’uys
En l’estable de la bergerye.
LA FEMME 116
Y revyent à sa rêverye :
Voécy bien chose nonpareille !
LE FILZ
Par Dieu, ma mère, la bouteille117
295 Ne fust jamais mal inventée :
Esse rien de l’avoir boutée
Là-dedens ainsy bien apoinct ?
LE VOÉSIN
Sy est, car el(le) ne branle poinct :
Y n’est, au monde, rien plus ferme.
LE FILZ
300 Elle ne branle grain ne lerme118 ;
Il semble qu’el soyt chymentée119.
Sy la Foy fust ainsy artée120
En l’esprist de toute personne,
La Foy seroyt [et] juste et bonne ;
305 On n’yroict poinct à reculons.
LE VOÉSIN
Que voulez-vous ? Sont « papillons121 »
Qui ont sentu le renouveau122.
LE FILZ
Tout cest enseignement nouveau
Ne nous profite123 de deulx melles.
310 De quoy servent tant de libelles
— Tant en françoys comme en latin —
Disant124 qu’on chante trop matin ?
On dict que ce n’est pas bon signe.
LE VOÉSIN
Je prens congé de vous, voésine.
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315 Seigneurs, pour la conclusion,
Servons Celuy qui tous domyne
De toute nostre affection.
Fuyons nouvelle invention,
Qui est dangereuse et perverse :
320 Ce n’est que toute abusion125.
Atendez, vous aurez la Farce.
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FINIS
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1 Sur l’utilisation du théâtre dans les polémiques religieuses, voir la notice des Povres deables. 2 LV ajoute : ou iiii (Au-dessus de la ligne, il ajoute : ou a v) 3 C’est le fils de la Mère, et peut-être celui du Voisin, qui s’occupe de lui paternellement. Son rôle est tenu par un Badin : les Badins, de par leur proximité avec les fous, peuvent distiller quelques vérités que les acteurs ordinaires ne pourraient pas dire. Voir la définition de lui-même que donne le Badin des Sobres Sotz. LV ajoute : et la bergere 4 Beaucoup de farces commencent par le 1er vers d’une chanson à la mode qui rime avec le 1er vers de la pièce : les Mal contentes, Colin qui loue et despite Dieu, le Dyalogue pour jeunes enfans, etc. Notre copiste n’a pas gardé la chanson initiale, qui ne devait plus être à la mode quand il officiait (~ 1575). Pour que le 1er vers ne reste pas orphelin, j’en ai pioché une dans le recueil de Brian Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. II, p. 259. 5 Que les autres femmes sont heureuses ! 6 Qu’il est impossible que je ne perde pas la vie. 7 Avec. 8 De vous raconter une chose. 9 Mit cette bouteille dans cette éclisse. Pour protéger les bouteilles de bon vin, on tressait tout autour un treillis en osier : « Une bouteille clissée pleine de vin breton. » (Tiers Livre, 45.) Le Fils — qui, comme tous les Badins, comprend tout à l’envers — croit qu’on a introduit la bouteille dans une éclisse déjà faite. Le « vaisseau » désigne, comme au vers 26, une bouteille en terre cuite : « Flacons, potz et vaisseaulx. » (Les Sotz escornéz.) Les amateurs d’anachronismes ont vu dans ce vaisseau une maquette de bateau. 10 Le goulot de l’éclisse. 11 Si la bouteille n’était pas en terre cuite mais en verre, un fondeur de verre aurait pu la souffler à l’intérieur de l’éclisse. 12 Te préoccuper. 13 Deux marches d’escalier. « Les passes à degré de pierre. » ATILF. 14 Un silence. 15 Je ne sais pas ce qui se passe. Même vers dans Frère Frappart, dans le Prince et les deux Sotz, etc. 16 On ignore la profession du Voisin ; mais s’il est qualifié de Maître, il ne garde pas des oies, contrairement à ce qu’insinue le vers 212. Le fait qu’il entre sans frapper chez une veuve laisse croire qu’il est son amant. 17 Le bienvenu. 18 Je vous l’affirme. 19 Vers manquant. J’emprunte le vers 125 de la Confession du Brigant. 20 Les Normands prononçaient « avaines », d’où l’homophonie approximative sur « peines ». 21 LV : scauoir (à la rime.) Avant de prendre les mesures nécessaires. 22 Quelle profession. Idem vers 192. 23 LV : le filz 24 Avant. 25 Il entra en guerre contre son père, le roi David. Le théâtre use souvent du décasyllabe dans ses emprunts aux légendes bibliques ou mythologiques, et dans les envolées prophétiques. 26 LV : y fust pendu sans cordes ny cordelles (Sa longue chevelure s’accrocha aux branches d’un arbre, et les soldats du roi le tuèrent. « Ou aux cheveulx, comme Absalon, pendus. » Villon.) 27 De son propre chef. 28 Avant d’avoir des ailes. « Qui cuydent sans elles voller. » Le Clerc qui fut refusé. 29 Vers manquant. N’as-tu rien de plus intéressant à nous dire ? « –Sces-tu rien ? –Comme quoy ? –Nouvelles./ –Se l’en povoit voller sans elles. » Les Vigilles Triboullet. 30 Vers manquant. J’emprunte le vers 471 de l’Arbalestre. 31 En secret, en particulier. 32 Un peu aigre. Ce roi d’Égypte poursuivit les Hébreux jusqu’à la mer Rouge, qui s’ouvrit pour les laisser passer : l’Éternel, se prenant pour le dieu Éole, avait soufflé du vent pour écarter les flots. 33 LV : sa puissance (Son armée et sa Cour. « Des plus grans de son hostel et de ceulx de son privé conseil. » E. de Monstrelet.) 34 LV : netoise 35 Cette chanson inconnue rappelle la scène du marchandage des pots dans Cautelleux, Barat et le Villain, vers 200-4. 36 LV : respondras tu aucune chouze (Voir le vers 183.) 37 Châtré. Les acteurs rajoutaient des vers dans les passages comiques, quitte à les rendre moins drôles. 38 Avant longtemps, nous aurons bien des choses à clarifier. Cette menace vise peut-être la conduite de la Mère par rapport au Voisin. 39 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire : cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 69. 40 Si l’on. Ou bien : Celui qui. 41 Influencé par les croyances de ses épouses étrangères, il passa pour idolâtre. « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon. 42 Y trouvez-vous quelque chose à quoi vous raccrocher ? 43 LV : et (Ses habitants avaient fait aux juifs de nombreux maux ; le prophète Jonas les contraignit à s’en repentir.) 44 Qu’un père devenu protestant cherche à outrager son fils resté catholique. Ces drames familiaux trouveront leur apogée dans l’affaire Calas. Bien sûr, le fanatisme était aussi virulent du côté des pères catholiques dont le fils devenait luthérien. 45 Qu’on ait séparé à l’aide d’un crible le bon grain catholique de l’ivraie protestante. 46 Un sou. « Tu n’y gaignes pas une maille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 47 Coupez et séchez la fougère. Chanson inconnue. 48 Elle reprendra si on la plante. 49 LV : le (Changer le temps présent de plusieurs manières.) 50 Honte, cause de reproches. Idem vers 130. 51 Qui ne savent rien. « Je n’y entens ne fa, ne my. » Raoullet Ployart, et le Mince de quaire. 52 Pour peu qu’il sache lire son bréviaire. 53 Celui. Le fils contemple à nouveau sa bouteille. 54 De faire passer la bouteille par l’ouverture étroite de l’éclisse. 55 Longue pause : longtemps. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 828. 56 LV : asoty 57 Celui qui échappe à une tempête. « Souspris d’une fortunne/ En laquelle il ne peut passer. » (ATILF.) Ce proverbe bien connu possède une variante qui l’est moins : « Assez fait qui fortune passe, & plus encor qui putain chasse. » (Cotgrave.) 58 LV : acheua (« Eschever » est la forme normande d’« esquiver » : cf. le Ribault marié, vers 535.) Tobie esquiva cette chausse-trape. Dieu lui envoya l’archange Raphaël pour l’empêcher de posséder sa future épouse tant qu’elle était possédée par le démon. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 143-5. 59 LV : zacarye le (Le scribe n’a rien compris à cette histoire.) 60 LV : laquelle (« Que Raphaël fist à Thobye/ Une grant bénédiction. » L’Ordre de mariage et de prebstrise, F 31.) 61 LV : sa (« Quant est de la fille espouser. » Pour le Cry de la Bazoche.) 62 Qu’il viendra à bout de ses intentions. 63 Retors : des huguenots. 64 LV : ne seruent pas de (Qui ne suivent pas cette règle capitale.) 65 LV : imposse (Lui objecte.) 66 Ce qu’il y a. 67 La Mère secoue son fils, qui manque de lâcher sa bouteille. 68 Il s’en faut de peu. 69 Besoin. 70 Les gens de métier sont les artisans. 71 Il est temps. 72 LV : y (Voir le vers d’acteur qui précède.) Mais il faudrait être clerc, c’est-à-dire apprendre le latin. 73 « Avé salus ! Dominus pars ! » Les Trois amoureux de la croix. 74 In manus. Le clerc inculte d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre commet la même faute : « Je sçay bien mon Rétributor,/ Mon Imanus. » 75 Nouvelle faute pour Dominus : « Ne diront-y Domynus pars ? » La Réformeresse. 76 Je sais trois quarts de choses en plus. 77 L’ancien curé. Est-ce un nom réel ? 78 Je suis un gros mangeur. 79 LV : esluyre (Et aussi, je sais bien trier les pois. « Ce sont de mestres poys…. / Y n’y a qu’eslire. » L’Homme à mes pois.) 80 Je vais. 81 Et aussi, et même. Idem vers 206 et 283. 82 Garder les oies n’exige aucun génie particulier, comme en témoigne le clerc stupide d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre. 83 LV : redet (Le fils rit, non loin.) 84 Auxquels. 85 Ils vendent des pèlerinages, comme le curé du Pèlerinage de Saincte-Caquette. La coquille Saint-Jacques est l’emblème des pèlerins. 86 Ce mot normand, qui désigne une tranche de pain, est souvent minoratif : Il n’y a pas une miette. « Drille ne gagnay de cest an. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 87 LV : gras (C’est une chose certaine.) 88 Cet étonnement n’est là que pour donner la réplique au Badin : le Voisin a lui-même pourfendu l’ignorance des prêtres aux vers 148-157. 89 Ce suppléant du curé pouvait dire la messe en l’absence du titulaire de la cure. Les curés qui avaient obtenu plusieurs cures afin d’encaisser plusieurs bénéfices ne visitaient pas souvent leurs églises. 90 La responsabilité. 91 Du bénéfice ecclésiastique : abbaye, cure, etc. Voir les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content. 92 À sa place. 93 LV : preuant (Que le desservant : celui qui assure le service divin.) 94 LV : de (Il faudra totalement défrayer.) 95 Depuis. 96 L’ordre que fait régner une bonne administration. 97 Contraction normande de « avez-vous ». 98 LV ajoute dessous une réplique du Voisin : pour tout vray 99 Cupidité. Encore un personnage de moralité : cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 31. 100 Consumée, détruite. Idem vers 265. 101 De vider les lieux, de partir. Idem vers 267. 102 Sans qu’elle ne le détruise tout. 103 À juste raison. 104 C’est de circonstance. 105 La Justice a les yeux bandés. 106 Je redoute qu’elle ne tergiverse. 107 Qui conduit une charrette. 108 Quelque chose. Les rues, n’étant pas éclairées, dissimulent des trous et des obstacles. 109 LV : voyee (« Voi-e » compte pour 2 syllabes.) Par les voies, les plaines et les terres en friches. 110 LV : foruoyee (Je corrige aussi la rime voyee aux vers 280 et 282.) Afin qu’il ne se fourvoie pas. 111 Aller mon chemin. Cette chanson de bergère — un genre très prisé des citadins — a fait croire au copiste que la distribution s’était enrichie d’un personnage de bergère. 112 « Nous édifierons icy des estables de bergerie pour noz troppeaux. » Bible de 1535. 113 Il y a un problème. 114 LV : va saillir (En pleine nuit, il en sort.) 115 En sautant par-dessus le mur. 116 Elle n’est pas intervenue dans les 72 vers de la conversation « sérieuse » entre les deux hommes. 117 LV : boutaille (La rime est en -eille, comme aux vers 137 et 187.) 118 Ni grain, ni larme : pas du tout. C’est l’équivalent du « ni grain, ni goutte » du vers 227. 119 Cimentée (prononciation normande). 120 Arrêtée, fixée. Syncope normande ; cf. l’Homme à mes pois, vers 335. 121 Des papistes. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 539 et note. 122 Qui ont senti un vent de Réforme. 123 LV : profitent (Ne nous profite pas plus que deux nèfles.) 124 LV : depuys (Les protestants reprochent aux moines, qui se lèvent aux aurores pour chanter les matines, de réveiller « tout leur voisinage à force de trinqueballer leurs cloches », comme le dit Rabelais.) 125 Tromperie. Ce vers apparaît notamment dans la Ballade des seigneurs du temps jadis, de Villon.
PERNET QUI VA À L’ESCOLLE
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PERNET QUI VA
À L’ESCOLLE
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Écrite au début du XVIe siècle, cette pochade d’écoliers servira de socle à une farce beaucoup plus fine, D’un qui se fait examiner pour estre prebstre : on y reconnaît un grand nombre de vers, dits par les mêmes personnages. Il est probable que ces deux pièces d’auteurs différents étaient au répertoire d’un collège rouennais.
Source : Recueil du British Museum, nº 46. Édité à Paris vers 1532, par Pierre Sergent. L’imprimeur, tout comme celui de Légier d’Argent, a mélangé les folios de son manuscrit de base sans même s’en rendre compte (voir l’illustration) ; il a disposé les vers dans cet ordre : 1-25, 191-205, 45-190, 26-44, un folio sauté, 206-218. La farce de Pernet qui va au vin, nº 12 du même recueil, n’a aucun lien de parenté avec celle-ci.
Structure : Rimes plates. Les farces où les acteurs ont gonflé leur texte présentent des rimes identiques, et des troisièmes rimes, c’est-à-dire des groupes de trois vers qui riment ensemble.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse à trois
personnaiges, de
Pernet qui va
à l’escolle
*
C’est assavoir :
PERNET
LA MÈRE
LE MAISTRE
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PERNET.
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PERNET commence [en chantant] SCÈNE I
Per omnia sécula séculorum ! Amen ! 1
Sursum corda ! Habémus papam 2 !
Qu’en dictes-vous : suis-je curé ?
Et ! par mon serment, je ne sçay.
LA MÈRE DE VILLAIGE 3
5 [Tel père, tel filz]4, on dit bien vray :
Mon filz chante desjà la messe.
Et ! par bieu, il sera desjà évesque
(Je le sçay bien certainement),
Voire, s’il vit bien5 longuement.
10 Aussi l’avois-je bien songé6.
Regardez comme il est changé,
Depuis qu’il fut mis à nourrice.
Tout ce qu’il faict luy est propice,
Et si, faict [desjà fort]7 de l’homme.
15 Je cuyde que d’icy à Romme,
Il n’y a ne beste ne gent
Qui ayt si bel entendement
Comme il a, [vous] le voyez tous8.
[Çà], Pernet, que je parle à vous !
20 Il vous fault aller à l’escolle9.
PERNET
Regardez, ceste poire est elle molle ;
Ma mère, ne vault-elle rien ?
LA MÈRE
Au fort, estudiras-tu bien ?
Mon filz, par ta foy, qu’en dis-tu ?
PERNET
25 Ouÿ, en parchemin velu. 10
Vous m’y verrez bien tost clargon11.
Mais que j’aye mon chat Mignon12,
Je le mèneray avec my13.
LA MÈRE
Par ma foy ! mon filz, si tu vy,
30 Je te feray14 une fois saige.
Ne seroit-ce pas grant dommaige
S(i) ung si beau petit filz mouroit ?
PERNET
Par bieu, ma mère, si seroit !
Il me convient avoir ung livre15.
LA MÈRE
35 [Et l’]16 escriptoire pour escripre,
Comme ont les clargons17 du Palays.
PERNET
Et ! ne suis-je pas johannès18,
Ma mère, aussi bien comme ilz sont !
LA MÈRE
Ouÿ, mon filz. Or, allons donc !
40 Il fault19 aller estudïer.
PERNET
Or que j’aye pour porter à disner
Ma mère, pour moy et pour mon animal20.
LA MÈRE 21
Sainct Copin ! tu ne dis pas mal.
[Or] tien, mon filz : voicy du pain.
45 Menge[-le] quant tu auras fain.
Voylà des pommes trois ou quatre.
PERNET
Ma mère, donnez-moy du lart :
Mignon en [menge avec]22 son pain.
LA MÈRE
Certes, il en aura demain.
50 Car j’en mettray encor ennuyt cuire.
PERNET 23
Or çà ! Me ser[vi]ray-je [d’ung] bas[ton]
Pour estudïer ma leçon ?
[Dea] ! je le sçauray tout courant24.
LA MÈRE
Voylà le Maistre là-devant.
55 Or sçais-tu quoy ? Fay bien du saige.
PERNET
Vous deussiez avoir ung fourmaige
Pour luy donner, [comme il convient]25.
LA MÈRE
J’en f(e)ray la sepmaine qui vient,
Et puis tu luy en porteras deux.
PERNET
60 Par ma foy ! ma mère, je le veulx
Que demourez ung tantinet26 :
[Jà verrez si grant clerc il est]27
Et si sçaura bien sa leçon.
LA MÈRE
Si feray je, ne te chaille28, non.
65 Il te fauldra parler latin.
PERNET
C’est de quoy j’ay si grant [be]soing29 ;
Mais je ne sçay comme il fault dire.
LA MÈRE
Et puis fault apprendre à escripre,
Car ces deux choses sont communes.
70 De quoy trancheras-tu tes plumes,
Que tu as prinses sur30 la nape ?
PERNET
De quoy ? Par mon serment ! la serpe
Me servira de canivet31.
LA MÈRE
Or allons doncques, c’est bien faict.
75 Il me fault tost parler à luy.
.
Dieu vous gard, Maistre ! SCÈNE II
LE MAISTRE D’ESCOLLE 32
Et vous aussi !
Qu’i a-il, m’amye, qui vous maine ?
LA MÈRE
Voicy mon filz, que vous ameine
Affin que [vous] le facez prebstre.
PERNET
80 Sainct Jehan, je ne le veulx pas estre !
Or allez, dame, j’ay33 despit !
M’avez[-vous] pas une fois dit
Que vous me voulez faire évesque ?
LE MAISTRE
Dea ! mon filz, [vous le serez, mais que]34
85 [Vous] estudïez de couraige35.
PERNET
N’aymez-vous pas bien le fourmaige ?
Ma mère vous en f(e)ra demain.
Et ! l’en vécy dedans mon sain36 :
En voulez-vous ung morcelet ?
LA MÈRE
90 Vrayement, tu es ung fol parfaict !
Il te fault dire ta leçon37.
Que [feras-tu]38 de ce baston ?
Certes, je croy que tu es yvre.
PERNET laisse son baston.
C’est pour toucher dessus mon livre ;
95 Que sçav’ous que c’est [que] de bien39 ?
LE MAISTRE
Laissez, mon filz, il40 ne vault rien ;
Il souffira bien de cecy.
[Il luy donne] ung festu.41
Où est vostre leçon ?
PERNET
Icy.
[Il monstre son livre] tout au fin commencement.42
LE MAISTRE 43
Or, dictes doncques ! [Que lisez ?]
PERNET
100 « Croisette de par Dieu44. »
LE MAISTRE
Après ?
PERNET
« A. »
LE MAISTRE
Après ?
PERNET
« A. »
LE MAISTRE
Encor ung.
PERNET
« A. »
Et ! que dyable il y en y a45 !
[Long temps a]46 que je le sçay bien.
Je le sçavoye desjà bien
105 Quant je fuz batu de mon père ;
Je crioye : « A ! A ! [A !] ma mère,
Je vous prie, venez-moy deffendre ! »
LE MAISTRE
Çà, mon filz, achevez de rendre47.
PERNET
Et ! que vous ay-je desrobé ?
LE MAISTRE
110 (Me voicy trèsbien arrivé48 !)
Parachevez vostre leçon.
PERNET
Ma foy ! je ne suis point larron,
Je le vous dy à ung brief49 mot.
LE MAISTRE
Quel(le) lettre esse-là ?
PERNET
Je [n’oys mot]50 ;
115 Demandez-le donc à ma mère.
LE MAISTRE
« B 51. »
PERNET
Sainct Jehan ! il ne m’en chault, voyre,
[Car] je viens tout fin droit52 de boire ;
Je ne puis boire si souvent.
LA MÈRE
A ! il dit vray, par mon serment !
120 Maistre, monstrez-luy en son livre53.
Je ne vueil point que [le] facez yvre :
Il boit assez avec[ques] nous54.
LE MAISTRE
Non feray[-je], non, taisez-vous.
Mais me voulez-vous faire acroire
125 Que je le vueil prier de boire ?
Dictes ceste lettre, icy : « B. »
PERNET dict 55 ceste lettre icy :
« B. »
LE MAISTRE
Après, [encore avez] « C 56 ».
PERNET
Et ! j’ay le dyable si j’ay soif !
Je ne sçay, moy, où vous pensez.
LA MÈRE
130 Ha ! Maistre, vous le me gastez :
Ne luy parlez que de boisson57.
LE MAISTRE
Non fais-je, bon gré sainct Symon !
Depuis le temps de sainct Martin,
Je ne vey aussi dur engin
135 Comment58 il a, par mon serment !
LA MÈRE
Ha ! il a bel entendement59,
Il (y) a long temps que le60 congnois.
Aulcunesfois, [si] je m’en vois61
Et laisse [mon filz] à l’hostel62,
140 Il faict de la table ung autel
Et chante le Per omnia.
Vous diriez, [en voyant]63 cela,
Qu’il s[er]oit digne d’estre pape.
[Mais] il met aussi bien la nappe
145 À l’heure qu’il [nous] fault disner64.
LE MAISTRE
Laissons tout, c’est assez jase[r].
Quel(le) lettre esse-là, [s’il vous plaist] ?
PERNET
Illa65 ?
LE MAISTRE
Voyre, là.
PERNET
C’est un…
LE MAISTRE
« D 66 ! »
PERNET
Et ! sainct Jacques, il n’est pas vray !
150 Ma mère, il dit que c’est ung doy.
Mais vous semble-il qu’il n’est pas vray ?
Il n’est pas ainsi faict que le mien.
LA MÈRE
Nostre Dame ! Maistre, il dit très bien ;
Il congnoist mieulx que vous ne faicte(s).
LE MAISTRE
155 Vrayement, il la baille bien verte67 !
Or bien, après, j’en suis content68.
[Dictes ceste lettre, à présent :]69
« E. »
PERNET
« E. »
LE MAISTRE
Après ?
PERNET
« F. »
LE MAISTRE
« G. »
PERNET
« G. »
LE MAISTRE
« H. »
PERNET
Elle est à l’hostel, nostre hache :
160 Mon père en veult70 fendre du boys.
LE MAISTRE
Je suis content pour ceste foys.
[Dictes après !]
PERNET
« I 71. »
LE MAISTRE
« K. »
PERNET
Ung cat72 ?
Par bieu, vous mentez de cela !
Il n’est pas faict ainsi comme le myen :
165 Mignon [parle], et [c]il73 ne dit rien ;
Il ne sçait point menger de lart.
LE MAISTRE
Or dictes après, maistre Quoquart74 !
« L. »
PERNET
Une aelle75 ? Mais de quel oyseau ?
Ce n’est pas celle [d’ung moineau]76.
LE MAISTRE
170 Voicy bien pour devenir moine77 !
Or çà quel(le) lettre esse icy ?
PERNET
« M. »
LE MAISTRE
« N. »
PERNET
Ung78 asne ? Et où sont les oreilles ?
Par bieu, vous me dictes merveilles !
Mais qui en veit onc ung ainsi faict ?
LE MAISTRE
175 Je suis content qu(e) ainsi [il] soit79.
Disant 80 tousjours :
« O. »
PERNET
Et quel os81 est-ce ? De mouton ?
LE MAISTRE
Après, après ! Ce pas passon82.
[« P. »]
PERNET
P[et83 ? Je ne l’ay entendu.]
LE MAISTRE
« Q. »
PERNET
Fy ! il y parle du cul :
180 Ma mère, il dit la paillardise !
LA MÈRE
Par bieu ! quelque chose qu’il dise84,
Maistre, vous estes ung ort villain !
LE MAISTRE
(Certes, je respondray en vain ;
Il fault trop mieulx85 que je me taise.)
185 Mon filz, sans faire [plus] grant noyse,
Allez [là embas vous asseoir]86.
PERNET
[À mon chat donray]87 à menger,
Pour88 qu’il ne m’esgratigne point.
LA MÈRE
À vostre advis, aprent-il point
190 Suffisamment, pour son jeune aage ?
LE MAISTRE
Il aprent si bien que c’est raige89 !
Voyez vous bien comment il prent grant peine.
LA MÈRE
Adieu jusqu(es) à l’autre sepmaine,
Maistre ! Je le vous re(s)commande.
LE MAISTRE
195 J’en prendray peine si trèsgrande
Qu’il deviendra homme de bien.
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PERNET SCÈNE III
Sainct Jehan ! je m’en vois aussi bien90 :
Ma mère, dea, attendez-nous91 !
LE MAISTRE
Se g’y vois92, vous aurez des coups !
200 Venez rendre la seconde foys93.
PERNET
Ma leçon ?
LE MAISTRE
Vous parlez françoys ;
Mais, Dieu, il fault parler latin94 !
PERNET
Égo, vultis95 ? Par sainct Copin !
Eccé desjà librus méus96.
LE MAISTRE
205 Or avant, doncques ! Dicamus97 !
PERNET
………………………………….. 98
……………
LE MAISTRE
« Z. »
PERNET
« Et 99. »
LE MAISTRE
« Cum 100. »
PERNET
Allez, villain ! Par sainct Symon,
Vous estes plain de vitupère !
Av’ous parlé du con ma mère101 ?
210 Mais, par sainct Jehan, je luy vois dire102 !
.
LE MAISTRE SCÈNE IV
Sainct Jehan ! ce lourdault me faict rire.
Mais ne regard[er]ez-vous pas
Comment il est fort103 à instruire ?
Par bieu, c’est ung terrible cas !
215 Nous vous prions [que], hault et bas104,
Pardonnez aux gentilz enfans105
De ceste ville qui ces esbatz
[Qu’]ont voulu faire en passant temps.
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FINIS
*
1 Par tous les siècles des siècles. Pernet chantera encore ce Per omnia dans D’un qui se fait examiner, vers 141. Je ne signale les nombreux vers communs aux deux farces que dans la seconde, qui les emprunte à la première. 2 BM : a domine (« Sursum corda ! Habemus ad Dominum. » Élevons nos cœurs ! Nous les élevons vers le Seigneur.) Habemus papam = Nous avons un pape. Cette proclamation annonce qu’un nouveau pape est élu. Pernet mélange deux exclamations différentes. Papam et amen riment en -an. 3 La mère parle au public. Dans Colinet et sa Tante, qui exploite le même thème que notre farce, la tante est elle aussi « habillée en femme de village », c’est-à-dire en fermière. 4 BM : Et par mon ame (D’un qui se fait examiner nous révélera que Pernet est le fils du curé.) Sur le phénomène des troisièmes rimes, voir ma notice. 5 BM : guere — D’un qui se fait : bien (S’il vit assez longtemps pour réussir à apprendre le latin.) 6 La mère de Maistre Jehan Jénin a elle aussi des songes prémonitoires concernant son petit génie : « –Puis j’ay songé (…) que j’avois mittres et croces/ Tout enmy mon ventre…./ –Je seray évesque, c’est fait ! » 7 BM : fort desia — D’un qui se fait : desia fort 8 BM : vous 9 Afin de rentabiliser ce don de Dieu. Les écoles étaient tenues par des hommes d’Église. 10 Sur un pubis féminin. « J’ay hanté les escoles,/ Et souvent visité et leu/ Le livre au parchemin velu. » (Sermon de sainct Frappecul.) Ce vers et le précédent sont des ajouts d’acteurs : Pernet ne s’intéresse pas encore au sexe. 11 BM : aprins (Clergeon, petit clerc. Idem vers 36.) BM, s’apercevant qu’il est perdu, répète au-dessus la rubrique : pernet 12 BM : meaulin (Beaucoup de Sots et de Badins possèdent un chat ; voir la note 20 de Tout-ménage.) Le chat de Pernet s’appelle Mignon <vers 48 et 165>, qui dérive de minon. « Minon, minon : voix pour appeller un chat. » (Antoine Oudin.) Ce mot a donné « minou ». 13 Forme normanno-picarde de « moi ». 14 Je te rendrai. 15 La mère donne à Pernet un abécédaire : grâce à l’imprimerie, on en trouvait un dans presque toutes les maisons. 16 BM : Il a (Elle lui donne l’écritoire de son père, le curé. Dans Jénin filz de rien, le curé offre lui-même son écritoire à son fils.) 17 Les clergeons, les clercs des procureurs du Palais de Justice. 18 C’est le prénom Jean latinisé. On attribue ce nom péjoratif aux clercs qui maîtrisent mal leur érudition. Le clerc de la Nourrisse et la Chambèrière porte ce nom : « C’est Johannès,/ Si semble, à tout son escriptoire. » 19 BM : te vault 20 BM : chat 21 Elle garnit la musette de son fils. 22 BM : mengera auecques (Voir les vers 165-6.) 23 La mère, le fils et le chat quittent la maison. En chemin, Pernet ramasse un énorme bâton qu’il veut utiliser pour suivre les lignes de son livre : voir les vers 92-94. 24 Très vite. La mère, son fils et le chat entrent dans la classe aussi pieusement que dans une église. Le professeur trône en chaire. Les cours étant collectifs, il est possible qu’une poignée de collégiens aient tenu leur propre rôle en tant que figurants muets. 25 BM : du commencement (Cf. D’un qui se fait examiner, vers 90-91.) 26 Que vous restiez un peu avec moi pendant la leçon. 27 BM : Je verray bien sil est grant clerc (Vous verrez alors s’il est savant.) 28 Ne t’inquiète pas. 29 « Aussi en ay-je bon besoing. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 30 BM : soubz (Pernet écrit avec les plumes d’une oie qu’il a mangée à table. D’un qui se fait examiner rappelle que c’est lui qui menait au champ la vieille oie de la ferme.) 31 De canif pour tailler le bec de mes plumes. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 193-6. Sarpe rime avec nape. 32 Dans la sottie du Maistre d’escolle, une mère vient constater les progrès scolaires de ses fils. 33 BM : par (Je suis déçu.) 34 BM : sera mesque (Pour peu que.) Dans ces rimes en paroxyton mises à la mode par les Grands Rhétoriqueurs, l’avant-dernier mot est tonique, et le dernier ne compte pas dans la mesure : « Du débat d’entre vous et elle./ Je le vous diray, mais tenez-le/ Sûr et secret. » (Le Pasté, F 19.) Voir la note 51 de Folconduit. 35 De bon cœur. 36 Pernet tire un vieux morceau de fromage de sa musette. Tant qu’il y est, il sort un litron et en boit quelques gorgées (vers 93 et 117). 37 Pernet a donc révisé dans son livre avant de venir en cours. Il ouvre ce livre, et applique son bâton sur la page. 38 BM : veulx tu faire (Voir la note 23.) 39 Que savez-vous de ce qui est bien ? « Tu ne sçaurois sçavoir que c’est que de mal si tu ne l’as gousté. » Bénigne Poissenot. 40 Cela. 41 On suit les lignes du livre avec un des fétus de paille dont le sol de la classe est jonché. 42 Au tout début. L’éditeur semble avoir intégré des didascalies au texte. 43 Il montre à Pernet la première page, où est dessinée une croix. 44 La « Croix de par Dieu » est un abécédaire : cf. Troys Galans et un Badin, vers 62 et note. Le lecteur de l’abécédaire doit d’abord prononcer les mots « croisette de par Dieu » tout en se signant. 45 Qu’il y en a ! Ces trois « A » correspondent à une majuscule gothique, à une minuscule gothique et à une lettre ronde. 46 BM : Il y a long temps (Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 424.) Il y a longtemps que je connais bien cette lettre. 47 De restituer votre leçon. Idem vers 200. Cf. Folconduit, vers 63. Pernet comprend : De rendre ce que vous m’avez volé. 48 Je suis vraiment bien tombé ! Cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 689. 49 BM : brife (En peu de mots. Cf. les Sotz escornéz, vers 347.) 50 BM : ne scay: (Je ne peux en ouïr un seul mot : je n’y comprends rien.) L’auteur scande toujours « quel lettre ». 51 En normand, -oi se prononce -é , d’où les calembours qui vont s’accumuler : B = bois (impératif du verbe boire). C = soif. D = doigt. À la note 33 de Troys Galans et un Badin, je publie un triolet normand où les monosyllabes sont remplacés par des lettres qui ont la même prononciation qu’eux. 52 En droite ligne ; voir la note 36. « Il m’ira tout fin droit tuer. » (Les Frans-archiers qui vont à Naples.) En Normandie, « baire » rime avec « vaire » et avec « mère ». Sur le phénomène des troisièmes rimes, voir ma notice. 53 Contentez-vous de ce qui est dans son livre. 54 À la maison. 55 BM : Dictes (L’éditeur répète le vers précédent.) 56 Pernet comprend : Après, vous avez encore soif. 57 BM : sa lecon. (Boisson = alcool. « Voylà de la boisson :/ N’espargnez pas ce vin cléret. » Jéninot qui fist un roy de son chat.) 58 Comme. Engin = esprit. Mais ce « dur engin » devait faire pouffer les collégiens, tout comme le « bel engin » de Maistre Mimin estudiant. 59 Ce mot qui symbolisait le pénis ne devait pas calmer les rires des collégiens : « Je les mettray en ma braguette…./ J’ay un si bel entendement ! » L’Amoureux. 60 BM : ie (Que je le sais.) 61 Si une fois je m’en vais. 62 À la maison. Idem vers 159. Le gag de l’autel dressé sur la table avec du linge de maison et des ustensiles de cuisine sera mis en pratique dans D’un qui se fait examiner. 63 BM : quant a 64 Il ne met pas la nappe sur la table seulement pour en faire un autel : nous dînons dessus. 65 Mot latin signifiant : « Par là. » Cf. la Farce du Pet, vers 45. 66 Pernet et sa mère comprennent « un doigt ». Ils savent que le dé à coudre n’est rien d’autre qu’un doigt à coudre. 67 Il me la baille belle. « Ung tour nous a baillé trop vert. » Le Munyer. 68 Je m’en contenterai. Même soupir résigné aux vers 161 et 175. 69 Vers manquant. Je le reconstitue d’après le vers 126. 70 On pourrait lire « seult », du verbe souloir : Il a l’habitude de. « Femme qui fornique/ Seult faire à son mary la nique. » Jehan Le Fèvre. 71 Le I latin représente à la fois le « i » et le « j ». 72 BM : cas (En Normandie, cat = chat : « Un cat qui guaite un plat de tripes. » La Muse normande.) 73 Celui-ci. « Cil ne dit mot. » Du Fotéor. 74 Personnification de l’imbécile. Cf. la Pippée, vers 34, 185 et 419. Dans le Prince et les deux Sotz, le prince porte ce nom. 75 Une aile. 76 BM : de nostre veau 77 BM : fol (Se faire moine : Quitter ce monde de fous.) Jeu de mots sur le moineau du vers précédent. 78 BM : Une (Le N se prononçait comme « âne », y compris dans la région parisienne.) 79 Qu’il en soit ainsi. 80 BM : Disons 81 Les Normands disaient « un o », comme nous disons au pluriel « des o ». Cf. Jehan de Lagny, vers 36. 82 Laissons de côté ce mauvais pas. 83 Il n’est pas envisageable que l’auteur ait omis une lettre aussi tentante. D’ailleurs, l’imprimé comporte une lacune à cet endroit. 84 Quoi que dise mon fils. 85 Il vaut bien mieux. 86 BM : vous seoir la embas (Assoèr rime avec mangèr, à la manière normande : « Qu’il fault mortiférer sa chair./ Ne me venez plus tant preschair. » Moral joyeulx, LV 32.) Les élèves s’assoient par terre, au bas de la chaire magistrale. 87 BM : Bien ie donneray a mon chat (Pernet ouvre sa musette, boit un bon coup, et donne du pain à son chat.) Nous savons que de véritables chiens jouaient dans certaines pièces ; mais le chat étant moins docile, on le remplaçait probablement par une peluche. 88 BM : Affin 89 Que c’est un prodige. Le professeur flatte la mère parce que c’est elle qui le paye et qu’il n’a pas envie de perdre une cliente. Cela explique la patience résignée dont il fait preuve pendant les cours. 90 Je m’en vais aussi. 91 Nous : mon chat et moi. Pernet voudrait rejoindre sa mère, mais elle est déjà partie. 92 Si je vais vers vous. 93 Venez réciter (note 47) la seconde partie de votre leçon. Le vers est trop long. 94 Un maître d’école est censé donner le bon exemple, quand il n’est pas trop ignorant. 95 Moi, vous voulez (que je parle latin) ? 96 Voici déjà mon livre. 97 Disons = Parlez ! 98 L’imprimeur a sauté un folio du ms. de base au moment d’attaquer la dernière colonne de son édition. Nous étions à la lettre Q, nous voici à la lettre Z. 99 BM imprime ici l’abréviation de la conjonction latine « et ». J’ignore si Pernet la prononce à la française, « et », ou s’il accommode à sa sauce le mot « esperluette », qui désigne chez nous cette ligature. 100 BM imprime ici l’abréviation de la préposition latine « cum ». Cette fois, on est sûr que Pernet ne lui donne pas son nom officiel, 9 tironien, mais qu’il la prononce à la française : « con ». Le con désigne le sexe de la femme : cf. D’un qui se fait examiner, vers 278. Voici les abréviations de « et » et de « cum » telles que BM les imprime. 101 Génitif archaïque : du con de ma mère. 102 Je vais le lui dire. Pernet récupère son livre, son chat, sa musette, sa serpe et son bâton, puis il retourne chez lui. 103 Difficile. « Tant le Monde est fort à congnoistre ! » Le Monde qu’on faict paistre. 104 Que vous soyez sur une chaire comme les professeurs, ou assis par terre (vers 186) comme les élèves. 105 Aux collégiens. Ou, s’ils ont repris cette farce, aux Conards de Rouen, qui se qualifient eux-mêmes d’ « enfants de ville » dans leurs Deulx soupiers de Moville (LV 66).
D’UN QUI SE FAIT EXAMINER POUR ESTRE PREBSTRE
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*
D’UN QUI SE FAIT
EXAMINER POUR
ESTRE PREBSTRE
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Le thème de « l’enfant mis aux écoles1 » faisait rire le peuple, même si ce peuple n’était guère plus instruit que les ignorants aux dents longues dont il riait. Cette farce normande, écrite dans le premier quart du XVIe siècle, est un modèle du genre : un petit paysan se satisfait de garder les oies et de baragouiner son patois ; mais sa mère veut en faire un prêtre ou même un pape, et transforme l’idiot du village en parfait abruti. Quand ce dernier se retrouve devant l’examinateur, le vernis latin craque, et le naturel revient au galop.
Nous avons là une de ces farces de collège2 que les apprentis latinistes jouaient à l’occasion de certaines fêtes. Nous savons que l’obscénité, la scatologie et l’anticléricalisme y étaient bienvenus : voir par exemple Maistre Jehan Jénin, ou la Résurrection Jénin à Paulme.
Sources : Recueil du British Museum, nº 45 : « La Mère, le Filz et l’Examinateur. » Le vrai titre est sous la vignette : « D’un qui se fait examiner pour estre prebstre. » Publié à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550. — Manuscrit La Vallière, nº 58 : « La Mère, le Filz (lequel veult estre prestre) et l’Examynateur. » Copié à Rouen vers 1575, peut-être d’après un exemplaire de l’édition Chrestien. Aucune de ces deux adaptations tardives n’étant publiable en l’état, je prends pour base l’édition BM, et je la corrige tacitement sur le manuscrit LV, quand il résout un problème sans en créer un autre.
Structure : Rimes plates. Beaucoup de rimes identiques et d’assonances approximatives.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse
À troys personnages, c’est assavoir :
LA MÈRE
LE FILZ [Pernet] 3
et L’EXAMINATEUR
.
D’UN QUI SE FAIT EXAMINER
POUR ESTRE PREBSTRE.
*
LE FILZ commence en chantant 4 SCÈNE I
Bouriquet, bouriquet, Hanry bourilane !
Bouriquet, bouriquet, Hanry bouriquet !
Ma mère, ay-je pas un beau Moulinet 5 ?
Agardez6, je l’ay fait comme pour moy.
LA MÈRE
5 Las, que je suis en grand esmoy !
LE FILZ
[Et ! dictes-moy] pourquoy, ma mère.
LA MÈRE
Hé(e) ! Dieu ayt l’âme de ton père7 !
S’il eust vescu, t’eust fait grand homme.
LE FILZ
Il m’eust fait évesque de Romme,
10 C’est pour le moins, je l’entens bien.
LA MÈRE
Las ! qu’il estoit homme de bien,
[N’en desplaise aux villains jaloux.]8
LE FILZ
Nul n’en dit mal, si ce n’est vous,
Qui l’appellez [boiteux et] borgne9.
LA MÈRE
15 Tenez, regarde-le-moy à la trongne.
Jamais ne vis [chose ou personne]10
[Qui] mieulx ressemble11 l’un[e] à l’autre.
LE FILZ
Ma mère, il en fault trouver un autre.
LA MÈRE
Dis-moy où nous en trouveron.
LE FILZ, en chantant 12
20 Au Vau13, lure lurette !
Au Vau, lure luron !
Mon Dieu, que je suis vray huron14 !
Mais quand [bien je pense]15 à part moy,
Hé ! qui suis-je ? Encor je ne sçay.
25 M’a-l’on point escript aux Cronicques16 ?
Je me gaige que, sus méniques17,
Que j(e) y suis, avecq Bouderel
Ou avecq[ues] Jaquet Hurel18,
Car je suis homme de renom.
30 Mais sçav’ous point comme j’ay nom ?
« Chose », [a-l’on]19 bouté en escript !
Je fus né devant20 l’Antéchrist,
De cela me souvient encore.
Ma mère avoit nom Li[ber]nore21,
35 Et mon père, messir(e) Gaultier22,
Aux enseignes de son saultier23,
Qu’il me donna quand il fut mort.
LA MÈRE
Par Nostre Dame de Monfort !
Je croy que tu es matelineux24 ou yvre.
LE FILZ
40 Ma mère, çà, mon petit livre25 !
Quia égo volo iré ad Ordos26,
Affin que je soys sacerdos27
Devant qu’il soit la Penthecouste28.
LA MÈRE
Tu le seras, quoy qu’il me couste,
45 Puisque tu as volunté telle.
LE FILZ
Ma mère, quand esse ? [On frételle]29 ;
De cela30, vous n’en parlez point.
LA MÈRE
Ne t’en soucie que bien apoint.
Mais j’ay envie que tu soys prestre.
LE FILZ
50 Sainct Jehan ! aussi je le veulx estre,
Car j’ay assez estudié.
LA MÈRE
Aussi, il t’en est bon mestié31,
Car c’est une chose commune
Qu’on32 te demand(e)ra si la plume
55 Tu [ne] sçais très bien manier.
LE FILZ
La plume ? Sainct Gris, ouy !
Hé ! c’est[oit] mon premier mestier33 :
Je ne fis jamais autre chose,
Et quand j’aloys mener nostre Chose34…
LA MÈRE 35
60 Et, quoy ? Dis-le-moy vistement.
LE FILZ
Hé ! nostre grand vieille oye au(x) champ(s) ;
Souvent luy manioye la plume.
LA MÈRE
Vrayment, tu m’en bailles bien d’une !
Ce n’est pas ce que je [te] dis.
LE FILZ
65 Elle a de la plume[s], à mon advis ;
À tout le moins, ma mère, ce croy-je.
LA MÈRE
Jamais un sot ne sera saige36,
Au moins un pareil que tu es.
LE FILZ
Où avez-vous mis mon Donnest 37
70 Qu’aviez l’aultre ier38, dictes, ma mère ?
LA MÈRE
Vien çà ! Dy-moy : qu’en veulx-tu faire ?
LE FILZ
Que j’en veulx faire ? [Sainct Didier !]
Je veulx dedans estudier.
Ou autrement, je m’en iron39
75 Jouer à l’ombre d’un buisson40.
Entendez-vous, dictes, ma mère ?
LA MÈRE
Ce n’est pas ainsi qu’il fault faire ;41
Tu es un trèsmauvais garson !
Il fault bien estre plus sage.
80 Çà42 ! je m’en voys à la maison
De l’examinateur c’est le vicaire43.
LE FILZ
Hay, ma mère, dictes-moy que faire ;
Iray-je point o44 vous ?
LA MÈRE
Nenny.
LE FILZ
Et pourquoy ?
LA MÈRE
Parce que tu n’es c’un bémy45,
85 Et tu me ferois déshonneur.
LE FILZ
[Ma mère, à l’examinateur
Recommandez-moy]46, s’il vous plaist.
LA MÈRE
Tais-toy, car tu n’as [fors] que plest47.
Ne pense qu’à faire du sage.48
LE FILZ
90 Luy portez-vous point de fromage,
Pour luy faire quelque présent49 ?
LA MÈRE
Ha ! tu ditz vray, par mon serment !
En voilà, que luy porteray.
Et à luy te recommand(e)ray.
95 Aussi, je compteray ton affaire.
LE FILZ
Adieu vous ditz donques, ma mère !
Pause.
LE FILZ SCÈNE II
Aviser fault à mon affaire,
Pour me démonstrer homme sage.
Vestu je suis selon l’usage50.
100 Apprendre veulx comme il fault faire.
Saluer me fault ce vicaire
Tout aussi tost que le verray.
.
LA MÈRE 51 SCÈNE III
Dieu vous gard, Monsieur [le Curé] !52
L’EXAMINATEUR
Et vous, m’amye ! Qui vous ameine ?
LA MÈRE
105 Las ! c’est mon filz qui me démaine
Et me dit qu’il veult estre prebstre.
L’EXAMINATEUR
Possible. Est-il sage53 pour l’estre ?
Que ne l’avez-vous amené ?
LA MÈRE
Monsieur, je vous voulois ouÿr parler
110 Et sçavoir vostre volunté.
Mais je m’en retourne à l’hostel54
Et l’amèneray devers vous.
L’EXAMINATEUR
Allez doncques, despêchez-vous,
Ne demourez pas longuement !
LA MÈRE
115 Non feray-je, par mon serment !
[Je m’y en voys.] Adieu, Monsieur !
Je prie à [Dieu], Nostre Seigneur,
Qu’i vous donne55 joye et santé !
.
LE FILZ 56 SCÈNE IV
Je veulx faire cy un autel
120 Et chanter le Per omnia57,
En ce temps pendant qu’il n’y a
Que moy [tout] seul en cest hostel.
Et si, me fault apprester mon cas [tel]
Que je n[’en] aye fascherie.
.
LA MÈRE 58 SCÈNE V
125 Or çà, mon filz, Dieu te bénie !
LE FILZ
Et ! vous ma mère, que dictes-vous ?
LA MÈRE
Je pense que tu prieras pour nous59
Et pour ceulx qui te f(e)ront du bien.
LE FILZ 60
Qu’en dictes-vous ? Cela61 est-il bien ?
130 Ma mère, escoutez-moy chanter.
LA MÈRE
As-tu fait toy-mesmes cest autel62 ?
LE FILZ
Ouy dea, ma mère, Dieu mercy !
LA MÈRE
Las ! que tu as un bel esprit !
LE FILZ
Si63, fus-je fait au cymetière ?
135 Or m’escoutez chanter, ma mère :
Je diray un Per omnia.
LA MÈRE
Je pense qu’au monde il n’y a
Homme plus sçavant que tu es.
LE FILZ
Or escoutez-moy, s’il vous plaist.
LA MÈRE 64
140 Je t’escoute, par mon serment !
LE FILZ, [en chantant]
Per omnia sécula séculorum !! Amen !! 65
[Or] qu’en dictes-vous, voirement ?
[Une autre fois bien chanteray]66.
LA MÈRE 67
Par mon âme ! l’on dit bien vray68 ;
145 Mon filz chante deisjà la messe.
Et ! par Dieu, il sera évesque ;
Je le sçay bien certainement,
Voyre, s’il vit bien longuement.
Aussi l’avois-je bien songé69.
150 Regardez comme il a changé,
Depuis qu’il ne fut à nourrice.
Tout ce qu’il fait luy est propice,
Et sy, fait desjà fort de l’homme.
Je cuyde70 que d’icy à Romme,
155 Il n’y a [ne] beste ne gent
Qui ayt si bel entendement
Comme il a, [vous] le voyez tous71.
[Çà], mon filz, que je parle à vous !72
Il fault que tu soyes un curé.
LE FILZ
160 C’est bien dit. Il nous fault aller
Bien tost vers l’examinateur ;
Mais qui sera mon conduicteur ?
LA MÈRE
Moy, pour le plus honnestement.
LE FILZ
Or dictes-moy, premièrement,
165 Et m’enseignez comme dois faire.
LA MÈRE
C’est bien dit. Que je te voye faire73 !
LE FILZ
Monstrez-moy doncq premièrement.
LA MÈRE 74
Faire fault le pied75 gentement.
Et saluer Monsieur haultement.
170 Pas ne fault faire l’estourdy76.
LE FILZ
J’ay entendu ce qu’avez dit,
Ma mère, ne vous souciez point.
LA MÈRE
Chemine par bon contrepoint77,
Et te gouverne honnestement.
LE FILZ
175 Luy fauldra-il bailler argent78 ?
Car, par ma foy, je n’en ay point.
LA MÈRE
Je croy qu’il n’en demand(e)ra point ;
S’il en demande, il en aura.
Allons-nous-en veoir qu’il79 dira.
180 Au moins, il sçaura que tu scez dire.
LE FILZ
Je ne me pourray tenir80 de rire,
Agardez, tant je suis joyeulx.
LA MÈRE
Regarde-le faire entre deux yeulx :
Je croy que n’auras fain81 de rire…
185 Mais as-tu plume pour escripre ?
Et aussi ton escriptoire, [où est-elle] ?
LE FILZ
Baillez-moy l’autre, elle est plus belle ;
Car ceste-là ne vault plus rien.
LA MÈRE
Saincte Marye, tu dis bien !
190 Tien, la voicy ; metz-y tes plumes.
LE FILZ
Or, tout y est ; ne s’en fault82 qu’une
Que je mettray à mon oreille.
LA MÈRE
Prens ton ganif et l’appareille83,
Que tu escripves comme un pape.
LE FILZ
195 Hay ! Ma serpe, ma mère ! Ma serpe
Me servira de ganivet84.
LA MÈRE
Or allons doncques, c’est bien fait.
Il nous fault tost parler à luy.
Présente-toy tost devers luy,
200 Et le salue bien haultement.
LE FILZ
A, je l’avoys oublié, vrayment.
Il sera fait, sans y faillir.
Esse [pas il]85 que voys venir
Par ce chemin, si gentiment86 ?
LA MÈRE
205 Ouÿ, mon filz, par mon serment !
Va-t’en à luy honnestement,
Et le salue bien haultement.
Fais tout ainsi que je t’ay dit.
.
LE FILZ 87 SCÈNE VI
Je vous salue bien haultement,
210 Monsieur : ma mère me l’a dit.
L’EXAMINATEUR
Qui m’amaine cest88 estourdy ?
Pourquoy viens-tu ?
LE FILZ
Pour estre prebstre.
L’EXAMINATEUR
Ceinct89, tu es assez sot pour l’estre !
Viens-tu pour estre examiné ?
LE FILZ
215 Ita, per quidem, Dominé,
Si placéat vobis, modo.90
Car le jour de Quasimodo91,
Je chant(e)ray ma première messe,
Entendez-vous pas bien92 ?
L’EXAMINATEUR
Ouy dea ; qu’esse ?
LE FILZ
220 Je vous semons93, ne faillez pas :
Vous y aurez un bon repas.
Et si, vous mengerez du rost,
Voire, et si burez plus de trois potz,
Sur ma foy, du vin de la feste94.
225 Car puisque je l’ay mis en ma teste,
Il sera fait per quoniam95 !
L’EXAMINATEUR
Je ne vis onc(ques), de demy an96,
Un si grand sot, par sainct Victor97 !
LE FILZ
Je sçay bien mon Rétributor98,
230 Mon Imanus99, mon Quanterra100,
Vény Créato, Hora nonna.101
Et si, cognois toutes mes lettres.
J’en ay fait reus102 cent fois les maistres
De nostre escolle, sur mon âme !
L’EXAMINATEUR
235 Par la benoiste Nostre Dame !
Je croy que tu es matelineux ou yvre. 103
LE FILZ
Ma mère, çà, mon petit livre !
Quia égo volo disputaré.
Déclina michi « létaré »104 :
240 Je vous l’envoye105 de bout en bout.
L’EXAMINATEUR
Et puis, sera-ce tantost tout ?
Ton blason106 beaucoup me desplaist.
LA MÈRE
Examinez-le, s’il vous plaist.
L’EXAMINATEUR
Or çà ! Quo nomine vocaris107 ?
LA MÈRE
245 Il ne fut jamais à Paris,
Et si108, [il] est si antificque :
Il sçait toute sa Réthoricque
Courant comme son ABC.
LE FILZ
Par bieu ! je suis tout mort de soif109 :
250 Ma mère, çà, nostre bouteille,
Car je luy veulx tirer l’oreille110 !
LA MÈRE
Attens que nous soyons hors d’icy.
LE FILZ
[Instruisez-moy : qui a vécy]111 ?
Per fidem méam112, je n’en sçay rien.
L’EXAMINATEUR
255 Hé(e), que tu es homme de bien !
Vien çà, dis. Ad quam, amicé…113
LE FILZ
Or attendez que j’aye pissé,
Monsieur : j’auroy à cest heure114 fait.
LA MÈRE
Tu es un villain trèsparfait !
260 Que ne respons-tu sagement ?
LE FILZ
Mais qu’esse qu’il dit ? Voirement,
Per méam fidem, je n’en sçay rien115.
L’EXAMINATEUR
Ma foy, mon filz, tu ne scez rien ;
Tu ne sçaurois [parler latin]116.
LE FILZ
265 Égo, vultis117 ? Par sainct Copin !
Eccé desjà librus méus118.
L’EXAMINATEUR
Or avant, doncq[ues] ! Dicamus119 !
LA MÈRE
Sire120, il chante bien « Orémus ! » :
Car autresfois, quand je m’envoys 121
270 Sy122 le laisse seul à l’hostel,
Il fait de la table un autel
Et chante le Péromnia123.
Vous diriez, [en voyant]124 cela,
Qu’il seroyt digne d’estre pape.
275 [Mais] il met aussi bien la nappe
À l’heure qu’il nous fault disner125.
L’EXAMINATEUR
Laissons tout, [c’est assez jaser]126 !
Dy-moy, qu’esse ? Vadis127 mecum ?
LE FILZ
Allez, villain128 ! Par sainct Symon !
280 Vous estes plain de vitupère.
[Av’ous parlé]129 du con ma mère ?
A ! par ma foy, je luy voys dire130 !
.
L’EXAMINATEUR
Messieurs131, ce lourdault me fait rire
Tant, que c’est un merveilleux cas.132
285 Nous vous prions, tant hault que bas133,
[Que prenez en gré noz esbatz,]
[Si vous avons]134 aucun tort fait.
LE FILZ
Et qui se trouv(e)ra en tel cas,
Qu’il ne face pis que j’ay fait.135
.
FIN
.
*
LE VILLAIN ET
SON FILZ JACOB 136
*
………………………………..
LE VILLAIN
Je te requiers que tu y137 goucte ;
Il me tarde que t(u) y soie jà.
JACOB
Jà mauldit soit qui le fera !
Et puis me diroient cléribus138.
LE VILLAIN
5 Tu seras desvêtus tous nuz,
Se tu n’y vas de tom bon grey139.
JACOB
Tant que vive, ne le ferey.
Le diable [sur vous]140 puisse cheoir !
LE VILLAIN
Tu ne m’eschappes paz encoir,
10 Puisque je te tiens par la main.
JACOB
Vous y serez jusqu(es) à demain :
En ma vie je n’y entandray141.
LE VILLAIN
[Par] saint Jehan ! Je t’y pourteray ;
On verra qui(l) sera plus fort.
Pausa.142
15 À la mort ! À l’ayde143 ! À la mort !
Sanc bieu, qu’il a les dans aguë[s] !
Hélas, par ma foy, tu me tue[s] !
Laisse-m(oy) aller, tu n’yras pas.
JACOB
Or, levez144 le doy.
Or lèves le doy [le Villain].
…………..
………………………………. 145
20 ……….
LE VILLAIN
Saint Jehan ! non feray.
Tu ne m’aras pas pour tel, fis146.
Marchant147, puizque [vous] estes prins,
Vous y [serez porté]148 au sac
Toust à ceste heure.
JACOB
Nac149, nac, [nac] !
25 Encoir ne sommes-nous pas là.
LE VILLAIN 150
On verra qui plus fort sera.
Or çà, marchant, entres dedans !
JACOB
Par Dieu ! père, vous perdez tenpz :
Tant que vive, je n’y entrey151.
LE VILLAIN
30 Par Dieu ! doncques, je t’y bout(e)ray.
Or çà ! et l’eusse-tu juré152,
Entres !
JACOB
Vous avez beaul hué153 :
Ce ne sera huit154 ne demain.
LE VILLAIN
Puisque j’ay prins le fait en main,
35 Tu y155 viendras, ribon ribainne !
Ilcy, le charge sur ses espaule[s].156
JACOB
Vraiement, vous prenez grant paine
De chouse qui gaire ne vault.
LE VILLAIN
Ha ! Nostre Dame, qu’il fait chault !
J’ay heue cy une malvaise poincte157.
40 Ha, que le maistre fera grant plainte158,
Quant il verra mon filz Jacob !
JACOB
Encoir n’y suy-ge pas, siro159.
Je vous eschaulferey vostre eau160.
Ilcy le prant Jacob par 161 les orelles.
LE VILLAIN
Dea, Jacob, tu me fais courtaud162 !
45 Ce n’est pas fait163 de bon enffant.
JACOB
Or, vous déportez donc à tant164,
Ou je le[s] vous araicherey !
LE VILLAIN
Las ! mon filz Jacob, je ferey
Ce que vouldras165 ; n’an tires plus !
JACOB
50 Me quictez-vouz166 ?
LE VILLAIN
Ouy, par Jhésus !
Jamès [plus] ne t’an requiérey,
[Ny maistre ne te donneray.]167
Va, fait[z] du piz que tu pouraz.
Hélaz, mon trèsbeaul filz, hélas !
55 J’ay les oreilles dessirées168.
(Hélas ! or pers-je mes soudées169,
Se Jacob [ne] va à l’escolle.
Il [l]e fault prendre de parolle170
Doulcement : sy s’acordera.)
60 Jacob !
JACOB
Que voulez-vous ?
LE VILLAIN
Vien çà !
Beaul filz Jacob, je te suply171
Que face[s] ce que [je] t’ay dist.
JACOB
Quoy, siro ?
LE VILLAIN
Aller à l’escole.
Tu estoie jà172 escript ou rôle
65 De quoy on fait les cardinaulx.
JACOB
Il ne m’an chault pas de deux aulx173,
Par Dieu : je veulx garder les pors.
LE VILLAIN
Jacob, soies de mes acors174
Et je te donray du fromaige,
70 De la rotiecte175, que sai-ge,
Et des pommes dedans tom sac.
JACOB
Et quoy avec(que) ?
LE VILLAIN
Des nois aul flac176
Et ung gros cartier de fromaige.
Es-tu contant, Jacob ?
JACOB
Que sai-ge ?
75 G’y panseray sans dire mot(z).
Or, enplez doncque mom saichot177,
Et que j’aye la boutellecte178.
LE VILLAIN
Ho ! Jacob, par saincte Mamecte,
Tu auras ce que tu vouldras.
80 Tien, mon enffent. Or, va le pas179,
Et mez painne180 de bien apprandre,
Car vraiement, je veulx tout vandre
Pour toy fère clert181 excellant.
A Dieu. Filz Jacob, à Dieu vous commant182 !
[JACOB]
Tandis que le sac durera,
86 [Je feray tout ce qu’on vouldra.]183
LE VILLAIN
……………………………………
*
1 Voir Halina LEWICKA : Études sur l’ancienne farce française, pp. 32-46. 2 Voir la note 2 des Sotz escornéz. 3 Dans le recueil du British Museum, cette farce est suivie par une autre, Pernet qui va à l’escolle : on y reconnaît le personnage de la mère, et celui du fils, qui se nomme Pernet. Cette farce où Pernet ânonne l’alphabet précède la nôtre, qui en reprend de nombreux vers. On peut donc en déduire que le nom du fils est le même dans les deux pièces. 4 Hari bouriquet, chanson franco-provençale de Claudin de Sermisy. « Hari, bourriquet ! » est une injonction pour faire avancer les ânes. Elle est vite passée dans le registre érotique : « Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, c’en dessus dessoubz, c’en devant derrière, harry bourriquet ! Et desjà commençoyt exercer sa braguette. » (Gargantua, 11.) Le prénom Hanry doit viser un des magisters du collège rouennais qui créa cette œuvre. La copie LV rend au prénom son orthographe originale : « Bouriquet, bouriquet, Henry boury lane !/ Bouriquet, bouriquet, et Henry bouriquet ! » Pour se moquer d’un prêtre ainsi prénommé, les huguenots modifieront de la sorte ce refrain : « Le prestre se vest,/ Henri, Henri l’asne,/ Le prestre se vest,/ Henri bouriquet ! » (La Gabelle de la messe, ms. Cinq cents de Colbert 488.) 5 Bâton au bout duquel pend une vessie de porc emplie de pois secs, que les enfants et les Sots font tourner pour produire du bruit : cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 157. Je laisse aux érudits rouennais le soin de vérifier si la victime de cette chanson ne serait pas un certain Henry Mo(u)linet : de nombreux Normands portèrent ce nom. 6 Regardez, voyez. Même normandisme au vers 182. Pernet chante les deux derniers décasyllabes sur le même air. 7 Comme beaucoup de Badins, Pernet est le fils d’un prêtre. Cf. Jénin, filz de rien. 8 Vers manquant. 9 Je comble arbitrairement cette lacune d’après Lucas Sergent, bouéteulx et borgne. En tout cas, ce père n’était pas manchot : dans Pernet qui va à l’escolle (note 3), il bat son fils et il fend du bois à la hache. Borgne rime en -o(r)ne. 10 BM : chose — LV : personne (La mère observe son fils, qui a peut-être un bandeau sur l’œil.) 11 BM-LV : ressembler 12 Chanson inconnue ; voir H. M. Brown, nº 31. Le refrain imite une flûte, comme le confirme ce Noël : « De la fleûte, lure lurette. » Mais il pourrait s’agir d’une musette : « La cornemuse, avec lire lirette, lire liron, commence à fredonner plusieurs sortes de danses. » Histoire maccaronique de Merlin Coccaïe. 13 Nous vous trouverons un amant au Vau (au Val-de-Vire). Cette vallée normande fournira de nombreuses chansons à boire : « D’une chanson du Vau-de-Vire/ Le fault servir, à ce matin. » Actes des Apostres. 14 Sagouin. « Ce n’est q’ung sot,/ Filz de quelque huron saulvaige (…),/ Et c’est ung prestre de villaige,/ Ou le clerc de quelque vieil moyne. » (Guillaume Coquillart.) Pernet s’adresse au public. 15 BM : ie pense — LV : je pence bien (Mai rime avec sai, à la manière normande. Cf. Messire Jehan, vers 194.) 16 Dans la farce de George le Veau (BM 22), un orphelin en quête de parents demande au curé : « Av’ous point une croniquaille/ Pour y regarder ? » Il s’y choisit un père et une mère : « Voy-les-cy en droictes cronicques. » 17 Litote normande : « Sur mon âme ! » Cf. Jolyet, vers 38. La répétition de « que » au vers suivant est populaire. 18 Pernet, qui ne connaît personne en-dehors de son village, ne peut se comparer qu’à deux notables du cru. Ou aux deux cancres du collège. 19 BM-LV : ma lon point (Il va de soi que son père, le curé, n’allait pas l’inscrire dans le registre des baptêmes sous son propre nom.) « Chose » est un pseudonyme pratique : voir le v. 96 de la Résurrection Jénin à Paulme, le v. 37 des Chambèrières et Débat, ou le v. 194 de Mallepaye et Bâillevant. 20 Avant. Les prêcheurs apocalyptiques prétendaient que l’Antéchrist venait juste de naître. « Fuyons-nous-en : j’ay entendu/ Que l’Antéchrist si est jà né ! » Les Menus propos. 21 Le psautier dont Pernet a hérité de son père (vers 36-37) s’ouvre comme tant d’autres sur un ex-libris en latin de sacristie : « Liber in honore * messire Gaultier. » Pernet, qui a une forte tendance à estropier les expressions latines, n’a retenu que le début et la fin de liber in honore, et il s’imagine que le nom de sa mère précède le nom de son père. *Un auteur normand nous a laissé un Liber in honore sancti Petri et sancti Philiberti. 22 Le Savetier qui ne respond que chansons (F 37) évoque ce curé lubrique : « À confesse,/ Vous distes à messir(e) Gaultier/ Que je subtenoys ma maistresse. » On prononce « messer ». 23 D’après ce qu’indique l’ex-libris de son psautier. 24 Atteint de folie, le mal de saint Mathelin. « Mathellineux,/ Foulx, estourdis. » (Le chastiement du Monde.) La Mère s’indigne que Pernet croie ne pas être son fils. 25 Donnez-moi mon manuel de latin ! Dans un souci tout campagnard de faire durer le matériel, la mère conserve toutes les affaires de son fils, et lui prête au compte-gouttes ses livres, son Donat (v. 69), son écritoire neuve (v. 190), et même sa serpe (v. 195). 26 Car je veux entrer dans les Ordres. « Et comment envoyoit-on ad ordos gens si ignorans ? Il fault noter que ceux qui les examinoyent n’en savoyent guère davantage qu’eux. » Henri Estienne. 27 Prêtre. 28 Avant la Pentecôte. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 406. 29 BM : que lon fretille — LV : que on fretelle (On se contente de bavarder. Cf. Deux hommes et leurs deux femmes, vers 41.) 30 De la date de mon investiture. 31 Il t’en est bien besoin. 32 BM-LV : Que lon (Il s’agit de la plume d’oie pour écrire. Mais pour le public, qui a l’esprit mal tourné, une plume est un pénis : cf. le Dorellot, vers 119 et note. Nous avons conservé la vieille expression érotique « tailler une plume ».) 33 Enfant, Pernet gardait les oies, tout comme Maistre Mimin estudiant. Dans le Villain et son filz Jacob, que je publie en appendice, le petit paysan garde les cochons. 34 Pernet a baptisé son oie de son propre nom de famille : Chose. 35 Elle ne comprend pas qu’il s’agit de l’oie, et elle pense que son fils ne trouve plus ses mots. 36 Même constat dans les Sobres Sotz, vers 123. 37 Manuel de grammaire latine de Donatus. Cf. le Maistre d’escolle, vers 11. « Ce petit Donet je (lui) présente,/ Pour tant qu’il a mis son entente/ À volloir grammaire sçavoir. » Jehan Molinet. 38 L’autre hier = l’autre jour. BM : lautruy/ 39 BM-LV : iray (Forme populaire normande. « G’irons au marché. » La Mauvaistié des femmes.) À la rime, le « s » final est facultatif, comme au vers 19. 40 Pernet retient mieux les chansons que les prières. D’innombrables refrains nous renseignent sur l’utilité des buissons : « Trois foys il l’a fringuée à l’ombre d’ung buisson. » (Fringuez, moynes, fringuez.) « Livre-la-moy en ung lict toute nue (…),/ Ou la m’envoye en l’umbre d’ung buisson. » (C. Marot.) « Ma belle se repose/ À l’ombre du buisson./ Moy, j’embroche son chose/ De mon roide poinçon. » (Chansons folastres.) 41 BM-LV intervertissent ce vers et le suivant. 42 BM-LV : Car (Allons ! je m’en vais…) 43 Le vicaire-examinateur, suppléant de l’official, interrogeait les candidats à la prêtrise. 44 BM-LV : auecq (En Normandie, « o » = avec. « Voulez-vous demourer o moy ? » Les Esbahis.) 45 BM-LV : fol (Un niais. À propos de ce normandisme, cf. la Veuve, vers 100 et note.) 46 BM-LV : Recommandez moy a lexaminateur / Dictes ma mere 47 Pas autre chose que plaidoirie, contestation. « Et ne leur laissent nullement/ Avoir fors que plait et riote. » Eustache Deschamps. 48 Les vers 89-91 s’inspirent librement des vers 55-57 de Pernet qui va à l’escolle (note 3). 49 Le bon sens paysan du villageois resurgit. 50 Pernet porte le costume usuel des Badins, décrit dans la note 4 de Colinet et sa Tante, une farce qui développe le même thème que la nôtre. <Voir aussi André TISSIER : Recueil de farces, t. 5, 1989. On consultera la n. 15 de la p.114, et la n. 99 de la p.137.> 51 Elle arrive devant l’examinateur. 52 Les vers 103-7 s’inspirent librement des vers 76-80 de Pernet, mais ne comblent pas ses lacunes. 53 En-dehors d’une farce, on attendrait plutôt la question : Est-il d’âge pour l’être ? Dans la vraie vie, l’âge canonique était alors de 25 ans. 54 À la maison. Idem vers 122 et 270. La mère châtie son langage, et ne parvient qu’à produire un effet comique : J’amènerai l’hôtel devant vous. Hôté rime avec volonté ; voir les vers 118-9 et 130-1. 55 BM-LV : doint 56 Il installe sur la table un autel de fortune, fait avec du linge de maison et des ustensiles de cuisine. 57 C’est le cheval de bataille des candidats à la clergie : cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 348. 58 Elle rentre. Son fils, qui gueule à tue-tête le Per omnia, ne l’entend pas. 59 Quand tu seras prêtre. 60 Désignant l’autel qu’il a bricolé sur la table. 61 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « chla » : « Vrayment, chla va bien autrement. » La Muse normande. 62 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « st’autel ». « Entendant discourir avant-hier de st’affaire. » La Muse normande. 63 BM-LV : Possible (Pour lui, un esprit est un fantôme.) Des prostituées racolaient dans certains cimetières. 64 BM-LV ajoutent dessous : Chante mon filz 65 Par tous les siècles des siècles. C’est le premier vers de Pernet. « Amen » rime en -an : voir la note 160 de Régnault qui se marie. 66 BM-LV : Je chanteray bien une autre fois (Je chanterais bien une fois de plus.) 67 Au public. 68 Cela confirme le proverbe : « Tel père, tel fils. » La tirade 144-158 reprend les vers 5-19 de Pernet. 69 Voir la note 6 de Pernet. 70 BM-LV : croy — Pernet : cuyde 71 BM-LV : vous 72 Dans Pernet, ce vers contenait le nom de l’enfant : Pernet que ie parle a vous 73 Fais le salut que tu feras devant lui. 74 Elle imite gestuellement et vocalement ce qu’elle croit être une grande dame. Rappelons que cette fermière simplette, vêtue d’un tablier, d’un fichu et de sabots, fut jouée par un collégien. 75 BM-LV : petit (Faire le pied-arrière, ou le pied-derrière, ou le pied de veau, ou le pied : faire une révérence. Voir la note 206 de Gautier et Martin.) Gentement = avec noblesse. 76 Le fou. Idem vers 211. 77 Avec mesure. 78 BM-LV : de largent (Nouvelle manifestation du bon sens paysan.) 79 Ce qu’il. 80 Me retenir. « Celui qui ce nous récitoit/ Les assistans tant incitoit/ Qu’ils ne pouvoyent tenir de rire. » (Le Banquet des chambrières.) « Monsieur de Nançay (…) ne pust tenir de rire. » (Marguerite de Navarre.) 81 Faim, envie. « J’ay grant fain de rire. » Serre-porte. 82 Il n’en manquera. Les clercs et les comptables avaient toujours une plume derrière l’oreille, comme les épiciers d’avant-guerre y auront un crayon. 83 Aiguise ton canif : il sert à tailler le bec des plumes, pour écrire aussi fin qu’un chancelier pontifical. 84 Au lieu du petit canif, le paysan aura une vulgaire serpe à la main. « La serpe/ Me servira de canivet. » (Pernet qui va à l’escolle.) Sarpe rime avec pape. 85 BM-LV : il pas (N’est-ce pas lui ? « Le vélà, c’est il, vrayement. » Les Sotz fourréz de malice.) 86 Noblement. Idem vers 168. 87 Il barre la route à l’examinateur en brandissant sa serpe. 88 BM-LV : se sot 89 BM : Sainct — LV : ma foy (« Le prestre ceint d’une ceinture de chanvre. » Anastase Cochelet.) 90 Oui, par mon quidam, Monsieur, / S’il plaît à vous, du moins. Pernet a beau avoir appris ce salut par cœur, il prononce « per quidem », qui n’a aucun sens, au lieu de « per fidem » [par ma foi]. Un jeune clerc inculte commettra la même boulette au vers 461 de l’Avantureulx. 91 Le dimanche qui suit Pâques. 92 Sous l’effet du trac, Pernet lâche un pet sonore. « Mais sy je lâche le derière/ Par avanture, (entendez-vous ?),/ Vostre part y sera tousjours. » (Le Bateleur.) Nous aurons la suite de ses aventures intestinales au vers 253. 93 Je vous y invite. Lorsqu’un jeune curé célèbre sa première messe, la famille et les amis organisent ensuite une fête bien arrosée. Cf. le Clerc qui fut refusé à estre prestre, vers 105-6 et note : dans cette farce, un candidat à la prêtrise est renvoyé deux fois par son examinateur. 94 « Le cuysinier cy m’a semons/ Pour boire du vin de la feste. » La Présentation des joyaux. 95 Pernet veut sans doute dire « perquam » : tout à fait. 96 En six mois. 97 Le mal de saint Victor est la folie. « Malade du mal S. Victor, et lié comme homme hors du sens. » Godefroy. 98 Peut-être le Confiteor. Le retributor est celui qui paye. 99 BM : in manus — LV : imanus (BM nomme correctement cette prière qui accompagne l’extrême-onction, mais l’ignare Pernet ne peut que la nommer incorrectement : je choisis donc la version LV.) « Je sçay bien mon Avé salus,/ Mon Imanus, mon Déo pars. » La Bouteille. 100 Prononciation à la française de l’hymne Quem terra pontus. Voir la note 79 de Maistre Jehan Jénin. 101 Seul LV consigne ce vers, qui manque dans BM. On ne présente plus le Veni Creator. La 9ème heure (hora nona), ou heure de none, désigne dans les monastères la prière de 15 heures. 102 À bout d’arguments : cf. le Maistre d’escolle, vers 85. Pernet qui va à l’escolle raconte le laborieux apprentissage de l’alphabet par notre futur pape. 103 Ce vers et le suivant reprennent hors de saison les vers 39-40. 104 Moi je veux discuter : / Conjugue-moi le verbe « tuer ». Pernet confond lætare [réjouir] et letare [tuer]. « Declina mihi » est la rengaine des manuels de latin destinés aux enfants. 105 Je vous le conjugue à toute vitesse. 106 Ton discours. Cf. Marchebeau et Galop, vers 274. 107 Par quel nom es-tu appelé ? Pernet ne comprend pas cette question banale et reste muet. Sa mère tente de sauver la situation. 108 Et pourtant. Les villageoises qui s’aventurent à user d’un terme « scientifique » se prennent toujours les pieds dans le râteau, comme la mère de Maistre Jehan Jénin : « De trologie et merdecine. » 109 LV transcrit phonétiquement la prononciation normande : say. La leçon de latin de Pernet qui va à l’escolle joue sur cette homophonie : « –“C”./ –Et ! j’ay le dyable si j’ay soif ! » Voir la note 33 de Troys Galans et un Badin. 110 Une anse. 111 BM : Construise moy quia fecit — LV : construises moy quia fecy (« Caillette a vécy ! » La Résurrection Jénin à Paulme.) Comme au vers 219, le candidat a vessi, a pété. Le trac fait remonter à la surface tout ce qui était mal enfoui : le patois <v. 249>, le besoin d’alcool <v. 250>, le relâchement de l’anus <v. 253> ou de la vessie <v. 257>, la sexualité <v. 281>. 112 Par ma foi ! Même vers que 262. 113 À laquelle, mon ami… Pernet interrompt l’examinateur parce qu’il pense avoir enfin compris un mot latin : « aquam » = eau, urine. Or, le seul examen qu’il soit en mesure de réussir, c’est justement un examen d’urine. (Voir la note 256 d’André Tissier.) 114 Pour la mesure, on pourrait adopter la forme populaire normande « asteure » : « De che qu’on fet et dit, asteure, dans Rouen. » La Muse normande. 115 Les clercs qui ont peur en perdent leur latin. Terrorisé par Pantagruel <chap. 6>, l’écolier limousin oublie son jargon universitaire et retrouve instantanément le patois de Limoges ; cet épisode a également une conclusion scatologique, qui est la réponse naturelle du corps à ce genre de stress. 116 BM-LV : dire oremus — Pernet donne ici le vers original, que notre plagiaire a sacrifié : Mais dieu il fault parler latin (La correction est de Tissier.) 117 Moi, vous voulez (que je parle latin) ? Les vers 264-7 reprennent les vers 202-5 de Pernet. 118 Voici déjà mon livre. 119 Disons : parle ! 120 BM-LV : Monsieur (Voyant que les choses se gâtent, la mère monte d’un degré dans la flagornerie.) Oremus = prions. 121 Les vers 269-277 reprennent les vers 138-146 de Pernet, où ce vers était justifié par celui qui le précédait : « Il y a long temps que le congnois. » Là encore, notre plagiaire a bâclé son travail. 122 BM : Et ie — LV : sy je 123 Le Per omnia du vers 120. La mère de cet autre futur pape qu’est Maistre Jehan Jénin n’aurait pas dit mieux : « On chantoit Perronnia/ À haulte voix. » 124 BM-LV : quant a 125 Voir la note 64 de Pernet. 126 BM-LV : le iasement — Pernet : cest assez iase (L’examinateur poursuit sa route ; Pernet marche à ses côtés.) 127 BM-LV : adire (Vas-tu avec moi ?) On prononçait à la française, et en l’occurrence à la normande : « Va, dis-mé con. » [Va, dis-moi « con ».] Le con désigne le sexe de la femme. On trouve la même astuce de collégiens aux vers 207-211 de Pernet, d’où proviennent les vers 279-283. 128 Paysan. C’est le monde à l’envers ! Dans Pernet, la mère traite de « villain » le professeur de son fils quand il lui enseigne la lettre Q. 129 BM : Vous auez parle — LV : parles vous — Pernet : Auous parle (Av’ous est la contraction normande d’avez-vous.) « Du con ma mère » est un génitif archaïque : du con de ma mère. 130 Je vais le lui dire. Pernet retourne vers sa mère, qui est restée au même endroit. 131 Le public du collège est masculin. 132 Les vers 284-5 reprennent les vers 214-5 de Pernet, dont le congé final attribue le spectacle aux collégiens : « Nous vous prions que, hault et bas,/ Pardonnez aux gentilz enfans/ De ceste ville ces esbatz/ Qu’ont voulu faire en passant temps. » 133 Autant les maîtres que les élèves. Le vers suivant est perdu. 134 BM-LV : Sans vous auoir (Ce tercet sera textuellement repris à la fin du Savetier Audin.) 135 Ce distique bâclé, dit par un personnage qui n’est plus censé être là, inspirera celui qui clôt le Savetier Audin : « Si vous trouvez voz femmes en tel cas,/ Donnez-les au dyable comme j’ay faict. » Le scribe du ms. La Vallière — et lui seul — ajoute comme d’habitude sa péroraison personnelle : « En prenant congé de se lieu,/ Une chanson pour dyre adieu ! » 136 Faute de savoir où le mettre, je colle ici un bout de farce sans titre dont il manque le début et la fin. Ce fragment de 84 vers se trouve dans le manuscrit fr. 904 de la Bibliothèque nationale de France, à la suite d’un Mystère avec lequel il n’a aucun rapport. Il nous en reste ce dialogue entre un Vilain [un paysan] qui veut que son fils fasse des études pour obtenir un diplôme de cardinal, et ledit fiston qui préfère garder les porcs. C’est peut-être la première apparition théâtrale d’un « enfant mis aux écoles » : ses éditeurs, D. W. Tappan et S. M. Carrington*, le font remonter au milieu du XVe siècle. *Deux pièces comiques inédites du manuscrit B.N. fr. 904. Romania, t. 91 nº 362, 1970. Pages 161-169. 137 Ms : il (Que tu goûtes à l’école : que tu y ailles au moins une fois.) 138 On me dirait que je fais partie des clercs. 139 De ton plein gré. 140 Ms : y 141 Je n’y consentirai pas. 142 Pendant cette pause, le père attrape son fils pour le mettre sur ses épaules. Jacob lui mord un doigt et refuse de le lâcher. 143 Ms : la mort (« À la mort ! À l’ayde ! À la mort !/ Ha, hay ! ha, hay ! hay ! Il me mord ! » Le Roy des Sotz.) 144 Ms : leues (Enlevez votre doigt de ma bouche.) 145 Le ms. n’est pas détérioré : c’est le copiste qui a omis un passage. 146 Tu ne m’auras pas comme cela, mon fils. 147 Marchandeur. Idem vers 27. 148 Ms : seres porter (Le scribe a une orthographe et une grammaire très personnelles.) 149 « Gnac ! » transcrit le bruit d’une morsure. (Cf. André de La Vigne, vers 11.) Jacob menace son père de le mordre à nouveau. 150 Il ouvre par terre un grand sac pour y enfermer son fils. On n’a pas attendu les Fourberies de Scapin pour mettre des acteurs dans un sac : cf. les Veaux, ou Janot dans le sac, ou Resjouy d’Amours, ou la Laitière, ou Cautelleux, Barat et le Villain. Le catalogue d’un libraire de Tours au XVe siècle mentionne la farce de Chascun qui mect Tout en son sac. 151 Je n’entrerai pas dans votre sac. 152 Même si tu avais juré le contraire. 153 Hurler. « Tu as beau huer. » Troys Gallans et Phlipot. 154 Hui, aujourd’hui. 155 Ms : en (Ribon, ribaine = De gré ou de force. C’est le nom d’un arriviste dans Pates-ouaintes.) 156 Cette didascalie est notée dans la marge gauche du distique suivant. Le père jette sur son épaule le sac entrouvert, d’où émergent la tête et les mains de Jacob. 157 J’ai un point de côté. 158 Ms : conpte 159 Petit sire ? Idem vers 63. Ce mot rime avec Jaco. 160 Je vais uriner dans votre bouteille, qui est au fond du sac. 161 Ms : por (Par les oreilles.) 162 Ms : mal (Un courtaud est un chien – ou un cheval, ou un voleur – auquel on a coupé les oreilles. « Le courtault gris qui ast les aureilles couppé. » Guillaume de Nassau.) 163 Un fait, une action. Dessous, le ms. répète dans la marge gauche la didascalie : Icy le prant jacob pour les orelles 164 Renoncez à cela. 165 Ms : vouldres (Le Vilain tutoie presque toujours son fils.) 166 Me tenez-vous quitte ? Cf. le Poulier à sis personnages, vers 699. 167 Vers manquant. Le Vilain pose le sac, et Jacob s’en extirpe. 168 Déchirées. 169 Mon argent. « Les diz Anglois avoient esté bien paiéz de leurs gaiges et souldées. » ATILF. 170 Il faut le bercer de paroles. Le point faible de tous les Badins, c’est la gourmandise. 171 Ms : prie (« Je te suply, ayons ta femme ! » Le Savatier et Marguet.) 172 Ms : jay (Être inscrit au rôle : être sur la liste.) Dans D’un qui se fait examiner (v. ci-dessus), la mère voit déjà son fils évêque ou pape. 173 Cela ne m’importe pas plus que deux grains d’ail. 174 Sois d’accord avec moi. « Je suys de vos acors. » Troys Gallans et Phlipot. 175 Mot inconnu. S’agit-il d’une boisson pétillante ? Dans le même esprit, l’argot des gargotes a baptisé « roteuse » la bouteille de champagne. Mais peut-être faut-il lire bouteillette, comme au vers 77. 176 Des noix à flac, en quantité. « Monsieur de Sic-Sac,/ Lequel a des escutz à flac. » Légier d’Argent. 177 Emplissez mon sac avec ce que vous m’avez promis. 178 Ma petite bouteille de rotiette (note 175). Cf. l’Amoureux, vers 209. 179 Va à l’école d’un bon pas. 180 Mets peine, applique-toi. 181 Pour faire de toi un clerc. 182 Je vous recommande à Dieu. Cf. le Munyer, vers 118. 183 Vers manquant. Je le restitue d’après les vers 48-49. La rubrique suivante montre que la farce n’est pas finie. Au prochain folio commence la Moralité novelle de la Croix Faubin, copiée par la même main, et elle aussi incomplète.
JÉNIN, FILZ DE RIEN
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JÉNIN,
FILZ DE RIEN
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Difficile d’être une « fille mère » au XVe siècle, et encore plus difficile d’avoir été une « prêtresse », autrement dit, la maîtresse d’un curé. Mais comment nier ces erreurs de jeunesse alors que le curé s’en vante, et que le fils né de ce couple est fier d’avoir pour père messire Jean, un homme qui sait écrire ?
Le même trio, composé d’une mère « prêtresse », d’un badin1 puéril et de son père chapelain, alimente la farce de Messire Jehan, qui offre de nombreux points communs avec celle-ci, par exemple cette question du badin à sa mère : « A ! il m’ayme comme son fis./ Tout plain de gens disent aussy/ Que suys son fis ; est-il ainsy ? »
Source : Recueil du British Museum, nº 20. Cette pièce normande remonte au dernier quart du XVe siècle ; elle fut imprimée à Lyon entre 1532 et 1550.
Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse de
Jénin, filz de rien
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À quatre personnaiges, c’est assavoir :
LA MÈRE [Jacquette ?]
et JÉNIN, son filz
LE PRESTRE [messire Jehan]
et UNG DEVIN [maistre Tignon]
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LA MÈRE commence SCÈNE I
Quant je considère à mon filz,
Par mon serment, je suis bien aise !
Benoist2 soit l’heure que le fis !
Quant je considère à mon filz,
5 Il est en bonnes meurs confis,
Parquoy n’est rien qui tant me plaise.
Quant je considère à mon filz,
Par mon serment, je suis bien aise !
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[ Jénin !! SCÈNE II
JÉNIN
Hau ! Hau ! Ne vous desplaise…
LA MÈRE ] 3
10 Va, villain, va, tu ne sçais rien !
JÉNIN
Dictes, ma mère, qu’on s’appaise.
Que me donnerez-vous ? Combien ?
Une4 aultre foys, je diray mieulx.
LA MÈRE
Je te donray ce qui est mien.
JÉNIN
15 Mais ferez donc ?
LA MÈRE
Ouy, se my dieux5 !
Jénin !!
JÉNIN
Hau ! Hau !
LA MÈRE
Vécy beaulx jeulx !
Ne sçauriez-vous dire aultre chose ?
Or dictes aultrement, ma rose.
JÉNIN
Dictes-moy donc que je diray6.
LA MÈRE
20 Dictes : « Que vous plaist7 ? »
JÉNIN
Si8 feray,
Puis9 que je sçais bien comme c’est.
LA MÈRE
Jénin !! Jénin !!
JÉNIN
Hau ! Hau !… Couplest10 !
Je l’avoys desjà oublié.
LA MÈRE
De fièvres soyes-tu relié11 !
25 En ta vie, tu ne sçauras rien.
Il te fault apprendre du bien,
Et aussy te mettre en la colle12
D’aller de bref en quelque escolle,
Pour sagement respondre aux gens.
JÉNIN
30 Ouy, cheux mon père messir(e) Jehans13.
G’y veulx aller l’aultre sepmaine.
LA MÈRE
Et ! il est ta fièvre quartaine14 !
Ton père, [luy] ? Qui le t’a dit ?
JÉNIN
Par Dieu, voylà ung beau déduyt !
35 Se vous est ung grant vitupère15,
Dictes-moy donc qui est mon père.
LA MÈRE
Ma foy, je ne le congnois point.
JÉNIN
Quoy ? Vécy ung merveilleux point,
Que mon père ne congnoissez.
40 Qui le sçait donc ?
LA MÈRE
Tant de procès !
T’ai-ge pas dit que n’en sçais rien ?
JÉNIN
Qui sera [donc le père]16 mien ?
Plust à Dieu que ce fust le prestre !
LA MÈRE
Tu n’es qu(e) ung fol !
JÉNIN
Il peult bien estre17,
45 Par Dieu ! Aussy, on le m’a dit.
Qui estoit donc en vostre lict
Couché sur18 vous, quant je fus faict ?
Je seroys doncques imparfaict,
Se quelqu(e) ung19 ne m’eust engendré ;
50 Dictes-moy comment j’entendray
Que soyes filz de vous seullement ?
LA MÈRE
Jénin, je te diray comment :
Une foys, je m’estoys couchée
Dessus mon lict toute haulsée20 ;
55 Mais je ne sçays bien, en bonne foy,
Qu’il n’y avoit âme21 que moy.
JÉNIN
Comment doncques fus-je conceu ?
LA MÈRE
Je ne sçay, car je n’apperceu
(Affin que plus tu n’en caquette)
60 Entour moy fors22 une jacquette
Estant sur moy, et ung pourpoint23.
JÉNIN
Tant vécy ung merveilleux point,
Que je suis filz d’une jacquette24 !
Sur ma foy, je ne le croys point,
65 Tant vécy ung merveilleux point.
Vrayement, ce seroit mal appoint
Que la chose fust ainsi faicte,
Tant vécy ung merveilleux point
Que je suis filz d’une jacquette !
LA MÈRE
70 En ton blason, rien tu n’aquette25.
Ne croys-tu point que soyes mon filz26 ?
JÉNIN
Entendre27 ne puis qui je suis.
Je seroys doncques filz de layne28 ?
LA MÈRE
Tu me donne beaucoup de peine.
75 Je le dis sans plus de procès :
Tu es mon filz.
JÉNIN
Ilz sont passéz29 ?
Il fault bien qu(e) aulcun m(e) ait brassé30.
Mais que teniez-vous embrassé,
Quant je fus faict ?
LA MÈRE
Une jacquette.
JÉNIN
80 Vrayement, doncques, sans plus d’enqueste,
[Pour mectre fin à la matière,]31
Une jacquette, c’est mon père.
LA MÈRE
Et ! non est, non, el(le) ne l’est point.
JÉNIN
Sur ma foy, donc, c’est le pourpoint
85 Et la jacquette tout ensemble ?
Dictes-moy auquel je res[s]emble,
Ma mère, puisque vous les veistes.
Il fault, à ceste heure, que dictes :
Mon père estoit-il blanc ou rouge ?
90 Je le sçauray devant que bouge32 !
LA MÈRE
Tu n’es33 filz de l’ung ne de l’autre.
JÉNIN
Si suis-ge le filz à quelque aultre,
Dieu sache lequel ce peult estre !
Une foys, ce n’est point le prestre,
95 Je le sçay bien : vous l’avez dit.
Oultre plus, vous m’avez desdit
Que ce ne fust point la jacquette
Ne le pourpoint. Je suis donc beste ?
Par ma foy, vous le me direz34,
100 Ou par dol35 vous escondirez
Ung des bons amys qu(e) ayez point36.
Puisque ce ne fust le pourpoint,
Je le sçay bien : ce sont les manches
Que vous trouvastes sur voz hanches
105 Ce pendant que vous vous dormiez.
LA MÈRE
Sur ma foy, tu es bien nyays !
Les manches ? Non furent, par Dieu !
Car je ne trouvay en ce lieu,
Dessus moy, sinon la despouille37.
JÉNIN
110 Comment ! Avoyent-il une couille38 ?
Sur ma foy, c’est bien à propos39 !
.
Bona diès, magister ! Campos 40 ! SCÈNE III
LE PRESTRE
Dieu te gard, mon valletonnet41 !
Cœuvre-toy42, cœuvre !
JÉNIN
Mon bonnet
115 Est bien, ainsi, dessus ma teste.
LE PRESTRE
Cœuvre-toy ! Tant tu es honneste43
Pour servir quelque grant seigneur !
JÉNIN
Je ne fais rien que mon honneur44 ;
J’ay ainsi apprins ma leçon.
LE PRESTRE
120 Tu es assez gentil garson.
Or çà ! qu’esse que tu demande ?45
JÉNIN
Mon Dieu, que vostre chose46 est grande !
Et ! la mettez-vous là-dedans ?
LE PRESTRE
N’y touche pas !
JÉNIN
A-el(le) des dens ?
125 Me mordroit-el(le) se g’y touchoys ?
LE PRESTRE
Dea, tu es ung enfant de choys.47
Mais es-tu fol ? Comme tu saulte !
JÉNIN
Jésus, que ceste maison est haulte !
Vertu sainct Gris ! s’el trébuchet48,
130 Je seroys prins au tresbuchet49.
LE PRESTRE
Tu seroys mort, mon enfant doulx.
JÉNIN
Dea ! je me mettroys dessoubz vous,
Et vous recepveriez le coup.
LE PRESTRE
Je te supply, dy-moy acoup50
135 Qui t’amayne par-devers moy.
JÉNIN
Par ma conscience, je ne sçay.
Mais ç’a51 esté ma sotte mère
Qui m’a dit que je n’ay point de père.
Et pour tant52, le povre Jénin
140 S’est voulu mettre par chemin,
Cherchant de recouvrer ung père.
LE PRESTRE
Par ma foy ! qui53 qu’en soit la mère,
Mon amy, vous estes mon filz54 ;
Car oncques-puis55 que je vous feis,
145 Ne me trouvay jamais plus aise.
JÉNIN
Or çà, doncques, que je vous baise !
Noël56 ! Noël ! Je l’ay trouvay !
Vécy celuy qui m’a couvé57.
Ma mère ne le congnoist point ?
150 Je ne suis plus filz d’ung pourpoint,
Maintenant, il est tout notoire58.
Que vous avez belle escriptoire !
Je vous supplye, donnez-la-moy !59
Vécy mon père, par ma foy !
155 Vélecy60 en propre personne !
LE PRESTRE 61
Tenez, mon filz, je la vous donne
Affin qu(e) apprenez à escripre.
.
JÉNIN 62 SCÈNE IV
Dea, dea ! Vous ne voulez [pas] dire,
Ma mère, qui est mon papa ?
LA MÈRE
160 Messir(e)63 Jehan oncques n’en frappa
Ung [tout] seul « coup » tant seullement64.
JÉNIN
Frapper65 ?
LA MÈRE
Ce ne fist mon66, vrayement !
Le villain qu’il est, et infâme,
Me vient-il faire ce diffame
165 De dire que je soye prestresse67 ?
A ! par Dieu, avant que je cesse,
Je metz68 qu’il s’en repentira.
Et s’il me croyt, il s’en ira
Avant qu’il y ayt plus de plet69.
170 Combien a-il payé de lect70,
En sa vie, pour vous nourrir ?
J’aymeroy[e]s plus cher71 mourir
Que d’endurer tel vitupère
De dire qu’il soit vostre père !
175 Ne m’en viegne parler jamais !
LE PRESTRE
Et ! sur ma foy, dame, je metz
[Sur] ma vie qu’il est mon enfant !
Par Dieu ! je seroys bien meschant
De le dire s’il n’estoit vray.
JÉNIN
180 Aussy, mon père, je vous suyvray
Par tous les lieux où vous yrez.
LA MÈRE
Par Dieu, Jénin, vous mentirez72 :
Il n’est pas vostre père, non.
JÉNIN
Dictes-moy comment a [à] nom
185 Mon père, et je l’yray chercher.
LE PRESTRE
Par ma foy ! c’est moy, mon filz cher ;
N’en faictes jamais nulle doubte.
JÉNIN
Ma mère m’a pinché le coulte73
Et me dit que c’est menterie.
190 C’eust74 esté grande rêverie
Que ma mère si m’eust conceu
Sans qu’el ne vous eust apperceu.
Dea ! si fault-il que j’ayes ung père.
Je n’en sçay que dire, ma mère,
195 À mon cuyder, qu’il a rayson75.
LA MÈRE
Jénin, ne croys point son blason76.
Ce ne seroit pas ton honneur
D’aller dire qu(e) ung tel « seigneur »
Comme cestuy-cy fust ton père ;
200 Mais trop bien qu’il en fust compère77,
À cela je ne metz débat.
JÉNIN
N’esse pas icy bel esbat ?
Sur ma foy, se vous ne me dictes
Quel homme ce fust que [vous] veistes
205 Qui feist ma génération78,
Je puisse souffrir Passion
Se ne dys que c’est cestuy-cy !
LE PRESTRE
A ! par ma foy, il est ainsy.
Ce qu’elle dit, c’est pour excuse :
210 Ne la croyez, el(le) vous abuse.
Moy-mesmes je vous ay forgé.
JÉNIN
De rire je suis esgorgé79 !
« Forgé » ? Estes-vous mareschal ?
Allez donc ferrer ung cheval,
215 Et vous y ferez voz pourfitz80.
Je ne seray plus vostre filz ;
Allez chercher qui le sera.
LE PRESTRE 81
Ma foy, on s’i opposera,
Se voulez dire que non soit.
LA MÈRE
220 Qui ess(e) qui mieulx que moy le scet ?
Sur mon âme, non est, Jénin !
JÉNIN
Je m’en veulx aller au devin,
Affin qu’il me donne à congnoistre
Se je suis filz d’elle ou du prestre.
225 Ma mère, le voulez-vous mye ?
Si sçayray82, quant fustes endormye,
Qui estoit avec vous couchée.
LA MÈRE
Pense-tu qu’il m(e) ayt attouchée ?
Cela, ne le croyez jamais.
230 Qu’il vous ayt forgé 83 ? Non a. Mais,
Sur ma foy, bien veulx [que l’on mande]84
Ung devin, et qu’on luy demande
Comme il est85 de ceste matière.
JÉNIN
Par Dieu ! je le veulx bien, ma mère.
LE PRESTRE 86
235 Je le veulx bien, semblablement.
Sus, Jénin, courez vistement !
Allez tost le devin quérir.
JÉNIN
Je le voys87 donc faire venir
Pour nous juger ceste matière.
.
LE DEVIN 88 SCÈNE V
240 Sus, bonnes gens ! Arrière, arrière !
Gardez que vous ne soyez mors89 !
Ho ! malle beste90 ! Qu’el est fière !
Sus, bonnes gens ! Arrière, arrière !
Ell’ est d’une horrible manière.
245 Fuyez trèstous, vous estes mors91 !
Sus, bonnes gens ! Arrière, arrière !
Gardez que vous ne soyez mors !
Voyez, el veult saillir dehors92.
La voyez-vous, la malle beste ?
250 Regardez comme elle a le corps ;
Quel[z] petis yeulx, et quelle teste !
Et pour tant qu’elle est déshonneste,
Je la veulx rebouter dedans93.
.
Or je voy bien qu’il est grant temps
255 Que je vous dye [ce] qui m(e) amaine :
De vous apporter j’ay mis paine
Une drogue moult salutaire94,
Il n’est pas temps de le vous taire.
Et vault pour plusieurs malladies.
260 Oultre plus, il fault que je dies
De quel Science95 je me mesle :
S’il y avoit quelque fumelle96
Qui ne peust avoir des enfans,
J’ai oingnemens97 si eschauffans,
265 Et d’une huylle98 si trèsfort chaulde,
Et fusse Margot ou Tibaulde99,
El(le) sera incontinent prains100 ;
Et si, luy froteray les rains
D’huylle si bonne et si utille
270 Qu’elle portera filz ou fille.
Et si, me vante sans abus,
[Si l’on me baille des quibus,]101
De juger eaulx102, car j’en suis maistre.
À plusieurs j’ay faict apparoistre
275 Mon habilité103 et science.
.
JÉNIN SCÈNE VI
(Ho ! je cuide, par ma conscience,
Que c’est cestuy que je viens querre.)
Ma mère m’envoye grant erre104,
Par Dieu, Monsieur, pour vous quérir
280 Affin que je viegne enquérir
Et sçavoir à qui je suis filz.
LE DEVIN
Mon amy, je vous certiffie[s]
Que vous estes filz de vostre père105.
JÉNIN
Dea, Monsieur, je sçais bien que voire106 ;
285 Mais je ne sçay si c’est ung prestre.
LE DEVIN
En bonne foy, il peult bien estre
Que ce soit il107. Mais on voirra,
Car premièrement il fauldra
Juger ton père à ton urine108.
290 Si congnoys-je bien, à ta mine,
Que tu es filz, bien entendu109.
JÉNIN
Nous avons cy trop attendu.
Par Dieu ! ma mère me batra.
Et si, sçais-je bien qu’el sera
295 Bien joyeuse, mais qu’el vous voye.
.
LA MÈRE 110 SCÈNE VII
Jénin est longuement en voye111 ;
Je ne sçay quant il reviendra.
LE PRESTRE
On verra qu’il112 en adviendra,
S(e) une foys il puist revenir.
.
JÉNIN SCÈNE VIII
300 Ma mère, nous voicy113 venir !…
Je croy qu’el soit en la maison.114
.
LA MÈRE SCÈNE IX
Ha ! vrayement, il est grant saison115
Que tu en soyes revenu !
JÉNIN
Ma mère, le vécy venu.
305 Ne faictes que116 chercher monnoye.
LA MÈRE
Ha ! Monseigneur, Dieu vous doint joye !
Vous soyez le bien arrivé117 !
LE DEVIN
Par-devers vous j’ay prins la voye.
LE PRESTRE
Ha ! Monseigneur, Dieu vous doint joye !
LE DEVIN
310 Il fault qu’à vostre cas pourvoye
Sans que plus y ayt estrivé118.
LA MÈRE
Ha ! Monseigneur, Dieu vous doint joye !
Vous soyez le bien arrivé !
Ce fol icy a controuvé119
315 Que c’estoit icy son garson.
Et pour la cause, nous cherchon
Que vous nous disiez120 vérité,
Et vous ferez grant charité.
Aussy, vous sera desservy121.
LE DEVIN 122
320 Sur mon serment ! oncques ne vy
Homme qui mieulx à luy ressemble123.
JÉNIN
Par mon serment ! ma mère tremble
De peur124 que ce ne soit mon père.
LA MÈRE
Et ! Monseigneur, je n’en ay que faire125 ;
325 Toutesfoys, il n’est pas à luy.
LE PRESTRE
Si est, par Dieu !
JÉNIN
Elle a menty.
Et, comment ! le sçais-je pas bien ?
Je seroys doncques filz d’ung chien126 ?
Sur ma foy, il est bon à croire !
LE PRESTRE
330 Il est mon filz.
JÉNIN
Par ma foy, voire :
Il m’a donné son escriptoire127.
LE DEVIN
Pour congnoistre en brèf[ve] mémoire
S’il est son filz, [d’où ne]128 comment,
Il fault que pisses vistement,
335 Maintenant, dedans ceste escuelle.
JÉNIN
À quoy faire ?
LE DEVIN
La cause est telle129 :
Pour congnoistre à qui tu es filz.
JÉNIN
Ma mère la tiendra130, vresbis,
Ce pendant que je pisseray.
340 Et s’il plaist à Dieu, je seray
Le filz mon père messir(e) Jehans.131
LA MÈRE
P[i]sseras-tu devant les gens ?
[ JÉNIN
Ouy. Par ma foy, j’en tiens bien compte132 !
LA MÈRE
Qu’esse-cy ? N’as-tu point de honte ?
JÉNIN ] 133
345 Pourquoy ? Ma broquette134 est tant belle !
Dictes, emplirai-ge l’escuelle ?
Jésus, que mon pissat est chault !
Le dyable y soit ! levez135 plus hault !
El m’a faict pisser en mes chaulses.
LA MÈRE
350 Jénin136, veulx-tu que je la haulses ?
JÉNIN
Et ouy : j’ay gasté ma chemise.
LE DEVIN
Or çà ! Il est temps que j’advise
À la congnicion137 du faict.
Je n’y puis juger en effect.
355 Toutesfoys, l’uryne est fort clère ;
Par quoy congnois que c’est sa mère138.
Mais de son père, ne sçais point.
JÉNIN
Au moins, ce n’est pas le pourpoint
De quoy ma mère m’a parlé ?
LE DEVIN
360 Le pourpoint ? C’est bien flajollé139 !
Pour avoir parfaicte évidence140
De ton père et la congnoissance,
Et pour bien juger ton urine,
Qui est clère comme verrine141,
365 Il peult bien estre, par ma foy,
Ton père. Pourtant, je ne sçay.
Je voy ung signe que vélà,
Qui tourne deçà [et] delà142,
Qui me faict dire l’opposite.
JÉNIN
370 Je vous pries, mon seigneur, que dicte
Que c’est mon père que vécy.
LE DEVIN
Te tairas-tu point ? Qu’esse-cy ?
JÉNIN
Dea ! je n’en feray rien, beau sire :
Vous fault-il maintenant desdire ?
375 Vous avez dit que c’est mon père.
LE DEVIN
Et ! que sçais-je ? Laisse-moy fère
Ou, par Dieu, je diray que non !
LE PRESTRE
Je vous supplie, maistre Tignon143 :
Jugez-en à vostre conscience.
LE DEVIN
380 Faictes donc ung peu de silence,
Car vous me troublez la mémoire.
Il est son filz… Non est encore.
Et ! par Dieu, encor on ne sçait.
Pour au certain parler du faict144,
385 Je croy bien qu’il est filz du prestre.
Vécy qui le donne à congnoistre :
Tousjours suyst le prestre ; et sa mère,
Il la laisse tousjours derrière.
Et pour ces causes, je concludz
390 Omnibus évidentibus 145,
En la présence de ces146 gens,
Que Jénin est filz messir(e) Jehan[s]
Et n’est point le filz de sa mère.
LA MÈRE
Le dyable y soit ! c’est à reffaire.
395 Par sainct Jehan, sire vous mentez !
De quoy ess(e) que vous démentez147 ?
Vous estes ung devin d’eaue doulce148.
S’i fault, par Dieu, que je vous touche
De cela149, je vous fairé taire !
LE DEVIN
400 Or attendez ! Bien se peult faire
Que j’ay failly, par advanture.
Vostre face, de sa nature,
Ressemble à celle de Jénin.
LA MÈRE
Est-il mon filz ?
JÉNIN
Par Dieu, nennin !
405 Ouy dea, attendez à demain150 !
Ma foy, je ne vous ayme grain151 ;
Messire Jehan j’ayme bien mieulx.
Dea ! c’est mon père, se m’ayst Dieulx !
Vous m’avez beau faire des mynes152.
LE DEVIN
410 Or paix ! Il fault que je devines.
Je ne veulx plus voz eaulx juger,
Car je ne me fais qu(e) abuser.
Pour vous accorder tous ensemble,
[Au moins ainsi comme il me semble,]153
415 Ilz ne sera filz de personne.
Car ma raison je treuve bonne :
Sa mère m’a dit que du prestre
N’est point le filz ; or ne veult estre
Jamais Jénin le filz sa mère :
420 Or donc, il n’a mère ne père,
Ne n’eust jamais. Vécy le point.
Il n’y avoit rien qu(e) ung pourpoint154
Sur sa mère, quant fut couchée ;
Or, sans qu’elle fût attouchée,
425 Tel enfant n’e[u]st sceu concepvoir :
Par quoy on peult appercevoir
Qu’il n’est filz d’homme ne de femme.
JÉNIN
A ! vrayement, doncques, par mon âme,
Je suis Jénin le filz de rien.
430 Adoncques, pour l’entendre bien,
Jénin n’est point le filz sa mère,
Aussy n’est point le filz son père :
Ergo, donc, je ne suis point filz
De155 père ne mère, vresbis !
435 Doncques, Jénin n’est point Jénin.
Qui suis-je donc ? Janot156 ? Nennin :
Je suis Jénin le filz de rien.
Je ne puis trouver le moyen
Sçavoir si je suis. Ne157 suis mye ?
440 Suis-ge Dieu, ou vierge Marie ?
Nennyn, ilz sont tous deux en Paradis.
Suis-ge dyable ? Qu’ess(e) que je dis :
Vrayement, je ne suis pas cornu.
Dieu sache dont je suis venu !
445 Pourtant, si ne suis-ge pas beste158 ;
Il est bon à veoir à ma teste
Que je suis faict ainsi qu(e) ung homme.
Et pour tant, je conclus en somme
Que je suis, et si, ne suis pas.
450 Suis-ge sainct Pierre, ou sainct Thomas ?
Nennyn, car sainct Thomas est mort159.
Et ! vrayment, cecy est bien fort
À congnoistre que c’est que de moy160.
Mais je vous prometz, par ma foy,
455 Je ne croy point que ne soye sainct161 :
Il fauldra donc que je soye paint162
Et mis dessus le maistre-autel.
Quel sainct seroy-ge ? Il n’est [rien] tel
Que d’estre, en Paradis, sainct Rien163.
460 Au moins, si je fusses d’ung chien
Ou d’ung cheval le vray enfant,
Je seroys trop plus triumphant
Que je ne suis, et plus gentil164.
Or conclus-je sans long babil
465 Que je ne suis filz de personne.
Je suis à qui le plus me donne ;
Plusieurs165 sont à moy ressemblant[s].
Je suis comment166 les Allemans.
Cy fine la farce de
Jénin, filz de rien.
À quatre personnages.
Imprimée nouvellement à Lyon,
en la maison de feu Barnabé Chaussard,
près Nostre-Dame-de-Confort.
*
1 Jénin est un personnage de « badin », de demi-sot incapable de s’adapter au langage et aux coutumes des adultes. Voir l’autodescription du Badin dans les Sobres Sotz. 2 Bénie. 3 BM a estropié ce passage. Ne vous déplaise = Ne vous fâchez pas. Jénin s’excuse d’avoir dit une bêtise. En effet, ces « hau ! » pour répondre à un appel sont impolis : « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » (Le Roy des Sotz.) Jénin les dédouble encore aux vers 16 et 22. 4 BM : Ung (Fils unique et enfant gâté, Jénin est d’un naturel resquilleur : voir les vers 152-153 et 466.) 5 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Idem vers 408. Pour vérifier si son fils a compris sa leçon de politesse, elle l’interpelle à nouveau. 6 Ce que je dois dire. On trouve à peu près le même dialogue dans Messire Jehan (v. ma notice). 7 Qu’y a-t-il pour votre service ? Voir la note d’André Tissier : Recueil de farces, t. III, Droz, 1988, pp. 275-328. 8 BM : Je le (Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 95.) 9 Maintenant. 10 Jénin se ressouvient trop tard et approximativement du « Que vous plaît ? ». 11 Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan. 12 En disposition. 13 On prononce « messer Jean », comme aux vers 160, 341 et 392. Voir la note 74 du Testament Pathelin. 14 …Et non pas ton père. 15 Si vous avez honte de lui. 16 BM : doncques le 17 Ambivalence propre aux personnages de badins. 1) C’est possible qu’il soit mon père. 2) C’est possible que je sois fou. 18 BM : auec 19 Si un homme. 20 BM : chaulsee (Retroussée. « Il la voulut voir devant et derrière, et de fait prend sa robe et la luy osta, et en cotte simple la mect ; après, il la haussa bien hault. » Cent Nouvelles nouvelles, 12.) 21 Personne d’autre. 22 Rien sauf. 23 « Vous voulez trop souvent/ Estre couverte d’ung pourpoint. » Les Botines Gaultier. 24 La mère de Jénin se prénomme sans doute Jacquette, comme celle de Maistre Jehan Jénin, qui est le petit-fils d’un abbé. L’expression « le fils de la Jacquette » se lit encore en 1614 dans la Conférence d’Antitus, Panurge et Guéridon : « De l’Estat on parle entre nous./ In chasqu’un sur icu caquète ;/ Is s’en vouliant mêlé trètous,/ Jusques au fis de la Jaquète. » [Entre nous, nous parlons de l’État. Tout un chacun dit son mot sur cela ; ils voulaient tous s’en mêler, même le fils de la Jacquette.] Les auteurs de farces et de sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre : voilà pourquoi Jacquette est devenue ici une vulgaire jaquette. 25 Avec de tels bavardages, tu n’as rien à gagner. 26 Le fils de Jacquette. 27 Comprendre. 28 Fils d’une jaquette en laine. Le public a dû comprendre « fil de laine » : en Normandie, fils et fil se prononçaient fi. 29 Tous les hommes sont morts ? « Où sont-ilz, mes gentilz fringans ?…./ Ilz sont passéz, eux et leurs jours. » (Éloy d’Amerval.) Cf. le Dorellot, vers 23. 30 Qu’un homme m’ait fabriqué, comme de la bière. 31 Vers manquant. Je lui substitue le vers 157 de la Fille esgarée, qu’on peut traduire : pour clore le débat. 32 Avant que je m’en aille. 33 BM : nestz (La rime du même au même inciterait à corriger : de plomb ne de pautre [d’étain]. « Ne de plonc ne de peautre. » <Godefroy.> On dit aussi : De fer ou de peautre. « Suis-je de viel fer ou de peaultre ? » ATILF.) 34 Ambivalence de badin. 1) Vous me direz qui est mon père. 2) Vous me direz si je suis bête. 35 BM : don (À cause de vos tromperies. « Par dol & astuce. » Jean Papon.) 36 Vous perdrez en ma personne un de vos meilleurs amis. 37 Des vêtements sans personne à l’intérieur. 38 Un pénis. Cf. la Confession Margot, vers 86 et note. 39 Ça tombait bien ! Jénin sort et se rend à l’église, où messire Jean est en train d’écrire sur un lutrin, muni de son écritoire. « Messire Jehan, vostre escriptoire/ Et du papier ! Si, escripvez ! » Le Testament Pathelin. 40 « Bonjour, maître ! Repos ! » En jargon estudiantin, le campos est la récréation : « Je cuide qu’ilz ont pris campos. » Les Premiers gardonnéz. 41 Mon garçon. 42 Couvre-toi ! On dit cela par dérision aux mal élevés qui n’ôtent pas leur chapeau pour saluer. Mais Jénin ne comprend pas le second degré. 43 Poli (ironique). « “Vous estes bien mal appris, pour le fils d’un prestre.” Cela se dit par raillerie à un incivil. » Antoine Oudin. 44 Que mon devoir. « Faire son honneur et son devoir. » ATILF. 45 Le curé commence à ranger son matériel dans une écritoire accrochée à sa ceinture, au niveau de la braguette, ce qui fournit aux acteurs un jeu de scène très visuel : « –Qu’esse-cy/ Qui te pend ? –C’est mon escriptoire. » (Maistre Mymin qui va à la guerre.) L’apparence phallique de l’objet complète l’illusion : « Ce qu’il y avoit en forme d’escritoire estoit si vif, & se levoit si fort contre le nombril, qu’ils n’en pouvoient rien faire. » (Béroalde de Verville.) 46 L’ignare Jénin ne connaît pas le nom du calemard, l’étui dans lequel on range la plume d’oie pour ne pas tacher l’écritoire : « Ung grand calemart d’escritoire, de cuir noir. » (Godefroy.) Évidemment, le public va donner au mot « chose » une acception priapique : « La chose est grande ! » (La Veuve.) C’est d’autant plus facile que le calemard s’y prête : « Sa rouge branche de coral,/ Son guille-là, son calemard,/ Son factoton, son braquemard. » Jodelle, Épitaphe du membre viril de frère Pierre. 47 Jénin se met a sauter pour atteindre le plafond de l’église. 48 Si elle s’effondrait, comme plusieurs autres églises en cette fin du XVe siècle. Cf. les Rapporteurs, vers 230 et note. 49 Pris au piège comme un oiseau. « Quand on me print au trébuchet. » Le Cuvier. 50 Immédiatement. 51 BM : sa 52 Pour cela. Idem vers 252 et 448. 53 BM : ou (On commence à dénier à la mère son statut de génitrice ; voir les vers 393 et 431.) 54 Ambigu : un curé nomme son paroissien « mon fils », et le paroissien nomme son curé « mon père ». « Tout partout pères on les nomme ;/ Et de faict, plusieurs fois advient/ Que ce nom trèsbien leur convient. » Clément Marot. 55 Depuis. 56 Cri de victoire. « Et disoient : “Bien soit venu le Roy, nostre souverain seigneur !” Et les petis enfans cryoient : “Noël !” » Jehan de Wavrin. 57 Qui m’a engendré. Toutefois, les Sots naissent dans des œufs. Cf. les Sotz nouveaulx, farcéz, couvéz : « Je fus pondu dedans ma manche/ Et couvé en une corbeille…./ Et si, ne sçay comme j’ay nom,/ Sinon le “filz de la Corbeille”./ Je n’auray jamais d’autre nom. » 58 C’est évident. 59 Les deux protagonistes sortent de l’église afin de se rendre chez la mère pour une confrontation. Dehors, Jénin crie à tue-tête. 60 Le voici. Jénin reprend ses flatteries pour obtenir l’écritoire. 61 Gêné, il donne l’écritoire à son fils pour qu’il se taise. 62 Suivi par le curé, il revient chez sa mère, qui est devant la porte. 63 BM : Par sainct 64 Il ne tira jamais un seul coup avec moi. (Cf. la Fille esgarée, vers 13.) On peut donc en déduire qu’il tira plusieurs coups. 65 Jénin ne saisit pas le sens érotique de ce verbe : « Jamais d’engin ne fus frapée/ Que de mon mary seulement. » Le Marchant de pommes. 66 Il ne le fit pas. 67 Les femmes qui avaient couché avec un homme d’Église le niaient farouchement. « Prestresse, moy ? Tu as menty ! » Les Chambèrières et Débat. 68 Je promets. Idem vers 176. 69 De plaid, de dispute. 70 De lait. Le curé n’a pas versé de pension alimentaire pour entretenir son fils. 71 J’aimerais mieux. « Elle aymeroit plus cher mourir/ Que l’oster. » Les Chambèrières qui vont à la messe. 72 Vous n’aurez pas dit la vérité. Cf. le Nouveau marié, vers 147. 73 M’a pincé le coude (normandisme). 74 BM : Se eust 75 Qu’à mon avis, il a raison. 76 Son discours fallacieux. Idem vers 70. 77 Qu’il soit ton parrain. 78 Qui m’engendra. 79 Je m’étrangle. Le badin prend le verbe forger au sens propre, et l’applique donc à un maréchal-ferrant. 80 Vos profits : vous y gagnerez plus d’argent. 81 Il menace la mère de faire opposition devant l’Officialité. Mais il sait pertinemment qu’un juge d’Église lui donnerait tort. 82 Ainsi je saurai. 83 BM : faict (La mère insiste habilement sur un mot du curé qui a vexé son fils.) 84 BM : quon demâde (À la rime.) 85 Ce qu’il en est. La mère ne craint pas qu’un pseudo-devin dise la vérité, d’autant que c’est elle qui va le rétribuer. 86 Il est pressé de rester seul avec son ancienne maîtresse. 87 Vais. 88 Ce charlatan montre aux passants une cage où frétille un petit chien vêtu de vert, qui est censé être l’incarnation du diable. La Fille bastelierre (vers 89-98) présente le même tour avec des formules similaires. 89 Mordus par ce monstre infernal. 90 Antéchrist. Voir la note 41 de la Fille bastelierre. Fière = féroce. 91 Sinon vous êtes morts. 92 Le devin sort le caniche de sa cage, et fait mine de l’empêcher de bondir sur la foule. 93 Parce qu’elle est impudique, je veux la remettre dans sa cage. 94 Les charlatans attirent les passants avec un spectacle de Grand-Guignol, et après les avoir mis en condition, ils leur vendent des remèdes miracles. Les apothicaires de la place Dauphine et du Pont-Neuf s’en feront une spécialité. Voir la notice de Maistre Pierre Doribus. 95 Les charlatans se réclament toujours de la Science, à tel point que la Fille bastelierre s’intronise « fille de la Science ». Voir le vers 275. 96 Une femme (normandisme). 97 Des onguents. Mais aussi, du sperme : « (Elle) fut garrie nettement/ Par la vertu de l’ongnement/ Dont il l’oindy par plusieurs fois ;/ Tellement que au bout de neuf mois (…)/ Elle eult du laict plain ses mamelles. » Jehan Molinet. 98 De l’huile de reins : du sperme. Cf. Tout-ménage, vers 143 et note. 99 C’est le féminin de Thibaud. 100 Enceinte. « La femèle, ce m’est avis,/ Porte deux anz quant elle est preins. » Godefroy. 101 Vers manquant. Le quibus est l’argent. « S’ilz ne vous baillent des quibus. » Sermon pour une nopce. 102 De faire un diagnostic en observant vos urines. 103 Mon habileté. Cf. Frère Phillebert, vers 100. 104 En grande hâte. 105 Même génitif archaïque aux vers 341, 392, etc. Il provient de la farce de Pathelin : « Et qui diroit à vostre mère/ Que ne feussiez filz vostre père,/ Il auroit grant fain de tancer. » 106 Que oui. Les Normands prononçaient « vaire », d’où la rime avec père. 107 Il se peut bien que ce soit lui. Cet augure s’appuie sur la réputation de lubricité qu’ont les hommes d’Église. 108 D’après ton urine. L’auteur a sans doute employé la variante « orine », qui désigne à la fois l’urine et l’origine paternelle. C’est encore un emprunt à Pathelin : « Vous n’en ystriez pas de l’orine/ Du père. » 109 Le devin devine qu’il a affaire à un garçon. Double sens ironique : Que tu es un fils bien dégourdi. 110 Elle est dans la maison avec le prêtre, alors que nous les avions laissés devant la porte. A-t-elle profité de la longue absence de Jénin pour renouer avec son ancien amant ? 111 Depuis longtemps en chemin. 112 Ce qui. 113 BM : voit bien (Jénin et l’escroc arrivent devant la maison.) 114 Ne voyant personne dehors, ils entrent. 115 Il est grand temps. 116 Allez vite. On peut s’interroger sur les sources de revenus de cette mère célibataire. 117 Le bienvenu. Même vers dans Ung jeune moyne et ung viel gendarme. 118 Sans plus de débats. 119 Cet idiot de prêtre a inventé. 120 BM : direz 121 Cela vous sera payé. 122 Il regarde le prêtre et Jénin. 123 Nouvel emprunt à Pathelin : « Oncq enfant ne resembla mieulx/ À père. » 124 BM : pour 125 Cela m’est bien égal. 126 Jénin montre le caniche dans la cage que porte le devin. 127 J’ai donc hérité de la profession paternelle. Cependant, le droit canon ne stipule pas qu’on peut devenir curé de père en fils. 128 BM : ou (Et comment cela se fait.) « Déclarez-moy d’où ne comment vous cognoissez ou vous craignez ce nom de Thisbé. » Jacques Amyot. 129 Pour cette raison. 130 Elle me la tiendra : le public ne comprend pas tout de suite que Jénin parle de l’écuelle du vers 335. L’équivoque perdure jusqu’au vers 351. Vraibis est un euphémisme pour « vrai Dieu » ; idem vers 434. 131 De mon père (note 105). Tel le Nouveau marié <vers 179>, Jénin tourne le dos au public, face à sa mère agenouillée (elle est jouée par un homme), et il remonte sa chemise longue. À propos des acteurs qui urinent sur scène, voir la note 50 de la Seconde Moralité de Genève. 132 Je me fiche de ce qu’ils pensent. Les badins ne comprennent pas les objectifs de la politesse, qui n’est pas naturelle. 133 BM : Quesse cy nas tu point de honte. / Jenin / Ouy par ma foy ien tiens bien compte 134 Ma brochette. « J’ay ma brocquette amolie. » (Parnasse satyrique du XVe siècle.) La belle broquette du fils, comparée à la grande chose du père <vers 122>, est une nouvelle preuve de leur filiation. 135 Levez l’écuelle. À la rime (vers 335 et 346), ce mot compte toujours pour deux syllabes : é-cuel’. 136 BM : Jtem (Que je hausse l’écuelle.) 137 À la connaissance philosophique. Les apothicaires usent volontiers de termes ronflants et de latinismes pour se faire valoir. Le devin scrute l’écuelle comme une boule de cristal en prenant un air inspiré. La divination par l’urine se nomme l’uromancie. 138 Le charlatan prend le parti de la mère, puisque c’est elle qui le paye. 139 C’est bien plaisanté. Nouvel emprunt à Pathelin : « Faittes-le taire !/ Et ! par Dieu, c’est trop flageollé ! » 140 Vision. 141 Transparente comme une vitre. 142 Il voit un morpion qui nage dans l’urine. 143 Teigneux. Les tignons [les chignons] portaient aussi des poux : « Il se quarre comme un pou sur un tignon. » Proverbe. 144 Pour le dire avec certitude. 145 De toute évidence. 146 BM : ses (Du public.) BM intervertit ce vers et le suivant. 147 De quoi vous mêlez-vous ? L’auteur compte de nouveau « esse » pour une syllabe aux vers 220 et 442. 148 Nouvel emprunt à Pathelin : « Chez cest advocat d’eaue doulce. » Rabelais s’inspire peut-être de notre devin quand il se moque d’un « médicin d’eau doulce », dans l’ancien Prologue du Quart Livre. 149 La mère menace de lui renverser l’écuelle d’urine sur la tête. 150 Vous repasserez ! Cette chanson est citée au vers 152 du Monde qu’on faict paistre : « –Je ne vous cherche pas un grain/ –Atendez à demain, atendez à demain ! » 151 Pas du tout. 152 Vous avez beau me faire des grimaces engageantes. 153 Vers manquant. Je lui substitue le vers 343 des Sotz escornéz. 154 Voir les vers 358-360. 155 BM : Ne 156 Quand le badin Mahuet n’est plus reconnu par sa mère, il doute de son identité de la même façon : « On ne m’appelle point Drouet :/ Je suis vostre filz Mahuet. » Janot est le nom du Badin qui se loue : « Janot est le vray nom d’un sot. » Lui aussi passe pour un « filz de prebstre ». 157 BM : ou (Je n’existe pas ? Voir les vers 440-442 de la Folie des Gorriers.) 158 Je ne suis pas un animal. Ambiguïté de badin sur l’adjectif « bête », comme au vers 98. 159 Il serait plus judicieux d’écrire : car chacun d’eux est mort. 160 Ce qu’il en est de moi. 161 La double négation se résout en : Je crois que je suis un saint. Voir la note d’André Tissier. 162 Représenté sur une icône. 163 Saint breton fantaisiste. Un des personnages de la sottie Pour le cry de la Bazoche s’appelle Monsieur Rien. Les protagonistes de la Folie des Gorriers (vers 444 et 446) estiment également qu’ils ne sont « rien ». 164 Plus noble. 165 Cette pique vise le devin. 166 Comme. « Il nous fault eschauffer/ Par la gueule, comment un four. » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) Les lansquenets, ces mercenaires allemands dont la France louait les services, étaient coutumiers des chantages : « M. de Bayard fit commandement aux lansquenetz (…) qu’ils allassent à l’assaut. Eux firent response qu’ils n’y iroient point qu’ilz n’eussent la double paye, & que tell’ estoit leur ordonnance & coustume. » (Brantôme.) « Quant aux gens de pied [aux fantassins] allemans, la pluspart s’en veult pareillement aller, fort mal contens de ce qu’on ne leur a voullu payer le moys de l’assault donné audit Sainct-Quentin. » (Archives de Simancas.)