LA BOUTEILLE
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LA BOUTEILLE
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Cette Farce de la Bouteille à 4 ou à 5 personnages n’est pas une farce, ne s’intitule pas « la Bouteille », et ne comporte que 3 personnages. Le titre « la boutaille » fut ajouté après coup par une main plus récente que celle du copiste, et ne se trouve d’ailleurs pas dans la table des matières établie par ledit copiste au début du manuscrit : « Farce joyeuse à .III. ou à .IIII. ou à .V. personnages. »
En revanche, c’est bien notre copiste qui a greffé dans l’index personæ un 4ème comparse, une Bergère, sous prétexte que le vers 285 évoque une bergerie. Et c’est toujours le même copiste qui ajoute un 5ème personnage, un Badin, en dédoublant le rôle du Fils : dans la table des matières, il note « la Mère, le Badin » au lieu de « la Mère du Badin ».
Cette pièce normande, écrite dans les années 1525-1540, n’est pas une farce mais une moralité de propagande. Son but est de convaincre le peuple du danger de la Réforme1, qui progressait à Rouen par la faute du clergé, dont les insuffisances et la corruption agaçaient jusque dans ses propres rangs. Le Badin, personnage comique et populaire, se transforme donc en prêcheur et invoque des entités allégoriques : Police a été tuée par Avarice, et doit être vengée par Justice, bien que celle-ci soit aveugle. Pour que les spectateurs — j’allais dire les fidèles — restent jusqu’au bout, cette moralité fut suivie comme d’habitude par une vraie farce, annoncée au dernier vers : « Attendez, vous aurez la Farce. »
Source : Manuscrit La Vallière, nº 47.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
[de la Boutaille]
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À .III.2 personnages, c’est asçavoir :
LA MÈRE DU BADIN
et LE VOUÉSIN
et SON FILZ [Philipin] 3
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LA MÈRE commence [en chantant :] SCÈNE I
[Se je ne puis estre joyeuse…] 4
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Mon Dieu, qu’est une femme heureuse5,
Quant il advient que Dieu luy donne
Un enfant, et puys qu’il s’adonne
5 À estre sage et bien aprins !
J’en ay tel deuil en mon cœur prins
Qu(e) impossible est que ne desvye6.
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LE FILZ entre à tout 7 unne bouteille. SCÈNE II
Ma foy, ma mère, j’ey envye
De vous compter aulcune chose8
10 Qui est en mon esprit enclose
Sy très avant que c’est merveille.
LA MÈRE
Et quoy, mon Dieu ?
LE FILZ, BADIN
Je m’émerveille
Comment un homme fust sy sage
Qui, par un sy petit passage,
15 Mist ce vaisseau en cest esclisse9.
LA FEMME
Mon Dieu ! je croy qu’il est éclipse
Soyt du soleil ou de la lune.
En est-il, au monde, encor une
Plus tourmentée que je suys ?
LE FILZ
20 Je ne dy pas sy le pertuys10
Fust assez grand pour le passer ;
Mais de luy mectre sans casser,
Cela me faict trop esbahir.
LA FEMME
Vray Dieu, que je doy bien haÿr
25 La journée que vins sur terre !
LE FILZ
Sy le vaisseau ne fust de terre,
J’estimeroys que ce fust fonte11.
LA FEMME
A ! mon filz, n’as-tu poinct de honte
De tout cela te démenter12 ?
LE FILZ
30 Tel cuyde aucunefoys monter
Deulx pas[s]es13 qui en descent quatre.
LA FEMME
Regardez : il se va débatre
D’une chose dont n’a que faire.
LE FILZ
Ma mère, bien souvent un bon taire14
35 Vault myeulx, dis foys, que tant parler.
LA FEMME
Il parachève d’afoller !
Je ne sçay, moy, que ce peult estre15.
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LE VOÉSIN entre SCÈNE III
Honneur, honneur !
LE FILZ
Dieu vous gard, Maistre16 !
Vous soyez le trèsbien trouvé17 !
LA FEMME
40 Joyeuse suys qu’estes aryvé,
À ceste heure, je vous afye18 !
LE VOÉSIN
Pourquoy cela ?
LA FEMME
A ! je me fye,
[Et au moins y ay-je espérance,]19
Que sy vous remontrez l’ofence
45 À ce garson, y vous croyra.
LE VOÉSIN
Pensez, commère, qu’il fera
Plustost pour vous que pour un aultre.
LE FILZ
(Autant pour l’un comme pour l’aultre !
Je voy bien que perdez vos peines.)
LE VOÉSIN
50 Que dictes-vous ?
LE FILZ
Que les avoynes20
Seront chères, l’an[n]ée qui vient.
LA FEMME
Regardez quel propos il tient !
En vîtes-vous onc de sa sorte ?
LE VOÉSIN
Ma commère, vous estes sote :
55 Fault-il pas voir ains que pourvoir21 ?
Alons un peu à luy sçavoir
Quel estat22 c’est qu’i veult tenir.
Un jour, il poura parvenyr
À bien grande perfection.
LA FEMME
60 Hélas, j’avoys intention
De luy faire métier aprendre.
LE VOÉSIN
Il est encor[e] jeune et tendre
Pour luy metre, sy vous voulez.
[LA FEMME] 23
Beaucoup de gens pensent voler
65 Devant24 qu’il ayent aulcune(s) plume(s).
[LE VOÉSIN]
Que voulez-vous : c’est la coustume
Des jeunes gens de maintenant.
[LE FILZ]
Lors qu’Absalon25 estoyt la main tenant
Contre David (son père géniteur),
70 Par le vouloir du divin Créateur
[Sans cordelle ny corde il fust pendu]26,
Signyfiant que nul, de sa vertu27,
Ne doibt voler devant qu’il ayt des elles28.
LE VOÉSIN
[ Ne scays-tu poinct d’aultres nouvelles ?29
LA FEMME
75 À tous les coups son sot sens erre.30 ]
Ph[i]lipin, voécy mon compère
Qui te veult dire un mot segret31.
LE FILZ
Quant Pharaon, par un despit aygret32,
Fist assembler son ost et [son hostel]33
80 Pour courir sus aulx enfans d’Israël,
N’estoit-ce34 pas contre Dieu faict ofence ?
Lors, le Seigneur, par sa digne clémence,
Feist eschaper les Ébreulx sans danger.
Et Pharaon et toute sa puissance
85 Au fons de l’eaue furent tous submergés.
LA FEMME
Tu nous faictz bien icy songer !
Respons-nous un mot à propos.
LE FILZ, en chantant :
Combien les pos ? Combien les pos ? 35
Deulx liars ? C’est trop.
90 Dancez « les Amourètes » :
Tel les a qui ne les dance mye,
Tel les a qui ne les dance pas.
LA FEMME
[Nulle chose ne respondras]36 ?
LE FILZ
Ma foy, je ne vous voy[oi]es pas,
95 Ma mère : pardonnez-le-moy.
LE VOÉSIN
Vien çà, orphelin ! Parle à moy :
Tu es jà grand et bien taillé ;
Y convyent que tu soys baillé
À quelque maistre pour aprendre.
LE FILZ
100 Hen ?
LE VOÉSIN
Il convyent que tu soys baillé.
LE FILZ
A, il convyent que je soys taillé37 ??
LE VOÉSIN
Nennyn non !
LE FILZ
Faictes-moy donq entendre.
Je l’avoys ainsy entendu.
LA FEMME
Tu es tant sot et tant testu
105 Qu’on [n’]entent riens à ton afaire.
LE FILZ
Tousjours n’est pas temps de se taire.
Aulcunefoys, fault paroller.
LA FEMME
Tu ne faictz que crier et braire,
Et ne sçays de quoy te mesler.
LE FILZ
110 On aura bien à desmeller
Devant qu’i soyt long temps d’icy38…
Par sainct Jehan ! vous avez vécy39 :
Qu’esse donc icy que je sens ?
LE VOÉSIN
Il est encor plus hors du sens,
115 Qui40 prend garde à tout son langage.
LE FILZ
Salomon, qui fust le plus sage
De tous les roys, et le plus fin,
Toutefoys, par mauvais usaige,
Y fust ydolastre41 à la fin.
LA FEMME
120 Or çà ! que dictes-vous, voésin ?
Y trouvez-vous ny boult ny ryve42 ?
LE FILZ
Ceulx de la cité de Nynyve
Pour43 leurs maulx firent pénytence.
Qui fist cela ? La remonstrance
125 Que leur fist Jonas le Prophète.
Combien fauldroict-il de prophètes
À prescher maintenant le monde ?
N’esse pas chose bien immunde
Qu’i faille que le propre père
130 Pourchasse à son filz vitupère44 ?
Vous le voyez de jour en aultre.
LE VOÉSIN
Mais laissons cela, parlons d’aultre,
Orphelin : vous estes troublé.
LE FILZ
Pleust à Dieu que l’on eust criblé45
135 Le bon grain d’avèques la paille !
LA FEMME
Nous ne gaignons pas une maille46
De plus luy cryer à l’horeille.
LE FILZ
Je suys encor à ma bouteille :
Mais quant g’y pence, c’est la chose
140 La plus subtillement enclose
(Sur ma foy) que je vis jamais !
LE VOÉSIN
Vous dictes vray, orphelin ; mais
Tout cela ne nous sert de guère.
LE FILZ, chantant :
Fauchez, fénez la feugère 47 :
145 S’el est verte, el revyendra 48.
Vous vouérez un temps qui viendra
Changer ce49 temps en maincte guise.
LE VOÉSIN
Faisons-en un homme d’Église :
Je n’y trouves aultre moyen.
LA FEMME
150 Hélas, compère, y ne sçayt rien :
Ce ne seroyt que vitupère50.
LE VOÉSIN
O ! ne vous chaille, ma commère :
Il en est bien d’aultres que luy
Qui ne sayvent ny fa ny my 51.
155 Mais qu’il sache son livre lyre52
Et qu’il puisse sa messe dyre,
C’est le plus fort de la matyère.
LA FEMME
Je vous prye donc, mon compère :
Faictes-en vostre intention.
LE FILZ
160 Cil53 qui trouva l’invention
De la faire par là passer54,
Ce ne fust pas sans y penser
(Le deable m’enport) longue pose55 !
LA FEMME, plorant.
Sa povre teste ne repose
165 Non plus que faict l’eau de la mer.
Ne me doibt cela estre amer,
De le veoir ainsy assoté56 ?
LE VOÉSIN
Vous en dictes la vérité ;
Mais c’est jeunesse qui se passe.
LE FILZ
170 « Assez va qui fortune passe57 »,
Ce dict-on en commun langaige.
Thobye escheva58 ce passaige
Quant [Dieu, par grâce, l’eut]59 conduict
Vers Raphaël60 (comme il est dict)
175 Pour avoir la61 fille à espouse.
Toute personne qui dispouse
De tout son cœur et son entente
À aymer Dieu, a ! je me vante
Qu’il viendra à chef de ses fins62.
180 Pensez-vous qu’il est des gens fins63
Qui [n’observent pas ce]64 grand cas ?
LA FEMME
Voécy bien un merveilleux cas !
Il ne respont à nulle chose
Que nul de nous deulx luy oppose65.
185 Je ne sçay, moy, que c’est66 à faire.
Entens un peu à mon compère,
Et faictz tout ce qu’il te conseille !67
LE FILZ
Alez tout beau, pour ma bouteille !
À peu68 que ne l’avez cassée.
LA FEMME
190 J’ey la teste sy très lassée
Que je ne sçay que devenyr.
Quel estat veulx-tu maintenyr ?
Il est de le sçavoir mestier69.
LE VOÉSIN
Sy tu veulx estre de mestier70,
195 Il est saison71 que tu t’avise.
LE FILZ
Y me fault estre gens d’Église :
Ce me semble un mestier notable.
LE VOÉSIN
La chose est toute véritable.
Mais il fauldroict
LE FILZ
Et quoy ?
LE VOÉSIN
200 Mais72 fauldroict estre cléricus.
LE FILZ
Je sçay bien mon Avé salus 73,
Mon Imanus 74, mon Déo75 pars.
J’en sçay (par Dieu) plus des troys pars76
Que ne faisoyt maistre Morelles77.
205 Quoy, je remue bien les escuelles78 ;
Et sy, say bien les poys eslyre79.
J’escriptz bien (sy je savoys lyre).
Je faictz res[s]us[c]iter les mors.
Tel que je suys, je chye dehors,
210 Puys à la maison voys80 menger.
Et sy81, aussy bien sçay garder
Comme [vous-]mesmes les ouésons82.
LE VOÉSIN
Voy(e)là les plus sotes raisons
Qu(e) homme pouroyt veoir ne congnoistre !
LA FEMME
215 Regardez : y veult estre prestre,
Et ne sçayt rien qui soyt, beau syre.
Le filz ridet 83 modicum longe.
LA FEMME
Qu’as-tu ?
LE FILZ
Je me suys prins à rire
Quant j’ey oÿ vostre parolle.
LA FEMME
Pourquoy cela ?
LE FILZ
Vous estes folle
220 De présumer sy peu de sens
En moy, veu que [plus de] cinq cens
Sont aujourd’uy parmy le monde,
En qui84 tant de richesse abonde
Du revenu de la coquille85 ;
225 Et toutefoys, il n’y a drille86
De sçavoir en eulx, somme toute.
LE VOÉSIN
Qu[oy !] il n’y a poinct…
LE FILZ
Grain ny goute !
C’est un cas87 tout acerténé.
LE VOÉSIN
Vous me rendez bien estonné88.
230 Comme se pouroyt cela faire ?
LE FILZ
Par le moyen d’un beau vicaire89
Qui prendra le soing et la cure90
Du bénéfice91 ou de la cure.
Voylà comme c’est qu’on en use.
LE VOÉSIN
235 Voyre. Mais le curé s’abuse
De recepvoir le revenu,
Sy par luy n’est entretenu
Le divin service ordinaire.
LE FILZ
De quoy servyroit le vicaire
240 Qu’il auroyt commys en son lieu92 ?
LE VOÉSIN
Yl prennent donc le bien de Dieu
Sans en faire [nul] droict quelconques.
LE FILZ
Et ! comme l’entendez-vous donques ?
On n’est jamais prins qu’en prenant.
245 Mais autant curés que servant93
Y fauldra, du94 tout, satiffaire.
Nous avons eu beaucoup à faire,
Puys95 la mort de nostre nourisse.
LE VOÉSIN
Qui estoyt-el ?
LE FILZ
[C’estoyt] Police96.
250 Y n’en fust onq[ues] de la sorte.
LE VOÉSIN
Police ?
LE FILZ
Ma foy, elle est morte :
Il n’est plus de Police au monde.
LE VOÉSIN
O ! la meilleure de ce monde,
Av’ous97 ceste ville laissée ?
LE FILZ
255 C’en est faict :98 elle est trespassée,
Il est certain, je vous assure.
LE VOÉSIN
C’est une piteuse avanture,
D’avoir laissé mourir Police.
[Et] qui en est cause ?
LE FILZ
Avarice99,
260 Qui, par son art et sa malice,
L’a abatue et consommée100.
Et sy de brief el n’est sommée
De vyder101 hors de ces quartiers,
Il ne demeurera le tiers
265 Du monde que tout ne consomme102.
LE VOÉSIN
C’est donq bien [à] droict103 qu’on la somme
De vyder hors : il est propice104.
LE FILZ
[Hélas,] qui le fera ?
LE VOÉSIN
Justice ;
Il n’en fault poinct avoir de doubte.
LE FILZ
270 Justice ?
LE VOÉSIN
Voy(e)re.
LE FILZ
El(le) ne voyt goute105.
Je faictz doubte qu’el(le) ne varye106.
Celuy ou celle qui charye107
Soublz la conduicte de la nuyct,
Bien souvent, aucun cas108 luy nuyct,
275 Qui le faict en bas trébucher.
Mais celuy qui veult chevaucher
Par voyes109, champaigne et brierre,
Ensuyve tousjours la lumyère
Du jour, afin qu’i ne forvoye110. Il chante :
280 Las ! je ne puys aler la voye 111
Pour rencontrer le myen amy.
Las ! je ne puys aler la voye.
Et sy, ne puys parler à luy.
Cestuy-là qui n’entre par l’huys
285 En l’estable de la bergerye 112,
Il y a quelque cas 113 en luy,
Puysqu’il ne veult entrer par l’uys.
De belle nuyct, il [faict saillie] 114
Par-dessus la massonnerye 115,
290 Et ne veult pas entrer par l’uys
En l’estable de la bergerye.
LA FEMME 116
Y revyent à sa rêverye :
Voécy bien chose nonpareille !
LE FILZ
Par Dieu, ma mère, la bouteille117
295 Ne fust jamais mal inventée :
Esse rien de l’avoir boutée
Là-dedens ainsy bien apoinct ?
LE VOÉSIN
Sy est, car el(le) ne branle poinct :
Y n’est, au monde, rien plus ferme.
LE FILZ
300 Elle ne branle grain ne lerme118 ;
Il semble qu’el soyt chymentée119.
Sy la Foy fust ainsy artée120
En l’esprist de toute personne,
La Foy seroyt [et] juste et bonne ;
305 On n’yroict poinct à reculons.
LE VOÉSIN
Que voulez-vous ? Sont « papillons121 »
Qui ont sentu le renouveau122.
LE FILZ
Tout cest enseignement nouveau
Ne nous profite123 de deulx melles.
310 De quoy servent tant de libelles
— Tant en françoys comme en latin —
Disant124 qu’on chante trop matin ?
On dict que ce n’est pas bon signe.
LE VOÉSIN
Je prens congé de vous, voésine.
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315 Seigneurs, pour la conclusion,
Servons Celuy qui tous domyne
De toute nostre affection.
Fuyons nouvelle invention,
Qui est dangereuse et perverse :
320 Ce n’est que toute abusion125.
Atendez, vous aurez la Farce.
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FINIS
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1 Sur l’utilisation du théâtre dans les polémiques religieuses, voir la notice des Povres deables. 2 LV ajoute : ou iiii (Au-dessus de la ligne, il ajoute : ou a v) 3 C’est le fils de la Mère, et peut-être celui du Voisin, qui s’occupe de lui paternellement. Son rôle est tenu par un Badin : les Badins, de par leur proximité avec les fous, peuvent distiller quelques vérités que les acteurs ordinaires ne pourraient pas dire. Voir la définition de lui-même que donne le Badin des Sobres Sotz. LV ajoute : et la bergere 4 Beaucoup de farces commencent par le 1er vers d’une chanson à la mode qui rime avec le 1er vers de la pièce : les Mal contentes, Colin qui loue et despite Dieu, le Dyalogue pour jeunes enfans, etc. Notre copiste n’a pas gardé la chanson initiale, qui ne devait plus être à la mode quand il officiait (~ 1575). Pour que le 1er vers ne reste pas orphelin, j’en ai pioché une dans le recueil de Brian Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. II, p. 259. 5 Que les autres femmes sont heureuses ! 6 Qu’il est impossible que je ne perde pas la vie. 7 Avec. 8 De vous raconter une chose. 9 Mit cette bouteille dans cette éclisse. Pour protéger les bouteilles de bon vin, on tressait tout autour un treillis en osier : « Une bouteille clissée pleine de vin breton. » (Tiers Livre, 45.) Le Fils — qui, comme tous les Badins, comprend tout à l’envers — croit qu’on a introduit la bouteille dans une éclisse déjà faite. Le « vaisseau » désigne, comme au vers 26, une bouteille en terre cuite : « Flacons, potz et vaisseaulx. » (Les Sotz escornéz.) Les amateurs d’anachronismes ont vu dans ce vaisseau une maquette de bateau. 10 Le goulot de l’éclisse. 11 Si la bouteille n’était pas en terre cuite mais en verre, un fondeur de verre aurait pu la souffler à l’intérieur de l’éclisse. 12 Te préoccuper. 13 Deux marches d’escalier. « Les passes à degré de pierre. » ATILF. 14 Un silence. 15 Je ne sais pas ce qui se passe. Même vers dans Frère Frappart, dans le Prince et les deux Sotz, etc. 16 On ignore la profession du Voisin ; mais s’il est qualifié de Maître, il ne garde pas des oies, contrairement à ce qu’insinue le vers 212. Le fait qu’il entre sans frapper chez une veuve laisse croire qu’il est son amant. 17 Le bienvenu. 18 Je vous l’affirme. 19 Vers manquant. J’emprunte le vers 125 de la Confession du Brigant. 20 Les Normands prononçaient « avaines », d’où l’homophonie approximative sur « peines ». 21 LV : scauoir (à la rime.) Avant de prendre les mesures nécessaires. 22 Quelle profession. Idem vers 192. 23 LV : le filz 24 Avant. 25 Il entra en guerre contre son père, le roi David. Le théâtre use souvent du décasyllabe dans ses emprunts aux légendes bibliques ou mythologiques, et dans les envolées prophétiques. 26 LV : y fust pendu sans cordes ny cordelles (Sa longue chevelure s’accrocha aux branches d’un arbre, et les soldats du roi le tuèrent. « Ou aux cheveulx, comme Absalon, pendus. » Villon.) 27 De son propre chef. 28 Avant d’avoir des ailes. « Qui cuydent sans elles voller. » Le Clerc qui fut refusé. 29 Vers manquant. N’as-tu rien de plus intéressant à nous dire ? « –Sces-tu rien ? –Comme quoy ? –Nouvelles./ –Se l’en povoit voller sans elles. » Les Vigilles Triboullet. 30 Vers manquant. J’emprunte le vers 471 de l’Arbalestre. 31 En secret, en particulier. 32 Un peu aigre. Ce roi d’Égypte poursuivit les Hébreux jusqu’à la mer Rouge, qui s’ouvrit pour les laisser passer : l’Éternel, se prenant pour le dieu Éole, avait soufflé du vent pour écarter les flots. 33 LV : sa puissance (Son armée et sa Cour. « Des plus grans de son hostel et de ceulx de son privé conseil. » E. de Monstrelet.) 34 LV : netoise 35 Cette chanson inconnue rappelle la scène du marchandage des pots dans Cautelleux, Barat et le Villain, vers 200-4. 36 LV : respondras tu aucune chouze (Voir le vers 183.) 37 Châtré. Les acteurs rajoutaient des vers dans les passages comiques, quitte à les rendre moins drôles. 38 Avant longtemps, nous aurons bien des choses à clarifier. Cette menace vise peut-être la conduite de la Mère par rapport au Voisin. 39 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire : cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 69. 40 Si l’on. Ou bien : Celui qui. 41 Influencé par les croyances de ses épouses étrangères, il passa pour idolâtre. « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon. 42 Y trouvez-vous quelque chose à quoi vous raccrocher ? 43 LV : et (Ses habitants avaient fait aux juifs de nombreux maux ; le prophète Jonas les contraignit à s’en repentir.) 44 Qu’un père devenu protestant cherche à outrager son fils resté catholique. Ces drames familiaux trouveront leur apogée dans l’affaire Calas. Bien sûr, le fanatisme était aussi virulent du côté des pères catholiques dont le fils devenait luthérien. 45 Qu’on ait séparé à l’aide d’un crible le bon grain catholique de l’ivraie protestante. 46 Un sou. « Tu n’y gaignes pas une maille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 47 Coupez et séchez la fougère. Chanson inconnue. 48 Elle reprendra si on la plante. 49 LV : le (Changer le temps présent de plusieurs manières.) 50 Honte, cause de reproches. Idem vers 130. 51 Qui ne savent rien. « Je n’y entens ne fa, ne my. » Raoullet Ployart, et le Mince de quaire. 52 Pour peu qu’il sache lire son bréviaire. 53 Celui. Le fils contemple à nouveau sa bouteille. 54 De faire passer la bouteille par l’ouverture étroite de l’éclisse. 55 Longue pause : longtemps. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 828. 56 LV : asoty 57 Celui qui échappe à une tempête. « Souspris d’une fortunne/ En laquelle il ne peut passer. » (ATILF.) Ce proverbe bien connu possède une variante qui l’est moins : « Assez fait qui fortune passe, & plus encor qui putain chasse. » (Cotgrave.) 58 LV : acheua (« Eschever » est la forme normande d’« esquiver » : cf. le Ribault marié, vers 535.) Tobie esquiva cette chausse-trape. Dieu lui envoya l’archange Raphaël pour l’empêcher de posséder sa future épouse tant qu’elle était possédée par le démon. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 143-5. 59 LV : zacarye le (Le scribe n’a rien compris à cette histoire.) 60 LV : laquelle (« Que Raphaël fist à Thobye/ Une grant bénédiction. » L’Ordre de mariage et de prebstrise, F 31.) 61 LV : sa (« Quant est de la fille espouser. » Pour le Cry de la Bazoche.) 62 Qu’il viendra à bout de ses intentions. 63 Retors : des huguenots. 64 LV : ne seruent pas de (Qui ne suivent pas cette règle capitale.) 65 LV : imposse (Lui objecte.) 66 Ce qu’il y a. 67 La Mère secoue son fils, qui manque de lâcher sa bouteille. 68 Il s’en faut de peu. 69 Besoin. 70 Les gens de métier sont les artisans. 71 Il est temps. 72 LV : y (Voir le vers d’acteur qui précède.) Mais il faudrait être clerc, c’est-à-dire apprendre le latin. 73 « Avé salus ! Dominus pars ! » Les Trois amoureux de la croix. 74 In manus. Le clerc inculte d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre commet la même faute : « Je sçay bien mon Rétributor,/ Mon Imanus. » 75 Nouvelle faute pour Dominus : « Ne diront-y Domynus pars ? » La Réformeresse. 76 Je sais trois quarts de choses en plus. 77 L’ancien curé. Est-ce un nom réel ? 78 Je suis un gros mangeur. 79 LV : esluyre (Et aussi, je sais bien trier les pois. « Ce sont de mestres poys…. / Y n’y a qu’eslire. » L’Homme à mes pois.) 80 Je vais. 81 Et aussi, et même. Idem vers 206 et 283. 82 Garder les oies n’exige aucun génie particulier, comme en témoigne le clerc stupide d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre. 83 LV : redet (Le fils rit, non loin.) 84 Auxquels. 85 Ils vendent des pèlerinages, comme le curé du Pèlerinage de Saincte-Caquette. La coquille Saint-Jacques est l’emblème des pèlerins. 86 Ce mot normand, qui désigne une tranche de pain, est souvent minoratif : Il n’y a pas une miette. « Drille ne gagnay de cest an. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 87 LV : gras (C’est une chose certaine.) 88 Cet étonnement n’est là que pour donner la réplique au Badin : le Voisin a lui-même pourfendu l’ignorance des prêtres aux vers 148-157. 89 Ce suppléant du curé pouvait dire la messe en l’absence du titulaire de la cure. Les curés qui avaient obtenu plusieurs cures afin d’encaisser plusieurs bénéfices ne visitaient pas souvent leurs églises. 90 La responsabilité. 91 Du bénéfice ecclésiastique : abbaye, cure, etc. Voir les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content. 92 À sa place. 93 LV : preuant (Que le desservant : celui qui assure le service divin.) 94 LV : de (Il faudra totalement défrayer.) 95 Depuis. 96 L’ordre que fait régner une bonne administration. 97 Contraction normande de « avez-vous ». 98 LV ajoute dessous une réplique du Voisin : pour tout vray 99 Cupidité. Encore un personnage de moralité : cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 31. 100 Consumée, détruite. Idem vers 265. 101 De vider les lieux, de partir. Idem vers 267. 102 Sans qu’elle ne le détruise tout. 103 À juste raison. 104 C’est de circonstance. 105 La Justice a les yeux bandés. 106 Je redoute qu’elle ne tergiverse. 107 Qui conduit une charrette. 108 Quelque chose. Les rues, n’étant pas éclairées, dissimulent des trous et des obstacles. 109 LV : voyee (« Voi-e » compte pour 2 syllabes.) Par les voies, les plaines et les terres en friches. 110 LV : foruoyee (Je corrige aussi la rime voyee aux vers 280 et 282.) Afin qu’il ne se fourvoie pas. 111 Aller mon chemin. Cette chanson de bergère — un genre très prisé des citadins — a fait croire au copiste que la distribution s’était enrichie d’un personnage de bergère. 112 « Nous édifierons icy des estables de bergerie pour noz troppeaux. » Bible de 1535. 113 Il y a un problème. 114 LV : va saillir (En pleine nuit, il en sort.) 115 En sautant par-dessus le mur. 116 Elle n’est pas intervenue dans les 72 vers de la conversation « sérieuse » entre les deux hommes. 117 LV : boutaille (La rime est en -eille, comme aux vers 137 et 187.) 118 Ni grain, ni larme : pas du tout. C’est l’équivalent du « ni grain, ni goutte » du vers 227. 119 Cimentée (prononciation normande). 120 Arrêtée, fixée. Syncope normande ; cf. l’Homme à mes pois, vers 335. 121 Des papistes. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 539 et note. 122 Qui ont senti un vent de Réforme. 123 LV : profitent (Ne nous profite pas plus que deux nèfles.) 124 LV : depuys (Les protestants reprochent aux moines, qui se lèvent aux aurores pour chanter les matines, de réveiller « tout leur voisinage à force de trinqueballer leurs cloches », comme le dit Rabelais.) 125 Tromperie. Ce vers apparaît notamment dans la Ballade des seigneurs du temps jadis, de Villon.
LE VOYAGE DE FRÈRE FÉCISTI
*
LE VOYAGE DE
FRÈRE FÉCISTI
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L’écrivain calviniste Jacques Bienvenu, né vers 1525 à Genève, est l’auteur de plusieurs pièces de polémique religieuse. Il composa cette farce en 1563, du vivant des trois hommes qu’elle met en scène :
1. Nostradamus <Michel de Nostredame, 1503-1566>. L’astrologue provençal a beaucoup fait ricaner les luthériens ; ils lui reprochaient sans doute de ne pas prédire le triomphe de la Réforme.
2. Brusquet <Jean-Antoine Lombard, 1510-1568>. Cet autre Provençal fut le fou de plusieurs rois. En 1566, on l’accusera d’avoir trahi au profit des huguenots1 : Bienvenu a eu du flair en le prenant comme porte-parole. L’acteur qui joue le bouffon royal est costumé en fou, comme les acteurs de sotties ; Bienvenu mettra plusieurs Sots dans sa Comédie du Monde malade et mal pansé (1568).
3. Frère Fécisti2 <Antoine Cathalan, né vers 1500, mort après 1566>. C’est un cordelier lubrique, à l’image de frère Frappart, nommé au vers 65. Noël du Fail évoquera sa paillardise dans les Contes et discours d’Eutrapel : « Le plus brave et galant tabourdeur qu’elle eust onc veu en telles matières s’apelloit frater Fécisti…. Lassée, rompue et barbouillée, fut à moy [de] luy dire : “Monsieur Frater Fécisti, je vous prie me laisser un peu en paix…. Et n’y a dix, voire douze femmes (…) qui peussent soustenir si furieux coups et chocs umbilicaires….” Frater Fécisti, quasi diceret [autrement dit] : Mon doux frère, as-tu faict [as-tu fini de faire l’amour] ? »
Dans la vraie vie, ce cordelier n’est autre que l’arithméticien Antoine Cathalan (ou Cathelan), une des bêtes noires des réformateurs3. Les Satyres chrestiennes de la cuisine papale, pamphlet anticatholique de 1560, dressent son portrait : « Antoine Catelan, condamné pour bougre[rie] en son convent d’Alby, foitté4 pour adultère au convent de l’Observance à Thoulouse (…), depuis devenu maistre Aliboron5 en Italie, & de là, ayant contrefaict l’évangéliste6 avec une putain par l’espace de deux ans, par faute de trouver qui s’en voulust servir7, devenu pillier de la foy catholicque. » Ayant reçu des coups de verges sur les fesses lorsqu’il était au couvent, Cathalan faillit en recevoir d’autres à Lausanne : il commit une faute de latin devant son professeur, Théodore de Bèze ; ce dernier, « fasché de telle asnerie, luy remonstra qu’il devoit estre envoyé aux verges…. Il fut banni, sur peine du fouet8. » Le cordelier redevint donc papiste, et se vengea des luthériens, qui le lui rendirent au centuple, comme cette farce en porte le témoignage.
Source : Édition imprimée officiellement à Nîmes (et officieusement à Genève) en 1589, et conservée à la bibliothèque de Genève, Hf 2204 (4).
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Comédie facétieuse
et très plaisante du
Voyage de frère Fécisti
en Provence vers
Nostradamus,
pour savoir certaines nouvelles
des clefs de Paradis & d’Enfer,
que le pape avoit perdues.
.
*
[ BRUSQUET
FRÈRE FÉCISTI
NOSTRADAMUS ]
.
*
BRUSQUET9 SCÈNE I
Dieu soit céans ! Dieu vous gard tous et toutes
Du mal des dents, des fièvres et des gouttes !
Et tous ces maux, au lieu de vous venir,
Puissent plustost aux moynes subvenir10 !
5 Ho ! qu’ay-je dict ? En voilà ung qui passe.
S’il m’a ouÿ, j’auray sa malle grâce11 ;
Et à ma mort, dire ne voudra jà
De profondis, ny Ave Maria.
Mais je le veux de plus près recognoistre,
10 Pour adviser au moings quel il peut estre,
Et luy parler par quelque bon moyen.
.
Beau Père, Dieu vous gard de bien12 ! SCÈNE II
FRÈRE FÉCISTI
Et S. François13 vous gard de mesme,
Monsieur !
BRUSQUET
Quoy ! vous estes tout blesme :
15 Vous semblez tout fasché, de vray.
Qu’avez-vous, beau Père ?
FRÈRE FÉCISTI
Que j’ay ?
J’ay la teste un petit14 plus grosse
Que le poing.
BRUSQUET
Vous craignez la trousse15,
Beau Père, je voy bien que c’est16.
20 Mais déclairez-moy, s’il vous plaist,
Hardiment vostre maladie.
FRÈRE FÉCISTI
Que voulez-vous que je vous die ?
Peut-estre estes-vous huguenot,
Que voulez icy par un mot
25 Me tirer quelque ver du nez.
BRUSQUET
Non suis, non, ne vous estonnez !
Je ne le suis ny ne le veux estre.
FRÈRE FÉCISTI
Je vous voudrois donc bien cognoistre,
Avant que vous déceler rien17.
BRUSQUET
30 Comment me cognoistriez-vous bien ?
Je ne me cognoy qu’à grand-peine.
FRÈRE FÉCISTI
L’asseurance est donc peu certaine
Pour vous déclarer tout mon cas.
BRUSQUET
Dittes-l(e) ou ne le dittes pas :
35 Je ne vous y veux point contraindre.
Mais si18, ne devez-vous pas craindre
De me dire vostre secret,
Car j’aurois un trop grand regret
De l’aller redire à personne.
FRÈRE FÉCISTI
40 Vostre parole est assez bonne,
Mais que l’effect soit aussi seur19.
BRUSQUET
Ho ! beau Père, en avez-vous peur ?
Seur comme une planche pourrie.
FRÈRE FÉCISTI
Ha ! benoiste Vierge Marie,
45 Quel homme auray-je icy trouvé !
Vrayement, je suis [bien] arrivé20 :
De me noyer je n’ay jà garde21.
BRUSQUET
Non pas, si bien le gibbet garde
Les droicts qu’il peut avoir sur vous22.
FRÈRE FÉCISTI
50 Hélà, Monsieur ! parlons tout doux.
Vous tenez un fort gros langage.
Vous me faites cy un présage
Dont je ne vous sçay point de gré.
Vous seriez plus haut d’un degré23,
55 Si vous danciez s[o]us une eschelle.
Or, Monsieur, ma charge m’appelle
En autre part. Vostre congé24 !
BRUSQUET
Ha ! frater, vous l’avez songé25
Pour vous oster de ma présence.
FRÈRE FÉCISTI
60 Non ay, car je vay en Provence
Pour un affaire de grand pois.
BRUSQUET
À Dieu donc, jusqu’une autre fois
Que boire nous pourrons ensemble.
.
Le moine s’en va 26, et Brusquet
demeure seul, qui dict :
Je suis trompé, ou il me semble SCÈNE III
65 Avoir veu ce frère Frapart27
N’a pas long temps en quelque part.
Mais de son nom je n’ay mémoire…
Et ! quasi que je cuide croire
Que c’est un moyne de Romans28
70 Que29, depuis environ sept ans,
« Frère Fécisti » l’on surnomme.
Et sçavez-vous pourquoy et comme
Ce nom, « Fécisti », luy fut mis ?
Il s’estoit un jour entremis
75 D’embrasser30 ne sçay quelle garce ;
Mais ce fut le pis de la farce
Que, quand le cas fut descouvert,
Dieu sçait s’il fut fessé bien vert31
Par les autres, dans le chappitre32 !
80 Et pource qu’au povre bélistre33
Les autres moynes disoyent tous,
En assé[n]ant sur luy les coups :
« Hei ! mi frater, quid fecisti ?
Ordinem inquinavisti ! 34 »
85 Depuis, par occasion telle,
« Frère Fécisti » l’on l’appelle.
Et luy vient ce nom bien à point :
Car je croy qu’au monde n’est point
Un plus grand avaleur de brayes35 !
90 Et luy apprestois bien des bayes36,
S’il ne se fust sauvé si tost.
Mais je l’atteindray bien tantost,
Puisqu’il est allé en Provence.
Et s’il vous plaît en patience
95 Attendre un petit en ce lieu,
Je vous feray (s’il plaist à Dieu)
Entendre à plain de son affaire.
Car je veux sçavoir qu’il37 va faire
Si vistement en mon païs38.
Pause.
Et Brusquet va après le moine. 39
*
NOSTRADAMUS, estant en son
estude, regardant une sphère. 40
100 Plusieurs seront fort esbahis SCÈNE IV
À l’advenir, quoy que l’on die :
Car je voy que la mélodie
Du grand navire du désert41
De petit à petit se pert,
105 Si Saturne n’en prent la cure42.
Juppiter se joint à Mercure,
La Lune se lève à midi43.
Mars est devenu fort hardi :
Il court comm’ un lappin en & broche44.
110 Vénus le suit et ne l’approche ;
Orion45 se met entredeux,
Qui causera grand cherté d’œufs,
Et à foison de cacqueroles46.
Vulcan menace les idoles47
115 De la challeur de ses forneaux.
Lorsque la toison des agneaux
Sera plus chèrement vendue…
.
FRÈRE FÉCISTI, en cheminant 48
Si sainct François a entendue SCÈNE V
La prière que luy ay faict,
120 Je tien pour asseuré mon faict
Comme49 desjà dedans ma manche ;
Car sa volonté est si franche,
Et mesmement envers les siens50,
Qu’il ne les esconduit de riens,
125 Mais tout, volontiers, leur ottroye51.
Or me voici droit en la voye
Qui conduit à Salon-de-Craux52,
Où j’estime (si je ne faux53)
Que ce Nostradamus demeure.
130 Sainct François vueille qu’à telle heure
Je puisse vers luy arriver !
Qu’il me face bien tost trouver
Ce que je cerche à si grand-peine !
.
BRUSQUET54 SCÈNE VI
Je suis quasi tout hors d’haleine
135 Du viste55 que je suis venu
Pour voir que seroit devenu
Mon maistre moyne à haute lice56.
Son sainct luy sera bien propice57,
S’il eschappe sans me parler :
140 Car il ne peut en lieu aller
Qu’il ne vienne58 par ce passage.
Mais puisque j’ay pris l’advantage
Jusques icy, et cependant
Que j’ay loisir en attendant
145 Qu’il vienne, afin qu’il ne m’ennuye59,
Il me prend désir et envie
De visiter Nostradamus,
Pour veoir comment il est camus
Quand ses diables luy font la moue60.
.
NOSTRADAMUS, seul, hors de son
estude, tenant tousjours sa sphère.
150 Je voy Herculès qui se joue SCÈNE VII
D’un vieil sabot61 avec Juno.
D’autre costé, voilà Bruno62
Qui desplore fort sa Chartrousse63.
Et quelques-uns auront la trousse,
155 Qui n’auront guères bien dancé.
.
BRUSQUET, en le tirant par sa robbe
Holà, Monsieur ! C’est trop pensé, SCÈNE VIII
C’est trop espié les estoiles :
L’orage est grand, calez64 les voiles,
Et puis laissez faire au Patron65.
NOSTRADAMUS, en se retirant 66
160 Ho, ho ! Brusquet, que dira-on67 ?
Qui vous ameine en ceste terre ?
BRUSQUET
Comment ! vous en faut-il enquerre68 ?
Vous estes devin jusqu’au bout.
NOSTRADAMUS
Mais je ne pense pas en tout.
BRUSQUET
165 Je vien pour voir vostre horologe69 :
Car je ne sçay, là où je loge,
À quelle heure sonne midi.
NOSTRADAMUS
Dittes-vous ?
BRUSQUET
Voire, je le dy.
Et vous prie m’en satisfaire,
170 Au moins si n’avez autre affaire
Qui vous presse pour ceste fois.
.
FRÈRE FÉCISTI, en entrant chez Nostradamus 70
Dieu soit céans, et sainct François ! SCÈNE IX
NOSTRADAMUS
Qu’est là ?
BRUSQUET, en le regardant
C’est un frère Mitaine71.
NOSTRADAMUS
Le cognoissez-vous72 ?
BRUSQUET
À grand-peine,
175 Si de plus près je ne le voy.
Puis en s’approchant de frère Fécisti,
et le regardant en face :
Ha ! frère Fécisti ! Et quoy ?
Vous voicy desjà en Provence ?
Vous faictes grand[e] diligence.
C’est trèsbien sauté, pour un veau73.
FRÈRE FÉCISTI
180 Que vous estes homme nouveau74 !
Vous prenez de moy grand merveille75.
Et moy-mesme, je m’esmerveille
De vous, qui y estes plus tost.
BRUSQUET
Aussi mangeray-je du rost
185 Premier que vous76. Car pour vous dire,
Je suis de ce païs, beau syre,
Et en sçay tous les droits sentiers77.
FRÈRE FÉCISTI, en parlant à Nostradamus
Monsieur, je voudrois volontiers
Vous dire en secret quelque chose.
NOSTRADAMUS
190 Dittes.
FRÈRE FÉCISTI
Pardonnez-moy, je n’ose
Le vous dire sinon à part.
NOSTRADAMUS
Et pourquoy ?
BRUSQUET
De peur de la hart78,
Si au baston avoit ordure79.
NOSTRADAMUS
Vous ne voulez, par adventure,
195 Me dire rien par-devant luy ?
FRÈRE FÉCISTI
Nenni, certes ! Car ce jourd’huy,
Il m’a jà quasi faict cognoistre
Qu’il n’estoit guère amy du maistre80
En se mocquant des serviteurs.
BRUSQUET
200 Desquels ?
FRÈRE FÉCISTI
Des povres sectateurs
Du bon sainct François séraphique.
BRUSQUET
Ha ! beau Père, vous cerchez picque81,
Car je n’y ay jamais pensé.
FRÈRE FÉCISTI
Si ! Vous vous estes dispensé82
205 À me parler d’estrange sorte.
BRUSQUET
Et bien ? Toute faute n’apporte
Qu’amende83 et satisfaction :
Sçachons la réparation
Que vous voulez que je vous face,
210 Et vous verrez qu’en ceste place
Je feray vers vous tout devoir.
FRÈRE FÉCISTI
Monsieur, je n’en veux point avoir
(Pour le présent) aucune amende.
Tant seulement, je vous demande
215 Que, de grâce, vous en sortiez
Hors de céans, et permettiez
Que nous puissions parler ensemble84.
BRUSQUET
Beau Père, je croy qu’il vous semble
Que je sois des85 diables damnéz,
220 Si fort je voy que me craignez.
Mais enquérez-vous de mon estre86
Icy, vers monsieur nostre maistre :
Vous orrez qu’il87 vous en dira.
NOSTRADAMUS
Beau Père, ne vous craignez jà88 :
225 J’ay de luy bonne cognoissance.
Dites-moy vostre doléance
Sans de luy en rien vous douter89.
BRUSQUET
Voire, car de me faire oster
D’icy pour sortir en la rue,
230 La raison seroit un peu crue,
Car le serain90 y est trop frais.
FRÈRE FÉCISTI
Or bien, je la vous diray91. Mais
Je protesteray donc qu’il tienne
Mon cas secret, et qu’il ne vienne
235 À s’en mocquer aucunement !
BRUSQUET
Je proteste pareillement
Que si je venois point à dire
Le petit mot joyeux pour rire,
Qu’en mal, point vous ne le prendrez.
240 Car jamais vous ne me tiendrez92
De dire quelque mot de gorge93.
FRÈRE FÉCISTI
Mais qu’ils ne soyent point de la forge
Des huguenots, va de par Dieu !
NOSTRADAMUS
Nenni : il ne vient pas de lieu
245 Où les huguenots se nourrissent94.
FRÈRE FÉCISTI
Et d’où donc ?
BRUSQUET
D’où les diables pissent
Vers la Sorbonne95 de Paris.
FRÈRE FÉCISTI
Ô sainct François ! Quels mots de ris96 !
Osez-vous nommer la Sorbonne
250 – Où est mainte saincte personne –
Pot à pisser d’esprits malins97 ?
BRUSQUET
Ou malins, ou à mal enclins.
Ne sçay s’ils y pissent ou chient ;
Mais je sçay comme, aussi, tous crient
255 Qu’il y put plus qu’en un retrait98.
NOSTRADAMUS
Cela n’est pas de nostre faict.
Beau Père, prenez patience ;
Si vous voulez faire défence
À tous les mots que vous orrez99,
260 Jamais, avec luy, faict n’aurez,
Car il parle ainsi de nature100.
FRÈRE FÉCISTI
Et ! voulez-vous donc que j’endure
Le déshonneur101 des gens sacréz ?
BRUSQUET
Je vous dy que tous les degréz
265 De leur doctorat ny prestrise,
Parfun, encens ne vent de bize
N’en osteroyent la puanteur.
NOSTRADAMUS
Ho ! beau Père, n’ayez jà peur
De luy pour toutes ces paroles,
270 Car il dit maintes fariboles
Où il n’y a pas grand esgard102.
FRÈRE FÉCISTI, en s’adressant à Nostradamus
Monsieur, je vien cy de la part
De nostre sainct-père le pape103.
BRUSQUET
Auquel le fondement eschappe104,
275 De peur qu’il a des huguenots.
FRÈRE FÉCISTI
Et pour vous ouvrir en deux mots
Le secret de mon ambassade,
Sçachez qu’il est bien fort mallade105
D’un regret qui trèsfort le point106.
[BRUSQUET]
280 Par adventure, son pourpoint
Se trouve trop long pour ses chausses ?
FRÈRE FÉCISTI
C’est que, par inventions fausses,
Ces huguenots tant desrégléz107
Ont faict qu’il a perdu ses clefs108
285 Du Ciel et de l’Enfer horrible.
BRUSQUET
La perte seroit bien terrible
Si c’estoyent les clefs du cellier109 !
FRÈRE FÉCISTI
Parquoy, je vien me conseiller
Vers vous, duquel la renommée
290 Est par tout le Monde semée
Pour deviner tout ce qu’on veut110.
BRUSQUET
Seulement sçavoir il ne peut
Le gouvernement de sa femme111…
FRÈRE FÉCISTI
Donc, en l’honneur de Nostre Dame112
295 Et du glorieux sainct François,
Je vous prie qu’à ceste fois
Vous mettiez tout[e] vostre estude,
Soin, labeur et sollicitude
Pour ces clefs nous faire trouver.
BRUSQUET
300 Ou le pape s’en va crever.
FRÈRE FÉCISTI
Car ne pouvant, par telle perte,
Ses amis selon leur desserte113
Récompenser après leur mort,
Ni de ceux qui luy ont faict tort
305 Se venger ainsi qu’il désire,
Cela le rend plus que martyre,
Se voyant sans aucun pouvoir.
NOSTRADAMUS
Peut-il pas le moyen avoir
D’envoyer aux Limbes des Pères114
310 Les siens, et ces fauces115 vipères
D’huguenots au feu plus ardent
De Purgatoire, en attendant
Que ces clefs retrouver se puissent ?
BRUSQUET
Il craint que les huguenots pissent
315 En Purgatoire, s’ils y vont.
Car il sçayt jà comment ils l’ont
Descouvert et mis à la pluye116.
FRÈRE FÉCISTI
En attendant l’heureuse vie117,
Les siens aux Limbes il a bien mis.
320 Mais ses malheureux ennemis
Qu’il veut mander118 en Purgatoire
Ne veulent obéir ne croire,
Mais s’en mocquent ouvertement.
NOSTRADAMUS
Beau Père, croyez hardiment
325 Que marry suis de telle chose.
Mais j’espère bien et propose
Y pourvoir par quelque moyen ;
Car j’entens, comme sçavez bien,
L’art de sçavoir toute adventure
330 Présente, passée119 et future.
Et n’obmettray rien en ce faict,
Car je suis serviteur parfaict
Du Saint-Père, qui cy vous mande120.
BRUSQUET
Mais le pape et toute sa bande
335 De cardinaux et de prélats,
Comment ne s’advisent-il[s] pas
D’un moyen ?
FRÈRE FÉCISTI
Quel ?
BRUSQUET
Prompt et facile :
De faire par toute la ville
Viste la perte publier ;
340 Et l’ayant ainsi faict crier121,
S’ils n’en oyent nouvelles seures122,
Qu’ils fissent lever les serrures123,
Et d’autres clefs viste forger.
Et alors, ils pourront loger
345 Tous leurs hostes à leur plaisance.
FRÈRE FÉCISTI
Il faut en toute diligence
Mander124 au pape vostre advis !
BRUSQUET
Voire da !
NOSTRADAMUS125
Laissons ces devis,
Et advisons qu’il faudra faire
350 Pour y pourvoir.
FRÈRE FÉCISTI
Quant à l’affaire,
Monsieur, vous entendez que c’est126 :
Advisez ores, s’il vous plaist,
D’en dire en quelque bon[n]e sorte.
BRUSQUET
Voulez-vous que je vous apporte
355 Icy un crible et des cizeaux,
Pour voir, comme les devineaux127,
Que128 ces clefs seront devenues ?
NOSTRADAMUS
Ces façons-là sont trop cogneues.
J’ay maint autre plus grand moyen,
360 Où peu de gens entendent rien129.
BRUSQUET
Et vous, aussi peu que nul autre.
NOSTRADAMUS
L’efficace du sçavoir nostre
Est plus grand[e] que ne pensez,
Et vous le cognoistrez assez
365 Par une vraye certitude.
Je me retire en mon estude
Pour vous respondre sur cecy.
BRUSQUET
Vous attendrons-nous icy ?
NOSTRADAMUS
Nenni, vous pourriez trop attendre.
370 Mais ne failliez pas à vous rendre
Icy demain, de plus matin.
BRUSQUET
Et quoy ! pour humer un tastin130
De muscat ou de malvoysie ?
NOSTRADAMUS
Je vay mettre ma fantasie131
375 Et employer tous mes esprits
En tous les arts qu’oncques j’appris,
Affin que la perte132 se treuve ;
Tout ce qu’à Tolède133 on espreuve,
Soit des Hétrusques anciens
380 Ou modernes magiciens,
Comme Agrippa134 et ses semblables.
BRUSQUET
Je croy bien qu’à messieurs les diables
Vous ferez bravement la cour135.
NOSTRADAMUS
Or, frater, pour le faire cour[t],
385 Je ne lairray136 contrée aucune,
Depuis la sphère de la Lune
Jusqu’à la plus haute des cieux,
Où, d’un soin plus que curieux,
Ces clefs perdues je ne cerche.
390 Et s’elles sont en croc ou perche137
Pendues138 en lieu que ce soit,
Si mon espoir ne me déçoit,
Vous en aurez quelque nouvelle.
Car j’entens la praticque belle
395 (Outre l’aspect des astres beaux139)
De bien deviner par les eaux,
Par l’aer, par le feu, par la cire.
Je sçay qu’onimance140 veut dire,
Et lécanomancie141 avec.
400 J’entens le vol et son du bec
Des oyseaux. Par aruspicine142,
Je sçay que c’est d’extispicine143.
BRUSQUET
Et de l’estronspicine144 aussi !
NOSTRADAMUS
Bref ! je mettray hors de souci
405 Et le S[ainct-]Père vostre maistre,
Et vous, pour vous faire cognoistre
Le vouloir145 que j’ay envers luy.
FRÈRE FÉCISTI
Je prendrai donc, pour ce jourd’huy,
Congé de vous jusques à l’aube.
410 S. François vueille de son aube
Vous affeubler146, à vostre mort !
BRUSQUET
Monsieur, j’aurois de vous grand tort
Si je partois de ceste terre
Sans vuider chez vous quelque verre
415 De ce bon vin de Frontignan.
NOSTRADAMUS
Vous dittes vray, par S. Trégnan147 !
Et vous prie n’y faire faute.
Mais puisque la nuict est jà haute,
Ce sera quand aurez loisir.
FRÈRE FÉCISTI
420 Vrayement, j’eusse bien pris plaisir
Qu’il nous148 eust invité à boire.
BRUSQUET
Je suis tousjours de loisir149, voire ;
Mais vous m’abrevez de caquet.
NOSTRADAMUS, en s’enfermant en son estude
Jusqu’au revoir, seigneur Brusquet !
.
FRÈRE FÉCISTI, en parlant à Brusquet
425 Monsieur, mais qu’il ne vous desplayse, SCÈNE X
Par mon habit150, je suis fort aise
De vous cognoistre, maintenant.
Et suis marri qu’incontinent
Ne vous ay cogneu d’arrivée151.
BRUSQUET
430 Ma jambe s’en est bien trouvée152,
Depuis que vous m’avez cogneu !
FRÈRE FÉCISTI
Certes, je vous avois tenu
Pour quelque hérétique volage,
Jugeant de vous par le langage ;
435 Dont je vous demande pardon.
BRUSQUET
Bien nous dirons à G[r]allardon153
Qu’il vous en despesche vos bules154.
Mais recommandez-moy aux mules155
De Rome, quand vous y serez ;
440 Et de celles que panserez156,
Gardez bien le pied de derrière !
FRÈRE FÉCISTI
Or bien, Monsieur, laissons arrière
Ces propos de petit acquest157,
Et me promettez, s’il vous plaist,
445 Que ne nous ferez point la honte
D’aller faire à la Cour158 le compte
De ce que j’ay dit devant vous.
BRUSQUET
Je ne le veus pas dire à tous,
Encor qu’à quelc’un je le disse ;
450 Et si159, ne sera par malice,
Mays seulement par passetemps.
FRÈRE FÉCISTI
Ha ! Monsieur, bien je vous entens.
Mais pour Dieu, qu’il ne vous eschappe :
Ce seroit pour mettre le pape
455 Hors de crédit jusques au bout,
Si cela se sçavoit partout160.
Le bon S. François vous en garde !
BRUSQUET
Beau Père, quand je vous regarde,
Puisque me cognoissez ainsi,
460 Je vous cuide cognoistre aussi.
Vous ay-je point veu à Valence161 ?
FRÈRE FÉCISTI
Il peut bien estre162.
BRUSQUET
Mais je pense
Vous avoir veu en autre lieu.
FRÈRE FÉCISTI
À Romans ?
BRUSQUET
Voire, de par Dieu !
465 Or çà ! j’ay rencontré mon homme163 :
N’est-ce pas vous que l’on surnomme
« Frère Fécisti », au couvent164 ?
FRÈRE FÉCISTI
Jésus Maria ! que souvent
D’autres m’ont pris, en telle sorte,
470 Pour cestui-là qui ce nom porte,
Pource que nous nous ressemblons !
BRUSQUET
Ho ! beau Père, les propos longs
Font le temps court165. N’aiez vergongne :
Je sçai sur le doit166 la besongne
475 Plus de sept bons ans il y a167.
FRÈRE FÉCISTI
Besongne ? Jésus Maria !
Quelle besongne ?
BRUSQUET
De la garce,
Dont on vous fit jouer la farce,
Les ha[i]llons sur le cul troussés168.
FRÈRE FÉCISTI
480 Hé ! Monsieur, que ce soit assez
Se mocquer du pauvre beau Père !
Je vous ay jà, par raison clère,
Monstré que ce n’estoit pas moy.
BRUSQUET
Vraiement, quand plus je vous voy,
485 Pour Fécisti mieux je vous treuve.
Et si j’avois besoin de preuve,
J’aurois encor bien des tesmoins.
FRÈRE FÉCISTI
Voire, c’est bien dict169 !
BRUSQUET
Mais au moins,
Vous ne passastes la journée,
490 Comme l’asne à sainct Irénée,
Sans estre estrillé et frotté.
FRÈRE FÉCISTI
Pleust à Dieu que fussiez esté
Au lieu170 de celui que vous dittes !
BRUSQUET
Mais bien171, que pour vos beaux mérites
495 Vous fussiez encor(e) du festin172 !
FRÈRE FÉCISTI
J’aimerois mieux que le mastin173
De S. Hubert vous tinst aux fesses !
BRUSQUET
On dit que vous faisiez des vesses174
Comme les mulets trop sanglés.
FRÈRE FÉCISTI
500 Hé ! que bien vous me resemblez
Merle175 mocqueur, tel que vous estes !
BRUSQUET
Et vous, la plus lourde des bestes,
Dessous vostre grisastre habit176 !
FRÈRE FÉCISTI
Comment, « beste » ? Qu’avez-vous dict ?
BRUSQUET
505 Je te di fol, larron et asne.
FRÈRE FÉCISTI
Ha ! maudit huguenot profane177,
Me viens-tu ainsi outrager ?
BRUSQUET
Viençà, moyne : veux-tu gager
Que je diray de bons exemples
510 Par lesquels fort bien tu ressembles
Un fol, un asne et un larron ?
Premièrement, ton chapperon,
C’est proprement d’un fol la cappe178.
Un larron, de peur qu’il n’eschappe,
515 De corde est lié comme toy.
Tu es vestu de gris, en quoy
La robe d’un asne tu portes.
Car aussi, de toutes ces sortes
Tu en tiens, comment que ce soit179.
520 Et voilà pourquoi l’on te voit
Frocqué, encordé et grisastre.
FRÈRE FÉCISTI
Vous vous pourriez bien faire battre,
Si ne cessez de vous mocquer !
BRUSQUET
Tu te ferois bien deffrocquer180,
525 Si tu faisois par181 trop du brave !
FRÈRE FÉCISTI
Je ne te crain pas d’une rave182,
Tout borgne183, Brusquet, que tu es !
BRUSQUET, en le frappant
Tien ! voilà pour ton nés punais184 !
FRÈRE FÉCISTI
À l’aide ! Le meschant me frappe !
BRUSQUET
530 Crie185 ton s[ainct-]père le Pape !
FRÈRE FÉCISTI
Je t’excommunie, huguenot !
BRUSQUET, en frappant tousjours
Et je te bourre, moine sot !
*
1 Il perdit « sa maison, qui fut pillée aux premiers troubles ; et fut contrainct de sortir de Paris et se sauver ». Brantôme, Vies des grands capitaines : le chap. 69 raconte incidemment toute la vie de Brusquet, que Brantôme a connu. Voir aussi ma note 183. 2 Ce mot latin est expliqué aux vers 72-84. On prononce à la française « fessisti », avec un jeu de mots sur fesses. 3 Ils lui reprochaient le dialogue de Passevent, parisien, respondant à Pasquin, romain (1556), une chronique scandaleuse du sectarisme genevois qu’on avait longtemps attribuée à Artus Désiré. Toujours en 1556, le cordelier dirigea contre Calvin une Épistre catholique et chrestienne envoyée par Anthoine Cathalan aux seigneurs et sindiques de Genève. Ce titre inspira le calviniste dissident Guillaume Guéroult, qui publia en 1559 une Épistre du seigneur de Brusquet aux magnifiques & honnorés seigneurs syndicz & Conseil de Genève. Cette lettre* imputée au bouffon royal faisait croire qu’il voulait abjurer le catholicisme. Jacques Bienvenu s’en est souvenu quand il a choisi Brusquet comme personnage. *Elle contient une allusion à la bisexualité de Cathalan : « On ne me pourra reprocher que j’aye esté ny moyne, ny bougre, & que j’aye faict la court à quelque abesse : car je n’ayme point estre porté en crouppe. Fy de crouppions ! » 4 Fouetté par ses congénères : on l’avait surpris avec une femme mariée. 5 Homme à tout faire du pape. Cf. les Ditz de Maistre Aliborum qui de tout se mesle : « À Romme vins, où je fis saint nouveau./ Peu s’en faillit que ne fus cardinal :/ Mais ung vent vint, qui m’osta le chapeau. » Bienvenu fera de maître Aliborum l’un des personnages du Monde malade et mal pansé. 6 Ayant adhéré à l’Église évangélique. Cathalan s’était réfugié en Suisse pour y vivre tranquillement avec sa concubine, Marie Piédeloup. De retour en France, il dira l’avoir épousée « à la mode de Genève ». 7 Quelqu’un qui veuille l’employer. Calvin lui règle son compte dans Réformation pour imposer silence à un certain bélistre nommé Antoine Cathelan, jadis cordelier d’Albigeois (1556) : « Estant arrivé à Genève en la compagnie d’une putain qu’il traînoit partout, il commença par demander l’aumosne…. Il impétra pension d’escolier, pour estre nourri en l’escole de Lausanne. Estant là venu, pource qu’on descouvrit tantost quelle sorte de beste c’estoit, il ne fut pas trop bien receu à son gré. » 8 Calvin, Réformation… 9 Nous sommes à Paris, devant une écurie. Henri II avait nommé Brusquet « maistre de la Poste de Paris » (Brantôme) : il louait des chevaux aux voyageurs. 10 Éd. : se tenir (Arriver.) Un cordelier entre sur la pointe des pieds, le visage dissimulé sous sa capuche. Il vient de louer un cheval. 11 Il va me maudire. 12 Jeu de mots sur « Dieu vous garde bien » et « Dieu vous gard [vous éloigne] de bien ». Voir la note 79 de Guillerme qui mengea les figues. On passe du décasyllabe à l’octosyllabe, moins solennel dans un dialogue. Bienvenu fera la même chose dans sa Comédie du Monde malade. 13 L’ordre des franciscains, qu’on surnommait les cordeliers, fut fondé par saint François d’Assise. Brantôme raconte comment Brusquet, qui méprisait les moines, paya deux cordeliers pour exorciser au péril de leur vie le maréchal Strozzi. 14 Un peu. Le moine, qui ne veut pas répondre, s’en tire par une pirouette. 15 Un croc-en-jambe, une tromperie. (Idem vers 154.) « Il congneut bien que l’on luy avoit donné une trousse. Dont il pensoit bien se taire, pour crainte d’estre mocqué ; mais les compagnons le jouèrent le lendemain sur l’eschafaut [sur scène], dont chacun se prit à rire. » (Tabourot.) Cf. le Munyer, vers 413. 16 Je le devine. 17 Avant de vous révéler quoi que ce soit. 18 Cependant. 19 Espérons que vos actes sont aussi sûrs (que vos propos). 20 Je suis bien tombé. Littéralement : J’ai rejoint la rive. Même vers dans Calbain. 21 Je ne risque pas (puisque j’ai atteint la rive). 22 Vous ne finirez pas noyé mais pendu. 23 Vous seriez à la place d’honneur, si nous étions pendus. Dans sa jeunesse, Brusquet se fit passer pour médecin au camp d’Avignon, où ses remèdes tuèrent des lansquenets suisses (!). Condamné à être pendu, il fut sauvé in extremis par le futur Henri II. 24 Adieu ! Litt. : Donnez-moi la permission de me retirer. 25 Vous avez imaginé ce rendez-vous urgent. 26 Sur un cheval de louage. Brusquet s’adresse alors au public. 27 Bienvenu répond à Cathalan, qui applique ce sobriquet aux calvinistes : « Le soyr, le grand paillard Calvin sortoit pour aller, là où bon luy sembloit, soupper ; & là trouvoit l’assemblée des frères Frapards. » Passevent (v. note 3). 28 Romans-sur-Isère, encore cité au vers 464. En 1562, les cordeliers avaient fui la ville par peur des protestants. 29 Éd. : Qui 30 Même double sens que le verbe baiser. 31 Bien vigoureusement. 32 Les moines fautifs qu’on « mettait au chapitre » se faisaient « chapitrer » par leurs congénères, et pouvaient alors subir toutes sortes de brimades. 33 « Il n’est pas possible de choisir gens à louage qui mettent en plus grand opprobre tout le clergé du Pape, que fait ce bélistre. » Calvin, Réformation pour imposer silence à un certain bélistre nommé Antoine Cathelan. 34 Hélas, mon frère, qu’as-tu fait ? Tu as déshonoré notre Ordre. 35 Baisseur de pantalon. « Li prestre (…)/ Si avoit ses braies avalées,/ Et les coilles granz et enflées/ Qui pendoient. » Le Flabel d’Aloul. (Cf. les Premiers gardonnéz, vers 213.) Les braies de saint François ont fait carrière dans la littérature libertine ; voir la note 149 de Frère Guillebert. 36 Des moqueries. « M. de Strozze, se doubtant des bayes accoutumées dudict Brusquet. » Brantôme. 37 Ce qu’il. 38 Brusquet naquit à Antibes. « Païs » est la forme provençale de « pays », comme au vers 186. 39 Il monte sur un de ses chevaux. 40 Un globe. L’astrologue affectait cette pose inspirée. L’acte II se déroule chez lui, à Salon-de-Provence. Sous la didascalie, l’édition ajoute, en vedette : Nostradamus. 41 Bienvenu imite –sans trop de peine– le galimatias des Prophéties. 42 N’en prend pas soin, ne s’en occupe pas. 43 Un des pires libelles écrits contre Nostradamus le fut par un autre astrologue provençal, Laurens Videl : Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, de Salon-de-Craux en Provence, 1558. Videl lui reproche d’une manière très argumentée de ne rien connaître à l’astronomie : « À midi, ce jour que tu dis, la lune est à XI degréz & trante-huit minutes ; en quinze heures, n’auroit-elle fait qu’un degré & troys minutes ? N’es-tu pas du tout [complètement] ignorant ? » 44 Bienvenu se moque des esperluettes (&) qui parasitent les Prophéties, et qu’on doit supprimer pour que le vers retrouve sa mesure et un semblant de sens. Voici quelques décasyllabes extraits de la Centurie première (éd. 1555) : « Lors accomplir & mine ma prophétie.// Seur marchera par ciel, terre, mer, & onde.// Son puy & crédit à un coup viendra mince. » Nous devons donc lire : « Il court comme un lapin en broche. » 45 Chasseur mythologique qui donna son nom à une constellation. 46 D’escargots. Ces prophéties doivent beaucoup à la Pantagruéline prognostication, de Rabelais : « À cause de Pisces [des Poissons] ascendant, il sera grand année de caquerolles. » Ce mot est provençal : Rabelais avait fait ses études de médecine à la faculté de Montpellier, dont Michel de Nostredame (le futur Nostradamus) venait d’être expulsé. 47 Les statues en métal qui représentent des saints. La forge de Vulcain, dieu du feu, se trouve sous l’Etna. 48 Il arrive lentement sur son cheval. Le soir tombe. 49 Comme si je l’avais. 50 Et surtout envers ceux de son Ordre. Voir la note 13. 51 Il leur octroie, leur accorde. 52 Éd. : Salem de Craux (Salon-de-Provence, où résidait Nostradamus.) 53 Si je ne me trompe pas. 54 Ayant dépassé le moine, il descend de cheval devant la maison de son ami Nostradamus. Il ignore que c’est aussi la destination du cordelier. 55 À cause de la vitesse. 56 Finement tissé, comme un tapis de haute lisse. 57 Saint François lui aura été bien utile. 58 Sans arriver. 59 Pour ne pas m’ennuyer en attendant qu’il passe. 60 Pour voir comment il est penaud quand ses démons ne l’inspirent plus. « Alors sera Nostradamus/ Fort estonné & bien camus. » La Déclination des papes : Contrepronostication à celle de Nostradamus de Pie quatrième (diatribe anticatholique de 1561). Brusquet passe pour être l’auteur d’un coq-à-l’âne adressé à Ronsard : « Mais ceux-là qui ont le nez court,/ Ainsi que dict Nostradamus,/ Sont en dangier d’estre camus/ À cause de Mars descendant. » 61 Avec une toupie : « Un exemple de la touppie ou du sabot dont les enfans se jouent. » (ATILF.) Junon est l’épouse de Jupiter. 62 Saint Bruno, fondateur du monastère de la Grande Chartreuse, que les protestants avaient pillé puis incendié en 1562. 63 Sa Chartreuse. « En chartrousse me veux retrayre [retirer]. » ATILF. 64 Ramenez les voiles (comme sur un bateau pendant l’orage). 65 À Dieu. 66 En se dégageant. Nostradamus et Brusquet, tous deux Provençaux, se connaissent. 67 Quelles nouvelles ? 68 Avez-vous besoin de le demander, vous qui prétendez lire l’avenir ? 69 Votre horloge. L’astrologue s’entourait d’instruments de mesure. (N.B. : la Tour de l’Horloge n’existait pas encore.) 70 Il est complètement dissimulé sous son froc et sa capuche. 71 C’est un moine tout emmitouflé. Bienvenu répond à Cathalan, qui avait traité les Genevois de « frères Mitou(ards) », c’est-à-dire d’hypocrites : « Affin de faire mieulx du pauvre, & la chatte-mitte*, & du bon frère Mittou…. À fin qu’ilz aient plus de courage de bien servir les frères Mittouards, & en dire du bien. » Passevent (v. note 3). *La chochotte. « Benoist fait bien la chattemitte,/ Benoist est un bon sodomite. » Ms. fr. 22560. 72 Le reconnaissez-vous ? 73 Pour un imbécile comme vous. « Les appelant veaulx et idiotz. » Rabelais, Pantagruéline prognostication. 74 Vous êtes né de la dernière pluie. « Voicy ung homme bien nouveau ! » Les Cris de Paris. 75 Vous vous étonnez beaucoup à mon sujet. 76 Avant vous : premier arrivé, premier servi ! Mais le protestant rappelle qu’il peut manger de la viande en ce jour maigre, contrairement au catholique. 77 J’en connais tous les raccourcis. 78 De la corde : de peur d’être pendu. 79 Si c’était un « bâton merdeux », une affaire douteuse. Sur ce bâton qu’on ne sait par quel bout tenir, voir la note 124 du Roy des Sotz. 80 Du pape, comme au vers 405. 81 Vous me cherchez des noises. 82 Autorisé. 83 Qu’amende honorable, que réparation. 84 Nostradamus et moi. 85 Un des. 86 De mon identité. 87 Vous entendrez ce qu’il. 88 N’ayez plus peur. 89 Sans vous méfier de lui. 90 L’humidité du soir. 91 La raison de ma venue. 92 Vous ne m’empêcherez. 93 Quelque blasphème. « Les huguenots (…) disoient mille mots de gorge & de blasphème contre l’honneur & service de Dieu. » Florimond de Ræmond. 94 La cour de Charles IX n’était pas très favorable aux huguenots. (C’est d’ailleurs sous ce règne qu’aura lieu le massacre de la Saint-Barthélemy.) Nostradamus connaissait la cour, où son admiratrice Catherine de Médicis l’avait invité ; il y a probablement croisé le véritable Brusquet. 95 Vers la faculté de théologie, opposée à la Réforme. 96 Quels sarcasmes. Ce passage évoque Gargantua (chap. 17) : depuis la cathédrale Notre-Dame, dont les gargouilles représentent des diables, le bon géant pisse « par rys » (cette formule est employée trois fois) sur le Quartier latin, et donc sur la Sorbonne. Bienvenu, comme tous les protestants, est un grand lecteur de Rabelais. 97 Maléfiques. 98 Que cela pue plus dans la Sorbonne que dans un cabinet. (Cf. le Retraict.) Le défaut d’hygiène de l’enseignement catholique était proverbial : les poux du collège de Montaigu, proche de la Sorbonne, passaient pour être aussi gros que des éperviers (Gargantua, 37). 99 Que vous entendrez. 100 C’est son langage naturel. 101 Qu’il déshonore. 102 Auxquelles il ne faut pas faire attention. 103 Pie IV régna de 1559 à 1565. Les protestants affirment que ce père de trois enfants est mort dans les bras d’une courtisane. 104 Qui se chie dessus. 105 La Comédie du Pape malade et tirant à sa fin est une pièce anticatholique attribuée à Conrad Bade (1561). 106 Le pique. 107 Qui se sont écartés de la règle. 108 Les clés de saint Pierre. Pie IV les retrouverait s’il se retournait : elles figurent dans ses armoiries. 109 L’ivrognerie des prêtres est un sujet inépuisable. 110 On comprend la discrétion du pape et de son envoyé : Nostradamus était mal vu par les chrétiens. Seuls les prophètes inspirés par Dieu pouvaient prévoir l’avenir (Deus scit et non alius) ; les autres étaient inspirés par le diable. Circonstance aggravante, Nostradamus était d’origine juive : « Ces tant évidentes menteries descrites en voz petitz paquectz annuelz [dans vos Almanachs], qui sentent encores leur judaïsme à pleine gorge. » Le Monstre d’abus (1558). 111 Ce que fait sa femme. C’est un premier emprunt au chapitre 25 du Tiers Livre, de Rabelais : « Prædisant tout l’advenir, seulement [il] ne voyoit sa femme brimballante. » On ignore si les huit enfants de Nostradamus sont tous de lui. Mais on est sûr que Brusquet, lui, était cocu : sa femme avait beau être « la plus laide que le diable chia jamais », elle épousa le facteur qui lui annonçait la (fausse) mort de son mari ! 112 De la Vierge Marie. Mais l’astrologue s’appelle Nostredame. Il a latinisé son nom pour être enfin pris au sérieux. Sa véritable profession est apothicaire, comme maître Doribus ; Laurens Videl le traite de « triacleur [charlatan] & aracheur de dens ». Et il ajoute plus loin : « En voulant fuir le tiltre d’ignorant, tu tomberas à un pire : à savoir de faulcère, trompeur, & abuzeur de peuple. » 113 Selon les services qu’ils lui ont rendus. Cf. la Laitière, vers 351. Sur les indulgences et les pardons vendus par le Vatican, voir le Pèlerinage de Saincte-Caquette. 114 Là où vont les âmes des justes qui ont eu la malchance de mourir avant la création du christianisme. « Moÿse s’en est allé aux Limbes des Pères. » L’Alcoran des Cordeliers. 115 Perfides. 116 Comment les luthériens ont ruiné l’idée de Purgatoire. Voir l’Invention du Purgatoire, de Jacques Le Goff. 117 La vie éternelle, le Paradis. 118 Expédier. 119 On est désormais sûr que les prophéties de Nostradamus concernent des événements du passé. Voir l’édition critique des Premières Centuries ou Prophéties, par Pierre Brind’Amour (Droz, 1996). 120 Qui vous envoie ici. Pour endormir la méfiance des catholiques, Nostradamus avait dédié à Pie IV les Prédictions de l’almanach de l’année 1562. 121 Et après l’avoir ainsi fait annoncer par un crieur public. 122 Sûres. 123 Qu’ils fassent démonter les serrures du Paradis et de l’Enfer pour en prendre les empreintes. 124 Faire connaître. Le moine est tellement bête qu’il omet un détail : si on démonte les serrures, tout le monde pourra sortir de l’Enfer, et entrer au Paradis… 125 Il s’inquiète pour son salaire, qui risque d’être compromis. L’avarice de Nostradamus est encore soulignée aux vers 416-419. Laurens Videl en parle : « Tu es un ignorant, fol escervelé, lunatique resveur, fuyant les hommes sinon pour en tirer quelque proufit, n’ayant autre amy que ton vilain gaing. » 126 Vous comprenez ce que c’est. 127 Les devins pratiquaient la coscinomancie : pour retrouver les objets volés, « on se servoit d’un crible & de ciseaux. Une des pointes des ciseaux étant plantée dans le bord du crible, on faisoit reposer l’autre pointe sur l’ongle de celui qui proféroit ces mots : douwima, touwima, entimemaus ; puis on prononçoit les noms de ceux qu’on soupçonnoit, & le crible tournoit au nom de celui qui avoit volé. » (Ambassades mémorables.) Brusquet suppose donc que le voleur est présent : ce ne peut être que Fécisti, qui revient du Vatican. 128 Ce que. 129 Comprennent quelque chose. 130 Un coup. Le muscat est un vin doux de Frontignan (vers 415) ; la malvoisie est un vin doux de Grèce. (Sur les petits-déjeuners alcoolisés, voir la note 68 des Vigilles Triboullet.) Laurens Videl considère que les visions de Nostradamus sont provoquées par « le vin vieulx tout pur. Car tu ne te contantes boire par toutes les bonnes maisons, mais vas boire par toutes les tavernes & cabaretz. » 131 Mon imagination. 132 Le trousseau perdu. 133 Ville espagnole célèbre pour son école de magie. (Voir la note 37 de Tout-ménage.) « Jouer des arts de Tolède » = tromper. 134 L’ésotériste allemand Corneille Agrippa, mort en 1535. Rabelais le ridiculise dans le Tiers Livre (chap. 25) sous le nom de Her Trippa. Bienvenu emprunte au Tiers Livre la coscinomancie <vers 355>, l’hydromancie <396>, l’aéromancie, la pyromancie et la céromancie <397>, l’onomancie <398>, la lécanomancie <399>, l’ornithomancie <400>, l’haruspicine <401>, l’extispicine <402>, et… l’étronspicine <403>. 135 Je crois que vous allez employer le satanisme. 136 Je ne laisserai de côté. 137 Jeu de mots géographique sur « en Craux ou en Perche ». 138 Éd. : Perdues (Écho du vers 389.) Pen-du-es compte pour 3 syllabes. 139 En plus de l’astrologie. 140 Divination par les lettres d’un nom. En examinant celui-ci, on devine que c’est l’anagramme d’onanisme. Quant à « Nostradamus », il fut transformé en Monstre d’abus ; c’est le titre d’un pamphlet qu’un protestant a décoché à celui qu’il traite d’ « oracle de Salon ». L’anagramme « monstres d’abus » se retrouve dans les Satyres chrestiennes de la cuisine papale. Ailleurs, « la philosophie de Nostradamus » est devenue : « La fol s’y fie de Monstradabus. » (Montaiglon, IV, 294.) 141 Divination par les gouttes d’huile flottant sur de l’eau. 142 Divination par les entrailles d’un animal. 143 Idem. On lit dans la Centurie tierce : « Interprétés seront les extispices. » 144 « Par estronspicine ! respondit Panurge. » (Tiers Livre, 25.) La divination par l’étron s’appelle scatomancie, ou copromancie. 145 Le bon vouloir. 146 Veuille faire de sa robe blanche votre suaire. 147 « Sainct Treignant d’Escosse fera de miracles tant et plus. » Rabelais, Pantagruéline prognostication. 148 Éd. : vous (Si on en croit Calvin, Cathalan était un ivrogne.) 149 Je suis disponible (pour aller boire avec vous). 150 Le moine jure sur son habit. Il est content d’avoir connu l’homme qui lui a donné l’idée de faire un double des clés (vers 343). 151 D’emblée. 152 Cela me fait une belle jambe ! 153 « Gras lardon », c’est-à-dire « gros lard », désigne le pape. Pie IV n’était pas obèse, mais on brocardait traditionnellement la gloutonnerie des grands prélats, qui passaient leurs journées à table et qui s’octroyaient entre eux des dispenses pour se goinfrer les jours maigres. (Cf. les Satyres chrestiennes de la cuisine papale.) Dans le Quart Livre de Rabelais <chap. 40>, Graslardon est un cuisinier. 154 Qu’il vous envoie une bulle pontificale pour vous nommer évêque. « Aussi c’est un terrible cas/ De payer deux mille ducas/ Pour avoir du Pape une bulle. » Brusquet, Coq-à-l’asne envoyé à Ronsart. 155 Aux montures des cardinaux. Pour Brusquet, les « mules de Rome » sont les cardinaux eux-mêmes. 156 Éd. : penserés (Attention que les mules que vous brosserez ne vous envoient pas une ruade avec leurs pattes arrière.) Brusquet rabaisse le futur évêque au grade de palefrenier : le 2ème des Sotz ecclésiasticques était aussi palefrenier, avant d’être cardinal. 157 De peu d’intérêt. 158 Dès qu’il avait fait une sale blague, Brusquet courait la raconter au roi. 159 Et même. 160 Pie IV n’aurait pas été le premier pape à entretenir un astrologue juif : voir la note 162 du Jeu du Prince des Sotz. 161 Les huguenots avaient chassé de Valence les cordeliers en 1560. 162 C’est possible. 163 Je vous reconnais. 164 Bienvenu commet une maladresse : le moine est déjà démasqué au vers 176. 165 Dites-moi tout. 166 Sur le bout du doigt, parfaitement. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 266. Double sens de besogne : l’affaire, et le coït. 167 Depuis plus de 7 ans. Cf. le vers 70. 168 Votre robe retroussée sur vos reins pendant que vous receviez la fessée. 169 C’est vite dit. 170 À la place inconfortable. 171 Mais plutôt, plût à Dieu que… 172 Vous soyez encore régalé de coups. « Le lendemain de Saint-Martin,/ Me sentant encor du festin. » Jean Du Teil. 173 Le chien : saint Hubert est le patron des chasseurs. Dans le Dom Juan de Molière, le petit chien de monsieur Dimanche, qui mord les jambes des gens, se nommera Brusquet. 174 Des pets, pendant qu’on vous frappait sur les fesses. Mais pour les huguenots, vesse = messe : « Ces povres clabaudeurs [aboyeurs] de vesses,/ Ou si tu l’aimes mieux, de messes…./ Messe, vesse, si tu as sens,/ C’est tout un :/ Ils ont mesme sens. » Satyres chrestiennes de la cuisine papale. 175 Éd. : Vostre (Il faut ici un nom d’animal, pour motiver la réponse de Brusquet.) Que vous me semblez être un merle noir. 176 Les cordeliers se reconnaissent à leur froc gris, et à la corde à nœuds (vers 515) qui leur tient lieu de ceinture. 177 Athée. 178 « Attache-moy une sonnette/ Sur le front d’un moyne crotté,/ Une oreille à chaque costé/ Du capuchon de sa caboche :/ Voylà un Sot de la Bazoche/ Aussy bien painct qu’il est possible ! » (Clément Marot.) Un protestant a dit de saint François d’Assise : « Luy & les siens ont pris un habit de fol. » (L’Alcoran des Cordeliers.) 179 Quoi qu’il en soit. 180 Mettre le derrière à nu, pour recevoir une nouvelle fessée. « Tous les cordeliers mériteroyent bien qu’on usast sur leurs dos maintes poignées de verges. » L’Alcoran des Cordeliers. 181 Éd. : point 182 Pas plus qu’une rave. 183 Brusquet, peu avant sa mort, écrivit à Charles IX : « Vostre ancien bouffon, gravelleur [souffrant de calculs], pierreux [“], borgne, bossu et manchot, bany de sa Poste, sacagé en sa maison, vollé de ses serviteurs, mary de la plus laide et mauvaise teste de femme qui soit en France. » Advertissement de Brusquet au roy de France, touchant les troubles qui sont de présent en France pour le fait de la religion, 1568. 184 Ton nez puant. Brusquet traite Fécisti de Juif. « Blasmant les Juifs, vos parens (vous) diffamez/ Comme un maudit enfant et de traistre nature./ Si vostre nez punais désormais s’aventure/ À lascher dessus moy ses traits enveniméz… » Forget au nez tortu. 185 Appelle. Cri-e compte pour 2 syllabes.