LE MAISTRE D’ESCOLLE
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LE MAISTRE
D’ESCOLLE
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Le manuscrit La Vallière contient plusieurs pièces rouennaises antiprotestantes : la Bouteille, les Povres deables… Mais aucune n’atteint la virulence du Maistre d’escolle. Cette pièce fait 200 vers tout rond, comme si l’auteur avait respecté scrupuleusement le cahier des charges imposé par un commanditaire. Cela expliquerait pourquoi ce modeste tâcheron ne se risque jamais sur le terrain glissant de la contradiction théologique : il n’en avait pas les moyens. À l’heure de la Contre-Réforme, la polémique était la chasse gardée de quelques bretteurs professionnels. Les commanditaires de pièces qui parodient l’enseignement sont presque toujours des collégiens, lesquels se donnaient en spectacle lors de certaines fêtes.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 69. Cette sottie moralisée fut sans doute écrite en 1563, ce qui explique qu’elle n’était pas trop abîmée quand on l’a copiée dans ce manuscrit, une douzaine d’années plus tard.
Structure : Rimes aabaab/bbcbbc, abab/bcbc, rimes plates, avec 4 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce joyeuse
À .V. personnages, c’est asçavoir :
LE MAISTRE D’ESCOLLE, [MAGISTER]
LA MÈRE
et LES TROYS ESCOLLIERS, [Socié, Amycé, Quandoqué 1]
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LE MAISTRE commence 2 SCÈNE I
Je suys recteur3, grand orateur,
Remonstrant sans estre flateur
Que Folye4 [faict] les mal pensans.
Escolliers ne sont en dorteur5 :
5 Chascun d’eulx dispute en docteur.
Pendant que d’icy sont absens,
Avoir n’en veulx mill[i]ers ne cens6 :
Charge trèsgrande n’est pas sens ;
Moy seul ne les pouroys instruyre.
10 De ce que j’en ay me contens7.
Leur aprendre Donnest 8 et sens,
Principes et Caton9 construyre…
Trop10 sçavoir ne faict que destruyre
L’homme, s’il ne se veult conduyre
15 De son sçavoir faire debvoir11.
Sçavoir est bon quant on faict bruyre12
Le sens que l’homme doibt avoir.
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LA MÈRE DES ESCOLLIERS entre 13
Maintenant me fault aler voir SCÈNE II
Mes enfans de beaulté compris14,
20 Afin que je puisse asçavoir
S’ilz ont profité et apris.
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MAGISTER SCÈNE III
Je n’ay poinct peur d’estre repris
Ne chargé15, en ma concience :
Car bonne doctrine et science
25 À mes escolliers veulx monstrer.
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LA MÈRE 16 SCÈNE IV
Dieu gard, Magister ! Peus-je entrer ?
MAGISTER
Ouy dea, entrez sy vous voulez.
LA MÈRE
Mes enfans veuillez-moy monstrer !
Dieu gard, Magister ! Peulx-je entrer ?
MAGISTER
30 Ne les av’ous sceu rencontrer17 ?
Ilz sont hors de ce lieu saultés18.
LA MÈRE
Dieu gard, Magister ! Puys-je entrer ?
MAGISTER
Ouy dea, entrez sy vous voulez.
LA MÈRE
Où sont vos escollie[r]s alés ?
MAGISTER
35 Je les ay envoyés aux19 champs
Coriger un tas de meschans ;
Mais y demeurent lo[n]guement.
LA MÈRE
Y les fault avoir vitement,
Car je veulx avoir congnoissance
40 S’ilz ont apris.
MAGISTER
À grand puissance20.
Pencez qu’ilz n’ont perdu leur temps.
LA MÈRE
A ! Magister…
MAGISTER
Je les entens :
Vous pourez voir bientost, au fort21,
Comme j’en ay faict mon effort.
LA MÈRE
45 De leur bien, Dieu soyt mercÿé !
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SOCIÉ, premyer escollier, entre. SCÈNE V
Amycé !
AMYCÉ, IIe [escollier], Badin22, entre.
Placet 23, Socÿé ?
Le IIIe escollyer, QUANDOQUÉ24, entre.
Vénité ad scolam 25 !
AMYCÉ, Badin26
Non, non !
[Je ne] suys pas…
SOCIÉ
Quoy ?
AMICÉ
Licencié.
SOCIÉ 27
Amycé !
AMYCÉ, Badin
Placet, Socïé ?
QUANDOQUÉ 28
50 Mais bien plus tost « incensié29 » !
AMYCÉ, B[adin]
Je n’ay ne veulx aintel regnon30.
SOCIÉ
Amycé !
AMYCÉ, B[adin]
Placet, Socïé ?
QUANDOQUÉ
Vénité !
AMYCÉ, B[adin]
Ad scolam ? Non, non !
LA MÈRE
Mon filz !
AMYCÉ, B[adin]
Ma mère ?
LA MÈRE
Mon mygnon,
55 Veulx-tu abandonner ton maistre,
Celuy qui se veult entremaistre
De t’aprendre toute science ?
AMYCÉ, Ba[din]
J’en sçay plus (sur ma concience)
Que vous, luy, toy, moy et nous31 deulx,
60 Vous le savez. Monstrer le veulx :
Car quant nous avons eu congé
D’aler jouer32, me suys rengé
En lieu où j’ey bien aperceu
Que le monde a esté déceu33.
65 Et premier qu’entrer en propos34,
Prenon un petit le repos35
De chanter, pour fère l’entrée36.
MAGISTER
Science soyt à tous monstrée :
Chantons37 !
QUANDOQUÉ
Tout sera révoqué38
70 Des39 escolliers de candoque.
Et pour estre myeulx esjouys,
Chantons des chansons du pays
D’où nous venons !40
SOCIÉ
Sans contredict,
Vous n’en serez en rien desdict.
Ilz chantent.
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LA MÈRE
75 Magister, vous érez le pris41 :
Mes enfans avez bien apris42
En très grand science profonde.
MAGISTER
Toy, premyer, je veulx que te fonde43
De me déclarer sans rébus44
80 D’où tu viens.
AMYCÉ, Ba[din]
De voir les abus
Qui se font au monde sans doubte.
MAGISTER
Comme quoy45 ?
AMYCÉ, Ba[din]
Y sont une roulte46,
Ainsy comme y veulent prétendre.
Chascun d’eulx veulent faire entendre
85 Le faulx, mais je les feray reux47.
LA MÈRE
Il est plus grand clerq que vos48 deulx,
Mydieulx !
AMICÉ, Badin
Se suys mon49, se suys mon !
Or, entrons à nostre sermon
Plus avant. Mais sans long procès50,
90 Y fault déclarer51 le[ur]s excès,
Meschantetés, urbanités52,
Leurs façons, leurs mondanités53,
Qu’i font par grande déraison,
Dont on n’en faict poinct la raison
95 Justement54, ainsy qu’on doibt faire.
MAGISTER
À le dire, plus ne difère55.
Monstrez que suys maistre de sens,
Qui vous aprens vos petis sens56
Pour vous garder de ce danger.
SOCIÉ
100 Nul de nous n’en est estranger57.
Il ont faict en nostre pays
Ce qu’il convient58. Qu’ilz soyent haÿs !
Vélà le poinct de nos leçons.
AMYCÉ, B[adin]
Laissez-moy dire leurs façons :
105 En Karesme mengeüssent chèr59 ;
Sainctz, sainctes cuydent empescher
Que pour Dieu ne soyent dépriés60.
Sy d’eulx nous estions maistriés61,
Ce seroyt une grand horeur.
LA MÈRE
110 Et qui les maine ?
AMICÉ, B[adin]
C’est Erreur62.
Mais contre eulx me suys despité63,
Quant j’ey veu leur mondanité
Et leur méchant gouvernement.
MAGISTER
Il y fault pourvoir aultrement,
115 Car y nous en pouroyt mesprendre64.
AMICÉ, B[adin]
De leur sçavoir ne veulx aprendre ;
J’ayme myeulx vos enseignemens.
MAGISTER
Et toy ?
SOCIÉ
J’ey veu des garnemens65
Un grand tas, menteurs et flateurs,
120 Malveillans, grans adulateurs,
Qui preschent non pas l’Évangille
Mais ont leur(s) engin(s) fort agille66
De prescher toute abusion.
MAGISTER
Et toy, après ?
QUANDOQUÉ
J’ey veu confusion
125 — Qui mainte foys m’a faict seigner67 —
De voir les grans mal enseigner68.
Mais inspiration dyvine
Viendra (ainsy comme devyne),
Qui leur monstrera leur ofence,
130 Et fera à chascun deffence.
Afin que n’ayons nus69 débas,
Que leur mondanité soyt bas !
Lors nous aurons, selon ma guise70,
Bonne garde.
MAGISTER
Voyre, à l’église71…
AMYCÉ, Badin
135 Sommes-nous clers ?
LA MÈRE
Ouy, ju[s]ques aulx dens72 !
SOCYÉ
Nous avons veu leurs accidens73,
Leur estat, leurs condicions.
QUANDOQUÉ 74
Voyre, et prins des dis[s]encions75.
C’est raison qu’en ayons vengance.
AMICÉ, B[adin]
140 Aussy, pour avoir alégance76,
C’est bien raison que tout soyt dict.
Mais venez çà ! Abitavit 78
— Prenez qu’estes78 mon escollyère — :
Qu’esse, en françoys ?
LA MÈRE
Une brellyère79.
AMYCÉ, B[adin]
145 Habitaculum 80 ?
LA MÈR[E]
Unes brays81.
AMYCÉ, B[adin]
Sainct Jehan ! Aussy ces marabais82
Les ont acumulés ensemble83,
Tant que chascun d’iceulx resemble
À ceulx de Sodome et Gomore
150 Tellement que leur cas abore84.
N’esse pas chose trop infâme ?
MAGISTER
Leur mondanité n’est par femme85.
QUANDOQUÉ 86
Leur erreur n’est par bon mynistre87.
AMYCÉ, B[adin]
Leurs sismes88 et façons m’enflamme !
LA MÈRE
155 Leur mondanité n’est par femme.
MAGISTER
C’est le deable qui les afame
Du feu d’Enfer.
SOCYÉ
Et leur grand tiltre89.
QUANDOQUÉ
Leur mondanité n’est par femme.
AMYCÉ, B[adin]
Leur erreur n’est par bon mynistre.
160 Confusion tient leur chapitre90.
Et puys disent, tant sont naïs91,
Que c’est la mode du pays92.
Et pour estre plus promps et chaulx
En leur mal, usent d’artichaulx93.
165 Qu’eussent-il un estron de chien
Pour chascun mès94 !
MAGISTER
Tu dictz trèsbien
(Je suys d’avys) de ceste afaire.
SOCYÉ
Il en fault aultre chose faire.
QUANDOQUÉ
Et quoy ?
SOCIÉ
Pour en avoir le boult95,
170 Y fault faire du feu de tout.
Car ilz s’efforcent en leur guise
De vouloir rompre nostre Église,
Dont ce nous est grand punaisie96.
MAGISTER
Qu’on les brulle sans éfigie97 !
175 Car aultrement, s’on ne le faict,
Vous voyrez le peuple, en éfaict,
Qui poinct ne se contentera.
Et cependant qu’on chantera,
Targez-vous98 ! Vérez, par mistère,
180 Ce qu’on faict, dont je m’en veulx taire.
Et pour myeulx vous faire ententis99,
Tous maistres font bons aprentis100.
Ilz chantent : 101
De mal faire, on n’a nul repos…
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AMYCÉ
Magister, donnez-nous quampos102
185 Vistement, et vous despeschez !
MAGISTER
Voycy de très vaillans supos103.
TOUS ENSEMBLE
Magister, donnez-nous quampos !
SOCYÉ
Neuf y en a104.
MAGISTER
C’est à propos105.
AMYCÉ, B[adin]
Troys vie[u]s.
QUANDOQUÉ
Troys neufz106.
SOCYÉ
Troys despeschés107.
TOUS ENSEMBLE
190 Magister, donnez-nous quampos
[Vistement, et vous despeschez !]108
MAGISTER
De bien changler109 vous empeschez !
QUANDOQUÉ
Magister, qui a men pényer110 ?
SOCYÉ
Magister, qui a ma pouquette111 ?
MAGISTER
195 Tu me sembles un gros ânyer112 !
Y n’en fault plus faire d’enqueste.
LA MÈRE
Magister, vous aurez le pris.
Priant Jésus de paradis
Qu’i préserve la compaignye113,
200 Une chanson, je vous suplye114 !
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FINIS
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1 Ces mots latins sont ici transformés en noms. SOCIE est le vocatif de socius : camarade. Les satiristes en font un latiniseur inculte ; cf. Science et Asnerye, vers 221 et note. AMICE est le vocatif d’amicus : ami. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 256. QUANDOQUE = de temps en temps ; ce terme dénigre les dilettantes, comme au vers 70. Cf. les Premiers gardonnéz, vers 211. 2 Le décor représente une salle de classe. Le professeur trône dans sa chaire en attendant que ses élèves rentrent de récréation. 3 On songe au Livre de la Deablerie, d’Éloy d’Amerval, où Bélial est qualifié de « docteur, recteur, maistre d’escolle ». 4 Ce personnage allégorique intervient dans nombre de sotties, par exemple la Folie des Gorriers. 5 Ne restent pas cantonnés dans leur dortoir. Cf. Sœur Fessue, vers 225 et 235. Nous sommes donc bien dans un collège, et non chez un professeur indépendant. 6 LV : sens (Je vous dirai que je ne veux pas en avoir des mille et des cents.) 7 Je me contente. 8 Le manuel de grammaire latine de Donatus. Cf. D’un qui se fait examiner, vers 69. 9 Les distiques moraux qu’on lui attribuait sont une des bases de l’enseignement médiéval. « Mes Principes, et mon Donnest,/ Aussi mon petit Chatonnet. » Maistre Jehan Jénin. 10 LV : tant (La curiosité intellectuelle mène au protestantisme ; voir les vers 116-7. « Nos dames calvinistes qui, curieuses de trop sçavoir, lizent les livres des ministres [pasteurs] & prédicans. » La Somme des péchéz.) 11 Ce précepte de Salomon fut beaucoup mieux rendu par Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » Pantagruel, 8. 12 Quand on fait s’exprimer. 13 Elle entre en scène, et elle monologue avant de se diriger vers l’école. 14 Remplis. « Une église de Nostre Dame, de merveilleuse beaulté comprise. » Fierabras. 15 D’être blâmé ni critiqué. En ma conscience = selon moi. 16 Elle entre dans la salle de classe. 17 N’avez-vous pas pu les rencontrer en chemin ? « Av’ous » est la contraction normande d’« avez-vous ». 18 LV : a saulter (Ils sont saillis, ils sont sortis.) 19 LV : sur les 20 (Ils ont appris) de toutes leurs forces. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 331. 21 Au reste. 22 Amicé, le 2e écolier, est un rôle de Badin ; cela explique pourquoi c’est celui des trois qui a le plus de texte. La Bouteille, une autre pièce antiprotestante du ms. La Vallière, laisse également le premier rôle à un Badin moralisateur. 23 Plaît-il ? « –Guillerme ! –Placet, Magistrum ? » Guillerme qui mengea les figues. 24 LV : de quandoque (Les 3 écoliers portent un nom latin. Voir la note 1.) 25 Venez à l’école ! 26 LV : p b (= Premier Badin.) 27 LV : le iiie (C’est le 1er Écolier, Socié, qui appelle son frère, comme aux refrains 46 et 52.) 28 LV : le iie (Vu le nombre d’erreurs que le scribe a commises dans la numérotation des trois Écoliers, je me contenterai de donner leur nom, et pas leur numéro. Cependant, les trios de personnages numérotés sont caractéristiques des sotties.) 29 LV attribue ce mot à socie p. Tu es plutôt insensé que licencié. 30 Je n’ai, ni ne veux, un tel renom : la réputation d’être insensé. 31 Peut-être faut-il lire vous. 32 De sortir pour la récréation. 33 Trompé par la propagande luthérienne. 34 Et avant d’entrer dans le vif du sujet. 35 Prenons un peu la permission. 36 L’entrée en matière. 37 La musique était alors une science, comme au vers 77. Elle faisait partie du cursus universitaire : on ne pouvait devenir maître ès Arts sans être musicien. 38 LV : a ceste heure desuoque (Tous les arrêts favorables à la Réforme seront annulés.) En 1562, on tenta de révoquer les arrêts défavorables au calvinisme : « Tous édictz, ordonnances & arrests, faicts & publiéz sur le faict de la Religion jusques au jour présent, seront révoquéz & casséz comme de nul effect. » Or, la même année, les calvinistes avaient vandalisé Rouen, ce que les catholiques n’avaient aucune envie de leur pardonner : voir les vers 174-7. 39 Par les. « Escolier de quandoque: qui ne va pas souvent à l’escole. » (Antoine Oudin.) C’est le nom du 3e Écolier. 40 Sur la même ligne, LV anticipe la didascalie : Ilz chantent 41 Vous aurez le premier prix. Même vers que 197. 42 Éduqué. 43 Que tu te proposes. 44 Sans équivoque. 45 C’est-à-dire ? 46 Ils sont une ribambelle. « Vécy une grant route/ De gens. » L’Aveugle et Saudret. 47 Je les laisserai sans voix. « J’en ay fait reus cent fois les maistres/ De nostre escolle. » D’un qui se fait examiner. 48 Vous (normandisme). 49 Je le suis. « Mon » est une particule de renforcement qui étaye le verbe : cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 39. 50 Sans bavardages inutiles. 51 Dénoncer. 52 Leurs marques de politesse hypocrite. 53 Leur attachement aux choses profanes et aux plaisirs du monde. Idem vers 112, 132 et 152. 54 Dont on ne fait pas justice : qu’on ne punit pas assez. Cf. Digeste Vieille, vers 472. 55 Je n’hésite plus. 56 Vos modestes connaissances. « Et de faire en tout mon devoir selon mes petiz sens et puissance. » Jean du Chastel. 57 N’est à l’abri. Lors du Carnaval de 1562, les huguenots avaient agressé les Conards de Rouen et leur avaient jeté des pierres. 58 Ce qu’il leur convient de faire, ce qu’ils ont voulu. 59 Pendant le jeûne du Carême, ils mangent de la chair, de la viande. « Mangeüssent » est un présent de l’indicatif normand : cf. le Jeu du capifol, vers 98. 60 Ils veulent empêcher que les saints soient priés à la place de Dieu. 61 Gouvernés. Cf. le Pèlerinage de Mariage, vers 247. 62 Les polémistes allégorisent souvent « l’erreur de Luther ». Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 34. 63 Révolté. 64 Car cela pourrait nous faire du tort. 65 LV : gouuernemens (Des mécréants. « Un garnement/ Blasmant de foy malsaine/ Le divin sacrement. » ATILF.) 66 L’esprit agile afin. 67 Signer, faire le signe de la croix. Cf. le Ribault marié, vers 376. 68 De voir les grands de ce monde être mal guidés. 69 Nuls, aucun. 70 À mon avis. 71 En 1562, les protestants avaient pillé ou détruit plusieurs églises de Rouen. Cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 174-6. 72 De la tête aux pieds. « J’ay tant fréquenté ces notaires/ Que j’en suis clerc jusques aux dents. » Première Moralité. 73 Leurs défauts. 74 LV : le iie (Quandoqué est le 3e Écolier.) 75 Mes prédécesseurs ont lu discucions. Prendre des dissensions = être en désaccord. « Karle, avers nous, a pris dissencion. » ATILF. 76 Allégement. Cf. Cautelleux, Barat et le Villain, vers 132. 77 Habitavit = il a habité. (Ce verbe revient souvent dans les Écritures.) Calembour de collégiens sur « habit à vits », qui désigne la braguette. « Habitavit, c’est-à-dire une brayette, quasi “habit à vit”. L’on dira habitaculum, “habit à cul long”, à mesme raison. » Tabourot. 78 LV : gectes (Supposez, ma mère, que vous êtes mon écolière et que je suis votre professeur de latin. « Prenez que fussiez devenu/ Pauvre. » Le Pauvre et le Riche.) 79 Une braguette. (Mot normand.) « Y ne sera pas jusque z’o chambrière/ Qui ne viennent fiquer leu dais [ficher leurs doigts] dans ta breslière. » La Muse normande. 80 La demeure de l’âme. Calembour de collégiens, favorisé par la prononciation à la française, sur « habit à cul long », qui désigne l’arrière des braies. « Bon latin, habitaculum/ Veut dire : un habit à cul long. » Jacques Corbin. 81 Une paire de braies. « Parmy le fons d’unes brayes breneuses. » Villon. 82 Ces hypocrites. Un marrabais est un juif d’Espagne qui fait semblant d’être converti au christianisme. 83 Ont accolé ensemble leur braguette et l’arrière de leurs braies : ont pratiqué la sodomie. 84 Que j’abhorre leur cas. 85 Leur luxure est due à l’absence de femmes. L’auteur retourne la situation : les femmes étaient beaucoup mieux intégrées dans la nouvelle religion que dans l’ancienne. D’ailleurs, les scandales homosexuels n’éclaboussaient que le Vatican. Les cardinaux s’entouraient de mignons, et nul n’avait oublié l’éloge de la sodomie qu’avait fait paraître en 1537 l’archevêque Giovanni Della Casa : De Laudibus sodomiæ seu pederastiæ. Les catholiques n’ont pu reprocher aux calvinistes qu’un poème de jeunesse où Théodore de Bèze avoue qu’il préfère Germain Audebert, son ami brûlant de désir*, à une femme : « Sed postquam tamen alterum necesse est,/ Priores tibi defero, Audeberte. » Juvenilia (1548). *Sic Bezæ est cupidus sui Audebertus. 86 LV : le ii escollier 87 Est due au fait qu’ils n’ont pas un directeur de conscience catholique. 88 Leur schisme. On peut aussi comprendre : leur hérésie sexuelle. 89 C’est leur titre de noblesse. 90 Leur congrégation. 91 Naïfs. 92 Cette « mode » est la sodomie : « –Nous allons bien à reculons./ –C’est selon la mode moderne. » (Colin qui loue et despite Dieu.) Notre auteur voudrait faire oublier que cette mode venait de Rome, et non de Genève. 93 Le cœur d’artichaut — qu’on appelait le cul — était aphrodisiaque. « Pour l’artichaut, il m’enflamme/ Je ne vous dis pas comment./ Demandez-le à ma femme :/ Quand j’en mange, elle s’en sent ! » Gaultier-Garguille. 94 Pour tout mets. 95 Pour en voir le bout, pour en finir avec les huguenots. 96 Ce qui est pour nous une grande infamie. 97 Qu’on ne se contente pas de les brûler en effigie, comme ceux qui sont condamnés par contumace. 98 Protégez-vous d’une targe, d’un bouclier. « Soy targer, & ranger pour combattre. » (Antoine Canque.) Les trois écoliers s’arment avec ce qu’ils ont sous la main, pour mener leur croisade contre les hérétiques. Ces clercs déguisés en soldats d’opérette sont aussi ridicules que Maistre Mymin qui va à la guerre atout sa grant escriptoire. 99 Ententifs : pour mieux vous le faire entendre. 100 Je vais moi-même chanter avec vous. 101 LV répète dessous : magister. La chanson est inconnue. 102 Donnez-nous le champ libre. En jargon estudiantin, le campos est la récréation : cf. les Premiers gardonnéz, vers 5. 103 Les suppôts sont les piliers d’une religion. Mais ce sont également les fous de l’Abbé des Conards de Rouen : « Pour mieulx servir l’Abbé et ses suppostz. » Triomphes de l’Abbaye des Conards. 104 Il y a neuf protestants à massacrer. Les écoliers les ont vus pendant la récréation : vers 61-64. 105 Cela tombe bien, puisque vous êtes presque en nombre égal. 106 Trois jeunes. 107 Trois que nous avons expédiés tout à l’heure. « Y l’eust tué et despesché. » Le Poulier à quatre personnages. 108 LV a omis ce refrain B du triolet, identique à celui de 185. 109chanter (Forme normande de sangler : « Mais leu broudier [leur cul] fut changlay dièblement. » La Muse normande.) Efforcez-vous de bien les battre ! Sangler = fouetter un écolier à coups de sangles. « Cet escolier a eu bien le fouet, on l’a bien sanglé. » Furetière. 110 Mon panier. Mot normand : cf. la Fille bastelierre, vers 154. Les apprentis mercenaires vont transporter leurs armes dans un cabas. Ces armes sont probablement celles que le maître applique sur leurs fesses : les sangles, les verges, les règles en bois. 111 Ma pochette, mon sac. Encore un mot normand : cf. l’Aveugle, son Varlet et une Tripière, vers 30. Les farces rouennaises qui brocardent un écolier l’affligent toujours d’un accent villageois ; ici, plus on approche de la fin, plus les personnages deviennent risibles. L’auteur serait-il protestant ? 112 Un paysan mal dégrossi. Cf. Science et Asnerye, vers 298. 113 Le bataillon. 114 C’est le dernier vers d’une autre pièce normande du même manuscrit, le Poulier à sis personnages.
LA BOUTEILLE
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LA BOUTEILLE
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Cette Farce de la Bouteille à 4 ou à 5 personnages n’est pas une farce, ne s’intitule pas « la Bouteille », et ne comporte que 3 personnages. Le titre « la boutaille » fut ajouté après coup par une main plus récente que celle du copiste, et ne se trouve d’ailleurs pas dans la table des matières établie par ledit copiste au début du manuscrit : « Farce joyeuse à .III. ou à .IIII. ou à .V. personnages. »
En revanche, c’est bien notre copiste qui a greffé dans l’index personæ un 4ème comparse, une Bergère, sous prétexte que le vers 285 évoque une bergerie. Et c’est toujours le même copiste qui ajoute un 5ème personnage, un Badin, en dédoublant le rôle du Fils : dans la table des matières, il note « la Mère, le Badin » au lieu de « la Mère du Badin ».
Cette pièce normande, écrite dans les années 1525-1540, n’est pas une farce mais une moralité de propagande. Son but est de convaincre le peuple du danger de la Réforme1, qui progressait à Rouen par la faute du clergé, dont les insuffisances et la corruption agaçaient jusque dans ses propres rangs. Le Badin, personnage comique et populaire, se transforme donc en prêcheur et invoque des entités allégoriques : Police a été tuée par Avarice, et doit être vengée par Justice, bien que celle-ci soit aveugle. Pour que les spectateurs — j’allais dire les fidèles — restent jusqu’au bout, cette moralité fut suivie comme d’habitude par une vraie farce, annoncée au dernier vers : « Attendez, vous aurez la Farce. »
Source : Manuscrit La Vallière, nº 47.
Structure : Rimes plates.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
[de la Boutaille]
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À .III.2 personnages, c’est asçavoir :
LA MÈRE DU BADIN
et LE VOUÉSIN
et SON FILZ [Philipin] 3
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LA MÈRE commence [en chantant :] SCÈNE I
[Se je ne puis estre joyeuse…] 4
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Mon Dieu, qu’est une femme heureuse5,
Quant il advient que Dieu luy donne
Un enfant, et puys qu’il s’adonne
5 À estre sage et bien aprins !
J’en ay tel deuil en mon cœur prins
Qu(e) impossible est que ne desvye6.
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LE FILZ entre à tout 7 unne bouteille. SCÈNE II
Ma foy, ma mère, j’ey envye
De vous compter aulcune chose8
10 Qui est en mon esprit enclose
Sy très avant que c’est merveille.
LA MÈRE
Et quoy, mon Dieu ?
LE FILZ, BADIN
Je m’émerveille
Comment un homme fust sy sage
Qui, par un sy petit passage,
15 Mist ce vaisseau en cest esclisse9.
LA FEMME
Mon Dieu ! je croy qu’il est éclipse
Soyt du soleil ou de la lune.
En est-il, au monde, encor une
Plus tourmentée que je suys ?
LE FILZ
20 Je ne dy pas sy le pertuys10
Fust assez grand pour le passer ;
Mais de luy mectre sans casser,
Cela me faict trop esbahir.
LA FEMME
Vray Dieu, que je doy bien haÿr
25 La journée que vins sur terre !
LE FILZ
Sy le vaisseau ne fust de terre,
J’estimeroys que ce fust fonte11.
LA FEMME
A ! mon filz, n’as-tu poinct de honte
De tout cela te démenter12 ?
LE FILZ
30 Tel cuyde aucunefoys monter
Deulx pas[s]es13 qui en descent quatre.
LA FEMME
Regardez : il se va débatre
D’une chose dont n’a que faire.
LE FILZ
Ma mère, bien souvent un bon taire14
35 Vault myeulx, dis foys, que tant parler.
LA FEMME
Il parachève d’afoller !
Je ne sçay, moy, que ce peult estre15.
.
LE VOÉSIN entre SCÈNE III
Honneur, honneur !
LE FILZ
Dieu vous gard, Maistre16 !
Vous soyez le trèsbien trouvé17 !
LA FEMME
40 Joyeuse suys qu’estes aryvé,
À ceste heure, je vous afye18 !
LE VOÉSIN
Pourquoy cela ?
LA FEMME
A ! je me fye,
[Et au moins y ay-je espérance,]19
Que sy vous remontrez l’ofence
45 À ce garson, y vous croyra.
LE VOÉSIN
Pensez, commère, qu’il fera
Plustost pour vous que pour un aultre.
LE FILZ
(Autant pour l’un comme pour l’aultre !
Je voy bien que perdez vos peines.)
LE VOÉSIN
50 Que dictes-vous ?
LE FILZ
Que les avoynes20
Seront chères, l’an[n]ée qui vient.
LA FEMME
Regardez quel propos il tient !
En vîtes-vous onc de sa sorte ?
LE VOÉSIN
Ma commère, vous estes sote :
55 Fault-il pas voir ains que pourvoir21 ?
Alons un peu à luy sçavoir
Quel estat22 c’est qu’i veult tenir.
Un jour, il poura parvenyr
À bien grande perfection.
LA FEMME
60 Hélas, j’avoys intention
De luy faire métier aprendre.
LE VOÉSIN
Il est encor[e] jeune et tendre
Pour luy metre, sy vous voulez.
[LA FEMME] 23
Beaucoup de gens pensent voler
65 Devant24 qu’il ayent aulcune(s) plume(s).
[LE VOÉSIN]
Que voulez-vous : c’est la coustume
Des jeunes gens de maintenant.
[LE FILZ]
Lors qu’Absalon25 estoyt la main tenant
Contre David (son père géniteur),
70 Par le vouloir du divin Créateur
[Sans cordelle ny corde il fust pendu]26,
Signyfiant que nul, de sa vertu27,
Ne doibt voler devant qu’il ayt des elles28.
LE VOÉSIN
[ Ne scays-tu poinct d’aultres nouvelles ?29
LA FEMME
75 À tous les coups son sot sens erre.30 ]
Ph[i]lipin, voécy mon compère
Qui te veult dire un mot segret31.
LE FILZ
Quant Pharaon, par un despit aygret32,
Fist assembler son ost et [son hostel]33
80 Pour courir sus aulx enfans d’Israël,
N’estoit-ce34 pas contre Dieu faict ofence ?
Lors, le Seigneur, par sa digne clémence,
Feist eschaper les Ébreulx sans danger.
Et Pharaon et toute sa puissance
85 Au fons de l’eaue furent tous submergés.
LA FEMME
Tu nous faictz bien icy songer !
Respons-nous un mot à propos.
LE FILZ, en chantant :
Combien les pos ? Combien les pos ? 35
Deulx liars ? C’est trop.
90 Dancez « les Amourètes » :
Tel les a qui ne les dance mye,
Tel les a qui ne les dance pas.
LA FEMME
[Nulle chose ne respondras]36 ?
LE FILZ
Ma foy, je ne vous voy[oi]es pas,
95 Ma mère : pardonnez-le-moy.
LE VOÉSIN
Vien çà, orphelin ! Parle à moy :
Tu es jà grand et bien taillé ;
Y convyent que tu soys baillé
À quelque maistre pour aprendre.
LE FILZ
100 Hen ?
LE VOÉSIN
Il convyent que tu soys baillé.
LE FILZ
A, il convyent que je soys taillé37 ??
LE VOÉSIN
Nennyn non !
LE FILZ
Faictes-moy donq entendre.
Je l’avoys ainsy entendu.
LA FEMME
Tu es tant sot et tant testu
105 Qu’on [n’]entent riens à ton afaire.
LE FILZ
Tousjours n’est pas temps de se taire.
Aulcunefoys, fault paroller.
LA FEMME
Tu ne faictz que crier et braire,
Et ne sçays de quoy te mesler.
LE FILZ
110 On aura bien à desmeller
Devant qu’i soyt long temps d’icy38…
Par sainct Jehan ! vous avez vécy39 :
Qu’esse donc icy que je sens ?
LE VOÉSIN
Il est encor plus hors du sens,
115 Qui40 prend garde à tout son langage.
LE FILZ
Salomon, qui fust le plus sage
De tous les roys, et le plus fin,
Toutefoys, par mauvais usaige,
Y fust ydolastre41 à la fin.
LA FEMME
120 Or çà ! que dictes-vous, voésin ?
Y trouvez-vous ny boult ny ryve42 ?
LE FILZ
Ceulx de la cité de Nynyve
Pour43 leurs maulx firent pénytence.
Qui fist cela ? La remonstrance
125 Que leur fist Jonas le Prophète.
Combien fauldroict-il de prophètes
À prescher maintenant le monde ?
N’esse pas chose bien immunde
Qu’i faille que le propre père
130 Pourchasse à son filz vitupère44 ?
Vous le voyez de jour en aultre.
LE VOÉSIN
Mais laissons cela, parlons d’aultre,
Orphelin : vous estes troublé.
LE FILZ
Pleust à Dieu que l’on eust criblé45
135 Le bon grain d’avèques la paille !
LA FEMME
Nous ne gaignons pas une maille46
De plus luy cryer à l’horeille.
LE FILZ
Je suys encor à ma bouteille :
Mais quant g’y pence, c’est la chose
140 La plus subtillement enclose
(Sur ma foy) que je vis jamais !
LE VOÉSIN
Vous dictes vray, orphelin ; mais
Tout cela ne nous sert de guère.
LE FILZ, chantant :
Fauchez, fénez la feugère 47 :
145 S’el est verte, el revyendra 48.
Vous vouérez un temps qui viendra
Changer ce49 temps en maincte guise.
LE VOÉSIN
Faisons-en un homme d’Église :
Je n’y trouves aultre moyen.
LA FEMME
150 Hélas, compère, y ne sçayt rien :
Ce ne seroyt que vitupère50.
LE VOÉSIN
O ! ne vous chaille, ma commère :
Il en est bien d’aultres que luy
Qui ne sayvent ny fa ny my 51.
155 Mais qu’il sache son livre lyre52
Et qu’il puisse sa messe dyre,
C’est le plus fort de la matyère.
LA FEMME
Je vous prye donc, mon compère :
Faictes-en vostre intention.
LE FILZ
160 Cil53 qui trouva l’invention
De la faire par là passer54,
Ce ne fust pas sans y penser
(Le deable m’enport) longue pose55 !
LA FEMME, plorant.
Sa povre teste ne repose
165 Non plus que faict l’eau de la mer.
Ne me doibt cela estre amer,
De le veoir ainsy assoté56 ?
LE VOÉSIN
Vous en dictes la vérité ;
Mais c’est jeunesse qui se passe.
LE FILZ
170 « Assez va qui fortune passe57 »,
Ce dict-on en commun langaige.
Thobye escheva58 ce passaige
Quant [Dieu, par grâce, l’eut]59 conduict
Vers Raphaël60 (comme il est dict)
175 Pour avoir la61 fille à espouse.
Toute personne qui dispouse
De tout son cœur et son entente
À aymer Dieu, a ! je me vante
Qu’il viendra à chef de ses fins62.
180 Pensez-vous qu’il est des gens fins63
Qui [n’observent pas ce]64 grand cas ?
LA FEMME
Voécy bien un merveilleux cas !
Il ne respont à nulle chose
Que nul de nous deulx luy oppose65.
185 Je ne sçay, moy, que c’est66 à faire.
Entens un peu à mon compère,
Et faictz tout ce qu’il te conseille !67
LE FILZ
Alez tout beau, pour ma bouteille !
À peu68 que ne l’avez cassée.
LA FEMME
190 J’ey la teste sy très lassée
Que je ne sçay que devenyr.
Quel estat veulx-tu maintenyr ?
Il est de le sçavoir mestier69.
LE VOÉSIN
Sy tu veulx estre de mestier70,
195 Il est saison71 que tu t’avise.
LE FILZ
Y me fault estre gens d’Église :
Ce me semble un mestier notable.
LE VOÉSIN
La chose est toute véritable.
Mais il fauldroict
LE FILZ
Et quoy ?
LE VOÉSIN
200 Mais72 fauldroict estre cléricus.
LE FILZ
Je sçay bien mon Avé salus 73,
Mon Imanus 74, mon Déo75 pars.
J’en sçay (par Dieu) plus des troys pars76
Que ne faisoyt maistre Morelles77.
205 Quoy, je remue bien les escuelles78 ;
Et sy, say bien les poys eslyre79.
J’escriptz bien (sy je savoys lyre).
Je faictz res[s]us[c]iter les mors.
Tel que je suys, je chye dehors,
210 Puys à la maison voys80 menger.
Et sy81, aussy bien sçay garder
Comme [vous-]mesmes les ouésons82.
LE VOÉSIN
Voy(e)là les plus sotes raisons
Qu(e) homme pouroyt veoir ne congnoistre !
LA FEMME
215 Regardez : y veult estre prestre,
Et ne sçayt rien qui soyt, beau syre.
Le filz ridet 83 modicum longe.
LA FEMME
Qu’as-tu ?
LE FILZ
Je me suys prins à rire
Quant j’ey oÿ vostre parolle.
LA FEMME
Pourquoy cela ?
LE FILZ
Vous estes folle
220 De présumer sy peu de sens
En moy, veu que [plus de] cinq cens
Sont aujourd’uy parmy le monde,
En qui84 tant de richesse abonde
Du revenu de la coquille85 ;
225 Et toutefoys, il n’y a drille86
De sçavoir en eulx, somme toute.
LE VOÉSIN
Qu[oy !] il n’y a poinct…
LE FILZ
Grain ny goute !
C’est un cas87 tout acerténé.
LE VOÉSIN
Vous me rendez bien estonné88.
230 Comme se pouroyt cela faire ?
LE FILZ
Par le moyen d’un beau vicaire89
Qui prendra le soing et la cure90
Du bénéfice91 ou de la cure.
Voylà comme c’est qu’on en use.
LE VOÉSIN
235 Voyre. Mais le curé s’abuse
De recepvoir le revenu,
Sy par luy n’est entretenu
Le divin service ordinaire.
LE FILZ
De quoy servyroit le vicaire
240 Qu’il auroyt commys en son lieu92 ?
LE VOÉSIN
Yl prennent donc le bien de Dieu
Sans en faire [nul] droict quelconques.
LE FILZ
Et ! comme l’entendez-vous donques ?
On n’est jamais prins qu’en prenant.
245 Mais autant curés que servant93
Y fauldra, du94 tout, satiffaire.
Nous avons eu beaucoup à faire,
Puys95 la mort de nostre nourisse.
LE VOÉSIN
Qui estoyt-el ?
LE FILZ
[C’estoyt] Police96.
250 Y n’en fust onq[ues] de la sorte.
LE VOÉSIN
Police ?
LE FILZ
Ma foy, elle est morte :
Il n’est plus de Police au monde.
LE VOÉSIN
O ! la meilleure de ce monde,
Av’ous97 ceste ville laissée ?
LE FILZ
255 C’en est faict :98 elle est trespassée,
Il est certain, je vous assure.
LE VOÉSIN
C’est une piteuse avanture,
D’avoir laissé mourir Police.
[Et] qui en est cause ?
LE FILZ
Avarice99,
260 Qui, par son art et sa malice,
L’a abatue et consommée100.
Et sy de brief el n’est sommée
De vyder101 hors de ces quartiers,
Il ne demeurera le tiers
265 Du monde que tout ne consomme102.
LE VOÉSIN
C’est donq bien [à] droict103 qu’on la somme
De vyder hors : il est propice104.
LE FILZ
[Hélas,] qui le fera ?
LE VOÉSIN
Justice ;
Il n’en fault poinct avoir de doubte.
LE FILZ
270 Justice ?
LE VOÉSIN
Voy(e)re.
LE FILZ
El(le) ne voyt goute105.
Je faictz doubte qu’el(le) ne varye106.
Celuy ou celle qui charye107
Soublz la conduicte de la nuyct,
Bien souvent, aucun cas108 luy nuyct,
275 Qui le faict en bas trébucher.
Mais celuy qui veult chevaucher
Par voyes109, champaigne et brierre,
Ensuyve tousjours la lumyère
Du jour, afin qu’i ne forvoye110. Il chante :
280 Las ! je ne puys aler la voye 111
Pour rencontrer le myen amy.
Las ! je ne puys aler la voye.
Et sy, ne puys parler à luy.
Cestuy-là qui n’entre par l’huys
285 En l’estable de la bergerye 112,
Il y a quelque cas 113 en luy,
Puysqu’il ne veult entrer par l’uys.
De belle nuyct, il [faict saillie] 114
Par-dessus la massonnerye 115,
290 Et ne veult pas entrer par l’uys
En l’estable de la bergerye.
LA FEMME 116
Y revyent à sa rêverye :
Voécy bien chose nonpareille !
LE FILZ
Par Dieu, ma mère, la bouteille117
295 Ne fust jamais mal inventée :
Esse rien de l’avoir boutée
Là-dedens ainsy bien apoinct ?
LE VOÉSIN
Sy est, car el(le) ne branle poinct :
Y n’est, au monde, rien plus ferme.
LE FILZ
300 Elle ne branle grain ne lerme118 ;
Il semble qu’el soyt chymentée119.
Sy la Foy fust ainsy artée120
En l’esprist de toute personne,
La Foy seroyt [et] juste et bonne ;
305 On n’yroict poinct à reculons.
LE VOÉSIN
Que voulez-vous ? Sont « papillons121 »
Qui ont sentu le renouveau122.
LE FILZ
Tout cest enseignement nouveau
Ne nous profite123 de deulx melles.
310 De quoy servent tant de libelles
— Tant en françoys comme en latin —
Disant124 qu’on chante trop matin ?
On dict que ce n’est pas bon signe.
LE VOÉSIN
Je prens congé de vous, voésine.
.
315 Seigneurs, pour la conclusion,
Servons Celuy qui tous domyne
De toute nostre affection.
Fuyons nouvelle invention,
Qui est dangereuse et perverse :
320 Ce n’est que toute abusion125.
Atendez, vous aurez la Farce.
.
FINIS
*
1 Sur l’utilisation du théâtre dans les polémiques religieuses, voir la notice des Povres deables. 2 LV ajoute : ou iiii (Au-dessus de la ligne, il ajoute : ou a v) 3 C’est le fils de la Mère, et peut-être celui du Voisin, qui s’occupe de lui paternellement. Son rôle est tenu par un Badin : les Badins, de par leur proximité avec les fous, peuvent distiller quelques vérités que les acteurs ordinaires ne pourraient pas dire. Voir la définition de lui-même que donne le Badin des Sobres Sotz. LV ajoute : et la bergere 4 Beaucoup de farces commencent par le 1er vers d’une chanson à la mode qui rime avec le 1er vers de la pièce : les Mal contentes, Colin qui loue et despite Dieu, le Dyalogue pour jeunes enfans, etc. Notre copiste n’a pas gardé la chanson initiale, qui ne devait plus être à la mode quand il officiait (~ 1575). Pour que le 1er vers ne reste pas orphelin, j’en ai pioché une dans le recueil de Brian Jeffery, Chanson verse of the early Renaissance, t. II, p. 259. 5 Que les autres femmes sont heureuses ! 6 Qu’il est impossible que je ne perde pas la vie. 7 Avec. 8 De vous raconter une chose. 9 Mit cette bouteille dans cette éclisse. Pour protéger les bouteilles de bon vin, on tressait tout autour un treillis en osier : « Une bouteille clissée pleine de vin breton. » (Tiers Livre, 45.) Le Fils — qui, comme tous les Badins, comprend tout à l’envers — croit qu’on a introduit la bouteille dans une éclisse déjà faite. Le « vaisseau » désigne, comme au vers 26, une bouteille en terre cuite : « Flacons, potz et vaisseaulx. » (Les Sotz escornéz.) Les amateurs d’anachronismes ont vu dans ce vaisseau une maquette de bateau. 10 Le goulot de l’éclisse. 11 Si la bouteille n’était pas en terre cuite mais en verre, un fondeur de verre aurait pu la souffler à l’intérieur de l’éclisse. 12 Te préoccuper. 13 Deux marches d’escalier. « Les passes à degré de pierre. » ATILF. 14 Un silence. 15 Je ne sais pas ce qui se passe. Même vers dans Frère Frappart, dans le Prince et les deux Sotz, etc. 16 On ignore la profession du Voisin ; mais s’il est qualifié de Maître, il ne garde pas des oies, contrairement à ce qu’insinue le vers 212. Le fait qu’il entre sans frapper chez une veuve laisse croire qu’il est son amant. 17 Le bienvenu. 18 Je vous l’affirme. 19 Vers manquant. J’emprunte le vers 125 de la Confession du Brigant. 20 Les Normands prononçaient « avaines », d’où l’homophonie approximative sur « peines ». 21 LV : scauoir (à la rime.) Avant de prendre les mesures nécessaires. 22 Quelle profession. Idem vers 192. 23 LV : le filz 24 Avant. 25 Il entra en guerre contre son père, le roi David. Le théâtre use souvent du décasyllabe dans ses emprunts aux légendes bibliques ou mythologiques, et dans les envolées prophétiques. 26 LV : y fust pendu sans cordes ny cordelles (Sa longue chevelure s’accrocha aux branches d’un arbre, et les soldats du roi le tuèrent. « Ou aux cheveulx, comme Absalon, pendus. » Villon.) 27 De son propre chef. 28 Avant d’avoir des ailes. « Qui cuydent sans elles voller. » Le Clerc qui fut refusé. 29 Vers manquant. N’as-tu rien de plus intéressant à nous dire ? « –Sces-tu rien ? –Comme quoy ? –Nouvelles./ –Se l’en povoit voller sans elles. » Les Vigilles Triboullet. 30 Vers manquant. J’emprunte le vers 471 de l’Arbalestre. 31 En secret, en particulier. 32 Un peu aigre. Ce roi d’Égypte poursuivit les Hébreux jusqu’à la mer Rouge, qui s’ouvrit pour les laisser passer : l’Éternel, se prenant pour le dieu Éole, avait soufflé du vent pour écarter les flots. 33 LV : sa puissance (Son armée et sa Cour. « Des plus grans de son hostel et de ceulx de son privé conseil. » E. de Monstrelet.) 34 LV : netoise 35 Cette chanson inconnue rappelle la scène du marchandage des pots dans Cautelleux, Barat et le Villain, vers 200-4. 36 LV : respondras tu aucune chouze (Voir le vers 183.) 37 Châtré. Les acteurs rajoutaient des vers dans les passages comiques, quitte à les rendre moins drôles. 38 Avant longtemps, nous aurons bien des choses à clarifier. Cette menace vise peut-être la conduite de la Mère par rapport au Voisin. 39 Vessé, pété. Ce reproche injuste est fait aux personnes qu’on veut faire taire : cf. Jéninot qui fist un roy de son chat, vers 69. 40 Si l’on. Ou bien : Celui qui. 41 Influencé par les croyances de ses épouses étrangères, il passa pour idolâtre. « Folles amours font les gens bestes :/ Salmon en ydolâtria. » Villon. 42 Y trouvez-vous quelque chose à quoi vous raccrocher ? 43 LV : et (Ses habitants avaient fait aux juifs de nombreux maux ; le prophète Jonas les contraignit à s’en repentir.) 44 Qu’un père devenu protestant cherche à outrager son fils resté catholique. Ces drames familiaux trouveront leur apogée dans l’affaire Calas. Bien sûr, le fanatisme était aussi virulent du côté des pères catholiques dont le fils devenait luthérien. 45 Qu’on ait séparé à l’aide d’un crible le bon grain catholique de l’ivraie protestante. 46 Un sou. « Tu n’y gaignes pas une maille. » Les Frans-archiers qui vont à Naples. 47 Coupez et séchez la fougère. Chanson inconnue. 48 Elle reprendra si on la plante. 49 LV : le (Changer le temps présent de plusieurs manières.) 50 Honte, cause de reproches. Idem vers 130. 51 Qui ne savent rien. « Je n’y entens ne fa, ne my. » Raoullet Ployart, et le Mince de quaire. 52 Pour peu qu’il sache lire son bréviaire. 53 Celui. Le fils contemple à nouveau sa bouteille. 54 De faire passer la bouteille par l’ouverture étroite de l’éclisse. 55 Longue pause : longtemps. Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 828. 56 LV : asoty 57 Celui qui échappe à une tempête. « Souspris d’une fortunne/ En laquelle il ne peut passer. » (ATILF.) Ce proverbe bien connu possède une variante qui l’est moins : « Assez fait qui fortune passe, & plus encor qui putain chasse. » (Cotgrave.) 58 LV : acheua (« Eschever » est la forme normande d’« esquiver » : cf. le Ribault marié, vers 535.) Tobie esquiva cette chausse-trape. Dieu lui envoya l’archange Raphaël pour l’empêcher de posséder sa future épouse tant qu’elle était possédée par le démon. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 143-5. 59 LV : zacarye le (Le scribe n’a rien compris à cette histoire.) 60 LV : laquelle (« Que Raphaël fist à Thobye/ Une grant bénédiction. » L’Ordre de mariage et de prebstrise, F 31.) 61 LV : sa (« Quant est de la fille espouser. » Pour le Cry de la Bazoche.) 62 Qu’il viendra à bout de ses intentions. 63 Retors : des huguenots. 64 LV : ne seruent pas de (Qui ne suivent pas cette règle capitale.) 65 LV : imposse (Lui objecte.) 66 Ce qu’il y a. 67 La Mère secoue son fils, qui manque de lâcher sa bouteille. 68 Il s’en faut de peu. 69 Besoin. 70 Les gens de métier sont les artisans. 71 Il est temps. 72 LV : y (Voir le vers d’acteur qui précède.) Mais il faudrait être clerc, c’est-à-dire apprendre le latin. 73 « Avé salus ! Dominus pars ! » Les Trois amoureux de la croix. 74 In manus. Le clerc inculte d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre commet la même faute : « Je sçay bien mon Rétributor,/ Mon Imanus. » 75 Nouvelle faute pour Dominus : « Ne diront-y Domynus pars ? » La Réformeresse. 76 Je sais trois quarts de choses en plus. 77 L’ancien curé. Est-ce un nom réel ? 78 Je suis un gros mangeur. 79 LV : esluyre (Et aussi, je sais bien trier les pois. « Ce sont de mestres poys…. / Y n’y a qu’eslire. » L’Homme à mes pois.) 80 Je vais. 81 Et aussi, et même. Idem vers 206 et 283. 82 Garder les oies n’exige aucun génie particulier, comme en témoigne le clerc stupide d’Un qui se fait examiner pour estre prebstre. 83 LV : redet (Le fils rit, non loin.) 84 Auxquels. 85 Ils vendent des pèlerinages, comme le curé du Pèlerinage de Saincte-Caquette. La coquille Saint-Jacques est l’emblème des pèlerins. 86 Ce mot normand, qui désigne une tranche de pain, est souvent minoratif : Il n’y a pas une miette. « Drille ne gagnay de cest an. » Saoul-d’ouvrer et Maudollé. 87 LV : gras (C’est une chose certaine.) 88 Cet étonnement n’est là que pour donner la réplique au Badin : le Voisin a lui-même pourfendu l’ignorance des prêtres aux vers 148-157. 89 Ce suppléant du curé pouvait dire la messe en l’absence du titulaire de la cure. Les curés qui avaient obtenu plusieurs cures afin d’encaisser plusieurs bénéfices ne visitaient pas souvent leurs églises. 90 La responsabilité. 91 Du bénéfice ecclésiastique : abbaye, cure, etc. Voir les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content. 92 À sa place. 93 LV : preuant (Que le desservant : celui qui assure le service divin.) 94 LV : de (Il faudra totalement défrayer.) 95 Depuis. 96 L’ordre que fait régner une bonne administration. 97 Contraction normande de « avez-vous ». 98 LV ajoute dessous une réplique du Voisin : pour tout vray 99 Cupidité. Encore un personnage de moralité : cf. Moral de Tout-le-Monde, vers 31. 100 Consumée, détruite. Idem vers 265. 101 De vider les lieux, de partir. Idem vers 267. 102 Sans qu’elle ne le détruise tout. 103 À juste raison. 104 C’est de circonstance. 105 La Justice a les yeux bandés. 106 Je redoute qu’elle ne tergiverse. 107 Qui conduit une charrette. 108 Quelque chose. Les rues, n’étant pas éclairées, dissimulent des trous et des obstacles. 109 LV : voyee (« Voi-e » compte pour 2 syllabes.) Par les voies, les plaines et les terres en friches. 110 LV : foruoyee (Je corrige aussi la rime voyee aux vers 280 et 282.) Afin qu’il ne se fourvoie pas. 111 Aller mon chemin. Cette chanson de bergère — un genre très prisé des citadins — a fait croire au copiste que la distribution s’était enrichie d’un personnage de bergère. 112 « Nous édifierons icy des estables de bergerie pour noz troppeaux. » Bible de 1535. 113 Il y a un problème. 114 LV : va saillir (En pleine nuit, il en sort.) 115 En sautant par-dessus le mur. 116 Elle n’est pas intervenue dans les 72 vers de la conversation « sérieuse » entre les deux hommes. 117 LV : boutaille (La rime est en -eille, comme aux vers 137 et 187.) 118 Ni grain, ni larme : pas du tout. C’est l’équivalent du « ni grain, ni goutte » du vers 227. 119 Cimentée (prononciation normande). 120 Arrêtée, fixée. Syncope normande ; cf. l’Homme à mes pois, vers 335. 121 Des papistes. Cf. le Jeu du Prince des Sotz, vers 539 et note. 122 Qui ont senti un vent de Réforme. 123 LV : profitent (Ne nous profite pas plus que deux nèfles.) 124 LV : depuys (Les protestants reprochent aux moines, qui se lèvent aux aurores pour chanter les matines, de réveiller « tout leur voisinage à force de trinqueballer leurs cloches », comme le dit Rabelais.) 125 Tromperie. Ce vers apparaît notamment dans la Ballade des seigneurs du temps jadis, de Villon.