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LE MÉDECIN QUI GUARIST DE TOUTES SORTES DE MALADIES

Recueil Rousset

Recueil Rousset

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LE  MÉDECIN  QUI

GUARIST  DE  TOUTES

SORTES   DE  MALADIES

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Évoquant cette farce — ou plutôt, cet empilement de séquences graveleuses et scatologiques —, Emmanuel Philipot a dit1 : « Le travail d’invention de l’auteur a consisté à choisir dans les Facéties du Pogge six anecdotes en majorité relatives à des médecins, puis à les relier tant bien que mal en les faisant rentrer dans une intrigue rudimentaire. » Philipot cite Montaigne (Essais, II, 10) : « Ceux qui se meslent de faire des comédies (…) entassent en une seule comédie cinq ou six contes de Boccace. » L’auteur de notre farce ne semble pas avoir lu le Liber facetiarum de Poggio Bracciolini dans l’original latin. Il en a plutôt connu la traduction de Guillaume Tardif, parue vers la fin du XVe siècle et souvent rééditée ; c’est donc elle que je citerai.

Le début est très proche de Chagrinas : un charlatan qui se dit médecin vend des remèdes magiques devant sa porte, et veut bien payer de sa personne pour satisfaire ses patientes.

Aux quatre personnages officiels, ajoutons l’âne Martin Baudet, qui tient un rôle non négligeable. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un âne vivant. Les Mystères de la Nativité en louaient un pour transporter Marie et pour figurer dans la crèche ; or, on incluait dans ces Mystères des farces qui bénéficiaient du même décor et des mêmes accessoires qu’eux : voir la notice des Tyrans.

Source : Recueil de plusieurs farces tant anciennes que modernes. Paris, Nicolas Rousset, 1612, pp. 3-21. La pièce fut donc éditée plus d’un siècle après avoir été écrite.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce nouvelle et récréative du

Médecin qui guarist

de toutes sortes

de maladies & de

plusieurs autres.

Aussi fait le nés à l’enfant d’une

femme grosse, & apprend à deviner.

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À quatre personnages, c’est à sçavoir :

       LE  MÉDECIN

       LE  BOITEUX

       LE   MARY

       LA  FEMME

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                        LE  MÉDECIN  commence                    SCÈNE  I

        Or faictes paix2, je vous [en] prie,

        Afin que m’oyez publier

        La science, aussi l’industrie

        Que j’ay apris à Montpellier3 ;

5      J’en arrivay encore hyer,

        Avec la charge d’un chameau

        De drogues4, pour humilier

        Femmes qui ont mauvais cerveau5.

        J’ay aussi du bausme nouveau

10    Pour guarir playes et fistules.

        Et dedans cest autre vaisseau,

        De toute sorte de pillules

        Pour les basses et hautes mules6,

        Pour fièbvres, chaut mal7 et jaunisse[s],

15    Mal de dents et de mendibules,

        Et de mammelles de nourrices.

        Ouvrier [je suis]8 des plus propices

        Qui soit en ce monde vivant

        Pour renouer9 bras, jambes, cuisses,

20    Soudain et viste comme vent.

        Onc homme on ne vid plus sçavant

        En chirurgie n’en physique.

        Et mieux que ceux de par-devant10

        Je me connois en la practique.

25    J’ay appris d’un devin antique

        Qui se tenoit par-delà Thrace11

        À deviner, guarir colique.

        Je n’en dy plus : l’heure se passe.

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                        LE  BOITEUX 12                                   SCÈNE  II

        Je pourrirois en ceste place

30    Avant que j’en sceusse13 bouger.

        Hélas ! Monsieur, par vostre grâce,

        Vueillez-moy mon mal alléger !

                        LE  MÉDECIN

        Je désire te soulager.

        Qu’as-tu ? Tu es froid comme marbre.

                        LE  BOITEUX

35    Las ! Monsieur, je suis cheu d’un arbre

        Et me suis desmis [la jointure]14.

                        LE  MÉDECIN

        Sans y mettre oignement n’ointure15,

        Je te la remets et r’assemble16.

                        LE  BOITEUX

        Ha ! Je suis guary, ce me semble.

40    À vous suis tenu grandement.

                        LE  MÉDECIN

        Que donneras-tu franchement,

        Si je t’enseigne de léger17

        À descendre sans tel danger

        (Qui n’est pas petite science) ?

                        LE  BOITEUX

45    Je vous promets en conscience

        De vous payer à vostre gré.

                        LE  MÉDECIN

        Escoute : Soit d’arbre ou degré18,

        Garde-toy de te plus haster

        Que tu n’avois faict à monter,

50    Alors qu’il t’en faudra descendre.19

                        LE  BOITEUX

        Et vous, ne vous hastez de prendre

        Non plus que je faicts de bailler.

                        Il dict en s’enfuyant :

        Il se cuidoit de moy railler ;

        Toutefois, j’ay gaigné le jeu.

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                        LA  FEMME 20                                      SCÈNE  III

55    Mon mary, pour l’amour de Dieu,

        Menez-moy à ce médecin

        Duquel on parle tant, afin

        De voir s’il me pourra guarir.

                        LE  MARY

        Je vas nostre baudet quérir

60    Pour plus doucement vous mener.

                        LA  FEMME

        Hastez-vous donc de l’amener !

        Je debvrois y estre desjà.

                        [LE  MARY.]  Il va quérir son asne,

                        et monte sa femme dessus. Puis dit :

        Allons, hay, baudet ! Comme il va !

                        LA  FEMME

        Ne le faictes si fort haster,

65    Ou à bas me ferez jetter,

        En danger de me rompre le col.

        Conduisez-le par le licol,

        De crainte qu’il ne vous eschappe.

                        LE  MARY

        Martin21 Baudet, si je vous happe,

70    Je vous donneray tant de coups

        Que vous feray aller tout doux.

        Vous faictes de l’acariâtre ?

                        LA  FEMME

        Il n’est pas saison de le batre

        Maintenant, qu’il nous faut soigner22

75    Allégeance à mon mal donner.

        Il suffit mais qu’il aille l’amble23.

                        LE  MARY

        Arrivéz sommes, ce me semble,

        Où le médecin fait demeure.

        Il est que vous descendiez heure.

80    Arreste, hau, baudet ! [Or, cesse]24 !

                        LA  FEMME

        Aydez-moy, que je ne me blèce.

                        LE  MARY 25

        Dévaller pouvez — embrassée

        Vous tenant — sans estre offencée26.

        Voilà l’huis : heurtez seurement.

                        LA  FEMME

85    Ne vous esloignez nullement,

        Tandis. Et faictes l’asne paistre.

                        Le mary se couche contre terre et

                        s’endort. Tandis, l’asne s’en va.27

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                        LA  FEMME,  parlant au médecin.       SCÈNE  IV

        J’ay très grand douleur, nostre28 Maistre,

        Depuis le genouil jusqu’à l’aine.

        Voudriez-vous bien prendre la peine

90    De me guérir, en vous payant ?

                        LE  MÉDECIN

        M’amye, j’en suis très content.

        Et vous tenez seure et certaine

        Que pour discerner nerf et veine,

        N’y a nul mieux que moy apris.

95    Ce mal, comment vous a-il pris ?

                        LA  FEMME

        L’autre hyer, revenant de Monmartre29

        (Où allée estois pour m’esbatre),

        Cheus, de malheur, à [la] renverse30.

                        LE  MÉDECIN

        Si voulez que je la redresse,

100  Il convient [qu’el soit manïée]31.

                        LA  FEMME

        Encor(e) que je sois mariée,

        [Il me faudra]32 cela permettre

        Toutefois, pour à mon mal mettre

        Et donner quelque alégement

105  (Ce que ne voudrois autrement).

        Faictes comment vous l’entendez.

                        LE  MÉDECIN 33

        Maintenant, la jambe tendez34 !

        [Je croquerois bien ceste prune.]35

                        LA  FEMME

        Ho ! je ne sens douleur aucune.

110  Guarie suis, ou autant vaut.

        Dictes, Monsieur, ce qu’il vous faut ;

        Ne m’espargnez ne tant, ne quand36.

                        LE  MÉDECIN 37

        De vous je me tiens très content :

        Dresser m’avez faict (c’est assez)

115  Le membre. Ne sçay s’y pensez.

        Prenez que l’un aille pour l’autre.

                        LA  FEMME

        Je comprens l’intention vostre.

        Mais mot38 ! Devisons d’autre chose.

        J’ay opinion d’estre grosse :

120  Diriez-vous bien de quel enfant39 ?

                        LE  MÉDECIN

        Ouy, m’amie, et tout maintenant.

        Çà, vostre main, que je la voye40 !

        Ha ! qu’est-ce-cy ? Dieu y pourvoye !

        J’apperçoy ce qu’oncques ne veis,

125  Ou je perds et sens et advis,

        Tant la chose est extr(a)ordinaire41.

                        LA  FEMME

        Mais qu’il ne vous vueille desplaire,

        Vous me direz s’il y a rien42

        Qui vous semble autrement que bien.

130  Je vous en prie d’amitié.

                        LE  MÉDECIN

        Ma foy ! vous me faictes pitié,

        Vous voyant si jolie et cointe43.

        Car l’enfant dont estes enceinte

        N’a point de nés44, c’est vérité.

                        LA  FEMME

135  Hélas ! Monsieur, par charité,

        Sçauriez-vous à ce mal pourvoir ?

                        LE  MÉDECIN

        Je luy en feray un avoir

        Avant qu’il soit demain ceste heure,

        Si voulez que je vous sequeure45.

140  Ou tardif sera le secours46.

                        LA  FEMME

        J’auray doncques à vous recours

        Pour l’œuvre encommencé parfaire.

                        LE  MÉDECIN

        Un ouvrier vous faut, pour ce faire,

        Qui entende ce qu’il fera ;

145  Autrement, le nés ne tiendra,

        Restant difformé le visage.

                        LA  FEMME

        Je vous donneray si bon gaige47

        Que serez très content de moy,

        Avant que parte, sus ma foy,

150  S’il vous plaist en prendre la peine.

                        LE  MÉDECIN

        Très volontiers, tant je vous ayme,

        Sans que, pour ce, rien vous demande.

        Mais la compagnie est trop grande48

        Pour mettre en ouvrage et effect

155  Ce qu’entens. Cherchons lieu secret :

        Trop de gens entendroient mes tours49.

                        Ils s’en vont ensemble.50

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                        Et le mary se resveille et dit :                  SCÈNE  V

                        LE  MARY

        Hau, baudet ! Pais-tu pas51 tousjours ?

        Où est-il allé ? Qu’est-ce-cy ?

        S’en est-il point fuÿ, aussi ?

160  L’avez-vous point veu, bonnes gens ?

        L’ont point emmené les sergens,

        Du procès sçachans le trictrac52 ?

        En ce lieu, n’en apperçoy trac53.

        Peut-estre un loup s’en est farcy.

165  Tant tu me donne de soucy

        Et de courroux, maudit sois-tu !

        Encore seray-je battu

        De ma femme, je m’y attens.

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                        LA  FEMME 54                                      SCÈNE  VI

        J’ay cy esté assez long temps,

170  Monsieur. Faut me remettre en voye,

        Requérant à Dieu qu’il pourvoye

        De nés à mon enfant joly.

                        LE  MÉDECIN

        Il en aura un bien poly,

        Que luy ay faict bien et [à] poinct55.

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                        LE  MARY                                             SCÈNE  VII

175  Mais ma femme ne revient point,

        Non plus que mon asne, au repaire56.

        Il me faut le malade faire,

        Pour éviter d’estre battu.

                        Il se couche, puis dit :

        Hé ! mon Dieu ! M’amie, où es-tu ?

180  Tant je sens de mal entour moy !

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                        LA  FEMME                                           SCÈNE  VIII

        Vous me mettez en grand esmoy !

        Qu’avez-vous à vous plaindre tant ?

                        LE  MARY

        S’au médecin ne vas comptant57

        Mon mal, je mourray promptement.

                        LA  FEMME

185  Allez-y doncques vistement

        Tandis qu’il est en la maison.

                        LE  MARY

        Que luy porteray-je ? Un oyson,

        Ou des poulets, ou de l’argent ?

                        LA FEMME

        Il est courtois, honneste et gent.

190  Allez seulement, ne vous chaille.

        Ne portez ny denier, ny maille ;

        Il ne vous demandera rien.

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                        LE  MARY,  y allant.                             SCÈNE  IX

        Que ce me seroit un grand bien

        Si ma femme devenoit bonne !

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195  Holà ! Holà ! N’y a-il personne ?                              SCÈNE  X

                        LE  MÉDECIN

        Si a, dea ! Que demandez-vous ?

                        LE  MARY

        Monsieur, las ! J’ay si fort la toux

        Qu’il faut que prenne médecine.

                        LE  MÉDECIN

        Voicy de la pilule fine

200  Qui vaut mieux qu’autant d’or massis58.

        Il t’en faut prendre cinq ou six :

        Cela guarira tous tes maux.

                        LE  MARY  en prend, puis dit :

        Qu’est-ce ? Diable ! ils sentent les aux59.

        Comment il[s] roullent dans mon ventre !

205  Ha ! il faut que mon cul s’esvente60.

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                        Il va à l’escart pour faire ses « affaires »,

                        où il trouve son asne.61 Puis dit :

        Ha ! baudet, estiez-vous icy ?                                    SCÈNE  XI

        Quel bon médecin ! & sans [nul] si62,

        M’ayant guary, et sans grand queste63,

        Fait aussi retrouver ma beste.

210  Vrayement, je l’en contenteray

        Du premier argent que j’auray.

        Sus, baudet ! À l’hostel64 ! Sus, sus !

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                        LA  FEMME,  en acouchant.65              SCÈNE  XII

        Hélas ! Mon Dieu, je n’en puis plus.

        Hélas, hélas ! le « cœur66 » me fend.

                        LE  MARY

215  Et quoy ! Ma femme a un enfant ?

        Hé ! m’amie, comment vous est67 ?

                        LA  FEMME

        Bien, Dieu mercy, puisqu’il luy plaist

        Que mon enfant est bien venu.

                        LE  MARY

        J’ay l’entendement tout cornu68

220  De ce qu’accouchée vous voy.

        Treize mois sont, je l’apperçoy,

        Qu’avecques vous je n’ay couché,

        Au moins que ne vous ay « hoché69 ».

        Et si70, dès la première année

225  Qu’avec moy feustes mariée,

        Vous geustes71 au bout de six mois.

                        LA  FEMME

        Vous ne l’aviez plus de trois doigts

        Mis avant72 : et pour ceste cause,

        L’enfant vint sans plus longue pause,

230  N’ayant si long chemin à faire.

                        LE  MARY

        Il s’ensuit par raison contraire

        Que l’y ay fourré trop avant

        À ce coup, puisqu’il a mis tant.

        J’ay peur de vous avoir gastée73.

                        LA  FEMME

235  Non avez, non. Mais la nuictée

        Que vous me feistes cest enfant,

        Je vis une asnesse, en dormant74 ;

        Parquoy, treize mois l’ay porté.

                        LE  MARY

        Il est donc mien, tout doubte osté.

                        Il prent l’enfant et le regarde, puis dit :

240  Il a tant beau nez que c’est rage !

                        LA  FEMME

        Ha ! ce n’est pas de vostre ouvrage :

        Il ne vous estoit souvenu

        Luy en faire. On en est tenu

        Au bon ouvrier qui l’a parfaict.

                        LE  MARY

245  Qui, tous les diables, l’a donc faict ?

        Comment ! faict-on le nez à part ?

        Tenez-le ; j’en quitte75 ma part,

        Et m’en vas à ce médecin

        — Qui, peut-estre, est aussi devin —

250  Sçavoir qui ce nez a refaict.

        Mais mieux me vaudroit en effect,

        Ce croy-je, apprendre à deviner,

        Voire : car j’en pourrois gaigner

        De l’argent. Or vay-je orendroit76

255  M’enquérir de luy s’il voudroit

        M’y apprendre. C’est bon party.

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        Monsieur, voicy un apprenty                                     SCÈNE  XIII

        Qui vient apprendre la science

        De deviner, comme (je pense)

260  Vous l’apprenez à toute gent.

                        LE  MÉDECIN

        Ouy dea. En me donnant argent,

        Je te l’aprendray, sans doubtance.

        Ne prendras77 pour toute pitance

        Que de ces pilules que j’ay,

265  Dont aussitost qu’auras mangé,

        Tu seras un devin parfaict.

        Regarde à toy ; pense à ton faict.

        Dy-moy : que me donneras-tu ?

                        LE  MARY

        Tout compté et tout rabatu,

270  Voilà un bel escu comptant.

                        LE  MÉDECIN

        Par mon âme ! j’en suis content.

        Mais tu payeras les confitures78,

        Autant les molles que les dures

        (Stercus79 canis, boue de blé)

275  Qu’ensemble ay mis et assemblé.

        Tu en prendras ou deux, ou trois ;

        Cela faict, la première fois

        Que parleras, sois asseuré

        Que ce que diras sera vray.

280  Or, pour ce secret-là t’apprendre,

        Ouvre la bouche : il te faut prendre

        De ces pillules que voicy.

                        LE  MARY 80

        Fy ! Tous les diables ! qu’est-ce-cy ?

        Cela sent plus fort que moustarde.

                        LE  MÉDECIN

285  Devine.

                        LE  MARY

                       Le sambieu ! c’est merde81 !!

                        LE  MÉDECIN

        En ma conscience, c’est mon82.

        Or fais-je veu à sainct Simon

        Que tu es [un] très bon devin.

                        LE  MARY

        Allez, yvrongne, sac à vin !

290  Feussiez-vous pendu par le col !

                        LE  MÉDECIN

        Da ! Ton asne avec son licol

        Estoient perdus, si je ne feusse83 ;

        Et si, mon payement n’en eusse84

        Sans que par subtile façon

295  J’ay[e] tiré ton jaulne escusson85.

        Et la cuisse que j’ay remise

        À ta femme, rien tu ne prise ?

        [Qu’ay-je eu pour avoir terminé]

        Son enfant qui, sans moy, fust né

300  Sans nez, qui t’eust esté grand honte ?

                        LE  MARY

        Vous l’avez donc fait, à ce compte,

        Ce nez ? Monstrez-moy à en faire

        De mesme, il ne vous coustera guère.

        Et si, bien vous contenteray.

                        LE  MÉDECIN

305  Retiens bien ce que te diray :

        Quand un autre enfant tu feras,

        Ton nez au trou du cul mettras

        De ta femme. Et ne sois testu86,

        Mais tiens-l’y bien — et deusse-tu

310  Y estre et jour et nuict aussi —

        Jusques à tant qu’elle ait vessi87.

        Par ainsi, il te souviendra

        Du nez, qui trop mieux en tiendra.

        Fais en la sorte que te dis.

                        LE  MARY

315  Ha ! vertubieu ! En faicts et dicts,

        Vous mocquez-vous ainsi des gens ?

        Si je peus trouver des sergens,

        Je vous feray mettre en prison88 !

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                        LE  MÉDECIN                                       SCÈNE  XIV

        Partir d’icy il est saison ;

320  Retirons-nous à nostre enseigne89.

        Vive tout drôle90 qui enseigne

        À faire le nez aux enfans !

        Adieu vous dy, petis et grands !

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                                    FIN

*

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XXIX.  UNG  FACÉCIEUX  ET  JOYEULX  CONSEIL  DONNÉ  À  UNG  RUSTICQUE.

Ce rusticque91 monta en ung de ces chastaigniers pour cueillir desdictes chastaignes. Mais il en descendit plus tost qu’il ne cuida, car il se fia à une branche, laquelle rompit dessoubz luy ; et cheut aval l’arbre, & se rompit une des costes de la poictrine.

Et près de là estoit ung plaisant et joyeulx homme nommé Minatius, qui vint pour réconforter ce pouvre malheureux rusticque qui estoit cheut. Et luy dist Minatius — qui estoit homme trèsjoyeulx et plaisant : « –Mon amy, réconforte-toy. Je te enseigneray et te donneray une reigle que, si tu la gardes92, jamais de arbre où tu montes tu ne cherras. –Haa (dist le blécé) ! J’aymasse mieulx que vous me l’eussiez dit devant que je fusse cheut : pas ne me fusse ainsi blécé. Toutesfoys, s’il vous plaist de me conseiller, il me pourra prouffiter au temps advenir. »

Adonc dist Minatius : « Mon amy, quant tu monteras en aulcun lieu hault, faictz que tu soyes aussi tardif93 à descendre comme à monter ; car si tu fusses aussi en paix descendu que tu es monté, jamais tu ne te fusse blécé. »

*

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LVI.  D’UNG  MÉDECIN  QUI  REDRESSA  LA  JAMBE  À  UNE  TRÈSBELLE  JEUNE  FILLE.

Ung médecin fut mandé pour médeciner une moult belle jeune fille, laquelle, en danssant et saillant94, se estoyt estors95 le genoul.

Quant ce médecin fut venu & qu’il tint la jambe de ceste moult belle jeune fille, & la cuisse plus blanche que neige, molle & tendre, en la maniant, le cueur luy eschauffa ; & se leva le « petit doy96 d’embas » tellement que de son estable97 il sortit. Et est assez vraysemblable que le maistre médecin, veu les préparatoires98, eust voulentiers sanglé le « bas99 » de la belle jeune fille. Et luy faisoit grant mal au cueur qu’il ne luy osoit demander.

Toutesfoys ne luy en dist rien. Mais après qu’il eut fait sa cure100, quant vint au partir, la belle fille, qui sentit sa jambe droicte101 & guarie, demanda au médecin combien elle luy devoit. Et il respondit : « Belle, vous ne me devez rien. Car, se je vous ay dressé ung membre, aussi avez-vous à moy. Ainsi, nous demourrons quittes l’ung vers l’aultre. »

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CII.  DU  FRÈRE  MINEUR  QUI  FIST  LE  NEZ  À  UNG  ENFANT.

Ledict Cordelier se doubtoit et bien appercevoit celle adolescente estre jà enceinte. Et, comme devin & vaticinateur102 des choses futures, en la présence du mary, appella ladicte femme & luy dist : « M’amye, vous estes grosse & enceincte. Et si, suis seur que vous enfanterez aulcune chose103 qui vous aportera moult de tristesse. » Adoncques la femme, suspectionneuse104 que ce fust une fille, dit qu’elle avoit espérance que ce fust une belle fille, gracieuse & amiable. Toutesfoys, le frère Cordelier tenoit ung visaige fort triste & monstrant signe scrupuleux de aulcune maulvaise fortune. Et tousjours gettoit ung triste regard sur ladicte femme, laquelle s’en espouventa et eut grant paour, voyant ce triste regard. Et elle luy pria moult affectueusement qu’il luy pleust luy dire que105 ce pouvoit estre de quoy elle estoit enceincte, & quelle fortune106 elle pourroit avoir. Mais le traistre et cauteleux frère Frappart107 disoit qu’il ne luy diroit point, & que c’estoit une chose trop horrible et merveilleuse à racompter.

Ce nonobstant, la pouvre femme, désirante et envieuse de sçavoir son mal, continua et persista ; et, en derrière de son mary, trouva le moien de parler audict moyne. Et par belles requestes, fist tant qu’il se consentit à luy dire le cas. Si dist : « M’amie, il fault doncques que la chose soit tenue bien secrette ; mais soyez seure que vous enfanterez ung filz qui n’aura point de nez, laquelle chose est la plus villaine qui puisse advenir en face108 d’homme. »

Lors fut la pouvre femme toute espouventée, et commença à dire : « –Hélas, sire ! N’i a-il point de remède à cecy ? Est-il force que l’enfant vienne sur terre sans nez ? Ce seroit ung cruel desconfort. –Taisez-vous (dist le Cordelier), m’amye. Pour l’amour de ce que je doys estre vostre compère109, il y a ung seul remède, que je vous y feray. Mais il fault que ce soit à certain jour & heure que le temps soit bien disposé, car aultrement n’y feroit-on rien. Avecques ce, fauldra-il que je couche avecques vous pour suplier110 la faulte de vostre mary et adjouster ung nez au visaige de vostre enfant. » Cette chose sembla dure à la pouvre femme ; toutesfois, affin que l’enfant ne nacquist ainsi defformé & monstrueux, elle se accorda de aller à ung certain jour en la chambre du maistre moyne, ce qu’elle fist ; et obéit111 à la voulenté de luy ainsi qu’il luy commanda.

Et pour tant que le ribault moyne trouva bon harnois112 entour elle, il luy dist que du premier jour ne pouvoit pas estre le nez bien fait. Et mesmes, quant ceste fille — qui estoit honteuse d’estre soubz ledict moyne — ne se remuoit, il luy disoit qu’elle se remuast affin que par la confrication113, le nez herdist114 mieulx au visaige, & tenist plus fermement.

En fin, ce filz nacquit avecques ung trèsbeau nez & grant, dont la femme s’esjouissoit ; et disoit au frère Frappart qu’elle estoit grandement tenue à luy par tant qu’il avoit mis grant peine à faire ung trèsbeau nez à son enfant…

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LV.  DE  CELLUY  QUI  CONTREFAISOIT  LE  MÉDECIN,  ET  DONNOIT  DES  PILLULES  POUR  TROUVER  LES  ASNES  PERDUS.

Ung pouvre simple homme perdit son asne ; dont il fut en si grande desplaisance que, de la mélancolie qu’il print, il fut constipé. Si pensa en soy-mesmes de se transporter vers ce médecin dont la renommée florissoit, pour sçavoir si, par aulcun art, il luy sçauroit à dire aucunes nouvelles de son asne.

Quant cestuy pouvre homme fut devant le notable médecin, il luy déclaira sa douleur. Et ne demanda pas santé, mais seullement s’il y avoit point de remède à recouvrer son asne que il avoit perdu. Ledict médecin, qui indifférentement de toutes choses se mesloit, respondit que ouy. Et, par le marché faict entre le pouvre homme & luy, ordonna que le bon homme prendroit six pillules ; lesquelles prinses, ledict bon homme s’en alla en sa maison.

Et, ainsi que lesdictes pillules — qui estoient aulcunement115 laxatives — luy eu[ren]t destrempé116 le ventre, contrainct de aler au retrait, il entre en ung petit lieu secret, plain de roseaux, hors le chemin, là où il trouva son asne paissant.

Alors commença le pouvre homme à extoller117 jusques au ciel la science dudit médecin, et les bonnes pillules qui luy avoyent faict trouver son asne…

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LXX.  DE  CELLUY  QUI  DEMANDA  SI  SA  FEMME  PORTOIT  BIEN  EN  DOUZE  MOYS  UNG  ENFANT.

En la cité de Florence fut ung citoyen qui avoit espousé une moult belle jeune femme, laquelle il habandonna pour aller à ung voyaige, là où il fut l’espace de ung an ou plus. Tellement que par sa trop longue demourée, la femme, à qui il ennuya118, avecques l’ayde de Nostre Seigneur Jésucrist — et de ses voysins119 —, fist tant qu’elle engrossa d’ung beau filz, dont son mary la trouva acouchée quant il arriva. Et de première venue, fut moult courroucé & dolent, disant que l’enfant n’estoit pas à luy, car il y avoit bien environ douze moys qu’il ne l’avoit veue.

Si s’en alla à une vieille matrosne qui demouroit auprès de luy120 ; et luy demanda, à bon privé conseil, s’il estoit bien possible que une femme peust bien porter ung enfant douze moys. « –O ! (dist la subtile matrosne), mon voysin, mon amy, ouy ! Sachez que, si le jour que vostre femme conceut, elle vit ung asne, elle a porté autant que porte une asnesse. C’est une chose toute clère, que l’en a par plusieurs foys veue advenir. Et pour tant, si vostre femme a esté douze moys portant enfant, ne vous en esbahissez point, car il vient de cela. » Lors fut le pouvre sotouart tout resconforté…

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LXXXV.  FACÉCIE  DE  CELLUY  QUI  VOULUT  ESTRE  DEVIN.

Advint qu’il y eust ung aultre sot oultrecuydé, disant qu’il luy donneroit ung bon pot de vin s’il luy sçavoit apprendre celle science de deviner. « Vrayement (dist le devin, qui bien apperceut la folie de l’aultre), ouy, mais que tu me donnes bon pris d’argent, et que tu mangeues121 ce que je te bailleray. Car devant122 que ung homme puisse avoir l’entendement assez cler et ouvert pour deviner, il est requis que il soit clarifié123, ce qui se fait en prenant d’une sorte de pilulles confites de toutes choses requises à ce cas. » Le pouvre sotouart respondit qu’il donneroit argent sur le champ, & qu’il mangeroit tout ce qu’on luy bailleroit. Et de fait, tira son argent et le bailla.

Ainsi, ledict devin s’en alla prendre ung peu de grosse urine — c’est assavoir merde —, & en fist une pillule grosse comme une avellaine124. Et la vint apporter à son aprentiz en disant : « Tien, ouvre la bouche pour manger ceste pillule. Et je te prometz que incontinent tu devineras aussi vray que l’Évangile, & sera vray le premier mot que tu diras. » Lors ouvrit ledit sot la bouche, et luy mist l’aultre ceste pillule dedans. Et sitost que le meschant sentit l’oudeur, il commença à vomir, & à dire : « O ! mon Dieu, que est-ce que tu m’as baillé ? Je suis perdu ! » L’aultre luy dist : « –Or devine. –Quoy (dist le sot) ? C’est merde ! –Par le sang bieu (dist le devin) ! Tu as deviné aussi vray que la patenostre. Tu es desjà ung maistre devin. »

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DES  MÉDECINS  &  DE  LA  MÉDECINE. 125

À propos des médecins empiriques (va dire un autre de la sérée126), escoutez deux ou trois vieux contes de ces médecins qui ne sçavent qu’une recepte pour toutes maladies, où vous trouverez plus de sens que de raison.

Il y avoit un pauvre homme qui, ayant perdu son asne, eut recours à un de ces médecins devineurs pour le recouvrer. Ce médecin luy baille cinq pillules, qu’il avala afin de trouver son asne. Ce bon homme retournant en sa maison, les pillules commençans à opérer, il se met hors du chemin pour aller à ses « affaires ». Et là, il trouve son asne, qui sans cela estoit en danger d’estre perdu. Ce qui bailla si grand bruyt à ce médecin, que plusieurs eurent envie de son sçavoir, & surtout pour apprendre à deviner.

Il convint de marché127 avec un ; & ayant prins argent d’avance, il bailla à son escholier, qui vouloit apprendre à deviner, trois pillules communes. Il est vray qu’il y entroit un peu de diamerdis128. Ce médecin, mettant la première pillule en la bouche de son disciple, luy demande : « Que vous ay-je baillé & mis en la bouche ? Devinez que c’est ! » Ce masche-merde129, de peur de perdre son argent, & à cause de la grand envie de sçavoir deviner, n’osa cracher ; mais il ne l’eut pas si tost sur la langue qu’il commença à deviner, & dire à son maistre : « –C’est de la merde.  –Et bien (va respondre son maistre), tu n’as point perdu ton argent : tu devines desjà. Es-tu pas contant ? »

Voilà pas (adjousta celuy qui faisoit le conte) une bonne recepte130, qui faict si tost deviner, encores qu’elle ne soit que sur le bout de la langue ? Regardez, s’il eust masché ceste pillule ou qu’il eust prins les deux autres, que c’eust esté !…

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1 Revue des études rabelaisiennes, t. IX, 1911, pp. 406-410.   2 Maintenant, taisez-vous. C’est l’ordre que les batteurs d’estrades donnent au public avant de commencer leur boniment. « Or faictes paix, ma bonne gent ! » L’Aveugle et Saudret.   3 Là se trouvait une des plus prestigieuses facultés de médecine d’Europe. Rabelais en fut l’élève, mais on y admettait aussi quelques charlatans, comme le futur Nostradamus, qui en fut d’ailleurs expulsé.   4 Avec de pleines malles de médicaments. Le bonimenteur préfère le chameau au mulet parce que l’exotisme conférait aux remèdes venus de loin une touche de mystère, et donc d’efficacité, au moins psychologique.   5 Pour rendre plus humbles les femmes qui ont mauvais caractère.   6 Contre les engelures aux talons ou aux mains.   7 Le chaud mal est la fièvre continue.   8 Éd : aussi  (Je suis un des meilleurs spécialistes.)  « Ou-vrier » compte toujours pour 2 syllabes, comme aux vers 143 et 244.   9 Pour remettre dans leur articulation.   10 Que mes devanciers.   11 Éd : Tharse  (La Thrace est une région de Grèce réputée pour ses sorciers. « Sorciers qui plantèrent si bien la sorcèlerie en la Thrace qu’elle y est demeurée jusques à présent. » Pierre Le Loyer.)   12 En s’appuyant sur un bâton, il clopine vers la maison du « médecin ».   13 Que j’en puisse.   14 Éd : une iambe.  (« Les joinctures des genoulx. » ATILF.)   15 Éd : ny herbe,  (Ni pommade, ni onguent. « Il me gari tout nettement/ Sanz emplâtre ny oingnement/ Mettre y, n’ointure. » ATILF.)   16 Le rebouteux manipule la jambe blessée.   17 Éd : legier,  (Aisément.)   18 Ou d’un escalier.   19 L’imprimé intervertit ce vers et le précédent. L’histoire originale est du Pogge : voir la facétie XXIX en appendice.   20 À la maison, avec son mari. Elle se plaint d’une jambe. Les spectateurs, contrairement au mari, voient qu’elle est enceinte.   21 C’est le nom traditionnel des ânes, bien avant Aliboron. « Martin, tost avant !/ Hay avant, bodet ! » Cautelleux, Barat et le Villain.   22 Qu’il nous faut songer à alléger mon mal.   23 Il suffit qu’il aille au trot alterné.   24 Éd : arreste.   25 Il prend sa femme dans ses bras.   26 Lésée, blessée.   27 La maison du médecin est encadrée par deux petites cours herbues. Le mari fait sa sieste dans l’une d’elles, mais l’âne va paître dans l’autre.   28 Éd : n’estre  (« Nostre maistre, Dieu gard ! » Jehan qui de tout se mesle.)   29 Un de ces pèlerinages où les épouses se rendaient sans leur mari. Dans la Farce de quattre femmes (F 46), on demande à une élégante si elle a coutume « d’aller jouer à Montmartre,/ Au pellerinage de Saint-Mors/ Pour visiter les sainctz corps/ Des moynes, pour vous esbatre ? »   30 Une femme choit à la renverse quand elle se fait culbuter par un homme. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 40.   31 Éd : que ie la manie.  (Il faut que votre jambe soit manipulée.)   32 Éd : Qu’il me faille   33 Il masse la cuisse et l’aine de la femme, sous sa robe. Voir la facétie LVI du Pogge, en appendice.   34 Éd : fendez.   35 Vers manquant. « Et vous de croquer ceste prune ? » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.   36 Si peu que ce soit. Pour la rime, on peut mettre : ne quand, ne tant.   37 L’imprimé remonte cette rubrique avant le vers précédent.   38 Pas un mot !   39 Quel est le sexe de l’enfant.   40 Un vrai médecin aurait tâté le pouls ; le devin se contente de lire dans les lignes de la main.   41 D’après Somaize, on prononçait « extr’ordinaire ». Le Grand Dictionaire historique des Prétieuses.   42 Quelque chose.   43 Gracieuse.   44 De nez. Voir la facétie CII du Pogge en appendice. Bonaventure Des Périers s’en inspirera <Nouvelles récréations et joyeux devis, IX>, mais transformera ce nez phallique en oreille testiculaire : De celuy qui acheva l’oreille de l’enfant à la femme de son voisin. Il sera suivi par La Fontaine, dans un conte ayant pour titre : le Faiseur d’oreilles et le raccommodeur de moules.   45 Éd : secoure  (« Se Dieu me sequeure. » Serre-porte.)   46 Sinon, mon secours arrivera trop tard.   47 Des gages, des émoluments.   48 Le public est trop nombreux.   49 Comprendraient mes actes médicaux. Mais aussi : mes ruses.   50 Ils vont derrière le rideau de fond. C’est souvent là qu’on abrite les scènes de coït : cf. le Poulier à sis personnages.   51 Ne broutes-tu pas.   52 Éd : trictric  (Les finesses. « Le tric-trac du Palais. » Godefroy.)   53 Éd : nul tric,  (Aucune trace. « Grant femme seiche, noire et mesgre,/ Qui veult d’amour suivre le trac. » Guillaume Coquillart.)   54 Elle sort de chez le « médecin ».   55 Double sens : « à point » = en érection. Cf. Frère Guillebert, vers 210.   56 Nous ne sommes pas chez le couple, mais dans une petite cour contiguë à la maison du médecin.   57 Conter.   58 Éd : massif,  (« Ses cheveulx blons comme fin or massis. » ATILF.)   59 Vos pilules sentent l’ail.   60 Que j’aille déféquer. Voir la facétie LV du Pogge en appendice. Un médecin des Cent Nouvelles nouvelles <79> remplace les pilules par un clystère, qui permet aussi au paysan de retrouver son âne. Des Périers <94> confirme l’efficacité du traitement : D’un pauvre homme de village qui trouva son asne, qu’il avoit esgaré, par le moyen d’un clistaire qu’un médecin luy avoit baillé.   61 Le mari se rue dans la seconde cour, où broute son âne.   62 Sans hésitation. « Et je vous jure sans nul sy/ Que loyaument vous serviray. » René d’Anjou.   63 Sans chercher longtemps.   64 À la maison ! Le mari monte sur l’âne et rentre chez lui, où sa femme est déjà arrivée. On suppose qu’il est assis à l’envers sur l’animal : c’est la punition qu’on infligeait aux hommes qui se laissaient battre par leur épouse (vers 167 et 178). Voir la note 30 du Munyer.   65 Nombre de Mystères ou de Miracles montrent une ou plusieurs scènes d’accouchement. La femme porte sous sa robe un poupon maintenu par une ficelle ; il suffit de tirer sur le bout pendant de la ficelle pour que le poupon se détache et tombe.   66 Délicat euphémisme. La femme récupère le poupon, qui est pourvu d’un immense nez.   67 Comment vous sentez-vous ?   68 Perturbé. L’auteur n’a pas mis par hasard le mot « cornu » dans la bouche d’un cocu.   69 Éd : hochée,  (Secouée sexuellement. Cf. Frère Guillebert, vers 359.)   70 Et pourtant. Idem vers 293.   71 Vous avez accouché (verbe gésir). Sur les femmes qui ont un enfant peu après leur mariage, voir Jolyet.   72 Vous n’aviez pas mis dedans plus de 5 cm.   73 De vous avoir blessée.   74 Les rêves et les envies des femmes enceintes influaient sur le physique ou le caractère de leur futur enfant. La gestation de l’ânesse dure 12 ou 13 mois : voir la facétie LXX du Pogge en appendice.   75 Je vous en abandonne.   76 Maintenant. Le mari retourne chez le « médecin ».   77 Éd : prenant   78 Les excréments. « Bouter sa teste au trou du retrait [des latrines], où il fut bien ensensé de la confiture de léans. » Cent Nouvelles nouvelles.   79 Éd : Cucta  (Mélangé à du miel, le « stercus canis officinarum », c.à-d. les crottes de chien, s’appliquait sur une gorge enflammée.)  La boue du blé, c’est le son, avec lequel les gens de théâtre représentaient les excréments : voir la note 187 du Retraict. « Bou-e » compte pour 2 syllabes, et l’imprimeur écrit d’ailleurs « bouë ».   80 Il met une pilule dans sa bouche.   81 Au milieu du XIIIe siècle, déjà, Rutebeuf dépeignait un charlatan qui soignait avec « de la merde de la linote/ Et de l’estront de la putain ». Li Diz de l’erberie.   82 C’est exact. Cf. le Badin qui se loue, vers 302. Voir la facétie LXXXV du Pogge en appendice.   83 Si je n’avais pas été là pour te permettre de les retrouver.   84 Et pourtant, je n’en aurais pas eu le paiement.   85 Ton écu d’or (au vers 270).   86 Ne sois pas cabochard.   87 Qu’elle ait pété.   88 Clin d’œil à la farce de Pathelin : « Se je trouvasse/ Ung sergent, je te fisse prendre./ ….Mésadvenir/ Luy puisse-il s’il ne t’emprisonne ! » Le mari s’en va.   89 Sans doute à l’enseigne d’une taverne, comme l’apothicaire Doribus.   90 Tout mauvais plaisant.   91 Ce paysan. Voici donc les 6 nouvelles que notre fatiste adapta pour la scène. La traduction de Guillaume Tardif s’intitule : les Facécies de Poge, Florentin, translatées de latin en françoys, qui traictent de plusieurs nouvelles choses moralles. Pour racompter en toutes bonnes compaignies.   92 Si tu l’appliques.   93 Lent. « Tardif » est la signature du traducteur.   94 En sautant.   95 Tordu.   96 Doigt = pénis. « Il fut esbahy & honteux que son petit doy ne levoit. » Pogge-Tardif, LIV.   97 De sa braguette.   98 Vu ces préliminaires.   99 Jeu de mots sur le bât et le bas. « Mon père (…) a mille fois sanglé le bas à ma mère. » Pogge-Tardif, LXXX.   100 Qu’il l’eut soignée.   101 Redressée.   102 Annonciateur.   103 Quelque chose.   104 Soupçonnant. On préférait avoir un garçon, qui pourrait reprendre les affaires familiales, plutôt qu’une fille, à qui l’on devrait fournir une dot pour la marier, pour peu qu’elle soit mariable.   105 Ce que.   106 Quel destin.   107 Surnom des moines paillards, notamment des Cordeliers, dont font partie les Frères mineurs nommés dans le titre. Cf. Frère Frappart.   108 Sur une face.   109 Le parrain de votre enfant.   110 Suppléer, réparer.   111 Éd : obtint   112 Allusion à un proverbe. « Car qui a bon harnois, tousjours va-il avant. » (ATILF.) Plus prosaïquement, le harnais désigne le sexe de la femme : « Une jeune femme, laquelle de plusieurs estoit convoitée, non pas pour espouser mais pour prester le harnois. » Pogge-Tardif, CVII.   113 Éd : confacation ou confocation  (Par le frottement réciproque. « Un désir de confrication, qui est la conjonction charnelle. » Godefroy.)   114 Adhère (verbe erdre).   115 Quelque peu.   116 Ramolli.   117 Exalter.   118 Qui se lassa de son abstinence. « Sa femme (…) prioit très humblement et très instamment qu’il s’en retournast vers elle pour payer le tribut de mariage, car il luy ennuyoit. » Pogge-Tardif, LXXVI.   119 Même plaisanterie dans Pogge-Tardif, I : « À l’aide de Dieu — & de ses voisins —, en succession de temps luy fist trois beaulx enfans. »   120 Près de chez lui.   121 Que tu manges.   122 Avant.   123 Éclairé, illuminé.   124 Une aveline, une noisette. Pour rester dans les fruits, Tiel Ulespiegle vend des « prunes de prophétie ». Le devin ne s’y trompe pas : « Cette prune n’est autre chose que merde ! »   125 Voici un extrait du Premier Livre des Sérées, de Guillaume Bouchet, nº X, pp. 677-679. En 1584, cet écrivain regroupa deux anecdotes provenant de notre farce, dont la seule édition aujourd’hui connue paraîtra en 1612.   126 Un des participants à la soirée.   127 Il conclut un marché.   128 De merde. Cf. le Sermon pour une nopce, vers 180 et note.   129 L’élève du devin.   130 Formule pharmaceutique.

JÉNIN, FILZ DE RIEN

British Library

British Library

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JÉNIN,

FILZ  DE  RIEN

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Difficile d’être une « fille mère » au XVe siècle, et encore plus difficile d’avoir été une « prêtresse », autrement dit, la maîtresse d’un curé. Mais comment nier ces erreurs de jeunesse alors que le curé s’en vante, et que le fils né de ce couple est fier d’avoir pour père messire Jean, un homme qui sait écrire ?

Le même trio, composé d’une mère « prêtresse », d’un badin1 puéril et de son père chapelain, alimente la farce de Messire Jehan, qui offre de nombreux points communs avec celle-ci, par exemple cette question du badin à sa mère : « A ! il m’ayme comme son fis./ Tout plain de gens disent aussy/ Que suys son fis ; est-il ainsy ? »

Source : Recueil du British Museum, nº 20. Cette pièce normande remonte au dernier quart du XVe siècle ; elle fut imprimée à Lyon entre 1532 et 1550.

Structure : Rimes plates, avec 4 triolets.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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Farce  nouvelle  trèsbonne

et  fort  joyeuse  de

Jénin,  filz  de  rien

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À quatre personnaiges, c’est assavoir :

       LA  MÈRE  [Jacquette ?]

       et  JÉNIN,  son filz

       LE  PRESTRE   [messire Jehan]

       et  UNG  DEVIN  [maistre Tignon]

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                            LA  MÈRE  commence                       SCÈNE  I

        Quant je considère à mon filz,

        Par mon serment, je suis bien aise !

        Benoist2 soit l’heure que le fis !

        Quant je considère à mon filz,

5      Il est en bonnes meurs confis,

        Parquoy n’est rien qui tant me plaise.

        Quant je considère à mon filz,

        Par mon serment, je suis bien aise !

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        [ Jénin !!                                                                   SCÈNE  II

                            JÉNIN

                         Hau ! Hau ! Ne vous desplaise…

                            LA  MÈRE ] 3

10    Va, villain, va, tu ne sçais rien !

                            JÉNIN

        Dictes, ma mère, qu’on s’appaise.

        Que me donnerez-vous ? Combien ?

        Une4 aultre foys, je diray mieulx.

                            LA  MÈRE

        Je te donray ce qui est mien.

                            JÉNIN

15    Mais ferez donc ?

                            LA  MÈRE

                                      Ouy, se my dieux5 !

        Jénin !!

                            JÉNIN

                      Hau ! Hau !

                            LA  MÈRE

                                           Vécy beaulx jeulx !

        Ne sçauriez-vous dire aultre chose ?

        Or dictes aultrement, ma rose.

                            JÉNIN

        Dictes-moy donc que je diray6.

                            LA  MÈRE

20    Dictes : « Que vous plaist7 ? »

                            JÉNIN

                                                          Si8 feray,

        Puis9 que je sçais bien comme c’est.

                            LA  MÈRE

        Jénin !! Jénin !!

                            JÉNIN

                                   Hau ! Hau !… Couplest10 !

        Je l’avoys desjà oublié.

                            LA  MÈRE

        De fièvres soyes-tu relié11 !

25    En ta vie, tu ne sçauras rien.

        Il te fault apprendre du bien,

        Et aussy te mettre en la colle12

        D’aller de bref en quelque escolle,

        Pour sagement respondre aux gens.

                            JÉNIN

30    Ouy, cheux mon père messir(e) Jehans13.

        G’y veulx aller l’aultre sepmaine.

                            LA  MÈRE

        Et ! il est ta fièvre quartaine14 !

        Ton père, [luy] ? Qui le t’a dit ?

                           JÉNIN

        Par Dieu, voylà ung beau déduyt !

35    Se vous est ung grant vitupère15,

        Dictes-moy donc qui est mon père.

                            LA  MÈRE

        Ma foy, je ne le congnois point.

                            JÉNIN

        Quoy ? Vécy ung merveilleux point,

        Que mon père ne congnoissez.

40    Qui le sçait donc ?

                            LA  MÈRE

                                        Tant de procès !

        T’ai-ge pas dit que n’en sçais rien ?

                            JÉNIN

        Qui sera [donc le père]16 mien ?

        Plust à Dieu que ce fust le prestre !

                            LA  MÈRE

        Tu n’es qu(e) ung fol !

                            JÉNIN

                                              Il peult bien estre17,

45    Par Dieu ! Aussy, on le m’a dit.

        Qui estoit donc en vostre lict

        Couché sur18 vous, quant je fus faict ?

        Je seroys doncques imparfaict,

        Se quelqu(e) ung19 ne m’eust engendré ;

50    Dictes-moy comment j’entendray

        Que soyes filz de vous seullement ?

                           LA  MÈRE

        Jénin, je te diray comment :

        Une foys, je m’estoys couchée

        Dessus mon lict toute haulsée20 ;

55    Mais je ne sçays bien, en bonne foy,

        Qu’il n’y avoit âme21 que moy.

                            JÉNIN

        Comment doncques fus-je conceu ?

                            LA  MÈRE

        Je ne sçay, car je n’apperceu

        (Affin que plus tu n’en caquette)

60    Entour moy fors22 une jacquette

        Estant sur moy, et ung pourpoint23.

                            JÉNIN

        Tant vécy ung merveilleux point,

        Que je suis filz d’une jacquette24 !

        Sur ma foy, je ne le croys point,

65    Tant vécy ung merveilleux point.

        Vrayement, ce seroit mal appoint

        Que la chose fust ainsi faicte,

        Tant vécy ung merveilleux point

        Que je suis filz d’une jacquette !

                            LA  MÈRE

70    En ton blason, rien tu n’aquette25.

        Ne croys-tu point que soyes mon filz26 ?

                            JÉNIN

        Entendre27 ne puis qui je suis.

        Je seroys doncques filz de layne28 ?

                            LA  MÈRE

        Tu me donne beaucoup de peine.

75    Je le dis sans plus de procès :

        Tu es mon filz.

                            JÉNIN

                                   Ilz sont passéz29 ?

        Il fault bien qu(e) aulcun m(e) ait brassé30.

        Mais que teniez-vous embrassé,

        Quant je fus faict ?

                            LA  MÈRE

                                         Une jacquette.

                            JÉNIN

80    Vrayement, doncques, sans plus d’enqueste,

        [Pour mectre fin à la matière,]31

        Une jacquette, c’est mon père.

                            LA  MÈRE

        Et ! non est, non, el(le) ne l’est point.

                            JÉNIN

        Sur ma foy, donc, c’est le pourpoint

85    Et la jacquette tout ensemble ?

        Dictes-moy auquel je res[s]emble,

        Ma mère, puisque vous les veistes.

        Il fault, à ceste heure, que dictes :

        Mon père estoit-il blanc ou rouge ?

90    Je le sçauray devant que bouge32 !

                            LA  MÈRE

        Tu n’es33 filz de l’ung ne de l’autre.

                            JÉNIN

        Si suis-ge le filz à quelque aultre,

        Dieu sache lequel ce peult estre !

        Une foys, ce n’est point le prestre,

95    Je le sçay bien : vous l’avez dit.

        Oultre plus, vous m’avez desdit

        Que ce ne fust point la jacquette

        Ne le pourpoint. Je suis donc beste ?

        Par ma foy, vous le me direz34,

100  Ou par dol35 vous escondirez

        Ung des bons amys qu(e) ayez point36.

        Puisque ce ne fust le pourpoint,

        Je le sçay bien : ce sont les manches

        Que vous trouvastes sur voz hanches

105  Ce pendant que vous vous dormiez.

                            LA  MÈRE

        Sur ma foy, tu es bien nyays !

        Les manches ? Non furent, par Dieu !

        Car je ne trouvay en ce lieu,

        Dessus moy, sinon la despouille37.

                            JÉNIN

110  Comment ! Avoyent-il une couille38 ?

        Sur ma foy, c’est bien à propos39 !

.

        Bona diès, magister ! Campos 40 !                            SCÈNE  III

                           LE  PRESTRE

        Dieu te gard, mon valletonnet41 !

        Cœuvre-toy42, cœuvre !

                            JÉNIN

                                                Mon bonnet

115  Est bien, ainsi, dessus ma teste.

                            LE  PRESTRE

        Cœuvre-toy ! Tant tu es honneste43

        Pour servir quelque grant seigneur !

                            JÉNIN

        Je ne fais rien que mon honneur44 ;

        J’ay ainsi apprins ma leçon.

                            LE  PRESTRE

120  Tu es assez gentil garson.

        Or çà ! qu’esse que tu demande ?45

                            JÉNIN

        Mon Dieu, que vostre chose46 est grande !

        Et ! la mettez-vous là-dedans ?

                            LE  PRESTRE

        N’y touche pas !

                            JÉNIN

                                    A-el(le) des dens ?

125  Me mordroit-el(le) se g’y touchoys ?

                            LE  PRESTRE

        Dea, tu es ung enfant de choys.47

        Mais es-tu fol ? Comme tu saulte !

                            JÉNIN

        Jésus, que ceste maison est haulte !

        Vertu sainct Gris ! s’el trébuchet48,

130  Je seroys prins au tresbuchet49.

                            LE  PRESTRE

        Tu seroys mort, mon enfant doulx.

                            JÉNIN

        Dea ! je me mettroys dessoubz vous,

        Et vous recepveriez le coup.

                            LE  PRESTRE

        Je te supply, dy-moy acoup50

135  Qui t’amayne par-devers moy.

                            JÉNIN

        Par ma conscience, je ne sçay.

        Mais ç’a51 esté ma sotte mère

        Qui m’a dit que je n’ay point de père.

        Et pour tant52, le povre Jénin

140  S’est voulu mettre par chemin,

        Cherchant de recouvrer ung père.

                            LE  PRESTRE

        Par ma foy ! qui53 qu’en soit la mère,

        Mon amy, vous estes mon filz54 ;

        Car oncques-puis55 que je vous feis,

145  Ne me trouvay jamais plus aise.

                            JÉNIN

        Or çà, doncques, que je vous baise !

        Noël56 ! Noël ! Je l’ay trouvay !

        Vécy celuy qui m’a couvé57.

        Ma mère ne le congnoist point ?

150  Je ne suis plus filz d’ung pourpoint,

        Maintenant, il est tout notoire58.

        Que vous avez belle escriptoire !

        Je vous supplye, donnez-la-moy !59

        Vécy mon père, par ma foy !

155  Vélecy60 en propre personne !

                            LE  PRESTRE 61

        Tenez, mon filz, je la vous donne

        Affin qu(e) apprenez à escripre.

.

                            JÉNIN 62                                             SCÈNE  IV

        Dea, dea ! Vous ne voulez [pas] dire,

        Ma mère, qui est mon papa ?

                           LA  MÈRE

160  Messir(e)63 Jehan oncques n’en frappa

        Ung [tout] seul « coup » tant seullement64.

                            JÉNIN

        Frapper65 ?

                            LA  MÈRE

                             Ce ne fist mon66, vrayement !

        Le villain qu’il est, et infâme,

        Me vient-il faire ce diffame

165  De dire que je soye prestresse67 ?

        A ! par Dieu, avant que je cesse,

        Je metz68 qu’il s’en repentira.

        Et s’il me croyt, il s’en ira

        Avant qu’il y ayt plus de plet69.

170  Combien a-il payé de lect70,

        En sa vie, pour vous nourrir ?

        J’aymeroy[e]s plus cher71 mourir

        Que d’endurer tel vitupère

        De dire qu’il soit vostre père !

175  Ne m’en viegne parler jamais !

                            LE  PRESTRE

        Et ! sur ma foy, dame, je metz

        [Sur] ma vie qu’il est mon enfant !

        Par Dieu ! je seroys bien meschant

        De le dire s’il n’estoit vray.

                            JÉNIN

180  Aussy, mon père, je vous suyvray

        Par tous les lieux où vous yrez.

                            LA  MÈRE

        Par Dieu, Jénin, vous mentirez72 :

        Il n’est pas vostre père, non.

                            JÉNIN

        Dictes-moy comment a [à] nom

185  Mon père, et je l’yray chercher.

                            LE  PRESTRE

        Par ma foy ! c’est moy, mon filz cher ;

        N’en faictes jamais nulle doubte.

                            JÉNIN

        Ma mère m’a pinché le coulte73

        Et me dit que c’est menterie.

190  C’eust74 esté grande rêverie

        Que ma mère si m’eust conceu

        Sans qu’el ne vous eust apperceu.

        Dea ! si fault-il que j’ayes ung père.

        Je n’en sçay que dire, ma mère,

195  À mon cuyder, qu’il a rayson75.

                            LA  MÈRE

        Jénin, ne croys point son blason76.

        Ce ne seroit pas ton honneur

        D’aller dire qu(e) ung tel « seigneur »

        Comme cestuy-cy fust ton père ;

200  Mais trop bien qu’il en fust compère77,

        À cela je ne metz débat.

                            JÉNIN

        N’esse pas icy bel esbat ?

        Sur ma foy, se vous ne me dictes

        Quel homme ce fust que [vous] veistes

205  Qui feist ma génération78,

        Je puisse souffrir Passion

        Se ne dys que c’est cestuy-cy !

                            LE  PRESTRE

        A ! par ma foy, il est ainsy.

        Ce qu’elle dit, c’est pour excuse :

210  Ne la croyez, el(le) vous abuse.

        Moy-mesmes je vous ay forgé.

                            JÉNIN

        De rire je suis esgorgé79 !

        « Forgé » ? Estes-vous mareschal ?

        Allez donc ferrer ung cheval,

215  Et vous y ferez voz pourfitz80.

        Je ne seray plus vostre filz ;

        Allez chercher qui le sera.

                            LE  PRESTRE 81

        Ma foy, on s’i opposera,

        Se voulez dire que non soit.

                            LA  MÈRE

220  Qui ess(e) qui mieulx que moy le scet ?

        Sur mon âme, non est, Jénin !

                            JÉNIN

        Je m’en veulx aller au devin,

        Affin qu’il me donne à congnoistre

        Se je suis filz d’elle ou du prestre.

225  Ma mère, le voulez-vous mye ?

        Si sçayray82, quant fustes endormye,

        Qui estoit avec vous couchée.

                            LA  MÈRE

        Pense-tu qu’il m(e) ayt attouchée ?

        Cela, ne le croyez jamais.

230  Qu’il vous ayt forgé 83 ? Non a. Mais,

        Sur ma foy, bien veulx [que l’on mande]84

        Ung devin, et qu’on luy demande

        Comme il est85 de ceste matière.

                            JÉNIN

        Par Dieu ! je le veulx bien, ma mère.

                            LE  PRESTRE 86

235  Je le veulx bien, semblablement.

        Sus, Jénin, courez vistement !

        Allez tost le devin quérir.

                            JÉNIN

        Je le voys87 donc faire venir

        Pour nous juger ceste matière.

.

                            LE  DEVIN 88                                    SCÈNE  V

240  Sus, bonnes gens ! Arrière, arrière !

        Gardez que vous ne soyez mors89 !

        Ho ! malle beste90 ! Qu’el est fière !

        Sus, bonnes gens ! Arrière, arrière !

        Ell’ est d’une horrible manière.

245  Fuyez trèstous, vous estes mors91 !

        Sus, bonnes gens ! Arrière, arrière !

        Gardez que vous ne soyez mors !

        Voyez, el veult saillir dehors92.

        La voyez-vous, la malle beste ?

250  Regardez comme elle a le corps ;

        Quel[z] petis yeulx, et quelle teste !

        Et pour tant qu’elle est déshonneste,

        Je la veulx rebouter dedans93.

.

        Or je voy bien qu’il est grant temps

255  Que je vous dye [ce] qui m(e) amaine :

        De vous apporter j’ay mis paine

        Une drogue moult salutaire94,

        Il n’est pas temps de le vous taire.

        Et vault pour plusieurs malladies.

260  Oultre plus, il fault que je dies

        De quel Science95 je me mesle :

        S’il y avoit quelque fumelle96

        Qui ne peust avoir des enfans,

        J’ai oingnemens97 si eschauffans,

265  Et d’une huylle98 si trèsfort chaulde,

        Et fusse Margot ou Tibaulde99,

        El(le) sera incontinent prains100 ;

        Et si, luy froteray les rains

        D’huylle si bonne et si utille

270  Qu’elle portera filz ou fille.

        Et si, me vante sans abus,

        [Si l’on me baille des quibus,]101

        De juger eaulx102, car j’en suis maistre.

        À plusieurs j’ay faict apparoistre

275  Mon habilité103 et science.

.

                           JÉNIN                                                 SCÈNE  VI

        (Ho ! je cuide, par ma conscience,

        Que c’est cestuy que je viens querre.)

        Ma mère m’envoye grant erre104,

        Par Dieu, Monsieur, pour vous quérir

280  Affin que je viegne enquérir

        Et sçavoir à qui je suis filz.

                            LE  DEVIN

       Mon amy, je vous certiffie[s]

        Que vous estes filz de vostre père105.

                            JÉNIN

       Dea, Monsieur, je sçais bien que voire106 ;

285  Mais je ne sçay si c’est ung prestre.

                            LE  DEVIN

       En bonne foy, il peult bien estre

        Que ce soit il107. Mais on voirra,

       Car premièrement il fauldra

       Juger ton père à ton urine108.

290  Si congnoys-je bien, à ta mine,

       Que tu es filz, bien entendu109.

                            JÉNIN

       Nous avons cy trop attendu.

       Par Dieu ! ma mère me batra.

       Et si, sçais-je bien qu’el sera

295  Bien joyeuse, mais qu’el vous voye.

.

                            LA  MÈRE 110                                   SCÈNE  VII

       Jénin est longuement en voye111 ;

       Je ne sçay quant il reviendra.

                            LE  PRESTRE

        On verra qu’il112 en adviendra,

        S(e) une foys il puist revenir.

.

                            JÉNIN                                                 SCÈNE  VIII

300  Ma mère, nous voicy113 venir !…

        Je croy qu’el soit en la maison.114

.

                            LA  MÈRE                                         SCÈNE  IX

        Ha ! vrayement, il est grant saison115

        Que tu en soyes revenu !

                            JÉNIN

        Ma mère, le vécy venu.

305  Ne faictes que116 chercher monnoye.

                            LA  MÈRE

        Ha ! Monseigneur, Dieu vous doint joye !

        Vous soyez le bien arrivé117 !

                            LE  DEVIN

        Par-devers vous j’ay prins la voye.

                            LE  PRESTRE

        Ha ! Monseigneur, Dieu vous doint joye !

                            LE  DEVIN

310  Il fault qu’à vostre cas pourvoye

        Sans que plus y ayt estrivé118.

                            LA  MÈRE

        Ha ! Monseigneur, Dieu vous doint joye !

        Vous soyez le bien arrivé !

        Ce fol icy a controuvé119

315  Que c’estoit icy son garson.

        Et pour la cause, nous cherchon

        Que vous nous disiez120 vérité,

        Et vous ferez grant charité.

        Aussy, vous sera desservy121.

                            LE  DEVIN 122

320  Sur mon serment ! oncques ne vy

        Homme qui mieulx à luy ressemble123.

                            JÉNIN

        Par mon serment ! ma mère tremble

        De peur124 que ce ne soit mon père.

                            LA  MÈRE

        Et !  Monseigneur, je n’en ay que faire125 ;

325  Toutesfoys, il n’est pas à luy.

                            LE  PRESTRE

        Si est, par Dieu !

                            JÉNIN

                                    Elle a menty.

        Et, comment ! le sçais-je pas bien ?

        Je seroys doncques filz d’ung chien126 ?

        Sur ma foy, il est bon à croire !

                            LE  PRESTRE

330  Il est mon filz.

                            JÉNIN

                                  Par ma foy, voire :

        Il m’a donné son escriptoire127.

                            LE  DEVIN

        Pour congnoistre en brèf[ve] mémoire

        S’il est son filz, [d’où ne]128 comment,

        Il fault que pisses vistement,

335  Maintenant, dedans ceste escuelle.

                            JÉNIN

        À quoy faire ?

                            LE  DEVIN

                                 La cause est telle129 :

        Pour congnoistre à qui tu es filz.

                            JÉNIN

        Ma mère la tiendra130, vresbis,

        Ce pendant que je pisseray.

340  Et s’il plaist à Dieu, je seray

        Le filz mon père messir(e) Jehans.131

                            LA  MÈRE

        P[i]sseras-tu devant les gens ?

                            [ JÉNIN

        Ouy. Par ma foy, j’en tiens bien compte132 !

                            LA  MÈRE

        Qu’esse-cy ? N’as-tu point de honte ?

                            JÉNIN ] 133

345  Pourquoy ? Ma broquette134 est tant belle !

        Dictes, emplirai-ge l’escuelle ?

        Jésus, que mon pissat est chault !

        Le dyable y soit ! levez135 plus hault !

        El m’a faict pisser en mes chaulses.

                            LA  MÈRE

350  Jénin136, veulx-tu que je la haulses ?

                            JÉNIN

        Et ouy : j’ay gasté ma chemise.

                            LE  DEVIN

        Or çà ! Il est temps que j’advise

        À la congnicion137 du faict.

        Je n’y puis juger en effect.

355  Toutesfoys, l’uryne est fort clère ;

        Par quoy congnois que c’est sa mère138.

        Mais de son père, ne sçais point.

                            JÉNIN

        Au moins, ce n’est pas le pourpoint

        De quoy ma mère m’a parlé ?

                            LE  DEVIN

360  Le pourpoint ? C’est bien flajollé139 !

        Pour avoir parfaicte évidence140

        De ton père et la congnoissance,

        Et pour bien juger ton urine,

        Qui est clère comme verrine141,

365  Il peult bien estre, par ma foy,

        Ton père. Pourtant, je ne sçay.

        Je voy ung signe que vélà,

        Qui tourne deçà [et] delà142,

        Qui me faict dire l’opposite.

                            JÉNIN

370  Je vous pries, mon seigneur, que dicte

        Que c’est mon père que vécy.

                            LE  DEVIN

        Te tairas-tu point ? Qu’esse-cy ?

                            JÉNIN

        Dea ! je n’en feray rien, beau sire :

        Vous fault-il maintenant desdire ?

375  Vous avez dit que c’est mon père.

                            LE  DEVIN

        Et ! que sçais-je ? Laisse-moy fère

        Ou, par Dieu, je diray que non !

                           LE  PRESTRE

        Je vous supplie, maistre Tignon143 :

        Jugez-en à vostre conscience.

                            LE  DEVIN

380  Faictes donc ung peu de silence,

        Car vous me troublez la mémoire.

        Il est son filz… Non est encore.

        Et ! par Dieu, encor on ne sçait.

        Pour au certain parler du faict144,

385  Je croy bien qu’il est filz du prestre.

        Vécy qui le donne à congnoistre :

        Tousjours suyst le prestre ; et sa mère,

        Il la laisse tousjours derrière.

        Et pour ces causes, je concludz

390  Omnibus évidentibus 145,

        En la présence de ces146 gens,

        Que Jénin est filz messir(e) Jehan[s]

        Et n’est point le filz de sa mère.

                            LA  MÈRE

        Le dyable y soit ! c’est à reffaire.

395  Par sainct Jehan, sire vous mentez !

        De quoy ess(e) que vous démentez147 ?

        Vous estes ung devin d’eaue doulce148.

        S’i fault, par Dieu, que je vous touche

        De cela149, je vous fairé taire !

                            LE  DEVIN

400  Or attendez ! Bien se peult faire

        Que j’ay failly, par advanture.

        Vostre face, de sa nature,

        Ressemble à celle de Jénin.

                            LA  MÈRE

        Est-il mon filz ?

                            JÉNIN

                                    Par Dieu, nennin !

405  Ouy dea, attendez à demain150 !

        Ma foy, je ne vous ayme grain151 ;

        Messire Jehan j’ayme bien mieulx.

        Dea ! c’est mon père, se m’ayst Dieulx !

        Vous m’avez beau faire des mynes152.

                            LE  DEVIN

410  Or paix ! Il fault que je devines.

        Je ne veulx plus voz eaulx juger,

        Car je ne me fais qu(e) abuser.

        Pour vous accorder tous ensemble,

        [Au moins ainsi comme il me semble,]153

415  Ilz ne sera filz de personne.

        Car ma raison je treuve bonne :

        Sa mère m’a dit que du prestre

        N’est point le filz ; or ne veult estre

        Jamais Jénin le filz sa mère :

420  Or donc, il n’a mère ne père,

        Ne n’eust jamais. Vécy le point.

        Il n’y avoit rien qu(e) ung pourpoint154

        Sur sa mère, quant fut couchée ;

        Or, sans qu’elle fût attouchée,

425  Tel enfant n’e[u]st sceu concepvoir :

        Par quoy on peult appercevoir

        Qu’il n’est filz d’homme ne de femme.

                            JÉNIN

        A ! vrayement, doncques, par mon âme,

        Je suis Jénin le filz de rien.

430  Adoncques, pour l’entendre bien,

        Jénin n’est point le filz sa mère,

        Aussy n’est point le filz son père :

        Ergo, donc, je ne suis point filz

        De155 père ne mère, vresbis !

435  Doncques, Jénin n’est point Jénin.

        Qui suis-je donc ? Janot156 ? Nennin :

        Je suis Jénin le filz de rien.

        Je ne puis trouver le moyen

        Sçavoir si je suis. Ne157 suis mye ?

440  Suis-ge Dieu, ou vierge Marie ?

        Nennyn, ilz sont tous deux en Paradis.

        Suis-ge dyable ? Qu’ess(e) que je dis :

        Vrayement, je ne suis pas cornu.

        Dieu sache dont je suis venu !

445  Pourtant, si ne suis-ge pas beste158 ;

        Il est bon à veoir à ma teste

        Que je suis faict ainsi qu(e) ung homme.

        Et pour tant, je conclus en somme

        Que je suis, et si, ne suis pas.

450  Suis-ge sainct Pierre, ou sainct Thomas ?

        Nennyn, car sainct Thomas est mort159.

        Et ! vrayment, cecy est bien fort

        À congnoistre que c’est que de moy160.

        Mais je vous prometz, par ma foy,

455  Je ne croy point que ne soye sainct161 :

        Il fauldra donc que je soye paint162

        Et mis dessus le maistre-autel.

        Quel sainct seroy-ge ? Il n’est [rien] tel

        Que d’estre, en Paradis, sainct Rien163.

460  Au moins, si je fusses d’ung chien

        Ou d’ung cheval le vray enfant,

        Je seroys trop plus triumphant

        Que je ne suis, et plus gentil164.

        Or conclus-je sans long babil

465  Que je ne suis filz de personne.

        Je suis à qui le plus me donne ;

        Plusieurs165 sont à moy ressemblant[s].

        Je suis comment166 les Allemans.

Cy fine la farce de

Jénin, filz de rien.

À quatre personnages.

Imprimée nouvellement à Lyon,

en la maison de feu Barnabé Chaussard,

près Nostre-Dame-de-Confort.

*

1 Jénin est un personnage de « badin », de demi-sot incapable de s’adapter au langage et aux coutumes des adultes. Voir l’autodescription du Badin dans les Sobres Sotz.   2 Bénie.   3 BM a estropié ce passage. Ne vous déplaise = Ne vous fâchez pas. Jénin s’excuse d’avoir dit une bêtise. En effet, ces « hau ! » pour répondre à un appel sont impolis : « –Sottinet ! –Hau ! –Quel “hau” ? » (Le Roy des Sotz.) Jénin les dédouble encore aux vers 16 et 22.   4 BM : Ung  (Fils unique et enfant gâté, Jénin est d’un naturel resquilleur : voir les vers 152-153 et 466.)   5 Si m’aid Dieu : que Dieu m’assiste ! Idem vers 408. Pour vérifier si son fils a compris sa leçon de politesse, elle l’interpelle à nouveau.   6 Ce que je dois dire. On trouve à peu près le même dialogue dans Messire Jehan (v. ma notice).   7 Qu’y a-t-il pour votre service ? Voir la note d’André Tissier : Recueil de farces, t. III, Droz, 1988, pp. 275-328.   8 BM : Je le  (Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 95.)   9 Maintenant.   10 Jénin se ressouvient trop tard et approximativement du « Que vous plaît ? ».   11 Atteint. « Que de la fièvre cartaine/ Puissez-vous estre relié ! » Le Povre Jouhan.   12 En disposition.   13 On prononce « messer Jean », comme aux vers 160, 341 et 392. Voir la note 74 du Testament Pathelin.   14 …Et non pas ton père.   15 Si vous avez honte de lui.   16 BM : doncques le   17 Ambivalence propre aux personnages de badins. 1) C’est possible qu’il soit mon père. 2) C’est possible que je sois fou.   18 BM : auec   19 Si un homme.   20 BM : chaulsee  (Retroussée. « Il la voulut voir devant et derrière, et de fait prend sa robe et la luy osta, et en cotte simple la mect ; après, il la haussa bien hault. » Cent Nouvelles nouvelles, 12.)   21 Personne d’autre.   22 Rien sauf.   23 « Vous voulez trop souvent/ Estre couverte d’ung pourpoint. » Les Botines Gaultier.   24 La mère de Jénin se prénomme sans doute Jacquette, comme celle de Maistre Jehan Jénin, qui est le petit-fils d’un abbé. L’expression « le fils de la Jacquette » se lit encore en 1614 dans la Conférence d’Antitus, Panurge et Guéridon : « De l’Estat on parle entre nous./ In chasqu’un sur icu caquète ;/ Is s’en vouliant mêlé trètous,/ Jusques au fis de la Jaquète. » [Entre nous, nous parlons de l’État. Tout un chacun dit son mot sur cela ; ils voulaient tous s’en mêler, même le fils de la Jacquette.] Les auteurs de farces et de sotties prennent toujours les expressions au pied de la lettre : voilà pourquoi Jacquette est devenue ici une vulgaire jaquette.   25 Avec de tels bavardages, tu n’as rien à gagner.   26 Le fils de Jacquette.   27 Comprendre.   28 Fils d’une jaquette en laine. Le public a dû comprendre « fil de laine » : en Normandie, fils et fil se prononçaient fi.   29 Tous les hommes sont morts ? « Où sont-ilz, mes gentilz fringans ?…./ Ilz sont passéz, eux et leurs jours. » (Éloy d’Amerval.) Cf. le Dorellot, vers 23.   30 Qu’un homme m’ait fabriqué, comme de la bière.   31 Vers manquant. Je lui substitue le vers 157 de la Fille esgarée, qu’on peut traduire : pour clore le débat.   32 Avant que je m’en aille.   33 BM : nestz  (La rime du même au même inciterait à corriger : de plomb ne de pautre [d’étain]. « Ne de plonc ne de peautre. » <Godefroy.> On dit aussi : De fer ou de peautre. « Suis-je de viel fer ou de peaultre ? » ATILF.)   34 Ambivalence de badin. 1) Vous me direz qui est mon père. 2) Vous me direz si je suis bête.   35 BM : don  (À cause de vos tromperies. « Par dol & astuce. » Jean Papon.)   36 Vous perdrez en ma personne un de vos meilleurs amis.   37 Des vêtements sans personne à l’intérieur.   38 Un pénis. Cf. la Confession Margot, vers 86 et note.   39 Ça tombait bien ! Jénin sort et se rend à l’église, où messire Jean est en train d’écrire sur un lutrin, muni de son écritoire. « Messire Jehan, vostre escriptoire/ Et du papier ! Si, escripvez ! » Le Testament Pathelin.   40 « Bonjour, maître ! Repos ! » En jargon estudiantin, le campos est la récréation : « Je cuide qu’ilz ont pris campos. » Les Premiers gardonnéz.   41 Mon garçon.   42 Couvre-toi ! On dit cela par dérision aux mal élevés qui n’ôtent pas leur chapeau pour saluer. Mais Jénin ne comprend pas le second degré.   43 Poli (ironique). « “Vous estes bien mal appris, pour le fils d’un prestre.” Cela se dit par raillerie à un incivil. » Antoine Oudin.   44 Que mon devoir. « Faire son honneur et son devoir. » ATILF.   45 Le curé commence à ranger son matériel dans une écritoire accrochée à sa ceinture, au niveau de la braguette, ce qui fournit aux acteurs un jeu de scène très visuel : « –Qu’esse-cy/ Qui te pend ? –C’est mon escriptoire. » (Maistre Mymin qui va à la guerre.) L’apparence phallique de l’objet complète l’illusion : « Ce qu’il y avoit en forme d’escritoire estoit si vif, & se levoit si fort contre le nombril, qu’ils n’en pouvoient rien faire. » (Béroalde de Verville.)   46 L’ignare Jénin ne connaît pas le nom du calemard, l’étui dans lequel on range la plume d’oie pour ne pas tacher l’écritoire : « Ung grand calemart d’escritoire, de cuir noir. » (Godefroy.) Évidemment, le public va donner au mot « chose » une acception priapique : « La chose est grande ! » (La Veuve.) C’est d’autant plus facile que le calemard s’y prête : « Sa rouge branche de coral,/ Son guille-là, son calemard,/ Son factoton, son braquemard. » Jodelle, Épitaphe du membre  viril de frère Pierre.   47 Jénin se met a sauter pour atteindre le plafond de l’église.   48 Si elle s’effondrait, comme plusieurs autres églises en cette fin du XVe siècle. Cf. les Rapporteurs, vers 230 et note.   49 Pris au piège comme un oiseau. « Quand on me print au trébuchet. » Le Cuvier.   50 Immédiatement.   51 BM : sa   52 Pour cela. Idem vers 252 et 448.   53 BM : ou  (On commence à dénier à la mère son statut de génitrice ; voir les vers 393 et 431.)   54 Ambigu : un curé nomme son paroissien « mon fils », et le paroissien nomme son curé « mon père ». « Tout partout pères on les nomme ;/ Et de faict, plusieurs fois advient/ Que ce nom trèsbien leur convient. » Clément Marot.   55 Depuis.   56 Cri de victoire. « Et disoient : “Bien soit venu le Roy, nostre souverain seigneur !” Et les petis enfans cryoient : “Noël !” » Jehan de Wavrin.   57 Qui m’a engendré. Toutefois, les Sots naissent dans des œufs. Cf. les Sotz nouveaulx, farcéz, couvéz : « Je fus pondu dedans ma manche/ Et couvé en une corbeille…./ Et si, ne sçay comme j’ay nom,/ Sinon lefilz de la Corbeille”./ Je n’auray jamais d’autre nom. »   58 C’est évident.   59 Les deux protagonistes sortent de l’église afin de se rendre chez la mère pour une confrontation. Dehors, Jénin crie à tue-tête.   60 Le voici. Jénin reprend ses flatteries pour obtenir l’écritoire.   61 Gêné, il donne l’écritoire à son fils pour qu’il se taise.   62 Suivi par le curé, il revient chez sa mère, qui est devant la porte.   63 BM : Par sainct   64 Il ne tira jamais un seul coup avec moi. (Cf. la Fille esgarée, vers 13.) On peut donc en déduire qu’il tira plusieurs coups.   65 Jénin ne saisit pas le sens érotique de ce verbe : « Jamais d’engin ne fus frapée/ Que de mon mary seulement. » Le Marchant de pommes.   66 Il ne le fit pas.   67 Les femmes qui avaient couché avec un homme d’Église le niaient farouchement. « Prestresse, moy ? Tu as menty ! » Les Chambèrières et Débat.   68 Je promets. Idem vers 176.   69 De plaid, de dispute.   70 De lait. Le curé n’a pas versé de pension alimentaire pour entretenir son fils.   71 J’aimerais mieux. « Elle aymeroit plus cher mourir/ Que l’oster. » Les Chambèrières qui vont à la messe.   72 Vous n’aurez pas dit la vérité. Cf. le Nouveau marié, vers 147.   73 M’a pincé le coude (normandisme).   74 BM : Se eust   75 Qu’à mon avis, il a raison.   76 Son discours fallacieux. Idem vers 70.   77 Qu’il soit ton parrain.   78 Qui m’engendra.   79 Je m’étrangle. Le badin prend le verbe forger au sens propre, et l’applique donc à un maréchal-ferrant.   80 Vos profits : vous y gagnerez plus d’argent.   81 Il menace la mère de faire opposition devant l’Officialité. Mais il sait pertinemment qu’un juge d’Église lui donnerait tort.   82 Ainsi je saurai.   83 BM : faict  (La mère insiste habilement sur un mot du curé qui a vexé son fils.)   84 BM : quon demâde  (À la rime.)   85 Ce qu’il en est. La mère ne craint pas qu’un pseudo-devin dise la vérité, d’autant que c’est elle qui va le rétribuer.   86 Il est pressé de rester seul avec son ancienne maîtresse.   87 Vais.   88 Ce charlatan montre aux passants une cage où frétille un petit chien vêtu de vert, qui est censé être l’incarnation du diable. La Fille bastelierre (vers 89-98) présente le même tour avec des formules similaires.   89 Mordus par ce monstre infernal.   90 Antéchrist. Voir la note 41 de la Fille bastelierre. Fière = féroce.   91 Sinon vous êtes morts.   92 Le devin sort le caniche de sa cage, et fait mine de l’empêcher de bondir sur la foule.   93 Parce qu’elle est impudique, je veux la remettre dans sa cage.   94 Les charlatans attirent les passants avec un spectacle de Grand-Guignol, et après les avoir mis en condition, ils leur vendent des remèdes miracles. Les apothicaires de la place Dauphine et du Pont-Neuf s’en feront une spécialité. Voir la notice de Maistre Pierre Doribus.   95 Les charlatans se réclament toujours de la Science, à tel point que la Fille bastelierre s’intronise « fille de la Science ». Voir le vers 275.   96 Une femme (normandisme).   97 Des onguents. Mais aussi, du sperme : « (Elle) fut garrie nettement/ Par la vertu de l’ongnement/ Dont il l’oindy par plusieurs fois ;/ Tellement que au bout de neuf mois (…)/ Elle eult du laict plain ses mamelles. » Jehan Molinet.   98 De l’huile de reins : du sperme. Cf. Tout-ménage, vers 143 et note.   99 C’est le féminin de Thibaud.   100 Enceinte. « La femèle, ce m’est avis,/ Porte deux anz quant elle est preins. » Godefroy.   101 Vers manquant. Le quibus est l’argent. « S’ilz ne vous baillent des quibus. » Sermon pour une nopce.   102 De faire un diagnostic en observant vos urines.   103 Mon habileté. Cf. Frère Phillebert, vers 100.   104 En grande hâte.   105 Même génitif archaïque aux vers 341, 392, etc. Il provient de la farce de Pathelin : « Et qui diroit à vostre mère/ Que ne feussiez filz vostre père,/ Il auroit grant fain de tancer. »   106 Que oui. Les Normands prononçaient « vaire », d’où la rime avec père.   107 Il se peut bien que ce soit lui. Cet augure s’appuie sur la réputation de lubricité qu’ont les hommes d’Église.   108 D’après ton urine. L’auteur a sans doute employé la variante « orine », qui désigne à la fois l’urine et l’origine paternelle. C’est encore un emprunt à Pathelin : « Vous n’en ystriez pas de l’orine/ Du père. »   109 Le devin devine qu’il a affaire à un garçon. Double sens ironique : Que tu es un fils bien dégourdi.   110 Elle est dans la maison avec le prêtre, alors que nous les avions laissés devant la porte. A-t-elle profité de la longue absence de Jénin pour renouer avec son ancien amant ?   111 Depuis longtemps en chemin.   112 Ce qui.   113 BM : voit bien  (Jénin et l’escroc arrivent devant la maison.)   114 Ne voyant personne dehors, ils entrent.   115 Il est grand temps.   116 Allez vite. On peut s’interroger sur les sources de revenus de cette mère célibataire.   117 Le bienvenu. Même vers dans Ung jeune moyne et ung viel gendarme.   118 Sans plus de débats.   119 Cet idiot de prêtre a inventé.   120 BM : direz   121 Cela vous sera payé.   122 Il regarde le prêtre et Jénin.   123 Nouvel emprunt à Pathelin : « Oncq enfant ne resembla mieulx/ À père. »   124 BM : pour   125 Cela m’est bien égal.   126 Jénin montre le caniche dans la cage que porte le devin.   127 J’ai donc hérité de la profession paternelle. Cependant, le droit canon ne stipule pas qu’on peut devenir curé de père en fils.   128 BM : ou  (Et comment cela se fait.)  « Déclarez-moy d’où ne comment vous cognoissez ou vous craignez ce nom de Thisbé. » Jacques Amyot.   129 Pour cette raison.   130 Elle me la tiendra : le public ne comprend pas tout de suite que Jénin parle de l’écuelle du vers 335. L’équivoque perdure jusqu’au vers 351. Vraibis est un euphémisme pour « vrai Dieu » ; idem vers 434.   131 De mon père (note 105). Tel le Nouveau marié <vers 179>, Jénin tourne le dos au public, face à sa mère agenouillée (elle est jouée par un homme), et il remonte sa chemise longue. À propos des acteurs qui urinent sur scène, voir la note 50 de la Seconde Moralité de Genève.   132 Je me fiche de ce qu’ils pensent. Les badins ne comprennent pas les objectifs de la politesse, qui n’est pas naturelle.   133 BM : Quesse cy nas tu point de honte. / Jenin / Ouy par ma foy ien tiens bien compte   134 Ma brochette. « J’ay ma brocquette amolie. » (Parnasse satyrique du XVe siècle.) La belle broquette du fils, comparée à la grande chose du père <vers 122>, est une nouvelle preuve de leur filiation.   135 Levez l’écuelle. À la rime (vers 335 et 346), ce mot compte toujours pour deux syllabes : é-cuel’.   136 BM : Jtem  (Que je hausse l’écuelle.)   137 À la connaissance philosophique. Les apothicaires usent volontiers de termes ronflants et de latinismes pour se faire valoir. Le devin scrute l’écuelle comme une boule de cristal en prenant un air inspiré. La divination par l’urine se nomme l’uromancie.   138 Le charlatan prend le parti de la mère, puisque c’est elle qui le paye.   139 C’est bien plaisanté. Nouvel emprunt à Pathelin : « Faittes-le taire !/ Et ! par Dieu, c’est trop flageollé ! »   140 Vision.   141 Transparente comme une vitre.   142 Il voit un morpion qui nage dans l’urine.   143 Teigneux. Les tignons [les chignons] portaient aussi des poux : « Il se quarre comme un pou sur un tignon. » Proverbe.   144 Pour le dire avec certitude.   145 De toute évidence.   146 BM : ses  (Du public.)  BM intervertit ce vers et le suivant.   147 De quoi vous mêlez-vous ? L’auteur compte de nouveau « esse » pour une syllabe aux vers 220 et 442.   148 Nouvel emprunt à Pathelin : « Chez cest advocat d’eaue doulce. » Rabelais s’inspire peut-être de notre devin quand il se moque d’un « médicin d’eau doulce », dans l’ancien Prologue du Quart Livre.   149 La mère menace de lui renverser l’écuelle d’urine sur la tête.   150 Vous repasserez ! Cette chanson est citée au vers 152 du Monde qu’on faict paistre : « –Je ne vous cherche pas un grain/ –Atendez à demain, atendez à demain ! »   151 Pas du tout.   152 Vous avez beau me faire des grimaces engageantes.   153 Vers manquant. Je lui substitue le vers 343 des Sotz escornéz.   154 Voir les vers 358-360.   155 BM : Ne   156 Quand le badin Mahuet n’est plus reconnu par sa mère, il doute de son identité de la même façon : « On ne m’appelle point Drouet :/ Je suis vostre filz Mahuet. » Janot est le nom du Badin qui se loue : « Janot est le vray nom d’un sot. » Lui aussi passe pour un « filz de prebstre ».   157 BM : ou  (Je n’existe pas ? Voir les vers 440-442 de la Folie des Gorriers.)   158 Je ne suis pas un animal. Ambiguïté de badin sur l’adjectif « bête », comme au vers 98.   159 Il serait plus judicieux d’écrire : car chacun d’eux est mort.   160 Ce qu’il en est de moi.   161 La double négation se résout en : Je crois que je suis un saint. Voir la note d’André Tissier.   162 Représenté sur une icône.   163 Saint breton fantaisiste. Un des personnages de la sottie Pour le cry de la Bazoche s’appelle Monsieur Rien. Les protagonistes de la Folie des Gorriers (vers 444 et 446) estiment également qu’ils ne sont « rien ».   164 Plus noble.   165 Cette pique vise le devin.   166 Comme. « Il nous fault eschauffer/ Par la gueule, comment un four. » (Les Femmes qui font escurer leurs chaulderons.) Les lansquenets, ces mercenaires allemands dont la France louait les services, étaient coutumiers des chantages : « M. de Bayard fit commandement aux lansquenetz (…) qu’ils allassent à l’assaut. Eux firent response qu’ils n’y iroient point qu’ilz n’eussent la double paye, & que tell’ estoit leur ordonnance & coustume. » (Brantôme.) « Quant aux gens de pied [aux fantassins] allemans, la pluspart s’en veult pareillement aller, fort mal contens de ce qu’on ne leur a voullu payer le moys de l’assault donné audit Sainct-Quentin. » (Archives de Simancas.)