LES COPPIEURS ET LARDEURS
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LES COPPIEURS
ET LARDEURS
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Comme le Roy des Sotz et les Vigilles Triboullet, cette sottie est de Triboulet, qui la signe au vers 298. Surtout connu pour avoir été le bouffon de René d’Anjou, Triboulet fut également comédien, chef de troupe, et auteur dramatique1. La sottie date à peu près de 1462. Au cours de la même représentation et dans le même décor2, les mêmes acteurs jouèrent les Sotz qui corrigent le Magnificat.
Source : Recueil Trepperel, nº 8. Les fautes sont innombrables.
Structure : Ballade, aabaab/ccdccd, lai [strophes 3 et 4 en « arbre fourchu »], abab/bcbc, rimes plates, triolet (E. Droz n’a pas vu qu’il s’agit d’un triolet : elle en a supprimé 4 vers).
Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) J’emprunte beaucoup à l’édition de Thierry Martin3 pour l’établissement du texte, et un peu à celle d’Eugénie Droz4 pour les notes.
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Sotie nouvelle très-excellente des
Coppieurs et Lardeurs
qui sont copiéz et farcéz
*
À cinq personnages 5, c’est assavoir :
MALOSTRU 6 LE COPPIEUR
NYVELET 7 LE LARDEUR
TESTE CREUSE 8
SOTIN 9
L’ESCUMEUR DE LATIN 10
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MALOSTRU LE COPPIEUR 11 commence
Quel temps court-il12, là, soubz voz marche[s] ? SCÈNE I
NYVELET LE LARDEUR
Il y a tousjours ung fer qui loche13.
MALOSTRU
Où fait-il bon ?
NYVELET
Où ? Dessoubz les arches14,
Il fait bon estre tourne-broche.
MALOSTRU
5 De quoy sers-tu ?
NYVELET
Je mectz en coche15
Mes lardons.
MALOSTRU
Tu ne t’y fains mye16 !
NYVELET
Et toy, Malostru17 ?
MALOSTRU
Je coppie18.
NYVELET
[Tu] coppie ?
MALOSTRU
Pour parolle ronde19,
Je coppie cy Dieu et le monde.
NYVELET
10 Affin que mieulx mon mestier sçaiches,
Je larde chascun,…
MA[LO]STRU
Sans reproche,
Je coppie tout.
NYVELET
…Veaulx et vaches.
MALOSTRU
Trèstout passe par une broche ?
NYVELET
Mes gros lardons partout je broche.
15 Et toy ?
MALOSTRU
Les fais d’aultruy espie20.
NYVELET
[Tu] espie ?
MALOSTRU
Ne le croys-tu mie ?
NYVELET
Fais tu d’aultruy ?
MALOSTRU
C’est où je me fonde :
Je coppie cy Dieu et le monde.
NYVELET
Vive qui pla[n]cte21 !
MALOSTRU
Quelz attaches22 !
NIVELET
20 Vive qui bruit23 !
MALOSTRU
Quel espinoche24 !
NYVELET
Fy de villains !
MALOSTRU
Quelles desmarches !
NYVELET
Parle, cler25.
MALOSTRU
Comme eau[e]26 de roche.
NYVELET
Il n’est pas boiteux, qui ne cloche27.
Qu’en dis-tu ?
MALOSTRU
J’en requiers coppie.
NYVELET
25 Es-tu coppieur ?
MALOSTRU
Quoy qu’on die.
De coppie[r] tiens table ronde :
Je coppie ci Dieu et le monde.
NYVELET
Qui28 sera morveulx, qu’il le die.
Je larde tousjours.
MALOSTRU
Je coppie.
NIVELET
30 C’est ma vocacion parfonde29.
MALOSTRU
Je coppie cy Dieu et le monde.
NIVELET 30
Pour larder lard en larderie31
— Tant qu’en lardant le lard[é], rie32 —
Je larde lardons bien lardéz33.
MALOSTRU
35 Et pour coppier en coppie34
(Coppieur coppiant), coppie
Les coppieux bien coppiéz35.
NIVELET
Quant lardeurs ung larderay lardent36,
De lard l’ardissent37 et [le] lardent ;
40 Lard enlardissent38 en lourdoys.
MALOSTRU
Quant coppistres39 coppians couppent
— Leurs coppes coppiars sincopent40 —,
Coppiés coppient en coquoys41.
NYVELET
Et ! par mon lardant lardement42,
45 Larderé lardons lourdement43,
Tant que lardars s’en larderont44.
MALOSTRU
Par mon [coppiant] copiement
(Où coppieuse coppie45 ment),
Enco(r) pis coppies copperont46.
NYVELET
50 Les lardans lardars,
Lardéz de leurs dars47,
Larderont leurs ars48.
En l’art de larder
Lardeusement lars,
55 Ont quinze et leurs ars49 !
Plus que les malards50
On doibt raffarder51.
MALOSTRU
Je coppie et couppe
Coppieuse coulpe52.
60 Mon coupperet53 couppe
Coppieusement
Ce qu’au54 pié on couppe.
Coup à coup descouppe55,
Et le cou56 recouppe
65 Par mon couppement.
NYVELET
Lardez lardons ! De lard lardé57,
Je lardé lard en[t]relardé.
Je lardé
Lard lardoux ainsi lardatif.
70 De lardouères je suis lardé58 :
Le lourd lardant en est lardé,
Raffardé59.
De telz lardons suis lardatif.
MALOSTRU
Quant coppieux coupperont coupes60,
75 Coppiars coppieront leurs coulpes61,
Que tu couppes62.
Mes coppis coppiers je coppie.
Je fais coppiantes simcoppes63.
Les coppes64 couppes et recouppes,
80 Apocoppes65.
En coppiant, dis enco(r) : « Pie66 ! »
NYVELET
Chascun, par noz ars67 si nouveaulx,
Sera lardé et coppié68.
MALOSTRU
Je coppiray mains cocardeaulx69.
NYVELET
85 Maint lardon sera desployé.
MALOSTRU
Il sera trop bien employé !
NYVELET
C’est le vray.
MALOSTRU
Aussi le doibt-on.
NYVELET
Puis, quant on a bien follié…70
.
TESTE CREUSE SCÈNE II
Qui est céans ? Hau !! Que dit-on ?
90 Où dyable sont mes compaignons ?
MALOSTRU 71
Que vendez-vous livre d’ognons ?
TESTE CREUSE
Livre et demie.
NIVELET
C’est bon pris72.
MALOSTRU
Ho ! ho !
NIVELET
Les plus rouges73 y sont prins.
MALOSTRU
(Je le voys74 coppier de près.)
TESTE CREUSE
95 Pour ung Jeu nouveau tout fin frès75,
Ne76 sçauroit-on avoir mémoire ?
MALOSTRU
(Avant, ung lardon !)
NIVELET
Venez boire77.
MALOSTRU
Il est aultre part occuppé78.
NYVELET
Veu qu’il est patté79 et huppé80,
100 Il deveroit estre privé81.
MALOSTRU
(Quel lardon pour faire cyvé !)
NYVELET
C’est bien coppié sur le vif.
.
TESTE CREUSE 82 SCÈNE III
Je suis terriblement pensif
Que je ne voy icy personne.
.
SOTIN, en chantant SCÈNE IV
105 Par où m’en iray-je ? 83
TESTE CREUSE
Ho !!
SOTIN
Qui tonne84 ?
TESTE CREUSE
106 [Cesse ce chant !]85
SOTIN, en chantant
Mâchez 86…
TESTE CREUSE
Houp ! [Rien !]
SOTIN [en chantant]
107 [Mâchez] estront, estront [de chien 87] !
TESTE CREUSE
108 [Cesse ce chant, et] mot [ne sonne88] !
SOTIN
109 Vécy ung terrible crestien89 !
TESTE CREUSE
110 Ha ! ha !
SOTIN
B ! b !
TESTE CREUSE
Se t(u) y…
SOTIN
Et ! rien, rien !
TESTE CREUSE
111 Haye !
SOTIN
Haye !
TESTE CREUSE
Ilz sont ychy90.
SOTIN
Et bien ?
TESTE CREUSE
112 Pousse91 !
SOTIN
Hen !
TESTE CREUSE
Dieux ! [tant faire !]
SOTIN
Tant dire !
TESTE CREUSE
113 Hé bon !
SOTIN
C’est [ung] droit ancien.
TESTE CREUSE
114 Y ! y ! y ! y ! y !
SOTIN
Vécy bien pour rire92 !
TESTE CREUSE
115 Bref !
SOTIN
Hardy !
TESTE CREUSE
[Et ! c’est…]93
SOTIN
[ Quoy, messire ?
TESTE CREUSE
116 C’est… c’est… c’est…
SOTIN ]
Dieu vous aid94, beau sire !
TESTE CREUSE
117 C’est…
SOTIN
Tout ung.
TESTE CREUSE
Tencé ?
SOTIN
Tencé.
TESTE CREUSE
[ Las !
SOTIN
118 ………….
TESTE CREUSE ]
Homp ! homp !
SOTIN
Comment ?
TESTE CREUSE
Bas !
SOTIN
119 Ha ! sang bieu ! Laisse-moy, pardine95 !
TESTE CREUSE
120 Mais… Mais, mais…
SOTIN, en chantant
Estront, estront, las las las,
121 Mâchez, mâchez, dea !
TESTE CREUSE
Dea ! dea ! dea !
SOTIN
Mais tant de fatras !
TESTE CREUSE
122 On a96…
SOTIN
Dy que c’est.
TESTE CREUSE
Or devine.97
SOTIN, en chantant
123 Ce n’est que ruse, la pappine.98
TESTE CREUSE
124 Le grant Dea…
SOTIN, en chantant
Faictes bonne mine,
125 Et ne riez point [comme un fol] !
TESTE CREUSE
126 …ble te puisse rompre le col !
SOTIN
127 [Et !] Qu’i a-il ?
TESTE CREUSE
Par sainct…
SOTIN
Quoy ?
TESTE CREUSE
…Pol !
128 Tu réveilles le « chat99 » qui dort !
SOTIN
129 Qu’esse à dire ?
TESTE CREUSE
Tel rid qui mord100…
SOTIN 101
130 Esse tout ?
TESTE CREUSE
C’est tout, voirement.
SOTIN
Ne sçau[r]oyes-tu…
TESTE CREUSE
Nenny, vrayement.
SOTIN
Pour si peu, doibt plutost respondre :
En chantant :
Faictes-le tondre, tondre, tondre,
Faictes-le tondre, il est trop grant !
.
MALOSTRU SCÈNE V
135 Par saint Jehan, vélà trèsbeau chant !
NYVELET
Voire, mais qu’il fust bien hersé102.
.
SOTIN SCÈNE VI
C’est103 l’art de foller renversé104.
TESTE CREUSE
[Ne] scès-tu rien de bon qu’on face ?
[SOTIN]
Se j’avoys quelque vieille Farce,
140 Par le sang bieu, nous la jourion.
TESTE CREUSE 105
Regardons bien106 que nous diron :
Vélà ne sçay quelz appliquans107
Qui pourroi[e]nt estre répliquans,
Se nous disons rien108 de travers.
SOTIN 109
145 Je voy là des livres ouvers ;
Sçaichons se les congnoissons point.
.
TESTE CREUSE SCÈNE VII
Dieu gard les gallans !
MALOSTRU
Et vous doint
À ung chascun cent mile escus !
NYVELLET
(Ilz [s’yroient tost]110 rendre reclus
150 Ou111 cordeliers de l’Observance.)
SOTIN
N’avez-vous point céans la Dance
De Macabré par parsonnaiges112 ?
MALOSTRU
Vous meslez-vous de telz ouvraiges ?
TESTE CREUSE
Aultre foys, m’en suis desmenté113.
NYVELET 114
155 Je sçay juste vostre santé.
Vous me semblez ung dorelot
Sade, faictis115, propre et mignot :
Ung droit petit dimenchereau116 !
TESTE CREUSE
Se vous avez rien117 de nouveau,
160 Pour Dieu, que point on ne le celle.
MALOSTRU 118
J’ay la Basse dance 119 nouvelle.
SOTIN
Et vous ?
NYVELET
J’ay ce120 rosty boully.
[TESTE CREUSE] 121
En viendrez-vous bien au [fai]t ?
NIVELET
Luy-
Voyez seullement les tallons122 !
SOTIN
165 Allons-m’en !
TESTE CREUSE
Ilz n’ont rien.
SOTIN
Allons !
TESTE CREUSE
Vous n’avez point chose qui monte123 ?
MALOSTRU
Si ay, mais vous n’en tenez compte.
TESTE CREUSE
J’entens assez bien jobelin124.
MALOSTRU
J’ay la Farce 125 de Patelin,
170 Poitrasse, et le Pouvre Jouhan.
SOTIN
Ilz sont trop vieilles, mésouen126 ;
Ce n’est pas [là] ce qu’il nous fault.
MALOSTRU
Voullez-vous farce d’eschauffault127 ?
TESTE CREUSE
Non128.
MALOSTRU
Farce de nopces129 ?
SOTIN
Jamais !
MALOSTRU
175 Ou de collièges130 ?
TESTE CREUSE
Pour tous metz,
Nous demandons farce de bande131.
MALOSTRU
Vostre cause trèsbien s’amende :
La Fillerie 132 est bonne farce.
SOTIN
Nous n’en voullons point de si grasse !
MALOSTRU
180 J’ay la Farce des trois Coquins 133.
TESTE CREUSE
Ce sont ouvrages trop badins.
Nous demandons Jeux plus nouveaux.
MALOSTRU
Ha ! j’ay la Farce des Oyseaulx 134 :
Esse chose de bien ?
[SOTIN
C’est basme !
MALOSTRU] 135
185 Vous en jourez trèsbien la femme :
Vous avez le corps tant faictifz136,
Les yeulx rians, le nez traitifz137 ;
Il semble que vous soyez fard[é]e.
NYVELET
Qu’el soit coppi[é]e !
MALOSTRU
Mais lardée !
[TESTE CREUSE] 138
190 Et moy, quoy ?
NIVELET
Tenez-vous illec139…
Vous jouriez bien le Jaune Bec140.
Ou au besoing, la Damoiselle,
Aussi doulcet q’une pucelle.
MALOSTRU
(Voire, ou comme ung meurtrier de boys141.)
TESTE CREUSE
195 J’ay ung petit trop grosse voix142.
MALOSTRU
Ne la sçauriez-vous ung peu faindre ?
On ne sçauroit au monde paindre
Plus beau visage de val(le)ton143.
NYVELET
La belle foussette au menton,
200 Les yeulx verds,
MALOSTRU
Petite bouchette,
[NYVELET]
Et la manière tant doulcette,
MALOSTRU
Les joes vermeilles,
NYVELET
Le nez tortu144.
MALOSTRU
(Larde, Nyvelet !)
NIVELET
(Malostru,
Coppie !)
SOTIN
Et moy, [quoy145], par-derrière ?
NIVELET
205 Vous jouriez bien la bachelière146.
SOTIN
Ay-je point trop larges espolles ?
MALOSTRU
Aussi droit, par Dieu, comme gaulles !
NYVELET
Quarray comme une belle fluste147 !
TESTE CREUSE
Semblé-je ung amoureux ?
MALOSTRU
[Tout] juste148.
NIVELET
210 Voire amoureux de Portingal149.
MALOSTRU
(Quel lardon !)
NYVELET
Il n’a150 rien de mal.
TESTE CREUSE 151
Cheminé-je point bonne alleure ?
MALOSTRU
Tout beau, la terre n’est pas seure !
SOTIN
Et moy ?
NYVELET
(Qu’il me soit coppié !)
MALOSTRU
215 À veoir seullement vostre pié,
Je vous jugeroys pour tout seur
Estre ung trèshabille152 danceur.
NYVELET
Danceur ? Par mon seigneur sainct Pierre !
Il yroit sur patins de voirre153,
220 Tant marche mignon le pavé.
MALOSTRU
(Oncques vieil poullain destravé154
Ne tumba cul155 par-dessus teste,
Comme feroit la povre beste156,
S’il oyoit sonner ung bedon157.)
NYVELET
225 Quel Allemant !
MALOSTRU
[Mais] quel godon158 !
NYVELET
Cr(oy)ez qu’il est vaillant quant il tonne159.
TESTE CREUSE
Que vous semble de ma personne ?
MALOSTRU
Ung petit seigneur, sur mon âme !
SOTIN 160
Qu’esse-là ?
NYVELET
[Ne vous chault : c’est basme.]161
SOTIN 162
230 Rouge raige163 !
MALOSTRU 164
(Est-il coppié !)
NYVELET
Hélas, qu’il est bien appuyé165
[De lardons ! Ne s’en peult cacher166.]
MALOSTRU
Il ne peult mieulx sans trébucher167.
SOTIN
Ne moy.
TESTE CREUSE
Qu’esse qu(e) escripvez cy ?
MALOSTRU
Je coppie les fais d’aultruy.
SOTIN
235 En estes-vous si fort engrans168 ?
MALOSTRU
Il y a, par Dieu, bien deux ans
Que je ne cesse de coppier.
TESTE CREUSE
Pas n’y voullons tant employer,
Il nous cousteroit trop d’argent.
MALOSTRU
240 C’est le mestier de mainte gent
Que de coppier.
SOTIN
Et vous, là,
Que faictes-vous ?
NYVELET
[Que je fais ? Dea !
Pour le gallant qui ne s’en garde,
Je m’esbatz, je raille, je larde,]169
245 Je sers de[s] lardons et brocards :
C’est ce que fault ad ces coquars
Qui veullent trencher du gros bis170.
TESTE CREUSE
Çà, çà ! Proficiat vobis 171 !
Vous n’avez point bien nostre sorte.
.
MALOSTRU SCÈNE VIII
250 Pour garder quelque vieille porte172,
Avons173 raillons à plaine bouche,
NYVELET
Tout fin près d’aultruy174 mettre en broche,
Mieulx lardé qu’oncques fut connyn175.
MALOSTRU
Quel glorieulx sot !
NYVELET
Quel jényn176 !
255 Est-il coppié ?
MALOSTRU
Dieu le scet !
Et de lardons ?
NYVELET
Ouy, plus de sept :
Aussi bien garny que de bourre177.
MALOSTRU
Ilz ne cherront point pour escourre178.
NYVELET
Point ne s’en guectent179 les gallans.
.
SOTIN SCÈNE IX
260 Ha ! saincte sang bieu, quelz chalans180 !
TEST[E] CREUSE
Comment ?
SOTIN
Il181 y pert, par-derrière.
TESTE CREUSE
Qu’esse ?
SOTIN
J’entens bien la manière :
Pour neant n’est-on plus182 regardé.
TESTE CREUSE
La cause ?
SOTIN
Ilz [t’]ont au vif lardé.
TESTE CREUSE
265 Lardé ?
SOTIN
Voire, lardé.
TESTE CREUSE
De quoy ?
SOTIN
De lard.
TESTE CREUSE
C’est bien dit, par ma foy !
Lardé ?
SOTIN
Lardé de tous costéz.
TESTE CREUSE
Lardé, dea, lardé ?
SOTIN
N’en doubtez ;
De grans183 lardons gros et espais.
270 Et moy ?
TESTE CREUSE
Par le sang bieu ! tu l’es.
Tenez : quelz lardons !
SOTIN
Pour certain ?
TESTE CREUSE
Taste, boute[s] icy la main…
SOTIN
Ilz nous ont lardéz jusqu(es) au vif.
TESTE CREUSE
Quel remède ?
SOTIN
Je suis pensif.
TESTE CREUSE
275 Voyoyes-tu point qu’on te lardoit ?
SOTIN
Mais toy-mesmes qu’on coppioit ?
TESTE CREUSE
Coppieurs sont-ilz en usaige ?
SOTIN
Lardeurs jouent[-ilz] leur parsonnaige184 ?
TESTE CREUSE
Coppie-on maintenant le monde ?
SOTIN
280 Lardeurs tien[n]ent-ilz table ronde ?
TESTE CREUSE
Sommes-nous ainsi coppiéz ?
SOTIN
Lardeurs nous ont-ilz espyéz ?
TESTE CREUSE
En coppiant, on se jouoit.
SOTIN
En lardant, hume-on son brouet185 ?
TESTE CREUSE
285 Que copieurs fussent si fins !
SOTIN
Que lardeurs eussent telz engins186 !
TESTE CREUSE
M’a-t-on coppié si à coup187 ?
SOTIN
M’a-on lardé tout à ung coup ?
TESTE CREUSE
Lequel l’est le plus, de nous deux ?
SOTIN
290 Ha ! je changeray, se tu veulx.
TESTE CREUSE
Tu l’es le plus.
SOTIN
Sauf vostre grâce.
TESTE CREUSE
Je ne sçay quel maigre ne quel grasse188 :
Je suis aussi gras q’ung huillier.
SOTIN
On m’a bien gardé au [moins d’huiller]189 ;
295 Tu es engressay daventaige.
TESTE CREUSE
N’esse pas grant despit ?
SOTIN
Mais raige !
TESTE CREUSE
Je cuidoyes faire ung190 bon varlet.
SOTIN
Où sont les Sotz de Triboulet,
Pour nous venger de cest erreur ?
TESTE CREUSE
300 Il fault avoir son Escumeur
De latin, s’on le peut trouver.
SOTIN
Par ce point, pourrons recouvrer
Nostre honneur.
TESTE CREUSE
Fais-moy bonne myne,
Et va sçavoir en la cuisine191
305 S’on en peust finer nullement192.
SOTIN
G’y voys193.
.
TESTE CREUSE SCÈNE X
Lardéz si vivement !
Lardéz de lardons si quarréz,
Gros lardons qui vous sont ferréz194 !
Lardéz sans s’en appercevoir !
310 Les lardeurs font bien leur devoir.
Sommes-nous lardéz de tel lard ?
.
SOTIN 195 SCÈNE XI
Il fault que nous apprenez l’art
De la cuisine, s’il vous plaist.
TESTE CREUSE
Mon seigneur, vous voyez que c’est196 :
315 Nous sommes lardéz tout à plain.
Tenez : j’ay le dos tout fin plain
De lardons poignans et agus197.
L’ESCUMEUR DE LATIN
Je veux relai[n]quer voz argus198,
Ce n’est pas moderne négoce199.
320 D’où pulule ce paradoce
D’incommodité tant varie200 ?
SOTIN
Je ne sçay, par saincte Marie !
En parlant à ces deux coquars,
Nous ont donné tant de brocquars
325 Et de lardons de tous costéz,
Sans que nous en soyons doubtéz !
Il y fault pourvoir, quoy qu’on face.
L’ESCUMEUR DE LATIN
Je conseille, moy, qu’on les farce201.
SOTIN
Qu’on les farce par quel(le) façon ?
[L’ESCUMEUR DE LATIN] 202
330 Ainsi que l’on farce ung cochon.
Qui le peust faire scet203 assez.
SOTIN
Les coppieurs seront farcéz.
TESTE CREUSE
Et les lardeurs tout pesle-mesle.
SOTIN
C’est une science nouvelle.
TESTE CREUSE
335 Il fait bon vivre et rien sçavoir204.
On apprent tousjours.
SOTIN
Tu dis voir205.
Mais de la manière, quel[z] pars206 ?
L’ESCUMEUR DE LATIN
Cavons de remaner207 dispars,
Et immictez bien mes vestiges208 ;
340 Et nous involviron noz liges209
Pour les dissipper210 [tout] subit.
TESTE CREUSE
À grant-peine sçay-je qu’il dit.
SOTIN
J’entens ung petit211 son patoys.
TESTE CREUSE
Mais où prendre212 herbes, touteffois,
345 Pour ceste farce composer ?
SOTIN
Il fault des choses d’ung chosier213,
Et d’aultres choses ung grant tas.
L’ESCUMEUR DE LATIN
Pour élucider214 vostre cas
Sans magna ambiguïtaté215,
350 J’ay icy une humidité216,
Ung saulpiquet et une salse217
(Laquelle se fait voquer218 « farce »)
Pour [farcer ygnares]219 sociéz.
TESTE CREUSE
Pour certain ?
L’ESCUMEUR DE LATIN
N’en soyez dubiéz220 :
355 On en a farcy maint cochon.
TESTE CREUSE
J’en prise beaucoup la façon.
SOTIN
Allons noz coppieurs farcer !
TESTE CREUSE
Allons noz lardeurs renverser !
L’ESCUMEUR
Pergez221 prieurs.
SOTIN
Qu’esse qu’il dit ?
TESTE CREUSE
360 Prieurs ? En portons-nous l’abit ?
L’ESCUMEUR
Ambulez222 !
SOTIN
Faisons bonne myne.
TESTE CREUSE
Vécy de la farce aussi fine
Que l’en sçauroit jamais finer223.
.
L’ESCUMEUR SCÈNE XII
Pour le nostre effect dés[i]gner224,
365 Bonna dïès 225 !
MALOSTRU
Et vous aussi !
NYVELET
Quel Vaspasien226 esse-cy ?
Il le fault coppier.
MALOSTRU
Trop bien.
SOTIN
Puisque vous sçavez le moyen
De coppier ainsi partout,
370 Ne sçavez-vous venir à bout
De nous coppier ce gallant ?
[ TESTE CREUSE
Qu’il soit coppié maintenant ! ]227
MALOSTRU
Comment ! est-il borgne d’ung œil228 ?
Il semble qu(e) ouy, dont j’ay grant dueil ;
375 Ou s’il contrefait cy le lousche ?
SOTIN
Quant vous luy ferez229 cy la bouche,
Faictes-la de bonne mesure.
MALOSTRU
Ne vous chault, la besongne est seure.
TESTE CREUSE
Et les joes aussi, regardez,
380 Sur ce point que bien entendez,
De les luy faire si enflées230.
SOTIN
Ces231 choses-cy soient eslevées !
MALOSTRU
Sang bieu, que vous estes hâtif !
NIVELET
Coppiay sera sur le vif.
TESTE CREUSE
385 Il a plus large fronc que vous232.
MALOSTRU
Je le vous feray à deux coups.
SOTIN
Et si, a cecy plus quarray233.
MALOSTRU
Ne vous en chaille, g’y asserray
La pourtraicture234 droictement.
L’ESCUMEUR DE LATIN 235
390 Maculez-les festinement236
Au brodié de la coquine237 !
NIVELET
Il fait une terrible mine !
TESTE CREUSE
Il porte ung terrible visaige !
MALOSTRU 238
Regardez-moy cy son ymaige :
395 Est-il coppié proprement ?
Vélà son menton droictement,
Vélà son nez aussi poinctu,
Vélà son front aussi nervu,
Vélà ses sourcilz aussi noirs,
400 Et vélà ses yeulx aussi vers.
On ne sçauroit myeux coppier.
L’ESCUMEUR DE LATIN 239
Pergez ! Il nous fault revier240,
Et fréquenter le domicille241.
Et formide242 fort et vacille
405 Que l’eure ne soit prétérite243.
TESTE CREUSE
Puisque la chose est si subite,
À Dieu, seigneurs !
NYVELET
À Dieu, chaslans !
.
MALOSTRU SCÈNE XIII
Ilz sont coppiéz, les gallans.
NYVELET
C’est le cas.
MALOSTRU
Il est tout notoire.
NYVELET
410 Qui t’a fait la face si noire ?
MALOSTRU
Mais qui t’a ainsi barboullié ?
NYVELET
Bénédicité !
MALOSTRU
Saint Grégoire !
NYVELET
Qui t’a fait la face si noire ?
MALOSTRU
Tu te mocques !
NYVELET
Encores, [voire,]
415 Onc(ques) homme ne fut mieulx soullié.
MALOSTRU
Qui t’a fait la face si noire ?
NYVELET
Mais qui t’a ainsi barboullié ?
MALOSTRU
C’est bien dit !
NYVELET
C’est bien gargoull[i]é244 !
MALOSTRU
Mais me cuides-tu faire paistre ?
NYVELET
420 On [m’]a jouay ung tour de maistre.
MALOSTRU
Nous a-on telz brouetz brasséz245 ?
.
SOTIN SCÈNE XIV
Or sont les coppieurs farcéz.
TESTE CREUSE
Et les lardeurs en ont leur part.
SOTIN
Lardéz ont esté de leur lard.
TESTE CREUSE
425 C’est la fasçon.
SOTIN
C’est le s[e]tille246.
TESTE CREUSE
Or voisent coppieurs de ville247
Maintenant coppier assez !
Car ilz sont les premiers farcéz,
On le voit.
SOTIN
Et ces rauderaulx248
430 Qui contreffont [cy] les bourreaux,
Lardant249 les aultres hardiement :
Car ilz sont farcéz vivement,
Ilz ne s’en sçauroient excuser250.
.
NIVELET SCÈNE XV
T’es-tu laissay tant abuser ?
MALOSTRU
435 T’es-tu laissay tout abestir251 ?
NYVELET
Ne m’en sçavoys-tu advertir ?
MALOSTRU
Ne m’en sçavoyes-tu faire saige252 ?
NYVELET
Qui sont-ilz, ces gallans ?
MALOSTRU
Que sçay-je !
NIVELET
Au vray, nous sommes bien trompés.
MALOSTRU
440 Au vray, nous sommes attrappéz.
NYVELET
En coppiant, on te farçoit.
MALOSTRU
Et en lardant, on te lardoit.
NYVELET
C’est assez dit pour une fois.
MALOSTRU
Vous, applicquans, gentilz galloys
445 Qui coppiez Dieu et le monde :
Gardez que sur vous ne redonde253
Vostre coppiement, désormais.
NYVELET
Et vous qui lardez, pour tous metz,
De lardons poignans et faictis254 :
450 Ne soiez point si abestis
Qu’on vous larde de vostre lard.
Adieu vous dy, il est jà tard.
.
EXPLICIT
*
1 Voir Bruno Roy : Pathelin : l’hypothèse Triboulet. Paradigme, 2009. 2 Nous sommes dans la Grande Salle du château d’Angers, au bas de marches qui symbolisent le parvis d’une église. La cheminée monumentale va être utilisée, de même qu’une porte censée conduire aux cuisines. 3 TRIBOULET : la Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles. Bibliothèque GKC, 2011, pp. 237-306. 4 Le Recueil Trepperel. Les Sotties. Slatkine, 1974, pp. 179-183. 5 Une version postérieure – ou antérieure – comportait 6 personnages : Rossignol jouait avec les deux jeunes Sots, comme il l’affirme dans les Sotz qui corrigent le Magnificat (vers 29-38). 6 Imbécile. « Ce folz malostruz. » ATILF. 7 Imbécile. Voir la note 169 de Marchebeau et Galop. 8 « Teste creuse, ou cerveau creux : fol, fantastique, resveur. » (Antoine Oudin.) Ce jeune comédien joue le même rôle dans les Sotz qui corrigent le Magnificat. 9 Ce jeune comédien joue dans Magnificat. Beaucoup plus tard, on le retrouvera dans le Prince et les deux Sotz, dont il est probablement l’auteur. 10 En 1529, Geoffroy Tory dira de la langue française : « Il y a trois manières d’hommes qui s’esbastent & efforcent à la corrompre & difformer : ce sont Escumeurs de latin, plaisanteurs, & jargonneurs. » (Champ fleury.) Rabelais reprendra sans le nommer les exemples de Tory –avec un peu plus d’humour que lui– au chapitre 6 de Pantagruel, où un écolier limousin « escorche le latin » à bride abattue. 11 Malotru et Nivelet font connaissance. Ils ont dressé leur étal respectif au pied des marches d’une église (les parvis se prêtaient au commerce). Malotru est assis à une table couverte de livrets de théâtre, et il en copie un. Au second degré, copier = se moquer. Voir le v. 25 de Frère Frappart, ou le v. 158 de Troys Gallans et Phlipot. 12 Comment vont les affaires ? Nivelet, qui est rôtisseur, enfile des lardons sur une broche, devant la cheminée, qui tient lieu de braséro. Au second degré, larder = se moquer. Lardon = moquerie. « Quels lardons/ Pour larder ung jeune follet ! » Farce des Oyseaulx. 13 Une broche qui tourne sur le gril. 14 Sous le porche de cette église. 15 Je prépare. On attendrait « mettre en broche » ; mais la locution « mettre en coche » s’applique aux archers qui positionnent leur flèche avant de la décocher. 16 Tu ne fais pas semblant. Cf. le Ribault marié, vers 576. 17 Nivelet connaît le nom de Malotru parce qu’il est inscrit sur le côté de la table qui fait face au public. Au théâtre, le nom des personnages allégoriques était parfois écrit : voir par exemple celui de Folie, dans la Folie des Gorriers. Cette coutume vient des phylactères, ces ancêtres des bulles de bandes dessinées, qui nomment les personnages des illustrations. 18 Pour se moquer des passants, Malotru dessine leur portrait. 19 En un mot. Cf. Frère Frappart, vers 134. 20 En bon caricaturiste, Malotru espionne les faits et gestes de ses contemporains. 21 Vive celui qui plante des lardons sur une broche. Ou plutôt : celui qui pique ses victimes. Cette expression apparaît dans la Vie et Passion de monseigneur sainct Didier ; il ne faut donc pas la confondre avec « Vienne qui plante : arrive ce qu’il pourra. » Antoine Oudin. 22 Quelles attaques, quels coups de pique. Cf. Trote-menu et Mirre-loret, vers 212. 23 Celui qui est renommé. Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 76. 24 L’épinoche est un poisson hérissé d’épines. 25 Les copistes sont en général des clercs. Malotru fait semblant de comprendre « clair ». Même calembour au vers 228 de Magnificat. 26 « Eau-e » compte pour 2 syllabes. « Ceste eaue distillée qui estoit clère comme eaue de roche. » Le Parangon de nouvelles. 27 Celui qui ne boite pas. 28 Que celui qui. Le proverbe exact est dans Pates-ouaintes : « Qui sera morveux,/ Si se mouche. » L’envoi de cette ballade aurait dû commencer par le mot « Prince ». 29 Profonde. 30 Les vers 32-81 sont représentatifs de la folie verbale des Sots. Ils ont un sens, mais leur débit de mitraillette produit un effet comique indépendant du sens. Inutile de dire que Trepperel n’y a rien compris. 31 Pour décocher des flèches en moquerie. 32 De sorte que je rie en raillant le raillé. 33 Je décoche des flèches bien décochées. 34 Pour railler en raillerie. 35 Railleur raillant, je raille les raillables bien raillés. Les copieux –c’est-à-dire les copiés– sont les victimes des railleurs, comme à 74. 36 Se moquent d’un niais. 37 De moqueries ils le brûlent. On barde la viande avec du lard avant de la mettre sur le feu. C’est ce qui advient à Panurge quand des Turcs veulent le faire cuire : « Les paillars Turcqs m’avoient mys en broche, tout lardé comme un connil. » (Pantagruel, 14.) 38 T : enlargissent (Ils décochent leurs moqueries.) En lourdois = grossièrement. Cf. les Vigilles Triboullet, vers 312. 39 Les copistes. Quand les moqueurs taquins piquent. 40 Les railleurs coupent le panache qui orne leur casque (note 64). 41 Ils raillent les raillés en catimini. « Que je ne m’en suis pas allé/ Avecques ma femme, en coquoys. » Chagrinas. 42 Par mes railleuses railleries. 43 T : lourdemement (Je décocherai des flèches fortement.) 44 Tellement que même les railleurs en seront raillés. 45 T : coppies (Où ment une abondante raillerie.) 46 Mes moqueries piqueront encore plus. 47 Les raillants railleurs, équipés de leur flèche. 48 En muniront leurs arcs. 49 Ils sont vainqueurs. Cf. l’expression « avoir 15 et ses as » : « Je luy donne quinze et ses ars,/ S’il emporte le beau du jeu. » ATILF. 50 Les canards. (Cf. les Sotz nouveaulx farcéz, vers 211.) Le canard, avec son coin-coin nasillard, a l’air de se moquer. 51 On doit les brocarder. (Idem vers 72.) « Larder,/ Mocquer, despriser, raffarder. » ATILF. 52 Je raille et je déchire un grand péché. Cf. « battre sa coulpe ». Idem vers 75. 53 T : coupperent 54 T : quen (qui détruit la paronomase qu’au pied / copié.) Couper au pied = fouler aux pieds. 55 T : destouppe (Je lacère.) 56 T : coup 57 Muni de moqueries. Ce distique annonce André de La Vigne : « Car pour larder on vous donne lardon./ Lardez donc bien, ou vous serez lardée,/ Et de gras lart si bien entre-lardée,/ Qu’en bien lardant porterez le guydon. » 58 Je suis muni de lardoires (de piques). 59 Moqué (note 51). 60 Quand les raillés briseront leurs coupes. 61 Les railleurs railleront leur faute. 62 Que tu lacères. 63 De moqueuses coupures. Au v. 42, on syncope [on coupe] le panache des victimes. 64 T : coppies (La coppe, ou la coupe, est l’ornement du cimier d’un casque. « [Il] prit ledit Anglois par la coupe de son bassinet. » ATILF.) 65 T : a pou couppes (Apocoper = abréger. Aux vers 49 et 81, « encore » subit l’apocope du « e », puis l’amuïssement du « r ».) 66 Les archers faisaient des concours consistant à mettre leur flèche dans une pie en bois. Le gagnant devenait « roi de la pie ». Celui qui pensait avoir mis dans le blanc disait « pie ! ». Sous forme de proverbe, cette expression est toujours négative : ce n’est pas parce qu’on disait « pie ! » qu’on devenait automatiquement roi de la pie. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 129 et note. 67 Nos arts, nos procédés. 68 T : couppie 69 Crétins. Cf. le Vendeur de livres, vers 115. 70 T ajoute dessous : Je coppie beurre rire se dit on 71 Il fait semblant de croire que ce jeune braillard est un crieur d’oignons. 72 Prix. Une livre d’oignons coûte beaucoup moins cher que la somme d’une livre et demie : « Je vens oignons et eschallotte !/ Mes acquestz y sont si petis ! » Les Cent et sept cris que l’on crie journellement à Paris. 73 Malins. « Que les plus roges y sont pris. » Farce des Oyseaulx. 74 T : voyes (Je vais le brocarder.) 75 Pour jouer une comédie récente. 76 T : Nen 77 Le vin était censé développer la mémoire. « Il n’eust eu ne sens ne mémoire,/ S’il n’eust eu chascun coup à boire. » Vigilles Triboullet. 78 Il est préoccupé, il pense à autre chose. 79 T : pacte (Se dit d’un pigeon qui a de hautes pattes. « Nul ne peut nourrir pigeons patéz et non patéz dedans la ville de Melun. » Godefroy.) 80 Ses cheveux coiffés à la dernière mode ressemblent à la huppe d’une aigrette. On lui proposera plus loin de jouer dans la farce des Oyseaulx, où l’on peut lire : « –Tu as maints jaunes-becs trompés,/ Despuis vingt ans ? –Des plus huppés. » 81 Apprivoisé, comme les oiseaux de proie qu’on utilise pour la chasse. « Mais quant il viendra quelque oyseau/ Soit privé, saulvage ou bocaige. » Farce des Oyseaulx. 82 Il s’éloigne, à la recherche de ses amis les Sots. 83 « Dicte-moy, bergère,/ Par où passerai-ge/ Et par où m’en irai-ge. » On connaît ce poème tel qu’il a été mis en musique au XVIe siècle par Josquin Des Prés ou Pierre de La Rue. Apparemment, un compositeur du XVe siècle l’avait déjà utilisé. H. M. Brown (nº 75) signale une chanson franco-italienne du XIVe siècle : « Per ont m’en iroye, ma douse dame,/ Se aler m’en voldroie ? » 84 Qui fait ce boucan ? Tête Creuse vient encore de pousser un hurlement. 85 T : Se cecech (Correction de Jean-Claude Aubailly : le Monologue, le dialogue et la sottie, p. 262.) La joute verbale de Sotin et Tête Creuse rappelle un peu celle des hérauts Sotin et Coquasse, dans le Tournoi de Chauvency, de Jacques Bretel, en 1285. 86 T : ma chere (« –Étron ! –Mâche ! » est l’équivalent de l’actuel « –Merde ! –Mange ! » Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 285. Cette chanson non identifiée continue aux vers 120-121.) Toute cette scène, en fort mauvais état, est nettement scatologique. Pour Thierry Martin, les deux garçons jouent à touche-pipi. 87 Encore un grand classique de l’imprécation : « Un gros vilain estron de chien/ Luy puisse estouper les babines ! » Le Tesmoing. 88 Ne dis plus un mot ! « Je me tais, mot ne sonne. » Pour porter les présens. 89 T : homme (Chrétien = individu.) 90 T : y chy y y (Prononciation picarde de « ici ». Jeu de mots sur « i(l) chie ».) 91 T : Pouffe (Le « s » gothique est semblable au « f ».) Nous sommes toujours dans le registre scatologique. 92 Il y a bien de quoi rire ! 93 T : Esceust 94 On récitait cette formule aux roteurs, aux éternueurs, et en l’occurrence aux bègues, pour les encourager à finir leur phrase. 95 T : pardu (Pardine, comme pardienne, est une atténuation de « par Dieu ». Voir le Glossaire des patois et des parlers de l’Anjou, II, 84.) 96 J’ai. Tête Creuse cache quelque chose dans sa main. D’après T. Martin, il s’agit de son pénis. 97 T ajoute dessous : Sen que cest 98 Chanson inconnue. En revanche, l’imprécation qui commence au vers suivant et se conclut à 126 est courante : « Le col luy puisse ung grant diable casser ! » Le Vergier d’Honneur. 99 Mon pénis. « C’est un petit manchon fourré/ Où nostre chat se jouë. » (La Muse folastre.) Même vers dans Magnificat, vers 15 et 24. 100 Celui qui montre ses dents risque de mordre. « Les chiens si mordent en riant. » Estourdi et Coquillart, T 2. 101 Il découvre le petit objet que Tête Creuse cachait dans sa main. 102 À condition qu’il soit bien labouré. (Cf. Frère Guillebert, vers 139.) Jeu de mots sur chant et champ. (Cf. Ung jeune Moyne, vers 248.) 103 T : Esse 104 T : renuerser (L’art de folâtrer à la renverse. « À la renverse/ Vous l’avez sus son lict jectée. » Le Poulier.) 105 Petit à petit, les deux jeunes se sont rapprochés des stands de Malotru et Nivelet. 106 Prenons bien garde à ce. 107 Gaillards. Idem vers 444. Cf. la Réformeresse, vers 131. 108 Quelque chose. 109 Il se dirige vers la table du copiste. 110 T : se yroient tantost 111 Aux. Ils entreraient aussitôt dans les Ordres, au lieu de profiter de leurs écus. 112 « Je fis de Macabré la Dance. » (Jehan Le Fèvre.) « Ilz ont joué la Danse Maquabré et plusieurs farses devant mondit seigneur. » (Paris, 1451. Michel Rousse, Archives et documents datés, p. 55.) Attiré par le genre funèbre, Triboulet fit le mort dans ses Vigilles, et il composa un débat où il dialogue avec la Mort. 113 J’en étais fou. Cf. les Gens nouveaulx, vers 2. 114 Pendant toute cette scène, il va discrètement coller des lardons dans le dos des jeunes gens. Brusquet, le fou d’Henri II, fit une pareille blague au maréchal Strozzi : « Brusquet luy larda quasy tout son manteau de ces lardons par-derrière, sans qu’il s’en advisast. » Brantôme. 115 Un minet charmant et bien fait. Cf. le Dorellot aux femmes. 116 Un vrai endimanché. Cf. Magnificat, vers 128. Les deux adultes se raillent de la coquetterie des jouvenceaux. 117 Quelque chose : une pièce de théâtre récente que nous pourrions jouer (vers 139-140). 118 Pendant toute cette scène, il va copier sur une feuille de parchemin la physionomie des garçons. 119 La partition d’une danse chantée. Second degré sexuel : « Mon “flajollet” ne vault plus riens…./ La basse danse doulce et tendre/ Est hors de mon commandement. » Jehan Molinet. 120 T : ee (Ce rôti bouilli : n’oublions pas que Nivelet est rôtisseur. Droz signale cependant la musique d’un Rôty boully joyeulx dans le ms. des Basses danses de la bibliothèque de Bourgogne.) 121 T : malostru 122 Regardez ses talons, vous en conclurez que c’est un danseur. « Une basse dance au talon. » (Rabelais.) Voir les vers 215-217. 123 Une pièce qui a du succès. Les adultes font semblant de comprendre : une chose qui bande. « Dieu luy doinct chose qui se dresse ! » (Frère Phillebert.) Le registre de la moquerie est souvent priapique. Ainsi, un lardon désigne également un pénis : « Dedans sa lèche-fritte j’ay trempé mon lardon. » (Chansons folastres.) 124 T : bobelin (Le jobelin est le double langage des trompeurs. « Les hoirs [héritiers] de deffung Pathelin,/ Qui savez jargon jobelin. » <Les Repues franches.> Selon T. Martin, ce jargon développe un double sens homosexuel qui parasite les 3 pièces nommées aux vers suivants.) 125 T : force (« Et commença dire la Farce / De Pathelin et de Poitrasse. » Vigilles Triboullet.) Pathelin et le Povre Jouhan existent encore, mais la farce scatologique de Poitrasse est perdue. 126 Désormais. Ces trois pièces datent des années 1450-1457. 127 Qu’on joue à l’extérieur sur un échafaud, sur un tréteau. 128 T : Nenny 129 Une farce grivoise qu’on joue à l’occasion d’un mariage, comme la Présentation des joyaux, ou le Sermon pour une nopce. 130 Une farce jouée par des collégiens dans leur établissement, comme les Sotz escornéz, la Résurrection Jénin à Paulme, ou les Premiers gardonnéz. 131 Jouée par une troupe professionnelle, comme c’était le cas des pièces de Triboulet. 132 Les fileries sont des veillées au cours desquelles les fileuses dévident leur fuseau et leurs potins. (Cf. les Évangiles des Quenouilles.) « Et les farces des amoureux,/ Comme la Filerie. » Vigilles. 133 Mendiants. Cette pièce est perdue, et les tentatives d’identification qu’on a proposées ne sont pas cohérentes. 134 Dans cette sottie qu’on appelle également la Pippée, les Sots sont couverts de plumes. La Femme du v. 185 (ou la Damoiselle du v. 192) est Plaisant Follie. Malotru et Nivelet joueront Bruyt d’Amours et Cuider, deux trompeurs qui plument les oiseaux. 135 T : malostre / Cest banlme (C’est du baume : c’est parfait. Cf. Vigilles, vers 22.) 136 Si bien fait (vers 157). On continue à féminiser les adolescents. De ce point de vue, notre pièce n’est pas sans rapport avec les Sotz fourréz de malice. 137 Bien dessiné. Effectivement, Plaisant Follie a « ung nez mignot assez tratis ». Les Oyseaulx. 138 T : Sotin 139 Là, sans bouger. 140 Le blanc-bec qui se fait plumer par Plaisant Follie. 141 Un brigand qui attaque les voyageurs sur les chemins forestiers. « Quelz brigans de boys/ Pour despescher ung bon marchant ! » Actes des Apostres. 142 J’ai la voix un peu trop grave. 143 De page. 144 Tordu, aquilin. 145 Quel sera mon rôle ? Je comble cette petite lacune d’après le vers 190. 146 T : chamberiere (Plaisant Follie est une jeune fille, pas une chambrière. « À elle et à ses bachelières. » Villon.) 147 La gaule du vers précédent inspire à Nivelet un nouveau dérapage sexuel. Quarré = érigé : « Il portoit le plus beau membre, le plus gros et le plus quarré qui fust. » (Cent Nouvelles nouvelles.) La flûte désigne le pénis : « En quel temps est ung con plus joyeux ? Quant il a la fleute au bec. » (Demandes joyeuses en forme de quolibet.) 148 Très exactement. Sous-entendu : à peine. 149 Un sodomite. Jeu de mots sur la porte [l’anus]. « Environ portingal, c’est-à-dire environ les portes des fesses. » (Parangon de Nouvelles honnestes & délectables.) « Portugal, c’est-à-dire les portes des fesses. (Tiel Ulespiegle.) En 1581, Montaigne évoquera, dans son Journal de voyage en Italie, « certains Portuguais » qui, à Rome, « s’espousoient masle à masle à la messe, aveq mesmes sérimonies que nous faisons nos mariages (…), & puis couchoient & habitoient ensamble ». 150 T : n ya 151 Il fait quelques mètres en se dandinant. 152 Très habile 153 Il pourrait marcher avec des semelles en verre. « Et quant par les rues yroit,/ Il marcheroit si bellement/ Qu’on cuideroit tout bonnement/ Qu’il ne touchast du pied en terre,/ Et qu’il eust des patins de voirre. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 154 Désentravé : qui n’est pas attaché. 155 T : c nl 156 Comme le ferait ce pauvre idiot. 157 Un tambour, dont le bruit, lors des parades militaires, faisait cabrer les chevaux mal tenus. 158 Surnom des Anglais, qui juraient par God. « Ces paillars godons d’Angleterre. » (Godefroy.) Les soudards allemands et britanniques étaient connus pour leur rustrerie. 159 Qu’il est courageux quand il y a un coup de tonnerre. Second degré scatologique : Il est vaillant quand il pète. 160 Il s’aperçoit que Tête Creuse a le dos couvert de lardons. 161 T : Baulme (V. note 135.) 162 T : malostru 163 Cri de colère. Cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 262. 164 T : nyuelet 165 Étayé. « La mine (…) est en mauvais estat, et mal apuyée de boys. » ATILF. 166 Il ne peut pas le nier. J’ai reconstitué ce vers perdu. 167 Il ne peut en porter davantage sans trébucher sous leur poids. 168 Désireux. 169 T : Pour le gallant que fais dea / Qui ne sen garde / Je mesbatz / Je raille / Je larde 170 Qui veulent faire les importants. Cf. le Testament Pathelin, vers 372. 171 Que cela vous soit profitable. De cette formule de bienvenue, les garçons font une formule d’adieu : ils s’éloignent. 172 La nuit, des bourgeois armés gardaient les portes des villes fortifiées. 173 T : Ilz ont (Les raillons sont des traits d’arbalète ; l’archer les tient entre ses dents parce qu’il a besoin de ses deux mains pour tendre le guindal. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 92.) Les raillons sont également des traits d’esprit qu’on décoche aux nigauds. 174 T : de 175 Que ne le fut jamais un lapin. Ou le sexe d’une femme : « [Re]gardez se l’atellier est net,/ Devant que larder le connin. » Frère Guillebert. 176 Idiot. Cf. le Prince et les deux Sotz, vers 174. 177 Second degré sexuel : de sperme. « Mais de la bourre d’ung couillart. » Les Femmes qui font renbourer leur bas. 178 Ces lardons ne tomberont pas, même si on les secoue. 179 Ne se méfient. 180 Compagnons. Idem vers 407. Cf. Magnificat, vers 354 et 362. 181 T : ilz (Cela apparaît, du verbe paroir. « Il y pert bien à vo[tre] fasson. » Les Oyseaulx.) Ça se voit quand on regarde ton dos. 182 T : puls (Nous ne sommes plus considérés. « Niant » compte pour 1 syllabe.) 183 T : gros 184 Jouent-ils leur rôle de trompeur. Mais aussi : font-ils des farces aux gens. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 122. 185 Boit-on son bouillon : s’engraisse-t-on. Cf. le Testament Pathelin, vers 133. 186 De telles ruses. Sotin commet involontairement un double sens sexuel. 187 Si brusquement. 188 Calembour grâce / grasse. 189 T : moint de huiller (On ne m’a pas enduit avec de l’huile, comme le gibier qu’on va rôtir.) 190 T : du (Tête Creuse devait jouer le rôle de Jaune Bec, le valleton du vers 198.) 191 L’Écumeur est cuisinier ; il s’exprime donc en latin de cuisine. D’ailleurs, l’adjectif « macaronique » se rapporte à un confectionneur de macaronis. 192 Si on peut l’avoir. 193 J’y vais. Sotin sort par la porte qui mène aux cuisines du château. 194 T : serrez 195 Il revient, accompagné de l’Écumeur de latin qui, en guise de marotte, brandit une écumoire pour écumer le latin. 196 Ce que c’est. 197 Piquants et aigus. 198 Laisser de côté vos discussions. « De relinquer l’opime pour le maigre. » Épistre du Lymosin de Pantagruel. 199 Une affaire d’actualité. 200 D’où provient ce conflit de préjudices si contradictoires ? 201 Qu’on les farcisse. Au second degré, farcer = se moquer (Vigilles, vers 72). Une farce est une moquerie : « Il ne passe si grosse garsse/ Qui n’èt son lardon ou sa farse. » Les Oyseaulx. 202 T : teste creuse 203 T : cest (Sait.) 204 En sachant quelque chose. Ce proverbe existe avec une négation : « Il fait bon vivre & ne rien sçavoir, on apprend tousjours quelque chose. » Antoine Oudin. 205 Tu dis vrai. 206 Quel parti prendre. 207 T : ramonner (Ce mot n’est aucunement latin. Remanere = rester : ce verbe a donné l’ancien verbe remanoir.) Prenons garde à ne pas rester séparés. 208 Suivez mes traces : faites comme moi. 209 Nous roulerons nos sujets. 210 Les disperser, les mettre en fuite. 211 Un peu. 212 T : prins (La farce contient des herbes : dans celle des œufs farcis, Taillevent met « sauge, marjolayne, poulieul [pouliot], mente et toutes aultres bonnes herbes ».) 213 « Il y a bien des choses en un chosier…. Un chosier : mot fait à plaisir ; comme qui diroit, un arbre qui produit des choses. » Antoine Oudin. 214 T : clucider (Pour éclairer votre cas.) 215 T : ambignite (Sans grande ambiguïté.) 216 Un liquide. L’Écumeur donne aux jeunes Sots deux bocaux contenant un liquide noir. 217 Une sauce piquante et une sauce. « Faictes-vous saulpiquet, ou saulce ? » Le Cousturier et le Badin. 218 Appeler. En fait, ce n’est pas de la farce, mais une sauce noire destinée à « farcer », à salir la figure des deux moqueurs. Dans Mahuet, un plaisantin veut noircir le visage d’un jeune naïf : « Croyez qu’il sera bien farsé ! » 219 T : forces ygnores (Pour nous moquer des pédants ignorants.) Cf. Mymy, vers 7 et note. 220 N’en doutez pas. Dessous, T ajoute en vedette : Sotin 221 T : Pargez (Pergere = aller. Idem vers 402.) Allez-y les premiers. 222 Avancez ! 223 Qu’on puisse trouver. 224 Pour vous déclarer notre but. 225 Bonjour. Cf. les Sotz triumphans, vers 202. 226 Quel olibrius. Cf. les Sotz triumphans, vers 165. 227 T : malostru / Ouy bien / Testecreuse / Trestout maintenant / Quil soit coppie 228 L’Écumeur ferme un œil. Il modifie sans arrêt sa physionomie pour ne pas être « copié » facilement. 229 Dessinerez. Pendant que l’Écumeur étire ses lèvres, Sotin touche celles de Malotru et y dépose discrètement de la sauce noire. 230 L’Écumeur gonfle ses joues, et Tête Creuse noircit celles de Nivelet. 231 T : Cest (L’Écumeur hausse les sourcils ; Sotin met du noir sur ceux de Malotru.) 232 Tête Creuse noircit le front de Nivelet. 233 Sotin noircit le menton de Malotru. 234 Je fixerai son portrait. 235 Il parle aux deux Sots. 236 T : festiuement (Rapidement.) 237 Au cul <Gaudisseur, v. 15> du pot <Lacurne, IV 260>. Ce pot, qui mijotait pendant des heures dans la cheminée, avait toujours le cul tapissé d’une couche de suie. 238 Il montre son portrait de l’Écumeur, qui est fort peu ressemblant, et qui pourrait bien faire de Malotru l’inventeur du cubisme. 239 Aux deux Sots. 240 T : renier (Une fois de plus, l’imprimeur a mis le « u » à l’envers.) Reviare = revenir en arrière. Voir le Glossarium de Du Cange. 241 Et rentrer chez nous. 242 T : sormide (Formidare = craindre.) 243 Je crains fort et je tremble que l’heure ne soit passée. 244 Gargouillé, bredouillé. « Comment il guergouille ! » Pathelin. 245 Nous a-t-on trompés à ce point. Cf. le Povre Jouhan, vers 193. 246 Le style. « Car je ne sçay pas le setille. » Les Oyseaulx. 247 Que ces moqueurs de bas étage aillent… 248 Ces plaisantins. 249 T : Lardent 250 Ils ne pourraient le nier. 251 Rendre bête. 252 Ne pouvais-tu me rendre prudent ? Un Sage est le contraire d’un Fol, dont Malotru est un beau spécimen. 253 Ne rejaillisse. 254 Des flèches piquantes et bien tournées.
SŒUR FESSUE
*
SŒUR FESSUE
*
Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée. La nonne est enceinte, mais l’abbesse aurait pu l’être aussi. On connaît d’ailleurs plusieurs versions scéniques d’un Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure, enceinte de son clerc, obtient de la Vierge Marie un accouchement indolore et discret, contrairement à celui des honnêtes femmes ; la Vierge confie le bébé à un ermite, et comme bon sang ne saurait mentir, elle en fera bientôt un évêque.
La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. La religieuse des Mal contentes exhale quelques jolis soupirs aux vers 424-429.
Source : Manuscrit La Vallière 1, nº 38.
Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle
à cinq personnages
C’est assavoir :
L’ABEESSE
SEUR DE BON-CŒUR
SEUR ESPLOURÉE
SEUR SAFRÈTE 2
SEUR FESSUE
*
SEUR ESPLOURÉE commence SCÈNE I
Seur de Bon-cœur, je suys perdue,
Et me treuve tant esperdue
Que plus n’en puys !
[SEUR DE BON-CŒUR] 3
Qu’esse, ma seur ?
Quel nouvèle av’ous entendue ?
5 Quoy ! vous estes-vous estendue
Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin.
SEUR DE BON-CŒUR
Rendez mon esprit seur5.
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
SEUR DE BON-CŒUR
Hélas !
Donner je vous pouroys soulas,
10 Et vous garder de desplaisir.
Dictes-le-moy tout [à] loysir :
À ses amys, rien ne se celle.
SEUR ESPLOURÉE
A ! ma mye…
SEUR DE BON-CŒUR
Prenez une selle6.
Vous estes bien fort couroucée.
15 Déclarez-moy vostre pencée :
Qu’avez-vous ?
SEUR ESPLOURÉE
Rien.
SEUR DE BON-CŒUR
À brief parler,
Dictes-moy et [ne] mentez poinct.
Vous estes-vous laissée aler7,
Que8 vous tourmentez en ce poinct ?
20 Dictes !
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
Agardez, l’honneur en despent.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est mal chanté son contrepoinct ;
L’honneur sy près du cul ne pent.
SEUR ESPLOURÉE
Sy vous avez hapé le roide9,
25 Agardez, il n’y a remède :
Nostre abesse en faict bien autant !
SEUR DE BON-CŒUR
Par ma foy ! mon cœur se repent
Qu’i fault que j’en oye parler tant.
SEUR ESPLOURÉE
Je vous veuil dire tout contant
30 Que c’est que céans il y a :
Vous congnoyssez bien seur Fessue ?
Frère Roydimet l’a déseue10
Et gastée11.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
SEUR ESPLOURÉE
Elle est deigà grosse et ensaincte.
35 Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :
Nous sommes toutes à quia13
Par son faict.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,
Et à mon plaisir satisfaict
40 Sans estre grosse !
SEUR ESPLOURÉE
Hélas, mon Dieu !
Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,
Comme elle.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Que j’en ay au cœur de détresse
Et de douleur !
SEUR SAFRÈTE SCÈNE II
Et ! qu’esse ? qu’esse ?
45 Que j’entende vostre débat !
Comptez-moy, par forme d’esbat,
Ce que maintenant vous disiez.
SEUR ESPLOURÉE
Ce n’est rien, non.
SEUR SAFRÈTE
Vous devisiez
D’amour, en ce lieu, en commun ?
50 Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :
Je n’en fais pas moins, en tout temps,
Que les bonnes seurs de céans.
Dictes hardiment !
SEUR DE BON-CŒUR
On le sçayt bien
Que toutes on n’espargnons rien
55 Du nostre ; mais tel pissendalle14
Sera cause d’un grand scandalle
Dont nous serons désonor[é]es15.
SEUR SAFRÈTE
Vous me semblez fort esplour[é]es :
Quelle chose av’ous aperceue ?
60 Qui a failly ?
SEUR ESPLOURÉE et SEUR DE BON-CŒUR
ensemble disent :
C’est sceur Fessue
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Quoy ?
SEUR DE BON-CŒUR
Nous n’osons dire.
SEUR SAFRÈTE
Dictes, sy ce n’est que pour rire.
SEUR ESPLOURÉE
Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,
Et de larmes sont mes yeulx plains,
65 Pour la douleur que j’ey conceue.
SEUR SAFRÈTE
Qui cause cela ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Seur Fessue.
SEUR ESPLOURÉE
Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;
Je n’ay ne repos, ne séjour,
Ains de douleur je tremble et sue.
SEUR SAFRÈTE
70 Qui vous faict ce mal ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Sceur Fessue,
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Ouy, mectre à genoulx16
Quelque un ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict comme nous ;
Mais le pire, c’est qu’el est grosse.
SEUR SAFRÈTE
Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !
75 Esbahy[e] suys qu’on le permect.
Mais déclarez-nous, je vous prye,
Sans que son honneur on descrye,
Qui l’a faict ?
SEUR ESPLOURÉE
Frère Rèdymet.
SEUR SAFRÈTE
Hélas ! el est déshonorée.
80 Et ! Vierge Marie honorée !
Où la pourons-nous [bien] cacher,
Le jour qu’el poura acoucher ?
SEUR DE BON-CŒUR
Je ne sçay.
SEUR ESPLOURÉE
J’ey bien descouvert
Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,
85 Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert
Pour estre faicte religieuse.
SEUR SAFRÈTE
Elle est plaisante et amoureuse.
Long temps il y a qu’el aymoyt.
SEUR ESPLOURÉE
Qui, ma sœur ?
SEUR SAFRÈTE
Frère Rèdymet,
90 Rouge comme un beau chérubin19.
Un jour, avec frère Lubin20,
In caméra charitatis 21,
Tout doulcement je m’esbatis ;
Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.
SEUR DE BON-CŒUR
95 Il est tant doulx et amyable,
Sœur Safrète, quant y s’y mect !
SEUR ESPLOURÉE
Ouy, le bon frère Rèdymet,
Quant il a la « teste » dressée
Et que de luy suys embrassée,
100 Ma leçon23 bien tost se comprent.
SEUR DE BON-CŒUR
A ! jamais il ne me reprent24.
Nous vivons no[u]z deulx comme amys :
Aussy mon cœur luy ay promys.
Bon Amour25 ainsy le permect.
SEUR ESPLOURÉE
105 Quant au bon frère Rèdymet,
Je le congnoy digne d’aymer.
Mais afin de n’estre à blasmer,
Pour faindre estre de saincte vye,
Je veuil déclarer par envye26
110 À nostre abesse (ce n’est faincte)
Comme sœur Fessue est ensaincte.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien faict.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien faict, ma sœur.
Nostre bon père confesseur
En orra27 le miséréré.
SEUR DE BON-CŒUR
115 Je vouldroys qu’i28 fust enserré
En ma chambre, pour sa prison.
SEUR SAFRÈTE
Sainct Pierre ! vous avez rayson :
D’amour, aparence il y a
En vos dictz.
SEUR ESPLOURÉE,
allant à l’abeesse pour parler à elle :
Avé Maria ! SCÈNE III
L’ABEESSE
120 Gratia pléna 29 ! Qu’avez-vous,
Qui vous amène devers nous30 ?
SEUR ESPLOURÉE
Sans cause je [ne] vous viens voyr31.
L’ABEESSE
Certes, j’estoys en ce parloyr,
En saincte… contemplation
125 Des mos d’édiffication32,
Atendant l’heure du… menger33.
SEUR ESPLOURÉE
Sy Mort m’estoyt venue charger,
Hélas ! je seroys bien heureuse.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?
130 Regrétez-vous encor le monde ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin, non.
L’ABEESSE
Céans, il habonde
Autant de plaisir[s] savoureulx
Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,
[De]dens ceste maison icy,
135 Povez avoir un amoureulx.
SEUR ESPLOURÉE
Hélas ! mon cœur trop douloureulx
Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse, ma mye ?
SEUR ESPLOURÉE
Seur Fessue,
Qui a faict…
L’ABEESSE
Vous dict-elle injure ?
140 Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,
Elle en sera incarsérée.
Comment ! faict-el la reserrée35 ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Je n’y entens rien en effaict.
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Et quoy ?
SEUR ESPLOURÉE
F[r]icatorès 36.
L’ABEESSE
145 Ô le grosson peccatorès 37 !
Per Dieu38, [elle] habuyct grandos
Punitionnès 39 sur le dos !
Qui l’eust pencé ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle [l’]a faict,
Et a son péché satisfaict,
150 Car elle est grosse.
L’ABEESSE
Ô la laide !
Il y convient mectre remède.
Mais à qui a-elle adonné
Son corps ?
SEUR ESPLOURÉE
[El l’a]40 habandonné
À frère Rèdymet, le moynne,
155 Il y a long temps.
L’ABEESSE
Que de peine41 !
Tenamus chapitrum totus ! 42
Sonnaté 43 clochétas bien totus !
Qu’el véniat 44 !
.
.
SEUR DE BON-CŒUR SCÈNE IV
Sus ! entre nous,
Y nous convient mectre à genoulx45,
160 À ce chapitre.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien dict ;
Je n’y mectray nul contredict.
L’ABEESSE
Or, chantez !
SEUR ESPLOURÉE
Bénédicité ! O lieu de le dire, y chantent 46 :
Voz « huys » sont-il tous fermés ?
Fillètes, vous dormez.47
165 Quant pour vous sont consumméz48
Dormez-vous,
(Fillètes, fillètes vous dormez)
[Mes sens d’amour]49 enflamés,
Dormez-vous, fillètes ?
Fillètes, vous dormez.50
SEUR FESSUE entre SCÈNE V
170 A ! j’éray quelque advercité ;
Je crains fort le punis[s]antés 51.
L’ABEESSE
Vénité, et aprochantez !
Madamus, agenouillaré,
Quia vo[u]z fécit mouillaré
175 Le boudin52 : il est bon à voir !
SEUR DE BON-CŒUR
Vous avez laissé décepvoir
Vostre honneur, dont le nostre en souffre.
L’ABEESSE
Vous en sentirez feu et souffre
En Enfer ; et de vostre vye,
180 N’irez en bonne compaignye
Sans injure. Et ! comme a-ce esté
Qu’avez faict ceste lascheté ?
Vous en souffrirez le trespas !
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez pas
185 Ce qui vous pent devant les yeulx ?
L’ABEESSE
Mon cœur ne fust onc curieulx
D’estre d’honneur tant descouverte53.
SEUR FESSUE
Hélas ! vostre veue est couverte,
Dont vostre grand faulte despent :
190 Ce que devant les yeulx vous pent
N’est pas de tous en congnoissance54.
L’ABEESSE
Puys que sur vous j’ey la puissence,
Je vous pugniray bien à poinct.
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct
195 Ce qui est devant vostre veue ?
J’ey failly comme despourveue
De sens, dont coupable me sens.
Mais…
L’ABESSE
Quel mais ?
SEUR FESSUE
Il en est cinq cens
Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;
200 Et sy56, ne font pas mieulx que moy.
L’ABEESSE
[Encore vous]57 levez la teste ?
Vous estes une faulse58 beste,
Et avez grandement erré.
SEUR ESPLOURÉE
Y luy fault le Miséréré,
205 Pour la faulte qui est yssue59.
SEUR FESSUE
Et ! pardonnez à sœur Fessue !
SEUR SAFRÈTE
Y luy fault donner telle peine
Que de douleur soyt toute plaine,
Puysqu’on la void ainsy déceue.
SEUR FESSUE
210 Et ! pardonnez à seur Fessue,
Pour cela qu’el a entour60 elle.
SEUR ESPLOURÉE
Vrayment, el a juste querelle61 :
Y ne fault pas son fruict62 gaster.
SEUR FESSUE
Qui vous eust voulu trop63 haster,
215 Lors qu’estiez ainsy comme moy,
En plus grand douleur et esmoy
Eussiez esté que je ne suys.
L’ABEESSE
Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :
Qui vous a ainsy oultragée ?
220 Vous estes grosse, et tant chergée65
Que plus n’en povez.
SEUR FESSUE
A ! ma dame,
Frère Rèdymet faict ce blasme
En mainte religion66 bonne.
Mais je vous pry qu’on me pardonne.
L’ABEESSE
225 Où fusse ?
SEUR FESSUE
[De]dens le dorteur67,
À ma chambre, près le monteur68.
Ici tant enquérir ne s’en fault69…
SEUR DE BON-CŒUR
Et que ne criez-vous bien hault ?
SEUR FESSUE
Crier ? Je ne sçay qui en crye70.
SEUR SAFRÈTE
230 Comment ! voécy grand moquerye !
Nostre abeesse en sera blasmée.
SEUR FESSUE
Comment, crier ? J’estoys pasmée.
Et puys en nostre reigle est dict
(Où je n’ay faict nul contredict)
235 Qu’au dorteur on garde silence.
Et sy j’eusse faict insolence,
Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,
C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.
Voyélà pourquoy n’osay mot dire.
SEUR ESPLOURÉE
240 Vouélà bonne excuse pour rire !
SEUR DE BON-CŒUR
Très bien le silence el garda…
L’ABEESSE
Mais escoustez : qui vous garda
De faire signe pour secours ?
On y fust alé le grand cours72,
245 Et n’ussiez receu tel acul73.
SEUR FESSUE
Las ! je faisoys signe du cul,
Mais nul(e) ne me vint secourir74.
SEUR SAFRÈTE
Je n’eusse eu garde d’y courir.
SEUR ESPLOURÉE
Signe du cul ?
SEUR SAFRÈTE
Il est possible :
250 Frère Rèdymet est terrible ;
Et n’eust sceu ceste povre ânière75
Faire signe d’aultre manière.
SEUR ESPLOURÉE
C’est le signe d’un tel mestier76…
L’ABEESSE
Mais il y a un an entier
255 Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu
Nous dire qu’el avoyt conceu ?
SEUR FESSUE
Dire ? Hélas !
SEUR DE BON-CŒUR
Ouy, dire, ouy, dire.
SEUR FESSUE
J’ey bien cause d’y contredire.
SEUR SAFRÈTE
Et comment ?
SEUR FESSUE
Hélas ! quant j’eu failly,
260 Mon cœur alors fut assailly
De repentance et de grand peur
Que l’Ennemy78, qui est trompeur,
Ne m’enportast pour telle faulte.
Demanday à la bonté haulte79
265 Pardon, lequel aulx bons permect.
Et au bon frère Rèdymect
Je demanday confession ;
Lequel, à l’asolution80,
Lors que bien il me descharga81,
270 Absolutement m’encharga
De ne dire ce qu’avions faict
No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict
Pour craincte de dannation :
Car dire sa confession
275 Et dire le secrect du prestre,
C’est assez pour à jamais estre
Danné avec les obstinés82.
SEUR ESPLOURÉE
Certes, nous voélà bien menés !
Ses excuses sont suffisantes.
L’ABEESSE
280 Punye en serez, je me vantes.
Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !
SEUR FESSUE
Hélas ! je vous suply, ma dame :
Ne regardez tant mon péché,
Que le vostre (qui est caché)
285 Ne considérez83.
L’ABEESSE
Ha ! rusée,
Suys-je de toy scandalisée84 ?
SEUR FESSUE
On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre
Un petit festu odieulx,
Mais on ne veoyt poinct une poultre
290 Qu’on a souvent devant les yeulx85…
L’ABEESSE
Ma renommée se porte mieulx
Que la tienne.
SEUR FESSUE
Ne jugez poinct86 !
Les jugemens sont odieulx
Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.
295 Vous le sçavez de poinct en poinct.
Paul87, glorieulx apostre sainct,
Dict que celuy n’aura refuge
D’excuse, qui sera tasché ;
Et que luy-mesme il se juge
300 S’il est subject à tel péché.
L’ABEESSE
Voyélà suffisamment presché !88
Suys-je comme toy, dy, meschante ?
Par Celle-là de qui on chante89 !
Je te feray bien repentir.
SEUR SAFRÈTE
305 Elle se poura convertir,
Ma dame : ce sera le myeulx.
SEUR FESSUE
Ce qui vous pent devant les yeulx,
Qui faict vostre faulte congnoistre,
Nous démonstre qu’i ne peult estre
310 Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.
L’ABEESSE
Ce qui me pent devant les yeux ?
Avé Maria ! qu’esse-cy ?
Vous m’avez trop hastée, aussy :
De venir, j’estoys empeschée.
315 Et ! mon Dieu, que je suys faschée !
SEUR ESPLOURÉE
Croyez, sy les loix ne sont faulces,
Que c’est icy un hault-de-chaulces.
L’ABEESSE
Avé Maria ! Saincte Dame !
Je ne suys moins digne de blasme
320 Que sœur Fessue.
SEUR DE BON-CŒUR
Sont-il d’usance91,
Hault-de-chaulses ?
L’ABEESSE
J’ey desplaisance
De mon faict.
SEUR SAFRÈTE
Et ! Dieu, quel outil !
Les abeesses en portent-il,
Maintenant ? J’en suys en soucy92.
SEUR ESPLOURÉE
325 Un hault-de-chaulses !
SEUR DE BON-CŒUR
Qu’esse-cy ?
L’ABEESSE
Et ! n’en parlons plus.
SEUR SAFRÈTE
C’est pour rire ?
A ! vous ne debvez escondire
Seur Fessue d’absolution.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien nouvelle invention,
330 Porter des chaulces sur la teste.
L’ABEESSE
On en puisse avoir male feste !
SEUR SAFRÈTE
Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.
On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,
Et q’une main l’autre suporte95.
335 Y convient faire en ceste sorte :
Donnez-luy l’asolution.
SEUR ESPLOURÉE
Voeylà très bonne invention.
Vous estes à noz96 audinos.
L’ABEESSE
Tu fessisti sicut et nos 97 ;
340 Parquoy absolvo te gratis
In pécata 98. Nunc dimitis
[In cor bonnum]99, comme au passé100.
Plus oultre, vadé in passé 101 !
SEUR FESSUE
Gratias ! Me voeylà garie.
345 Je n’ay cause d’estre marie102.
SEUR ESPLOURÉE SCÈNE VI
Conclusion : Je trouve erreur caché
Que cestuy-là veult un péché reprendre,
Duquel il est taché et empesché,
Et par lequel en fin on le peult prendre.
350 Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.
La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,
Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103
En prenant congé de ce lieu,
Unne chanson pour dire « à Dieu » !
FINIS
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1 Dans ce même manuscrit, la Mère de ville (composée dans les années 1530) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir d’estre pansue. » 2 Lascive. 3 LV : la IIe seur esplouree (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.) 4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 5 Sûr : éclairez mon esprit. 6 Un siège. 7 Avez-vous fauté ? 8 LV : qui 9 Le raide, le phallus. V. note 10. 10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot. 11 Engrossée. 12 LV : oues (Ouez = oyez, écoutez.) 13 En mauvaise posture. 14 Pisser sur les dalles d’un cimetière est un sacrilège : « Qu’on me brusle ce savetier :/ Il a pissé au cymitière ! » Clément Marot. 15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. Je signale que deux rôles féminins sont tenus par des messieurs dans la réjouissante interprétation de Sœur Fessue qu’ont donné des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada). 16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit : cf. le Tesmoing, vers 332. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ». 17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner “l’amoureuse aubade”/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche. 18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et 448. « D’un jeune sotouard, lequel ne sut trouver l’engin de sa femme la première nuit. » Les Joyeuses narrations. 19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>. 20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Marot. 21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins. 22 LV : est bien (Lubin n’est pas aussi bon “compagnon” que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & à manger. » Miroir de la navigation.) 23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot. 24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ». 25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle. 26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent. 27 LV : aura (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.) 28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141. 29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. Notre fatiste avait lu le Miracle de l’abbesse grosse : voir ma notice. 30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule. 31 LV : voyer (Je ne viens pas vous voir sans raisons.) 32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » Au XIVe siècle, Jehan de Condé mit « un beau abbé joli » dans le lit de l’abbesse ; laquelle, « kant son couvrechief cuida prendre,/ (…) les braies à l’abbé prist,/ Et puis les jeta erranment/ Sur son chief. » <Le Dit de la Nonnète.> 33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.) 34 Aller plus loin. 35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges allaient voir « l’étrécisseuse » qui, avant leur nuit de noce, utilisait l’eau de tan, « les eaux de myrthe, alun & autres astringens pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». Noël Du Fail. 36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme. 37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.) 38 LV : perdien (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.) 39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.) 40 LV : elle a 41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit. 42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée]. 43 LV : sonnare (Sonnez toutes les cloches.) 44 Qu’elle vienne. 45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse. 46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7. 47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ? 48 Partition : consummez — LV : consommes 49 Partition : Mes sens damour — LV : mais sans amours 50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ? 51 La punition, en langage macaronique. 52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur. 53 Dégarnie. 54 N’est pas (encore) connu de tous. 55 LV : ny 56 Et pourtant. 57 LV : leues (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.) 58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet. 59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée. 60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213. 61 Elle a raison de se plaindre. 62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. » 63 LV : tant (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.) 64 Restez ici ! Je continue. 65 Chargée, alourdie. 66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers. 67 LV : dortoueur (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235. Cf. le Maistre d’escolle, vers 4.) 68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé). 69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit. 70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié. 71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. » 72 En courant. 73 Une telle contrainte. 74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet. 75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu. 76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier. 77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari. 78 Le diable. 79 À Dieu. 80 LV : la solution (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.) 81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Elles déchargent quand on les secoue. » (Cyrano de Bergerac.) 82 Les hérétiques. 83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3. 84 Transformée en objet de scandale. 85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3. 86 Matthieu, VII-1. 87 Romains, II-1. 88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique ! 89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges. 90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. Ce passage doit beaucoup au Dit de la Nonnète : « Que savez-vous que il vous pent,/ Belle dame, devant vos ieuls ?…./ Un couvrechef à menus plis/ Vous y pent, dame, ce me samble,/ Qui, par le cor Dieu, bien resamble/ Ce de quoi on couvre son cul. » 91 Est-ce la mode (de porter sur la tête). 92 LV : esmoy (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.) 93 LV : changons en (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.) 94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière. 95 Qu’une main aide l’autre. 96 LV : voz (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.) 97 Tu as fait comme nous. 98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés. 99 LV : Incorbennem (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.) 100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé. 101 Va en paix. 102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché. 103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.