SŒUR FESSUE
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SŒUR FESSUE
*
Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée. La nonne est enceinte, mais l’abbesse aurait pu l’être aussi. On connaît d’ailleurs plusieurs versions scéniques d’un Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure, enceinte de son clerc, obtient de la Vierge Marie un accouchement indolore et discret, contrairement à celui des honnêtes femmes ; la Vierge confie le bébé à un ermite, et comme bon sang ne saurait mentir, elle en fera bientôt un évêque.
La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. La religieuse des Mal contentes exhale quelques jolis soupirs aux vers 424-429.
Source : Manuscrit La Vallière 1, nº 38.
Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle
à cinq personnages
C’est assavoir :
L’ABEESSE
SEUR DE BON-CŒUR
SEUR ESPLOURÉE
SEUR SAFRÈTE 2
SEUR FESSUE
*
SEUR ESPLOURÉE commence SCÈNE I
Seur de Bon-cœur, je suys perdue,
Et me treuve tant esperdue
Que plus n’en puys !
[SEUR DE BON-CŒUR] 3
Qu’esse, ma seur ?
Quel nouvèle av’ous entendue ?
5 Quoy ! vous estes-vous estendue
Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin.
SEUR DE BON-CŒUR
Rendez mon esprit seur5.
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
SEUR DE BON-CŒUR
Hélas !
Donner je vous pouroys soulas,
10 Et vous garder de desplaisir.
Dictes-le-moy tout [à] loysir :
À ses amys, rien ne se celle.
SEUR ESPLOURÉE
A ! ma mye…
SEUR DE BON-CŒUR
Prenez une selle6.
Vous estes bien fort couroucée.
15 Déclarez-moy vostre pencée :
Qu’avez-vous ?
SEUR ESPLOURÉE
Rien.
SEUR DE BON-CŒUR
À brief parler,
Dictes-moy et [ne] mentez poinct.
Vous estes-vous laissée aler7,
Que8 vous tourmentez en ce poinct ?
20 Dictes !
SEUR ESPLOURÉE
Je ne le diray poinct.
Agardez, l’honneur en despent.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est mal chanté son contrepoinct ;
L’honneur sy près du cul ne pent.
SEUR ESPLOURÉE
Sy vous avez hapé le roide9,
25 Agardez, il n’y a remède :
Nostre abesse en faict bien autant !
SEUR DE BON-CŒUR
Par ma foy ! mon cœur se repent
Qu’i fault que j’en oye parler tant.
SEUR ESPLOURÉE
Je vous veuil dire tout contant
30 Que c’est que céans il y a :
Vous congnoyssez bien seur Fessue ?
Frère Roydimet l’a déseue10
Et gastée11.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
SEUR ESPLOURÉE
Elle est deigà grosse et ensaincte.
35 Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :
Nous sommes toutes à quia13
Par son faict.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,
Et à mon plaisir satisfaict
40 Sans estre grosse !
SEUR ESPLOURÉE
Hélas, mon Dieu !
Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,
Comme elle.
SEUR DE BON-CŒUR
Avé Maria !
Que j’en ay au cœur de détresse
Et de douleur !
SEUR SAFRÈTE SCÈNE II
Et ! qu’esse ? qu’esse ?
45 Que j’entende vostre débat !
Comptez-moy, par forme d’esbat,
Ce que maintenant vous disiez.
SEUR ESPLOURÉE
Ce n’est rien, non.
SEUR SAFRÈTE
Vous devisiez
D’amour, en ce lieu, en commun ?
50 Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :
Je n’en fais pas moins, en tout temps,
Que les bonnes seurs de céans.
Dictes hardiment !
SEUR DE BON-CŒUR
On le sçayt bien
Que toutes on n’espargnons rien
55 Du nostre ; mais tel pissendalle14
Sera cause d’un grand scandalle
Dont nous serons désonor[é]es15.
SEUR SAFRÈTE
Vous me semblez fort esplour[é]es :
Quelle chose av’ous aperceue ?
60 Qui a failly ?
SEUR ESPLOURÉE et SEUR DE BON-CŒUR
ensemble disent :
C’est sceur Fessue
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Quoy ?
SEUR DE BON-CŒUR
Nous n’osons dire.
SEUR SAFRÈTE
Dictes, sy ce n’est que pour rire.
SEUR ESPLOURÉE
Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,
Et de larmes sont mes yeulx plains,
65 Pour la douleur que j’ey conceue.
SEUR SAFRÈTE
Qui cause cela ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Seur Fessue.
SEUR ESPLOURÉE
Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;
Je n’ay ne repos, ne séjour,
Ains de douleur je tremble et sue.
SEUR SAFRÈTE
70 Qui vous faict ce mal ?
SEUR DE BON-CŒUR et SEUR ESPLOURÉE
ensemble disent :
Sceur Fessue,
Qui a faict…
SEUR SAFRÈTE
Ouy, mectre à genoulx16
Quelque un ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict comme nous ;
Mais le pire, c’est qu’el est grosse.
SEUR SAFRÈTE
Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !
75 Esbahy[e] suys qu’on le permect.
Mais déclarez-nous, je vous prye,
Sans que son honneur on descrye,
Qui l’a faict ?
SEUR ESPLOURÉE
Frère Rèdymet.
SEUR SAFRÈTE
Hélas ! el est déshonorée.
80 Et ! Vierge Marie honorée !
Où la pourons-nous [bien] cacher,
Le jour qu’el poura acoucher ?
SEUR DE BON-CŒUR
Je ne sçay.
SEUR ESPLOURÉE
J’ey bien descouvert
Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,
85 Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert
Pour estre faicte religieuse.
SEUR SAFRÈTE
Elle est plaisante et amoureuse.
Long temps il y a qu’el aymoyt.
SEUR ESPLOURÉE
Qui, ma sœur ?
SEUR SAFRÈTE
Frère Rèdymet,
90 Rouge comme un beau chérubin19.
Un jour, avec frère Lubin20,
In caméra charitatis 21,
Tout doulcement je m’esbatis ;
Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.
SEUR DE BON-CŒUR
95 Il est tant doulx et amyable,
Sœur Safrète, quant y s’y mect !
SEUR ESPLOURÉE
Ouy, le bon frère Rèdymet,
Quant il a la « teste » dressée
Et que de luy suys embrassée,
100 Ma leçon23 bien tost se comprent.
SEUR DE BON-CŒUR
A ! jamais il ne me reprent24.
Nous vivons no[u]z deulx comme amys :
Aussy mon cœur luy ay promys.
Bon Amour25 ainsy le permect.
SEUR ESPLOURÉE
105 Quant au bon frère Rèdymet,
Je le congnoy digne d’aymer.
Mais afin de n’estre à blasmer,
Pour faindre estre de saincte vye,
Je veuil déclarer par envye26
110 À nostre abesse (ce n’est faincte)
Comme sœur Fessue est ensaincte.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien faict.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien faict, ma sœur.
Nostre bon père confesseur
En orra27 le miséréré.
SEUR DE BON-CŒUR
115 Je vouldroys qu’i28 fust enserré
En ma chambre, pour sa prison.
SEUR SAFRÈTE
Sainct Pierre ! vous avez rayson :
D’amour, aparence il y a
En vos dictz.
SEUR ESPLOURÉE,
allant à l’abeesse pour parler à elle :
Avé Maria ! SCÈNE III
L’ABEESSE
120 Gratia pléna 29 ! Qu’avez-vous,
Qui vous amène devers nous30 ?
SEUR ESPLOURÉE
Sans cause je [ne] vous viens voyr31.
L’ABEESSE
Certes, j’estoys en ce parloyr,
En saincte… contemplation
125 Des mos d’édiffication32,
Atendant l’heure du… menger33.
SEUR ESPLOURÉE
Sy Mort m’estoyt venue charger,
Hélas ! je seroys bien heureuse.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?
130 Regrétez-vous encor le monde ?
SEUR ESPLOURÉE
Nénin, non.
L’ABEESSE
Céans, il habonde
Autant de plaisir[s] savoureulx
Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,
[De]dens ceste maison icy,
135 Povez avoir un amoureulx.
SEUR ESPLOURÉE
Hélas ! mon cœur trop douloureulx
Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.
L’ABEESSE
Et ! qu’esse, ma mye ?
SEUR ESPLOURÉE
Seur Fessue,
Qui a faict…
L’ABEESSE
Vous dict-elle injure ?
140 Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,
Elle en sera incarsérée.
Comment ! faict-el la reserrée35 ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Je n’y entens rien en effaict.
SEUR ESPLOURÉE
Elle a faict…
L’ABEESSE
Et quoy ?
SEUR ESPLOURÉE
F[r]icatorès 36.
L’ABEESSE
145 Ô le grosson peccatorès 37 !
Per Dieu38, [elle] habuyct grandos
Punitionnès 39 sur le dos !
Qui l’eust pencé ?
SEUR ESPLOURÉE
Elle [l’]a faict,
Et a son péché satisfaict,
150 Car elle est grosse.
L’ABEESSE
Ô la laide !
Il y convient mectre remède.
Mais à qui a-elle adonné
Son corps ?
SEUR ESPLOURÉE
[El l’a]40 habandonné
À frère Rèdymet, le moynne,
155 Il y a long temps.
L’ABEESSE
Que de peine41 !
Tenamus chapitrum totus ! 42
Sonnaté 43 clochétas bien totus !
Qu’el véniat 44 !
.
.
SEUR DE BON-CŒUR SCÈNE IV
Sus ! entre nous,
Y nous convient mectre à genoulx45,
160 À ce chapitre.
SEUR SAFRÈTE
C’est bien dict ;
Je n’y mectray nul contredict.
L’ABEESSE
Or, chantez !
SEUR ESPLOURÉE
Bénédicité ! O lieu de le dire, y chantent 46 :
Voz « huys » sont-il tous fermés ?
Fillètes, vous dormez.47
165 Quant pour vous sont consumméz48
Dormez-vous,
(Fillètes, fillètes vous dormez)
[Mes sens d’amour]49 enflamés,
Dormez-vous, fillètes ?
Fillètes, vous dormez.50
SEUR FESSUE entre SCÈNE V
170 A ! j’éray quelque advercité ;
Je crains fort le punis[s]antés 51.
L’ABEESSE
Vénité, et aprochantez !
Madamus, agenouillaré,
Quia vo[u]z fécit mouillaré
175 Le boudin52 : il est bon à voir !
SEUR DE BON-CŒUR
Vous avez laissé décepvoir
Vostre honneur, dont le nostre en souffre.
L’ABEESSE
Vous en sentirez feu et souffre
En Enfer ; et de vostre vye,
180 N’irez en bonne compaignye
Sans injure. Et ! comme a-ce esté
Qu’avez faict ceste lascheté ?
Vous en souffrirez le trespas !
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez pas
185 Ce qui vous pent devant les yeulx ?
L’ABEESSE
Mon cœur ne fust onc curieulx
D’estre d’honneur tant descouverte53.
SEUR FESSUE
Hélas ! vostre veue est couverte,
Dont vostre grand faulte despent :
190 Ce que devant les yeulx vous pent
N’est pas de tous en congnoissance54.
L’ABEESSE
Puys que sur vous j’ey la puissence,
Je vous pugniray bien à poinct.
SEUR FESSUE
A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct
195 Ce qui est devant vostre veue ?
J’ey failly comme despourveue
De sens, dont coupable me sens.
Mais…
L’ABESSE
Quel mais ?
SEUR FESSUE
Il en est cinq cens
Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;
200 Et sy56, ne font pas mieulx que moy.
L’ABEESSE
[Encore vous]57 levez la teste ?
Vous estes une faulse58 beste,
Et avez grandement erré.
SEUR ESPLOURÉE
Y luy fault le Miséréré,
205 Pour la faulte qui est yssue59.
SEUR FESSUE
Et ! pardonnez à sœur Fessue !
SEUR SAFRÈTE
Y luy fault donner telle peine
Que de douleur soyt toute plaine,
Puysqu’on la void ainsy déceue.
SEUR FESSUE
210 Et ! pardonnez à seur Fessue,
Pour cela qu’el a entour60 elle.
SEUR ESPLOURÉE
Vrayment, el a juste querelle61 :
Y ne fault pas son fruict62 gaster.
SEUR FESSUE
Qui vous eust voulu trop63 haster,
215 Lors qu’estiez ainsy comme moy,
En plus grand douleur et esmoy
Eussiez esté que je ne suys.
L’ABEESSE
Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :
Qui vous a ainsy oultragée ?
220 Vous estes grosse, et tant chergée65
Que plus n’en povez.
SEUR FESSUE
A ! ma dame,
Frère Rèdymet faict ce blasme
En mainte religion66 bonne.
Mais je vous pry qu’on me pardonne.
L’ABEESSE
225 Où fusse ?
SEUR FESSUE
[De]dens le dorteur67,
À ma chambre, près le monteur68.
Ici tant enquérir ne s’en fault69…
SEUR DE BON-CŒUR
Et que ne criez-vous bien hault ?
SEUR FESSUE
Crier ? Je ne sçay qui en crye70.
SEUR SAFRÈTE
230 Comment ! voécy grand moquerye !
Nostre abeesse en sera blasmée.
SEUR FESSUE
Comment, crier ? J’estoys pasmée.
Et puys en nostre reigle est dict
(Où je n’ay faict nul contredict)
235 Qu’au dorteur on garde silence.
Et sy j’eusse faict insolence,
Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,
C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.
Voyélà pourquoy n’osay mot dire.
SEUR ESPLOURÉE
240 Vouélà bonne excuse pour rire !
SEUR DE BON-CŒUR
Très bien le silence el garda…
L’ABEESSE
Mais escoustez : qui vous garda
De faire signe pour secours ?
On y fust alé le grand cours72,
245 Et n’ussiez receu tel acul73.
SEUR FESSUE
Las ! je faisoys signe du cul,
Mais nul(e) ne me vint secourir74.
SEUR SAFRÈTE
Je n’eusse eu garde d’y courir.
SEUR ESPLOURÉE
Signe du cul ?
SEUR SAFRÈTE
Il est possible :
250 Frère Rèdymet est terrible ;
Et n’eust sceu ceste povre ânière75
Faire signe d’aultre manière.
SEUR ESPLOURÉE
C’est le signe d’un tel mestier76…
L’ABEESSE
Mais il y a un an entier
255 Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu
Nous dire qu’el avoyt conceu ?
SEUR FESSUE
Dire ? Hélas !
SEUR DE BON-CŒUR
Ouy, dire, ouy, dire.
SEUR FESSUE
J’ey bien cause d’y contredire.
SEUR SAFRÈTE
Et comment ?
SEUR FESSUE
Hélas ! quant j’eu failly,
260 Mon cœur alors fut assailly
De repentance et de grand peur
Que l’Ennemy78, qui est trompeur,
Ne m’enportast pour telle faulte.
Demanday à la bonté haulte79
265 Pardon, lequel aulx bons permect.
Et au bon frère Rèdymect
Je demanday confession ;
Lequel, à l’asolution80,
Lors que bien il me descharga81,
270 Absolutement m’encharga
De ne dire ce qu’avions faict
No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict
Pour craincte de dannation :
Car dire sa confession
275 Et dire le secrect du prestre,
C’est assez pour à jamais estre
Danné avec les obstinés82.
SEUR ESPLOURÉE
Certes, nous voélà bien menés !
Ses excuses sont suffisantes.
L’ABEESSE
280 Punye en serez, je me vantes.
Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !
SEUR FESSUE
Hélas ! je vous suply, ma dame :
Ne regardez tant mon péché,
Que le vostre (qui est caché)
285 Ne considérez83.
L’ABEESSE
Ha ! rusée,
Suys-je de toy scandalisée84 ?
SEUR FESSUE
On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre
Un petit festu odieulx,
Mais on ne veoyt poinct une poultre
290 Qu’on a souvent devant les yeulx85…
L’ABEESSE
Ma renommée se porte mieulx
Que la tienne.
SEUR FESSUE
Ne jugez poinct86 !
Les jugemens sont odieulx
Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.
295 Vous le sçavez de poinct en poinct.
Paul87, glorieulx apostre sainct,
Dict que celuy n’aura refuge
D’excuse, qui sera tasché ;
Et que luy-mesme il se juge
300 S’il est subject à tel péché.
L’ABEESSE
Voyélà suffisamment presché !88
Suys-je comme toy, dy, meschante ?
Par Celle-là de qui on chante89 !
Je te feray bien repentir.
SEUR SAFRÈTE
305 Elle se poura convertir,
Ma dame : ce sera le myeulx.
SEUR FESSUE
Ce qui vous pent devant les yeulx,
Qui faict vostre faulte congnoistre,
Nous démonstre qu’i ne peult estre
310 Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.
L’ABEESSE
Ce qui me pent devant les yeux ?
Avé Maria ! qu’esse-cy ?
Vous m’avez trop hastée, aussy :
De venir, j’estoys empeschée.
315 Et ! mon Dieu, que je suys faschée !
SEUR ESPLOURÉE
Croyez, sy les loix ne sont faulces,
Que c’est icy un hault-de-chaulces.
L’ABEESSE
Avé Maria ! Saincte Dame !
Je ne suys moins digne de blasme
320 Que sœur Fessue.
SEUR DE BON-CŒUR
Sont-il d’usance91,
Hault-de-chaulses ?
L’ABEESSE
J’ey desplaisance
De mon faict.
SEUR SAFRÈTE
Et ! Dieu, quel outil !
Les abeesses en portent-il,
Maintenant ? J’en suys en soucy92.
SEUR ESPLOURÉE
325 Un hault-de-chaulses !
SEUR DE BON-CŒUR
Qu’esse-cy ?
L’ABEESSE
Et ! n’en parlons plus.
SEUR SAFRÈTE
C’est pour rire ?
A ! vous ne debvez escondire
Seur Fessue d’absolution.
SEUR DE BON-CŒUR
C’est bien nouvelle invention,
330 Porter des chaulces sur la teste.
L’ABEESSE
On en puisse avoir male feste !
SEUR SAFRÈTE
Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.
On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,
Et q’une main l’autre suporte95.
335 Y convient faire en ceste sorte :
Donnez-luy l’asolution.
SEUR ESPLOURÉE
Voeylà très bonne invention.
Vous estes à noz96 audinos.
L’ABEESSE
Tu fessisti sicut et nos 97 ;
340 Parquoy absolvo te gratis
In pécata 98. Nunc dimitis
[In cor bonnum]99, comme au passé100.
Plus oultre, vadé in passé 101 !
SEUR FESSUE
Gratias ! Me voeylà garie.
345 Je n’ay cause d’estre marie102.
SEUR ESPLOURÉE SCÈNE VI
Conclusion : Je trouve erreur caché
Que cestuy-là veult un péché reprendre,
Duquel il est taché et empesché,
Et par lequel en fin on le peult prendre.
350 Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.
La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,
Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103
En prenant congé de ce lieu,
Unne chanson pour dire « à Dieu » !
FINIS
*
1 Dans ce même manuscrit, la Mère de ville (composée dans les années 1530) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir d’estre pansue. » 2 Lascive. 3 LV : la IIe seur esplouree (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.) 4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle. 5 Sûr : éclairez mon esprit. 6 Un siège. 7 Avez-vous fauté ? 8 LV : qui 9 Le raide, le phallus. V. note 10. 10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot. 11 Engrossée. 12 LV : oues (Ouez = oyez, écoutez.) 13 En mauvaise posture. 14 Pisser sur les dalles d’un cimetière est un sacrilège : « Qu’on me brusle ce savetier :/ Il a pissé au cymitière ! » Clément Marot. 15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. Je signale que deux rôles féminins sont tenus par des messieurs dans la réjouissante interprétation de Sœur Fessue qu’ont donné des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada). 16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit : cf. le Tesmoing, vers 332. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ». 17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner “l’amoureuse aubade”/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche. 18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et 448. « D’un jeune sotouard, lequel ne sut trouver l’engin de sa femme la première nuit. » Les Joyeuses narrations. 19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>. 20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Marot. 21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins. 22 LV : est bien (Lubin n’est pas aussi bon “compagnon” que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & à manger. » Miroir de la navigation.) 23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot. 24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ». 25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle. 26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent. 27 LV : aura (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.) 28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141. 29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. Notre fatiste avait lu le Miracle de l’abbesse grosse : voir ma notice. 30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule. 31 LV : voyer (Je ne viens pas vous voir sans raisons.) 32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » Au XIVe siècle, Jehan de Condé mit « un beau abbé joli » dans le lit de l’abbesse ; laquelle, « kant son couvrechief cuida prendre,/ (…) les braies à l’abbé prist,/ Et puis les jeta erranment/ Sur son chief. » <Le Dit de la Nonnète.> 33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.) 34 Aller plus loin. 35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges allaient voir « l’étrécisseuse » qui, avant leur nuit de noce, utilisait l’eau de tan, « les eaux de myrthe, alun & autres astringens pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». Noël Du Fail. 36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme. 37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.) 38 LV : perdien (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.) 39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.) 40 LV : elle a 41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit. 42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée]. 43 LV : sonnare (Sonnez toutes les cloches.) 44 Qu’elle vienne. 45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse. 46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7. 47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ? 48 Partition : consummez — LV : consommes 49 Partition : Mes sens damour — LV : mais sans amours 50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ? 51 La punition, en langage macaronique. 52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur. 53 Dégarnie. 54 N’est pas (encore) connu de tous. 55 LV : ny 56 Et pourtant. 57 LV : leues (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.) 58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet. 59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée. 60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213. 61 Elle a raison de se plaindre. 62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. » 63 LV : tant (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.) 64 Restez ici ! Je continue. 65 Chargée, alourdie. 66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers. 67 LV : dortoueur (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235. Cf. le Maistre d’escolle, vers 4.) 68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé). 69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit. 70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié. 71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. » 72 En courant. 73 Une telle contrainte. 74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet. 75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu. 76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier. 77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari. 78 Le diable. 79 À Dieu. 80 LV : la solution (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.) 81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Elles déchargent quand on les secoue. » (Cyrano de Bergerac.) 82 Les hérétiques. 83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3. 84 Transformée en objet de scandale. 85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3. 86 Matthieu, VII-1. 87 Romains, II-1. 88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique ! 89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges. 90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. Ce passage doit beaucoup au Dit de la Nonnète : « Que savez-vous que il vous pent,/ Belle dame, devant vos ieuls ?…./ Un couvrechef à menus plis/ Vous y pent, dame, ce me samble,/ Qui, par le cor Dieu, bien resamble/ Ce de quoi on couvre son cul. » 91 Est-ce la mode (de porter sur la tête). 92 LV : esmoy (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.) 93 LV : changons en (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.) 94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière. 95 Qu’une main aide l’autre. 96 LV : voz (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.) 97 Tu as fait comme nous. 98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés. 99 LV : Incorbennem (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.) 100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé. 101 Va en paix. 102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché. 103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.
LA RÉSURRECTION JÉNIN À PAULME
*
LA RÉSURRECTION
JÉNIN À PAULME
*
Cette pochade loufoque fut écrite avant la farce de Légier d’Argent, qui mentionne en 1512 un « Jénin des Paulmes qu’est trespassé ». Jénin à Paulme doit dater de 1499. Louis XII, qui régnait alors, entretenait un fol appelé Caillette1 ; or, Jénin met en scène un fou du même nom. Ce Caillette avait-il des talents d’acteur, comme Triboulet2, le bouffon de René d’Anjou ? Rien ne le prouve. Bonaventure Des Périers, qui ne l’a pas connu, le fait parler dans la 2e nouvelle des Récréations et Joyeux devis : le fol de Louis XII n’y montre aucun esprit, mais il sait répéter. Je crois plutôt que l’auteur de Jénin à Paulme fit là un portrait physique et sonore de Caillette, plus ressemblant que celui de Des Périers, puisqu’il s’agit en quelque sorte d’un enregistrement d’époque.
Ancêtre du tennis, le jeu de paume consistait à rattraper une balle de cuir (l’éteuf) avec la paume de la main, protégée par un gant. Plus tard, on utilisa un battoir ou une raquette. Tous les termes du jeu de paume ont un double sens érotique : « J’entens fort bien la paulme, ayant belle partie./ Je bande roidement, je donne le revers./ Je ne suis point fautier, j’ay la bricolle prompte./ Je prens l’esteuf au bond, craignant la laide honte./ Je mets dans la belouse à l’heure que je sers. » L’Allusion du Capitaine Lasphrise.
Cette farce est véritablement une sottie : Caillette est un fol, Jénin un badin. Nous possédons une Résurrection de Jénin Landore, de 1516 ; mais Jénin Landore rentre du Paradis en parlant latin, alors que Jénin à Paulme rentre de l’Enfer en parlant picard3. En 1529, on jouait à Montpellier une Résurrection de l’Abbé [des Fous], non retrouvée4. Les thèmes sacrés que sont la mort, l’Enfer et la « résurrection de Jénin » (qui paraphrase la résurrection de Jésus), font ici l’objet d’un traitement plus que désinvolte ; il est vrai que les Sots accueillent souvent la Mort avec le sexe à l’air, comme en témoigne Holbein le Jeune dans la Danse macabre ou dans l’Alphabet de la Mort.
C’est les garçons du collège de Beauvais, à Paris, qui jouèrent cette pièce grivoise et scatologique écrite à leur intention, et peut-être par un des leurs. Au XVIe siècle, ils monteront des pièces de Jacques Grévin. On dit parfois que Cyrano de Bergerac a écrit la comédie du Pédant joué dans ce collège.
Source : Recueil de Florence, nº 50.
Structure : Rimes plates, abab/bcbc, avec plusieurs chansons.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
*
Farce nouvelle trèsbonne & fort joyeuse de
la Résurrection
Jénin à Paulme
*
À cinq personnaiges, c’est assavoir :
JÉNYN À PAULME 5
LA SEUR À JÉNYN
JOACHIN
THOYNON 6
CAILLETTE
*
LA SEUR JÉNYN commence
Or est mon frère Jényn mort, SCÈNE I
Dont j’ay au cueur ung dur remort.
L’av’ous point veu icy venir ?
Le devoit Dieu faire mourir ?
5 Par Dieu ! il s’en fust bien passé.
Hée ! Jényn, tu es trespassé ;
Pleust à Dieu que tu fusse(s) en vie !
JOACHIN SCÈNE II
Et ! benoiste vierge Marie,
Qu’i a-il ?
LA SEUR
Grant adversité.
JOACHIN
10 Vous monstrez qu’estes fort marrie ;
Mais quoy ?
LA SEUR
Quoy ? Bénédicité !
Je suis en tel perplécité7
Que, se de Dieu n’y a [point d’aide]8,
[Il] n’est homme en ceste cité
15 Qui m’y sceust donner nul remède.
JOACHIN
Vous estes encor(e) forte et roide.
Ayez bon cueur9, prenez couraige,
Et ne soyez pas si trèsfroide :
On scet10, mort, que c’est une rage.
LA SEUR
20 Jényn, mon frère ! Ha ! j’enraige
Toutes les foys que je pense à toy.
JOACHIN
Et ! par Dieu, vécy bel ouvrage !
[…………………………. -oy.]
Av’ous mestier11 qu’on vous « ramonne » ?
Quant il seroit l’heure de nonne12,
25 Voulentiers vous allégeroye.
LA SEUR
Las ! onc depuis mon cueur n’eut joye 13
Que mon frère Jényn à Paulme
Mourut. En terre et [à la]14 chaulme,
Il n’a garde que on [l’attrape]15.
JOACHIN
30 Qui ? Jényn ? « Hy ! [hy !] Je te tappe16 ! »
Taisez-vous : nous aurons du pluc17.
LA SEUR
Si n’es-tu po[i]nt, dessus18 le suc,
Comme estoit mon frère Jényn.
JOACHIN
Je ne suis pas si trèsbadin19
35 Que ne vous maine aux Cordeliers20,
Par saint Jehan, aussi voulentiers
Que [le] fist oncques vostre frère.
LA SEUR
G’y vois21 souvent veoir mon beau Père
Pour reposer ma conscience.
JOACHIN
40 Ho ! j’auray assez pascience,
N’en doubtez ; je vous seray22 vray.
Jényn mengea le papegay23,
Mais je ne feray pas ainsi.
LA SEUR
Tu seroys tout villain, aussi !
JOACHIN
45 Quant vous aurez intention24
De troter en commission25
Et aussi que le « jeu » vous hecte26,
Je vous mettray en ma brouette,
Gorier27 comme ung gentil gallant,
50 En lieu d’un chariot branlant.
Par bieu ! je ne sçauroye mieulx dire.
LA SEUR
Qu’en ton fait n’y ayt que redire,
Car je hente28 de[s] gens de bien.
JOACHIN
Que je dye ung mot ? Rien, rien, [rien] !
LA SEUR
55 Quant mon frère Jényn vivoit,
Partout grant chère on me faisoit
En ces cloistres, en ces couvens :
J(e) y avoye souhaict à tous vens,
J’estoye partout la bien venue.
JOACHIN
60 (J’entens bien ! vous est[i]ez congneue
En tous lieux.)
LA SEUR
Mais que de finesse[s]29
Je faisoye !
JOACHIN
(Voire ! Sur les fesses
Vous estes bien carillonnée.)
LA SEUR
Oncques femme de mère née,
65 Je croy, ne fist ce que j’ay fait.
J’ay fait le fait et le deffait30
Entrer31 par l’ung, saillir par l’autre.
JOACHIN
(Voire ! Et Jényn couchoit au peaultre32.
Il avoit bonne pacience !)
LA SEUR
70 Je vous jure ma conscience
Que oncqs puys33 qu’il mourut, en somme,
Je ne rencontray ung tel homme.
J’en ay perdu mains bons repas34.
JOACHIN
Par bieu ! je ne vous fauldray pas35 :
75 Je suis clerc, en telle matière ;
Croyez-moy, nous ferons grant chère.
Laissez Jényn, il fouille aux taulpes36.
LA SEUR
Pas ne suis de ces meschan(te)s gaupes37
Qui le font à deux à la fois.
JOACHIN
80 Vertu sainct Pierre, je vous crois38 !
Suyvez-moy, la seur à Jénin :
Nous mengerons d’un bon connin39,
Aujourd’huy, en quelque banquet.
LA SEUR À JÉNIN
Le scès-tu bien ?
JOACHIN
Cessons ce caquet.
85 N’ayez soucy qu(e) à bien « dancer40 ».
Allons, et ne vueillez penser
Fors qu(e) à tenir gestes de mesme(s).
LA SEUR
Ho ! se je ne faulx à mon esme41,
Je feray bien le personnaige.
[………………….. -aige.]
JÉNIN À PAULME [chante] 42
90 Hy ! hy ! Je te jou, je te tappe 43 ! SCÈNE III
JOACHIN
Cheminon [………… -appe.]
JÉNIN, en chantant
Ababou, tenfarara, tenfarara !
LA SEUR [chante]
Jamais mon cueur joye n’aura 44,
Joachin.
JOACHIN
[Pour] quel[le] raison ?
JÉNIN chante
95 [À] Arras m’en vois 45 en garnison.
C’est Chose 46 qui m’envoye, hoye !
JOACHIN
Sang bieu ! vélà en ceste voye
Jénin à Paulme !
LA SEUR
Las ! et où ?
JOACHIN
Je l’ay ouÿ (i)cy.
JÉNIN chante
Je te jou !
100 Tarara, tararirène ! Hy ! hy !
LA SEUR
Et ! par mon âme, c’est il, [ouy] !
Jénin ! Jénin ! Jénin, mon frère !
JÉNIN
Hen ! hen ! Me cheur47 !
LA SEUR
Que doy-je faire ?
Vécy Jénin ressuscité.
JÉNIN
105 Vray dis-tu.
JOACHIN
Bénédicité !
Belle48 venue en ce royaulme !
JÉNIN [chante]
Hy ! hy ! Je te jou à [la] paulme !
Boit-on nyant49 [de] vin de festu50 ?
LA SEUR
Hélas, mon frère, d’où viens-tu ?
JÉNIN51
110 Par ma foy ! d’estrange contrée.
LA SEUR
Tu en viens ? Mon Dieu !
JÉNIN
Par [l’entrée]52,
Trois lieues delà soleil levant.
JOACHIN
Nous sommes mieulx que par-devant.
JÉNIN
Je viens d’Enfer d’icy tout droit,
115 Où l’en ne fait à chascun droit53.
Il y a piteuse rouardure54.
JOACHIN
Mais dy-moy se le chemin dure
Longuement.
JÉNIN
C’est dïablerie.
JOACHIN
Quelz gens y sont, sans mocquerie ?
JÉNIN
120 Par ma foy ! tousdis55 plus de sept :
G’y ay veu Gilbert Cochet
Attacqué parmy sa gargate56.
JOACHIN
Au plus parfond57 ?
JÉNIN
Bren de quien58 ! ouacte
Que ch’est [i]chy, Dieu, peu59 de cose.
JOACHIN
125 Parlez à luy.
LA SEUR
En dea ! je n’ose.
Je diffère jusqu(es) à demain.
JÉNIN
J’ay veu tousdis le povre Alain ;
Et Charles, qui tua le hongre60 :
Il est au plus près de ton oncle,
130 Joachin.
JOACHIN
Reviendront-il point ?
JÉNIN
Par ma foy ! je n’en61 doubte point ;
Attendez-les dedans deux moys.
JOACHIN
Si feray-ge.
LA SEUR
(Ouy dea, g’y vois62.
Quelle joye j’ay !)
JÉNYN
Hen ! hen ! [hen !]
LA SEUR
135 (Et ! par monsieur saint Jehan,
Je porteray mon busc63 gorrier.)
JÉNYN
Par foy ! j’é tousdis me[n] gosier
Plus sec que plume de duvet :
À boire ! à boire !
LA SEUR
Jolivet64,
140 Vous en aurez de bon couraige65.
JOACHIN
Sacrement Dieu ! Jénin dit rage.
JÉNIN chante
Tarara rira riraine !
[À] Arras m’en vois… Je tocque66 !
JOACHIN
Il a rapporté une tocque67 :
145 Il est plus fol qu’il ne fust oncques.
LA SEUR
Qu’est-il de faire ?
JOACHIN
Allons[-y]68 doncques,
Qu’i ne se monstre à noz amys.
LA SEUR
En quel point tu m’as le cueur mis,
Jénin mon frère, à ta mort !
150 J’en ay [eu] au cueur tel remort
Qu(e) à peu que je ne suis trespassée.
JÉNIN [chante]
Ilz sont en gallée 69, gallée,
Les maraulx ! Hon ! hon !
CAILLETTE SCÈNE IV
Hon ! hon ! hon ! hon !
Vien-t’en avecques moy, Thoynon,
155 À la bien-venue de Jénin.
THOYNON
Mais est-il venu, mon cousin ?
CAILLETTE
Et ouy, il est avec sa seur.
Vien sa avec moy, que je n’aye peur,
Thoynon. Do do do do.
THOYNON
J’ay grant fain de le veoir,
160 Ha ha, mon cousin, pour tout voir70 !
Caillette, nous ferons grant chère.
CAILLETTE
Prens-moy par la…71
THOYNON
Fault-il tant faire ?
Allons !72
CAILLETTE [chante]
Ton, ton, ton, ton, la, la !
THOYNON
Quel(le) contenance Caillette a !
165 Que dira mon cousin Jényn ?
CAILLETTE [chante]
Il nous donra à boire du vin
À sa feste, feste, feste.
THOYNON
Ha ! ha !
Où73 je le [vous] diray, allez.
CAILLETTE [chante]
Carillonnez 74, carillonnez !
170 Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !
THOYNON, en le frappant
Ha ! ha ! ha !
Or sus, sus ! faictes bien le saige,
Vélà Jénin.
CAILLETTE
En quel passaige ?
Je vous prie, menez-m’y tout droit.
THOYNON
Le vélà, le vélà !
CAILLETTE
Touet, touet !
THOYNON
175 Approuchons de luy saigement :
Monstrez vostre gouvernement75
Et ne faictes plus le fol, non.
CAILLETTE SCÈNE V
Ha ! Jénin, Jénin, hon ! hon ! [hon !]
Beau sire, baille-moy ta tappe76 !
JÉNIN
180 Et je te jou ! Et je te tappe !
THOYNON
Ha ! ha ! mon cousin, d’où viens-tu ?
J’ay eu ung enfant, dy, oy-tu ?
Tu ne l’as pas veu, il est mort ;
Mais verras qui77 l’a fait.
JOACHIN
Au fort,
185 Ce sera belle recouvrance78.
[JÉNIN]
D’où est-il yssu ?
THOYNON
De [ma pance]79,
Aussi grant q’ung petit cochon.
Quant il fut né, il faisoit « hon ! » hon.
Les larons le m’ont desrobé80.
JOACHIN
190 Tu le gaignas au Bourg-l’Abbé81.
THOYNON
Merde82 !
JOACHIN
[Tu] dy hardyment83, ouy !
JÉNYN chante
Vécy la dance, barbary liry 84 !
Et ! Thoynon, Thoiny, Thoynette !
Dieu gard [me mye]85 ! Dieu gard Caillette !
CAILLETTE
195 Jénin, Dieu gard !
JÉNIN
Dieu vous bénoye !
Je viens de veoir ma grande toye86
Et l’âme de mon papegay87.
THOYNON
Sainct Jehan ! je croy bien qu’il dit vray.
Me congnois-tu point ?
JOACHIN
Ouy, pour une…88
JÉNIN chante
200 Happe-la-lune, happe-la-lune ! 89
JOACHIN
Plus joyeulx [qu’huy]90, oncques ne fus[t].
LA SEUR
Changons propos.
TOYNON
Trut avant91, trut !
Allons faire ung bancquet ensemble.
JOACHIN
C’est trèsbien dit, comme il me semble.
205 Je seray le maistre d’hostel.
LA SEUR
Si92 bien advisé, il n’est tel.
Il est temps de se resjouir.
TOYNON
Trut ! Vous n’avez garde de fouir,
Il fault ensemble banqueter.
CAILLETTE
210 Hon ! hon !
JOACHIN
Sans plus cy caqueter !
JÉNIN
Allons disner à no93 maison.
Je vous donray d’ung bon « oyson94 »,
Par foy, et de la petite oye95.
CAILLETTE
Je le croiray mais que le voye :
215 Ne se fault pas mocquer de nous.
Nous porterons (entendez-vous ?)
Chacun sa bribe96.
JOACHIN
C’est bien dit.
Mais que je boive, il [me] souffit ;
Je ne manguë point grandement.
LA SEUR
220 Vécy qu(e) on m’a donné, vray(e)ment,
Ennuyt97, à la Pomme-de-pin98.
JOACHIN
Regardez icy quel loppin
On m’a donné à la Rappée99.
TOYNON
Nous serviron donc de purée100,
225 Puisque vïande avez assez.
JOACHIN
Sus, Bénédicité !
TOYNON
Commencez101.
JÉNIN chante
Nous sommes de l’Ordre de saint Baboyn 102.
Ilz chantent tous :
L’Ordre ne dit mye de lever matin.
Dormir jusqu’à prime 103 et boire bon vin,
230 Et chanter matines sur ung pot de vin.
TOYNON104
Ha ! ha ! [ha !] Fault-il faire ainsi ?
JOACHIN
Par Dieu, Caillette a vécy105 !
Esse la boisson106 qu’i nous donne ?
TOYNON
Ha, le villain !
CAILLETE
Est-elle bonne ?
235 Buvez-en à vostre appétit !
LA SEUR
Y107 en a assez d’ung petit :
La boisson est toute esventée 108.
CAILLETE
Je l’ay tout maintenant percée109,
C’est mal entendu vostre cas.
240 Je vous pry, ne l’espargnez pas :
Buvez, trempez-y vostre pain110.
JOACHIN
Que grant dÿable le villain !
Y nous a tous empuantiz.
CAILLETE
Vous estes ennonchalantis111 ;
245 N’ay-je pas fourny la boisson ?
LA SEUR
Je croy qu’il soit nourry de son,
[Car] il vesse comme ung pourceau.
TOYNON112
Vous ne mengerez huy morceau !
Nous diffamez-vous en ce point ?
CAILLETE
250 Oste-moy ce poul qui me point113,
Toynon.
TOYNON
Mon frère, or allez !
Vous nous avez bien ravalléz114,
Au ressuscitement de Jénin !
CAILLETE
Bou !
TOYNON
Regardez-moy115 quel verdin !
255 On a bel honneur, à le suivre.
JÉNIN
Hy ! hy ! [hy !]
LA SEUR
Poix116 ! poix !
CAILLETE
Est-il yvre ?
Il n’a pas trop beu, ce me semble.
TOYNON
Mais avant qu(e) on se dés[as]semble,
Tenons chapitre117 entre nous,
260 Veulx-tu ?
JOACHIN
Je m’en raporte à vous :
Je tiendray118 ce que vous direz.
LA SEUR
Et point vous ne contredirez ?
JOACHIN
Ainsi le prometz.
LA SEUR
Somme toute,
Ung couvent119 auron (quoy qu’il couste),
265 Pour recepvoir ceulx qui venront120
Céans et qui ressuscit(e)ront
Si comme a fait Jényn mon frère.
JOACHIN
Sainct Jehan ! dame, on le doit [bien] faire
À celle fin. Quant je mourray,121
270 Peult-estre que ressuscit(e)ray :
Au moins, auray-je maison faicte.
LA SEUR
Il fault qu(e) au vif el(le) soit pourtraicte122.
Qui y sera commis ?
JOACHIN
Pour Dieu !
Nommez[-moy] la place et le lieu
275 D’icelle situation :
Sans faire longue station123,
J(e) y feray bien tost besongner.
THOYNON
Aucuns124 en pourroient bien grongner,
Et s’i pourront bien opposer.
JOACHIN
280 Ilz ne sauroient rien proposer
Qui nous sceust tourner préjudice.
LA SEUR
Pour faire [bastir] l’édiffice,
[Je] veulx que Caillette on y mecte
En chair[e], affin qu’il commecte125
285 Par son auctorité quelq’un.
THOYNON
Ha ! pour bailler raison, c’est ung126 !
En l’Ordre127, n’y a son pareil.
LA SEUR
Vous faictes trop long appareil128,
Caillette ; assoyez-vous là !
290 Entendez deçà et delà ;
Dictes quelque bonne pensée.
CAILLETTE
Mais la chaire129 est-elle persée ?
J(e) y vueil faire mon aisement130.
LA SEUR
Ouÿ, séez-vous seurement.
295 Vostre cul ung peu se repoise ?
CAILLETTE
Je suis icy bien à mon aise.131
THOYNON
Caillette, sus ! De vostre grâce,
[Eslisez qui vouldriez qui]132 face
Nostre couvent, et en quel lieu.
CAILLETTE
300 Ce sera Joachin, par Dieu :
Il n’est [nul si] propre et gaillart.
LA SEUR
Où sera-ce ?
CAILLETTE
Au Champ-Gaillart133,
Sur le grant chemin de voye,
À celle fin que chascun nous voye
305 Pour augmenter nostre pratique134.
LA SEUR
Il n’y fault point faire réplique,
Car il est trèsbien ordonné.
CAILLETTE
Le congé135 vous en est donné ;
Besongnez-y quant vous vouldrez.
LA SEUR
310 Joachin, le soing en prendrez :
Vous estes ung grant inventeur.
Se voulez ung soliciteur136,
Jényn, mon frère, servira.
JOACHIN
Mais Caillette ne bougera :
315 Ce sera l’abbé137 du couvent.
CAILLETTE
J’en suis d’acord.
TOYNON
Et moy, vray(e)ment.
C’est bien entendu la raison.
JÉNYN
Je n’ay pas ung piètre [re]nom,
Pour faire chière lye au ny138.
TOYNON
320 Allons-nous-en !
JÉNYN
Mais je vous pry139.
JOACHIN
Vive[nt] les Enfans de Beauvais140 !
Si, concluons par motz exprès
La Ressurection Jényn.141
À Dieu vous dy jusqu’à demain !
EXPLICIT
*
1 Maurice Lever : Le Sceptre et la marotte. (Hachette-Pluriel, 1985, pp. 160-162.) De même qu’il y avait eu deux Triboulet, de même il y eut deux Caillette. Le second, un attardé mental, traînait dans les rues de Paris. Il mourut en 1514. Son épitaphe, la Vie et trespassement de Caillette <Montaiglon, X>, fut écrite une dizaine d’années plus tard. Les deux légendes qui entouraient ces fous ont parfois été confondues (v. la note 77). 2 Bruno Roy : Pathelin : l’hypothèse Triboulet. Orléans, Paradigme, 2009. 3 Notre auteur parisien fait de ce dialecte la langue de l’Enfer. 4 Petit de Julleville : Répertoire du théâtre comique en France au Moyen Âge, nº 298 et p. 374. 5 Les personnages ne sont pas nommés dans leur ordre d’apparition ; mais quoi de plus naturel pour une pièce où l’extravagance règne en maître ? 6 Elle est la cousine de Jénin (v. 165) et la sœur de Caillette (v. 251). « Thoinon », ou « Thoinette » au v. 193, est le diminutif d’Antoinette : « Madame Anthoinette de Salvan, qui signe Thoinon Desalvan. » (Registre paroissial.) Quoi qu’affirme Jelle Koopmans <Recueil de Florence, pp. 709-720>, c’est donc un prénom féminin : « Je ne dy pas que vostre seur Thoinon/ Ne soit belle ; mais quoy, vous l’estes davantage. » (Ronsard.) Mais il est vrai que dans les sotties, les femmes étaient jouées par des hommes <cf. Thierry Martin : Le sexe folatique, in Trois études sur la sexualité médiévale, GayKitschCamp, 2001>. 7 Détresse. 8 F : remede (à la rime.) 9 De la force. 10 F : cest (On sait que quand on est mort.) 11 Avez-vous besoin. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 336-7. 12 L’heure de none, midi. Jeu de mots sur l’heure des nonnes, équivalent féminin de l’heure du berger. Dans le Décaméron (traduit par Laurent de Premierfait), deux nonnes veulent coucher un après-midi avec le jardinier du couvent : « Tu vois, ma seur, que le soleil est environ heure de nonne ; je croy que toutes les nonnains, fors que nous, dorment. » La sexualité exubérante des religieuses est le thème de Sœur Fessue. 13 Premier vers d’une chanson qui ouvre la farce des Queues troussées. On le trouvait déjà dans la sottie des Deulx Gallans et Sancté (LV 12). Brown (Music in the french secular theater, nº 319) oublie de le rattacher à notre pièce. 14 F : au (La chaume est un terrain en friche.) 15 F : luy attraye (Il ne craint plus qu’on l’attrape.) 16 Il imite Jénin, qui est obnubilé par le jeu de paume. 17 En argot, rétribution qu’on donne aux prostituées. « Du pluc et butin qu’elle avoit à la force de ses reins conquesté, avoit acquis vaisselle et tapisserie, linge et aultres meubles. » (Cent Nouvelles nouvelles, 77.) Cf. le Dorellot, vers 155. 18 F : sur (Tu n’es pas, sur la tête, comme était mon frère Jénin : tu n’as pas de rasure, comme en ont les fous. Cf. Bruno Roy, p. 30.) 19 Le Badin, personnage récurrent des sotties, est une sorte de demi-fou. 20 Sur la réputation génésique de ces moines, voir Frère Guillebert. D’après les amateurs de contrepèteries (cf. Tabourot), chez les bons cordeliers, on trouve des cons bordeliers. 21 J’y vais. 22 F : feray (Le « f » et le « s » gothiques se ressemblent.) Je vous serai fidèle. 23 Il est encore question de ce perroquet au vers 197. Allusion à une pièce perdue ? 24 F : appetit (Quand vous aurez intention de réïtérer la saignée. » Jean Falcon.) 25 D’aller faire une commission loin d’ici. 26 Vous agrée (verbe haiter). La brouette est l’ancêtre du taxi. 27 F : Goriere (Élégant. Idem vers 136.) 28 Je fréquente. 29 De mauvais tours. Cf. Raoullet Ployart, vers 11. 30 Le bandé et le débandé. « Le membre de Colin, deffaict,/ Se retira, penchant l’oreille. » Cabinet satyrique. 31 F : Entrez (Entrer par un trou, sortir par un autre.) 32 Sur une paillasse, pendant que sa sœur était au lit avec des moines. « Et sy je veulx coucher au peaultre,/ Y me contrainct coucher au lict. » (Les Mal contentes.) Cf. les Maraux enchesnéz, vers 175. 33 Que depuis. 34 Depuis que mon souteneur est mort, je ne suis plus invitée aux banquets. 35 Je ne vous ferai pas défaut. 36 Il est sous terre. 37 Salopes. 38 Joachin sous-entend qu’elle fait l’amour avec plus de deux hommes à la fois. 39 Un lapin. Mais « connin » désigne également le sexe de la femme. Cf. Frère Guillebert, vers 28. Les banquets avaient fort mauvaise réputation : « Les femmes yront aux banquetz/ Et aux festes souventes fois./ Là, seront chargées de paquetz/ Qu’il conviendra porter neuf moys. » Pronostication nouvelle. 40 Coïter. « Voyant le prebtre et la dame ainsi dancer du cul. » (Ph. de Vigneulles.) Cf. les Chambèrières qui vont à la messe, vers 96. 41 Si je ne me trompe pas dans mes prévisions. « Si je ne faulx à mon esme, c’est ung entremetteux. » Palsgrave. 42 Il est loin des deux autres protagonistes, qui ne le voient pas encore. 43 F : trippe (Voir les vers 30 et 180.) Jénin chante n’importe quelle mélodie en plaquant dessus le vocabulaire du jeu de paume. 44 On trouve cette chanson dans le Jardin de Plaisance, nº 326. 45 Je m’en vais. La garnison française d’Arras avait été battue par les Bourguignons en 1492. Le répertoire français abonde en chansons militaires, qu’elles soient héroïques ou satiriques : toutes les batailles et tous les généraux en ont suscité. 46 Ce mot remplace le patronyme – qu’on ne savait ni orthographier, ni prononcer – du capitaine qui dirigeait la garnison d’Arras. Son nom généra une bonne quinzaine de variantes, de Karquelavent à Querquelevan, en passant par Karquendlavan, Carquelevent, Kerkelevant, Karkuelavent, ou Kerguellavant. Il fut la victime d’une autre chanson, intitulée : Kerquelevet ! –Que vous plaist-il, Cardonne ? 47 Ma sœur. Jénin a pris l’accent picard. Pour les emprunts dialectaux, voir Halina Lewicka, Études sur l’ancienne farce française <Klincksieck, 1974>, p. 60. 48 F : Quelle (Belle venue = bienvenue. « Il advient/ Q’un autre compaignon survient,/ À qui l’en fait belle venue. » Martial d’Auvergne.) 49 Pas (négation picarde). « Dy, viens-tu nient de Picardie ? » Farce de Pathelin. 50 Ne boit-on pas de vin de paille ? « Onze barils de vins françois de festuz. » (Taillevent.) 51 F ajoute dessous : Dou je viens 52 F : ma foy oye (On situait l’entrée des Enfers dans l’Apennin, notamment. La Sotise à huit personnaiges, d’André de La Vigne, localisera aussi l’Enfer « Cent lieus delà soleil levant ».) 53 Où on ne rend pas justice à chacun. 54 Forme picarde de « regardure » : physionomie. « Que le feu saint Frémin d’Amiens/ Te puist mignier [miner] le rewardure/ (Puisqu’il me fault parler piquart) ! » Éloy d’Amerval. 55 En tout cas. Idem vers 127 et 137. 56 Forme picarde de « Attaché par la gorge ». Cf. le Pasté et la tarte, vers 287. Ce pendu n’est pas identifié. La visite aux pensionnaires de l’Enfer est une mode qui remonte à l’Odyssée. 57 Profond. Les damnés sont répartis en zones plus ou moins profondes selon la gravité de leurs péchés. Voir l’Enfer de Dante. 58 Merde de chien ! « Ouacte » est inconnu. Il faut peut-être lire On acte : « On acte que » signifie « On prend date que ». 59 F : que (En Picardie, cose = chose.) 60 Le cheval (ou l’homme) châtré. 61 F : men 62 J’y vais (parler à Jénin). 63 F : boys (Busc gorrier = corsage élégant.) Grâce au retour de son souteneur, elle sera de nouveau invitée dans les banquets luxueux. 64 Mon joli. La relation entre la sœur et son maquereau de frère est aussi ambiguë que celle de Caillette avec sa sœur Thoinon. 65 Je vous en verserai de bon cœur. 66 Je touche (picardisme). Au jeu de paume, on ne doit pas toucher une balle jouée. 67 Il est toqué. 68 F : nous en 69 Ils rament dans une galère, les vagabonds. En 1494, Charles VIII avait envoyé à Naples six galères et leurs galériens. 70 Pour tout vrai. 71 Par la main. Ou par la verge. Caillette = testicule. « Le coupeur de caillettes. » Jehan Bouchet. 72 F ajoute : dont bien et saigement 73 F : On (Allez où je vous dirai d’aller.) 74 Même sens érotique qu’au vers 63. 75 La manière dont vous vous gouvernez. 76 Tape dans ma main, en guise de salut. 77 F : quil (Celui qui l’a fait pourrait bien être son frère, Caillette. « S’on luy disoit : “Caillette, où est l’enfant ?”,/ Il respondoit tout à coup : “Il est mort.” » Vie et trespassement de Caillette.) 78 De belles retrouvailles. 79 F : mon ventre (Correction suggérée par Jelle Koopmans.) Koopmans <p. 715, n. 66> explique ce vers avec la note suivante : « Mythe de l’homme “enceint”. » Or, Thoinon est bel et bien une fille : « Donne-moy ton pucelage,/ Disoit Pierrot à Thoinon./ Elle respondit que non. » (Gaultier Garguille.) 80 Dans les romans à l’eau de rose, les bébés se faisaient souvent enlever par des bohémiens ou par des pirates barbaresques. Mais leurs riches parents les retrouvaient toujours à la fin, grâce à un signe de reconnaissance. Notre auteur joue sur la frustration engendrée par des histoires qui commencent et ne finissent pas, ou qui se terminent sans qu’on en connaisse le début. 81 Une des nombreuses rues parisiennes dévolues à la prostitution. Un proverbe disait : « Des enfans du Bourlabé, qui ne demandent qu’amour & simplesse. » (Adrien de Montluc.) 82 F : Maire (Le juron « Merde ! » commence à concurrencer « Bran ! » vers 1500 : « Je veulx du lard, merde ! » L’Homme à mes pois.) 83 Tu parles grossièrement. 84 Véci la danse Barbari, de Bertrand de Vaqueras. Quelques décennies plus tard, Antoine Barbé composa sur cet air une messe intitulée : Missa Vécy la danse de Barbarie. Avouons que c’est une belle promotion pour une morisque, une danse berbère ! 85 F : Memy (En picard, me = ma.) 86 En Picardie, « taye » = grand-mère. Celle de Jénin est donc en Enfer. 87 Un perroquet n’a pas d’âme et ne va pas en Enfer, contrairement aux Papes gais : « Toute la chanterie/ Du Papegay de Romme. » Eustorg de Beaulieu. 88 Il s’apprête à lâcher un mot désobligeant, mais la chanson de Jénin lui coupe la parole, tout en complétant sa pensée. Le même procédé anime la première moitié des Cris de Paris. 89 F ajoute dessous : Hen hen hen (« Happe-la-lune » sert d’insulte au vers 45 de Te rogamus audi nos, et dans l’Enqueste de Guillaume Coquillart : « Refformateur de tous coquus,/ Grant cousin de Happe-la-lune. ») 90 F : que (Il ne fut jamais plus bouffon qu’aujourd’hui.) Refonte du vers 145 : « Il est plus fol qu’il ne fust oncques. » 91 Interjection courante. Cf. le Dorellot, vers 22. 92 F : Cest (Il n’est pas d’homme aussi avisé.) 93 F : noz (En Picardie, « no » = « notre ».) Jénin parle à sa sœur : ils habitent la même maison. 94 Même sens phallique que oiseau. « Voilà un gentil oiseau ; je m’en vay gager que si on luy touchoit sur la queue, on la luy feroit redresser. » Charles Sorel. 95 « Caresses préliminaires. » (Guiraud, Dict. érotique.) « De maint tendron (il) fourrageoit les appas,/ Croyant déjà, grâce à la petite oie,/ À bonne fin amener ses ébats. » (Robbé de Beauveset.) 96 Son morceau. 97 Anuit = cette nuit. (Cf. la Confession Margot, vers 2.) Les femmes pauvres mais honnêtes rendaient certains services manuels aux messieurs contre de la nourriture. 98 Cette taverne, embusquée dans l’île de la Cité, jouissait d’une pénombre propice. Par deux fois, Villon la qualifie de « trou » (Laiz 149 ou 157, Testament 1045). 99 « RAPPÉE. Nom de lieu dans la halle de Paris : “Buvoit en la Rappée, ès halles de Paris.” » (Lacurne.) Les marchands des Halles nourrissaient les idiots, comme cela est rapporté dans la Vie et trespassement de Caillette. 100 De la bouillie de légumes. Cf. le Capitaine Mal-en-point, note 127. Ou bien de la purée de raisin, du vin. Voir Jody ENDERS : Immaculate Deception and Further Ribaldries, University of Pennsylvania Press, 2022, p. 212. 101 Commencez à le dire (le Benedicite qui précède le repas). On trouve une scène comparable dans Sœur Fessue (vers 162) : les religieuses annoncent qu’elles vont dire le Benedicite, mais « o lieu de le dire, y chantent » une chanson paillarde, comme c’est le cas ici. 102 Brian Jeffery : Chanson verse of the early Renaissance, I, 123. Voir aussi la Pronostication d’Habenragel (Montaiglon, VI) : « Tous ces suppoz de l’Ordre Sainct-Babouyn/ Haront tousjour pertroublé le cerveau,/ Les ungs d’iceulx par trop boire de vin,/ Et la pluspart pour ne boire point d’eau. » Cette confrérie bachique est une émanation de « l’ordre de la Baboue », qu’Eustache Deschamps avait dépeint dans sa Ballade 927. 103 L’heure de prime : 6 heures du matin. 104 Elle entend un bruit incongru émis par Caillette. 105 Vessir = péter. 106 Le pet est souvent considéré comme une boisson. Voir le fabliau scatologique d’Audigier : « Donc buvez, dist Rainberge, [ce] que j’ai vessi ! » 107 F : Qui (Un peu suffit.) 108 Pleine de « vents ». 109 Je l’ai mise en perce, je l’ai entamée. 110 On trempait couramment le pain dans du vin : cela s’appelait une miaulée, ou un mouilleron. 111 F : en nonchalentis (Dédaigneux.) 112 Elle frappe sur le crâne de Caillette, comme au vers 170. 113 Qui me pique la tête. 114 Humiliés. 115 F : mon (Verdin = niais.) 116 La paix ! 117 Une assemblée, comme les religieux. 118 F : tiens 119 Dans le genre du « couvent de Serre-Fessier ». (Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) 120 Viendront. 121 F ajoute : Et plus en vie ne seray 122 Qu’elle soit dessinée sur le vif. 123 Pause. 124 Certains. Les théologiens ne verraient pas d’un bon œil cette abbaye de Thélème avant la lettre. 125 Qu’il désigne. 126 C’est quelqu’un ! Le fait est qu’il n’a pas moins de raison que les autres. 127 Dans l’Ordre de Saint-Babouin (vers 227). 128 Préparatif. 129 F : chaise (Vers 284.) La chaise percée permettra au flatulent Caillette de faire ses besoins ; mais elle pourrait aussi permettre à une main innocente de vérifier que ce nouveau pape, dont le nom veut dire « couille », en a deux et bien pendantes (duos habet et bene pendentes) : « D’où vient donc qu’à présent ceste preuve est cessée/ Et qu’on n’ha plus besoin de la chaire percée ?/ C’est pource que ceux-là qui ores les clefs [de saint Pierre] ont,/ Par les enfans qu’ils font monstrent bien ce qu’ils sont. » (Henri Estienne.) Jody Enders, dans son adaptation américaine de la pièce, rapproche le « seat of shit » et la légendaire papesse Jeanne <p. 208 et note 21>. 130 Mes besoins. « Le prisonnier demanda au dit sergent qu’il le déferrast pour aller faire son aisement. » (Godefroy.) Caillette est LE personnage scatologique de la pièce, et J. Enders a raison de rappeler que la caillette désigne l’estomac des ruminants <p. 210>. 131 F ajoute dessous : Bon bon 132 F : Establissez que vouldriez que (Choisissez celui que vous voudriez qui fasse.) 133 Un lieu de prostitution. L’eschollier lymousin (Pantagruel, VI, éd. 1532) vantera encore « les lupanares de Champgaillard ». Cf. les Premiers gardonnéz (note 9), et les Sotz qui remetent en point Bon Temps (note 50). 134 Le nombre de nos pratiquants (choisis dans la clientèle des prostituées). 135 La permission. 136 Un conseiller. 137 Sur l’abbé des Fous, voir la note 70 des Sotz ecclésiasticques. 138 F : nys (Ny = nid. « Tel cuide les oyseaulx au ny. » Guillaume Alécis.) 139 F : prie (qui fausse la rime. On lit « je vous pry » au vers 240.) 140 Les élèves du collège de Beauvais, à Paris. Les enfants étaient confrontés de bonne heure à la sexualité, que ce soit à la maison, où ils dormaient dans la même chambre que leurs parents, ou en internat. Le Journal d’un bourgeois de Paris rapporte qu’en 1414, dans les rues, « les petiz enfans » chantaient tous : « Vostre con a la toux, commère,/ Vostre con a la toux, la toux ! » 141 F ajoute : A paulme nostre amy tres