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LA CONFESSION RIFFLART

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Recueil Trepperel

Recueil Trepperel

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LA  CONFESSION

RIFFLART

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Les confessions parodiques pimentent un grand nombre de farces : la Confession Margot, la Confession du Brigant au Curé, le Testament Pathelin, le Munyer, le Ribault marié, Frère Guillebert, et j’en passe beaucoup. Les humoristes du Moyen Âge avaient déjà compris qu’on faisait rire en détournant des sujets sérieux, voire sacrés. La Confession Rifflart date environ de 1480 ; elle appartient au répertoire des Conards de Rouen1.

Source : Recueil Trepperel, nº 27. Le texte fourmille de petites fautes de lecture.

Structure : Rimes plates, souvent négligées, parfois même irrégulières.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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La  Confession

Rifflart

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À quatre parsonnages, c’est assavoir :

       MÉHAULT

       RIFFLART

       LE  PRESTRE

       ROGIER

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Rifflart

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                        [LE  PRESTRE] 2  commence

       Dieu qui [souffris grief]3 passïon

       Pour la nostre rédemption,

       Vueille garder la compaignie

       De tout mal et de villennie !

5     Le curé de vostre4 paroisse

       Vous dist que le saint temps apresse5,

       Et que le jour de Pasque vient ;

       Et que purger il se convient

       Par très vraye confession6.

10   Je le dy pour ung compaignon

       Qui se fait Rifflart appeller7 :

       Oncques n’eut vouloir d’y aller ;

       Ce luy semble desrision.

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                        RIFFLART 8  commence                      SCÈNE  I

       Or çà, Méhault, bel oyselon,

15   Ung gros cueur en petite pance9 :

       Qui te donne10 malle meschance ?

       Méhault, pourquoy ne chante-tu ?

       As-tu doncques joye pardu ?

                        MÉHAULT

       Rifflart, doulx amy débonnaire11 :

20   Mais qu’i ne vous vueil[l]e desplaire,

       Je vous diray ma conscience12.

                        RIFFLART

       Méhault, or dy ce que tu pense ;

       [De ce,] jà ne me courceray13.

                        MÉHAULT

       Rifflart, compains14, je vous diray :

25   Vécy jà la qua[t]r[i]esme année

       Que m’avez prinse et espousée.

       Mais je suis comme [in]fortunée

       Pour[ce] que me suis advisée

       Que puis, ne15 fustes à confesse.

30   Allez-y, il n’y a pas presse16.

       Mon bel amy, je vous en prie !

                        RIFFLART

       Par Dieu, Méhault, ma doulce amye !

       Vous m’avez fait trèsgrant despit.

       Avez-vous ores donc17 ce dit

35   Pour me faire abréger ma vie ?

       Vous sçavez toute ma convie18 :

       Seray-je donc prins, ou pendu19 ?

                        MÉHAULT

       Rifflart, c’est trop mal entendu.

       Saichez, de vray, se n’y allez,

40   Jà aux Pasques ne mengerez

       Ne flans ne tarte, par ma foy20 !

                        RIFFLART

       Or avant ! Méhault, quant à moy,

       Puisque c’est vostre gré, g’iray.

       Mais dictes-moy que21 je feray,

45   Car oncques, en jour de ma vie,

       N’oÿ parler de tel folie.

       Fault-il donc aller à confesse ?

                        MÉHAULT

       Vous n’avez plus sens q’une asnesse22 !

       Sçaichez qu’il n’est homme ne femme23

50   Qui ne doit jûner24 en Caresme,

       Et aler à confession.

       Ceulx qui sont en dévotion

       Y vont bien trois fois, voire quatre.

                        RIFFLART

       Méhault, point n’y [fault cy débatre]25.

55   Cuidez-vous qu’entre nous26, Conars,

       Qui ne sommes point papelartz27,

       Ayons de confesser mestier28,

       Ne d’aler souvent au monstier29 ?

       Nous avons le sanglant gibet !

60   Au fort, [pour finir]30 nostre plet,

       [G’iray veoir nostre bon pater31.]

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       Je me doy bien desconforter,                                   SCÈNE  II

       Qui32 suis si joly compaignon.

       Je crie33 à l’ail et à l’oignon

65   Que bon conseil puisse34 trouver.

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       Rogier, je m’en vois confesser :                               SCÈNE  III

       Mahault par force m’i envoye.

       Qu’on ne me pende ! je cuydoye

       Que nulz homs35 ne se confessast

70   Tant qu’il peust boire, ne mengast36.

       Mais j’estoye trèsbien d’acord

       Qu’on se confessast à la mort37.

       Encores est ma femme saige38.

                        ROGIER

       Riflart, on doit garder l’usaige39.

75   Se tu veulx40, trop bien t’aprendray

       La manière comment j’y41 voy.

       Quant je vueil aller à confesse,

       J’attens qu’il y ait bien grant presse ;

       Et s’on ne veult à moy entendre42,

80   [Je m’en vois hors sans plus attendre.]

       Ainsi, je me suis bien passé,

       [Puis] quatre ans, d’estre43 confessé.

       Et quant j’y44 suis, certainement,

       Si fais-je bien subtillement.

85   Je ne suis45 pas co[r]nart ne lourt :

       Pource que mon curé est sourd,

       Je m’en vois à luy voulentiers ;

       Je dy entre deulx motz le tiers46,

       Bien bas. Et quant je suis au bout,

90    Il le me demande se c’est tout ;

       Je dy : « Ouÿ. » Lors, il m’assault47.

       Comment que ce soit, ne m’en chault,

       S’on48 ne me puist traîner et pendre.

       Il veult sçavoir que j’ay au ventre49,

95   Mais encore ne m’a-il mie,

       Foy que je doy à saincte Marie !

       Il ne me fina, au50 jour d’huy,

       De dire : « As-tu rien de l’autruy51 ? »

       Il sembloit que je fusse lerre52.

100  Alors, je m’en party bon erre53.

                        RIFFLART

       Tu en as tant dit, par ma foy,

       Que g’y vueil aller comme toy,

       Et sça[u]ray qu’il [me] vouldra dire54.

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       Mon povre cueur forment55 souspire                          SCÈNE  IV

105  Quant je ne puis trouver séjour56

       Pour alléger ma grief doulour57

       Qui58 jour et nuyt si ne me fine.

       Je suis bien mis à discipline59.

       Sire, que Dieu vous doint sa joye !

110  Ma femme confesser m’envoye.

       (En ma vie, plus n’y entray60.)

                        LE  PRESTRE

       Parle plus hault et je t’orray61 :

       Il n’y a nul cy près de nous.

                        RIFFLART

       Sire, [si suis-je]62 près de vous.

115  Nous sommes cy en povre lieu63.

                        LE  PRESTRE

       Or, dy, bel amy, de par Dieu,

       Tout64 à loisir : t’as bonne espace65.

                        RIFFLART

       Mercy66, sire, sa vostre grâce67 :

       Car vous devez dire devant68 ;

120  À moy n’est pas appartenant69.

       Point ne doy avoir tel maistr[i]e70.

       Or tost, sire, je vous en prie,

       Dictes devant, délivrez-vous71.

                        LE  PRESTRE

       Se m’aïst Dieux72, mon amy doulx !

125  Je ne diray point devant toy,

       Beau filz, car je ne sçay de quoy

       Tu te veulx confesser à moy.

       Mon amy, vueilles abréger.

                        RIFFLART

       Sire, on vous doit honneur porter

130  À cause que vous estes prestre ;

       Encor(e) ne suis-je pas si beste,

       Si fol ne si oultre-cuidé.

       Je vous prie, ne soyez courcé.

       Se vous voulez, je m’en iray ;

135  Car devant vous, point ne diray.

       Si grant follie ne fis oncques !

                        LE  PRESTRE

       Puisqu’ainsy va, je diray doncques.

       Tu dois dire premièrement

       Tes meffais dont il te souvient.

                        RIFFLART

140  Sire, je suis bien souven[an]t

       Que j’ay ouvré73 huyt jours ou tant

       Sur deux clochers merveilles74 haux,

       Et n’ay eu, pour tout75, que deux solz76 :

       Je me repens, par saint Remy,

145  Que je n’en eus77 deux et demy,

       Car ç’a78 esté par ma follie.

                        LE  PRESTRE

       Ne dy plus ainsi, je te prie !

       Ce n’est pas ce que je disoye.

       Tu feis79 péché ?

                        RIFFLART

                                    Dieu80 me doint joye !

150  Mais c’est de la plante des piés81,

       Car j’ay chaussé des soulléz vielz82,

       Et tousjours quant voy en besongne83.

                        LE  PRESTRE

       Se m’es[t] Dieux84 ! je croy [que] c’est songne85,

       Ou autrement, t(u) es fol ou yvre !

155  Je te pri que tu te délivre,

       Car j’ay trèsgrant mal en ma teste.

                        RIFFLART

       On me [pende s’à jour de feste

       À personne je me bailloys]86 !

       Au prévost je [le menderoys]87,

160  Car il est de telle nature

       Qu’il n’espargnera créature,

       Se je ne vous dy vérité.

                        LE  PRESTRE

       Bel amy, j’ay de toy pitié.

       Or vien ung peu plus près de moy88.

165  Et tout premier, confesse-toy,

       Je te prie, des sept péchéz

       Mortelz dont tu es empesché89.

       Et puis après, je te recorde90

       Des œuvres de miséricorde,

170  S’acomply les as nullement91.

       Et quant aux dix commandement[s],

       Tu as mesprins92, comme je croy.

       Et aux articles de la Foy93.

       Et se tu as communiqué

175  Avec nul excommunié94.

       Ainsi confesser tu te doys.

                        RIFFLART

       Sire, par Jhésus le doulx roys,

       J’acorde ce que dit m’avez.

       Et se plus riens vous y sçavez,

180  Je vous prie, dictes-le-moy

       Entre nous deux, cy à requoy95.

       Faictes-le tost, hardi[e]ment.

       Je me confesse largement

       De tant que dire me pourez96.

                        LE  PRESTRE

185  Beaux amys, de tous tes péchéz

       Dont tu as fait confession,

       Requiers-tu absolution97 ?

                        RIFFLART

       Ouÿ, sire, certainement.

                        LE  PRESTRE

       Et je t’en absoubz vrayement.

190  Absoluction[em] et remission[em] 98.

       Tu es absoubz présentement.

       Mais, mon doulx amy débonnaire,

       Il te fault pénitence faire.

                        RIFFLART

       Voire, sire, quel pénitence ?

195  N’ay-je pas assez de meschance99 ?

                        LE  PRESTRE

       Beaulx amys, il te fault jusner100.

                        RIFFLART

       Voulentiers, jusqu’à desj[u]ner101.

       Quant toute jour jusné102 j’auroys,

       Je ne sçay que je mengeroys103 !

                        LE  PRESTRE

200  Donc104, il te fault aller en lange.

                        RIFFLART

       Tousjours j’y105 suis jusqu’à la manche.

                        LE  PRESTRE

       Beau doulx amy, que veulx-tu faire ?

       Veulx-tu doncques vestir la haire106,

       Sans plus, tout au long de ton ventre ?

                        RIFFLART

205  Nenny, dea ! j’ay la chair trop tendre,

       Je seroye trop maltraicté ;

       Elle escorcheroit mon costé.

       Par les sainctz ! vécy107 grant merveille :

       Qui vous a ce mis en l’oreille108 ?

210  Mais que vous griefve109 ma chemise ?

                        LE  PRESTRE

       Or ne sçay plus110 en quelle guise

       Te servir, par sainct Pol l’apostre !

       Va-t’en, et dy troys patenostres111.

                        RIFFLART

       S’on ne me pent parmy la gueulle,

215  Je n’en sçay q’une toute seulle.

                        LE  PRESTRE

       Bien, de par Dieu ! Dy-la trois fois112 !

       Je croy que tu fais l’ententrais113 ;

       Va-t’en d’icy, il m’en114 desplaist !

                        RIFFLART

       Sire, se m’aïst Dieu, non fait !

220  Dolent et desplaisant seroye

       [S’à les compter]115 je mesprenoye.

                        LE  PRESTRE

       Je te vueil doncques commander

       – Sans plus me116 faire recorder –,

       Au soir, quant tu te vas coucher,

225  Que tu dies sans plus prescher117,

       Incessament, ta patenostre,

       En despoullant chemise et cotte118.

       Faire le pourras, ce me semble ?

                        RIFFLART

       Je ne119 despoulle tout ensemble,

230  Toutes les nuytz, quant vois coucher :

       Car je m’en sçay plustost lever

       Au matin, quant je me resveille.

                        LE  PRESTRE

       Je n’ay jamais [veu] tel merveille !

       Qu’est-ce à dire ? Esse mocquerie ?

235  Par la doulce Vierge Marie,

       Mèshuy120 à toy ne parleray !

                        RIFFLART

       Sire, par ma foy, je feray

       Tout ce que me commanderez.

       Jamais parler vous n’en orrez121.

240  Commandez ce qu’il vous plaira,

       Et incontinent fait sera.

                        LE  PRESTRE

       Pour les péchéz que tu as faitz,

       Sans en tenir longuement plaitz,

       Fault que tu voises à Boulongne122

245  (Et ne le tiens point pour mensongne)

       Ainçois123 qu’il soit deux jours passés.

                        RIFFLART

       Sire, il me souffit, [c’est] assez.124

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       Or suis-je de tous mes péchéz                                 SCÈNE  V

       – De quoy j’estoye moult chargéz –

250  A[b]soubz, et ay rémission

       [De] par ce prestre, et vray pardon.

       Si, vueil chanter à chière lye125,

       Sans plus faire chière mar[r]ie,

       Une [très] joyeuse chançon :

255  Pour l’amour de Marion…126

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                        Rifflart retourne au prestre.                    SCÈNE  VI

       Sire, je suis cy revenu

       Car il ne m’estoit souvenu

       De vous demander de l’argent,

       Car je n’en ay point. Vrayement,

260  Je ne soustiens denier ne maille127.

                        LE  PRESTRE

       Et cuides-tu que je t’en baille ?

       Nennin, par Dieu, une poujoyse128 !

                        RIFFLART

       Cuidez-vous doncques que je voise129,

       Se vous ne payez mes despens ?

                        LE  PRESTRE

265  Se Dieu m’aïst ! Je me repens

       Quant au jourd’uy te confessay !

                        RIFFLART

       Et ! par le sang bieu, je ne sçay

       Quelle sottie130 m’y mena.

       Ma femme si m’y envoya.131

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270  Il n’est nul qui croye132 sa femme                            SCÈNE  VII

       Qu’il n’en ait133, en fin, honte ou blasme.

                        ROGIER

       Dea, voysin, tu as creu ta femme ?

       Se tu eusse[s] fait comme moy,

       Courcé ne fusses pas, je croy.

275  Or va, et retourne à ta femme.134

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       Seigneurs, ne prenez en diffame                               SCÈNE  VIII

       Nostre petit esbatement.

       Nous prirons Dieu du firmament

       Qu’il vueille vous et135 nous garder,

280  Et mieulx que Rifflart confesser.

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                                    FINIS

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1 Comme les Veaux, Jehan de Lagny, le Cousturier et le Badin, le Cousturier et son Varlet, etc.   2 T : Mehault  (Ce prologue appelant les paroissiens à venir se confesser ne peut être dit que par le curé de la pièce, laquelle « commence » véritablement au vers 14.)   3 T : souffrir grif  (Qui souffris de graves douleurs. Voir le vers 106.)  « Dieu (…)/ Qui pour nostre rédempcion/ En croiz souffri grief passïon. » Miracle de saint Valentin.   4 T : vostre  (Le curé prêche devant ses fidèles, autrement dit, devant le public.)  Paroisse, en Normandie, se prononçait paraisse : « Critofle Malingreux, clerc de nostre paraisse. » (La Muse normande.) « Appren bien ta lichon [leçon], afin que tu pisse estre/ Un jour à ste paresse, ainsi que maistre Jean. » (Id.)   5 T : aproche  (« Hélas, hélas ! l’heure s’apresse/ Qu’il fault son dernier sacrement. » Farce de Pathelin.)   6 Il fallait se confesser au moins une fois par an, avant Pâques. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 183 et note.   7 Qui s’appelle Rifflard. C’est également le nom d’un autre mari gouverné par son épouse dans la Mauvaistié des femmes. Mais ce pourrait être le surnom d’un goinfre qui aime bien « rifler », s’empiffrer : voir les vers 198-199. De toute manière, ce nom fait rire : « “–Comme as-tu nom ? –J’ay nom Rifflart.”/ Mais ilz rirent tant de ce nom !/ Comme fins folz faisoyent leurs ris. » Mistère de la Conception.   8 Il est chez lui, avec son épouse Méhaut, c’est-à-dire Mahaut, comme au vers 67.   9 Le proverbe dit : « En petit ventre, gros cueur. »   10 T : doint  (Qui te donne ce mauvais chagrin ?)   11 Au vers 192, le curé emmiellera Rifflard dans la même circonvolution.   12 Ce que j’ai sur la conscience.   13 Jamais je ne me courroucerai de cela. Même acronyme aux vers 133 et 274.   14 Mon compagnon, mon ami.   15 T : que  (Que depuis, vous ne vous êtes plus confessé.)   16 Tant qu’il n’y a pas foule à l’église. Dans les farces, quand une femme veut éloigner son époux, c’est qu’elle attend son amant : voir par exemple les Femmes qui font baster leurs maris aux corneilles (F 29). Or, il se trouve que le voisin Roger s’approche de la maison…   17 T : dont  (Avez-vous donc dit cela.)  Les gens superstitieux considéraient que la confession était réservée aux mourants, et que se confesser en bonne santé pouvait faire mourir.   18 Ma façon de vivre.   19 Y a-t-il là de quoi me condamner ?   20 Mahaut tient son goinfre de mari par la bouche. Le comportement infantile de Rifflard est propre à tous les rôles de Badins.   21 Ce que. Tous les personnages de farces qui se confessent ont un point commun : ils ignorent ce qu’ils doivent faire et dire devant le curé.   22 T : beste  (Vous n’avez pas plus de bon sens qu’une ânesse. « S’y n’est trop plus sot c’une ânesse. » Troys Gallans et Phlipot.)   23 Dans les pièces normandes, « femme » rime parfois en -ème. « Pour endoctriner homme et femme,/ Aucuns vous preschent le Karesme. » Sermon joyeux des quatre vens.   24 Respecter le jeûne, dont Rifflard n’est visiblement pas un adepte.   25 T : prens si pres garde   26 Que nous autres (normandisme). Sur les Conards de Rouen, voir ma notice et la note 1.   27 Faux dévots. Leur « abbaye », gouvernée par un « abbé », parodie l’ordre clérical. Voir les Triomphes de l’Abbaye des Conards.   28 Besoin.   29 Au moutier, au monastère. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 116.   30 T : giray veoir  (L’imprimeur a fusionné ce vers avec celui qui suivait.)  Finir notre plaid = trouver une solution à notre querelle ; voir le vers 243.   31 Le Père, le curé. « Laditte religieuse cognut qu’elle s’estoit enamourée follement de leur pater, qui l’administration avoit de leurs âmes. Le bon pater (…) se absenta du lieu totalement. » (Jehan Molinet.) Pater rime avec déconfortèr. Rifflard sort de chez lui et se dirige vers l’église.   32 Moi qui.   33 T : prie  (Les marchands des rues crient « À l’ail ! » et « À l’oignon ! ».) Je réclame à cor et à cri.   34 T : puissez  (Rifflard tombe sur son voisin Roger, qui vient voir Mahaut.)   35 Que nul homme (archaïsme). « La plus belle figure/ Que nulz homs puist de ses yeux regarder. » Eustache Deschamps.   36 Mangeât : tant qu’il eût bon appétit (ce qui est le cas de Rifflard).   37 Au moment de mourir.   38 C’est un constat que les auteurs de farces mettent régulièrement dans la bouche des Badins. « (Je) ne sçay rien faire/ Qui plaise ne qui soyt utile/ À ma femme sage Sébile. » (L’Arbalestre.) Cf. Régnault qui se marie, vers 51.   39 Respecter la coutume.   40 T : veult   41 T : ie  (J’y vais.)  À l’instar de Mahaut, la femme de Roger se débarrasse de lui en l’envoyant se confesser.   42 Si le curé ne veut pas m’écouter tout de suite. Le vers suivant est perdu.   43 T : sans estre   44 T : ie   45 T : fais  (Cornard = imbécile. « Pauvre cornart,/ J’ay eu ta robbe et ton argent ! » Le Pauvre et le Riche.)   46 Le troisième mot, celui qui pourrait me valoir une pénitence. Roger donne ici la définition de l’entend-trois, nommé au vers 217.   47 T : ma sault  (Il m’absout.)   48 Du moment qu’on.   49 Ce que j’ai dans le ventre.   50 T : du  (Il ne cessa pas, aujourd’hui, de me dire…)  Roger fait croire qu’il vient de se confesser, pour que Rifflard aille en faire autant et lui laisse le champ libre.   51 T : loutruy  (En me disant : n’as-tu rien qui appartienne à autrui ? « Avez-vous eu rien de l’autruy ? » Testament Pathelin.)   52 T : larre  (Un larron, un voleur. « Malebouche le lerre. » ATILF.)   53 D’un bon pas. « Et venez après moy bonne erre. » (Frère Frappart.) La confession est vue comme un jeu d’échecs où chacun tente de tromper son adversaire.   54 Ce que le curé voudra me dire. Rifflard s’éloigne, et Roger entre chez Mahaut. En beuglant une chanson d’amour, Rifflard pénètre dans l’église.   55 Fortement. (Cf. les Rapporteurs, vers 26.) Ces cinq vers lyriques et archaïques proviennent d’une quelconque chanson du XIVe siècle. « De plus en plus ma grief dolour empire,/ Dont moult souvent mes cuers souspire et pleure. » Guillaume de Machaut.   56 De repos.   57 T : douleur  (Modernisation due à l’éditeur.)  « Alégier/ La grief dolour/ Qui tient mon cuer en tristesse et en plour. » G. de Machaut.   58 T : Que  (Qui ne me laisse en paix ni jour ni nuit.)  « Faites cesser ma grief dolour,/ Que j’endure pour vostre amour/ Nuit et jour. » Guillaume Dufay.   59 En tourment. Rifflard s’agenouille près du curé.   60 Je n’était plus entré dans une église (depuis mon mariage). Rifflard dit cela en aparté : le curé, qui est dur d’oreille, n’a pas compris.   61 Je t’entendrai.   62 T : ie suis si  (Si, il y a moi !)   63 Votre église n’est pas terrible. Constatation doublement maladroite : les prêtres ne cessent de marteler que « Jésus Christ est nay en povre lieu » (Anthoine Fromment).   64 T : Tant  (« Mais devisons tout à loysir. » Le Poulier à sis personnages.)   65 Tu as le temps.   66 T : Marie  (Non, merci.)   67 Déformation populaire de « sauf votre grâce » : avec votre permission. Cf. la farce normande du Trocheur de maris : « Sa vostre grâce, deulx hermytes/ Le trouvèrent en un tesnyer. »   68 Parler avant moi. Idem vers 123, 125, 135.   69 Il ne m’appartient pas de parler le premier.   70 Cette dignité réservée à un maître.   71 Délivrez-vous de vos péchés. Idem vers 155.   72 Si Dieu m’aide : que Dieu m’assiste ! Idem vers 153, 219, 265.   73 Œuvré, travaillé. Rifflard exerce la profession de couvreur.   74 T : merueilleurs  (Hauts à merveille.)   75 T : iour  (En tout.)   76 T : saulx  (Que 2 sous. Les Normands prononçaient « so ».)   77 T : os   78 T : sa   79 T : fais   80 T : Jay bien fait se dieu  (Que Dieu me donne joie : Dieu me pardonne !)   81 On devait se confesser pour plusieurs parties du corps, et en l’occurrence pour les pieds, comme dans la confession du Testament Pathelin : « Et venons à parler des piedz,/ Qui ès faulx lieux vous ont portéz. »   82 De vieux souliers.   83 Quand je vais au travail. Les couvreurs portaient de vieux godillots qui ne craignaient plus d’être lacérés par les ardoises.   84 Que Dieu m’assiste (note 72). « Ha ! point ne l’auras, se m’est Dieux ! » Le Pauvre et le Riche.   85 Un songe : je crois que je rêve !   86 T : puis pendre a iour de feste / Sa personne ie me failloye  (Qu’on me pende si je me louais à un employeur un jour férié ! « Je me bailleray à l’essay/ Deux ou trois jours. » Chambrière à louer.)  L’Église interdit de travailler le dimanche et les jours de fêtes, où l’on doit chômer les saints : « Dieu n’a rien commandé plus estroitement que chommer le jour du repos. » Godefroy.   87 T : la menderoye  (Je le ferais savoir au juge.)   88 Pour que je t’entende mieux.   89 Chargé. Rifflard succombe pour le moins au péché de paresse et au péché de gourmandise.   90 Je te fais souvenir. « –Se fault-il de tout confesser ?/ –Ouÿ, certes, sans riens laisser/ Dont conscience vous recorde/ Des œuvres de miséricorde. » Testament Pathelin.   91 Si tu les as bien accomplies.   92 Tu as mépris, tu as fauté.   93 « –Se fault-il de tout confesser ?/ –Ouy, certainement ; et penser/ Aux douze articles de la Foy. » Testament Pathelin.   94 Il ne fallait pas adresser la parole aux excommuniés. Cf. le Povre Jouhan, vers 373-374 et note.   95 À l’abri des oreilles indiscrètes.   96 De tous les péchés que vous pourrez me dire.   97 « Se j’ay péché,/ J’en requiers absolution. » La Confession Margot.   98 « Absolutionem et remissionem omnium peccatorum vestrorum. » Prononcé à la française, rémissionan rime avec présentement.   99 De malheur.   100 Jeûner. Cette forme est surtout normande : « Ma pénitenche n’est jusner si longuement. » (La Muse normande.) Cf. le Bateleur, vers 32.   101 Jusqu’à l’heure du déjeuner.   102 T : iusuer   103 T : mengeroye  (Je serais capable d’avaler n’importe quoi.)   104 T : Dout  (Tu dois donc revêtir une chemise de pénitence en laine grossière. « Aler en divers pèlerinages nus piés et en langes. » Godefroy.)   105 T : ie  (Je suis vêtu de lange [de laine] jusqu’aux poignets.)   106 Une chemise de crin que les pénitents portent à même la peau.   107 T : dieu iay  (« Vostre part ? Voicy grans merveilles ! » Jolyet.)   108 Qui vous a mis cela dans la tête ? Allusion au fait que le prêtre est dur d’oreille.   109 En quoi vous gêne.   110 T : ie  (Je ne sais plus de quelle manière…)   111 Récite trois fois le Pater noster.   112 La rime est juste, car les Normands prononçaient et écrivaient « trais fais » : « Je me mis tant à baire [boire]/ Que je cudis trais fais tumber dans le canel. » La Muse normande.   113 Prononciation normande d’entend-trois : « Équivoques à deux ententes, que nos bons pères ont surnommé des Entend-trois. Dont nous avons encor ce proverbe ordinaire que quand quelqu’un feint de ne pas entendre ce que l’on luy propose, & respond d’autre, on dit qu’il fait de l’entend-trois. » Estienne Tabourot.   114 T : ten   115 T : Sa les comptes  (Si, en comptant les patenôtres avec des grains de chapelet, je me trompais. Rifflard insinue qu’il ne sait même pas compter jusqu’à 1.)   116 T : le  (Sans que tu me fasses répéter davantage.)   117 T : cesser  (« Incontinant, sans plus prescher,/ Chargeay dessus à tour de bras. » Les Maraux enchesnéz.)   118 Puisque Rifflard est incapable de compter son Pater noster avec des grains de chapelet, il devra le réciter pendant qu’il enlève sa chemise et sa tunique : le temps qu’il y passera équivaut à la longueur d’une prière. Inversement, la durée d’une patenôtre servait à mesurer le temps lorsqu’on n’avait pas de sablier ; quand les personnages de la Condamnacion de Bancquet se battent, une didascalie précise : « Et pourra durer ce conflict le long de une patenostre ou deux. »   119 T : me  (Je n’enlève pas tous mes vêtements.)   120 Désormais.   121 Jamais plus vous ne m’entendrez contester. Nouvelle allusion à la surdité du curé.   122 En pèlerinage à l’église Notre-Dame-de-Boulogne, à Boulogne-Billancourt. Cf. le Povre Jouhan, vers 338.   123 Avant.   124 Rifflard s’en va, tout guilleret.   125 Avec un visage épanoui. Cf. Maistre Doribus, vers 183.   126 Au logis de Cupidon est une de ces vieilles chansons que Gaultier-Garguille modernisera au XVIIe siècle (v. la note 1 de Jolyet). « Je brusle comme un tison/ Pour l’amour de Marion./ Et quand j’ay mangé mes navets,/ Je luy compose des sonnets. » La transition avec la scène qui suit est abrupte : manque-t-il des vers ?   127 Je n’ai pas un sou. Cf. la Confession du Brigant, vers 4.   128 Pas même un quart de denier.   129 Que j’y aille, en pèlerinage.   130 Quelle folie.   131 Rifflard retourne à sa maison. Il croise Roger, qui en sort.   132 Qui croie, qui obéisse à.   133 Sans en recevoir.   134 Rifflard rentre chez lui.   135 T : es

SŒUR FESSUE

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

*

SŒUR  FESSUE

*

Dans la première moitié du XVIe siècle, un auteur de farces eut l’idée de combiner deux histoires connues : celle d’une nonne trop discrète, et celle d’une abbesse trop pressée. La nonne est enceinte, mais l’abbesse aurait pu l’être aussi. On connaît d’ailleurs plusieurs versions scéniques d’un Miracle de l’abbesse grosse, où une mère supérieure, enceinte de son clerc, obtient de la Vierge Marie un accouchement indolore et discret, contrairement à celui des honnêtes femmes ; la Vierge confie le bébé à un ermite, et comme bon sang ne saurait mentir, elle en fera bientôt un évêque.

La pièce est résolument comique, mais on voit affleurer cette nostalgie du monde qui aigrissait des religieuses dont la plupart étaient cloîtrées malgré elles. La religieuse des Mal contentes exhale quelques jolis soupirs aux vers 424-429.

Source : Manuscrit La Vallière 1, nº 38.

Structure : Rimes plates, truffées d’adjonctions apocryphes que j’ai barrées.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

*

Farce  nouvelle

à  cinq  personnages

 

C’est assavoir :

    L’ABEESSE

    SEUR  DE  BON-CŒUR

    SEUR  ESPLOURÉE

    SEUR  SAFRÈTE 2

    SEUR  FESSUE

*

           SEUR  ESPLOURÉE  commence   SCÈNE  I

        Seur de Bon-cœur, je suys perdue,

        Et me treuve tant esperdue

        Que plus n’en puys !

           [SEUR  DE  BON-CŒUR] 3

                                         Qu’esse, ma seur ?

        Quel nouvèle av’ous entendue ?

5    Quoy ! vous estes-vous estendue

        Sur l’erbe, atendant la doulceur4 ?

           SEUR  ESPLOURÉE

        Nénin.

           SEUR  DE  BON-CŒUR

                     Rendez mon esprit seur5.

           SEUR  ESPLOURÉE

         Je ne le diray poinct.

           SEUR  DE  BON-CŒUR

                                         Hélas !

         Donner je vous pouroys soulas,

10    Et vous garder de desplaisir.

         Dictes-le-moy tout [à] loysir :

         À ses amys, rien ne se celle.

           SEUR  ESPLOURÉE

         A ! ma mye…

           SEUR  DE  BON-CŒUR

                                   Prenez une selle6.

         Vous estes bien fort couroucée.

15   Déclarez-moy vostre pencée :

         Qu’avez-vous ?

           SEUR  ESPLOURÉE

                                    Rien.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                              À brief parler,

         Dictes-moy et [ne] mentez poinct.

         Vous estes-vous laissée aler7,

         Que8 vous tourmentez en ce poinct ?

20   Dictes !

          SEUR  ESPLOURÉE

                         Je ne le diray poinct.

         Agardez, l’honneur en despent.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         C’est mal chanté son contrepoinct ;

         L’honneur sy près du cul ne pent.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Sy vous avez hapé le roide9,

25   Agardez, il n’y a remède :

         Nostre abesse en faict bien autant !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Par ma foy ! mon cœur se repent

         Qu’i fault que j’en oye parler tant.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Je vous veuil dire tout contant

30   Que c’est que céans il y a :

         Vous congnoyssez bien seur Fessue ?

         Frère Roydimet l’a déseue10

         Et gastée11.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                             Avé Maria !

          SEUR  ESPLOURÉE

         Elle est deigà grosse et ensaincte.

35   Sceur, ouez12, dea ! ce n’est pas faincte :

         Nous sommes toutes à quia13

         Par son faict.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                  Avé Maria !

         Et ! Jésus ! Et ! je l’ay tant faict,

         Et à mon plaisir satisfaict

40   Sans estre grosse !

          SEUR  ESPLOURÉE

                                       Hélas, mon Dieu !

         Aussy l’ai-ge faict en mainct lieu,

         Comme elle.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                  Avé Maria !

         Que j’en ay au cœur de détresse

         Et de douleur !

          SEUR  SAFRÈTE             SCÈNE  II

                                Et ! qu’esse ? qu’esse ?

45    Que j’entende vostre débat !

         Comptez-moy, par forme d’esbat,

         Ce que maintenant vous disiez.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Ce n’est rien, non.

          SEUR  SAFRÈTE

                                        Vous devisiez

         D’amour, en ce lieu, en commun ?

50    Mais c’est tout un, ouy, c’est tout un :

          Je n’en fais pas moins, en tout temps,

         Que les bonnes seurs de céans.

         Dictes hardiment !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                        On le sçayt bien

          Que toutes on n’espargnons rien

55    Du nostre ; mais tel pissendalle14

         Sera cause d’un grand scandalle

         Dont nous serons désonor[é]es15.

          SEUR  SAFRÈTE

         Vous me semblez fort esplour[é]es :

         Quelle chose av’ous aperceue ?

60    Qui a failly ?

          SEUR  ESPLOURÉE  et  SEUR  DE  BON-CŒUR

          ensemble disent :

                               C’est sceur Fessue

         Qui a faict…

          SEUR  SAFRÈTE

                              Quoy ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                          Nous n’osons dire.

          SEUR  SAFRÈTE

         Dictes, sy ce n’est que pour rire.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Rire ? Hélas ! Mais j’en pleure et plains,

         Et de larmes sont mes yeulx plains,

65    Pour la douleur que j’ey conceue.

          SEUR  SAFRÈTE

         Qui cause cela ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR  et  SEUR  ESPLOURÉE

          ensemble disent :

                                   Seur Fessue.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Dormir je n’en peulx nuict ne jour ;

         Je n’ay ne repos, ne séjour,

         Ains de douleur je tremble et sue.

          SEUR  SAFRÈTE

70    Qui vous faict ce mal ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR  et  SEUR  ESPLOURÉE

          ensemble disent :

                                              Sceur Fessue,

         Qui a faict…

          SEUR  SAFRÈTE

                              Ouy, mectre à genoulx16

         Quelque un ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                 Elle a faict comme nous ;

         Mais le pire, c’est qu’el est grosse.

          SEUR  SAFRÈTE

         Grosse ? Jésuchrist ! quel endosse17 !

75    Esbahy[e] suys qu’on le permect.

         Mais déclarez-nous, je vous prye,

         Sans que son honneur on descrye,

         Qui l’a faict ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                  Frère Rèdymet.

          SEUR  SAFRÈTE

         Hélas ! el est déshonorée.

80    Et ! Vierge Marie honorée !

         Où la pourons-nous [bien] cacher,

         Le jour qu’el poura acoucher ?

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Je ne sçay.

          SEUR  ESPLOURÉE

                             J’ey bien descouvert

         Aultre foys, qu’el estoyt joyeuse,

85    Et qu’el avoyt l’engin18 trop ouvert

         Pour estre faicte religieuse.

          SEUR  SAFRÈTE

         Elle est plaisante et amoureuse.

         Long temps il y a qu’el aymoyt.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Qui, ma sœur ?

          SEUR  SAFRÈTE

                                     Frère Rèdymet,

90    Rouge comme un beau chérubin19.

         Un jour, avec frère Lubin20,

         In caméra charitatis 21,

         Tout doulcement je m’esbatis ;

         Mais il [n’est sy]22 fort compaignable.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

95    Il est tant doulx et amyable,

         Sœur Safrète, quant y s’y mect !

          SEUR  ESPLOURÉE

         Ouy, le bon frère Rèdymet,

         Quant il a la « teste » dressée

         Et que de luy suys embrassée,

100   Ma leçon23 bien tost se comprent.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         A ! jamais il ne me reprent24.

         Nous vivons no[u]z deulx comme amys :

         Aussy mon cœur luy ay promys.

         Bon Amour25 ainsy le permect.

          SEUR  ESPLOURÉE

105   Quant au bon frère Rèdymet,

         Je le congnoy digne d’aymer.

         Mais afin de n’estre à blasmer,

         Pour faindre estre de saincte vye,

         Je veuil déclarer par envye26

110   À nostre abesse (ce n’est faincte)

         Comme sœur Fessue est ensaincte.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         C’est bien faict.

          SEUR  SAFRÈTE

                                  C’est bien faict, ma sœur.

         Nostre bon père confesseur

         En orra27 le miséréré.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

115   Je vouldroys qu’i28 fust enserré

         En ma chambre, pour sa prison.

          SEUR  SAFRÈTE

         Sainct Pierre ! vous avez rayson :

         D’amour, aparence il y a

         En vos dictz.

          SEUR  ESPLOURÉE,

          allant à l’abeesse pour parler à elle :

                                Avé Maria !                SCÈNE  III

          L’ABEESSE

120   Gratia pléna 29 ! Qu’avez-vous,

         Qui vous amène devers nous30 ?

          SEUR  ESPLOURÉE

         Sans cause je [ne] vous viens voyr31.

          L’ABEESSE

         Certes, j’estoys en ce parloyr,

         En saincte… contemplation

125   Des mos d’édiffication32,

         Atendant l’heure du… menger33.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Sy Mort m’estoyt venue charger,

         Hélas ! je seroys bien heureuse.

          L’ABEESSE

         Et ! qu’esse ? Estes-vous amoureuse ?

130   Regrétez-vous encor le monde ?

                       SEUR  ESPLOURÉE

         Nénin, non.

          L’ABEESSE

                                Céans, il habonde

         Autant de plaisir[s] savoureulx

         Comme au monde. Et qu’il ne soyt ainsy,

         [De]dens ceste maison icy,

135   Povez avoir un amoureulx.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Hélas ! mon cœur trop douloureulx

         Ne peult oultrer34. D’effort j’en sue.

          L’ABEESSE

         Et ! qu’esse, ma mye ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                             Seur Fessue,

         Qui a faict…

          L’ABEESSE

                               Vous dict-elle injure ?

140   Croyez-moy, par Dieu ! sy j’en jure,

         Elle en sera incarsérée.

         Comment ! faict-el la reserrée35 ?

          SEUR  ESPLOURÉE

         Elle a faict…

          L’ABEESSE

                             Je n’y entens rien en effaict.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Elle a faict…

          L’ABEESSE

                               Et quoy ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                                 F[r]icatorès 36.

          L’ABEESSE

145   Ô le grosson peccatorès 37 !

         Per Dieu38, [elle] habuyct grandos

         Punitionnès 39 sur le dos !

         Qui l’eust pencé ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                                       Elle [l’]a faict,

         Et a son péché satisfaict,

150   Car elle est grosse.

          L’ABEESSE

                                          Ô la laide !

         Il y convient mectre remède.

         Mais à qui a-elle adonné

         Son corps ?

          SEUR  ESPLOURÉE

                             [El l’a]40 habandonné

         À frère Rèdymet, le moynne,

155   Il y a long temps.

          L’ABEESSE

                                        Que de peine41 !

         Tenamus chapitrum totus ! 42

         Sonnaté 43 clochétas bien totus !

         Qu’el véniat 44 !

.

.

          SEUR  DE  BON-CŒUR        SCÈNE  IV

                                  Sus ! entre nous,

         Y nous convient mectre à genoulx45,

160   À ce chapitre.

          SEUR  SAFRÈTE

                                  C’est bien dict ;

         Je n’y mectray nul contredict.

          L’ABEESSE

         Or, chantez !

          SEUR  ESPLOURÉE

                                 Bénédicité !    O lieu de le dire, y chantent 46 :

                 Voz « huys » sont-il tous fermés ?

                 Fillètes, vous dormez.47

165       Quant pour vous sont consumméz48

                 Dormez-vous,

                 (Fillètes, fillètes vous dormez)

                 [Mes sens d’amour]49 enflamés,

                 Dormez-vous, fillètes ?

                 Fillètes, vous dormez.50

          SEUR  FESSUE  entre          SCÈNE  V

170   A ! j’éray quelque advercité ;

         Je crains fort le punis[s]antés 51.

          L’ABEESSE

         Vénité, et aprochantez !

         Madamus, agenouillaré,

         Quia vo[u]z fécit mouillaré

175   Le boudin52 : il est bon à voir !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Vous avez laissé décepvoir

         Vostre honneur, dont le nostre en souffre.

          L’ABEESSE

         Vous en sentirez feu et souffre

         En Enfer ; et de vostre vye,

180   N’irez en bonne compaignye

         Sans injure. Et ! comme a-ce esté

         Qu’avez faict ceste lascheté ?

         Vous en souffrirez le trespas !

          SEUR  FESSUE

         A ! mon Dieu, vous ne voyez pas

185   Ce qui vous pent devant les yeulx ?

          L’ABEESSE

         Mon cœur ne fust onc curieulx

         D’estre d’honneur tant descouverte53.

          SEUR  FESSUE

         Hélas ! vostre veue est couverte,

         Dont vostre grand faulte despent :

190   Ce que devant les yeulx vous pent

         N’est pas de tous en congnoissance54.

          L’ABEESSE

         Puys que sur vous j’ey la puissence,

         Je vous pugniray bien à poinct.

          SEUR  FESSUE

         A ! mon Dieu, vous ne voyez poinct

195   Ce qui est devant vostre veue ?

         J’ey failly comme despourveue

         De sens, dont coupable me sens.

         Mais…

          L’ABESSE

                    Quel mais ?

          SEUR  FESSUE

                                       Il en est cinq cens

         Qui n’en ont causé nul55 esmoy ;

200   Et sy56, ne font pas mieulx que moy.

          L’ABEESSE

         [Encore vous]57 levez la teste ?

         Vous estes une faulse58 beste,

         Et avez grandement erré.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Y luy fault le Miséréré,

205   Pour la faulte qui est yssue59.

          SEUR  FESSUE

         Et ! pardonnez à sœur Fessue !

          SEUR  SAFRÈTE

         Y luy fault donner telle peine

         Que de douleur soyt toute plaine,

         Puysqu’on la void ainsy déceue.

          SEUR  FESSUE

210   Et ! pardonnez à seur Fessue,

         Pour cela qu’el a entour60 elle.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Vrayment, el a juste querelle61 :

         Y ne fault pas son fruict62 gaster.

          SEUR  FESSUE

         Qui vous eust voulu trop63 haster,

215   Lors qu’estiez ainsy comme moy,

         En plus grand douleur et esmoy

         Eussiez esté que je ne suys.

          L’ABEESSE

         Demeurez ! Plus oultre poursuys64 :

         Qui vous a ainsy oultragée ?

220   Vous estes grosse, et tant chergée65

         Que plus n’en povez.

          SEUR  FESSUE

                                          A ! ma dame,

         Frère Rèdymet faict ce blasme

         En mainte religion66 bonne.

         Mais je vous pry qu’on me pardonne.

          L’ABEESSE

225   Où fusse ?

          SEUR  FESSUE

                         [De]dens le dorteur67,

         À ma chambre, près le monteur68.

         Ici tant enquérir ne s’en fault69

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Et que ne criez-vous bien hault ?

          SEUR  FESSUE

         Crier ? Je ne sçay qui en crye70.

          SEUR  SAFRÈTE

230   Comment ! voécy grand moquerye !

         Nostre abeesse en sera blasmée.

          SEUR  FESSUE

         Comment, crier ? J’estoys pasmée.

         Et puys en nostre reigle est dict

         (Où je n’ay faict nul contredict)

235   Qu’au dorteur on garde silence.

         Et sy j’eusse faict insolence,

         Bruict ou tumulte, ou quelque plaincte,

         C’estoyt, contre nostre Ordre, faincte71.

         Voyélà pourquoy n’osay mot dire.

          SEUR  ESPLOURÉE

240   Vouélà bonne excuse pour rire !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         Très bien le silence el garda…

          L’ABEESSE

         Mais escoustez : qui vous garda

         De faire signe pour secours ?

         On y fust alé le grand cours72,

245   Et n’ussiez receu tel acul73.

                       SEUR  FESSUE

         Las ! je faisoys signe du cul,

         Mais nul(e) ne me vint secourir74.

          SEUR  SAFRÈTE

         Je n’eusse eu garde d’y courir.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Signe du cul ?

          SEUR  SAFRÈTE

                                  Il est possible :

250   Frère Rèdymet est terrible ;

         Et n’eust sceu ceste povre ânière75

         Faire signe d’aultre manière.

          SEUR  ESPLOURÉE

         C’est le signe d’un tel mestier76

          L’ABEESSE

         Mais il y a un an entier

255   Qu’el est grosse77 ; et ! n’eust-elle sceu

         Nous dire qu’el avoyt conceu ?

          SEUR  FESSUE

         Dire ? Hélas !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                   Ouy, dire, ouy, dire.

          SEUR  FESSUE

         J’ey bien cause d’y contredire.

          SEUR  SAFRÈTE

         Et comment ?

          SEUR  FESSUE

                                 Hélas ! quant j’eu failly,

260   Mon cœur alors fut assailly

         De repentance et de grand peur

         Que l’Ennemy78, qui est trompeur,

         Ne m’enportast pour telle faulte.

         Demanday à la bonté haulte79

265   Pardon, lequel aulx bons permect.

         Et au bon frère Rèdymect

         Je demanday confession ;

         Lequel, à l’asolution80,

         Lors que bien il me descharga81,

270   Absolutement m’encharga

         De ne dire ce qu’avions faict

         No[u]z deulx, ce que j’ey bien parfaict

         Pour craincte de dannation :

         Car dire sa confession

275   Et dire le secrect du prestre,

         C’est assez pour à jamais estre

         Danné avec les obstinés82.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Certes, nous voélà bien menés !

         Ses excuses sont suffisantes.

          L’ABEESSE

280   Punye en serez, je me vantes.

         Ô la [grand] faulte ! ô le grand blasme !

          SEUR  FESSUE

         Hélas ! je vous suply, ma dame :

         Ne regardez tant mon péché,

         Que le vostre (qui est caché)

285   Ne considérez83.

          L’ABEESSE

                                   Ha ! rusée,

         Suys-je de toy scandalisée84 ?

          SEUR  FESSUE

         On veoyt à l’œuil d’aultruy tout oultre

         Un petit festu odieulx,

         Mais on ne veoyt poinct une poultre

290   Qu’on a souvent devant les yeulx85

          L’ABEESSE

         Ma renommée se porte mieulx

         Que la tienne.

          SEUR  FESSUE

                                 Ne jugez poinct86 !

         Les jugemens sont odieulx

         Au Seigneur, qui est dieu des dyeulx.

295   Vous le sçavez de poinct en poinct.

         Paul87, glorieulx apostre sainct,

         Dict que celuy n’aura refuge

         D’excuse, qui sera tasché ;

         Et que luy-mesme il se juge

300   S’il est subject à tel péché.

          L’ABEESSE

         Voyélà suffisamment presché !88

         Suys-je comme toy, dy, meschante ?

         Par Celle-là de qui on chante89 !

         Je te feray bien repentir.

          SEUR  SAFRÈTE

305   Elle se poura convertir,

         Ma dame : ce sera le myeulx.

          SEUR  FESSUE

         Ce qui vous pent devant les yeulx,

         Qui faict vostre faulte congnoistre,

         Nous démonstre qu’i ne peult estre

310   Que vous ne fassiez de beaulx jeux90.

          L’ABEESSE

         Ce qui me pent devant les yeux ?

         Avé Maria ! qu’esse-cy ?

         Vous m’avez trop hastée, aussy :

         De venir, j’estoys empeschée.

315   Et ! mon Dieu, que je suys faschée !

          SEUR  ESPLOURÉE

         Croyez, sy les loix ne sont faulces,

         Que c’est icy un hault-de-chaulces.

          L’ABEESSE

         Avé Maria ! Saincte Dame !

         Je ne suys moins digne de blasme

320   Que sœur Fessue.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                     Sont-il d’usance91,

         Hault-de-chaulses ?

          L’ABEESSE

                                        J’ey desplaisance

         De mon faict.

          SEUR  SAFRÈTE

                                  Et ! Dieu, quel outil !

         Les abeesses en portent-il,

         Maintenant ? J’en suys en soucy92.

          SEUR  ESPLOURÉE

325   Un hault-de-chaulses !

          SEUR  DE  BON-CŒUR

                                             Qu’esse-cy ?

          L’ABEESSE

         Et ! n’en parlons plus.

          SEUR  SAFRÈTE

                                            C’est pour rire ?

         A ! vous ne debvez escondire

         Seur Fessue d’absolution.

          SEUR  DE  BON-CŒUR

         C’est bien nouvelle invention,

330   Porter des chaulces sur la teste.

          L’ABEESSE

         On en puisse avoir male feste !

          SEUR  SAFRÈTE

         Or sus, sus ! chantons-en93 d’une aultre.

         On dict bien c’un barbier raid94 l’aultre,

         Et q’une main l’autre suporte95.

335   Y convient faire en ceste sorte :

         Donnez-luy l’asolution.

          SEUR  ESPLOURÉE

         Voeylà très bonne invention.

         Vous estes à noz96 audinos.

          L’ABEESSE

         Tu fessisti sicut et nos 97 ;

340   Parquoy absolvo te gratis

         In pécata 98. Nunc dimitis

         [In cor bonnum]99, comme au passé100.

         Plus oultre, vadé in passé 101 !

          SEUR  FESSUE

         Gratias ! Me voeylà garie.

345   Je n’ay cause d’estre marie102.

          SEUR  ESPLOURÉE           SCÈNE  VI

         Conclusion : Je trouve erreur caché

         Que cestuy-là veult un péché reprendre,

         Duquel il est taché et empesché,

         Et par lequel en fin on le peult prendre.

350   Vous le pouvoez en ce lieu-cy comprendre.

         La faulte en est à vo[u]z deulx aperceue,

         Tesmoing l’abeesse aveques seur Fessue. 103

         En prenant congé de ce lieu,

         Unne chanson pour dire « à Dieu » !

                 FINIS

*

1 Dans ce même manuscrit, la Mère de ville (composée dans les années 1530) fait dire au Garde-cul : « Il ne fault c’une seur Fessue/ Ayant vouloir d’estre pansue. »   2 Lascive.   3 LV : la IIe seur esplouree  (Je rétablis le nom des trois sœurs ; LV les numérote : la p[remiere], la IIe, la IIIe.)   4 Au 1° degré, la sœur demande à Éplorée si elle a pris froid. Au 2° degré, douceur se réfère au membre viril : « Quant elle eut la doulceur sentie/ De ce doulx membre qui fut roys [roide]. » Parnasse satyrique du XVe siècle.   5 Sûr : éclairez mon esprit.   6 Un siège.   7 Avez-vous fauté ?   8 LV : qui   9 Le raide, le phallus. V. note 10.   10 Déçue, abusée. « Raide y met » est un calembour latin : « Quel verset des Pseaumes aiment mieux les femmes ? C’est (…) Et ipse redimet, c’est-à-dire, Rède y met, ou roide y met. » Tabourot.   11 Engrossée.   12 LV : oues  (Ouez = oyez, écoutez.)   13 En mauvaise posture.   14 Pisser sur les dalles d’un cimetière est un sacrilège : « Qu’on me brusle ce savetier :/ Il a pissé au cymitière ! » Clément Marot.   15 J’ai féminisé le masculin ici, à 58, et à 75 ; mais je n’ai pas touché à l’effarant Madamus de 173. Les cinq rôles de femmes étaient tenus par des hommes. Je signale que deux rôles féminins sont tenus par des messieurs dans la réjouissante interprétation de Sœur Fessue qu’ont donné des étudiants diplômés et des professeurs de l’Université de Western Ontario, à London (Canada).   16 Pour coïter, l’amant se met à genoux sur le lit : cf. le Tesmoing, vers 332. On pourrait renforcer le comique de répétition des vers 61 et 144 en écrivant « Quoy ? » au lieu de « Ouy, ».   17 Fardeau. « Le maistre à son clerc persuade/ De donner l’amoureuse aubade/ À la pauvre pucelle grosse,/ Affin que le clerc eust l’andosse/ D’espouser la mère et l’enfant. » Pour le Cry de la Bazoche.   18 L’esprit ; mais aussi, le sexe. Cf. les Femmes qui aprennent à parler latin, vers 129 et 448. « D’un jeune sotouard, lequel ne sut trouver l’engin de sa femme la première nuit. » Les Joyeuses narrations.   19 « Sotz rouges comme chérubins. » (Monologue des Sotz joyeulx.) Mais on associe traditionnellement la couleur rouge au phallus : la Confession Margot <v. 89>, le Faulconnier de ville <v. 64 et note 22>.   20 Un des innombrables prototypes de moines paillards : « Pour desbaucher par un doulx style/ Quelque fille de bon maintien,/ Frère Lubin le fera bien. » Marot.   21 Dans la salle de charité, une pièce du couvent qu’on ouvrait lorsqu’il fallait nourrir des pèlerins.   22 LV : est bien  (Lubin n’est pas aussi bon compagnon que Raidymet. « [Ils] ne sont pas si compaignables à boire & à manger. » Miroir de la navigation.)   23 Lecture d’un texte biblique. Double sens érotique : « L’un la fout en cul, l’autre en con./ Pour s’exercer en ce manège,/ Elle répète sa leçon/ Avecque le Sacré Collège. » Blot.    24 Il ne trouve rien à corriger lors de ma « leçon ».   25 La Bonne Amour, c’est l’amour courtois, d’après le Roman de la Rose, le Dit de la Rose, ou le Libro de buen amor de Juan Ruiz. Voilà un habillage bien romantique pour de vulgaires histoires de fesses et de Fessue ! Par pudeur, l’obscénité répondait au romantisme, comme ce croquis matérialiste dans la marge d’un manuscrit répond à l’enluminure officielle.   26 Les trois jalouses vont se venger de leur amant volage, et de sœur Fessue qui déshonore le couvent.   27 LV : aura  (Orra = ouïra, entendra notre prière. Miserere mei = aie pitié de moi.)   28 Qu’il (frère Raidymet) soit incarcéré. On emprisonnait les religieux fautifs dans un cachot nommé in pace. Cf. vers 141.   29 « Je vous salue, Marie, pleine de grâce. » Contre toute attente, il s’agit là d’une farce mariale : vers 33, 37, 42, 80, 119, 303, 312, 318, 345. Notre fatiste avait lu le Miracle de l’abbesse grosse : voir ma notice.   30 Lapsus : elle était censée être seule dans sa cellule.   31 LV : voyer  (Je ne viens pas vous voir sans raisons.)   32 Je lisais mon bréviaire. En fait, elle était au lit avec frère Raidymet (note 41). Dérangée par sœur Éplorée, elle a mis sur sa tête la culotte du frère au lieu de son voile. En s’appuyant sur Boccace, La Fontaine déplorera sa bévue dans le conte du Psautier : « Madame n’estoit/ En oraison, ny ne prenoit son somme :/ Trop bien alors dans son lit elle avoit/ Messire Jean, curé du voisinage…./ Elle se lève en haste, étourdiment,/ Cherche son voile, et malheureusement,/ Dessous sa main tombe du personnage/ Le haut-de-chausse, assez bien ressemblant/ (Pendant la nuit, quand on n’est éclairée)/ À certain voile aux Nonnes familier…./ La voilà donc de grègues affublée. » Au XIVe siècle, Jehan de Condé mit « un beau abbé joli » dans le lit de l’abbesse ; laquelle, « kant son couvrechief cuida prendre,/ (…) les braies à l’abbé prist,/ Et puis les jeta erranment/ Sur son chief. » <Le Dit de la Nonnète.>   33 Elle a failli commettre un nouveau lapsus : l’heure du berger est « l’heure favorable à un amant pour gagner sa maîtresse ». (Furetière.)   34 Aller plus loin.   35 La fausse pucelle : les jeunes mariées qui voulaient passer pour vierges allaient voir « l’étrécisseuse » qui, avant leur nuit de noce, utilisait l’eau de tan, « les eaux de myrthe, alun & autres astringens pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». Noël Du Fail.   36 Des frottements. Le sens érotique s’appliquait surtout aux lesbiennes : « Tribades se disent fricatrices. » Brantôme.   37 Ô le gros péché ! (Le latin de sacristie va s’aggraver en même temps que l’indignation de l’abbesse.)   38 LV : perdien  (Le « n » et le « u » sont souvent confondus. La forme courante est per Diem, mais Noël Du Fail emploie per Dieu.)   39 Elle aura de grandes pénitences. (Au futur, il faudrait habebit.)   40 LV : elle a   41 Le chagrin de l’abbesse montre que c’est bien frère Raidymet qui était dans son lit.   42 Tenons ensemble chapitre [une assemblée].   43 LV : sonnare  (Sonnez toutes les cloches.)   44 Qu’elle vienne.   45 Les sœurs étant à genoux, elles ne pourront voir le haut-de-chausses qui coiffe l’abbesse.   46 Au lieu de dire le Benedicite, les nonnes chantent une chanson paillarde, insérée après coup entre les vers 162 et 170, qui riment ensemble. Je corrige ce texte (mis en musique entre 1536 et 1547 par Robert Godard) d’après une partition publiée en 1547. Cf. André Tissier, Recueil de Farces, XI, Droz, 1997, pp. 246-7.   47 La partition ajoute : Ouvrez-les-moy, si m’aymez./ Dormez-vous, fillettes ?/ Fillettes, vous dormez./ Dormez-vous seulettes ?   48 Partition : consummez    LV : consommes   49 Partition : Mes sens damour    LV : mais sans amours   50 La partition ajoute : Dormez-vous seulettes ?   51 La punition, en langage macaronique.   52 « Madame, agenouillez-vous, parce que vous avez fait mouiller le boudin. » Ce mot avait le même sens phallique que l’andouille : « Membre de moine, exorbitant boudin. » (Sénac de Meilhan.) On ne sort d’ailleurs pas de la religion, puisque sainct Boudin allait de pair(e) avec saincte Fente, d’après la farce du Pardonneur.   53 Dégarnie.   54 N’est pas (encore) connu de tous.   55 LV : ny   56 Et pourtant.   57 LV : leues  (L’insolente ose lever la tête… et contempler la coiffe de l’abbesse.)   58 Perfide. Ce vers provient d’une Moralité imprimée en 1507, la Condamnacion de Bancquet.   59 Il lui faut le pardon, pour la faute qui est avouée.   60 En latin de sacristie, on pourrait mettre : inter (à l’intérieur d’elle). Cf. le vers 213.   61 Elle a raison de se plaindre.   62 Son enfant. On voit qu’il s’agit d’une farce : dans la réalité, les religieuses enceintes n’avaient d’autre choix que d’avorter ou de tuer le nouveau-né. « Quant à celles qui sont meurtrières de leurs enfans aussitost qu’ils sont sortis du ventre, les jettans ou les faisans jetter, il y a quelques années que les monastères des nonnains en eussent fourni bon nombre d’exemples (aussi bien que de celles qui les meurdrissent [tuent] en leur ventre). » Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, XVIII. Le chap. VII ajoute : « Les nonnains (…) font mourir leur fruict estant encore en leur corps, par le moyen de quelques breuvages, ou bien estranglent leur enfant si tost qu’il est sorti. »   63 LV : tant  (Si on avait voulu trop vous hâter : si on était entré dans votre cellule, au lieu d’attendre que vous en sortiez.)   64 Restez ici ! Je continue.   65 Chargée, alourdie.   66 Maison de religion, couvent. « Du jeune garçon qui se nomma Thoinette pour estre receu à une religion de nonnains. » Bonaventure Des Périers.   67 LV : dortoueur  (qui n’est pas une rime riche. Dorteur = dortoir, vers 235. Cf. le Maistre d’escolle, vers 4.)   68 Près de « l’échelle pour monter au dorteur des dames » (Comptes de l’aumosnerie de S. Berthomé).   69 Toutes les nonnes l’ont fait au même endroit.   70 Je ne sais pas quelle autre aurait crié.   71 Une tromperie. (On peut préférer : fraincte [infraction].) Jean-Baptiste de Grécourt opposera une abbesse à une nonne enceinte dans son poème le Silence, qui s’achève ainsi : « –Vous n’aviez qu’à crier de tout votre pouvoir./ –Oui, mais (dit la nonnain) c’étoit dans le dortoir,/ Où notre règle veut qu’on garde le silence. »   72 En courant.   73 Une telle contrainte.   74 « Je (respondit la Fessue) leur faisois signes du cul tant que povois, mais personne ne me secourut. » Rabelais, Tiers Livre <1546> : le chapitre 19 emprunte à notre farce les aventures de sœur Fessue et du frère Royddimet.   75 Et cette oie blanche n’aurait pas pu.   76 Qu’on connaît l’amoureux métier, le bas métier.   77 Cf. Gargantua (chap. 3) : « Elle engroissa d’un beau filz et le porta jusques à l’unziesme moys. Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter. » Le docteur Rabelais conclut malicieusement que les veuves peuvent donc jouer du serre-croupière deux mois après le trépas de leur mari.   78 Le diable.   79 À Dieu.   80 LV : la solution  (L’absolution, confirmée par le jeu de mots de 270. Idem vers 336.)   81 Me déchargea. 2° degré : me procura un orgasme : « Elles déchargent quand on les secoue. » (Cyrano de Bergerac.)   82 Les hérétiques.   83 Saint Paul, Épître aux Romains, II-3.   84 Transformée en objet de scandale.   85 Évangile selon saint Matthieu, VII-3.   86 Matthieu, VII-1.   87 Romains, II-1.   88 L’ennuyeux passage 291-301, envahi de rimes proliférantes, est visiblement interpolé : une simple nonne ignorant le latin n’argumente pas une discussion théologique !   89 Au nom de la Vierge, dont on chante les louanges.   90 Qu’il n’est pas possible que vous ne vous adonniez à des jeux amoureux. Les trois nonnes agenouillées vont enfin relever la tête et voir l’objet du délit. Ce passage doit beaucoup au Dit de la Nonnète : « Que savez-vous que il vous pent,/ Belle dame, devant vos ieuls ?…./ Un couvrechef à menus plis/ Vous y pent, dame, ce me samble,/ Qui, par le cor Dieu, bien resamble/ Ce de quoi on couvre son cul. »   91 Est-ce la mode (de porter sur la tête).   92 LV : esmoy  (Cf. les Gens nouveaulx, v. 244.)   93 LV : changons en  (Chantons d’une autre manière, changeons de ton.)   94 Rase. « On dit qu’un Barbier rait l’autre, pour dire qu’il faut que chacun dans sa profession se rende des offices réciproques. » Furetière.   95 Qu’une main aide l’autre.   96 LV : voz  (Vous êtes soumise à notre volonté [audi nos = écoute-nous]. « I li fet tous ses audinos » : il lui passe toutes ses volontés.)   97 Tu as fait comme nous.   98 Je t’absous sans pénitence pour tes péchés.   99 LV : Incorbennem  (Dans un cœur bon : « In cor bonum et devotum. » Nicolai de Gorrani.)   100 Maintenant, tu peux t’en aller avec un cœur pur, comme par le passé.   101 Va en paix.   102 Ultime pirouette sur le nom de Marie, qui avait elle aussi conçu sans péché.   103 Ces décasyllabes aux rimes mal disposées recyclent maladroitement les vers 283-285. Le congé final est commun à beaucoup de farces et de sotties.