SCIENCE ET ASNERYE
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SCIENCE ET
ASNERYE
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Cette farce moralisée, écrite en Normandie vers 1499, comporte comme il se doit des personnages allégoriques : Science représente la connaissance théologique (et non pas la connaissance scientifique). Ânerie représente l’arrivisme des ecclésiastiques qui obtiennent les meilleurs postes par la corruption et non par le mérite. Le clerc d’Ânerie est un personnage de farce, un rôle de Badin, nom sous lequel les rubriques le désignent.
L’auteur craint que les bassesses et les insuffisances du clergé ne provoquent un rejet, qui se produira effectivement avec la Réforme. Cet auteur pourrait être Pierre de Lesnauderie (1450-1524), dont on retrouve ici toutes les qualités et tous les défauts. À l’époque où je situe l’œuvre (~1499), il professait à l’université de Caen. Il a signé deux autres pièces de théâtre : la sottie de Pates-ouaintes (1493) étrille les autorités royales et ecclésiastiques qui voulaient nuire aux privilèges fiscaux dont jouissait l’université de Caen. La Cène des dieux (~1497) est une moralité chrétienne jouée par les dieux de l’Olympe ; pour punir le genre humain, ils ne lui envoient pas un inefficace déluge, mais la syphilis.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 50.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec une ballade initiale et des quatrains à refrain.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Farce nouvelle
À quatre personnages, c’est asçavoir :
SCIENCE,
SON CLERQ.
ASNERYE,
et SON CLERQ, [maistre Johannès], qui est Badin.
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SCIENCE commence 1 SCÈNE I
Tant de fins tours, tant de finesses2,
Tant de maulx [et] tant de rudesses,
Pertes, exès, calamytés !
Les uns eslevés en richesses,
5 Nobles délaissans leurs noblesses,
Faisant tort aulx communités3.
Tant de sos4 mys en dignités,
Tant de gens plains d’iniquictés,
Et tant de gens sans consience !
10 Tant de pompes5 et vanités !
Et toutes ces énormytés
On faict sans moy, qui suys Science.
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J’ey veu que j’estoys florissante,
Aulx cœurs des princes reluysante ;
15 Qu’on prisoyt mes faictz et mes dis.
Mais maintenant, suys impotente.
Mesme l’Église mylitante6
Ne tient compte de mes édis.
Asnes mytrés7, sos estourdis
20 Ont mes serviteurs interdis.
Force m’est prendre en pacience,
Sans mesprisons8 et contredis ;
Car vilains, par moyens mauldis,
Ont faict sans moy, qui suys Science.
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25 Les philozophes anciens
Montroyent aulx princes les moyens
À9 bien leurs subjectz gouverner.
Mais un tas de praticiens10
Pires que les magiciens11
30 Veulent aujourd’uy gouverner,
Tirer à soy et rapiner12,
Et quelque fraulde machiner ;
Sans avoir congé ne licence,
Prendre l’autruy et larcyner13.
35 Telz finesses détermyner
Ont faict14 sans moy, qui suys Science.
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Seigneurs, imaginez comment
Gens vivent vertueusement,
Pourveu que je soyes en présence15.
40 [Jugez que]16, sans sçavoir comment,
Telz finesses certainement
On17 faict sans moy, qui suys Science.
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LE CLERQ DE SCIENCE entre SCÈNE II
Y me fault faire diligence,
Car il est temps et grand saison
45 De me pourvoir18.
SCIENCE
C’est négligence
De croupir auprès du tyson19.
Et dictes, par vostre raison20 ?
LE CLERQ DE SCIENCE entre
J’apète21 science aquérir.
SCIENCE
C’est bien parlé. Mais pour poison
50 Se donne22 à qui la va quérir.
LE CLERQ DE SCIENCE
Y ne fault poinct [sy] loing courir :
Science n’est pas esgarée.
SCIENCE
On m’a cuydé faire mourir.
J’ey esté quasy séparée
55 De mon lieu.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qu’elle est désolée !
Dont provyent cecy, noble Dame ?
SCIENCE
J’ey esté blessée et foullée,
Et navrée23 de corps et d’âme.
LE CLERQ DE SCIENCE
Vostre renom, bruict, los et fame24
60 Est-il mys au bas ?
SCIENCE
C’en est faict.
LE CLERQ DE SCIENCE
Par Dieu ! Pour vous, c’est un ort blasme25.
Qui peult avoir faict ce forfaict ?
SCIENCE
Gens despourveux de bon éfaict26,
Qui de moy ne font pas grand compte.
LE CLERQ DE SCIENCE
65 L’homme ne peult estre refaict27
S’y n’a Science, en fin de compte.
SCIENCE
Par Science, l’homme hault monte.
LE CLERQ DE SCIENCE
[Il est monté]28, le temps passé ;
Mais maintenant, on le desmonte.
70 Toult est aultrement compassé29.
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LE CLERQ D’ÂNERYE, en Badin30, entre.
’Nadiès31 ! ’Nadiès ! SCÈNE III
LE CLERQ DE SCIENCE
Dieu gard, clérice32 !
LE BADIN
Afin que je vous advertisse,
Cléricé 33 suis-je voyrement,
À vostre bon commandement !
75 Je sçay mon françoys et latin :
Vultis vobis, ser[v]os et in…34
Voy(e)là tout mon latin par cœur.
LE CLERQ DE SCIENCE
Méchant, séroys-tu35 faire honneur
À ceste Dame d’excellence ?
LE BADIN
80 Et qui est-elle ?
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est Science,
Combien qu’elle soyt mal en poinct.
LE BADIN
Bau, bau ! Je ne la36 congnoys poinct.
Je n’ay poinct de Science envye.
Je ne la vis onq en ma vye.
85 J’en sçay assez pour mon user37.
Je ne me veulx poinct amuser38
Aveq(ues) elle, car gens scïens39
Sont, pour le jourd’uy, mendiens.
Je voys40 chercher alieurs pasture.
LE CLERQ DE SCIENCE
90 Et où vas-tu ?
LE BADIN
À l’advanture41.
Peult-estre que seray pourveu
Plus tost c’un grand clerq, dea, pourveu42
Que j’ay[e] d’aulcune43 la grâce.
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ASNERYE entre 44 SCÈNE IV
Pour bien jouer de passe-passe45,
95 C’est moy, c’est moy : j’en suys ouvrière46.
J’en prens, j’en donne, j’en amasse ;
J’en ay une grande mynière47.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui est ceste grande loudière48 ?
LE BADIN
N’en dictes mal, je vous en prye !
LE CLERQ DE SCIENCE
100 La congnoys-tu ?
LE BADIN
Elle est ma mère49.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui est-elle ?
LE BADIN
C’est Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
Ânerye ? Vierge Marye !
Elle taille nos manteaulx cours50.
SCIENCE
Mon amy, je te certifye
105 Qu’Ânerye se tient aulx Cours51.
ÂNERYE
Je voys, je viens, je suys en52 cours,
J’ey grande domination.
À mes serviteurs faictz secours,
Et leur donne provision.
LE CLERQ DE SCIENCE
110 C’est une grand irision53
De voir Ânerye eslevée.
SCIENCE
C’est une malédiction !
C’est par elle que suys grevée54.
Elle est maintenant sy privée55
115 De ceulx qui ont gouvernement,
Qu’el a tant faict que suys privée
De tous mes droictz.
LE CLERQ DE SCIENCE
Dictes comment ?
SCIENCE
Elle estudye incessamment
À faire inventions nouvelles.
LE CLERQ DE SCIENCE
120 Nous congnoissons certainement
Qu’Ânerye veult voler sans elles56.
SCIENCE
Et qu’el a faict des plays57 mortelles,
Jadis, dedens noble sité :
[Elle engendra maintes querelles
125 Au sein de l’Université.]58
LE CLERQ DE SCIENCE
Ânerye ? Bénédicité !
Qu’elle cause, au pays, de maulx !
SCIENCE
Tant avons eu d’aversité,
Depuys qu’el a faict ses grans saulx59 !
LE CLERQ DE SCIENCE
130 Nous voyons, par mons et par vaulx,
Courir une estrange saison.
LE BADIN
Pourveu seray (sy je ne faulx60)
De bénéfices à foyson.
Je sçay qui est scriptorium61.
135 A quo, a qua. Non régula62 !
Da michy bénéficium63,
[Âneria !]
ÂNERYE 64
Holà, holà !
Avoir les bénéfices ? Dea !
En tel poinct, il fault bien entendre
140 Qu’i sont estalés çà et là.
LE BADIN
Comment donc ? Les voulez-vous vendre ?
ÂNERYE
Tu n’es pas expert pour entendre
Ce que j’en veulx détermyner.
LE BADIN
[ …………………… -endre,
…………………….. -ner ?
ÂNERYE ]
J’en puys vendre, j’en puys donner.
145 J’en domyne, j’en prens, j’en taille :
C’est à moy. Pour en ordonner,
J’en oste à l’un, à l’aultre en baille.
Je les espars plus dru que paille65
Pourveu, dea, qu’on face debvoir66.
150 Le plus souvent, y a bataille,
Car à force67 les fault avoir.
LE CLERQ DE SCIENCE
Dame Science, alons sçavoir
Sy pouroys, par vostre moyen,
Estre pourveu.
SCIENCE
Je le veulx bien.
LE CLERQ DE SCIENCE
155 Ânerye départ68 bénéfices
En ellevant gens en ofices,
Ce que jadis vous ay veu faire.
SCIENCE
Je n’en puy[s] mais69, c’est l’ordinaire.
LE CLERQ DE SCIENCE
De nuict, de jour, en diligence70
160 Je vous ay aquise, Science :
Au moins, que j’ay[e] je ne sçay quoy !
SCIENCE
Bref, il ne tiendra poinct à moy ;
Avec vous g’iray volontiers. Parlant à Ânerye :
Voi(e)cy un de mes famillyers
165 Que j’ey à honneur introduict71.
De par moy a esté instruict,
On le voyt par expérience.
ÂNERYE
Je ne vous congnoys.
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est Science.
SCIENCE
Je le plévys sientifique72,
170 Usant73 de raison politique.
À luy, n’y a quelque74 insolence.
ÂNERYE
Je ne vous congnoys.
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est Science.
ÂNERYE
Ayez un peu de pacience,
Car je suys à aultruy debteur75.
SCIENCE
175 Il est digne d’estre pasteur76 :
Vous luy donnerez, s’y vous plaist,
Gouvernement77.
ÂNERYE
À peu de plaist78,
Je n’y ay poinct encor pencé.
LE BADIN
Ânerye, je suys dispencé79
180 D’obtenir quatre bénéfices ;
Donnez-les-moy, y sont propices
À mon estat et faculté.
N’en faictes poinct dificulté :
Monsieur80 le veult et vous le mande.
ÂNERYE
185 Il sera faict, puysqu’il commande.
Tu me semble bien nouvelet81.
LE BADIN
Je suys pour son secret valet82,
Long temps y a, et longue espace.
ÂNERYE, bail[l]ant une amuche83 au Badin :
Recommande-moy à Sa Grâce84 !
190 Tu es pourveu, voi(e)là pour toy.
SCIENCE
Ânerye, à ce que je voy,
Vous pourvoyez un tas de sos
Qui ne séroyent parler deulx mos
De latin congru, et lessez
195 Plusieurs bons clers intéressés85.
N’esse pas grosse rêverye ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Que voulez-vous ? C’est Ânerye,
Qui mect en biens ânes et veaulx.
SCIENCE 86
Voi(e)cy des termes bien nouveaulx !
200 Que vendez-vous ?
ÂNERYE
Des bénéfices.
Les uns je despesches gratis87.
J’en vens de grans et de petis ;
Les denyers m’en sont bien propices.
SCIENCE
Que vendez-vous ?
ÂNERYE
Des bénéfices.
205 Je les dépars, je les eschange,
L’un à privé, l’aultre à l’estrange88,
Mès89 que j’aye bonnes espices.
LE CLERQ DE SCIENCE
Que vendez-vous ?
ÂNERYE
Des bénéfices.
SCIENCE
A ! beste robuste90, Ânerye,
210 Plaine de toulte tricherye :
Me veulx-tu abolir ainsy ?
ÂNERYE
Je vis sans soing et sans soulcy
Malgré vous, Science, ma dame.
SCIENCE
Et ! se faictz mon91, bon gré mon âme !
215 Tu en es92 cousu et taillé.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui, grand deable, vous a baillé93
Gouvernement ?
ÂNERYE
C’est trop raillé !
On le veult, il vous doibt suffyre.
LE CLERQ DE SCIENCE
C’est pour les bons clers desconfire.
220 Vous avez bénéficié94
Qui ne sçayt (pour toute devise)
Dire, quant il est à l’église,
Seulement un Per omnya97.
LE BADIN
225 Qui, moy ? Qui, moy ? Sy feray, dea !
Mot98, mot ! J’en voys prendre le ton :
« Per omnya sécula séculorum !! »
N’ei-ge pas l’oreille haultainne99 ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Va ! Ta forte fièbvre quartaine !
230 Tu n’y entens ny gros, ny gresle100.
LE BADIN
Sy fault-il bien que je m’en melle,
Puysque j’ey la pèleterye101.
SCIENCE
Qui t’a apoinct102 ?
LE BADIN
C’est Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
Vous voyez bien qu’i ne sçayt rien.
ÂNERYE
235 À mon avys, qu’il chante bien103,
À ce que voy et puys congnoistre !
LE CLERQ DE SCIENCE
Faire d’un tel conard104 un prestre !
Qu’esse icy ? À qui sommes-nous105 ?
LE BADIN
J’éray106 cornète de velou(r)s
240 Traînnante jusques à la terre.
ÂNERYE
C’est le moyen pour bruict aquerre107.
Car, posé108 c’un homme a science,
S’y ne tient terme d’aparence109,
On luy laisse ronger son frain110.
LE BADIN
245 On me descongnoistra111, demain,
Puysque je suys bénéficïé :
Chascun m’apeloyt « Socié » ;
J’auray non « maistre Johannés ».
On engressera les bonnés112
250 Par force de me saluer.
LE CLERQ DE SCIENCE
Y nous fault de propos muer113,
Et conclure sans alibis114
Qu’on faict révérence aulx abis,
Non pas aulx gens siencieulx115.
SCIENCE
255 A ! seigneurs conciencieulx,
Où estes-vous ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Ilz sont aucteurs116.
SCIENCE
Qui faict nouveaulx expositeurs117
A[i]nsy gloser glose sur glose ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui faict les subtilz inventeurs,
260 Maintenant, avoir bouche close ?
N’avons-nous pas, en belle prose,
La Bible en françoys118 ?
SCIENCE
Je suys pérye,
Car toult se faict par Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui faict les bons clers ravaler ?
SCIENCE
265 Qui faict Justice mal aler ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui cause tant d’impôs nouveaulx ?
SCIENCE
Qui faict au monde tant de maulx ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui entretient la pillerye ?
SCIENCE
Conclusion : c’est Ânerye.
LE CLERQ DE SCIENCE
270 D’où vient c’un homme de métier119
On élève aujourd’uy sy hault ?
SCIENCE
D’où vient qu’en clouestre et moutier120
On crie comme en guerre à l’assault ?
LE CLERQ DE SCIENCE
Et d’où vient que soufrir y fault
275 Qu’on perde prévilège et droys121,
Et Justice soyt en défault ?
SCIENCE
Ânerye le veult.
LE CLERQ DE SCIENCE
Je vous croys.
Qui défleure simples pucelles ?
SCIENCE
Qui entretient ces maquerelles ?
LE CLERQ DE SCIENCE
280 Qui entretient déception122,
Larcin, usure, tromperye ?
Dictes-m’en vostre opinion.
SCIENCE
Conclusion : c’est Ânerye.
Nota que le Badin se pourmaine 123,
tenant l’amuche sur son bras.
LE CLERQ DE SCIENCE
Qui esse qui ainsy copye124,
285 Tenant termes125 ? Où sommes-nous !
ÂNERYE, parlant au Badin :
Honneur, Monsieur !
LE BADIN
Dieu vous bénye !
ÂNERYE
Monsieur, comme vous portez-vous ?
LE BADIN
Gorier, je faictz la barbe à tous126.
LE CLERQ DE SCIENCE
Johannés faict du capitaine,
290 Johannés porte le velou(r)s.
LE BADIN 127
Johannés ? Ta fièbvre cartaine !
SCIENCE
Il tient termes.
LE CLERQ DE SCIENCE
Il se pourmaine.
Nos deulx128 sommes petis novices,
Près129 de luy.
SCIENCE
Ânerye le mayne.
ÂNERYE 130
295 Je repliray mes bénéfices.
LE CLERQ DE SCIENCE
Ânerye, nous sommes propices131
D’en obtenir.
ÂNERYE
Rien, pas la maille132 !
LE CLERQ DE SCIENCE
Gros ânyers [et] gens plains de vices
En ont bien.
SCIENCE
Or sus ! qu’on nous133 baille
300 Quelque chose, vaille qui134 vaille,
Au mains135 pour soy entretenir.
ÂNERYE
Ouy dea, de beaulx136 !
LE CLERQ DE SCIENCE
Elle se raille.
C’est perdre temps de nous tenir
En ce lieu-cy.
SCIENCE
De revenir
305 Une aultre foys seroyt folye,
Car il nous peult bien souvenir
Qu’on pourvoyt gens par Ânerye.
Une chanson, je vous emprye137 !
En prenant congé de ce lieu,
310 Une chanson pour dire « à Dieu » !
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FINIS
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1 Elle est vêtue de loques : voir le vers 81. 2 De fourberies. Idem vers 35 et 41. 3 À la communauté. Cf. les Sotz escornéz, vers 282. 4 De sots. Idem vers 19 et 192. Les dignités sont les hautes fonctions des dignitaires de l’Église. 5 D’apparat. 6 « L’Église militante : la présente Église catholique, qui milite en combatant contre ses adversaires, qui sont le deable, le monde et la chair. » ATILF. 7 Les ânes coiffés d’une mitre sont les évêques. Lors de la fête de l’Âne, un de ces quadrupèdes est affublé d’une mitre épiscopale. 8 LV : mes raisons (Sans paroles méprisables. « Depuis vingt ans, sans mesprison,/ J’ay esté tousjours en prison. » Les Sotz qui remetent en point Bon Temps.) 9 Pour. Dans Pates-ouaintes (vers 433-446), Pierre de Lesnauderie opposait déjà l’idéalisme des Anciens au prosaïsme des Modernes. 10 D’experts, ici avec un sens péjoratif. 11 « Ceux qui employent les paroles sainctes & divines à des sorcelleries & effects magiciens. » Montaigne. 12 Tirer l’argent vers eux et se livrer à des rapines. 13 Ils veulent prendre les biens d’autrui et commettre des larcins. 14 Ils ont fait s’accomplir de telles magouilles. 15 En leur présence. 16 LV : juges et 17 LV : ont (Même refrain qu’au vers 12.) 18 De m’octroyer un bénéfice ecclésiastique ou une cure. On croirait entendre Guermouset, qui appartient pourtant à la catégorie des ânes : « Je deusse estre pourveu présent,/ Avoir bénéfices et cures./ N’est-il pas temps qu’on me pourvoye ? » 19 De rester devant sa cheminée, au lieu d’être utile à la communauté. 20 Quelle raison donnez-vous ? 21 Je désire. 22 LV : nomme (La science se montre sous une forme amère à celui qui la recherche.) 23 Blessée. Na-vré-e compte pour 3 syllabes. 24 Ces 4 mots ont un même sens : réputation. 25 Un sale, un indigne blâme. 26 Dépourvus d’une bonne influence. 27 Ne peut se corriger. 28 LV : Ie le montys 29 LV : compense (Agencé. « Tout est mal compassé. » Mallepaye et Bâillevant.) 30 Tout comme cet autre clerc ignorant qu’est Maistre Mymin qui va à la guerre, il est « habillé en Badin d’une longue jacquette, et enbéguyné d’ung béguin, ayant une grande escriptoire ». 31 Les collégiens paresseux abrègent ainsi bona dies [bonjour] par aphérèse. « ’Nadiès, ’nadiès, dominus Totus ! » Tout, Rien et Chascun (BM 56). 32 Clerice est le vocatif (prononcé à la française « cléricé ») de clericus : clerc. Cf. la Résurrection de Jénin Landore, vers 194. Mais le clerc de Science caricature l’ignorance du Badin en prononçant « clérice », qui est la forme locale du prénom féminin Clarisse. 33 LV : clerise (Je suis vraiment un clerc. Ou bien : Je m’appelle vraiment Cléricé, comme le clerc du curé dans Régnault qui se marie.) 34 Il semblerait — mais par quel miracle ? — que le Badin cite le second livre des Chroniques : « Filios Juda et Jerusalem vultis vobis subjicere in servos et ancillas. » À la française, servos et in se prononce comme « cerveaux éteints ». 35 Ne saurais-tu. Même normandisme à 193. 36 LV : le (« Bo, bo ! » est une interjection normande. Cf. Lucas Sergent, vers 66.) 37 Pour mon usage personnel. Cf. les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 22. 38 Perdre mon temps. 39 Savants. L’idée que le savoir ne nourrit pas son homme était fort commune : « Les clers n’ont riens,/ Pour chose qu’ilz aient leu ne veu…./ Les clers bien lettréz ont des poulx. » Les Sotz ecclésiasticques. 40 Je vais. Idem vers 106 et 226. 41 LV : la vuanture 42 LV : pour voir 43 D’une certaine femme. Le Badin voit arriver Ânerie. 44 Elle a des oreilles d’âne, et elle tient un chiffon noué qui renferme quelque chose. 45 « Si jouerez-vous de passe-passe/ Ou vous le ferez ! » P. de Lesnauderie, Cène des dieux. 46 J’en suis spécialiste. 47 Une mine inépuisable. Cf. Ung Fol changant divers propos, vers 168. 48 Cette pouffiasse. Cf. le Mince de quaire, vers 170, 179, etc. 49 LV : mye (« Ce sont Resverie et mère Asnerie, et non pas Artifice [technique] ni Science. » Jehan Le Bon.) « Ignorance est mère de tous maulx. » Proverbe. 50 À cause d’elle, nous sommes court-vêtus. 51 Dans les cours royales, et dans les cours de Justice, y compris la cour d’Église. 52 LV : je (Je suis en vogue. « Vous estes en cours. » Raoullet Ployart.) 53 Moquerie. « C’est grand déshonneur/ Pour nous, et grande irrision. » ATILF. 54 Accablée. 55 Si intime. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 485. 56 Veut péter plus haut que son cul. « C’est folie de vouloir voler sans aile. » Trésor des sentences. 57 Des plaies. 58 2 vers omis (censurés ?). Pierre de Lesnauderie enseignait à l’université de la « noble cité » de Caen, où sévissait l’ânerie : voir Pates-ouaintes. « Le tort qu’il luy faisoit engendra maintes querelles. » Nicolas de Herberay. 59 Ses sauts périlleux, ses bouffonneries. 60 Si je n’y manque pas (verbe faillir). 61 Secrétaire. (À la française, on prononce « scriptorion ».) Dans le colophon de Pates-ouaintes, Lesnauderie se dit « scriba Conservatoris » : secrétaire du conservateur de l’université de Caen. 62 Pas la règle ! Plutôt que d’une règle de grammaire, il doit s’agir de la règle [latte en bois] qui sert à frapper le postérieur des cancres. 63 LV : beneficia (Donne-moi un bénéfice ecclésiastique !) 64 Elle déploie par terre son chiffon, qui contient une aumusse et d’énormes clés de couleur argentée, ouvrant l’accès à telle ou telle cure. Dans la moralité Hérésye et Frère Symonye (LV 57), cinq personnages armés de telles clés veulent entrer dans l’Église : « C’est une clef d’argent/ Qui faict en tous lieux ouverture/ Et mect les gens en prélature. » 65 Je les distribue plus serrés que des fétus dans une botte de paille. Cf. les Frans-archiers qui vont à Naples, vers 11. 66 Pourvu qu’on me rémunère. 67 Par la force. 68 Distribue. Idem vers 205. 69 Je n’y peux rien. 70 Avec diligence, empressement. 71 Que j’ai initié à l’honneur. 72 Je vous le garantis savant. « Si la vous plévis-ge pucelle. » Maistre Mimin estudiant. 73 LV : lysant 74 Aucune. Dessous, le scribe a recopié par inadvertance le vers 168. 75 Je suis débitrice à d’autres que vous. 76 Curé. 77 Charge d’âmes. Idem vers 217. 78 De plaids : en peu de mots. 79 Autorisé par une dispense spéciale. 80 Peut-être s’agit-il de « Monsieur de Bayeux » : c’est le titre qu’on donnait aux évêques du diocèse. « Le sieur official de Monsieur de Bayeux, en ce siège de Caen. » (Ch. de Bourgueville.) L’évêque Charles de Neufchastel appartenait à une famille de redoutables capteurs de bénéfices ; lui-même fut archevêque de Besançon à 20 ans ! Lesnauderie ne court aucun risque en l’attaquant, puisque cet « âne mitré » venait de mourir en 1498 ; d’ailleurs, l’auteur de Pates-ouaintes n’avait pas craint de tourner en ridicule l’évêque de Chalon, bien vivant. Charles de Neufchastel était en outre chancelier de l’université de Caen, où Lesnauderie professait. 81 Un peu jeunot pour régir quatre cures. 82 Je lui tiens lieu d’entremetteur. « Par son secret varlet, (elle) envoya lettres au chastellain. » Les Amours du chastellain de Coucy. 83 Une aumusse : le capuchon fourré que portent les prêtres. Idem entre les vers 283-284. Cf. les Brus, vers 113. 84 À monseigneur l’évêque (note 80). « S’il plaist à Vostre Grâce. » Grandes Chroniques de France. 85 Lésés. Cf. Régnault qui se marie, vers 288 et note. 86 Elle regarde le chiffon sur lequel sont alignées les clés. 87 J’expédie gratuitement. 88 L’un à un proche, l’autre à un étranger. 89 Mais. C’est la graphie personnelle de Lesnauderie : « Car mès qu’ilz aient le liminaire. » (Pates-ouaintes.) Les épices sont les pots-de-vin grâce auxquels on soudoie les juges. 90 La bête robuste désigne l’âne. « Le plus robuste asne qu’on sauroit trouver. » G. de la Bouthière. 91 Moi aussi. « Sy fayz mon, ouy-dea ! » La Pippée. 92 LV : as (Tu en es réduite au silence. « Il en est taillé et cousu. » Le Munyer.) Ce vers inutile et mal accordé, qui introduit une 3e rime, est apocryphe. 93 LV : donne 94 Vous avez pourvu d’un bénéfice. Idem vers 246. 95 Un clerc ignorant. C’est le prénom Jean latinisé. Idem vers 248 et 289. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 37. 96 Un latiniseur inculte. Idem vers 247. C’est le nom d’un écolier dans le Maistre d’escolle. « Pour farcer ygnares sociéz. » Les Coppieurs et Lardeurs. 97 C’est la prière de base : tous les clercs débutants doivent pouvoir la chanter, ou plutôt la brailler le plus fort possible. Cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 1 et 141. 98 Plus un mot ! Prendre le ton = prendre la note. Cf. Maistre Mymin qui va à la guerre, vers 77 et note. 99 Parfaite. 100 Tu n’y connais rien. « Je n’y entens ne gros, ne gresle. » Farce de Pathelin. 101 La fourrure : l’aumusse (note 83). 102 Qui t’a investi (verbe appointer) ? 103 Les mères des futurs prélats sont toujours en extase devant la puissance vocale de leur rejeton : « Il chante bien Orémus,/ Et chante le Péromnia. » D’un qui se fait examiner pour estre prebstre. 104 D’un tel bouffon, pareil aux Conards de Rouen, qui écriront : « Tel est un asne qui pense estre un grand clerc. » Les Asniers remplis d’asnerie. 105 Où sommes-nous ? Même vers dans la Nourrisse et la Chambèrière. 106 J’aurai (normandisme). La cornette est l’extrémité longue du chaperon des docteurs en théologie. 107 Pour acquérir de la réputation. 108 En admettant. 109 S’il ne soigne pas son apparence. 110 On le laisse attendre au lieu de lui donner un poste. 111 On ne me reconnaîtra plus. Cf. le Moral de Tout-le-Monde, vers 306. 112 Mes thuriféraires mettront des traces de doigts graisseuses sur leur bonnet. 113 LV : changer (« Le roy mua propos à force d’estre pressé du duc de Milan. » ATILF.) 114 Sans mauvaises excuses. 115 Savants. L’idée qu’on respecte davantage les hommes pour la qualité de leurs habits que pour leur intelligence n’était pas nouvelle. 116 L’auteur se classe donc parmi les « seigneurs consciencieux ». 117 Commentateurs, glossateurs de la Bible. 118 En 1498, Antoine Vérard venait de publier la Bible historiée. Bien que cette édition fût supervisée par un évêque, Jean de Rély, elle fit grincer des dents aux scholiastes qui entendaient garder le monopole de l’exégèse biblique. Évidemment, les farceurs ont mis leur grain de sel : « La Théologienne scet tout./ Elle a veu de bout en bout/ La grant Bible en françoys…./ Brief, en tous livres elle glose. » Farce de Quattre femmes (F 46). 119 Qu’un artisan. 120 Que dans un cloître et dans un monastère, où le silence est de règle. 121 C’est le sujet de Pates-ouaintes. 122 La fourberie. 123 Se promène. (Idem vers 292.) Imitant les dignitaires de l’Église, il retrousse avec son bras la longue écharpe de son aumusse. 124 LV : corige (Se moque de nous. « Je coppiray mains cocardeaulx. » Les Coppieurs et Lardeurs.) 125 Nous tenant tête. Idem vers 292. 126 Élégant, je snobe tout le monde. « Et si, ferez la barbe à tous. » Colinet et sa Tante. 127 Il s’indigne qu’on ne l’appelle pas « maître Johannès » (vers 248). 128 Nous deux (normandisme). 129 LV : aupres 130 Elle replie le chiffon qui contient les clés. 131 Bien dignes. 132 Pas un centime. 133 LV : leur 134 Que. Cf. la Première Moralité de Genève, vers 297. 135 Au moins. Cf. Pates-ouaintes, vers 45. 136 Des beaux mots, des promesses. Cf. les Trois amoureux de la croix, vers 220. 137 LV : suplye (Ce vers, tel que je le corrige pour la rime, est l’ultime vers de l’Homme à mes pois, du Poulier à quatre personnages, etc.) Le distique final est la signature habituelle du copiste de ce manuscrit La Vallière.