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LE TOURNOY AMOUREUX

Bibliothèque royale de Stockholm

Bibliothèque royale de Stockholm

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LE  TOURNOY

AMOUREUX

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Ce fabliau1 inédit remonte au XIVe siècle. Il obéit à la loi du genre en parodiant les chansons de geste et la littérature courtoise.

Source : Manuscrit Vu 22 de la Bibliothèque royale de Stockholm (copié peu avant 1480), folios 68 r° à 69 v°. Le texte a été modernisé, mais beaucoup d’archaïsmes ont survécu. Il est précédé par une page de gribouillis où l’on discerne deux phallus.

Structure : Rimes (très) plates.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

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            LE  TOURNOY  AMOUREUX

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          Pource qu(e) on parle de tournoys2,

          Et de joustes, et d’esbanoys3,

          Vous vueil parler d’un grant behours4

          Qui fut moult hideux et moult lours,

5    Entre Co[ni]mbre[s]5 et Cuissy6.

          Là estoit le roy de Victry7,

          Et le prince de Panillières8

          (Qui avoit rouges les paupières9),

          Et [le] palazin de Foucy10,

10    Et le damoiseau de Coully11,

          (Qui contre le roy de Co[ni]mbres

          Levèrent enseignes et timbres12),

          Et le prince de Grantmont13

          (Qui est seigneur de Valparfont14),

15    Qui leur octroya ce tournoy.

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          Chacun s’arma comme par soy.

          Le roy de Valparfont manda

          Trèstous les cons, et commanda

          Qu’ilz apportassent leurs héaulmes15

20    Pour mieulx soubstenir leurs royaulmes ;

          Et qu’ilz portassent16 leurs escus

          Contre ces grans coullons17 cornus.

          Ainsi fut fait, à brief parler.

          Là véist-on18 cons assembler,

25    De maint lieu et de mainte terre :

          Cons de Flandres, cons d’Angleterre,

          Cons de Gascongne, cons de Bretaigne,

          Cons de Hénaut19, cons d’Allemaigne,

          Cons françois, cons de Normandie,

30    Cons lorrains, cons de Picardie,

          Cons de Berry et cons d’Anjou,

          Cons d’Auvergne et cons de Poitou,

          Cons de Bourgongne à grant[s] fendasses20,

          Cons lombars parfons21 comme nasses.

35    Tant [il] y avoit de grans cons

          Où il n’avoit rive ne fons22,

          Que sembloit, par champs et par préz,

          Que ce feussent trèstous fosséz,

          Ou grans caveaulx à prendre leux23,

40    Tant furent parfons et hideux !

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          En tant que24 les cons se rengèrent,

          Les vis d’autre part s’avoulèrent25.

          Là véist-on vis de prescheurs26,

          De carmes, de frères myneurs27,

45    Vis de prestres, et vys de moynes

          Noirs et blans28, et vis de chanoines,

          Vis de doiens29, vis d’arcevesques30,

          Vis d’officïaulx31, vis d’évesques,

          Vis d(e) hermites, vis d’augustins,

50    Vis gros, vis longs vis de jacobins.

          Vis de ribaulx, vis de truans,

          Et vis d’Espaigne qui sont grans.32

          Tant y ot33 de vis assembléz,

          Roides, tendus et reboulléz34,

55    Vis cours, vis longs, vis de moison35,

          Que compter ne les povoit-on.

          Contre ung con, ot bien .XXX. vis36 ;

          Et si37, furent tous desconfis…

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          Sur les champs s’allèrent renge[a]ns.

60    Mais les cons s’alèrent hastans

          (Gueulle bée, sans [faire] retraicte)

          Contre les vis, la langue traicte38.

          Le con d’une nonnain s’avance :

          À ung grant et gros vit se lance.

65    Si fort le print par la visière39

          Qu’il lui rompit la cornillière40 !

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          Alors commença la bataille :

          L’un fiert41 d’estoc, l’autre de taille ;

          Li ung42 se rit et l’autre pleure ;

70    [Et] li ung queurt à l’autre seure43.

          Si que les culs prindrent à tromper44,

          Et les coulles à tabourer45.

          Mais de la fumée des cus

          Furent les coullons esperdus,

75    Si que tabourer ne povoient.

          Mais le[s] cus, tout adèz46, trompoient

          Les cons, en icellui termine47.

          Si s’en esmeurent de tel myne48

          Qu’il convint les coullons pasmer49.

80    Et ne se povant remuer,

          Lors se trayent50 les vis arrière,

          Plourans et faisans mate chière51 :

          Chacun avoit la larme à l’ueil.

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          Quant, par de cost[e] ung petit brueil52,

85    Saillirent deux grans viz de prescheurs,

          Et deux grans de frères mineurs,

          Et deux grans, reboulléz, de carmes

          (Qui [n’]avoient à l’ueil les larmes),

          Deux vis d’augustins, et deux d(e) hermites

90    (Qui avoient abatues leurs mitres53

          Pour mieulx regarder la chipoe54

          Des cons qui faisoient la moe55).

          Lors s’avance là ung des vis

          Par soubtillesse et par advis56,

95    Pour porter, devant, la banière :

          [ …………………………… -ière

          ……………………………… ]57

         Mais à leur encontre première,

         Trouvèrent si parfond(e) croslière58

         Que, jusques au neu du baudréz59,

         Furent au parfont enfondréz60.

100   Les cons, qui furent despiteux,

         Les estrangloient deux et deux61.

         Les vis62 des communs deffièrent :

         Mater et vaincre les cuidèrent.

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         Là vint le vit d’un advocat63,

105   Aussi gros qu(e) ung homme a le bras,

         Atout une grand(e) coulle gaupe64,

         Velue et noire comme une tauppe.

         En la vallée de Cuissy,

         Se lança comme ung estourdy

110   Contre le con d’une tripière

         Qui portoit en son alloière65

         Une froissure66 de mouton ;

         Il67 se lança par tel randon

         Qu’il la cousit jusques au foye,

115   Tant que le con en rit de joye.

         Puis y ot-il trahison grant,

         Car le vit s’en yssit plourant68,

         Maté69, et au nez la roupie.

         Lors s’escrièrent par envye

120   Tous les cons : « À ce cop, mo[u]rrez70 ! »

         Lors furent tous les vis lasséz ;

         À genoulx, crièrent mercys.

         S(i) en furent les cons plus hardys.

         Mais ilz firent accordement71

125   Que [tous], par foy et par serment,

         Tant que vis pourroient conquester72,

         Aux cons les devoient apporter,

         Et faire à genoulx révérence73.

         Mais tant ont les vis d’abondance74

130   Que se les trompeurs75 trompent plus,

         Des coullons leur bat(e)ront les culs !

         Ainsi fut la paix accordée ;

         Mais ce fut une paix fourrée76 :

         Car depuis se sont combatus

135   Coulles et vis, et cons et cus,

         Et font encor(es) par maint pays.

         Icy endroit fine mes dis77.

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1 Ou ce Dit : les deux mots sont interchangeables.   2 Le jongleur vient de réciter un épisode chevaleresque. Il s’apprête à le dynamiter joyeusement avec un fabliau, pour le plus grand plaisir des gens raffinés qui l’écoutent. Ce « tournois amoureux » ne sera que sexuel : « Conardz aymantz les amoureux tournoys. » Les Triomphes de l’Abbaye des Conards.   3 De réjouissances, y compris sexuelles : « Faire l’esbanoy/ Tel que femme désire. » (ATILF.) Les mots tournoi et joute offrent le même double sens.   4 Tournoi. Double sens érotique : « Adieu, dames belles,/ Tournois et behours,/ Et joustes sans selles ! » Parnasse satyrique du XVe siècle.   5 Le camp masculin est représenté par Connimbre. (C’est le nom français d’une ville portugaise, Coïmbre : cf. le Capitaine Mal-en-point, vers 584.) Jeu de mots sur le connin, le sexe de la femme : « (Il) vouloit assaillir la place de Connimbre, assise en une vallée fort profonde qui est la plus plaisante qui soit en ce monde…. Quand il fut près de la valée de Connimbre, (il) frétilla tant du bout de son bourdon [pénis] que le portier [clitoris] qui gardoit l’huys de la cité de Connimbre print plaisir au jeu tant, qu’il luy fit ouverture. » Nicolas de Troyes.   6 Le camp féminin est représenté par l’abbaye de Cuissy, près de Laon. Les satiristes en font un couvent de prostituées : dans la sottie des Povres deables, la « fille esgarée » avoue être « de la religion publique,/ Observantine de Cuissy ».   7 Jeu de mots sur vit. « Le roi de » se lit « le roide », comme aux vers 11 et 17.   8 Pénilière = pubis féminin. « De ce tien braquemart, dont l’estoc roide et fort/ A tant de fois percé les drues pénillères/ Des nimphes des forests. » Ronsard, la Bouquinade (où l’on assiste à un tournoi amoureux entre un satyre et la courtisane Laïs ; naturellement, c’est Laïs qui l’emporte).   9 Il copule toute la nuit au lieu de dormir.   10 Le comte palatin qui fout ci [pénètre ici].   11 Le fils du sire de Couilly (aujourd’hui Couilly-Pont-aux-Dames). D’après A.-F. Le Double, les habitants de ce village étaient nommés les Couillons. (Rabelais anatomiste et physiologiste, p. 204.)   12 Ms : tombres  (Sur les enseignes des chevaliers, les timbres surmontent les armoiries. « Escus, timbres, enseignes & devises. » César de Nostradamus.)   13 De Grammont. Jeu de mots sur grand mont de Vénus. « Contentons nos amourettes./ Entre ce grant mont fendu,/ Çà, jouons à la fossette ! » Que tu es belle à mon gré.   14 Le couvent du Val-Parfond : « À Vau-Parfonde,/ Lez nonnains boivent, en couvent. » (Les Sergents.) Vallée profonde = vagin : « Ferons fourrager val parfont…./ En ce trou mettrons la “cheville”. » (Octovien de Saint-Gelays.) Tous les personnages susnommés sont donc dans le camp féminin.   15 Le heaume est un casque. Donnait-on ce nom au cache-sexe métallique des ceintures de chasteté ?   16 Ms : apportassent  (Trop long, et déjà au v. 19.)  L’écu, bouclier sur lequel frappent les braquemarts, symbolise le sexe de la femme : cf. le Trocheur de maris, vers 191.   17 Les couillons [testicules], les vits et les cons sont personnifiés ; ils représentent à la fois un organe, et l’individu qui le porte. Cornu = érigé : « Se mon instrument est cornu,/ Ung jour viendra que je l’auray (…)/ Grant et gros, vif, vert et veinu. » Jehan Molinet.   18 Forme archaïque de « vit-on ». Idem au vers 43. Parmi tous les cons énumérés, seuls les anglais furent connus pour leur grande taille : « Ribauz de Troies,/ Putains de Prouvins,/ Cons d’Angleterre,/ Viz d’Espaigne,/ Coilles de Lorraigne. » Concile d’apostoile.   19 Du comté de Hainaut. Ce passage en revue des cons est assez proche de celui que Jehan Molinet détaillera dans le Mandement de froidure pour le Roy de la Pye.   20 Fentes. « –Il est trop gros, et long à l’advantaige !/ –Bien (dit Robin) : tout en vostre fendasse/ Ne le mettray. » Clément Marot.   21 Profonds. Double sens de nasse : « Hurter ne veult plus à mon huis derrière./ Si n’en puis mais. Si, j’ay le cuer marri/ Quant son engin en autrui nasse trait [tire]. » Eustache Deschamps.   22 Cf. les Sotz qui remetent en point Bon Temps, vers 66.   23 Des fosses pour piéger les loups. (Voir le fabliau Du Prestre et du leu.) « Leu » est archaïque.   24 Dans la mesure où.   25 Volèrent, accoururent.   26 Ms : prescheux  (Voir le vers 85. Les frères prêcheurs sont les dominicains.)  Le camp masculin se compose de religieux, comme il se doit dans un fabliau.   27 De cordeliers. Cf. les Chambèrières et Débat, vers 325.   28 De moines noirs (bénédictins), et de moines blancs (cisterciens).   29 De doyens (responsables d’une communauté ecclésiastique).   30 Jeu de mots sur arcer [bander]. « Janeton, pour recommencer,/ Solicitoit mon vit d’arcer. » Denis de Saint-Pavin.   31 Un official est un juge ecclésiastique.   32 Ces 2 vers semblent apocryphes, malgré la bonne réputation des vits espagnols (note 18).   33 Il y eut tant.   34 Décalottés. (Idem vers 87.) « Vit gros, vit cort, vit reboulé. » Fabliau des .IIII. Souhais saint Martin.   35 De bonne mesure.   36 Il y eut bien 30 vits.   37 Et pourtant.   38 Le clitoris sorti. « Et ! con, pourquoy ne parle-tu,/ Quant tu as langue et barbe ? » Jacquet, mon con est esragé.   39 Le con prit le vit si durement par le prépuce.   40 Le gosier, le cou.   41 Frappe (verbe férir). « [Je] prens mon “baston” en mon poing/ Et frappe d’estoc et de taille. » Le Faulconnier.   42 L’un. Le copiste n’a pas modernisé cet archaïsme.   43 Ms : sequeure  (L’un s’attaque à l’autre. « Cellui ne doit pas estre tenuz pour vaillant qui queurt seure à cellui qui ne se peut deffendre. »)   44 Si bien que les culs se prirent [se mirent] à trompeter.   45 Les couilles se mirent à tambouriner contre les cons. Cf. les Sotz nouveaulx farcéz, vers 210.   46 Aussitôt. Les culs ont enfumé l’air : « Qui tant a fait, du cul, puant fumée. » (E. Deschamps.) Profitant de ce manque de clarté, ils usurpent la place des cons. Les fabliaux accumulent les allusions à la sodomie. Dans l’un d’entre eux, le Débat du Con et du Cul, un con reproche à son puant voisin de le concurrencer : « Quar il le font contre nature,/ [Ceux] qui me lessent et à toi vont. »   47 Pendant ce temps.   48 Ms : ranyne  (En faisant une grimace telle.)   49 Que les couillons eurent une défaillance.   50 Se retirent.   51 Pleurant et faisant triste figure.   52 Tout à coup, à côté d’un petit bosquet.   53 Décalotté leur prépuce. « Maistre Ponce Arrache-boyaulx,/ Maistre Gracien Tâte-mistre. » Guillaume Coquillart.   54 La grimace. Prononcer « chipoue ».   55 La moue, la grimace. Le con n’est qu’une bouche grimaçante : « Si les cons font laide grimace. » Pronostication des cons saulvaiges avec la manière de les apprivoiser.   56 Avec subtilité et sagesse. Cf. le Pourpoint rétréchy, vers 213.   57 Abusé par les rimes en -ière, le scribe a sauté au moins 3 vers. Avant cette lacune, un seul vit s’avance ; après, ils sont plusieurs.   58 Une croulière, un bourbier si profond. Au sens érotique : « Ce sont goufres, ce sont ordes crollières,/ Tant sont les troux horribles et parfonds !/ Qui boutte avant, pour y trouver le fond,/ Il est confus. » J. Molinet.   59 Jusqu’au nœud du baudrier, de la ceinture. Expression courante dans les chansons de geste : « La barbe eut longue jusqu’au neu du baudré. » La Mort Aymeri de Narbonne.   60 Les vits furent engloutis au fond des vagins.   61 Deux par deux.   62 Ms : cons  (Ils défièrent les vits des membres des communautés religieuses.)   63 D’un avocat de la Cour ecclésiastique.   64 Avec un scrotum sale. Dans le fabliau De la Coille noire, une femme se plaint que son mari a la couille plus noire que la chape d’un moine, et velue comme la peau d’un ours.   65 Dans sa gibecière. Les vraies dames y rangeaient leur missel, mais il y a là un calembour sur l’aloyau de bœuf.   66 De la fressure, des abats.   67 Ms : les cus  (Le vit de l’avocat s’élança avec une telle impétuosité.)   68 Sortit du con en pleurant.   69 Ms : Mathes  (V. le vers 103.)   70 Cette fois, vous mourrez. Double sens érotique de « coup ». Ce n’est pas le seul fabliau où les cons s’expriment : cf. Du Chevalier qui fist les cons parler.   71 Les vits et les cons signèrent un accord.   72 Chaque fois qu’ils pourraient capturer des vits.   73 Un cunnilingus.   74 Mais les vits sont si abondants.   75 Que si ceux qui prennent des culs pour des cons.   76 Une fausse paix, comme une monnaie fourrée est une fausse monnaie. Double sens érotique de « fourrée ».   77 Ici je termine mon récit. Formule conclusive de plusieurs Dits : on la trouve telle quelle à la fin du Dit de chascun (Montaiglon, I, 227), et de Pourquoi on doit femmes honorer (de Jehan de Condé).