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LE COUSTURIER ET LE BADIN

Ms. La Vallière

Ms. La Vallière

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LE  COUSTURIER

ET  LE  BADIN

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Parmi les métiers malhonnêtes qui prêtaient le flanc à la caricature, celui de couturier tenait une bonne place. On le dénigre dans le Cousturier et Ésopet, dans Deux jeunes femmes qui coifèrent leurs maris, dans la Seconde Moralité de Genève, et sans doute dans le Pauvre et le Riche. La satire anticouturière nous a aussi légué deux fragments de farces que je publie ci-dessous : le Cousturier et le Badin, et le Cousturier et son Varlet. Ces deux pièces écrites vers 1540 appartiennent au répertoire des Conards de Rouen1, une confrérie joyeuse qui régnait sur le théâtre comique normand.

Nous avons là ce que les numismates appellent une « pièce fourrée2 ». Quelqu’un eut l’idée de « coudre », à l’intérieur d’une farce α dont il manquait le milieu, un morceau d’une farce β, qui est aujourd’hui perdue. Ce rapiéçage est cousu de fil blanc, mais les rôles et le sujet des deux œuvres font assez bon ménage.

  α : Le Cousturier et le Badin va du vers 1 au vers 124, puis du vers 236 à la fin. Les personnages sont un Couturier et un Badin (Colin) qui ne se connaissent pas, une Première Commère et une Deuxième Commère, qui sont voisines et amies, ainsi que Gillette, la Chambrière de la seconde.

  β : Le Cousturier et son Varlet va du vers 125 au vers 235. Les personnages sont ceux qu’énumère l’incipit du manuscrit : un Couturier, son Valet de longue date, deux Jeunes Filles (dont une est Chambrière), et une Vieille ; les trois femmes ne se connaissent pas, et se font une concurrence impitoyable chez le couturier.

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Source : Le Cousturier et le Badin : Manuscrit La Vallière, nº 20, folios 95 v° à 98 r°, puis folios 100 v° à 101 r°. Le Cousturier et son Varlet : Manuscrit La Vallière, nº 20, folios 98 r° à 100 v°.

Structure : Rimes plates, avec 1 triolet dans α, et 3 dans β.

Cette édition : Cliquer sur Préface. (Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.) Je mets entre [ ] tous les noms que j’ai modifiés dans les rubriques. Je numérote sans coupure les vers.

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Farce  à  .V.  personnaiges

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C’est asçavoir :

       LE  COUSTURIER

       [LE  BADIN   (Colin)

       LA  PREMIÈRE  COMMÈRE

       LA  DEUXIÈSME  COMMÈRE

       LA  CHAMBÈRIÈRE  (Gillecte)]

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           LE  COUSTURIER3  commence     SCÈNE  I

     Est-il, soublz la machine ronde4,

     Cousturier qui ouvrage mieulx

     En habis que moy ? Je me fonde

     Qu’i n’en est nul debsoublz les cieulx.

5    Je fais (tant aulx jeunes qu’aulx vieulx,

     Prestres, laïq(ue)s, femmes, méquines5

     Et filles) habis à basquines6.

     Fays collès7, robes et pou[r]poinctz.

     Et sy, subtillement je guignes8

10   À bien souvent remplir mes poingz9.

     Aultre-foys ai-ge faict sans poinctz,

     Sans pièce et sans cousture, habit

     Qui ne me faisoyt grand labit10.

     J’en sortissoys11 honnestement.

15   Et sy, Dieu sçayt certainement

     Comme g’y faisoys ma banière12 :

     Grande, planturesse et planière13,

     Selon l’habit que povet estre.

     Mais ce jourd’uy, on y faict mectre

20   Sy peu de drap, en bonne foy,

     Qu’on n’en séroyt grumer un doy14

     Pour refère un tallon de chausse.

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           LA  [PREMIÈRE]  COMMÈRE15    SCÈNE  II

     Hau ! ma commère !

           LA  DEUXIESME  COMMÈRE16

                 Je me chaulse.

     Que vous fault-il, à ce matin ?

           LA  [PREMIÈRE]

25   Faictes-vous saulpiquet17, ou saulce ?

     Hau ! ma commère !

           LA  .IIe.  COMMÈRE

                 Je me chaulse.

           LA  [PREMIÈRE]

     S’y fault c’une foys vous deschaulse,

     Au feu mectray vostre patin18 !

     Hau ! ma commère !

           LA  .IIe.

                 Je me chaulse.

30   Que vous fault-il, à ce matin ?

           LA  [PREMIÈRE]

     Il m’est prins à mon advertin19,

     Sy quelqu(e) un avec moy s’escote20,

     De faire tailler unne cote21.

     Me veulx-tu tenir compaignye,

35   Ma commère ?

           LA  .IIe.  COMMÈRE

              Dieu vous bénye !

     Ouy, vrayment, et marcher devant.

           LA  [PREMIÈRE]

     Or alons, puysqu’avons bon vent.

     Apelez vostre chambèrière.

           [LA  DEUXIESME]22

     Gillecte, es-tu poinct là-derière ?

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           LA  CHAMBÈRIÈRE23          SCÈNE  III

40   Ouy, metresse.

           LA  .IIe.  COMMÈRE

              Viens[-t’en], vien-t’en !

     Et t’estrique24 assez gentiment :

     Je te veulx de bref marier.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

     Je ne me fais poinct harier25 ;

     Alons là où il vous plaira26.

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           LE  BADIN27                SCÈNE  IV

45   Je ne say qui l’aura, l’aura,

     Cest an, la croche 28 des Conars.

     Il y aura force regnars 29

     Prins, cest esté, à la vollée.

     Par Dieu ! j’ey la teste affoll[é]e.

50   Trouver quelque maistre y me fault.

     Je fais, moy, en troys pas un sault30.

     Colin, c’est assez devisé !

     Mais n’ai-ge pas, là, advisé

     Un compaignon31 ? A ! c’est mon homme !

55   À luy je voys32 parler, en somme.

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     Dieu [vous] gard, Maistre !                 SCÈNE  V

           LE  COUSTURIER

                    Honneur !

           LE  BADIN

                           Et puys ?

     [……………………………….. -uys.]

           LE  COUSTURIER

     Av’ous affaire à ma boutique ?

           LE  BADIN

     Comme se nom[m]e la pratique ?

           LE  COUSTURIER

     J’ey servy les roys et les princes ;

60   Mais quant y falloyt que je prinses33

     Mesure, a ! vous debvez sçavoir

     Que je ne les voulloys que veoir34.

     Étoye-ce besongne, compaing ?

           LE  BADIN

     Y vous faloyt faire le baing35 :

65   Vrayment, vous l’avez bien gaigné.

     Devant, que je soyes enseigné36 :

     Mais dictes-moy de quel mestier

     Vous vous meslez de savatier ?

     Masson ? menuysier ? charpentier ?

70   Ce sont tous mestiers de mesure.

           LE  COUSTURIER

     Rien n’en diray, je vous asseure,

     Tant que [ne] m’ayez dict le vostre.

           LE  BADIN

     Aussy vray que la patenostre37,

     Desclarer vous veuil mon affaire :

75   Stilé suys à tous métiers faire38,

     Et plusieurs aultres.

           LE  COUSTURIER

                 C’est assez.

     Ains que nos propos soyent passés39,

     Vous voulez-vous louer à moy ?

           LE  BADIN

     Ouy [dea], vrayment.

           LE  COUSTURIER

                 En bonne foy,

80   Quans escus40 voulez bien gaigner ?

           LE  BADIN

     Et ! vous [me] vouérez besongner,

     Puys après nous ferons du pris41.

           LE  COUSTURIER42

     Vous estes homme bien apris.

     Cousturier suys, à la Couldrète43.

85   Besongner y fault.

           LE  BADIN

                Bien me hète44.

     Aruné45 me voy(e)là tantost.

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           LA  [PREMIÈRE  COMMÈRE]     SCÈNE  VI

     Alons, commère !

           LA  [DEUXIESME  COMMÈRE]

                [En chemyn]46 tost !

     Trop long temps avons séjourné.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

     Mon maistre aura tantost dîné47 :

90   Gardons bien d’estre avisés d’âme48.

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     Dieu gard, cousturier !                   SCÈNE  VII

           LE  COUSTURIER

                   Honneur, Dame !

     Comme vous portez-vous ?

           LA  [PREMIÈRE]

                     Très bien.

           LE  COUSTURIER

     J’en suys joyeulx.

           LE  BADIN

               A ! bonne femme !

           LA  [DEUXIESME]

     Dieu gard, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                  Honneur, Dame !

           LE  BADIN

95   Chascun de nous, de corps vous ame49.

     Entrez [cy], et ne craignez rien.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

     Dieu gard, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                  Honneur, Dame !

           LE  BADIN

     Et comme vous portez-vous ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                     Très bien.

           LE  COUSTURIER

     Av’ous affaire de mon bien ?

100  Commandez tout ce qu’il vous plaist.

           LE  BADIN

    (Y l’amuseront de leur plait50.)

    Maistre, vous gastez la besongne.

           LE  COUSTURIER

    Paix, valet ! Que poinct on ne hongne51 !

    Vous n’estes pas encor stillé52.

           LE  BADIN

105  Il y aura bien babillé

    Premier qu’il53 partent hors d’icy.

           LE  COUSTURIER

    A ! vous me donnez grand soulcy,

    Varlet ; vous vous ferez charger54.

           LE  BADIN

    Pour vous il y auroyt danger

110  Que ne me misses en deffence.

           LE  COUSTURIER

    À qui parlez-vous, quant g’y pence ?

    Vous pensez-vous de moy railler ?

    Sang bieu ! vous vous ferez bailler

    De l’aune55, et bastre de mesure !

           LE  BADIN

115  Vous n’oseriez, je vous asseure :

    Je ne suys pas à vous loué56.

    Venez-y, beau sire !

           LE  COUSTURIER

                Avoué

    Vous m’avez57, [le] corps de moy Dieu58 !

    Vous semble-il que ce soyt jeu ?

120  Meschant ! vous gaignerez au pié59.

           LE  BADIN  s’enfuyt 60

    (Par Dieu ! quant j’ay bien espié61,

    Je croy que bastre [il] me vouldroict.

    Quel maistre ! Mieulx fuïr vauldroict

124  Que se trouver debsoublz sa main.)

.

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*

LE  COUSTURIER

ET  SON  VARLET 62

*

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Farce  à  .V.  personnaiges

.

C’est asçavoir :

       LE  COUSTURIER

       et  SON  VARLET

       [LA  JEUNE

       LA  CHAMBÈRIÈRE]63

       et  UNE  VIELLE

.

*

           LA  VIELLE  dict :

125  Serai-ge icy jusqu(e) à demain ?

    Despeschez-moy64 !

           LA  JEUNE

                Et moy !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                      Et moy !

           LE  COUSTURIER

    Quoy ! despescher tous troys ensemble ?

           LE  [VARLET]65

    Y vous metront en grand esmoy.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Despeschez-moy !

           LA  JEUNE

               Et moy !

           LA  VIELLE

                     Et moy !

           LE  COUSTURIER

130  Et ! qu’esse icy ?

           LE  [VARLET]

               En bonne foy,

    Maistre, la peau du cul vous tremble.

           LA  VIELLE

    Despeschez-moy !

           LA  JEUNE

               Et moy !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                     Et moy !

           LE  COUSTURIER

    Quoy ! despescher tous troys ensemble ?

           LA  VIELLE

    Cousturier, comme bien66 me semble,

135  Premier me debvez despescher.

           LA  JEUNE  et  LA  CHAMBÈRIÈRE  ensemble :

    Mais moy ! [Mais moy ! Mais…]

           LE  COUSTURIER

                       Tant prescher !

    Le deable vous puisse enlever !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Sy me faictes le poing lever,

    Je vous casseray le museau !

           LE  COUSTURIER

140  Non ferez ?

           LE  [VARLET]

            Bastez, bastez ce veau,

    Qu’i soyt vané à double vant !

           LE  COUSTURIER

    Or çà, çà : laquelle va devant ?

           LES  .III.  ENSEMBLE

    C’est moy !!

           LE  COUSTURIER

            En mal an puissez entrer !

    S’y me fault ma folye monstrer,

145  Toutes troys je vous housseray67 !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Vous, vilain ? Par Dieu ! j’esséray

    Sy pour moy vous seriez trop fort68.

           LA  JEUNE

    Et moy !

           LA  VIELLE

          Et moy !

           LE  COUSTURIER

                A ! je suys mort !

    Et ! holà ! Je suys affollé69.

           LE  [VARLET]

150  Et ! là, là ! Qu’i soyt bien roullé70 !

    Qu’il ayt la teste amolyée !

           LA  VIELLE

    Cuydez-vous ma force lyée

    Pour tant que71 je suys antienne ?

           LE  COUSTURIER

    Hélas ! monseigneur sainct Estienne,

155  Délivrez-moy de ce tourment !

    Et ! Jésus Marie72 !

           LE  [VARLET],  en frapant :

                Et ! vrayment,

    Il en a assez, ma commère.

    Maistre, et ! servez73 la bonne mère

    La première, et puys l’autre après ;

160  Et je serviray par exprès

    Ceste chambèrière joyeuse.

    Alons, vien-t’en, mon amoureuse74 !

    Veulx-tu que ta mesure prengne ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Je veulx qu’en la fasson d’Espaigne75

165  Me fasses une verte cote76.

    Que le corps77 viengne…

           LE  [VARLET]

                   Sus la mote78 ?

    Je voy mectre un jartier79 à poinct.

    Comment mon maistre a esté oingt !

    Maistre, avez-vous les coupx compté ?

170  N’alez poinct à la Viconté80

    Demander le poix de leur[s] mains :

    Bien le sçavez !

           LE  COUSTURIER

              (C’est pour le moingtz :

    Tousjours les perdans sont moqués.)

           LA  VIELLE

    Gardez bien que vous n’ahoquez81

175  Vos doys à mon drap, cousturier.

    Or commenceons !

           LE  COUSTURIER,  en mesurant :

                Çà ! tout premier :

    Vous les voulez à la vasquine82 ?

           LA  VIELLE

    Ouy dea.

           LE  [VARLET]

          Et toy, à la turquine83,

    Depuys les rains jusqu(es) au colet ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

180  A ! que mauldict soyt le valect !

    Tousjours se moquera de moy.

           LE  COUSTURIER

    Ma Dame, je suys en esmoy84

    Sy nous le fendron par-devant85.

           LA  JEUNE

    Et ! ouy, ouy. Que que Dieu vous avant86 !

185  C’est le myeulx, comme il m’est advis.

           LE  [VARLET]

    Veulx-tu le tien au « pont-levys87 »,

    Descousu jusqu(e) auprès du ventre,

    Toult ainsy ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

             Qu’en mal an tu entre !

    Ta parolle est par trop vilaine !

           LE  [VARLET]

190  Le corps88 est joingnant de[ssus] l’aine,

    Et la « poincte » sur le margault89.

           LE  COUSTURIER

    Or çà, çà ! mesurer fault le hault.

    Vostre croisée90 est assez grande.

           [LA  JEUNE]91

    A ! c’est une chose gallande.

195  Faictes-moy la manche poupine92.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Faictz le mien à la mail[l]otine93,

    Badin, tu auras un escu.

           LE  [VARLET]

    Depuys le talon chuche94 au cu ?

    [Ma foy !] j’entens bien la manière.

200  Et, sus ! dressez-vous, chambèrière,

    Que je prenne un peu mes longuesses95.

    (Il[s] ont bien sept quartiers de fesses,

    Ces grosses garces mamelus96 !

    Quant quelques povres trupelus97

205  Leur font faire la tournebouelle98,

    Y chuchent toute leur mouëlle99

    Et100 substance ; y ne faillent pas.)

    La « poincte » sera assez101 bas,

    Là endroict ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

             An ! qu’il est friant102 !

210  Tousjours faict quelque cas riant.

    Encor plus longue la demande !

           LE  [VARLET]

    Vertu103 bieu !

           LE  COUSTURIER104

              Je vous faictz demande :

    De velours la voulez bordée ?

           LA  VIELLE

    Ainsy vous l’ai-ge commandée.

215  Nous en avons tout d’achapté105.

           LA  JEUNE

    Ne me faictes pas lascheté :

    Serclez-moy106 la mienne par bas.

           LE  COUSTURIER

    Je le veulx bien !

           LE  [VARLET]

               Mès par esbas107,

    Voulez-vous bien que je vous « sengle108 »

220  Par le ventre ?

           LA  CHAMBÈRIÈRE

              Je veulx le corps sengle109,

    Et que la « poincte » serre fort.

           LE  [VARLET]

    Je veulx mourir de layde mort

    Sy le « cas110 » ne vient de mesure !

    Dressez-vous droict, que je mesure

225  La grandeur du « bas » un petit.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Hay111 ! hay ! hay !

           LE  [VARLET]

            Vous me faictes apétit,

    Me faisant dresser la « palète112 ».

    Mais laissez-moy prendre, fillète,

    Un peu ma mesure113 à loisir.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

230  Trop me faictes de desplaisir,

    De me toucher en cest endroict.

           LE  [VARLET]

    Sy faul[t]-y que vous vous tenez droict.

    Hault les bras !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

              Là ?

           LE  [VARLET]

                  Et là dea, c’est cela.

    Je suys bien joyeulx, car voy(e)là

235  Ma mesure toute parfaicte114.

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*

           LA  CHAMBÈRIÈRE

236  Or, que ma besongne soyt faicte

    Demain au matin.

           LE  BADIN

               Bien, bien.

           LA  CHAMBÈRIÈRE

                      Or adieu !

           LE  BADIN

    (Sainct Jehan ! j’esviteray le lieu.

    Au moins, le drap me demour[r]a115.

240  Après moy âme116 ne cour[r]a.

    Autant ay-ge icy qu’à Paris117.)

           LA  [DEUXIESME  COMMÈRE]

    Avez-vous faict, cousturier ?

           LE  COUSTURIER

               Mais que j’ès pris

    Un petit des bras la longueur…

    C’est faict. [À demain !]

           LA  [PREMIÈRE  COMMÈRE]

                   En bon heur118

245  Puisse estre le cas achevé !

           LE  COUSTURIER

    Or, demain, après le Salve 119,

    Aportez du bort120, pour assouèr.

           LA  [DEUXIESME]

    À Dieu, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                 Le bon souèr !

    Je m’en voys commencer à coultre121.

           LE  BADIN

250  (Dessus l’establye s’en va souèr122.)

    Adieu, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                Le bon souèr !

           LA  [PREMIÈRE]

    Nous vous viendrons demain revoir ;

    Mais gardez que ne passons oultre123 !

           TOUTES  ENSEMBLE

    Adieu, cousturier !

           LE  COUSTURIER

                Le bon souèr !

255  Je m’en voys commencer à coultre.

           LE  BADIN

    Dictes, ne faictes pas descoultre

    Voz habis124

              Donnez la chanson125 !

           LA  CHAMBÈRIÈRE

    Et ! tu es assez bon garçon :

    Poinct tu ne seras escondict.

           LA  [PREMIÈRE]

260  Or commençons, puysqu’il [l’]a dict.

    En prenant congé de ce lieu,

    Chantons, amys, pour dire « à Dieu » !

.

                   FINIS

.

*

1 Le manuscrit La Vallière, copié en Normandie, en comporte un assez grand nombre.   2 C’est aussi le cas des Femmes qui vendent amourettes en gros et en détail : on a fourré au milieu 127 vers d’une autre farce. (Voir Jelle Koopmans, le Recueil de Florence, pp. 521-535.) Quant à la farce d’Ung mary jaloux, elle est précédée par un dialogue de Colinet et sa Tante qui n’a rien à faire là.   3 Il est dehors, à la recherche d’un apprenti. À Rouen, ceux qui proposaient un emploi et ceux qui en cherchaient un, se rencontraient sur l’aître Notre-Dame (le parvis de la cathédrale), où la pièce fut peut-être jouée. Voir la note 19 de Tout-ménage.   4 Dans l’univers.   5 Servantes. Cf. le Vendeur de livres, vers 155.   6 À la mode basque, avec un cerceau pour élargir le bas de la jupe, qui est serrée à la taille. On serait curieux de voir ce que cela donne sur des prêtres, à moins qu’ils n’aient les mêmes goûts que celui dont se moque Béranger de La Tour : « Ce messire Jean de qui je parle/ Sent plustost sa femme qu’un masle ;/ Et si portoit la robe ainsi,/ Pour femme on le prendroit aussi. »   7 Je fais des collets : des fichus.   8 Et aussi, je veille du coin de l’œil.   9 LV : poinctz  (À dérober du tissu.)   10 Qui ne faisait pas mon malheur.   11 Je m’en sortais. Sur cette forme normanno-picarde, voir la note 114 de Marchebeau et Galop.   12 Le client apportait son étoffe au couturier, lequel avait la fâcheuse habitude d’en voler un morceau, qu’on appelait la bannière. « Le drap porterons ;/ Et devant nous, tailler ferons :/ Car cousturiers et cousturières/ Sont tousjours à faire banières. » (Le Cousturier et Ésopet.) Voir la note 185 du Munyer. À Rouen, une Ordonnance Conarde de 1541 précise : « Nous voulons que cousturiers,/ S’ils ne sont fins [rusés] ouvriers,/ Ne pourront faire bannière. »   13 Plantureuse et plénière.   14 Qu’on ne saurait en détourner un seul doigt.   15 Elle est devant la fenêtre ouverte de sa voisine.   16 Elle se montre à la fenêtre.   17 Une sauce piquante, qu’il faut piler interminablement. Cf. Maistre Doribus, vers 19.   18 Votre semelle de bois.   19 Le caprice m’a pris. Même vers au début du Marchant de pommes.   20 Paye son écot, sa part.   21 Une tunique ajustée qui s’élargit vers le bas.   22 Cette rubrique manque.   23 À la fenêtre.   24 Attife-toi. Cf. Maistre Mimin estudiant, vers 22.   25 Prier. Les domestiques dépourvues de famille pouvaient, si elles étaient d’accord, être mariées par leurs patrons.   26 LV ajoute dessous : preste je suys   27 Il déambule sur l’aître Notre-Dame en chantonnant.   28 La crosse de l’abbé des Conards de Rouen est l’équivalent de la marotte des fous. La forme « croche » est normande : cf. Colinet et sa Tante, vers 64. Le Mardi gras, les Conards banquetaient en regardant « plusieurs farces et comédies, dances et morisques en grand nombre, avec bonnes moralitéz et de bonne audace ». Puis on votait pour désigner le personnage le plus sot de la ville, afin de lui porter en grandes pompes « le trèshonoré, digne et précieux baston pastoral, communément appelé la crosse ». Les Triomphes de l’Abbaye des Conards nous apprennent qu’en 1541, « la digne crosse » fut adjugée à un homme qui avait joué sa femme aux dés ! On élisait en beaucoup d’autres lieux l’homme le plus fou de l’année ; voici ce qu’en dit le Fol de l’Abuzé en Court : « Ung notable seigneur avons, qui nous assemble chacun an chiez luy et à ses despens. Et quant tous sommes assemblés comme nous povons, il donne à celuy le plus fol et lequel a le moins de sens, ung chapperon à deux oreilles. » On trouvait même des professionnels prêts à « marcher aux foires pour gaigner le prix de l’Archifolie ». Hochepot ou salmigondi des Folz.   29 Beaucoup de renards [d’hommes rusés] seront pris.   30 Saut en longueur auquel s’amusent les enfants. « [Gargantua] luctoit, couroit, saultoit, non à troys pas un sault, non à clochepied. » Gargantua, 23.   31 Un artisan passé maître compagnon, et revêtu de ses oripeaux.   32 Je vais.   33 LV : princes  (Que je prisse.)   34 Qu’il me suffisait de les voir pour connaître leurs mensurations.   35 Vous étiez assez fort pour réussir le bain philosophal cher aux alchimistes.   36 D’abord, renseignez-moi.   37 Que le Pater Noster. On trouve ce vers et le vers 100 dans une sottie normande contemporaine, la Réformeresse.   38 Nombre de monologues donnent la parole à ces incapables qui prétendent pouvoir exercer tous les métiers : Varlet à louer à tout faire, Maistre Aliborum qui de tout se mesle, Watelet de tous mestiers, etc.   39 Avant que nous ayons fini de parler.   40 Combien d’écus. Scène semblable dans Tout-ménage, vers 70-71.   41 Nous fixerons le prix, mon salaire.   42 LV : badin   43 LV : pouldrete  (Était-ce un lieudit de Rouen ? Je ne connais que le quartier de la Poudrière.)  La Coudrette, forêt de coudres au nord de Rouen, permet un opportun jeu de mots sur le verbe « coudre ».   44 Cela me convient.   45 Fin prêt. « M’y voélà deisjà arunné. » (Le Jeu du capifol.) Les deux hommes se rendent à l’atelier de couture.   46 LV : chemynos  (La 2ème Commère et sa Chambrière sont sorties, et accompagnent la 1ère Commère chez le Couturier.)   47 Le mari de la 2ème Commère ne va pas tarder à rentrer. Les hommes dînaient souvent à la taverne, avec leurs confrères ou leurs clients.   48 D’être aperçues par quelqu’un. Les 3 femmes, jouées par des hommes, sont encore masculinisées aux vers 101, 106, 127-128, 202-207.   49 Vous aime.   50 LV : plaist  (Leur plaid : elles lui feront perdre son temps avec leurs bavardages.)   51 Ne murmurez pas.   52 Stylé, expert dans ce métier.   53 Avant qu’elles ne. Voir la note 48.   54 Je vais charger de bois vos épaules : je vais vous battre.   55 Du bâton. « Quiconques est batu de bastons de bois d’ausne. » ATILF.   56 Engagé.   57 Vous m’avez accepté pour patron (au v. 79).   58 « Le corps de moy Dieu ! » Roger de Collerye.   59 Vous déguerpirez.   60 Il s’écarte pour n’être pas battu.   61 À bien y regarder.   62 Voir ma notice.   63 LV : deulx jeunes filles  (Toutes les rubriques les concernant stipulent : LA JEUNE, et LA CHAMBÈRIÈRE.)   64 Expédiez mon affaire.   65 En dépit des dramatis personæ, LV le nomme jusqu’au bout « le Badin ». C’est d’ailleurs un rôle de badin.   66 LV : il  (La Vieille arguë de son grand âge pour passer avant les autres.)   67 Je vous frapperai. Mais aussi : je vous besognerai. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 30 et 214.   68 Je vais voir si vous êtes plus fort que moi. Elle frappe le Couturier, rejointe par les deux autres femmes. Le Cousturier et Ésopet montre aussi un couturier qui se fait battre par une chambrière.   69 Assommé.   70 Dérouillé, au propre et au figuré.   71 LV : sy  (Parce que je suis âgée.)   72 LV : maria   73 LV : suyues  (Occupez-vous de la Vieille en premier. Cf. le vers 160.)   74 Il pousse la Chambrière à l’autre bout de l’atelier. L’auteur va entremêler leur dialogue à celui du trio restant.   75 À la mode basque (note 6).   76 Faire la cotte verte à une fille, c’est la culbuter dans l’herbe. « Contrefaisans la dévotte,/ Et d’aller jouer au village/ Pour avoir la verte cotte. » Farce de quattre femmes, F 46.   77 Le corsage. Idem vers 190 et 220.   78 Sur le mont de Vénus. Cf. le Povre Jouhan, vers 316.   79 Une jarretière.   80 La Vicomté de l’Eau, à Rouen, conservait les étalons des poids et mesures. Cf. les Veaux, vers 174.   81 De ne pas accrocher. La Vieille ne veut pas que le Couturier la frôle, ce qu’il n’a aucunement l’intention de faire.   82 À la basquine (note 6).   83 À la turque, en référence à la prédilection des Turcs pour la sodomie. « Elle s’étoit fiché un bâton, devinez où…. Ce n’est point à la turque. » Sévigné/Coulanges.   84 Je me demande. Après s’être débarrassé de la Vieille, le Couturier mesure –et pelote– la Jeune. Les couturiers, à cette époque, étaient encore hétérosexuels ; il faut attendre 1639 pour en trouver un qui soit bisexuel : « Je suis bon tailleur de dame,/ Je le suis pour homme aussi./ Je vis d’ordinaire ainsi/ Sans que personne me blasme./ Et si c’est fille ou garçon,/ Je ne prends rien pour la façon…./ Je couds debout et assis,/ Par devant et par derrière. » Chansons pour danser et pour boire.   85 Le fendu, la fente et la fendasse désignent le sexe de la femme. « À ton âge, faut-il t’apprendre/ Que tu n’as icy rien à fendre ?/ Il n’est déjà que trop fendu ! » Nouveau Parnasse satyrique.   86 Que Dieu vous aide ! Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 120.   87 « Aïant au derrière une ouverture couverte d’une pièce de drap quarrée, qui se haussoit & baissoit à la façon d’un pont-levis. » (Le Duchat.) « Un pont-levis de cul, pour plus aisément fianter. » (Gargantua, 20.) Le Valet insinue que la Chambrière utilisera ce pont-levis comme les mignons d’Henri III, qui « les faisoient servir à un tout autre usage que celui pour lequel on les avoit inventés ». (Le Duchat.)   88 Le corsage (note 77). Mais aussi : mon corps.   89 Sur ton « chat ». « M’amie, dit l’Abbesse, le vostre n’est qu’un petit minon ; quand il aura autant estranglé de rats que le mien, il sera chat parfait, il sera marcou, margut & maistre mitou ! » (Béroalde de Verville.) Margauder = s’accoupler, en parlant des chats. Une Margot est une prostituée.   90 LV : croiessee  (Votre décolleté.)   91 LV : le badin   92 Mignonne.   93 À la parisienne. Les Normands traitaient les Parisiens de maillotins. « [Le roy] n’entend pas qu’on dise dans Rouen :/ Les maillotins n’avalleront plus d’ouistres ! » (La Muse normande.) Les Triomphes de l’Abbaye des Conards ne sont pas en reste : « Je plains les os des Maillotins ! » Dans la sottie des Veaux, un Parisien caricatural se nomme « le Malotin ».   94 Ce normandisme peut se lire « jusque », mais aussi –et surtout– « suce », comme au vers 206. Voir la note 111 du Vendeur de livres.   95 Mes longueurs.   96 À grosses mamelles.   97 Sots. Cf. les Maraux enchesnéz, vers 212.   98 La culbute. Cf. les Sotz nouveaulx, vers 221.   99 Elles sucent tout leur sperme. Voir la note 108 de Pour porter les présens.   100 LV : la   101 LV : tel ases  (Le Valet appuie sa braguette –et donc sa pointe– contre les fesses de la Chambrière, ce qui lui vaut la réplique du vers 211.)  « [Il n’est] mamelles que de Normandes (…),/ Ne jeu que de cul et de pointe. » Parnasse satyrique.   102 Ardent.   103 LV : vers tu   104 Il s’adresse de nouveau à la Vieille.   105 Acheté d’avance. La Vieille donne le ruban de velours au Couturier. En tant qu’aînée, elle s’arroge un « nous » de majesté.   106 Cousez un cercle au bas de ma jupe (note 6). Mais aussi : sarclez-moi par le bas.   107 Par plaisanterie. Allusion aux ébats sexuels.   108 « Il l’embrace,/ Et la sangle au moings mal qu’il peult. » (Sermon de l’Endouille.) Cf. Frère Guillebert, vers 196.   109 Un corsage non doublé. « Laquelle robe estoit sengle, sanz aucune fourreure ou doubleure. » (ATILF.) On peut aussi comprendre : je veux ton corps nu.   110 Mon pénis. Cf. les Cris de Paris, vers 429.   111 La Chambrière n’est pas scandalisée, car il en fallait plus que cela pour scandaliser une chambrière ; elle est juste un peu chatouilleuse.   112 Au sens propre, c’est une partie de l’arbalète.   113 Mon plaisir. (Idem vers 235.) « Mesure » intègre aussi un contexte grivois aux vers 233 et 258 de Ung jeune Moyne.   114 Le Valet vient de jouir. Pour conclure, nous revenons à la pièce α, infiniment plus chaste.   115 Le tissu que la Chambrière m’a confié me restera. Il ne s’agit donc plus du Valet en titre de la pièce β, qui aurait intérêt à revenir travailler, mais du faux apprenti nouvellement embauché dans la pièce α.   116 Personne.   117 L’escroc est donc parisien, ce qui ne pouvait que plaire à un public normand.   118 Qu’avec succès.   119 LV : saleue  (Après le Salve Regina : après la messe.)   120 Du ruban de bordure, pour que je le fixe.   121 Coudre.   122 S’asseoir.   123 Que nous ne soyons pas obligées de revenir plus tard. Les 3 femmes sont à nouveau ensemble, ce qui confirme le retour à la pièce α.   124 Ne vous faites plus battre par ces clientes.   125 Chantez la chanson qui conclut la Farce. Dans le domaine lyrique, le répertoire des Conards était aussi impressionnant que dans le domaine dramatique. On en voit un bref exemple aux vers 45-48.