LE PORTEUR DE PÉNITENCE
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LE PORTEUR
DE PÉNITENCE
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Le copiste du manuscrit La Vallière, qui est souvent mal informé, intitule cette œuvre : Moralité du Porteur de pacience. Or, ce titre ne veut rien dire. Le héros de la pièce est un pécheur qui porte sa pénitence, comme le stipulent les vers 1-2, 37-38, 117, et 248-249. Contrairement au porteur de patience, qui n’existe pas, le porteur de pénitence est bien attesté : « Ton faiz, qu’entens, n’est pas greveuz / Aus porteurs de pénitance. » (Guillaume Digulleville.)
Le prêtre qui confessait un pécheur ne pouvait l’absoudre sans lui prescrire une pénitence plus ou moins lourde et parfois un jeûne. Les Moralités, pièces allégoriques, prennent les symboles au premier degré ; par conséquent, le pécheur de cette pièce va réellement porter sur son dos des charges qui représentent les pénitences et les jeûnes auxquels le prêtre l’a condamné. Bien sûr, il va vouloir les mettre sur le dos de ceux qui ne pèchent jamais ou, plutôt, qui ont la prudence de ne pas confesser leurs péchés.
Source : Manuscrit La Vallière, nº 25. Cette moralité normande, jouée par des personnages de farces, fut sans doute écrite dans les années 1530.
Structure : Rimes plates, rimes abab/bcbc, avec 8 triolets.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
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Moralité du
Porteur de pacience
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À cinq personnages, c’est assavoir :
LE MAISTRE
LA FEMME
LE BADIN [Rinche-hanaps]
LE PREMIER HERMITE
LE IIe HERMITE
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LE MAISTRE commence 1 SCÈNE I
Hélas ! tant je portes de jeusnes,
De charges et de pénitences !
Troys foys à la sepmaine jeusnes2,
Hélas, tant je portes de jeusnes !
5 Depuys Pasque3, plus ne desj[e]unes.
Touchant mai[n]s faictz et circonstances4,
Hélas, tant je portes de jeusnes,
De charges et de pénitences !
À mes requestes et instances,
10 Ma femme en portera sa part :
Car s’elle vient vers ceste part5,
Je luy mectray tout sur le dos.
En elle, n’y a nul propos6,
Et ne veult entendre à mon cas.
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LA FEMME 7 SCÈNE II
15 Rinche-hanaps8 !
LE BADIN
Y[l] n’y est pas.
LA FEMME
Toutefoys ay-je ouÿ la voix.
Viendras-tu pas ?
LE BADIN
Ouy, le grand pas9.
LA FEMME
Rinche-hanaps !
LE BADIN
Il n’y est pas.
LA FEMME
Plus ne parle que par compas10 !
LE BADIN
20 Je tiendray gravité11, ma foys.
LA FEMME
Rinche-hanaps !
LE BADIN
Il n’y est pas.
LA FEMME
Toutefoys ai-ge ouÿ la voix.
Sy tu ne viens…
LE BADIN
A ! je m’en voix12.
LA FEMME
Par Dieu, je te feray jeusner !
LE BADIN 13
25 Jusner ? Dea, jusner ? Saincte Croix !
Je veulx disner et desj[e]uner ;
De jeusne ay passé les destroys14.
Jeusner ? Dea, jeusner ? Saincte Croix !
LA FEMME
A ! garde-t’en15, se tu m’en croyx !
LE BADIN
30 Je veulx chopiner et charner16.
Jusner ? Dea, jusner ? Saincte Croys !
Je veulx disner et desjuner.
LA FEMME
Mais d’où viens-tu ?
LE BADIN
De besongner17.
Pour vous le donner à congnoistre,
35 Ma mêtresse, j’ay veu mon maistre
Qui me sembloyt fort empesché.
LA FEMME
À quoy ?
LE BADIN
À porter son péché,
Ses jeusnes et ses pénitences.
En luy, n’y a nules substances18 :
40 Croyez19 qu’il est palle et deffaict.
LA FEMME
Mon Saulveur ! qu’esse qu’il a faict ?
Pences qu’il a tué son père
Ou sa mère ? Tel vitupère20
Ne luy seroyt venu sans cause.
LE BADIN
45 Vous debvez sçavoir qui le cause21,
Et qui le rent sy mat et vain22 :
Car il23 a presté son « levain »,
Ou fringué24 vostre chambèrière.
Par ma foy ! mon maistre est un Frère25 :
50 Les génitoyres luy espoingnent26.
Il est tant aise quant y coignent27
Sus une chair nouvelle et tendre !
LA FEMME
Sy veulx-je savoir et entendre
Dont luy vient ceste honte infâme.
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LE MAISTRE 28 SCÈNE III
55 Las ! je vous crye mercy29, ma femme !
LA FEMME
Il parle devant30 qu’on l’acuse.
LE BADIN
Je croys bien : y crainct d’avoir blasme.
LE MAISTRE
Las ! je vous crye mercy, ma femme !
LE BADIN
Ne luy faictes aulcun diffame !
LA FEMME
60 Tais-toy ! Je congnoys trop sa ruse.
LE MAISTRE
Las ! je vous cry mercy, ma femme !
LA FEMME
Il parle devant qu’on l’acuse.
LE BADIN
Encor[e] fault-il qu’i s’escuse
En quelque sorte31, honnestement.
LA FEMME
65 Je pers sens et entendement
De veoir un homme ainsy âgé
Estre subject et obligé
À souffrir sy grosse infamye.
LE MAISTRE
Hélas ! je n’ay rien faict, ma mye.
LE BADIN
70 Par sainct Jaque ! je le croys bien :
Mon maistre est [un] homme de bien,
Lequel ne ment poinct s’y ne parle,
Et ne paye poinct s’on ne le hale32.
Somme ! chascun le bénédict33.
LE MAISTRE
75 Voyre34, ou je soyes de Dieu mauldict !
LA FEMME
Il a esté en varouillage35
Pour corompre son mariage
Avec un tas de malureuses
Qui contrefont les amoureuses,
80 Quant il a escus à planté36.
LE BADIN
Y fault donc qu’il y ayt esté.
LE MAISTRE
G’y ay esté ? Beau sire Dieulx !
O ! qu’on me crève les deulx yeulx
Sy de luxure m’entremais !
LE BADIN
85 Par ma foy ! y n’y fust jamais.
LA FEMME
Jamais n’y fust, garson mauldict ?
Et ! tu sçays bien que tu m’as dict
Toy-mesmes qu’il s’est mesjeté37.
LE BADIN
Pardieu, vous y avez esté !
LE MAISTRE
90 G’y ay esté ? Tu as menty :
Onques ne changay mon party38
De ma femme, je te promais.
LE BADIN
Par ma foy ! y n’y fust jamais.
LA FEMME
Y n’y fust jamais ? Par mon Dieu !
95 S’il n’eust poinct hanté meschant lieu39,
On ne l’eust poinct sy mal traicté.
LE BADIN
Y fault donc qu’il y ayt esté.
LE MAISTRE
Gy ay esté ? Tu es bien fol !
Le deable me rompe le col
100 S’onques m’en voulus entremectre40 !
LE BADIN
Par mon serment ! je croys mon maistre.
LA FEMME
Tu le croys ? Y s’est mesporté41,
Et plusieurs foys a transporté
— Par folye et par déraison —
105 Ce qu’i faloyt à la maison42
À ces meschantes dissolues43
Qui sont fynnes et résolues
Entour un homme bien renté44.
LE BADIN
Ma foy ! vous y avez esté.
LE MAISTRE
110 G’y ay esté ? Vray Dieu des cieulx !
Sur mon âme ! j’aymeroys mieulx
Qu’on me décorast45 d’un chevaistre.
LE BADIN
En bonne foy, je croys mon maistre.
Sus ! pour en léesse nous mettre46,
115 Disons47 deulx mos à la plaisance.
LE MAISTRE
C’est bien dict. J’aray espoirance
D’en porter mieulx ma pénitence.
Ilz chantent.
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Après la chanson, SCÈNE IV
LE PR[E]MIER HERMITE entre.48
Vous donnez-vous resjouissance
Alors qu’il est temps de plourer ?
LE DEUXIESME HERMITE
120 Av’ous49 de plaisir jouyssance,
Quant il fault du mal endurer ?
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Fault-il contre Dieu murmurer ?
Nennin ! Ô créature humaine,
Tu te doibtz pour Luy a[m]murer50
125 Et porter douloureuse payne.
LA FEMME
Qui sont ceulx-cy ? Qui les amaine ?
Regardez, hau ! je m’en éfrites51.
LE BADIN
À veoir leur vesture et [leur] layne,
Ce sont deulx convers52 ypochrites.
LE IIe HERMITE
130 Nous sommes deulx simples hermites
Qui nuict et jour portons la haire53.
LE BADIN
Et ! sainct sang bieu, quel[z] fripelipes54 !
Jésus ! voécy un maistre haire55.
LE MAISTRE
Sachez qu’i maynnent vie austère,
135 Et viennent pour nous advertir56.
LE P[REMIER] HERMITE
Sans faulte y se fault repentir,
Sy voulons avoir Paradis
Avec les anges bénédis,
En contemplant la Trinité.
LE MAISTRE
140 Frère, vous dictes vérité.
LE IIe H[ERMITE]
L’un de l’aultre convyent porter
Le gros faictz57, et le suporter58
Par amour et par charité.
LE MAISTRE
Frère, vous dictes vérité.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
145 Avoir convyent contriction59
— À tout le moins afliction60 —
De nos faultes et nos péchés,
Desquelz nous sommes empeschés61
Par folye et témérité.
LE MAISTRE
150 Frère, vous dictes vérité.
LE BADIN
Dictes : s(y) un mary a ployé62
Son mariage, ou desvoyé63,
La femme en doibt-ale64 souffrir ?
LE IIe H[ERMITE]
Ouy. Sy le mary vient65 offrir
155 Les charges et cas qu’il a fais,
La femme portera le fais
Du tout — ou du moins la moytié —
Bénignement, par amytié :
Tenue y est, et a[s]servye.
LE MAISTRE
160 Sainct Jehan ! Dieu vous doinct66 bonne vie !
De tous maulx m’avez alégé.
Afin que je soys soulagé
De ce fardeau et pesant fais,
Ma femme portera sa foys67.
LE BADIN
165 Non fera, par saincte Marye !
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Sy fera, d’un vouloir courtoys68.
LE MAISTRE
Ma femme portera sa foys.
LE IIe H[ERMITE]
Jésuchrist porta bien sa crois.
LE BADIN
C’estoyt bien aultre mercerye69 !
LE MAISTRE
170 Ma femme portera sa foys.
LE BADIN
Non fera, par saincte Marye !
LA FEMME
Porterai-ge la menterye,
Les juremens, la pail[l]ardise
De mon mary ? Quant je m’avise,
175 J’aymeroys myeulx…
LE P[REMIER] H[ERMITE]
A ! bonne femme :
Pour le grand salut de vostre âme,
Des péchés porterez la somme70
Qu’on a mise sur le bon homme
À tort et sans cause.
LA FEMME
Non a71 !
LE BADIN
180 Je sçays bien comment tout tourna72,
Il ne fault poinct tant de langage.
LA FEMME
Et ! y rompit son mariage
Le premier jour qu’il m’espousa.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Jamais femme ne refusa
185 À faire le commandement
De son bon mary.
LE IIe H[ERMITE]
Non, vraiment :
Ainsy le dict Saincte Escripture.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Toute dévote créature
Qui veult en gloire73 parvenir
190 Doibt à son mary suvenir74
Quant quelque empeschement il a.
LA FEMME
Par Dieu, je ne porteray jà !
LE BADIN
Non, non, n’en faictes rien, ma dame !
Qu’av’ous afaire d’avoir blasme
195 Des maulx qu’il a faict et fera ?
LA FEMME
Par Dieu, je ne porteray jà !
LE IIe H[ERMITE]
Sy ferez, pour le contenter
Et un petit le suporter75 :
Car son cœur s’en resjouyra.
LA FEMME
200 Par Dieu, je ne porteray jà !
LE MAISTRE
Sy ferez ! Escoustez, ma mye :
Et ! à joinctes mains je vous prie
Que me donnez ayde et secours.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Mais à qui doibt avoir recours
205 Un bon mary qu’à sa partye76,
Quant y luy faict juste partye77
De son corps et de tous78 ses biens ?
LE BADIN
Mon maistre n’en fist jamais riens !
LE IIe H[ERMITE]
Tu mens : je congnoys79 le contraire.
210 Or çà donques, pour nous atraire80
À une chose raysonnable,
Monstrez-vous vers luy pitoyable81,
Comme raison veult, et droicture.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
La femme de bonne nature
215 À porter82 sy est tousjours preste.
LA FEMME
Or çà, donc, que je m’y apreste,
Combien qu’il me faict83 un grand mal
De porter la paine et raval84
Du péché que n’ay pas commys.
LE IIe H[ERMITE]
220 On doibt souffrir pour ses amys ;
Pour tant85, cecy vous porterez.
LA FEMME
An ! Jésus !
LE BADIN
Vous la grèverez86 :
Voyez qu’el est en grand détresse.
LE MAISTRE
Tout beau, hau ! Vous la blesserez87.
LA FEMME
225 An ! Jésus !
LE BADIN
Vous la grèverez.
LA FEMME
Je n’en feray plus88.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Sy ferez !
Marchez89, marchez, faulce deablesse !
LA FEMME
An ! Jésus !
LE BADIN
Vous la grèverez :
Voyez qu’el est en grand détresse.
230 Et ! ne portez plus, ma mêtresse,
Pourveu qu’il ne vienne à plaisir90.
LE MAISTRE
Pour vous oster de desplaisir,
Çà, çà, je vous suporteray91.
LA FEMME
An ! Nostre Dame, je cherray92 !
235 Me voélà toute plate à terre.
LE BADIN
Dea ! vous debvez sçavoir et croire93
Qu’el ne porte94 que sus le ventre ;
Encor[e] ce « fardeau » luy entre
Jusqu(es) aulx eschines.
LA FEMME
Ce faict mon95.
240 Donques, sans faire long sermon,
Plus n’en feray.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Sans vous grever,
Ma mye, il convient achever
Et prendre tout en pacience.
LA FEMME
Non feray, par ma consience !
245 Sur le dos ne porteray plus.
LE IIe H[ERMITE]
Sy ferez cy96.
LE BADIN
C’en est conclus :
S’el[le] ne veult, rien n’en fera.
LE MAISTRE
Mon varlet, donques, portera
Mes pénitences et mes jeusnes.
LE BADIN
250 Alez chercher qui ce sera !
LE MAISTRE
Mon varlet, donques, portera…
LE BADIN
Mauldict soyt-il qui le fera !
Or, atendez que je desj[e]unes.
LE MAISTRE
Mon varlet, donques, portera
255 Mes pénitences et mes jeusnes.
LE BADIN
Le deable m’emport97 sy je jeusnes !
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Tu porteras !
LE BADIN
Vous me fâchez !
Qu’ay-je affaire des grans péchés
Qu’il a faict et voulu commectre ?
LE IIe H[ERMITE]
260 Veulx-tu poinct ayder à ton maistre ?
LE BADIN
Nennin, par ma foy !
LE MAISTRE
Mon varlet,
Voécy la charge d’un mulet ;
Ayde-moy à la suporter.
LE BADIN
Le deable me puisse emporter
265 Sy j’en porte brin ne brinnet98 !
LE MAISTRE
Je te donray un beau bonnet99.
LE BADIN
Je n’en veulx poinct.
LE MAISTRE
Et ! mon amy,
Tu auras escu et demy,
Et la moytié de tout mon bien.
LE BADIN
270 En éfaict je n’en feray rien.
LE MAISTRE
Tu me voys, en nécessité,
Porter sy grosse austérité :
Et ! suporte-moy un petit100 !
LE BADIN
Et ! je n’en ay poinct d’apétit.
275 Somme, je ne séroys101 jeusner :
Tous les jours je veulx desj[e]uner
Dès quatre heures.
LA FEMME
Nostre mary,
Sans faire sy long charivary102,
Puysque les cas vous avez fais103,
280 Vous-mesmes porterez le fais :
Le prestre vous l’a enchargé104.
LE MAISTRE
Hélas ! serai-ge encor chargé
De telle payne et tel labeur ?
LE IIe H[ERMITE]
Ouy : vous porterez la douleur
285 De la plaisance105 qu’avez eue.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Ceste chose est toute congneue
Que tout pécheur luy-mesme porte
(Sans que personne le suporte)
La paine qui luy est enjoincte
290 À confesse.
LA FEMME
Ainsy Dieu l’apoincte106
Par sentence et divin arest.
LE BADIN
Chascun y pent par son jaret107.
LE MAISTRE 108
Aydez-moy donques, sainctes gens,
Et ne soyez pas négligens
295 À estre de mes bienfaicteurs !
LE IIe H[ERMITE]
A ! on ne sommes pas porteurs.
LE P[REMIER] H[ERMITE]
Non, sans faulte.
LE MAISTRE
Amys honorables :
Veuilez-moy estre secourables
Plus que ne sont mes serviteurs !
LE IIe H[ERMITE]
300 A ! nous ne sommes poinct porteurs.
LE MAISTRE
Au non de Dieu, souverain roy :
Amys, ayez pityé de moy
Ainsy que vrays Frères myneurs109 !
LE P[REMIER] H[ERMITE]
A ! on ne sommes poinct porteurs.
305 Et pour dire le cas, en somme,
Tout pécheur doibt porter la somme110
De tous les péchés qu’il a fais.
LA FEMME
Au moins, chascun porte son fais.
LE BADIN
Chascun y pent par son jaret.
LE MAISTRE
310 Touchant mes délis et mes fais,
Ainsy, chascun porte son fais ?
LE P[REMIER] H[ERMITE]
À ceulx-là qui se sont forfais111,
Aultruy n’y a nul intérest112.
LA FEMME
Ainsy, chascun porte son fais.
LE BADIN
315 Chascun y pent par son jaret.
LE MAISTRE
Chantons donques, sans plus de plaict113.
J’aray la honte et vitupère
De mes péchés, puysqu’il114 vous plaict.
Le filz ne soufre pour le père115.
320 En prenant congé de ce lieu,
Une chanson et puys adieu !116
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FINIS
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1 Il sort de l’église et se traîne vers sa maison, le dos chargé d’énormes sacs. 2 Je dois jeûner 3 fois par semaine. En temps normal, on ne fait maigre que le vendredi. 3 À partir de Pâques. Le pécheur a donc reçu sa pénitence lors de la confession quasi obligatoire qui précède Pâques ; cf. les Chambèrières et Débat, vers 183 et note. 4 À cause du péché de luxure que j’ai commis. 5 De ce côté. 6 Aucune bonne disposition. 7 Dans la pièce principale de la maison, elle appelle son valet, qui s’empiffre dans la cuisine, située derrière le rideau de fond. Ces cuisines ont une porte qui donne sur l’arrière de la maison ; le valet va donc affirmer à sa patronne qu’il est sorti, puis qu’il va s’en aller. 8 Rincer les hanaps = vider les verres. Le valet Rince-hanap est un de ces Badins gourmands, buveurs et insolents, comme on en voit beaucoup dans les farces de Normandie. Rincher comporte une chuintante normande : « Je croy qu’avez rinché les pots [que vous avez bu] ! » Le Tesmoing. 9 Au grand galop. Mais il ne bouge pas pour autant. 10 Désormais, ne parle qu’avec sagesse. « Parlant par compas. » Sermon pour une nopce. 11 J’affecterai une attitude grave. « Tenant gravité honnorable. » Baudet, Blondète et Mal-enpoint. 12 Je m’en vais. 13 Prenant cette menace très au sérieux, il passe la tête par le rideau de fond, la bouche pleine. 14 J’ai franchi le passage pénible du jeûne : le Carême est en train de s’achever, puisque nous sommes la veille de Pâques. Rince-hanap entre dans la pièce principale. 15 Évite que je ne te fasse jeûner : obéis à mes ordres. 16 LV : churner (Charner = manger de la chair, ne pas faire maigre.) 17 De faire ma besogne. Double sens : de besogner une femme. 18 Aucun signe de subsistance, de vie. 19 LV : voyes (« Croyez qu’il est bien enserré. » L’Aveugle et Saudret.) L’épouse et son valet ne voient pas encore le mari, qui n’est pas revenu de l’église ; Rince-hanap l’a juste entrevu dehors. 20 La honte de porter publiquement son péché. Idem vers 317. 21 Ce qui cause sa pénitence. 22 Si abattu et si faible. « Plus n’avez vigueur ne demy,/ Tant est vostre cueur mat et vain. » Le Ribault marié. 23 LV : sil (« Levain : sperme…. Il fait lever le ventre. » Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique.) 24 Culbuté. « Volontiers je vous fringasse,/ Madame, si j’osasse. » Chansons folastres. 25 Est aussi lubrique qu’un moine. Deux Cordeliers vicieux vont entrer au vers 118. 26 Les testicules lui démangent. 27 LV : goignent (Quand ses testicules cognent. Au vers 72 du Tournoy amoureux, les couilles des Frères tambourinent contre des culs.) 28 Il entre dans la maison, toujours chargé de ses péchés. 29 Pitié. 30 Avant. L’épouse affecte de continuer son dialogue avec Rince-hanap, qui se prête au jeu. 31 Qu’il s’excuse d’une manière ou d’une autre. 32 Et ne paie pas si on ne l’y contraint pas. Haler = tirer. 33 Bref, chacun le bénit, lui accorde sa bénédiction. Idem vers 138. 34 C’est vrai. 35 Il est allé courir le guilledou. « Qui va de nuict en varouillaige. » Le Gentil homme et Naudet. 36 En quantité. « Voylà des escus à planté. » (Les Brus.) Le mari ne se contente pas de la chambrière <v. 48> : il fréquente assidûment les prostituées. 37 Qu’il a dévié de la droite voie, comme une flèche déportée par le vent. Voir les vers 47-52. 38 Je n’ai jamais changé mon statut de mari fidèle vis-à-vis… 39 Fréquenté un mauvais lieu, un bordel. 40 Si jamais je voulus m’en mêler. Idem vers 84. 41 Détourné du bon chemin. Cf. Frère Guillebert, vers 454 et 498. 42 Ce qui était nécessaire à notre ménage : son argent et son sexe. 43 LV : disolutes (À la rime, je corrige resolutes.) À ces femmes dissolues. 44 Autour d’un homme riche. 45 LV : decolast (Qu’on me passe une bride au cou, comme à un âne. Par extension, le chevêtre désigne également la corde du pendu : « Mais ung gibet et ung chevestre/ À vous pendre ! » L’Aveugle et Saudret.) 46 LV : maistre (Pour nous mettre en liesse, en joie.) 47 Chantons. « Mais disons deulx mos de chanson/ Pour passer nostre marisson./ (Ilz chantent ensemble.) » La Réformeresse. 48 Les deux ermites pénètrent dans la maison, officiellement pour dire la bonne parole et pour mendier. En fait, c’est le mari qui les a payés pour venir le seconder ; voir la note 79. 49 Avez-vous. Même normandisme à 194. 50 Emmurer, cloîtrer dans un ermitage ou un monastère, comme la religieuse des Mal contentes aux vers 401 et 459. 51 Je m’en effraye. Cf. le Marchant de pommes, vers 20 et note. 52 Deux nouveaux moines ; cf. Frère Guillebert, vers 110. L’hypocrisie et la lubricité des ermites sont exposées dans Troys Brus et deulx Hermites, où nous avons aussi affaire à des Cordeliers. Cette farce normande contemporaine, également copiée dans le ms. La Vallière, pourrait avoir été jouée lors de la même session par les mêmes acteurs : en général, on enchaînait une sottie, une moralité, puis une farce. 53 Une chemise de crin que certains pénitents portent à même la peau. Nos ermites font semblant, comme tous les tartufes : « Serrez ma haire avec ma discipline [mon martinet] ! » Tartuffe. 54 Remueurs de lèvres, goinfres. « Humesouppiers, avalletrippes,/ Guettelardons, gros fripelippes. » Godefroy. 55 Un grand dissimulateur. « Hypocrites, bigotz (…),/ Haires, cagotz, caffars empantoufléz. » Gargantua, 54. 56 Pour nous rappeler que le Jugement dernier s’approche. L’Apocalypse imminente était le fonds de commerce des prêcheurs publics. 57 Chacun doit porter le fardeau de l’autre. Faix = fardeau. Idem vers 156, 163, 280, 308. Les ermites révèlent enfin pourquoi le mari les a fait venir. 58 Et l’aider. Idem vers 198, 233, 273, 288. 59 De la contrition, du repentir. 60 LV : afection (Des remords. « Tous ceulx c’ont affliction,/ De leurs péchiers contriction. » Mistère de la Passion de Semur.) 61 Chargés. « Des sept péchéz/ Mortelz dont tu es empesché. » La Confession Rifflart. 62 Dénaturé. « Rompre son mariage (…)/ Ou le ployer. » Le Pèlerinage de Mariage. 63 LV : remploye (Ou s’il l’a dévoyé.) 64 Doit-elle. Normandisme : « Baillais-li sen cul à fesser/ (Dit-ale) ! » La Muse normande. 65 LV : vienne 66 Vous donne. Dans Frère Phillebert, ce même vers salue également un faux ecclésiastique. 67 À son tour. « Vous viendrez doncq à son escolle/ Vostre foys. » Maistre Mimin estudiant. 68 Elle le fera, et avec bonne volonté. 69 C’était bien autre chose. 70 Le chargement digne d’une bête de somme : voir le vers 262. « Vertu bieu ! je porte les sommes. » Le Sourd, son Varlet et l’Yverongne. 71 On ne l’y a pas mise sans raisons. 72 LV : va (Comment tout s’est passé. « Tout tournera à nostre utilité. » Les Sotz escornéz.) 73 À la gloire éternelle. « Pensez en la gloire/ De Paradis. » Le Ribault marié. 74 Subvenir, porter secours. Cf. le Poulier à sis personnages, vers 201 et 303. 75 Et l’aider un peu. 76 Sinon à sa moitié, à sa femme. Cf. Chagrinas, vers 204. 77 Répartition. 78 LV : tout 79 Je sais. Ce vers prouve que les ermites et le mari se connaissaient déjà. Voir la note 48. 80 Pour nous amener. 81 Montrez-vous clémente envers lui. 82 À porter des enfants : « Elle portera filz ou fille. » (Jénin filz de rien.) Mais le double sens érotique du vers 237 n’est pas loin. 83 Bien que cela me fasse. 84 LV : trauail (La dépréciation, l’humiliation. « Desprisé et mis au raval. » Frère Frappart.) 85 Pour cela. L’ermite enlève un des sacs qui pèsent sur les épaules du mari, et le laisse tomber sur celles de la femme. 86 Vous allez l’accabler. 87 LV : blesers (Le 1er ermite rajoute un sac. La femme tombe à genoux.) 88 Je ne prendrai plus rien d’autre. 89 Allons ! Fausse = perfide. L’ermite charge encore un sac sur les épaules de la femme, qui se retrouve à quatre pattes. 90 Si vous n’y prenez pas de plaisir. 91 Je vais vous encourager. Effectivement, « çà ! çà ! » est un encouragement qu’on prodigue aux chiens de chasse. 92 Je suis en train de choir. L’épouse tombe à plat ventre. 93 En Normandie « craire » rime avec « terre », comme aux vers 172-3 de la Veuve. 94 Qu’elle ne porte… des hommes. 95 C’est exact. Cf. Monsieur de Delà et monsieur de Deçà, vers 18. 96 Pourtant, vous porterez encore ceci. 97 LV : memporte (Cf. les Sobres Sotz, vers 112 et 456.) 98 Un brin ni une brindille. 99 C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un Badin. L’Amoureux du Badin qui se loue achète ainsi le silence du valet de son amante : « Et un bonnet te donneray. » Le Badin du Retraict réclame de même le prix de sa discrétion : « Donnez-moy un bonnet poinctu ! » 100 Aide-moi un peu. 101 En bref, je ne saurais [je ne peux pas] jeûner. C’est un normandisme : « Sans lard, je ne séroys rien faire. » L’Homme à mes pois. 102 Sans débattre plus longtemps. « Ne fais point long charivary ! » Guillerme qui mengea les figues. 103 Puisque vous avez commis ces péchés. Plus précisément, « faire le cas » = faire l’amour : « Quant venez pour faire le cas/ À la desrobée avec moy. » Le Badin qui se loue. 104 Infligé. « Quant on se confesse,/ On doit tout prendre en pacience/ La pénitance qu’on encharge. » Le Ribault marié. 105 Du plaisir sexuel. 106 LV : la apoincte (L’ordonne.) 107 « Chascune chièvre par son jarret pant. » Ce proverbe de bouchers signifie : chacun est traité selon son mérite. Il était bien connu en Normandie : « Tu sçais bien qu’un cacun y pend par sen garet. » (La Muse normande.) Rince-hanap, féru de proverbes comme tous les Badins, le répète aux vers 309 et 315. 108 Il tente de convaincre les ermites de porter son fardeau. 109 Les ermites font donc partie de ces Cordeliers à la paillardise proverbiale. « Vits de prescheurs,/ De Carmes, de Frères myneurs…./ Deux vitz de prescheurs,/ Et deux grans de Frères mineurs. » Le Tournoy amoureux. 110 Le fardeau ; voir la note 70. Le mot « somme » revient trois fois en trois vers, et chacun alourdit le précédent. 111 Qui ont fauté. 112 Les autres n’ont rien à rembourser. 113 De plaid, de bavardage. 114 LV : puys que (Puisque cela vous plaît. « Allons boire, puisqu’il vous plaist. » L’Aveugle et Saudret.) 115 François Ier avait livré ses deux fils aînés de 7 et 8 ans à Charles Quint pour être lui-même libéré des geôles madrilènes après la défaite bien méritée de Pavie. Les petites victimes de la bassesse royale recouvrèrent leur liberté quatre longues années plus tard, en juillet 1530. Le théâtre rendit compte du dégoût suscité par l’attitude du roi : voir par exemple la Satyre pour les habitans d’Auxerre. 116 Ce distique apocryphe est la signature habituelle du copiste de ce ms. La Vallière.