Archives de Tag: Purgatoire

CAUTELLEUX, BARAT ET LE VILLAIN

Das Narrenschiff

Das Narrenschiff

.

*

CAUTELLEUX,

BARAT  ET

LE  VILLAIN

*

.

Les personnages allégoriques qui peuplent cette farce normande la font quelquefois classer parmi les Moralités ; mais seule la fin se veut « morale ». Cauteleux veut dire rusé. Barat signifie tromperie. Quant au Vilain, il ne s’agit pas d’un paysan mais, étymologiquement, d’un villageois, qui exerce en fait la profession de potier.

Le clou du spectacle est une scène où ledit Vilain, enfermé à sa demande dans un sac, se fait bastonner. Félix Lecoy1 démontre que ce gag fut exploité dans des contes populaires du monde entier. La source la plus ancienne qu’il en donne est un fabliau en latin du XIe siècle, Unibos. Aujourd’hui, nous pensons d’emblée aux Fourberies de Scapin. Mais Molière s’inspire d’une farce que Tabarin publia en 1624, laquelle semble se référer à la nôtre : « –Je suis icy enfermé dans ce sac à cause qu’on me veut marier à une vieille femme qui a cinquante mille escus. Mais elle est si laide que je ne l’ay point voulu prendre. –Cinquante mille escus sont bons, il ne faut pas regarder à la beauté. Si vous me voulez mettre en vostre place, je prendrois bien ce marché-là ! (Lucas entre dans le sac.) Voicy les parens qui viennent : il n’y a qu’à leur demander la vieille. Contez, parens, contez les cinquante mille escus ! –Vrayment nous te les conterons, et en belle monnoye. Frappons, frappons ! (Lucas est battu.) »

L’épisode initial de l’âne et du licou — dont Félix Lecoy signale qu’il fut repris au XVIIe siècle dans un conte arabe — est parfois très proche du Moine bridé, qu’Alexis Piron composa au XVIIIe siècle.

Source : Recueil de Florence, nº 12. L’auteur de la farce n’est pas un versificateur ; c’est un homme de théâtre aguerri, pour qui l’efficacité des dialogues, le sens du rythme et le naturel des enchaînements n’ont aucun secret.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates, avec 2 triolets, et 4 sixains pentasyllabiques.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce  nouvelle

À t[r]oys personnages, c’est assavoir :

       CAUTELLEUX

       BARAT  [LE  GUEUX]

       et  LE  VILLAIN

*

                        CAUTELLEUX  commence 2                 SCÈNE  I

        Il est bien matin esveillé,

        Auquel je ne [tiendroye le]3 pas.

.

                        BARAT

        Jamais ne suis ensommeillé4.

.

                        CAUTELLEUX

        Il est bien matin esveillé.

.

                        BARAT

5      Soit en repos ou travaillé5,

        Nul ne peult fouïr mes esbatz6.

.

                        CAUTELLEUX

        Il est bien matin esveillé,

        Auquel je ne [tiendroye le] pas.

        Pour tant7, pour avoir mon repas,

10    Je m’en vois8 [cy] à l’adventure,

        Sans bruit mener, vollant9 tout coint

        Par les voyes. C’est10 ma nature

        Est  de frauder toute créature,

        Mais qu’il n’y apperçoyve point.

15    L’en le voit bien à ma nature,

        Qui11 ne dit mot ; mais elle point.

.

                        BARAT

        Par ma foy ! je suis bien appoint

        Pour tost trouver une grant bourde12

        Et, sur plain-champt13, ung contrepoint.

20    Et ne me chault se elle est lourde,

        Gresle, petite, grosse ou gourde14 :

        Mais15 que je trompe, c’est ma vie.

        Et je fais bien la lime sourde16,

        Et joue bien de la toupie17.

.

                       CAUTELLEUX 18

25    Qui est celuy qui nous espie ?

        N’y pourroit-on trouver nul gaing ?

        Ung tour aura de tromperie.19

.

        Ha, ha ! Que Dieu gard le compaing20 !                   SCÈNE  II

                        BARAT

        Et vous aussi, jusqu’à demain,

30    Qui vous bailleroit aultre garde21 !

                        CAUTELLEUX

        Qui vous maine par ce beau plain22 ?

        J’ay grant plaisir, quant vous regarde.

                        BARAT

        Et vous aussi, mais [qu’]on vous garde23.

        Mestre24, vostre non sçavoir veulx.

                        CAUTELLEUX

35    Je suis subtil comme moustarde25 :

        Chascun m’appelle Cautelleux.

        [Et] vostre non ?

                        BARAT

                                     Barat le Gueux26.

                        CAUTELLEUX

        Pétris sommes de mesme paste.

        Touche cy27 ! Nous yrons nous deux28.

                        BARAT

40    Celuy29 n’en scet rien, qui n’en taste.

                        CAUTELLEUX

        Va tout beau, nous n’avons30 point haste ;

        Prenons à loisir le31 chemin.

        Car tel [virera nostre haste]32

        Qui n’y pense pas, mon cousin.

                        BARAT

45    C’est bien exprimé, mon voysin.33

        Vécy besongne qui nous vient ;

        Et pour tant34, [tost] il nous convient,

        Au fort35, penser sur la pratique36.

                        CAUTELLEUX

        Ne te chaille, je la pratique37.

50    Laisse-le venir seulement.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  III

        Avant, baudet, tout bellement !

        Dieu te gart de mal, je l’en prie !

        Descendre vueil, je le t’afie38,

        Car je te sens estre grevé39.

55    Je te tiens40 si bien esprouvé

        Que tu ne faulx s’il n’y a cause41.

                        Adonc descent de dessus l’asne, et dit :

        Or allons donq(ues) sans faire pause,

        Maintenant quant42 je suis à terre.

        Hahay, baudet ! Allons grant erre43,

60    Car j’é au marché bien affaire.

.

                        CAUTELEUX                                          SCÈNE  IV

        Vécy nostre emprinse44, mon frère :

        Voy-tu cest homme ? Il est balourd45.

                        BARAT

        Je le croy bien. Ho, qu’il est lourd !

        Il n’a guères46 qu’il fut frappé.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  V

65    Ha ! mon Martinet regratté47,

        Tu m’as trèsbien servi long temps :

        Je cuide qu’il a, huy48, sept ans

        Quant t’achettay [à la Guibray]49.

.

                        CAUTELLEUX 50                                   SCÈNE  VI

        Vien çà ! Par mon âme, je sçay

70    (À mon advis) bonne cautelle51 :

        Nous yrons par ceste sentelle52,

        Le suivant pas à pas, tout beau.

        Puis deschevestr(e)ray53 le museau

        De son asne par bonne guise54.

75    Et après luy, tout en chemise55,

        Chemineray enchevestré56.

                        BARAT

        Ho ! qu’i sera bien empestré !

                        CAUTELLEUX

        Toy57, tu enmèneras son asne.

        Et luy58 diray que suis [une] âme

80    Qui suis parti59 de Purgatoire.

                        BARAT

        Tu le luy feras bien accroire.

        Or avant, donc ! Qu’on se délivre60 !

.

                        LE  VILLAIN                                          SCÈNE  VII

        Il fauldra bien que je te livre

        À dîner. Allons tost, baudet !

85    Tu me mordis trèsbien le doy61,

        Hier matin, quant je le regarde.

        Hay avant, hay ! [Mais] tu n’as garde

        Que je t’en face pis62, Martin.

.

                        BARAT 63                                                 SCÈNE  VIII

        Je ne vis onc homme plus fin

90    Que mon compagnon, par mon âme !

        Au fort, je voy mus[s]er64 cest asne

        Dedens ce boys, qu’il ne revoye65.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  IX

        Nous n’avons plus guère de voye66.

        Hahay, Martin, tost avant !

95    Hay avant, bodet !…67 Ho !! Jésus !

        Bénédicité Dominus68 !

        Et crédo avé Marïa !

        Agimus tibi gratïas !

        Dieu me gart de tentation69 !

100  De par la saincte Passion

        De Jésucrist, je te conjure

        Que tu ne me faces70 injure,

        Et que tu me dies ton estre71 !

                        CAUTELLEUX

        Je suis vostre [asne] Martin, maistre,

105  Qui vous ay servy des ans sept.

        Or ay ma pénitence fait,

        Qu’on m’avoit ordonné [à faire]72 :

        Sortant du feu de Purgatoire,

        Suis devenu asne sept ans.

110  Mais maintenant fine mon temps73 ;

        Si, m’en vois74 droit au Paradis.

        Là prieray Dieu pour mes amis.

        Si, vous vouldroye bien requérir

        Que pour mon voyage finir

115  — Pour ce que bien vous ay servy,

        Si bien qu’oncques [je] ne failly —,

        Que vous me donnez de vos biens.

                        LE  VILLAIN

        Tu ne faillis jamais en riens.

        Si, te donray en charité

120  Demy-escu prou75 mérité,

        Pour passer chemin jusque çà.

        Or tien, mon Martin, et t’en va.

        À Dieu soyes, qu’i te conduie !

        Celluy chevest[r]e si t’ennuye :

125  Baille-le-moy, mon bon Martin.

                        CAUTELLEUX

        Il m’en fault ung, à celle fin

        Que je ne menge pas l’avaine76

        Des autres ; car je saulx de peine77,

        Dont suis afamé comme ung chien.

                        LE  VILLAIN

130  Or l’emporte, je le vueil bien.

        Dieu te rende, par sa puissance,

        De ta peine grant allégence !

        Commande78-moy à tous les sains,

        Je t’en requiers à joinctes mains,

135  Mon bon Martin ! Or, va à Dieu !

                        CAUTELEUX

        Plus n’aresteray en ce lieu.

        Adieu vous dy, mon trèsdoux maistre !79

.

        Se je ne l’ay assez fait paistre80,                                SCÈNE  X

        Je vueil qu’on le face pour moy !

.

                        LE  VILLAIN                                          SCÈNE  XI

140  O ! doulx Jésus en qui je croy :

        C’est grant fait que de ton81 povoir ;

        Car je voy à l’ueil cler, pour voir82,

        Que ta vertu n’est pas menue.

        Quant  tu as fait une83 beste mue

145  Devenir âme ; c’est grant fait !

.

                        CAUTELLEUX 84                                   SCÈNE  XII

        Il n’y a, au monde, si parfait

        Comme moy. Vouldriez-vous Dieu estre85 ?

        Nous avons l’asne et le chevestre,

        Et de l’argent encore avec.

                        BARAT

150  Et ! tu as ton senglant gibet86 !

                        CAUTELLEUX

        Ouÿ, par mon serment, assez.

                        BARAT

        T(u) as contreffait les trespacés ?

        Or, vrayement, je meurs… de rire !

.

                        LE  VILLAIN                                          SCÈNE  XIII

        Je ne sçay quelle part je tire87,

155  [Ou] à la ville, ou à l’ostel88.

        Par mon serment ! il [n’]y a tel89 :

        Je vois à la ville grant erre90.

        Là, je vendray mes potz de terre,

        Que g’i laissay à l’autre fois91.

.

                        BARAT                                                     SCÈNE  XIV

160  Mon compaignon, se tu me crois,

        Nous irons jouer92 à la ville,

        Et mangerons ung tronc93 d’anguille

        En faisant quelque autre fatras.

                        CAUTELLEUX

        J(e) iray là où tu me menras94 ;

165  Je me gouverne par ton dit.

                        BARAT

        (La fine peau il ne mordit

        Oncques [d’ung cigne]95, ou je le cuide96.)

.

                        LE  VILLAIN 97                                      SCÈNE  XV

        Je voy la place toute vuide.

        Il me fault apprester mes potz.

170  J’yray98 marchande[r] à deux motz

        Tant seullement, mais qu’argent saille99.

.

                        BARAT 100                                               SCÈNE  XVI

        Mais que besongne ne nous faille101,

        Nous parferons nostre journée.

                        CAUTELLEUX

        Nous ne fauldrons jà, ne te chaille,

175  Mais que besongne ne nous faille.

                        BARAT

        Nous en prendrons encor en taille102

        Jusqu(es) il en aura admen[é]e103.

                        CAUTELLEUX

        Mais que besongne ne nous faille,

        Nous parferons nostre journée.

                        BARAT

180  Je voy nostre barbe pelée104,

        L’homme dont nous avons eu l’asne.

                        CAUTELLEUX

        Tu dis vérité, par mon âme !

        Il vend [cy] des potz qu(e) il a fait.

        C’est ung [droit] génin105 tout parfait :

185  Encor luy en fault bailler [d’]une106.

                        BARAT

        Mais de quoy ? Il n’a chose aucune

        Dont il nous peust sortir prouffit.

                        CAUTELLEUX

        Mais107 que nous trompons, il souffit.

        Je te diray que108 je feray :

190  Deux potz marchander droit yray.

        Et tu  viendras, comme [congneu de veue]109,

        Me faire une110 grant bien-venu[e],

        Me disant, quant viendra au fort111,

        Nouvelles que mon père est mort.

195  Et tu verras bonne risée.

                        BARAT

        Tu l’as eu bien tost advisée !

        Or va, je viendray sans attendre.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XVII

        Ce marché ne vault riens pour vendre :

        Je ne fis croix112 de ce jour-cy.

.

                        CAUTELLEUX 113                                 SCÈNE  XVIII

200  Combien me coustera cecy,

        Ces deux ? Dictes-moy à deux motz114.

                        Il marchande et en doit prendre deux.

                        LE  VILLAIN

        Or çà, voulez-vous ces deux potz ?

        Vous n’en pa[i]erez que six tournois.

                        CAUTELLEUX

        Six ? Dea ! en voulez-vous [point] troys ?

205  Je n’y mettroye pas ung niquet115.

                        LE  VILLAIN

        Par ma foy ! Avant, demour[r]oit

        L’ouvraige d’icy à Caresme116 !

                        CAUTELLEUX

        Vous estes trop plus cher que cresme117 !

        Advisez : voulez-vous argent ?

.

                        BARAT 118                                               SCÈNE  XIX

210  Dieu gard le compaignon gallant !

        Comme vous va de la santé ?

                        CAUTELLEUX

        Trèsbien, et vous ? Où a esté

        Si longuement le compaignon ?

                        Ilz s’embrassent, puis Cauteleux reprent ses potz

                        BARAT

        J’ay demouré en Avignon,

215  Par tout le pays de là-bas,

        Où j’ay veu, certes, maintz esbatz

        En Arragon et en Espaigne119.

        J’ay esté partout : en Cerdagne120,

        En  Auvergne, Fouez121, Languedoc,

220  Voire à l’Isle de Médoc122,

        À Bordeaux et à La Rochelle.

        De là, [je] m’en vins à Marceille123,

        Et m’en suis venu par-deçà.

                        CAUTELLEUX

        C’est bien trippé124 ! Mais puis, or çà,

225  En nostre païs, que dit-on ?

                        BARAT

        Ung nouveau qui125 n’est pas trop bon ;

        Aussi ne le diray-je mie.

                        CAUTELLEUX

        Barat le Gueux, je vous supplie :

        Dictes-le-moy, ou je mourroye.

                        BARAT

230  Par mon serment ! je n’oseroye.

                        CAUTELLEUX

        Et ! vous le me povez bien dire.

                        BARAT

        Je n’oseroye, par Dieu, beau sire.

                        LE  VILLAIN

        Pourquoy non ? Dictes luy  hardiment !

                        BARAT

        Je vous promet[z], par mon serment,

235  Ami(s), qu’il ne vous plaira mie.

        Vostre père n’est plus en vie :

        Il est trespassé puis septembre.

                        CAUTELLEUX.  Il met les potz

                        contre terre et en casse deux.126

        Est-il mort ? Je n’ay sur moy membre

        Qui se puisse tenir en dresse127.

                        LE  VILLAIN

240  Çà, argent !

                        CAUTELLEUX

                               Ha ! la grant destresse !

                        LE  VILLAIN

        Payez-moy ! De ce, ne me chault.

                        CAUTELLEUX.  Il crie en plorant.128

        A ! Mon [povre] père Michault,

        Dieu te face [à l’âme]129 mercy !

                        LE  VILLAIN

        Paiez-moy, paiez ! Qu’esse-cy ?

                        CAUTELLEUX,  en criant et pleurant.

245  Et Dieu,  j’enrage !

                        LE  VILLAIN

                                         [Vous pairez contans !]130

                        BARAT

        Vous le mectez hors de son sens131 !

                        LE  VILLAIN

        Dea, mon amy, je n’en puis mais132 ;

        Se, je ne l’avoye veu jamais133.

        Je ne doy point perdre le mien134.

                        CAUTELLEUX

250  J’enraygeray135, ce say-je bien.

        Que n’ay-je ung [bon] cousteau tranchant !

                        LE  VILLAIN

        Baille[z-]moy mon argent, marchant136 !

                        CAUTELLEUX,  faisant semblant d’aller à la rivière.137

        Allez-vous-en, villa[i]n dempné138 !

        Je suis, de tout point, condempné139 :

255  Noyer m’en vois de cestuy pas140.

                        BARAT

        Las, mon amy, non ferez pas !

        Vous le ferez tout frénétique141 ;

        Allez garder vostre botique,

        Villain ! Que la fièvre vous tiengne !142

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XX

260  Celle prune-là sera mienne143.

        Je ne fais fors144 que perdre temps,

        Yci, ainsi comme j’entens.

        Le grant dyable [l’emporte, au]145 fort,

        De cela qu’il est si tost mort !

265  J’aimasse mieux qu’il fust en vie.

.

                        BARAT 146                                               SCÈNE  XXI

        Par Dieu, vécy bonne folie !

        Le bon homme, comme je croy,

        A bien baisé le marmouset147.

        Je ne veis oncques mieux ouvrer148.

270  Qui149 en pourroit encor trouver

        Ung aultre pour faire la fin150,

        Je le151 tiendroye [tout] aussi fin

        Comme, droictement, drap de saye152.

                        CAUTELLEUX

        Je requiers à Dieu que je soye

275  Traisné153 se ne l(uy) en baille encor.

        A ! maistre, vous aurez ung tour,

        Ou154 je brûleray tous mes livres.

        Saint Mor ! il n’en est pas délivre155.

        Je te diray que156 je feray :

280  Dedens ung sac je te mettray

        Et [en plaine voye te lerray]157 ;

        Et puis, quant je l’apparcev(e)ray,

        Je te  siffleray, que tu regardes

        [À bien te tenir sur tes gardes.]158

285  Je luy diray qu’on te159 veult mettre

        Abbé, mais tu ne le [veulx estre]160.

        Et luy prieray qu’il luy plaise

        L’estre, et il sera bien aise

        Trèstout le temps de son vivant.

                        BARAT

290  Certes  onc homme ne fist mieulx avant.

        Metz-moy dedens, il [en] est heure.

                        Cautelleux met Barat au sac.161

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XXII

        [Et !] par mon âme, je demeure

        Trop de m’en aller ; il est tard.

        Or çà, que Dieu [y] ait bonne part !

295  Ce marché m’a peu prouffité.

        C’est grant pitié, en vérité,

        Que des denrées d’aujourd’huy :

        Ce n’est [plus] que peine et ennuy,

        Au temps qui court162, par mon serment !

300  Or163 je m’en vois hastivement,

        Il ne fault jà attendre plus.164

.

                        Cautelleux siffle.                                        SCÈNE  XXIII

                        BARAT 165

        Saint Jehan ! j’en suis tout résolu,

        Il n’est jà besoing de siffler.

        Il peut bien tout son pain riffler166,

305  Car il boira167 cy ung tatin.

.

                        LE  VILLAIN                                           SCÈNE  XXIV

        Je voy illec168, en ce chemin,

        Ung sac tout rempli de bagaige.

        Qui l’a laissé n’est pas trop saige,

        Car je ne le laisseray mie.

                        Le Villain veult prendre le sac ; et Barat se

                        remue et parle, et le Villain s’en fuit 169.

                        Puis dit  BARAT :

310  Hélas, mes seigneurs ! Je vous prie

        Que vous me laissez en ce point,

        Car estre abbé je ne vueil point.

        Prenez[-en] ung aultre, en bonne heure.

                        LE  VILLAIN

        Ha, Vierge sans nulle blessure170 !

315  Ha, Jésucrist et saint Anthoine !

        Vueillez-moy mettre hors de peine

        Et hors  de toute temptatïon !

        Gardes-moy de dampnation,

        Doulx Jésucrist, je t’en requier !

                        BARAT

320  Vostre office point ne requier(t) ;

        Mettez ung aultre qui mieux face.

                        LE  VILLAIN

        Et ! qu’esse-cy, Royne de grâce171 ?

        Parle se t(u) es chose de bien172,

        Et t’en fuis sans arrester rien

325  Se t(u) es chose de mal affaire173 !

                        BARAT

        Hélas, n’ayez jà peur, mon frère.

        Ouvrez-moy le sac seullement.

                        LE  VILLAIN

        Je n’oseroye, par mon serment !

        Hé, dea ! je ne sçay qui vous estes.

                        BARAT

330  Du lignage suis des prophètes,

        Et suis ung crestien baptisé.

        Pour ce, que  l’on veult que soye prisé174

        Tant qu(e) on veult de moy abé faire.

        Mais je vueil vie solitaire

335  Au boys mener, comme ung hermite.

                        LE  VILLAIN

        Voire ? Saint Jehan ! vous serez quitte :

        Je vous desliray de ce pas.

        Mais pourquoy ne voullez-vous pas

        Estre abé, et estre à honneur ?

                        Barat sault du sac.

                        BARAT

340  A ! grant mercis, mon chier seigneur !

        Pourquoy ? Car je seroie trop aise175 ;

        Mais à mon vray Dieu, jà ne plaise

        Que ne176 mengusse que racines.

                        LE  VILLAIN

        Se je sçavoye mes matines

345  Bien dire, et tout mon [saint] office,

        J’acepteroye ce177 bénéfice.

        Et ! n’est-ce pas grant dignité ?

                        BARAT

        Sire, si est, en vérité ;

        Pourtant ne le veulx-je pas estre.

350  Mais si au sac vous voullez mettre,

        Vous serez abbé tout de tire178.

                        LE  VILLAIN

        Moy ? Je ne sçay lire n’escripre179.

        Et ! par Dieu, je n’y vauldroye rien !

                        BARAT

        Il  ne vous fault sçavoir [nulle rien]180,

355  Sans plus, que faire bonne chière

        Et vous tenir sur une chaire,

        Disant : « Fay cecy, fai cela !

        Tu t’en yras cy, et toy là ! »

        Et vous fera-l’en grant honneur,

360  Disant voulentiers « Monseigneur ».

        Advisez si voullez l’office,

        Car l’en viendra à grant service181

        Icy vous quérir de ce pas.

                        LE  VILLAIN

        Or me dictes donc par quel cas

365  L’en vous a dedans ce sac mis.

                        BARAT

        Le voulez-vous sçavoir, amis ?

        Affin que quant illec seroye,

        Que, se retourner m’en vouloye182,

        Que ne sceusse pas le chemin.

                        LE  VILLAIN

370  Escripvez-moy en parchemin

        Autant de bien183 que leur doy dire.

                        BARAT

        Voulentiers, se vous sçavez lire.

        Il ne fault [que] tant seullement

        Dire : « Baillez-m’en largement184 ! »

375  Entrez, mon amy, il est temps.

                        LE  VILLAIN

        Ha ! par mon âme, je m’attens

        À bien  faire du dom(i)ne Prior185 !

        Ilz viennent ?

                        Le Villain doit entrer dedans le

                        sac. Puis vient Barat, qui le lie.

                        Et dit  BARAT :

                                  Ne font pas [encor],

        Mais je croy qu’ilz sont en [la voye]186.

380  Je pry à Dieu qu’il vous doint joye !

        J’emporte vostre chappeau noir.

                        LE  VILLAIN

        Dieu vous doint Paradis avoir !

        Ouÿ dea, emportez-l[e-m’]en.

.

                        BARAT                                                     SCÈNE  XXV

        Cautelleux, approche ! Vien-t’en !

385  Je l’ay dedans le sac boutté.

                        CAUTELLEUX

        Or çà ! il fault qu’il soit frotté187.

                        Adonc Barat et Cautelleux vont au Villain.

                        BARAT

        Gardons qu’il ne nous saiche entendre :

        [Nous devons une aultre voix prendre.]188

.

        Or çà ! estes-vous advisé189 ?                                    SCÈNE  XXVI

                        LE  VILLAIN

390  Ouÿ : je vueil estre prisé.

        Baillez-m’en, sans plus, largement !

                        CAUTELLEUX

        Cela ferons-nous baudement190.

        Tien ! happe, [happe] celle noix191 !

                        Ilz le batent.

                        LE  VILLAIN

        J’en vueil avoir, à ceste fois :

395  Baillez-m’en, sans plus, ne vous chaille !

                        BARAT

        Si fais-je, d’estoc et de taille.

        Tien, tien icelle male mûre192 !

                        LE  VILLAIN

        À la mort ! Je le veux en l’eure193 !

        Baillez, je ne quiers autre chose !

                        CAUTELLEUX

400  Attens, va, car je me repose.

        Croque cecy194 ! Garde moy cela !

        Ord villain puant, [happe-la]195 !

        Tire à toy ceste quinquenaude196 !

                        LE  VILLAIN

        À la mort ! Monsïeur saint Claude !

405  À l’arme, à l’arme ! Au feu, au feu !

                        BARAT

        Oncques, de l’heure que né fu197,

        Je ne veiz si bonne fredaine.

        Fuyons-nous-en [en] bonne estraine198,

        Affin qu’on ne nous treuve en faulte.

410  [Haster se fault, car l’heure est haulte.]199

.

                        CAUTELLEUX                                        SCÈNE  XXVII

        Cautelleux reffait

        Ce200 que Barat fait,

        Vous le povez voir.

        Il n’est si parfait

415  Ne si contreffait

        Qu’il ne feist devoir.

                        BARAT

        Il n’est autre vie

        Que baraterie201,

        Vous le voyez bien.

420  Mais la fin n’est mye

        Bonne, quoy qu’on die,

        Aussi [le moyen] 202.

                        CAUTELLEUX

        Qui sert en son temps

        (Ainsi que j’entens)

425  De faulce cautelle203,

        Dieu n’est mal contens

        S’il paye contens204

        Punition telle.

                        BARAT

        Seigneurs, je vous prie

430  Que nul ne se fie

        En si mauvais art,

        N’aussi en envie

        (Qui gaste la vie) :

        Feu la brusle et art 205 !

.

                        LE  VILLAIN 206                                    SCÈNE  XXVIII

435  Ha ! que Dieu [y ait]207 bonne part !

        Il me souffit que dehors je saille208.

        Ilz m’ont gasté de ceste part209.

        Or çà ! il fault que je m’en aille.

.

        Mais je vous pry, que  s’il y a faille210

440  Ou deffault en nostre211 apparence,

        Que grandement ne vous en chaille ;

        Mais supportez nostre ingnorance212 !

.

                                            EXPLICIT

*

1 « La Farce de Cauteleux, Barat et le villain. » Mélanges de philologie et de littérature romanes, Droz, 1988, pp. 409-416. Cette étude, déjà parue en 1970, ne comporte malheureusement pas le texte de la pièce.   2 Au bord d’un chemin de campagne, deux citadins qui ne se connaissent pas monologuent chacun de son côté, séparés par un arbre qui les empêche de se voir et de s’entendre.   3 F : viendroye a  (Même faute d’impression au vers 8, due au fait que le ms. de base n’indiquait que les premiers mots des refrains de ce triolet.)  Il serait très éveillé, très malin, celui que je ne manipulerais pas à ma guise.   4 Ma roublardise est toujours en éveil.   5 En plein effort.   6 Fuir mes manigances.   7 Pour cette raison. Idem vers 47.   8 Je m’en vais. Idem vers 91, 157, 255, 300.   9 F : voulant  (Volant lestement.)  Double sens : Voler tout coin = voler des poinçons pour frapper de fausses monnaies.   10 F : car   11 F : Que  (Cauteleux, ce maître de la duplicité, commet un nouveau double sens : Ma nature point = ma verge est en érection. Cf. les Femmes sallent leurs maris, vers 27.)   12 Un mensonge, une mystification. Cf. la Folie des Gorriers, vers 328-337.   13 Sur du plain-chant : sur des victimes malléables. Le contrepoint désigne la ruse : « Il saura bien son contrepoint,/ S’il scet de nous deux eschaper. » Les Sotz triumphans qui trompent Chacun.   14 F : bourde  (Pesante.)   15 Du moment. C’est la devise de Barat. Celle de Cauteleux résonne au vers 188 : « Mais que nous trompions, il suffit. »   16 « On apelle une lime sourde un sournois, un hypocrite qui fait le simple. » (Le Roux.) Double sens : Je peux limer sans bruit les barreaux de ma cellule. « Des lymes sourdes pour lymer cinq ou six barreaulx du treilliz de fer d’une fenestre. » Chronique scandaleuse.   17 Je me tourne et me retourne selon mon profit. Double sens : On me mène avec un fouet, comme celui grâce auquel les enfants font tourner leur toupie. « Est-il fouet compétant pour mener ceste touppie ? » Rabelais, Quart Livre, 9.   18 Il aperçoit Barat.   19 Cauteleux se dirige vers Barat.   20 Le compagnon.   21 F : garce  (Si on vous donnait un autre gardien que Dieu. Sous-entendu : Si on vous donnait un gardien de prison.)   22 Dans cette plaine. Les malfrats qu’on recherche en ville, ou qui en ont été bannis, vont se faire oublier à la campagne.   23 F : tarde  (À condition qu’on vous surveille.)   24 F : Destre  (Maître. « Je seray mestre. » L’Arbalestre.)  « Maistre, comment avez-vous nom ? » L’Aveugle et Saudret.   25 Je prends les hommes par le nez pour les conduire où je veux. « Nous sommes plus fins que moustarde,/ Qui prend les hommes par le nez. » Le Monde qu’on achève de paindre.   26 Le faux mendiant.   27 Tope là ! Cf. l’Aveugle et Saudret, vers 84. F intervertit ce vers et le précédent.   28 Nous ferons équipe.   29 F : Il  (Celui qui n’en fait pas l’expérience n’y connaît rien.)  « Celuy gouverne bien mal le miel, qui n’en taste & ses doigts n’en lèche. » Cotgrave.   30 F : nayons  (Va doucement, nous ne sommes pas pressés.)   31 F : nostre  (« Prenons le chemin. » Grant Gosier.)   32 F : poyera nostre giste  (Se brûlera devant la cheminée pour tourner la haste [la broche] où cuira notre viande.)  Allusion au proverbe : « Tel vire bien l’aste/ Qui jà morceau n’en taste. » On le retrouve dans la farce de Lordeau et Tart-abille : « –Je ne fis, huy, que tourner l’aste./ –Tel la vyre qui jà n’en taste. »   33 Barat voit s’approcher le Vilain, monté sur un âne. Certaines farces employaient un âne vivant ; voir la notice du Médecin qui guarist de toutes sortes de maladies.   34 Et pour cela.   35 Au reste. Idem vers 91 et 263.   36 De penser à la méthode que nous allons mettre en œuvre pour l’escroquer. Cf. le Sourd, son Varlet et l’Yverongne, vers 2.   37 Ne t’en occupe pas, je la connais bien. Cauteleux échafaudera seul cette première tromperie.   38 Je te l’affirme.   39 Accablé.   40 F : sens  (Influence du vers précédent.)  Je te tiens pour si expérimenté.   41 Que tu ne trébuches jamais sans raison. Verbe faillir.   42 Que. Idem vers 68.   43 D’un bon pas. Idem vers 157. Le Vilain marche devant son bourricot, en le tenant par le licol, sans regarder derrière lui.   44 Une entreprise digne de nous.   45 F : sourd  (« C’est un balourt. » Le Trocheur de maris.)   46 Il n’y a pas longtemps, comme une pièce neuve qui n’a pas encore circulé. Les deux trompeurs se cachent derrière l’arbre pendant que le Vilain passe, et ils écoutent ses paroles.   47 F : regrappe  (Qu’on m’a vendu de seconde main. « Garse regratée ! » La Nourrisse et la Chambèrière.)  Martinet : diminutif de Martin, qui est le nom générique des ânes ; voir les vers 88, 94, 104, etc.   48 Je pense qu’il y a, aujourd’hui.   49 F : hay a anthay  (L’éditeur parisien ne connaissait pas la foire rouennaise de la Guibray, où l’on vendait notamment des ânes. « Trotter (…)/ Plus dru qu’à la Guibray ne courent les mazettes [les canassons]. » La Muse normande.)   50 Le Vilain est passé ; les deux trompeurs sortent de derrière l’arbre.   51 Une bonne ruse.   52 Par ce sentier.   53 Je débarrasserai de son chevêtre, de sa bride.   54 Comme il faut.   55 Vêtu d’une longue chemise blanche, pour avoir l’air d’un fantôme. « En chemise et envelopé d’un drap, tout ne plus ne moins comme si c’estoit ung esperit. » Nicolas de Troyes.   56 En ayant au cou la bride dont le Vilain tiendra l’autre bout.   57 F : Voire que   58 F : ie te   59 F : parri  (Les âmes des pénitents devaient faire un séjour plus ou moins long au purgatoire avant de pouvoir gagner le paradis.)  « Tu viens tout droit du Purgatoire…./ Tu es une âme. » Les Trois amoureux de la croix.   60 Qu’on en finisse. Cauteleux ôte sa robe, sous laquelle il est en chemise blanche. Silencieusement, il va détacher l’âne, que son compère emmène derrière l’arbre, et il se met la bride autour du cou.   61 Le doigt. Les Normands prononçaient « dé » : cf. Pernet qui va à l’escolle, vers 148-150.   62 Tu ne risques pas que je te morde le doigt.   63 Il emmène le bourricot derrière l’arbre.   64 Au reste, je vais dissimuler.   65 Pour qu’il ne revienne pas vers son maître.   66 De chemin à parcourir.   67 Le Vilain se retourne. Il découvre le « fantôme », et fait un signe de croix.   68 Tout en se signant, le Vilain débite au hasard les lambeaux de prières qu’il a entendus à l’église.   69 Le Vilain se demande si ce n’est pas le diable qui a pris forme humaine pour le tenter.   70 F : facies  (Faire injure = causer un dommage physique. « Il fault que je vous face injure :/ Je vous battray ! » Le Cuvier.)   71 Que tu me dises ce que tu es.   72 F : affaire  (Rime avec purgataire, à la normande.)  « En pénitence/ Pendant sept ans dans le corps d’un cheval. » Piron (v. ma notice).   73 Ma période de pénitence s’achève. « Et les sept ans de purgatoire…./ Un temps pareil, âne je pouvois être. » Piron.   74 Aussi, je m’en vais.   75 F : pour  (Bien mérité.)   76 L’avoine (prononciation normande).   77 Je sors de ma pénitence.   78 F : Recommande  (« À Dieu vous commande ! » Chagrinas.)   79 Cauteleux s’éloigne pour rejoindre son complice.   80 Assez nourri de salades. « Dieu m’auroit pu sept ans envoyer paître. » Piron.   81 F : mon   82 F : veoir  (Pour vrai, en vérité.)  À l’œil clair = clairement.   83 F : dune  (Une bête muette. Cf. le Povre Jouhan, vers 266.)  Le Vilain décrit avec des mots simples un phénomène que Rabelais nommera « métempsichosie pythagorique ». Ve Livre, 4.   84 Il rejoint Barat (et le véritable Martin), puis remet sa robe.   85 Si vous étiez Dieu, que feriez-vous de plus que moi ? « Encore vouldroy-je estre Dieu. » Les Sotz ecclésiasticques.   86 Imprécation intraduisible qui brode sur le verbe avoir du vers 148. « Cuidez-vous qu’entre nous, Conars,/ Ayons de confesser mestier ?/ Nous avons le sanglant gibet ! » (La Confession Rifflart.) L’invocation du gibet par ces deux gibiers de potence fait la nique au destin.   87 De quel côté aller.   88 Ou à la maison.   89 Il n’y a rien de tel. « Par Nostre Dame ! il n’y a tel. » Jolyet.   90 Je vais d’un bon pas à la ville, où se trouve le marché. « Sur ses pas s’en retourne grand erre. » Piron.   91 Certaines halles louaient un entrepôt où les marchands qui venaient de loin pouvaient stocker des denrées non périssables.   92 Tricher aux cartes ou aux dés. Les tricheurs opèrent en duo.   93 Un tronçon.   94 Où tu me mèneras.   95 F : deux cinges  (Le Viandier de Taillevent et le Ménagier de Paris donnent la recette de l’ « entremez d’un cigne revestu en sa peau atout [avec] sa plume ». Seuls les benêts croyaient que cette peau, crue et couverte de plumage, pouvait se manger. Donc, Barat nous signifie que son comparse est loin d’être un benêt.)   96 Ou du moins, je le crois.   97 Au marché. Le Vilain a récupéré ses deux pots en terre ; il les pose sur un drap.   98 F : Jayray  (Dans le marchandage à deux mots, le vendeur annonce un prix, et le client un autre prix, plus bas, que le vendeur accepte. Voir le vers 201.)   99 Pour peu que l’argent sorte des bourses.   100 Les deux trompeurs sont au marché, où ils ont vendu l’âne.   101 Si le « travail » ne nous fait pas défaut.   102 À crédit.   103 Tant qu’il en viendra. « En basse Normandie, amenée, grande quantité, grand arrivage : Ils sont venus avec une amenée de monde. » Littré.   104 Notre châtré. « En habits desguiséz et la barbe pelée, quia forte castrati [parce qu’ils sont peut-être châtrés]. » Nicolas de Cholières.   105 Un vrai idiot. « La parante [cette parenté]/ Me fera jénin [tout] parfaict. » Pernet qui va au vin.   106 Il faut lui en faire une bien bonne. « Quelq’un qui nous en bailla d’une. » Guillaume Coquillart.   107 Pourvu.   108 Ce que. Même vers que 279.   109 F : incongneu  (Comme si tu me connaissais de vue. « Scipion, à eux bien cogneu de veue. » Ludovic de Birague.)   110 F : ung  (« La royne (…) luy fit une moult grant bien-venue. » Méliadus.)   111 Dans le vif du sujet.   112 Je n’ai pas gagné un sou. Le côté face de certaines pièces était frappé d’une croix.   113 Il se plante devant le stand du potier. À aucun moment ledit potier ne reconnaîtra ses bourreaux : ou il s’agit d’une convention théâtrale (étonnante de la part d’un auteur qui déploie un tel réalisme dramatique), ou le comédien simulait une forte myopie. Dans ce cas, le vers 142 est beaucoup plus drôle qu’on ne le croirait au premier abord.   114 Tout ce marchandage évoque le marchandage de Pathelin et du drapier : « Voulez-vous à ung mot ? »   115 Un centime de plus.   116 Plutôt que de vous vendre ces pots pour 3 deniers tournois, j’aimerais mieux les garder jusqu’à la saint-glinglin.   117 « Drap est cher comme cresme. » Farce de Pathelin.   118 Il fait semblant de reconnaître Cauteleux.   119 Possible allusion à l’expulsion des juifs, en 1492.   120 F : castellonne  (La Cerdagne faisait partie de la Catalogne.)  Barat ne mentionne que des lieux situés au sud de la Loire. C’est dans ces régions lointaines qu’il fait vivre le prétendu père de Cauteleux, afin que la nouvelle de sa mort n’ait pas pu arriver jusqu’en Normandie.   121 Le comté de Foix, où régnaient les comtes de Fouez.   122 F : medor  (Dans l’estuaire de la Gironde, près de Bordeaux.)   123 Marseille. Les Nordiques prononçaient — et parfois écrivaient — Marcelle.   124 Trépigné, agité les jambes.   125 F : quil  (Un fait nouveau qui.)   126 F remonte cette didascalie au-dessus de la rubrique.   127 Debout. Double sens : en érection.   128 F remonte cette didascalie au-dessus de la rubrique.   129 F : crie  (On applique cette formule aux morts : « Ainsi est-elle trépassée…./ Dieu luy face/ Mercy à l’âme ! » Seconde Moralité.)   130 F : Certes vous me le pairez coutant  (Comptant. Au vers 427, l’auteur écrit encore : « S’il paye contens. »)  « Pour en payer ainsi les pots cassés. » Piron.   131 F : sans   132 Je n’y suis pour rien si son père est mort.   133 Et même, je ne l’avais jamais vu, son père.   134 Perdre mon bien. Double sens involontaire : Perdre mon père.   135 F : Jen enraygeray  (Je vais devenir fou.)   136 Marchandeur, client.   137 D’aller se jeter dans la Seine, ou dans le Robec, les deux rivières qui arrosaient Rouen. F remonte cette didascalie au-dessus de la rubrique.   138 Damné.   139 Destiné à mourir. Encore une provocation de truand.   140 Je vais me noyer de ce pas. Cauteleux part en courant.   141 Potier, vous allez le rendre fou.   142 Barat court après Cauteleux.   143 Je garderai ce camouflet. « Quelque prune dure, bien verte,/ Sans dire mot (le mary) avallera. » Le Pèlerin et la Pèlerine.   144 Rien d’autre.   145 F : ou  (« Le grand deable l’emporte ! » Lucas Sergent.)   146 Les deux trompeurs quittent la ville et reviennent sous l’arbre, près du chemin où va repasser le Vilain pour rentrer au village.   147 A perdu son temps. Baiser le marmot, ou le marmouset, est la même expression que « baiser la cliquette » (Sermon pour une nopce, note 90) : attendre pour rien devant la porte de sa belle. On sculptait souvent un marmot [un singe] ou un marmouset [un petit singe] sur le heurtoir des portes. Dans le même sens, nous disons aussi « croquer le marmouset » (Monluc, Comédie de proverbes).   148 Œuvrer.   149 Celui qui.   150 Un autre tour pour finir en beauté.   151 F : te   152 Qu’un drap de soie, véritablement.   153 Attaché par le bourreau à la queue d’un cheval. « Je vous feray traŷner et pendre ! » (Mistère de la Passion de Troyes.) C’est là encore un défi au destin ; nos deux futurs pendus ne manquent pas de panache, contrairement au Vilain, qui est craintif, pleurnichard, bigot, crédule et superstitieux.   154 F : Or  (Sinon, je renoncerai au métier de trompeur.)   155 Délivré, quitte. Cf. l’Arbalestre, vers 40.   156 Ce que. Même vers que 189.   157 F : ie te lieray en plaine voye  (Je te lairrai = je te laisserai. « Je vous lerray pour mieulx courir. » L’Aveugle et Saudret.)   158 Vers manquant. « Je me tien tousjours sus mes gardes. » Lucas Sergent.   159 F : le   160 F : veult mettre  (à la rime.)   161 F remonte cette didascalie sous le vers 289. À propos des personnages qu’on fourre de gré ou de force dans un sac, voir la note 150 du Villain et son filz Jacob. Le sac qui renferme Barat est couché au milieu du chemin. Cauteleux se dissimule derrière l’arbre.   162 La moralité Marchandise et Mestier (BM 59), dont le Temps qui court est l’un des personnages, décortique les mêmes griefs ; mais comme ils sont éternels, on ne saurait y voir un élément de datation.   163 F : Crie  (Le ms. de base portait « Or ie ».)   164 Le Vilain s’engage sur le chemin. Il arrive près de l’arbre. Cauteleux, caché derrière, va siffler pour prévenir son compère, afin qu’il se tienne immobile dans son sac.   165 Une déchirure du sac lui permet de respirer, et d’être entendu et vu par le public.   166 Le Vilain peut bien bâfrer tout son pain, ce qui va lui donner soif. « Menger, riffler et transgloutir. » Pates-ouaintes.   167 F : boura  (Il va « boire » une bonne dose de coups. « En donnant maint coup et tatin/ Aux Angloys. » Godefroy.)   168 Je vois ici. Idem vers 367.   169 Il fait un bond de côté.   170 N’ayant pas subi la rupture de l’hymen. « Ains naquit d’icelle cest benoist enfant sans blessure du corps virginel de nostre Dame. » ATILF.   171 La Reine de grâce est encore la Vierge.   172 Si tu es du côté de Dieu.   173 Si tu es du côté du diable.   174 Investi d’une charge. Idem v. 390.   175 Je vivrais dans le confort, et non dans l’ascétisme religieux. Les abbayes sont un des bénéfices ecclésiastiques les plus lucratifs et les moins contraignants, à tel point que des abbés commendataires en possédaient plusieurs où ils n’allaient jamais : cf. les Sotz ecclésiasticques, vers 165, 186, 306, etc.   176 F : ie  (Que je ne mange.)   177 F : mon  (J’accepterais ce bénéfice ecclésiastique.)   178 Tout d’un coup, sans passer par le protocole. Cf. l’Aveugle et le Boiteux, vers 117.   179 Dans la farce de Guilliod, un faux moine veut mener la douce vie au couvent. Cependant, son ignorance l’inquiète : « Mais je ne sçay ny A ny BÉ. » Heureusement, ses compagnons de réfectoire n’en savent pas plus que lui, et tout finit bien : « Je fays maintenant bonne chière…./ D’asne, je suys venu prieur. »   180 F : nul bien  (Aucune chose. « Mieulx vault sagesse sans grant beaulté avoir/ Que d’estre beau sans nulle riens sçavoir. » Pierre Sala.)   181 En grandes pompes.   182 Si je voulais m’en retourner.   183 Tous les compliments. Le Vilain oublie qu’il ne sait pas lire (vers 352).   184 Donnez-m’en une bonne quantité, comme on dit aux tripières : « Et ! baillez-m’en plus largement ! » (L’Aveugle, son Varlet et une Tripière.) Mais on ne va bailler au Vilain que des coups de bâtons.   185 Du monsieur le prieur. « Cujus vitam, domne prior, credo vos habere. » Chronicon clarevallense.   186 F : chemin   187 Battu. Les deux trompeurs ramassent un bâton.   188 Vers manquant. Je le supplée d’après les didascalies de la fameuse scène du sac des Fourberies de Scapin : « En contrefaisant sa voix, (…) il donne plusieurs coups de baston sur le sac. »   189 Décidé.   190 Vaillamment.   191 Les noms de certains fruits désignent des coups, comme la « mûre » du vers 397. De nos jours, nous dirions une châtaigne, un marron, une pêche.   192 Cette mauvaise bastonnade. Voir la note précédente.   193 Je veux cet office d’abbé tout de suite.   194 Prends ce coup dans les dents. « Croque, croque,/ Mon amy, ceste mitaine [gifle] ! » Le Povre Jouhan.   195 F : et bande  (Happer = recevoir un coup, comme au vers 393. « Happe, cousin, happe cela ! » Le Povre Jouhan.)   196 Cette chiquenaude.   197 F : gu  (Jamais, depuis ma naissance. « Oncques, depuys l’heure que je fu né. » Rondeau.)  Dans plusieurs régions, -eu rimait en -u, comme aux vers 313-4 et 397-8. Le Cuvier fait rimer « feu » avec « battu ».   198 Tandis que tout nous réussit. Les deux trompeurs s’éloignent du sac.   199 Vers manquant. J’emprunte le vers 239 de l’Homme à mes pois, en m’autorisant de ce que dit notre Vilain à 293 : « Il est tard. »   200 F : Cy  (Il est probable qu’on chantait ces 4 sixains. C’est l’avis de F. Lecoy : « Cauteleux et Barat s’esquivent en chantant. »)   201 Tromperie.   202 F : les moyens  (Ni le moyen employé.)   203 Une perfide ruse.   204 Si le trompeur paye comptant.   205 Que le feu de l’enfer la brûle et la consume !   206 Il parvient à s’extraire du sac.   207 F : gart et  (Même vers que 294. « Dieu y puist bonne part avoir ! » ATILF.)   208 Que je sorte du sac.   209 Ils m’ont meurtri tout ce côté du corps.   210 F : faulte  (Correction de Jelle Koopmans : Le Recueil de Florence, Paradigme, 2011, pp. 190-199.)  Le comédien s’adresse au public.   211 F : aultre  (Dans notre démonstration, notre représentation. Cf. Pour le Cry de la Bazoche, vers 24.)   212 Cet aveu de fausse modestie conclut plusieurs congés de farces : « En supportant nostre ignorance. » Gautier et Martin.

LE PARDONNEUR

British Library

British Library

.

*

LE  PARDONNEUR

*

.

Un pardonneur1 est un faux prêtre ; moyennant finance, il fait embrasser de fausses reliques2 aux dupes, qui croient ainsi gagner des « pardons » et des indulgences qui raccourciront leur futur séjour au Purgatoire. Ces reliques sont généralement situées au-dessous de la ceinture : « Quand il se baissoit pour amasser une pierre, il monstroit par-derrière environ un pied & demy d’instrument…. Une jeune femme du village aperceut ses belles relicques. » Les Joyeuses adventures.

Un triacleur est un faux savant qui vend du thériaque, de l’orviétan et d’autres poudres de perlimpinpin. Quand deux escrocs de cet acabit visent le même public sur une même place, chacun débine la camelote de son rival ; et c’est le seul moment où ils disent la vérité.

Les Souhaitz des hommes mettaient déjà côte à côte ces deux gredins :

                   LE  PARDONNEUR

        Je souhaitte, moy, Pardonneur,

        Pour parvenir à mes practiques,

        Ung compaignon bien fort menteur

        Pour bien blasonner3 mes reliques.

                   LE   TRIACLEUR

        Et moy, Triacleur, je souhaitte

        Réagal4, boittes, et couleuvres,

        Quelque serpent ou autre beste

        À magner, pour monstrer mes euvres.

Source : Recueil du British Museum, nº 26. Cette farce normande fut publiée à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550.

Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates. Chaque fois que des rôles se prêtent ainsi au cabotinage, les acteurs ajoutent quantité de vers qui délayent le schéma des rimes.

Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.

.

*

Farce nouvelle trèsbonne

et fort joyeuse

à troys personnages

d’un Pardonneur,

d’un Triacleur et

d’une Tavernière

*

C’est assavoir :

       LE  TRIACLEUR

       LE  PARDONNEUR

       et  LA  TAVERNIÈRE  [Pou-fille]

.

               LE  PARDONNEUR

*

                            LE  PARDONNEUR  commence 5     SCÈNE  I

        Sainctes parolles pacificques

        Soient entre vous résidens6,

        Par vertu de[s] sainctes reliques

        Qui reposent icy dedans !

5      Messïeurs, il y a long temps

        Que ne visitay ce pays7.

        Mais s’il plaist à Dieu, je prétens

        De vous faire tous esjouys.

        J’aporte icy [les] de[ux] ouÿes8

10    De sainct Couillebault, con fesseur9,

        [Et les deux mamelles bénies]10

        Et  de saincte Velue11, sa seur,

        Dont il appert12 de grands miracles.

        Je vous vueil compter les ostacles13

15    Et les miracles qu’ilz ont fait.

        Au pays d’Affricque, [en effait]14,

        Cestuy monsieur sainct Couillebault

        « Délivra15 », je le vous afferme,

        Une juifve estant à l’assault

20    D’enfant ; et si16, estoit à terme.

        Item, orrez17 que fist [sa seur],

        Saincte Velue, prudente et sage :

        À un[e] autre, j’en suis tout seur,

        Elle rendit son pucelage18 ;

25    Et si, [y] avoit grand passage

        De membres, je le vous asseure !

        Elle [la] mist hors de servage19,

        Par bieu, en moins de demy-heure.

        Maintenant, fault que [je] labeure

30    À nommer les parroissiens

        Et les confrères ancïens

        Qui furent de leur Confrarie.

                            Il nomme.20

        Jehan Pigault, Biétrix Barbarie,

        Colin Mulet et Jehan Bigace,

35    Jénin Grigecte, Jehan l’Agace21,

        Tassin Pigard, Perrin Bicorne22,

        Jehan Sousseron, Jehanne la Sorne23,

        Martin Marteaulx24, Régnault Frasie,

        Pierre Sourys et sa maignie25.

40    Or, vous orrez la26 confrarie,

        Seigneurs, de voz ancïens pères :

        Vous orrez voz oncles, voz frères,

        Voz parens, vo(u)s cousins germains.

        Prenez congé27 à joinctes mains,

45    Et venez gaigner les pardons !

        Aportez flesches28 et lardons,

        Jambons, eschinées, coustelettes,

        Fusées, napes [et] touaillons29,

        Chausses, robbes, chapeaulx, cornettes.

50    Cuidez-vous que soient sornettes

        Des pardons de sainct Couillebault ?

        Nenny dea ! V(e)ez-en cy [les] lettres30

        Et les grands pardons généraulx.

        Regardez : v(e)ez-en cy les seaux31,

55    [Qu’ay] impétréz32 par Mélusine

        Au grand chasteau de Gernetaulx33,

        En la grand terre sarrazine.

        Voire ! Et le [grand] Turc m’en raisine34

        Son droit, touchant sa seigneurie35.

.

                            LE  TRIACLEUR 36                         SCÈNE  II

60    Vierge Marie, Vierge Marie !

        Croit-on en ta cabuserie37 ?

                            Adoncq, il monstre une anguille

                            au lieu d’une couleuvre 38, et dit :

        Arrière, arrière, arrière, [arrière]39 !

        [Çà, Margot, çà ! Sans muselière]40,

        Saluez ceste compagnie !

                            LE  PARDONNEUR

65    Et ! voylà belle mocquerie !

        Le fait-on par desrision ?

        Je n’ay point apris41 qu[e  l’]on crie

        Devant ma prédication.

        J’ay cy la teste sainct Pïon42,

70    Et les noms de tous ses43 confrères ;

        Je croy qu’i furent voz grands-pères.

        Attendez, je les nommeray :

        Jehan Beaufort, Tassin le Brun[ay],

        Jehan Fort-en-gueulle…

                            LE  TRIACLEUR

                                                Çà,  messeigneurs,

75    J’ay cy des oingnemens44 plusieurs,

        Touchant…

                            LE  PARDONNEUR

                            Quel follastre esse-là ?

        Faictes taire ce fol !

                            LE  TRIACLEUR

                                         Paix là !

        C’est trop prescher, faictes-le taire !

                            LE  PARDONNEUR 45

        …Jehan Huart, Colin Forte-hère,

80    Pierre Boit-bien, Guillot Tout-neant46

                            LE  TRIACLEUR

        Seigneurs, voicy d’un « purgatoire47 »

        Un trèsbon morcel, et friant48.

                            LE  PARDONNEUR

        Et ! par bieu, tu es49 bien truant !

        Deusses-tu pas avoir grand honte ?

85    Vélà, on ne fait plus de compte

        Des bons sainctz ne de leurs miracles.

        Menteurs, [esprouveurs de triacles]50

        Ont le bruit51.

                            LE  TRIACLEUR

                                Tais-toy !

                            LE  PARDONNEUR

                                                Mais toy-mesmes !

                            LE  TRIACLEUR

        J’ay des oignemens [des Boësmes]52

90    Que j’ay prins sur53 le Prebstre Jehan.

                            LE  PARDONNEUR

        Ha ! qu’il soit entré en mal an54,

        Qui le croira ! Quel lenternier55 !

                            LE  TRIACLEUR

        Laisse-moy faire mon mestier !

        Suis-je pas en ville jurée56 ?

95    Si suis, ou le diable t’emporte !

        [Çà ! se Margot m’avoit picquée,]57

        J’auroys ma santé recouvrée58

        Avant59 qu’aler à ceste Porte :

        Car il n’y a poyson si forte60

100  (Soit réagal ou arceniq),

        [Qu’]avant que vous eussiez dit « picq »61,

        Vous seriez guéry trèstout sain,

        Et feussiez-vous mors d’un aspicq62.

        Par bieu, il n’est rien plus certain !

                            LE  PARDONNEUR

105  Mes amys, pour le peuple humain,

        Pour vous garder de grand essoyne63,

        Je vous ay apporté le groing

        Du pourceau monsieur sainct Anthoine64.

                            LE  TRIACLEUR

        Messeigneurs, vécy l’œuf d’un moyne65

110  Qui fut ponnu66 en Barbarie,

        Qui est plain quand la lune est plaine,

        Et tary quand elle est tarye.

        Encore(s) ay-je de droguerie67

        Beaucoup, que je vous monstreray.

                            LE  PARDONNEUR

115  Il ment, le ribault, croyez-lay68 !

        Sang bieu ! ce n’est que joncherie69 :

        Tout partout y a tromperie,

        Fors à gens de nostre mestier.

                            LE  TRIACLEUR

        Cuydez-vous qu’il est fort ouvrier !

120  Il cuyde faire70 les gens bestes.

                            LE  PARDONNEUR

        Je vous vueil [cy] monstrer la creste

        Du coq qui chanta cheuz Pylate71.

        Et [j’ay] la moytié d’une late

        De la grand arche de Noé.

                            LE  TRIACLEUR

125  Je viens du mont qui est gelé72,

        Où j’ay cueilly ceste racine.

                            LE  PARDONNEUR

        Ce n’est que merde de géline73 !

        Le croyez-vous ? Le ribault ment.

                            LE  TRIACLEUR

        Seigneurs, vécy de l’oignement

130  Qui croist emprès la saincte Terre74.

                            LE  PARDONNEUR

        La forte fièbvre [quarte] serre

        Qui75 en ment ! Sang bieu, c’est boullie76 !

                            LE  TRIACLEUR

        Il a menty ! Dieu le mauldie

        Se ce n’est vraye médecine

135  Que j’ay prins au mont de Turgine77,

        En la montaigne d’Arcana !

                            LE  PARDONNEUR

        Ha ! par le ventre bieu, non a !

        Coquelicoq78 !

                            LE  TRIACLEUR

                                Tenez, quel prebstre !

        Par la chair bieu ! on le deust mettre

140  En bonne prison. Comme(nt) il jure !

        Mais esse pas bien grand injure

        À un prebstre, d’ainsi jurer ?

                            LE  PARDONNEUR

        Comment ! Ne sçais-tu endurer,

        Et atendre que j’aye fait

145  Ma collation79 en effait ?

        Se tu ne te tais, j’en appelle80.

        Regardez, seigneurs : vécy l’elle81

        D’un des séraphins d’emprès Dieu ;

        Ne cuidez pas que ce soit jeu82 !

150  Vélà là, affin qu’on la voye.

                            LE  TRIACLEUR

        Sang bieu ! c’est la plume d’une oye

        Qu’il a mengée à son disner.

        Ha ! que tu scez bien affiner83

        Et abuser les bonnes gens !

                            LE  PARDONNEUR 84

155  Et ! par la vertu bieu, tu mens !

        Coquelicoq ! alléluya85 !

                            LE  TRIACLEUR

        Tenez : esse juré, cela ?

        Je pense que ouy, pour un coup.

        Je porte des drogues beaucoup.

160  J’ay cy, en mes deux petis caques86,

        De la teste de Cerbérus87,

        Que je conquis le jour de Pasques

        Ès parts88 de l’infernal palus.

                            LE  PARDONNEUR

        Bénédicité, Dominus 89 !

165  Tu mens bien à bon escient.

                            LE  TRIACLEUR

        Et j’ay cy, tout pareillement,

        De la barbe de Proserpine90.

        Et si, ay cy d’une racine

        De quoy on joue d’arquemie91 ;

170  Et l’ay prinse, je vous affie,

        En la gastine92, jusqu’au fons.

        Et m’y portèrent les griffons,

        Qui sont tous duis93 à cella faire.

                            LE  PARDONNEUR

        Et ! trèsdoulx Jésus, roy de gloire !

175  Et ! que tu mens terriblement !

                            LE  TRIACLEUR

        [Et] j’ay cy, tout pareillement,

        Du premier fruict d’une chastaigne94

        Que j’ay prins en un mouvement95

        Au fons de la grand mer d’Espa[i]gne.

                            LE  PARDONNEUR

180  Escoutez ! Cuidez-vous qu’i plaigne96

        À bien mentir ? Corps bieu, nenny !

        Que pleust à Dieu qu’i fust, ennuy97,

        À la grant rivière de Seine98,

        Ataché d’une bonne chesne99,

185  Au moins tant que j’eusse presché100 !

        J’ay cy, seigneurs, d’un coeuvrechef

        De Nostre Dame de Laval.

                            LE  TRIACLEUR

        Voicy du pied de Hanibal,

        Et de la teste, et des [deux] cuysses.

                            LE  PARDONNEUR

190  Il ne m’en chault, non, que tu disses101 :

        Tu mens de tout ce que tu dis.

                            LE  TRIACLEUR

        J’ay cy, des murs de Paradis,

        Un petit caillou : vé-le là.

                            LE  PARDONNEUR

        As-tu [donc] monté jusques-là ?

195  Il est à la plus haulte notte102 !

                            LE  TRIACLEUR

        G’y fus porté en une hotte103

        Le jour du Vendredy aouréz104.

                            LE  PARDON[N]EUR

        Or çà, messïeurs, escoutez :

        Je vous veulx compter105 un miracle.

                            LE  TRIACLEUR

200  Çà ! qui veult avoir du triacle ?

        J’en ay, yssu106 du me[n]dragan.

        J’ay l’oreille d’un pellican107,

        Et les piedz de quatre phénix ;

        Et les ay prins dedans les nicz108,

205  [Em]près la montagne d’Artos109.

                           LE  PARDONNEUR

        Je vous vueil cy monstrer des110 os

        (De la teste d’un111 bigourdin) :

        L’un est de monsieur sainct Boudin112 ;

        Voicy l’autre, de saincte Fente.

                            LE  TRIACLEUR

210  J’apporte du pays de Trente113

        La dent de Geoffroy à la Grand Dent114,

        Qui va tout le monde mordant.

        Pour Dieu, reculez-vous arrière !

        Je la prins à une fouldrière115,

215  En la vallée de Golgotas.

        J’ay cy encore[s] un grand tas

        De coque[ci]grues116 d’Oultre-mer.

        J’ay du chevron qui porte l’air117,

        Et du pied qui porte la lune.

                            LE  PARDONNEUR

220  Par la mort bieu ! c’est d’une prune118

        D’un prunier de quelque jardin.

                            LE  TRIACLEUR

        Voicy du boys du tabourin

        De quoy David joue devant Dieu.

                            LE  PARDONNEUR

        Il a menty, par le sang bieu,

225  Car David jouoit de la harpe119 !

                            LE  TRIACLEUR

        Par la mort bieu ! se je te happe,

        Je t’envoiray prescher ailleurs !

.

                            LA  TAVERNIÈRE 120                     SCÈNE  III

        Dea ! il ne vient plus nulz buveurs :

        Je pers toute ma chalandise121.

230  Tous ces triacleurs de Venise122

        Et ces pardonneurs d’Amïens,

        Qui cueillent123 d’église en église,

        Souloient124 tous venir ceans.

.

                            LE  TRIACLEUR                              SCÈNE  IV

        Messïeurs, j’ay beaucoup de biens125,

235  Dieu mercy, de beaulx et de bons :

        Seigneurs, vécy un des crampons

        De l’ays126 qui soubstient tout le Monde.

        Et vécy une pierre ronde

        Que jamais aveugle ne vit :

240  C’est la pierre de quoy David

        Tua Golias le géant127.

                            LE  PARDONNEUR

        Je me tiens icy pour néant ;

        G’y pers mon sens et [ma] mémoire.

                            LE  TRIACLEUR

        Que veulx-tu donc ? Yrons-nous boire ?

245  Je te pry, allons-y, beau sire.

        Nous ne [nous] faisons qu’entrenuire,

        Se nous ne faisons quelque accord.

        Tu [es par toy-mesme]128 record

        Que deux coquins129 ne vallent rien

250  À un [mesme] huys.

                            LE  PARDONNEUR

                                          Tu dis trèsbien.

        Il nous fault aller gourmander130.

.

        À quelqu’un nous fault demander                             SCÈNE  V

        Où est le bon vin d’Orléans131.

                            LA  TAVERNIÈRE

        C’est céans, seigneurs, c’est céans !

255  Venez, entrez, j’ay de bon vin.

                            LE  TRIACLEUR

        Ainsi l’entens-je sans132 latin.

        Tenez, gardez-moy ce coffre[t].

                            LA  TAVERNIÈRE

        Messïeurs, dictes, s’il vous plaist :

        De quoy vous meslez-vous, tous deux ?

                            LE  PARDONNEUR

260  De quoy ? Nous sommes pardonneurs133,

        Dame, à vostre commandement.

        Au moins moy, véritablement ;

        Mais cestuy-cy est triacleur.

                            LA  TAVERNIÈRE

        Par sainct Jehan ! je me tiens [as]seur134 :

265  Se mon mary estoit icy,

        Certes il seroit bien marry

        Se trèsbien ne vous festoioit135 ;

        Car aussi, certes, il souloit136

        Se mesler de vostre mestier.

                            LE  TRIACLEUR

270  Comme quoy ?

                            LA  TAVERNIÈRE

                                 Il estoit ouvrier

        Excellant d’arracher les dens137.

                            LE  PARDONNEUR

        Sang bieu ! il estoit de noz gens.

                            LA  TAVERNIÈRE 138

        Ha ! c’estoit mon139, j’en suis bien ayse.

        Or, messïeurs, ne vous desplaise,

275  Faictes tous [les] deux bonne chère :

        Vous ne demourrez pas derrière140,

        Par ma foy, jusqu(es) à un escu.

                                       *

                           LE  PARDONNEUR 141

        Je croy que nous avons vescu

        Céans, [ma]dame, à voz despens.

280  Il y a chose142, icy dedans,

        Qui est certes un grand trésor :

        Il vault plus d’un million d’or.

        S’il vous plaist, vous le garderez143.

                            LA  TAVERNIÈRE

        Et qu’esse [donc] ?

                            LE  PARDONNEUR

                                        Vous le sçaurez :

285  C’est, ainsi comme je l’entens,

        Le béguin d’un des Innocens144.

        Gardez-le [pour] nous145, bien apoint,

        Mais ne le desveloppez point146.

                            LA  TAVERNIÈRE

        Comment ! est-il si précieux ?

                            LE  TRIACLEUR

290  Ouÿ dea.

                            LA  TAVERNIÈRE

                        J’aymeroye mieulx

        Mourir que le développer !

                            LE  PARDONNEUR

        Où yrons-nous, après soupper ?

                            [ LE  TRIACLEUR

        Pour quérir pain parmi la ville ]

        Nous en allons. Adieu, Pou-fille147 !

                            LA  TAVERNIÈRE

295  À Dieu, seigneurs ! Qu’i vous conduie148 !

.

                            LE  TRIACLEUR                              SCÈNE  VI

        Et,  benoiste149 soit [la] tromperie !

        Le corps bieu ! elle en a pour une150.

.

                            LA  TAVERNIÈRE 151                      SCÈNE  VII

        Et [quoy] ! n’est-il manière aucune

        Que je puisse veoir que c’est cy ?

300  Par bieu ! j’en suis à grand soucy.

        Que feray-je ? Y regarderay-je ?

        Ouÿ ? Nenny ? Lequel feray-je ?

        Et ! si feray, par mon serment !

        Mais je prie premièrement

305  À Dieu que point ne me pugnisse :

        « Et ! mon [doulx] Dieu, que je suis nice152,

        Fragile153 et de propre nature !

        Se je regarde, d’avanture,

        Ce qu’il y a icy dedans,

310  Pardonnez-moy, car je prétens

        N’y faire aucune violence154. »

        Or çà ! il fault que je m’avance

        De veoir ceste noble relique…155

        Vierge Marie ! Et ! qu’esse ? Sique156 !

315  Ce sont brayes157 (par ma conscience)

        De quelqu’un. Mon Dieu, pascience !

        Vierge Marie, qu’ilz sont breneuses !

        Que de finesses cauteleuses158

        Se font, aujourd’huy, par le monde !

320  Je pry à Dieu qu’i les confonde !

        Je le diray à mon mary ;

        Je m’y en vois159. Adieu vous dy !

        Et prenez en gré, je vous prie !

        Adieu toute la compagnie !

.

                                             FIN

*

1 Voir le vers 282 de Mallepaye et Bâillevant. La farce normande du Pardonneur date des années 1510 et, vu son état actuel, a dû circuler longtemps ; il se pourrait donc que Pierre le Carpentier, acteur et chef de troupe rouennais, ait acquis son pseudonyme, « le Pardonneur », en en tenant le rôle-titre. Cf. le Bateleur, vers 184 et note.   2 Voir le Pèlerinage de Saincte-Caquette, où le marchand de pardons est un véritable curé.   3 Encenser. Le pardonneur souhaite un comparse qui affiche une fausse infirmité dont il sera « guéri » par miracle en baisant une des reliques.   4 Du réalgar, du sulfure d’arsenic : voir le vers 100 de la farce. Les « boîtes » renferment des onguents magiques : cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 250. La couleuvre est la complice involontaire des triacleurs : voir la note 38.   5 Vêtu d’une robe monacale, il pose par terre un énorme sac dont il sortira au fur et à mesure d’invraisemblables « rogatons », puisque c’est ainsi qu’on nommait les reliques. Il se met à haranguer les passants. Tout comme dans la farce de Frère Guillebert, ce monologue initial est une sorte de Sermon joyeux. Voir Jelle Koopmans, Recueil de sermons joyeux, pp. 591-595.   6 Qu’elles résident entre vous, qu’elles vous soient familières. En résumé : Que la paix soit avec vous ! Voir l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, t. V, 1989, pp. 231-273.   7 Cette région. Les escrocs avaient intérêt à déguerpir rapidement et à se faire oublier, avant de revenir sur les lieux de leur forfait. Beaucoup d’entre eux quittaient la région parce qu’ils en étaient bannis pendant un certain nombre d’années.   8 Les testicules, qu’on nomme parfois les « oreilles » : cf. Sermon pour une nopce, vers 72 et 197.   9 Fesseur de cons, de vulves : « Saint Velu (…) estoit l’un des con fesseurs/ Des plus grans de toute l’Ytalie. » (Sermon joyeux de saint Velu.) Couillebaud est un des nombreux saints priapiques invoqués contre l’impuissance et la stérilité. « Par sainct Couillebault ! » Les Sotz nouveaulx farcéz.   10 Vers manquant. Pour le reconstituer, je m’autorise du fait que six « mamelles de sainte Agathe » étaient conservées dans différents reliquaires.   11 Le Sermon joyeux de saint Velu nous en présente la version masculine.   12 Dont on peut voir.   13 Les obstacles à tout ce qui peut nous nuire. « Considère que le triacle/ Soit, pour vray, souverain obstacle/ Contre venin et pourriture. » ATILF.   14 BM : tout a fait  (Voir le vers 145.)  Jeu de mots sur l’impératif latin affrica : frotte les parties sexuelles. L’épouse infidèle du Povre Jouhan se nomme « Affriquée », et Sœur Fessue se retrouve enceinte après avoir subi des « fricatores » de la part d’un moine.   15 Débarrassa de son fardeau. André Tissier note : « Le saint fit qu’une Juive ne fut plus enceinte au temps même où elle allait mettre un enfant au monde (à terme). »   16 Et pourtant. Idem vers 25.   17 BM : apres  (Vous entendrez, futur du verbe ouïr. Idem vers 40 et 42.)   18 Elle exerçait donc le « mestier d’estressisseuse (…), pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». (Noël Du Fail.) La Fille bastelierre, qui est triacleuse, accomplit ce genre de miracle.   19 Hors de peine.   20 Il lit une liste de fornicateurs et de fornicatrices.   21 BM : la gace  (Une agace est une pie. Voir la note d’A. Tissier.)   22 La bicorne (ou les cornes) est un geste insultant qu’on fait à un homme pour le traiter de cornard : on ferme le poing, et on tend vers le haut l’index et l’auriculaire. « E si nous fetes la bicorne,/ De part le deable, ki vous corne ! » Godefroy.   23 Sornette, plaisanterie.   24 Au singulier, le marteau désigne le pénis : les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 149. Au pluriel, les marteaux sont les testicules : « Les deux marteaulx qui avoient, en son absence, forgé sur l’enclume de sa femme. » Cent Nouvelles nouvelles, 85.   25 Sa maisonnée, sa clique.   26 BM : sa   27 Demandez-moi la permission.   28 Des tranches de lard : « Une flesche de lart. » (ATILF.) Le pardonneur se fait aussi payer en nourriture et en vêtements.   29 Des pelotes de laine, des nappes, des torchons.   30 Voyez-en ici les lettres d’indulgences. Les trafiquants d’indulgences les obtenaient en soudoyant le haut clergé.   31 Voyez-en ici les sceaux officiels.   32 Que j’ai obtenus grâce à la fée Mélusine.   33 Ayant oublié le nom du château de Lusignan, le pardonneur en invente un autre, qu’il situe par prudence en Arabie. L’auteur normand de la pièce a dû se souvenir du château de Garnetot, ex-Gernetot, dans l’actuel Calvados. Du coup, le vers suivant était prophétique.   34 M’en résigne, m’en concède.   35 En ce qui concerne son royaume. Le pardonneur a donc obtenu le droit de vendre des indulgences chrétiennes aux musulmans.   36 Il pose son énorme sac, puis il tente de faire taire le pardonneur. Ce dialogue conflictuel entre un ecclésiastique et son interrupteur ressemble au Sermon joyeux de bien boire, qui oppose un prêcheur à un cuisinier.   37 BM : cabusion  (En tes abus, en tes artifices. « Plusieurs cabuseries et tromperies. » ATILF.)   38 Les marchands de contrepoisons et d’élixirs antivenimeux impressionnaient les badauds en agitant un gros serpent dont ils prétendaient guérir les morsures. Évidemment, ils choisissaient plutôt une couleuvre qu’une vipère, mais jamais, à ma connaissance, une anguille morte. Voir les Souhaitz des hommes dans ma notice. « Et en ung sac porter un gros serpent/ Pour métridal [mithridate] et triacle esprouver. » Les Ditz de maistre Aliboron.   39 BM : mesgnie  (« Arrière ! » est le cri public <vers 67> des charlatans qui attirent les curieux en leur faisant croire que ce qu’ils montrent est dangereux. Cf. Légier d’Argent, vers 1 et note.)   40 BM : Sa margot sa se musequin  (Margot est un nom de prostituée. Il désigne ici la fausse et néanmoins satanique couleuvre : le serpent, symbole de la luxure, est féminisé.)  « Çà, çà ! » est l’ordre qu’on donne aux chiens pour qu’ils attaquent. Bref, le triacleur fait mine de lâcher sur le peuple l’anguille sanguinaire.   41 Je n’ai pas l’habitude qu’on déclame un cri public avant mon sermon. « Je n’ay point aprins que je donge/ Mes draps. » Farce de Pathelin.   42 Un pion est un homme qui ne cesse de « pier », de boire du vin. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 206 et note. Rien à voir avec le véritable « sainct Pion, abbé en la Thébaïde », lequel buvait « de l’eau d’un puits qui estoit fort amère ». Yves de Magistri.   43 BM : les  (De tous les ivrognes.)   44 Des pommades. Idem vers 89 et 129.   45 Il continue sa liste des ivrognes, qu’il ne terminera jamais, et pour cause…   46 Tout est nul. « C’est tout néant se la couille ne balle [ne danse]. » (Ballade.) On prononce nian en 1 syllabe, qui rime avec friand : « Gaultier Fait-nyent [fainéant]. » Testament Pathelin.   47 BM : gringatoire  (Un purgatif, un vomitif. « L’expert médecin (…) lui donne purgatoire et médecine. » Christine de Pizan.)  Le triacleur fait un calembour sur le Purgatoire que le pardonneur prétend éviter à ses clients. D’où la réponse indignée dudit pardonneur.   48 Appétissant. Il s’agit de noix vomique.   49 BM : est  (Un truand est un gueux, un resquilleur.)   50 BM : et approuueurs  (Un éprouveur de triacle est un charlatan : « Ou ung esprouveur de triacle. » Tout-ménage.)   51 Sont en bonne réputation.   52 BM : de bresmes  (Des onguents des Bohémiens.)  Plus les remèdes et les reliques viennent de loin, plus on leur prête de crédit. Autre argument alléchant, les Bohémiens avaient la réputation sulfureuse d’être des hérétiques, comme le grand Turc du vers 58 : « Je congnois la faulte des Boesmes. » Villon.   53 Chez. On situait le royaume imaginaire du Prêtre Jean vers l’Éthiopie : cf. Pour porter les présens, vers 271. Comme le dit l’apothicaire du Mystère de la Passion d’Arras : « Jusques au pays Prestre Jehan,/ N’en a point de plus affiné :/ C’est fin oingnement esprouvé. »   54 Qu’il soit en mauvaise année, en malheur, celui qui le croira. Cf. le Cousturier et son Varlet, vers 143 et 188.   55 « Un lanternier : un badin, un niais, un fascheux. » (Antoine Oudin.) Cf. Daru, vers 231 et 553.   56 Où les corporations de métiers sont autorisées. Il y eut peut-être des mafias de triacleurs, mais sûrement pas de corporations !   57 Vers manquant.   58 BM : recouuerte  (Retrouvé.)   59 BM : Autant  (Avant d’aller jusqu’à la Porte de la ville pour en sortir.)   60 « Poison » était encore féminin. Le réalgar est un poison (note 4). « En réalgar, en arcenic rochier. » Villon.   61 En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Cf. André de La Vigne, vers 33.   62 Mordu par la vipère aspic que je tiens dans mes mains. Cf. Clément Marot, vers 17.   63 Des difficultés. Les 3 finales en -oine riment avec pleine.   64 Du porc de saint Antoine. Cf. les Rapporteurs, vers 269.   65 Pour se moquer du faux moine, le triacleur le compare à un moineau. « Tendant [des pièges] ou chassant aus moines. » La Curne, d’après Du Cange. <Le second exemple donné par La Curne est faux : il faut lire moindre au lieu de moine.>   66 Pondu. La Barbarie (ancien nom de la Berbérie) englobe tous les pays musulmans.   67 Des drogues : des médicaments. Cf. Maistre Doribus, vers 69 et 144.   68 Croyez-le puisque je vous le dis. Sur le pronom normand « lay », voir la note 12 du Vendeur de livres.   69 Tromperie.   70 Rendre. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 257.   71 Chez Ponce Pilate, devant qui Jésus fut conduit après le chant du coq. « Cheux » est la forme normande de « chez » : cf. le Savatier et Marguet, vers 147 et 154.   72 Peut-être le Mont Gelé, dans les Alpes valaisannes.   73 Que de la fiente de poule.   74 Près de la Terre sainte, de la Palestine.   75 Celui qui. « Que la fièvre quartaine serre/ Celluy qui vous a mis icy ! » Le Franc-archier de Baignollet.   76 Sa pommade, c’est de la bouillie pour les bébés.   77 Le triacleur invente des noms de pays lointains. D’abord, cela faisait rêver les acheteurs ; ensuite, on ne risquait pas d’être contredit par un pèlerin qui en revenait. « Turgine » rappelle turgide [en érection], et le latin arcana se traduit par cachée.   78 Cocorico ! Idem vers 156. Cf. Colin filz de Thévot, vers 90 et note. Ce cri de guerre n’est pas un juron blasphématoire, au contraire de ce qu’affirme le triacleur, qui cherche toutes les occasions pour discréditer son rival en soutane.   79 Mon sermon. « La dévote colation de choses espiritueles. » ATILF.   80 Je fais appel, opposition. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 158.   81 Voici la plume. Les séraphins aux ailes emplumées volettent auprès de Dieu.   82 C’est le vers que dit frère Serre-porte à la femme qu’il veut « con fesser » dans sa chambre.   83 Tromper.   84 BM : triacleur.   85 Voir la note 78. Le triacleur, trop content, réitère son accusation de blasphème. Vers identique dans Deux Hommes et leurs deux femmes.   86 Barils dans lesquels les harengères stockent le hareng saur et les anchois.   87 Cerbère, le chien qui gardait la porte des Enfers, avait trois têtes. Mais la culture classique du charlatan laisse à désirer : voir les vers 222-3. Pour caricaturer son concurrent, il se met à énumérer des reliques encore plus fantaisistes que les siennes.   88 BM : parties  (Du côté du marais de l’Enfer.)  « Et Proserpine ès infernaulx palus. » Villon.   89 Le faux prêtre ne connaît que ces deux mots latins. Le Sot du Gaudisseur, poussé dans ses retranchements par la mauvaise foi d’un affabulateur, ne trouve plus rien d’autre à lui opposer que des interjections en latin, parmi lesquelles : « Bénédicité ! »   90 Cette diablesse, traditionnellement jouée par un comédien barbu, éructe dans de nombreux Mystères et dans la farce du Munyer.   91 On fait de l’alchimie. Mais aussi : Une racine aphrodisiaque pour faire l’amour. « On faict ensemble l’arquemye. » (Marchebeau et Galop.) Dans les deux cas, cette racine n’est autre que la mandragore, qui naissait de l’éjaculation des pendus.   92 BM : racine  (Dans cette gâtine, cette terre en friche qu’est l’Enfer.)   93 Dressés, habitués. Le Roman d’Alexandre, un des succès de la littérature médiévale, explique comment Alexandre voyage dans les airs en étant tiré par des griffons.   94 Une châtaigne de mer : un oursin. Mais le triacleur montre une bogue de marron.   95 Dans le creux d’un tourbillon.   96 Qu’il s’économise.   97 Anuit, aujourd’hui.   98 Ce fleuve arrose Rouen. On y jetait facilement les gêneurs, comme dans la farce normande Martin de Cambray (F 41) : « Que fust-il en ung sac en Seine ! »   99 Lesté d’une chaîne pour que son cadavre ne remonte pas.   100 Après, bien sûr, il aura le droit de remonter à la surface.   101 Cela ne me dérange pas que tu parles.   102 Il est au summum.   103 La farce de Janot dans le sac se moque d’un naïf qu’un faux ange prétend faire monter au paradis à l’intérieur d’un sac.   104 Adoré : le Vendredi saint.   105 Conter. Idem vers 14.   106 BM : icy  (Fait à partir de mandragore.)  Le mot « mendragan », que je n’ai jamais lu ailleurs, se souvient peut-être de Pendragon, l’ami de l’enchanteur Merlin.   107 Cet oiseau – qui n’a donc pas d’oreilles – était alors entouré de légendes.   108 Les nids. Il n’y avait qu’un seul phénix, et non quatre : à sa mort, il renaissait de ses cendres. Tissier cite le Roman de la Rose : « Il n’en puet estre .II. ensamble ;/ Touz jors est-il uns seuls phéniz. »   109 La montagne Artos, en Turquie, était alors inconnue des Occidentaux. Comme le suggère Tissier, il s’agit plutôt du Mont Athos, en Grèce.   110 BM : les   111 BM : de  (Tirés du crâne d’un cheval navarrin.)  Si ce vers est juste – et c’est loin d’être sûr –, il était dit en aparté.   112 Ce saint priapique fut sans doute honoré d’un Sermon joyeux, comme sainte Andouille. « La damoyselle, friande du boudin, ne refusoit un jeune marchant de la ville. » Les Joyeuses adventures.   113 BM : tarente  (La ville de Tarente se trouve au sud de l’Italie ; celle de Trente est au nord.)  À la rigueur, Geoffroy à la Grand Dent est peut-être passé par Trente lorsqu’il est allé à Rome, mais nous sommes loin du Golgotha que mentionne le vers 215.   114 C’est un des fils de la fée Mélusine (vers 55) et un ancêtre de Pantagruel.   115 Dans une crevasse engendrée par la foudre. « Il y avoit un abysme, ayant un précipice, comme une foudrière fort creuse & obscure. » Æmar Hennequin.   116 D’animaux chimériques. « À la venue des cocquecigrues. » Gargantua, 49.   117 J’ai un morceau de la poutre qui soutient le ciel.   118 Ce n’est pas un bout de bois, c’est un noyau de prune. Le pardonneur sous-entend que son adversaire chaparde dans les jardins.   119 BM : herpe  (Harpe rime avec happe.)  « David y vint atout sa harpe. » Le Capitaine Mal-en-point.   120 À la devanture de sa taverne, elle attend les consommateurs, qui ne viennent pas. On trouve un petit rôle de tavernière dans le Brigant et le Vilain, et un grand rôle dans le Vilain et la Tavernière.   121 Ma clientèle. Les malfrats se réunissaient dans certaines tavernes comme celle-ci.   122 Quelques décennies plus tard, Philippe de Marnix en parlera encore : « Ces triacleurs de Venise qui, depuis trente ou 40 ans en çà, ont couru le monde, vendu en toutes foires leurs triacles. » La farce qui précède la nôtre dans le recueil du British Museum s’intitule le Pont aux Asgnes (BM 25) : un charlatan qui s’y fait appeler « messire Domine Dé » prétend venir de Calabre.   123 Qui glanent de l’argent.   124 Avaient coutume. « Cians » rime avec « Amians » et « bians », ce qui confirme une origine nordique de la pièce.   125 D’articles à vendre.   126 BM : lhuys  (Une des ferrures de la planche.)  Le triacleur croit que la Terre est plate, ce qui eût fait hausser les épaules aux vrais savants. Cf. Patrick Gautier Dalché : La Terre était-elle plate au Moyen Âge ? In : Le Vrai visage du Moyen Âge. Vendémiaire, 2017, pp. 229-239.   127 BM : geand.  (David tua Goliath avec une fronde.)   128 BM : scez par ton mesme  (Tu es par toi-même informé. « Nous sommes recors/ Qu’il a ressuscité deux mors. » ATILF.)   129 Mendiants. Les « deux coquins » du Pasté et la Tarte ne quémandent jamais ensemble devant une même porte (vers 30).   130 Boire et manger avec gourmandise. Ils prennent leurs sacs et passent devant la tavernière qui, par « curiosité féminine », ne peut s’empêcher d’écouter leurs propos.   131 On buvait ce vin dans toute la France.   132 BM : en  (Sans avoir besoin de gloses savantes.)   133 Les Normands prononçaient « pardonneux ».   134 J’en suis sûre. « Et se tenoit pour tout asseur que il auroit la guerre au roy de France. » Froissart.   135 S’il ne vous festoyait, ne vous faisait fête.   136 Il avait coutume de. Le mari n’est pas mort : ne trouvant plus aucun patient, il a juste changé de profession.   137 Il n’y a pas plus menteur qu’un arracheur de dents, qui fait croire à ses victimes qu’il va les opérer sans douleur. On traitait Nostradamus de « triacleur & aracheur de dens » : Frère Fécisti, note 122.   138 Elle sert à boire et à manger aux deux hommes attablés.   139 C’était le cas. « Mon » est une particule de renforcement.   140 Vous ne resterez pas en rade : je vous ferai crédit.   141 Acte 2. Les deux hommes ont fini de dîner. Ils ont élaboré une ruse pour ne pas régler l’addition.   142 BM : choses  (Le pardonneur montre à la tavernière le coffret que son comparse lui a confié au vers 257.)   143 Nous vous en faisons cadeau (à condition de ne rien vous payer).   144 Le bonnet d’un des enfants que le roi Hérode fit décapiter. Les pardonneurs vendaient même la barbe de ces nourrissons : « Ilz vendent les plumes du Sainct-Esperit ; ilz portent les os de quelque mort qui, à l’adventure, est damné ; ilz monstrent bien le poil de quelques vieulz chevaulx, disant que c’est de la barbe des Innocens. » Jehan Drouyn.   145 En souvenir de nous. À point = en bon état.   146 Ne l’ouvrez pas.   147 Au cours du repas, les dîneurs ont appris que leur hôtesse s’appelle « Peu fille » : peu vierge. La cliente parisienne de Mahuet se nomme également Peu-fille (vers 169). Dans la farce italianisante des Trois commères, la plus débauchée des trois se nomme aussi Puoc-file.   148 BM : conduise  (« Dieu me conduye ! » Les Gens nouveaulx.)  Les deux hommes s’en vont.   149 Bénie. « Et ! benoiste soit la vieille ! » Rabelais, Tiers Livre, 18.   150 Elle a eu son compte. « J’en ay pour une ! » Testament Pathelin.   151 Rongée par la « curiosité féminine », elle palpe le coffret, le secoue, et tente de voir à l’intérieur sans oser l’ouvrir. Le comédien devait se livrer à une hilarante scène de mime.   152 Sotte.   153 BM : Fresle  (Faible.)  De propre nature = Qui agit par soi-même. « Je l’aime de propre nature,/ Et elle moy. » Villon.   154 Je ne veux pas abîmer la relique.   155 Elle entrouvre prudemment la boîte, et recule à cause de l’odeur qui s’en dégage.   156 Juron normand. Dans la Muse normande, un moucheur de chandelles qui se brûle les doigts s’écrie : « Sique ! y l’est caut. » [Zut ! c’est chaud.]   157 En guise de relique, la tavernière sort de la boîte des braies tachées d’excréments. Les braies sales de frère Guillebert passent aussi pour être une relique miraculeuse.   158 Que de tromperies déloyales.   159 J’y vais (me plaindre à mon mari).