LE BRIGANT ET LE VILAIN
.
*
LE BRIGANT
ET LE VILAIN
*
.
Les Mystères étant longs et répétitifs, on y insérait quelquefois une farce pour divertir les spectateurs : voir la notice des Tyrans. La farce que je publie ci-dessous fait partie d’un Mystère à la gloire de saint Fiacre, dont le manuscrit comporte également les Miracles madame sainte Geneviève ; celui qui a pour sous-titre Ung biau miracle est rédigé « en farses, pour estre mains fades…. Et a, parmy, farsses entées, afin que le jeu soit meins fade et plus plaisans. »
Notre farce est imbriquée dans la Vie monseigneur saint Fiacre, avec laquelle elle n’a aucun rapport, si ce n’est sa misogynie. Les deux œuvres sont du même auteur anonyme qui, pour gagner du temps, a repris l’une de ses anciennes pochades. Il n’a même pas fait l’effort de situer les deux actions au même endroit : le Mystère se déroule à Meaux, dans la région parisienne, et la farce aux confins de l’Île-de-France et de la Picardie. Toutefois, le début et la fin de la farce riment avec le vers antérieur ou postérieur du Mystère. Ainsi, le 1er vers rime avec le dernier vers déclamé par saint Faron : pendant toute la durée de la farce, cet évêque préside la veillée funèbre de saint Fiacre, non loin des tréteaux ; le public a sous les yeux ces deux spectacles simultanés. Voir la note 100 de Baudet, Blondète et Mal-enpoint.
Comme le signale Bernard Faivre1, « la pièce est sans doute de la fin du XIVe siècle. C’est donc une des plus anciennes farces que nous possédions et à peu près sûrement la première à porter le nom de ‟ farce ”. » Ses archaïsmes m’ont contraint à lui adjoindre une traduction.
À la suite, on lira des extraits farcesques du Mystère de saint Sébastien qui offrent deux points communs avec le Brigant et le Vilain : ils mettent en scène un paysan et son épouse peu coopérative, et ils se déroulent dans une taverne tenue par une femme. Les tavernières n’étaient pas rares : on en trouve une autre dans la farce du Pardonneur.
Source : Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Ms. 1131, folios 63 vº à 67 rº. Copié au milieu du XVe siècle.
Structure : Rimes plates. Comme dans le Mystère, chaque réplique se clôt sur un vers mnémonique de 4 syllabes qui rime avec le 1er vers de la réplique suivante.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Cy est interposé
une Farsse
*
[ LE BRIGANT 2
LE VILAIN 3
LE SERGENT
LA FAMME AU VILAIN
LA FAME AU SERGENT
LA TAVERNIÈRE ]
*
LE BRIGANT 4 LE FANTASSIN SCÈNE I
Biau preudom5, je ne sui pas aise : Brave homme, je ne suis pas à mon affaire :
J’ay perduë ma compaignie. J’ai perdu ma compagnie de fantassins.
Ensaigne-moy — ne [me] ment mie — Indique-moi sans mentir
Le droit chemin à Saint-Omer6, Le bon chemin pour Saint-Omer,
5 Par Dieu que chascun doit amer ! Au nom du Dieu que chacun doit aimer !
De forvoier sui en doubtance, Je redoute de me fourvoyer,
Car oncques-mais ne fu en France Car jamais je ne suis venu en Île-de-France
N’en Picardie. Ni en Picardie.
LE VILAIN LE PAYSAN
Je mengeray de la boulie, Je mangerai de la bouillie,
10 Jà quant je vendray7 à [la] maison. Quand j’arriverai à la maison.
Mais j’ay perduë ma saison Mais j’ai perdu mon temps
De tous poins, ceste matinée : En tout point, cette matinée :
Car le prestre8 sy a chantée Car le prêtre a chanté
Hui au matin trop longue messe. Ce matin une messe trop longue.
15 Ne prise le cry d’unne asnesse Je n’estime pas plus que le cri d’une ânesse
Tout quanqu’il pourroit sermonner : Tout ce qu’il pourrait prêcher :
Il ne pensse qu’à organer Il ne pense qu’à chanter
Pour traire nostre argent de boursse. Pour tirer l’argent de notre bourse.
Aussy tost [tr]aroit9 .I. pet d’oursse On tirerait plutôt un pet d’un âne mort
20 Qu’ait riens du mien par son abet, Qu’il n’aurait un sou de moi par sa ruse,
Tant sache chanter au fausset Tant sache-t-il chanter en voix de fausset
N’à haulte alaine ! Ni à perte d’haleine !
LE BRIGANT LE FANTASSIN
Bons homs, dy-moy (ne te soit paine) Brave homme, dis-moi s’il te plaît
Par où sont lez brigans passéz. Par où sont passés les fantassins.
25 Je sui [d’estriver tout]10 lasséz. Je suis las de m’efforcer.
Ensaigne-moy (que Dieu te voie11 !) Avec l’aide de Dieu, indique-moi
De Saint-Omer la droite voie. La bonne route pour Saint-Omer. À part :
(Ce vilain [respondre ne daigne]12 ; Ce bouseux ne daigne pas me répondre ;
En mon cuer en ay grant engaigne. J’en ai au cœur un grand dépit.
30 Sourt est, je croy.) Je crois qu’il est sourd.
LE VILAIN LE PAYSAN
Queurs-tu13 après .I. palleffroy ? Cours-tu derrière un cheval ?
Tu as robe bien escourtée14 ! Tu as une robe bien raccourcie !
Ne15 doubte qu’elle soit crotée. Ne crains pas qu’elle soit crottée par la boue.
Tu sembles moult bien plain d’oultrage. Tu sembles être bien plein de témérité.
35 Je ne sçay se tu as courage Je ne sais pas si tu aurais le cœur
De moy férir en nulle guise ; De me frapper d’une manière ou d’une autre ;
Mais en vérité, te devise Mais en vérité, je te préviens
Que se de toy féru estoie, Que si j’étais frappé par toi,
De mon houel [je] t’abatroie Avec ma bêche je t’abattrais
40 Le hasterel16 ! La tête !
LE BRIGANT LE FANTASSIN, à part.
(Ce félon vilain boterel Ce sournois crapaud des champs
M’entent17 bien ; ne me veult mot dire. M’entend bien, mais il ne veut rien me dire.
[A]voir18 me fait au cuer grant yre. Il me fait avoir au cœur une grande colère.
Encore l’araisonneray.) Je vais encore le questionner. Au paysan :
45 Bons homs, dy par où passeray Brave homme, dis-moi par où je passerai
Pour mez compaignons retrouver. Pour retrouver mes compagnons.
Je le te vouldroië rouver Je voudrais te le demander
Par courtoisie19. Au nom de la courtoisie.
LE VILAIN LE PAYSAN
Ma fame maine grant mestrie20 Ma femme a une grande domination
50 Suz moy ; s’en sera tourmentée. Sur moi ; mais elle en sera punie.
Quant je veul pois, n’ay que poirée21. Quand je veux des pois, je n’ai que des poireaux.
Trop me desprise malement ! Elle me méprise trop durement !
Sy en ara grief paiëment Elle en aura un douloureux paiement
En brief termine. Dans peu de temps.
LE BRIGANT LE FANTASSIN
55 Faulx vilain ! La male vermine22 Sale plouc ! Que la mauvaise vermine
Te puist tenir, et le lampas23 ! Puisse te tenir, et la fièvre aphteuse !
Pourquoy ne m’ensaigne-tu pas Pourquoi ne m’indiques-tu pas
Mon chemin ? Chose que je die, Mon chemin ? Quoi que je dise,
Par foy, ne tiens24 qu’à moquerie. Par ma foi, tu n’en fais que des moqueries.
60 Je te ferray ains que m’en aille ! Je te frapperai avant que je m’en aille !
En fourme de vilain, sanz faille, Sans nul doute, à l’image d’un péquenot
Es bien taillié. Tu as bien été taillé.
LE VILAIN LE PAYSAN
Se mon pain t’avoië baillié, Si je t’avais confié mon pain,
Moult mal asseuré en seroie ; Je ne serais pas rassuré ;
65 Car ataindre ne te pourroie25, Car je ne pourrais pas te rattraper
J’en sui scëur. Pour le reprendre, j’en suis sûr.
LE BRIGANT LE FANTASSIN
Par foy ! se n’ëusse pëur Par ma foi ! si je n’avais pas peur
Que de justice repris fusse, D’être pris par la justice,
Je te tranchasse la capusse26 Je te trancherais la tête
70 De ma coustille, de randon27. Avec mon coutelas, de force. Il prend la cage.
Mais j’enporteray à bandon Mais j’emporterai en toute liberté
Ce chapon cras sanz demourée : Ton chapon gras sans retard :
Mengié sera à la vesprée, Il sera mangé au souper,
Quant l’ay trouvé. Puisque je l’ai trouvé.
SCÈNE II
LE SERGENT 28 LE SERGENT
75 Tu sembles bien larron prouvé. Tu sembles bien être un fieffé larron.
Pas le chapon n’enporteras ! Tu n’emporteras pas ce chapon !
Jà ta29 gorge n’en passeras ! Jamais tu n’en satisferas ton gosier !
Çà30 ! met[z-]le jus, ribault pourry ! Allons ! mets-le par terre, ribaud pourri !
À ceulz sera qui l’ont nourry. Il sera à ceux qui l’ont nourri.
80 Entre vous, brigans (n’en dout mie), Je ne doute pas qu’entre vous, fantassins,
Ne vivez que de roberie31. Vous ne viviez que de rapines.
Lesse(z) le chapon sans attendre ! Laisse ce chapon sans tarder !
C’on te puist par la gorge pendre, Qu’on puisse te pendre par le cou,
Garsson32 puant ! Mauvais garçon !
LE BRIGANT LE FANTASSIN
85 En me devroit aler huant33, On serait en droit de me huer,
Se le chapon pour toy lessoie. Si je laissais ce chapon à cause de toi.
Je le mettray enmy la voie Je le poserai sur le chemin
Tant que me soië conbatu, Jusqu’à ce que j’aie combattu contre toi,
Se ton orgueil n’est abatu Si ton orgueil n’est pas abattu
90 Par moy. Chétif sergenterel, Par moi. Chétif sergentelet,
Je ne me prise .I. vielz mérel34 Je ne vaux pas un vieux jeton
Se n’as du pire. Si tu n’as pas le dessous.
LE SERGENT 35 LE SERGENT abat son épée.
Tien !! Jamais, sanz conseil de mire, Prends ça !! Sans les conseils d’un médecin,
De ce coup n’auras garison. Jamais tu ne guériras de ce coup.
95 Ta coustille petit prison : Je fais peu de cas de ton coutelas :
Le chapon n’enporteras mie. Tu n’emporteras pas le chapon.
Petit priseroië ma vie Je serais indigne de vivre
Se, cy endroit, [fort me ferroies]36. Si, en ce lieu, tu me frappais fort.
En ton païs37, bien le feroies ; Dans ton pays, tu le ferais sans risque ;
100 Quant ycy endroit le veulz faire, Si tu veux le faire ici,
Pourtant, en aras tel contraire Pourtant, tu en auras une telle riposte
Que tu mourras. Que tu en mourras.
LE BRIGANT LE FANTASSIN
Jà deffendre ne te pourras Tu ne pourras jamais te défendre
Contre moy. Se saingne .I. petit, Contre moi. Si je saigne un peu par ta faute,
105 Tant ay-je plus grant apétit J’en ai une envie d’autant plus grande
De moy venger, bien dire l’ose. De me venger, j’ose bien le dire.
Se m’as presté aucune chose, Si tu m’as prêté un coup,
Moult bien m’en saray aquiter. Je saurai bien te le rendre.
Il te convient à moy luitier38. Il te faut lutter avec moi. Il l’empoigne.
110 Puis que je te tiens, tu cherras. Maintenant que je te tiens, tu vas tomber.
Plus, d’espéë, ne me ferras ! Tu ne me frapperas plus avec ton épée !
Petit te prise. Je tiens peu de compte de toi.
LE SERGENT LE SERGENT
Je sçay bien de luitier la guise : Je connais bien l’art de lutter :
Quant je te tiens, petit te doubte. Quand c’est moi qui te tiens, je te redoute peu.
115 Il fault que le chapon te couste Il faut que ce chapon te coûte
Vilainement. Très cher.
LE BRIGANT LE FANTASSIN
Garde-toy bien ! Prochainement Défends-toi bien ! Très bientôt
Te verras verssé contre terre. Tu te verras renversé face contre terre.
Tu ne scès mië moult de guerre. Tu ne sais pas grand-chose de la guerre.
120 Tien cela, et sy, te déporte ! Prends ça, et éloigne-toi !
Mais je te dy bien et enorte Mais je te dis bien et je t’avertis
Que, de droit, doiz paier ton lit39. Que, par droit, tu dois payer ta faute.
Je m’en yray, s’y t’enbellit40 ; Je m’en irai, si cela t’est bel et bon ;
Et, se il ne t’enbellit mie, Et, même si cela ne t’est pas bel et bon,
125 S’enporteray de ma partie J’emporterai de mon côté
Le chappon cras. Le chapon gras.
LE SERGENT LE SERGENT, à part.
(Haro !! il m’a ronpu le bras ! Aïe !! il m’a rompu le bras !
De luitier à lui fiz folie. Je suis fou d’avoir lutté avec lui.
Le chapon a par sa mestrie ; Il a eu le chapon par sa victoire ;
130 S’en pais li ëusse lessié, Si je le lui avais laissé pacifiquement,
De miex m’en fust. Car abessié Je m’en porterais mieux. Car mon renom
Mon nom grandement en sera : En sera grandement rabaissé :
Bien sçay c’on m’en desprisera. Je sais bien qu’on me dénigrera.
Pour fol le cuidoië tenir ; Je le prenais pour un imbécile ;
135 Meschief m’en devoit bien venir, Il devait bien m’en venir un dommage,
Il est droit41. Tant me sui prisié Ce n’est que justice. Je me suis tant surévalué
Qu’en ay ëu le bras brisié.42) Que j’en ai eu le bras brisé. Au public :
Véez comme [il] scet bien fouïr ! Voyez comme il sait vite fuir !
Je ne le pourroië suïr. Je ne pourrais pas le poursuivre.
140 Voit au dïable ! Qu’il aille au diable !
SCÈNE III
LA FAMME AU VILAIN43 LA FEMME DU PAYSAN
Doulce commère, n’est pas fable : Ma douce commère, ce n’est pas une blague :
Vostre mary est mahengnié. Votre mari est blessé.
Il cuidoit avoir gaangnié Il pensait avoir gagné
Contre .I. briguant, par sa foleur, Contre un fantassin, par sa folie,
145 .I. cras chapon44 ; mèz grant douleur Un chapon gras ; mais un grand mal
L’en est soursse45, pas n’en doubton. Lui en est venu, n’en doutons pas.
Sy, n’i a conquis .I. bouton Aussi, il n’y a pas gagné un bouton de culotte
Mais grant contraire. Mais plutôt une grande contrariété.
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT
Dieu veulle qu’il puist tel fait faire Dieu veuille qu’il puisse commettre un tel crime
150 Que en le pende par la gorge ! Qu’on le pende par le cou !
Le glorïeux martir saint George46 Que le glorieux martyr saint Georges
Et la doulce Vierge Marie Et la douce Vierge Marie
Veullent qu’il face47 tel folie Veuillent qu’il commette une telle folie
Que mourir puist vilainement, Qu’il puisse en mourir honteusement,
155 Bien tost et bien appertement ! Bien vite et devant tout le monde !
Il48 me maine trop dure vie, Il me mène une vie trop insupportable,
Pour une garsse qui n’est mie À cause d’une garce qui n’est pas
Sy belle comme moy d’assez : Si belle que moi, et de beaucoup :
Il a plus de .III. ans passéz Il y a plus de trois ans passés
160 Qu’i la gouverne. Qu’il l’entretient.
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
Ma suer, je sçay une taverne Ma sœur, je connais une taverne
Où il a .I. moûlt sy frïant Où il y a un vin nouveau si bon
Qu’à touz coups49 fait le cuer rïant, Qu’à tous les coups il rend le cœur riant,
Qui en avalle. Quand on en avale.
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT
165 Voir, j’ay de duel50 la couleur palle : Vraiment, je suis pâle de chagrin :
Car essoir, fu trop bien batue. Car hier soir, je fus trop bien battue.
Pour tant, louë Dieu et salue Pour cela, je loue et salue Dieu
Quant mon mary a grief soudée51 : Que mon mari ait reçu ce pénible salaire :
Je ne seray mèshuy frapée Désormais, je ne serai plus frappée
170 De li, puisqu’a52 le bras brisié. Par lui, puisqu’il a le bras brisé.
Du moûlt que tant avez prisié Du vin nouveau que vous avez tant vanté
Veul aler boire ! Je veux aller boire !
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
Commère, c’est vers Saint-Magloire53 ; Ma commère, c’est vers Saint-Magloire ;
Alons tost [chiez ces Filles-Dieu]54 ! Allons vite chez ces filles de joie !
175 Fain ay que soië sus le lieu. J’ai grand désir d’être en ce lieu.
Ne dout point que batue [en] soie. Je ne redoute pas d’être battue pour cela.
Pour mon mary riens ne feroie : Je ne ferais rien pour mon mari,
Ne me fiert goute. Puisqu’il ne me bat pas du tout.
LA FAME AU SERGENT55 LA FEMME DU SERGENT
Entrons ens ! Trop le mien redoubte : Entrons ! Moi, je redoute beaucoup le mien :
180 Trop me bat, ne s’en peut tenir. Il me bat toujours, il ne peut s’en empêcher.
Male honte li puist venir ! Qu’une mauvaise honte puisse lui en advenir !
Et au brigant soit ajourné Et que se lève sur le fantassin
Bon jour, qui sy l’a atourné ! Une bonne journée, lui qui l’a ainsi arrangé !
Car j’en ay à mon cuer grant joie. Car j’en ai au cœur une grande joie.
SCÈNE IV
Cy parle56 à la tavernière. Ici, qu’elle parle à la tavernière.
185 Tavernière ! Se Diex vous voie, Tavernière ! Avec l’aide de Dieu,
En .I. lieu privé nous métez ; Mettez-nous dans un endroit discret ;
Puis à boire nous aportez Puis apportez-nous à boire
Et57 bonne chière ! Et de quoi faire bonne chère !
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
En ceste chambre, cy derrière, Dans cette salle, là-derrière,
190 Vous séez : lieu y a privé58. Asseyez-vous : il y a un « cabinet » privé.
Jà à vous n’ara estrivé. Jamais vous n’y serez importunées.
En l’eure serviës serez Vous serez servies sur l’heure
De ce que vous demenderez, De ce que vous demanderez,
Sanz demourée. Sans retard.
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
195 Faites que nous soit aportée Faites en sorte que nous soit apporté
Une pinte59 de moûlt vermeil ; Un litre de vin rouge nouveau ;
Je ne beu ouan60 son pareil De toute l’année, je n’ai pas bu son pareil
En ceste ville. En cette ville.
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Volentiers l’arez, c’est sanz guille61. Vous en aurez volontiers, sans feinte.
200 Je vois querre la pinte plaine. Je vais en chercher un plein litre.
Cy voise querre du vin, et puis die : Qu’elle aille ici chercher du vin, et qu’elle dise :
Tenez : buvez à bonne estraine, Tenez : buvez sous ces bons auspices,
Paisiblement.62 En toute quiétude.
SCÈNE V
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT
Vous buvrez tout premièrement, Vous boirez la première,
Commère : vous estes l’aînée. Ma commère : vous êtes l’aînée.
205 Aussy m’avez[-vous] aportée Aussi, c’est vous qui m’avez apporté
La nouvelle premièrement La première cette nouvelle
De mon mary que malement Que mon mari a été vilainement
Est atourné. J’en ay grant feste ! Arrangé. J’en ai une grande joie !
Je vouldroië qu’ëust la teste Je voudrais qu’il ait la tête
210 Parmy63 brisiée. Brisée de part en part.
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
Buvez bien, commère prisiée64 ! Buvez bien, ma commère chérie !
Que Dieu confonde noz maris ! Que Dieu anéantisse nos maris !
Emplons de ce moûlt noz « baris », Emplissons notre « baril » de ce vin nouveau,
Car il est fin. Car il est bon.
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT
215 J’en empliray tant65 mon « coffin » J’en emplirai tellement mon « couffin »
Que seray yvre, bien le pensse. Que je serai ivre, je pense.
Se mon mary me fait offensse Si mon mari me fait une offense
Ou veult estriver de riens66 née, Ou veut contester à propos de quoi que ce soit,
Puis qu’il a [sa] brache67 brisiée, Maintenant qu’il a son bras brisé,
220 Contre terre le bouteray. Je le jetterai à terre.
Jamais ne le déporteray68, Jamais je ne l’épargnerai,
Se me gart Diex ! Si Dieu me garde !
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
Mon mary fuet en noz « courtiex »69 ; Mon mari laboure mon propre « jardin » ;
Oncques ne fut de moy amé70. Cependant, jamais il ne fut aimé de moi.
225 Il vendra jà tout affamé71, Il viendra bientôt tout affamé de sexe,
Mais ne m’en chault. Mais cela ne m’intéresse pas.
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT
Buvon ce moûlt friant et chault : Buvons ce vin attrayant et chaleureux :
Mal ait qui bien ne [le] buivra ! Que celle qui ne le boira pas en ait du mal !
Je croy que grant bien nous fera ; Je crois qu’il nous fera grand bien ;
230 Quant je l’avale, j’en ay feste. Quand je l’avale, j’en ai de la joie.
Il m’est jà monté en la teste ; Il m’est déjà monté à la tête ;
À paine me puis soustenir. À peine je peux me soutenir.
Et sy, voy mon mary venir72 Et même, je crois voir mon mari venir
Tout droit dedens ceste taverne. Tout droit dans cette taverne.
235 Assez fièrement se gouverne. Il se tient assez fermement.
Ne semble pas qu’ait bras quassé ; On ne dirait pas qu’il a un bras cassé ;
Il ne semble pas trop lassé… Il ne semble pas trop affaibli… Elle dessoûle.
Je sui perdue ! Je suis perdue !
LA FAME AU VILLAIN LA FEMME DU PAYSAN
Aussy voy-je sanz atendue Je vois aussi venir en toute hâte
240 Le mien droit cy à nous venir. Le mien tout droit vers nous.
Chaude fièvre le puist tenir ! Qu’une fièvre chaude puisse le tenir !
Il m’a moult bien aparcëue ; Il m’a bien aperçue ;
Je croy que je seray batue. Je crois que je vais être battue.
Il vient des chans. Il revient des champs.
SCÈNE VI
LE VILAIN LE PAYSAN, au sergent :
245 Par foy ! je suis bien meschéans : Par ma foi ! je suis bien malheureux :
Aulx chans me tuë chascun jour, Je me tue chaque jour aux champs,
Et ma fame prent son séjour Et ma femme prend ses aises
Ès tavernes ! C’est chose voire : Dans des tavernes ! C’est une chose véritable :
Je la voy là, en présent, boire Je la vois là, en personne, boire
250 Le fort moûst. Mèz s’el n’est latrée73, Du vin fort. Mais si elle n’est pas bastonnée,
Riens ne vail. C’est que je ne vaux rien. À sa femme :
Hé ! gloute74 prouvée, Hé ! fieffée cochonne,
Il te convient mon poing sentir ! Il faut que tu sentes mon poing !
Cy bate sa fame. Ici, qu’il batte sa femme.
Je [ne] pourroië consentir Je ne pourrais approuver
Ta lécherie ! Ton incontinence !
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
255 Lasse ! je suis toute estourdie Malheureuse ! je suis tout étourdie
Et afolée. Et assommée.
LE SERGENT LE SERGENT s’approche.
Fame, qui t’a cy amenée ? Ma femme, qui t’a amenée ici ?
Voir, de toy sui petit prisié, Vraiment, je suis peu estimé de toi,
Combien qu’aië le bras brisié. Bien que j’aie le bras brisé.
En frapant, et en li En la frappant de son bras valide,
ostant sa coiffe 75 : et en lui ôtant sa coiffe :
260 S’aras-tu de moy ce mérel76 ! Aussi, tu auras de moi ce coup !
N’i ara coife ne bourel Il n’y aura ni coiffe, ni bourrelet de chaperon
Que ne despiesse !77 Que je ne mette en pièces !
SCÈNE VII
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT, dehors.
Çà, commère : qu’i vous meschesse ! Or çà, commère : qu’il vous arrive malheur !
Quant vous m’avez cy amenée, Quand vous m’avez amenée ici,
265 Je n’avoië mië penssée Je ne pensais pas
Que mon mary me pëust batre. Que mon mari pourrait me battre.
Il me convient à vous conbatre ! Il faut que je combatte contre vous !
Autel qu’i m’a fait vous feray : Je vous ferai ainsi qu’il m’a fait :
Car à mez mains, vous pigneray Car avec mes mains, je vais vous peigner
270 Voz neufz78 cheveux ! Votre perruque !
LA FAME AU VILAIN LA FEMME DU PAYSAN
Foy que je doy tous mez neveus79 ! Par la foi que je dois à tous mes neveux !
La bonté vous sera rendue : La politesse vous sera rendue :
Par terre serez abatue, Vous serez abattue par terre,
Se le puis faire ! Si je peux le faire !
LA FAME AU SERGENT LA FEMME DU SERGENT
275 Doulce commère débonnaire, Ma douce commère débonnaire,
Apaisons-nous, et sens sera. Apaisons-nous, ce sera plus raisonnable.
Mal ait qui plus estrivera ! Que celle qui querellera encore en ait du mal !
Et chantons, com desconfortées : Et chantons, comme des affligées :
« Mauvaises coiffes dessirées « De mauvaises coiffes déchirées
280 Avons par nous80. » Nous avons par notre faute. »
.
CY FINE LA FARSSE.
*
.
Voici sept épisodes du Mystère de saint Sébastien, composé dans la seconde moitié du XVe siècle. Ils se passent dans une taverne tenue par une femme. La pièce est nordique, mais le copiste est provençal ; pour ne citer qu’un exemple de ses abus, les rubriques nomment 12 fois « la Tavernière », et 6 fois « la Tavernièra ». Pour des raisons pratiques, je numérote les vers dans la continuité ; mon premier vers correspond au vers 1882 de l’édition du Mystère fournie par Léonard R. Mills (Droz, 1965).
*
LE VILAIN ET LA
.
TAVERNIÈRE 81
.
LE VILLAIM 82 LE PAYSAN, devant la taverne.
A ! par mon ségnieur saint Martin83, Ah ! au nom de saint Martin, sergents,
Vous me poy[e]rez mon escot ! Vous me paierez ma part de vin ! Ils entrent.
Aulà, au ! comère Margot, Holà, ho ! ma commère Margot,
Boutez la table victemant, Mettez vite la table,
5 Car veyci de gentis gallans Car voici de gentils galants
Qui, certes, ont bom appétit ! Qui, certes, ont bon appétit !
Sc’il y avoit quelque petit S’il y avait un peu
De quieulque84 tartre [bien] friande De quelque tarte bien appétissante
Ou quelqu’aultre bonne vïande, Ou d’une autre bonne nourriture,
10 Nous vous en dépêcherions bien : Nous vous en débarrasserions bien :
Sce sont [des] bien[s] de gens de bien, Ce sont là des mets réservés aux gens de bien,
Pour vous dire la vérité. Pour vous dire la vérité.
LA TAVERNIÈRA LA TAVERNIÈRE
Il y a assez apresté, Il y a assez de plats tout préparés,
Mès qu(e) argent vi[e]gnie sceulemant : Pour peu que l’argent vienne :
15 Car il me faut argent contant. Car il me faut de l’argent comptant.
Pour tant, pour eulx me respondrez85. Pour cela, vous me répondrez de vos invités.
LE VILLAIM LE PAYSAN
Monstrez ça que vous baillierez Montrez ce que vous nous servirez
Acoup, et ne demourez guières. Tout de suite, et ne tardez pas.
Et [moy], je laverey les verres86. Et moi, je laverai les verres.
20 Mès despêchez-vous, victemant ! Mais dépêchez-vous, vite !
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Veyci bom pastier de feysam Voici un bon pâté de faisan
(Ou de caillies, ou de mauvys87). (Si ce n’est de cailles, ou de grives).
Ou vey[ci] bom moutom rôtys. Ou voici du bon mouton rôti.
[Ou] bom chapom (et c’est d’une oye88). Ou un bon chapon (mais c’est de l’oie).
LE VILLAIM LE PAYSAN, en s’attablant.
25 Or parlez bas, qu’on ne vous oye ! Parlez plus bas, qu’ils ne vous entendent pas !
MÂCHECOCHOM 89 MÂCHE-COCHON
Que Dieu le mal jour [si t’envoye]90, Que Dieu t’envoie une mauvaise journée,
Villaim : [tu es]91 assis premier. Cul-terreux : tu t’es assis le premier.
LE VILLAIM LE PAYSAN
L’oustesse ne veut que monoye92. Notre hôtesse ne veut que ma « pièce ».
TAILLIEBODIN TAILLE-BOUDIN
Servez-nous bien, Damme Maroy[e] ! Servez-nous bien, par la Vierge Marie !
LE VILLAIM LE PAYSAN
30 Elle m’a dit que c’est d’une oy[e]. Elle m’a dit que c’est de l’oie.
RIFLANDOILLIE 93 RIFFLE-ANDOUILLE
[Que] Dieu le mal jour si t(e) envoy[e] ! Que Dieu t’envoie une mauvaise journée !
LE VILLAIM 94 LE PAYSAN mastique.
Elle m’a dit que c’est d’une oye Elle m’a dit que c’est de l’oie
Mès, par Dieu, c’est d’ung gro[s] sangler. Mais, par Dieu, c’est du grossier sanglier !
MAL-FERAS 95 MAL-FERAS
Que Dieu le mal jour [si] t(e) envoye, Que Dieu t’envoie une mauvaise journée,
35 Villaim : tu es assis premier. Cul-terreux : tu t’es assis le premier.
*
LE VILLAIN 96 LE PAYSAN
Outesse, je vous ame tant Tavernière, je vous aime tellement
Que, par Dieu, ne le pouriez croyre. Que vous ne pourriez pas le croire, par Dieu !
Tyrons nous deulx [plain bort]97 de verre, Remplissons, tous deux, nos verres à ras bord,
Et puis dirons une chansom. Et puis nous chanterons une chanson.
Bibant. Qu’ils boivent.
40 Vous avez si belle façom Vous avez de si belles manières
Que c’est ung plèsir de vous vouèr. Que c’est un plaisir de vous voir.
Par Dieu ! j’eusse trèsgrant vouloir Par Dieu ! je voudrais bien
Que vous m’amissiez unng petit : Que vous m’aimiez un peu :
Dictes, ariez-vous appétit Dites, auriez-vous envie
45 D’avoir ung amy par98 amours ? D’avoir un petit ami ?
Je vous feroye deulx ou troys to[u]rs Je vous ferais deux ou trois « tours »
Qui sont de novelle façom : À la nouvelle mode :
Je suis encour beau compagniom. Je suis encore un beau gaillard.
Et [puis, se]99 je suis bien channu, Et puis, si j’ai les cheveux blancs,
50 Si n’ay-je pas ung poil au Q100. Je n’ai pas un seul poil au cul.
Beysez-m(e)101 une foys, belle damme ! Embrassez-moi une fois, belle dame !
LA TAUVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE le repousse.
Alez-vous-en ver[s] vostre femme ! Allez-vous-en vers votre femme !
Que male estrenne vous doint Dieulx ! Que Dieu vous donne un cadeau empoisonné !
Agardez102 là quel amoreulx ! Regardez quel amoureux voilà !
55 [Alez ! Je veulx perdre cent sous,]103 Allez ! Je veux bien perdre cent sous
Par Dieu, se104 n’en dyray deulx mous Si je n’en dis deux mots
À vostre femme, et voyre quatre ! À votre femme, et même quatre, par Dieu !
LE VILLAIM LE PAYSAN
Ventre tieu105 ! vous m’y feriez baptre, Ventrebleu ! vous me feriez battre,
Ma mye : gardez-vous-y bien ! Mon amie : gardez-vous-en bien !
60 Quant la putanasse106 me tient, Quand cette putasse me tient,
Elle me bat tout à som eyse. Elle me bat tout à son aise.
L’autre jour, la faulce puneyse107 L’autre jour, cette sale traîtresse
Me batit tant les deulx jarés108 Bastonna tellement mes deux jarrets
Que, despuys, je ne fus arés109. Que, depuis, je ne fus plus en érection.
65 Et quant me cudis110 revanchier, Et quand je crus prendre ma revanche,
Adom se prenit111 à crier ; Alors elle se mit à crier ;
Et s’em montast [sa haute gamme]112. Et elle monta sur ses grands chevaux.
Et puis crioit : « Alarme ! Alarme ! Et puis elle criait : « À l’aide ! À l’aide !
Cestuy larom me veust forcier113 ! » Ce larron veut me violer ! »
70 Mès n’avoye gardes d’arécier114 : Mais je ne risquais pas de bander :
Car, par Dieu, je m’en115 sens encoure(s). Car je me ressens encore de ses coups, par Dieu !
.
LA FEMME DU VILLAIM116 LA FEMME DU PAYSAN arrive.
Le mal de sanc Jham vous estoure117 ! Que l’épilepsie vous affecte !
Verberet eum. Qu’elle le frappe.
Coquin malereulx que vous estes, Maudit vaurien que vous êtes,
Ne ferez qu’a[nter]118 les tavernes Vous ne ferez que fréquenter les tavernes
75 Tout le jour, sen[s] rien begsonnier ? Toute la journée, sans besogner du tout ?
Vous y avez esté dès119 yer. Vous y êtes déjà allé hier.
Que malestreyne120 vous doint Dieu ! Que Dieu vous donne un cadeau empoisonné !
Et vous, comère ? Si m’est121 Dieu ! Et vous, ma commère ? Que Dieu m’assiste !
Ne vous est pas trop bel honneur. Ce n’est pas un trop bel honneur pour vous.
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
80 Vous avez santi la challeur, Vous avez pris un coup de chaud,
Belle comère, de par le dyable ! Belle commère, par le diable !
Le feu saint Anthoyne vous arde Que le mal des ardents vous brûle
Le bec122 : si affillé l’avez ! Le bec : il est si affilé !
Alez vous fère chivauchier, Allez vous faire chevaucher,
85 Faulce punaise123 malereuse ! Sale traîtresse maudite !
LA FEMME LA FEMME
Hé ! faulce putaim venimeuse : Hé ! sournoise putain médisante :
Ne fus-tu [onc] trouvée au fet, Ne fus-tu jamais prise sur le fait,
Quant vostre varlet t’en124 feysoit Quand votre valet te faisait l’amour
Toutes les foys qu’il [eust vouloir]125 ? Toutes les fois qu’il en avait envie ?
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
90 Vous ne dictes mye vouèr, Vous ne dites pas la vérité,
Très fellonne enchanteresse ! Très déloyale sorcière !
LA FEMME LA FEMME
Je dis bien, et [fais] mon devoir. Je dis vrai, et je suis fidèle à mon mari, moi.
LA TAVERNYÈRE LA TAVERNIÈRE
Vous ne dictes mye vouèr ! Vous ne dites pas la vérité !
LA FEMME LA FEMME
Ne le m’aprent[s] pas à sçavoir, N’essaie pas de m’en convaincre,
95 Faulce putaim [et] menteresse ! Sournoise putain et menteuse !
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Vous ne dictes mye vouèr ! Vous ne dites pas la vérité !
Verberent se. Qu’elles se frappent mutuellement.
Très fellonne enchanteresse ! Très déloyale sorcière !
LE VILLAIN LE PAYSAN les sépare.
Or çà, que Dieu ’n126 ait male feste(s) ! Allons, que Dieu en soit mal fêté !
Faulces putains, vous bactre[z-]vous ? Sournoises putains, vous battrez-vous ?
100 Comère, [elle vous]127 a soull[é]e. Commère, ma femme vous a souillée.
Qui tendroit128 la mer au[x] deulx boulx, Même si on étendait la mer par les deux bouts,
À quatre cordes esthachée, Attachée sur quatre fils à linge,
Et aroit la peau de deulx loups, Et si on avait la peau de deux loups,
…………………………129 ………………………….
Dessus une jument pelée, Sur une jument pelée,
105 Avecques de la cher130 salée. Avec de la poitrine salée.
[À tout]131 la science d’unng ho[u]rs, Si l’on avait la technique d’un ours,
Avec ces femmes forcenée[s], Avec ces femmes forcenées,
L’om prendroit les lièvres à co[u]rs. On prendrait les lièvres à la course.
*
LE VILLAIM LE PAYSAN, devant la taverne.
Par la mort tieu ! j’ay132 fet ung pet Morbleu ! j’ai fait un pet
110 Ou une vesse : je le sens. Ou une vesse : je le sens. Il entre.
.
Au ! Margot, estes-vous scians133 ? Ho ! Margot, êtes-vous là ?
Donnez-moy [à] boyre une foys ! Donnez-moi un coup à boire !
Et puis je parlerey tyoys134, Et puis je parlerai allemand,
Mès que j’ay[e] bien copiné135. Pour peu que j’aie bien chopiné.
*
MÂCHECOCHON 136 MÂCHE-COCHON
115 Alons emsemble chiez Brouchet, Allons ensemble à la taverne Brochet,
Car vray[e]mant je meur de soif. Car vraiment je meurs de soif.
TAILLI[E]BODIN TAILLE-BOUDIN
Par la cher tieu137 ! De cestuy moys, Palsambleu ! De tout ce mois-ci,
Je n’eulx si grant désir de boyre138. Je n’ai pas eu un aussi grand désir de boire.
RIFFLANDOILLIE RIFFLE-ANDOUILLE entre.
Çà, Margot, lavez toust les verres ! Allons, Margot, lavez tout de suite les verres !
120 Et vous dépêchez victemant ! Et dépêchez-vous, vite !
MAL-FERAS MAL-FERAS
Aportez du vim largemant, Apportez du vin abondamment,
Commant qu’il soit, [ou bel ou let139] ! Qu’il soit bon ou mauvais !
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Veyci du mellieur vim claret Voici du meilleur vin clairet
Qui soit, par Dieu, en ceste ville ! Qui soit en cette ville, par Dieu !
125 De tous je boys au plus abille, Je bois au plus habile de vous tous,
Affin que j(e) aye mellieur cueur. Afin que j’aie plus de cœur à l’ouvrage.
*
LA FEMME [DU VILLAIN] LA FEMME DU PAYSAN, dehors.
Et ! je voys « tirer » de la pie140, Eh ! je vais « tirer » un canon de rouge
Par Dieu, avecques ma comère. Avec ma commère, par Dieu ! Elle entre.
.
Je [vous] pri que nous alons boyre, Je vous prie que nous nous mettions à boire,
130 Belle comère, entre nous deulx141. Ma belle commère, toutes les deux.
LA TAVERNIÈRA 142 LA TAVERNIÈRE
Par Nostre Damme ! je le veulx. Sainte Vierge ! je le veux bien.
Seyez-vous143 cy à couté moy, Asseyez-vous ici à côté de moi,
Puis vous dyray je ne scey quoy Puis je vous dirai je ne sais quoi
Que j’ey ouÿ dire de vous144. Que j’ai entendu dire sur vous.
*
LE VILLAIM 145 LE PAYSAN, devant la taverne.
135 Je cuide que je voys « tyrer » Je crois que je vais « tirer »
Aus[s]i [ung trait]146 à la taverne. Aussi un canon de rouge à la taverne. Il entre.
.
Vendez-vous poim de la moterde147, Ne vendez-vous pas de la moutarde,
Dictes, [ma] comère Brouchète148 ? Dites, ma commère Brochette ?
[Quoy ! vous y]149 estes, Jaquinète ? Quoi ! vous êtes là, Jacquinette ?
140 Je vous estoye [venue cherchier]150. J’étais justement venu vous chercher.
LA FEMME [DU VILLAIM] LA FEMME DU PAYSAN
Ma comère m’a [fet] sonne[r] Ma commère m’a fait appeler
Pour venir boyre avecques elle151. Pour que je vienne boire avec z’elle.
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Ne festes jà tant le rebelle ! Jacquier, ne faites pas tant le rebelle !
Vous samblez estre corocé. Vous semblez être courroucé.
145 Venez boyre avec nous, venez ! Venez boire avec nous, venez !
Et puis dirons une[s]152 chansons. Et puis nous chanterons des chansons.
LE VILLAIM LE PAYSAN
Par ma foy ! mès nous j[o]uerons Par ma foi ! nous jouerons plutôt,
Entre nous troys, si vous voulez. Tous les trois, si vous voulez.
Si vous perdez, vous poy[e]rez ; Si vous perdez, vous paierez le vin ;
150 Et (par Dieu) si je pers, aus[s]i. Et si je perds, je le paierai de même, par Dieu.
LA FEMME LA FEMME
Je scey unng jeu le plus fétis Je connais le jeu le plus agréable
Que vous vissiez à vostre vie ; Que vous ayez vu de toute votre vie ;
Et n’y a poim de villanie153. Et ce n’est pas un jeu de « vilain ».
Nous le ferons, si vous voulez. Nous y jouerons, si vous voulez.
LE VILLAIM LE PAYSAN
155 Ouÿ bien ! Or le devisez, D’accord ! Décrivez-le-nous,
Et puis après nous le ferons. Et puis après nous y jouerons.
LA FEMME LA FEMME sort un œuf de sa poche.
Je vous dyray que nous ferons. Je vais vous dire ce que nous ferons.
Vez cy demïe154 père d(e) eulx. Voici la moitié d’une paire d’œufs.
Vous le mectrez, entre vous deulx, Tous deux, vous mettrez cet œuf quelque part
160 Sus mon mari pour le(s) mucer ; Sur mon mari pour le cacher ;
Et si je ne le puis trouver, Et si je ne peux pas le trouver
Quant je viendray, au premier cop, Du premier coup quand je viendrai,
Par Dieu, je poyerey l’escot Par Dieu, je paierai l’addition,
Et quarte de vim pour goûter. Et en plus un quart de vin pour notre goûter.
LE VILLAIM LE PAYSAN
165 Sanc Jham ! tu t’yras dom cachier Saint Jean ! tu iras donc te cacher les yeux
Si bien que tu n’y verras goute. Si bien que tu n’y verras goutte.
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Comère, vous [ne burrez]155 goute Ma commère, vous ne boirez plus une goutte
Jusques nous les aurons [l’œuf] caché. Jusqu’à ce que nous ayons caché l’œuf.
LA FEMME LA FEMME
Estront de chient, c’est bien chié156 ! Crotte de chien, c’est bien chié !
170 Nenny ? Je ne boirai pas ?
[LA TAVERNIÈRE] LA TAVERNIÈRE
Ne le vous dy-je pas ? Ne vous l’ai-je pas dit ?
LE VILLAIN LE PAYSAN
Or, va-t’en plus toust que le pas Maintenant, va-t’en plus vite que ça
Boucher [de ton giron, ma]157 femme ! Te cacher les yeux avec ta robe, ma femme !
LA FEMME LA FEMME s’éloigne un peu.
Foy que je doy à Nostre Damme ! Par la foi que je dois à la Vierge !
Je le veulx bien. Je le veux bien. Elle remonte sa robe.
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
Y vouyez-vous rien ? Voyez-vous quelque chose ?
LA FEMME LA FEMME
175 Nenny, par le corps saint Julien ! Non, par les reliques de saint Julien !
LE VILLAIM 158 LE PAYSAN
[Le feu t’arde]159 si tu y voy(s) ! Que le feu de l’Enfer te brûle si tu y vois !
LA FEMME LA FEMME
Sanc Jham ! mès fasse bien à toy ! Saint Jean ! qu’il te brûle plutôt toi-même !
.
LA TAVERNIÈRE 160 LA TAVERNIÈRE, au paysan :
Il faut adviser, Il faut décider,
Mon amy très chier, Mon très cher ami,
180 Oùt nous le métrons. Où nous cacherons cet œuf.
LE VILLAIM LE PAYSAN
Il le faut muicer Il faut le musser
Si bien que poyer161 Si bien que nous fassions tout payer
Tout nous luy fassons. À ma femme.
LA TAVERNIÈRA LA TAVERNIÈRE
Il le faut fichier Il faut le mettre
185 Dans vostre brayer162, Dans votre braguette,
Avec vous coillions. Avec vos couilles.
LE VILLAIM LE PAYSAN
Ce seroit dangier Il y aurait danger
De mon vit casser : D’entailler mon vit, si l’œuf se brisait :
Jà ne le ferons ! Nous ne ferons jamais cela !
LA TAVERNIÈRA LA TAVERNIÈRE
190 Compère Jaquier163, Mon compère Jacquier,
Il le faut quachier Il faut le cacher
Dens vostre bonnet. Sous votre bonnet.
LE VILLAIM LE PAYSAN
C’est bien devise[r]. C’est bien dit. Il met l’œuf sous son bonnet.
Nostre fet est net. Notre affaire est réglée.
LA TAVERNIÈRE LA TAVERNIÈRE
195 N’en164 doultez pas unng pet. N’en doutez pas.
.
LA FEMME LA FEMME
N’en165 arez-vous, [pour] mèshuy, fet ? N’aurez-vous pas fini, pour l’heure ?
LA TAVERNIÈRA LA TAVERNIÈRE, au paysan :
Or, festes bien le bom varlet166. Maintenant, Jacquier, faites bien le gracieux.
Venez, comère, il [en] est fet !167 Venez, ma commère, c’est fait !
Advisez bien, que ne perdez. Réfléchissez bien, que vous ne perdiez pas.
LE VILLAIM LE PAYSAN
200 Par ma foy ! vous ne chercherez Par ma foi ! vous ne chercherez l’œuf
Forqu(e)168 en ung lieu tant sceulemant. Qu’à un endroit seulement.
LA FEMME LA FEMME casse l’œuf.
Ne dictes mot, j’en suis contant169. Ne dites rien, j’en suis content.
LE VILLAIM LE PAYSAN
Ha ! que Dieu vous mecte [en] mal am170 Ha ! que Dieu vous mette en malheur,
Que si bien m’avez conchié ! De m’avoir si bien jauni !
LA TAVERNIÈRA LA TAVERNIÈRE
205 Sanc Jham ! sire, vous poyerez Saint Jean ! beau sire, vous paierez
[Vim], puisque vous avez perdus171. Le vin, puisque vous avez perdu.
*
LE VILLAIM LE PAYSAN
Sanc Jham ! vous deulx m’avez trompé ; Saint Jean ! toutes les deux, vous m’avez trompé ;
Mès, par Dieu, je vous tromperey !172 Mais, par Dieu, je vous tromperai aussi !
Et si, [je] vous arouserey Et ainsi, je vous arroserai de vin
210 Si bien que il n’y faudra rien. Si bien qu’il ne vous en manquera pas.
[LA TAVERNIÈRE] LA TAVERNIÈRE
En vostre gorge estron de chient ! Une crotte de chien dans votre bouche !
[LE VILLAIM] LE PAYSAN
Qui vous puisse les dens casser173 ! Qu’elle puisse vous casser les dents !
*
1 Répertoire des farces françaises. Imprimerie nationale, 1993, p. 78. Bien sûr, B. Faivre ne répertorie pas les extraits du Mystère de saint Sébastien que je publie plus bas ; mais il évoque cette œuvre dans un article capital : Martyrs, bourreaux et spectateurs. Littératures classiques, vol. 73, nº 3, 2010, pp. 121-132. 2 Ce mot désignait alors un fantassin armé sommairement et rattaché à une brigade. « Quinze cens archiers et trois mille brigans à piet. » ATILF. 3 Le paysan. Il s’agit plutôt d’un Fol, tel que le nomment d’autres Mystères. Notre manuscrit expose un stultus au folio 118 rº. 4 Il marche en direction de la Picardie, et croise un paysan qui porte au marché de la ville un chapon en cage. 5 Beau prud’homme. Le fantassin fait preuve d’une politesse condescendante. Beaucoup de Mystères montrent un voyageur qui demande poliment sa route à un paysan, lequel le fait tourner en bourrique : « Preudons, ensaigne-moy la voie,/ Car je suis ung peu esguarés. » La Passion de Semur. 6 En 1396, cette ville picarde accueillit le roi Charles VI flanqué de ses gardes. 7 Je viendrai. Même picardisme au vers 225. 8 Rappelons que pendant cette tirade anticléricale, le public voit saint Faron célébrer en silence les Vigiles des morts devant le cercueil de saint Fiacre. 9 On trairait, on tirerait. « On tireroit aussi tost un pet d’un asne mort : on ne sçauroit avoir de response ou de raison de cet homme-là. » (Antoine Oudin.) L’ourse est mise pour la rime. 10 Ms : destrier tous 11 Voyer = mettre sur la bonne voie, convoyer. Idem vers 185. 12 Ms : ne daigne respondre (Correction de James F. BURKS, Barbara M. CRAIG et M. E. PORTER : la Vie Monseigneur Saint Fiacre. University of Kansas, 1960.) Ces trois spécialistes pensent que le Mystère fut joué à Paris par une confrérie dramatique. 13 Le scribe hésite entre « cours-tu » et « quiers-tu ». 14 Le bas de la robe s’usait vite, et les pauvres en coupaient de temps à autre quelques centimètres pour la rajeunir : plus la robe était vieille, plus elle était courte. « La robe est escourtée./ Par bieu ! Si [pourtant] est-elle crotée,/ Non obstant qu’elle soit bien courte. » Les Femmes qui plantent leurs maris. 15 Ms : Naiez (N’ai-e compterait pour 2 syllabes.) Douter = redouter ; idem vers 114 et 176. 16 En Picardie, le haterel désigne la nuque. Le hoyau, sorte de houe, est l’arme des paysans : « Se j’eusse mon hoel,/ Je vous férisse el haterel ! » Godefroy. 17 Ms : M etient (Correction suggérée par Burks, Craig, Porter.) C’est une réponse au vers 30. 18 Le 2e vers du Mystère confirme ce verbe avoir : « Sachiez que j’ay au cuer grant yre. » 19 Toujours condescendant, le fantassin invoque la « courtoisie » d’un vulgaire paysan, comme le fera Frère Frappart : « Or me dictes, par courtoisie,/ Pour quel cause vous la portiez. » 20 C’est elle qui est le maître. « Sy ta femme te maistrye,/ Va-t’en ! » Le Pèlerinage de Mariage. 21 De la porée, du potage aux poireaux. Gabriella PARUSSA* cite les Lamentations de Mathéolus, traduites par Jehan le Fèvre : « Et se je vueil avoir des pois,/ Elle fera de la porée. » *Les Mystères du manuscrit 1131 de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris. Classiques Garnier, vol. I, 2023, p. 743. 22 Ms : courrime (« Une chartre [prison] plaine de moult malle vermine. » Lancelot du Lac.) 23 Maladie de la bouche des chevaux, appliquée aux hommes par dérision. « –Il a le lempas./ –Tu scès bien qu’il n’est pas cheval. » Le Roy des Sotz. 24 Ms : tieng 25 Les soldats des farces ont la réputation de fuir plus vite que leur ombre. En outre, ce sont des voleurs de poules, et en l’occurrence de chapons. 26 Le capuchon des moines capucins désigne par métonymie ce qui est dessous : la tête. 27 Avec impétuosité, violemment. « Au premier qu’il trouva donna tel horion [coup] (…),/ Et le tiers et le quart abati de rendon. » (ATILF.) Le fantassin prend au paysan la cage qui renferme le chapon. 28 Attiré par les éclats de voix, il s’interpose entre les deux hommes. Le paysan s’éloigne un peu et ne prend aucune part à la dispute ; il sait bien que les sergents sont aussi voleurs que les brigands, et qu’il perdra de toute manière son chapon. 29 Ms : la (Passer = passer un caprice, satisfaire un appétit. « J’en passeroys mes apétis. » L’Arbalestre.) 30 Ms : Fay 31 Action de dérober. Le sens moderne du mot « brigand » avait déjà cours. 32 Terme péjoratif. « Garson mauldict ! » Le Porteur de pénitence. 33 « Aller » suivi d’un gérondif met en exergue ce dernier verbe : « Tout le monde m’iroit huyant. » Godefroy. 34 Un méreau, un jeton sans valeur. « Or n’ai-ge méreau. » Les Povres deables. 35 Il donne au fantassin un coup sur l’épaule avec le plat de son épée (vers 111). 36 Ms : tort me feroiez (« Feroiez » est à la rime.) Nous avons là le verbe férir [frapper], comme aux vers 36, 38, 60 et 111. 37 Dans la région d’où tu viens. Le fantassin n’est pas d’ici, comme il l’avoue aux vers 7 et 8. 38 Lutter. Les deux belligérants s’empoignent. La lutte qu’on qualifie de gréco-romaine fut pratiquée durant tout le Moyen Âge et au-delà. 39 Tu dois expier. « Tu as paiéz ton lit :/ Tu me tenoie or en moult trèz grant despit,/ Maix Jhésu m’aiderait. » ATILF. 40 Si cela te plaît. « Car de dame baisier, par Dieu le droiturier,/ Il ne m’embellist pas. » ATILF. 41 Ms : huy (Cela est juste. On lit au vers 482 du Mystère : « Il est droit que nous vous paiomes. ») 42 Le fantassin quitte définitivement les lieux d’un pas tranquille, en emportant le chapon. 43 Son époux, témoin de la rixe, lui a raconté comment le sergent s’est fait casser un bras. Elle court apporter cette bonne nouvelle à son amie, la femme du sergent. 44 Le sergent comptait donc s’attribuer le chapon du paysan. 45 Participe passé du verbe sourdre : surgir. 46 Saint patron des sergents. 47 Ms : facent (Correction Burks, Craig, Porter.) Que mon mari fasse. 48 Ms : Quil 49 Ms : corps (« Vous me respondriez à tous coups. » Beaucop-veoir et Joyeulx-soudain.) Les auditeurs ont pu comprendre « à tous coux » : à tous les cocus. 50 De deuil, de douleur. 51 Soldée : salaire du soldat. « Or pers-je mes soudées,/ Se Jacob ne va à l’escolle. » Le Villain et son filz Jacob. 52 Ms : puis quas (La paysanne a parlé d’une blessure du sergent, mais pas d’un bras cassé. L’auteur a peut-être pratiqué des coupures dans sa farce, dont plusieurs transitions paraissent pour le moins abruptes.) 53 Le couvent parisien des Filles Saint-Magloire accueillait déjà des Filles-Dieu, c’est-à-dire d’anciennes prostituées. « Et li bon saint des Filles-Dieu/ Et Saint-Magloire. » Petrus Alfonsi, les Moustiers de Paris, XIIIe siècle. 54 Ms : car cest le filz dieu (La réputation de ces religieuses faisait ricaner : « Je donne aux Filles-Dieu/ Et à toutes nonnains le jeu/ Qui se faict à force d’eschines [à coups de reins]. » Le Testament Pathelin.) Les tavernes avaient intérêt à voisiner avec les Filles-Dieu, dont la goinfrerie était proverbiale : « Je laisse aux Mendians,/ Aux Filles-Dieu et aux Béguines/ Savoureux morceaulx et frians :/ Flaons, chappons et grasses gélines. » Villon. 55 Les deux femmes arrivent devant la taverne. 56 Toutes les didascalies sont au subjonctif. Dans le texte que je publie ci-dessous, elles seront au subjonctif et en latin. 57 Ms : A (Confusion fréquente entre « A » et « & » : voir la note 131.) Les taverniers accompagnent toujours le vin d’aliments salés qui donnent encore plus soif aux clients ; le jambon est l’ancêtre des cacahuètes grillées. 58 Le « lieu privé » désigne le retrait où se trouve la chaise percée. Les restaurateurs parquaient déjà près des toilettes leurs clients mal vêtus. 59 94 centilitres, soit un demi-litre de vin pour chacune. 60 Cet an ; cf. le Sermon pour un banquet, vers 219. La paysanne a donc bu dans toutes les tavernes de la ville. 61 Guile = tromperie. 62 La tavernière se retire définitivement. 63 On pourrait transcrire « par my », qui en patois picard signifie « par moi ». 64 Aimée, chérie. La paysanne, qui n’aime pas les hommes et reste imperméable au plaisir qu’ils procurent (vers 223-6), tente de soûler sa jeune protégée. 65 Ms : sy 66 D’une chose. C’est un mot féminin. Au début du Mystère, le père du futur saint Fiacre dit de son incapable de fils : « Je croy, par Dieu qui lez siens garde,/ Que il ne vauldra jà riens née. » 67 Forme picarde de brasse : bras. 68 Ici, ce verbe a le sens d’épargner quelque chose à quelqu’un, de l’en dispenser. « Je me fusse bien déporté/ D’estre venu en ceste place. » L’Aveugle et le Boiteux. 69 Fouit dans mon « jardin » : me laboure. « Ès courtils puissamment fouoie/ Deux fois ou trois sans demourer [débander]./ Bien y sçavoie labourer/ Et touchier à la molle cuisse. » (Jehan le Fèvre, Lamentations de Mathéolus.) C’est une réponse aux vers 156-160. « No courtieu » est typiquement picard. 70 Ms : amee (Correction Burks, Craig, Porter.) 71 En rut. « Une fois n’est rien, deux font grand bien, troys c’est assez, quatre c’est trop, cinq est la mort d’un gentilhomme sinon qu’il fust affamé. » Bonaventure Des Périers. 72 La femme pense d’abord que l’alcool lui donne des hallucinations visuelles. 73 Battue à coups de latte. « Liève tost, que je ne te lattre ! » Jéninot qui fist un roy de son chat. 74 Double sens : gloutonne, et femme de mauvaise vie. De même, au vers 254, lécherie signifie à la fois gourmandise et débauche. 75 On connaît bien ce gag du comédien travesti en femme, qui se fait arracher sa perruque et révèle son crâne dégarni : voir la note 69 du Marchant de pommes et d’eulx. Conclusion du gag aux vers 269-270. 76 Ce coup. « Au sénestre costé assena tel mérel. » ATILF. 77 Les deux femmes fuient de la taverne et se retrouvent dans la rue. 78 Ms : nerfz (Vos cheveux neufs : votre perruque. Dans les bagarres entre comédiens travestis, la perruque est toujours une cible privilégiée : « Puisqu’en ce point tu m’as frappée,/ La parucque te pigneray ! » Les Chambèrières et Débat.) 79 Sans doute un juron de clercs. Boniface IX, pape de 1389 à 1404, fut un grand adepte du népotisme, et avait plus de « foi » en ses cardinaux-neveux qu’en Dieu. « Ce nouveau pape était un assassin qui ne négligea pas la simonie pour remplir les coffres du Saint Siège…. Une bonne partie de cet argent allait à sa mère, à ses frères et à ses prétendus ‟neveux”. » Nigel Cawthorne, la Vie sexuelle des papes. Evergreen, 1999, p. 125. 80 Ms : lez mous (À cause de nous. « Car aulcun mal par nous n’aurez. » Le Temps-qui-court.) Ce vers de 4 syllabes rime avec le vers suivant du Mystère, qui est prononcé par Jésus, dont l’entrée dépend donc d’un travesti chauve. L’Aveugle et Saudret, une farce incluse dans le Mistère de la Résurrection, se termine par une scène de taverne dont le dernier vers donne également la parole à Jésus. 81 Bibliothèque nationale de France, NAF 1051. Les passages retenus vont du folio 25 vº au folio 84 rº. 82 Il emmène quatre sergents à la taverne de Margot Brochet, dans l’intention de se faire inviter par eux. Le copiste provençal transcrit en -m les nasales en -n. 83 St Martin est indissociablement lié au vin : voir la note 128 du Sermon joyeux de bien boire. 84 Cette forme dialectale de « quelque » a survécu aux attaques du copiste provençal, qui l’a pourtant corrigée au vers suivant. Tartre = tarte : cf. Te rogamus audi nos, vers 105. 85 Vous serez leur garant au cas où ils ne paieraient pas. 86 La vaisselle n’est pas très fournie, ou n’est pas très propre : on lave encore les verres au vers 119. 87 Ms : pousins (« Pastéz de merles et mauvis. » Taillevent.) Il s’agit de pâtés en croûte, composés de viande hachée enrobée de pâte et cuite au four. Les cailles et les grives, pleines de petits os, conviennent moins bien que les faisans, qui rendent donc le pâté plus cher. 88 L’oie est moins coûteuse que le chapon engraissé, qui requiert beaucoup plus de soins : voir la note 132 de Maistre Jehan Jénin. On va découvrir au vers 33 que ce n’est même pas de l’oie mais du vulgaire sanglier. Bref, la tavernière justifierait pleinement qu’on donnât un féminin au mot « escroc ». 89 Ms : machecotom (Je vois mal pourquoi ce sergent mangerait du coton alors que ses collègues se gavent d’andouilles et de boudins. Plusieurs Mystères le nomment Masquebignet [Mâche-beignet]. Mais restons dans la charcuterie : « Mâche-poullets, mâche-chevreaux, mâche-connils, mâche-cochons : d’autres viandes ne sont alimentéz. » Rabelais, Vème Livre, 14.) Les noms ridicules des autres sergents reviennent dans plusieurs Mystères, et chez Rabelais : « Pantagruel manda quérir les capitaines Riflandouille et Tailleboudin. » (Quart Livre, 37.) Le paysan s’assoit et se sert avant que les sergents n’aient pris place. 90 Ms : vous envoye (Les sergents tutoient le paysan. Voir les refrains 31 et 34 de ce triolet quelque peu extrapolé.) 91 Ms : vous estes (Voir le refrain 35 de ce triolet.) 92 Jeu de mots : que mon oie, que mon pénis. 93 Bouffeur d’andouilles. « Quelz Rifflandouilles/ Pour casser le col d’ung canard ! » Le Capitaine Mal-en-point. 94 Il mastique un morceau de viande avec difficulté. 95 Ce nom a donné « malfrat ». D’autres Mystères l’appellent Mauferas. 96 Le paysan revient seul à la taverne pour séduire l’hôtesse, la patronne. 97 Ms : ung tourt (Tirer = tirer du vin au tonneau. Idem vers 127 et 135.) « Verre » rime à la normande avec craire : « De craire qu’une noble aymit un chavetier [savetier]. » La Muse normande. 98 Ms : pour (« Belle, se vous prenez amy/ Par amour. » Ung jeune moyne.) 99 Ms : puisque (Même si je suis chenu.) 100 En plusieurs endroits du Mystère, et toujours dans le rôle du Vilain, notre ms. symbolise le cul par la lettre Q, si chère aux farces de collégiens. « Torcher son Q de papier blanc. » Tabourot. 101 Apocope normanno-picarde du pronom moi : « Donne-m’assez de pois pilés ! » Adam de la Halle. 102 Impératif normand. Cf. Sœur Fessue, vers 21 et 25. 103 Vers manquant. « Je vueil perdre cent sous/ Se, dessus et dessoubz,/ N’est bien revisitée ! » (Les Sotz fourréz de malice.) La version originale devait faire rimer « cent so(l)s » avec « deux mots » : le copiste provençal écrit « ou » à la place de « o » (encoure, fourme, toust), et réciproquement. 104 Ms : je 105 Dieu. Même euphémisme aux vers 109 et 117. En provençal, ces mots veulent dire ton ventre : « E benesi lou fru dou ventre tiéu. » Te saludo Mario. 106 Intervention du copiste provençal. L’auteur normand a sans doute écrit « puterelle » : cf. les Botines Gaultier, vers 32. 107 Faux = sournois. Punais = puant. 108 Elle me donna des coups de bâton sur les jarrets pour me contraindre à les ployer, à me mettre à genoux devant elle. « Luy donna un grand coup du talon derrière la joincture du genouil, de sorte que luy faisant par force ployer le jarret, le feit cheoir à la renverse. » Jehan Martin. 109 L’une des nombreuses variantes de « à roid » : en érection. « Que je fo[u]toie quinze fois,/ Mès j’estoie tozjorz aroiz. » Le Roman de Renart. 110 Je me cuidai : je crus. 111 Adonc elle se prit. Cette flexion verbale est plutôt picarde. 112 Ms : sus une barme (« S’elle monte à sa haulte game,/ Le dyable n’en chevira pas [n’en viendrait pas à bout]. » Les Tyrans.) La rime -ame / -a(r)me est due à un amuïssement du « r » propre à la Normandie : cf. Colinet et sa Tante, vers 33-34. 113 « Quant ilz trouvoyent à leur chemin/ Des brus, ilz les vouloyent forcer. » Les Brus. 114 D’avoir une érection. « Pour l’ardeur qu’il ot de la bele,/ Convint son membre redrecier :/ Tant fort commence à aressier. » Godefroy. 115 Ms : le (Je me ressens de ses coups. « –N’en faictes plus, car je m’en sens !/ –Vous serez plus bastu que lard ! » La Veuve.) 116 Elle arrive derrière son époux, qui ne l’a pas vue entrer dans la taverne. 117 Ms : tretoure (Vous estore, vous garnisse.) Le mal de saint Jean est l’épilepsie : « Le grant mal sainct Jehan vous embloque/ La peau et les oz ! » Le Povre Jouhan. 118 Hanter = fréquenter : « Plus ne fault hanter la taverne. » (L’Arbalestre.) Le « h » initial est souvent muet, voire facultatif : « Tous cheulx qui le congnoissoient et antoient. » (Godefroy.) La rime est faible ; on peut remplacer « tavernes » par « beuvettes », qui a le même sens. 119 Ms : despuys 120 Male étrenne [mauvais cadeau]. Même vers que 53. 121 M’aid : m’aide. Cf. le Pauvre et le Riche, vers 189. 122 Ms : bec que (La bouche. Cf. Rouge-affiné, Bec-affillé et Décliquetout.) Entre 81 et 84, les rimes particulièrement négligées font croire à une intervention extérieure. 123 Ms : putaim (Anticipation du vers suivant.) L’époux qualifie lui-même sa femme de « fausse punaise » [sournoise puante] au vers 62. Il ne se fait aucune illusion sur la fidélité de Jacquinette, dont il dit ailleurs : « Je trouvis l’autre jour ma femme/ Couchée avec ung galant/ Qui avoit de vit, vrayemant,/ Bien une aulne et demye [1,77 m]. » 124 Ms : ton (Votre valet, à toi et à ton mari.) 125 Ms : vouloit (Le copiste a barré ce vers, croyant qu’il constituait une troisième rime.) 126 Aphérèse normanno-picarde du pronom en. « Maulgré ’n ait bieu des truandelles ! » Saincte-Caquette. 127 Ms : vous elle (Correction de Michel ROUSSE : Romance Philology, vol. 25, nº 4, mai 1972, p. 465. Le copiste a barré ce vers.) Elle a souillé votre réputation. 128 Si on étendait. 129 Lacune d’au moins 2 vers. Le paysan veut dire que même si l’on disposait de toutes ces serviettes, on ne pourrait pas essuyer la souillure que son épouse vient d’infliger à la tavernière. Dans le style fatrasique des Fols, il saute du coq à l’âne, du loup à la jument, et de l’ours au lièvre. 130 Ms : mer (Réminiscence du vers 101. « Et un morceau de chair sallée. » L’Amoureux.) 131 Ms : & toute (Avec. « J’ay veu sainct Pierre à tout sa clef,/ Et sainct Paul à tout son espée. » La Résurrection de Jénin Landore.) Les ours attrapent leurs proies à la course. 132 Ms : tuas (Le paysan retourne seul chez Margot Brochet, la tavernière.) 133 Prononciation normanno-picarde de « céans » : cf. Lucas Sergent, vers 81. 134 En langue tudesque. « Qu’ilz saichent le langaige thioys. » (ATILF.) Les Allemands passaient pour de gros buveurs. 135 Forme picarde de « chopiné » : bu plusieurs chopines de vin. 136 Ms : machecoton (Voir la note 89.) 137 Par la chair de Dieu ! Voir la note 105. À en croire la littérature joyeuse, Tailleboudin est porté sur la boisson ; au vers 244 des Enfans de Borgneux, il est même négociant en vin. 138 Prononcer baire à la normande, comme au vers 129. « Du meilleur vin y veulent baire. » La Muse normande. 139 Lacune. Qu’il soit beau ou laid. « Je vous ferray [frapperai], soit bel ou let ! » L’Aveugle et Saudret. 140 Jeu de mots. En langage familier, la pie désigne le vin : « Croquer la pie. » C’est également la cible en bois dans laquelle un archer tire sa flèche pour devenir « roi de la pie ». Le Mystère de saint Sébastien fait la part belle aux archers. 141 Toutes les deux. Même normandisme aux vers 148 et 159. 142 D’après les vers qui précèdent, on attendrait plutôt « la Commère », d’autant que la paysanne est fâchée avec la tavernière. Mais Saint Sébastien ne comporte aucun rôle de Commère, et la suite montre qu’il s’agit bien de Margot. 143 Ms : Soyes vous 144 Hélas, le retour intempestif du Mystère nous empêche de profiter de ces croustillants ragots. 145 On vient de donner l’ordre de tirer des flèches sur Sébastien. Le paysan se rend à la taverne. 146 Ms : de larc (Le copiste a détruit ce jeu de mots, dont la forme courante est « charmer le trait » : voir la note 80 du Pèlerinage de Mariage.) Le trait désigne la flèche qu’on va bientôt décocher à saint Sébastien, le héros de ce Mystère. C’est également une gorgée de vin : « Ung traict but de vin morillon. » (Villon.) Le paysan pénètre dans la taverne ; il ne remarque pas que son épouse, Jacquinette, est assise à une table. 147 Les tavernes — en particulier les triballes de Rouen — faisaient de la vente à emporter : vin, pâtés, charcuterie, etc. Mais la moutarde a suscité un grand nombre d’expressions ; nous en avons peut-être une ici. 148 La tavernière se nomme Brochet, mais le paysan rêve de la consommer en brochette… 149 Ms : Vouycy vous si (Le 1er mot est indéchiffrable ; Mills et Rousse lisent Vouay.) Le paysan aperçoit sa femme. 150 Ms : venus chergier (Le paysan essaie de justifier sa propre présence à la taverne.) 151 Cette liaison dangereuse offre un jeu de mots sur zèle : « Estant avecques elle,/ Conclure puy d’un franc cueur et vray zelle. » (Clément Marot.) Zèle = appétit : « Que ce vin icy est gaillard,/ En un souper prins d’un bon zelle ! » Le Poulier à sis personnages. 152 Plusieurs. Cf. les Femmes qui se font passer maistresses, vers 67. 153 Attaque personnelle : la vilenie est l’état du vilain, du paysan. « Un païsant, nourist en vilonnie. » Godefroy. 154 Ms : une (La moitié d’une paire d’œufs = 1 œuf. Cette locution tarabiscotée relève du jargon notarial : « Les remonts ne pourront estre moins que d’une demie paire. » Procès-verbal d’enchère.) Les Sots des Vigilles Triboullet envisagent eux aussi une partie de « jeu de l’œuf » au vers 30. Ces jeux infantiles servent de fil rouge à plusieurs « jeux » dramatiques : le Jeu du capifol, les Sotz ecclésiasticques qui jouent leurs bénéfices au content, Trote-menu et Mirre-loret (jeu du sot-s’y-met), l’Aveugle et Saudret (jeu de broche-en-cul, auquel on joue aussi dans la farce de Goguelu, F 45). 155 Ms : ny verres (Forme normanno-picarde : « Vous burez tant. » Le Pourpoint rétréchy.) 156 La paysanne accouple deux jurons scatologiques : « Étron de chien ! » réapparaît au vers 211. « C’est bien chié ! » signifie : C’est mal dit ! Cf. le Mariage Robin Mouton, vers 30. 157 Ms : augiron dune (Boucher = se cacher les yeux : « Les yeulx fort je me bousche/ Affin de ne vous veoir pas. » Le Badin qui se loue.) Le gag consiste, pour l’acteur qui joue la femme, à soulever le bas de sa robe afin de se cacher les yeux tout en découvrant ses jambes poilues et sa culotte bien remplie. 158 Le ms. ajoute dessous : Caches la bien 159 Ms : p p / le feu te arde le d (« Que le feu t’arde ! » Les Trois amoureux de la croix.) 160 Le tête-à-tête de la tavernière et du paysan est symbolisé par des tercets pentasyllabiques en aab. 161 Ms : pouyer (Voir les vers 2, 149, 163 et 205.) Le paysan ne se rend pas compte que son épouse va payer la note avec l’argent qu’il a gagné : dans les ménages populaires, c’est la femme qui gère la cagnotte. Comme le dit une des Femmes qui font refondre leurs maris : « On vous payera en beaulx ducatz ;/ Nous-mesmes les avons en garde. » 162 Dans votre bandage herniaire, votre suspensoir. « Les coullions soient soubstenus avec liguature et coeffe joincte au brayer. » (ATILF.) Brayette = braguette. 163 Ms : jamet (Il faut ici une rime en -ier, ce qui rend douteux le prénom provençal Jamet.) « Jacquier » désigne un paysan favorable aux jacqueries : voir Godefroy. Le couple Jacquier et Jacquinette n’est pas plus improbable que celui d’Audin et Audette, ou celui de Tarabas et Tarabin (F 13). 164 Ms : Vous ne la (Ce dernier vers du tête-à-tête doit faire 5 syllabes.) La négation « pas un pet » s’emploie pour « rien » : « Je n’y en compte pas un pet. » Le Cousturier et Ésopet. 165 Ms : Nõ (« Nous n’en aurons, pour mèshuy, moins. » L’Antéchrist.) 166 L’homme obligeant. « Et contrefait le bon varlet. » Les Sotz qui corrigent le Magnificat. 167 La femme du paysan baisse sa robe et rejoint les autres joueurs. 168 Variante picarde et flamande de « fors que » : si ce n’est que. 169 La femme aux jambes poilues parle d’elle au masculin*. Elle voit que la tavernière lui désigne discrètement le bonnet du paysan ; elle donne alors un coup de poing dessus. L’œuf se casse et dégouline sur la figure de l’homme. *Les puritains n’auront qu’à corriger : Sans nul content [sans faire de contentieux]. « Les laissent dedens entrer sans nul content. » Lancelot. 170 En mal an : en mauvaise année. « Dieu te mette en mal an ! » Sermon joyeux de bien boire. 171 Votre femme a deviné que l’œuf était caché sous le bonnet. 172 Le paysan prend sur la table deux pichets de vin et les vide sur les tricheuses. 173 Cette imprécation scatologique est presque toujours dialoguée : « –Bren [merde] ! –Qui vous puist casser les dens ! » Pernet qui va au vin.
LE PARDONNEUR
.
*
LE PARDONNEUR
*
.
Un pardonneur1 est un faux prêtre ; moyennant finance, il fait embrasser de fausses reliques2 aux dupes, qui croient ainsi gagner des « pardons » et des indulgences qui raccourciront leur futur séjour au Purgatoire. Ces reliques sont généralement situées au-dessous de la ceinture : « Quand il se baissoit pour amasser une pierre, il monstroit par-derrière environ un pied & demy d’instrument…. Une jeune femme du village aperceut ses belles relicques. » Les Joyeuses adventures.
Un triacleur est un faux savant qui vend du thériaque, de l’orviétan et d’autres poudres de perlimpinpin. Quand deux escrocs de cet acabit visent le même public sur une même place, chacun débine la camelote de son rival ; et c’est le seul moment où ils disent la vérité.
Les Souhaitz des hommes mettaient déjà côte à côte ces deux gredins :
LE PARDONNEUR
Je souhaitte, moy, Pardonneur,
Pour parvenir à mes practiques,
Ung compaignon bien fort menteur
Pour bien blasonner3 mes reliques.
LE TRIACLEUR
Et moy, Triacleur, je souhaitte
Réagal4, boittes, et couleuvres,
Quelque serpent ou autre beste
À magner, pour monstrer mes euvres.
Source : Recueil du British Museum, nº 26. Cette farce normande fut publiée à Paris par Nicolas Chrestien, vers 1550.
Structure : Rimes abab/bcbc, rimes plates. Chaque fois que des rôles se prêtent ainsi au cabotinage, les acteurs ajoutent quantité de vers qui délayent le schéma des rimes.
Cette édition : Cliquer sur Préface. Au bas de cette préface, on trouvera une table des pièces publiées sur le présent site.
.
*
Farce nouvelle trèsbonne
et fort joyeuse
à troys personnages
d’un Pardonneur,
d’un Triacleur et
d’une Tavernière
*
C’est assavoir :
LE TRIACLEUR
LE PARDONNEUR
et LA TAVERNIÈRE [Pou-fille]
.
LE PARDONNEUR
*
LE PARDONNEUR commence 5 SCÈNE I
Sainctes parolles pacificques
Soient entre vous résidens6,
Par vertu de[s] sainctes reliques
Qui reposent icy dedans !
5 Messïeurs, il y a long temps
Que ne visitay ce pays7.
Mais s’il plaist à Dieu, je prétens
De vous faire tous esjouys.
J’aporte icy [les] de[ux] ouÿes8
10 De sainct Couillebault, con fesseur9,
[Et les deux mamelles bénies]10
Et de saincte Velue11, sa seur,
Dont il appert12 de grands miracles.
Je vous vueil compter les ostacles13
15 Et les miracles qu’ilz ont fait.
Au pays d’Affricque, [en effait]14,
Cestuy monsieur sainct Couillebault
« Délivra15 », je le vous afferme,
Une juifve estant à l’assault
20 D’enfant ; et si16, estoit à terme.
Item, orrez17 que fist [sa seur],
Saincte Velue, prudente et sage :
À un[e] autre, j’en suis tout seur,
Elle rendit son pucelage18 ;
25 Et si, [y] avoit grand passage
De membres, je le vous asseure !
Elle [la] mist hors de servage19,
Par bieu, en moins de demy-heure.
Maintenant, fault que [je] labeure
30 À nommer les parroissiens
Et les confrères ancïens
Qui furent de leur Confrarie.
Il nomme.20
Jehan Pigault, Biétrix Barbarie,
Colin Mulet et Jehan Bigace,
35 Jénin Grigecte, Jehan l’Agace21,
Tassin Pigard, Perrin Bicorne22,
Jehan Sousseron, Jehanne la Sorne23,
Martin Marteaulx24, Régnault Frasie,
Pierre Sourys et sa maignie25.
40 Or, vous orrez la26 confrarie,
Seigneurs, de voz ancïens pères :
Vous orrez voz oncles, voz frères,
Voz parens, vo(u)s cousins germains.
Prenez congé27 à joinctes mains,
45 Et venez gaigner les pardons !
Aportez flesches28 et lardons,
Jambons, eschinées, coustelettes,
Fusées, napes [et] touaillons29,
Chausses, robbes, chapeaulx, cornettes.
50 Cuidez-vous que soient sornettes
Des pardons de sainct Couillebault ?
Nenny dea ! V(e)ez-en cy [les] lettres30
Et les grands pardons généraulx.
Regardez : v(e)ez-en cy les seaux31,
55 [Qu’ay] impétréz32 par Mélusine
Au grand chasteau de Gernetaulx33,
En la grand terre sarrazine.
Voire ! Et le [grand] Turc m’en raisine34
Son droit, touchant sa seigneurie35.
.
LE TRIACLEUR 36 SCÈNE II
60 Vierge Marie, Vierge Marie !
Croit-on en ta cabuserie37 ?
Adoncq, il monstre une anguille
au lieu d’une couleuvre 38, et dit :
Arrière, arrière, arrière, [arrière]39 !
[Çà, Margot, çà ! Sans muselière]40,
Saluez ceste compagnie !
LE PARDONNEUR
65 Et ! voylà belle mocquerie !
Le fait-on par desrision ?
Je n’ay point apris41 qu[e l’]on crie
Devant ma prédication.
J’ay cy la teste sainct Pïon42,
70 Et les noms de tous ses43 confrères ;
Je croy qu’i furent voz grands-pères.
Attendez, je les nommeray :
Jehan Beaufort, Tassin le Brun[ay],
Jehan Fort-en-gueulle…
LE TRIACLEUR
Çà, messeigneurs,
75 J’ay cy des oingnemens44 plusieurs,
Touchant…
LE PARDONNEUR
Quel follastre esse-là ?
Faictes taire ce fol !
LE TRIACLEUR
Paix là !
C’est trop prescher, faictes-le taire !
LE PARDONNEUR 45
…Jehan Huart, Colin Forte-hère,
80 Pierre Boit-bien, Guillot Tout-neant46…
LE TRIACLEUR
Seigneurs, voicy d’un « purgatoire47 »
Un trèsbon morcel, et friant48.
LE PARDONNEUR
Et ! par bieu, tu es49 bien truant !
Deusses-tu pas avoir grand honte ?
85 Vélà, on ne fait plus de compte
Des bons sainctz ne de leurs miracles.
Menteurs, [esprouveurs de triacles]50
Ont le bruit51.
LE TRIACLEUR
Tais-toy !
LE PARDONNEUR
Mais toy-mesmes !
LE TRIACLEUR
J’ay des oignemens [des Boësmes]52
90 Que j’ay prins sur53 le Prebstre Jehan.
LE PARDONNEUR
Ha ! qu’il soit entré en mal an54,
Qui le croira ! Quel lenternier55 !
LE TRIACLEUR
Laisse-moy faire mon mestier !
Suis-je pas en ville jurée56 ?
95 Si suis, ou le diable t’emporte !
[Çà ! se Margot m’avoit picquée,]57
J’auroys ma santé recouvrée58
Avant59 qu’aler à ceste Porte :
Car il n’y a poyson si forte60
100 (Soit réagal ou arceniq),
[Qu’]avant que vous eussiez dit « picq »61,
Vous seriez guéry trèstout sain,
Et feussiez-vous mors d’un aspicq62.
Par bieu, il n’est rien plus certain !
LE PARDONNEUR
105 Mes amys, pour le peuple humain,
Pour vous garder de grand essoyne63,
Je vous ay apporté le groing
Du pourceau monsieur sainct Anthoine64.
LE TRIACLEUR
Messeigneurs, vécy l’œuf d’un moyne65
110 Qui fut ponnu66 en Barbarie,
Qui est plain quand la lune est plaine,
Et tary quand elle est tarye.
Encore(s) ay-je de droguerie67
Beaucoup, que je vous monstreray.
LE PARDONNEUR
115 Il ment, le ribault, croyez-lay68 !
Sang bieu ! ce n’est que joncherie69 :
Tout partout y a tromperie,
Fors à gens de nostre mestier.
LE TRIACLEUR
Cuydez-vous qu’il est fort ouvrier !
120 Il cuyde faire70 les gens bestes.
LE PARDONNEUR
Je vous vueil [cy] monstrer la creste
Du coq qui chanta cheuz Pylate71.
Et [j’ay] la moytié d’une late
De la grand arche de Noé.
LE TRIACLEUR
125 Je viens du mont qui est gelé72,
Où j’ay cueilly ceste racine.
LE PARDONNEUR
Ce n’est que merde de géline73 !
Le croyez-vous ? Le ribault ment.
LE TRIACLEUR
Seigneurs, vécy de l’oignement
130 Qui croist emprès la saincte Terre74.
LE PARDONNEUR
La forte fièbvre [quarte] serre
Qui75 en ment ! Sang bieu, c’est boullie76 !
LE TRIACLEUR
Il a menty ! Dieu le mauldie
Se ce n’est vraye médecine
135 Que j’ay prins au mont de Turgine77,
En la montaigne d’Arcana !
LE PARDONNEUR
Ha ! par le ventre bieu, non a !
Coquelicoq78 !
LE TRIACLEUR
Tenez, quel prebstre !
Par la chair bieu ! on le deust mettre
140 En bonne prison. Comme(nt) il jure !
Mais esse pas bien grand injure
À un prebstre, d’ainsi jurer ?
LE PARDONNEUR
Comment ! Ne sçais-tu endurer,
Et atendre que j’aye fait
145 Ma collation79 en effait ?
Se tu ne te tais, j’en appelle80.
Regardez, seigneurs : vécy l’elle81
D’un des séraphins d’emprès Dieu ;
Ne cuidez pas que ce soit jeu82 !
150 Vélà là, affin qu’on la voye.
LE TRIACLEUR
Sang bieu ! c’est la plume d’une oye
Qu’il a mengée à son disner.
Ha ! que tu scez bien affiner83
Et abuser les bonnes gens !
LE PARDONNEUR 84
155 Et ! par la vertu bieu, tu mens !
Coquelicoq ! alléluya85 !
LE TRIACLEUR
Tenez : esse juré, cela ?
Je pense que ouy, pour un coup.
Je porte des drogues beaucoup.
160 J’ay cy, en mes deux petis caques86,
De la teste de Cerbérus87,
Que je conquis le jour de Pasques
Ès parts88 de l’infernal palus.
LE PARDONNEUR
Bénédicité, Dominus 89 !
165 Tu mens bien à bon escient.
LE TRIACLEUR
Et j’ay cy, tout pareillement,
De la barbe de Proserpine90.
Et si, ay cy d’une racine
De quoy on joue d’arquemie91 ;
170 Et l’ay prinse, je vous affie,
En la gastine92, jusqu’au fons.
Et m’y portèrent les griffons,
Qui sont tous duis93 à cella faire.
LE PARDONNEUR
Et ! trèsdoulx Jésus, roy de gloire !
175 Et ! que tu mens terriblement !
LE TRIACLEUR
[Et] j’ay cy, tout pareillement,
Du premier fruict d’une chastaigne94
Que j’ay prins en un mouvement95
Au fons de la grand mer d’Espa[i]gne.
LE PARDONNEUR
180 Escoutez ! Cuidez-vous qu’i plaigne96
À bien mentir ? Corps bieu, nenny !
Que pleust à Dieu qu’i fust, ennuy97,
À la grant rivière de Seine98,
Ataché d’une bonne chesne99,
185 Au moins tant que j’eusse presché100 !
J’ay cy, seigneurs, d’un coeuvrechef
De Nostre Dame de Laval.
LE TRIACLEUR
Voicy du pied de Hanibal,
Et de la teste, et des [deux] cuysses.
LE PARDONNEUR
190 Il ne m’en chault, non, que tu disses101 :
Tu mens de tout ce que tu dis.
LE TRIACLEUR
J’ay cy, des murs de Paradis,
Un petit caillou : vé-le là.
LE PARDONNEUR
As-tu [donc] monté jusques-là ?
195 Il est à la plus haulte notte102 !
LE TRIACLEUR
G’y fus porté en une hotte103
Le jour du Vendredy aouréz104.
LE PARDON[N]EUR
Or çà, messïeurs, escoutez :
Je vous veulx compter105 un miracle.
LE TRIACLEUR
200 Çà ! qui veult avoir du triacle ?
J’en ay, yssu106 du me[n]dragan.
J’ay l’oreille d’un pellican107,
Et les piedz de quatre phénix ;
Et les ay prins dedans les nicz108,
205 [Em]près la montagne d’Artos109.
LE PARDONNEUR
Je vous vueil cy monstrer des110 os
(De la teste d’un111 bigourdin) :
L’un est de monsieur sainct Boudin112 ;
Voicy l’autre, de saincte Fente.
LE TRIACLEUR
210 J’apporte du pays de Trente113
La dent de Geoffroy à la Grand Dent114,
Qui va tout le monde mordant.
Pour Dieu, reculez-vous arrière !
Je la prins à une fouldrière115,
215 En la vallée de Golgotas.
J’ay cy encore[s] un grand tas
De coque[ci]grues116 d’Oultre-mer.
J’ay du chevron qui porte l’air117,
Et du pied qui porte la lune.
LE PARDONNEUR
220 Par la mort bieu ! c’est d’une prune118
D’un prunier de quelque jardin.
LE TRIACLEUR
Voicy du boys du tabourin
De quoy David joue devant Dieu.
LE PARDONNEUR
Il a menty, par le sang bieu,
225 Car David jouoit de la harpe119 !
LE TRIACLEUR
Par la mort bieu ! se je te happe,
Je t’envoiray prescher ailleurs !
.
LA TAVERNIÈRE 120 SCÈNE III
Dea ! il ne vient plus nulz buveurs :
Je pers toute ma chalandise121.
230 Tous ces triacleurs de Venise122
Et ces pardonneurs d’Amïens,
Qui cueillent123 d’église en église,
Souloient124 tous venir ceans.
.
LE TRIACLEUR SCÈNE IV
Messïeurs, j’ay beaucoup de biens125,
235 Dieu mercy, de beaulx et de bons :
Seigneurs, vécy un des crampons
De l’ays126 qui soubstient tout le Monde.
Et vécy une pierre ronde
Que jamais aveugle ne vit :
240 C’est la pierre de quoy David
Tua Golias le géant127.
LE PARDONNEUR
Je me tiens icy pour néant ;
G’y pers mon sens et [ma] mémoire.
LE TRIACLEUR
Que veulx-tu donc ? Yrons-nous boire ?
245 Je te pry, allons-y, beau sire.
Nous ne [nous] faisons qu’entrenuire,
Se nous ne faisons quelque accord.
Tu [es par toy-mesme]128 record
Que deux coquins129 ne vallent rien
250 À un [mesme] huys.
LE PARDONNEUR
Tu dis trèsbien.
Il nous fault aller gourmander130.
.
À quelqu’un nous fault demander SCÈNE V
Où est le bon vin d’Orléans131.
LA TAVERNIÈRE
C’est céans, seigneurs, c’est céans !
255 Venez, entrez, j’ay de bon vin.
LE TRIACLEUR
Ainsi l’entens-je sans132 latin.
Tenez, gardez-moy ce coffre[t].
LA TAVERNIÈRE
Messïeurs, dictes, s’il vous plaist :
De quoy vous meslez-vous, tous deux ?
LE PARDONNEUR
260 De quoy ? Nous sommes pardonneurs133,
Dame, à vostre commandement.
Au moins moy, véritablement ;
Mais cestuy-cy est triacleur.
LA TAVERNIÈRE
Par sainct Jehan ! je me tiens [as]seur134 :
265 Se mon mary estoit icy,
Certes il seroit bien marry
Se trèsbien ne vous festoioit135 ;
Car aussi, certes, il souloit136
Se mesler de vostre mestier.
LE TRIACLEUR
270 Comme quoy ?
LA TAVERNIÈRE
Il estoit ouvrier
Excellant d’arracher les dens137.
LE PARDONNEUR
Sang bieu ! il estoit de noz gens.
LA TAVERNIÈRE 138
Ha ! c’estoit mon139, j’en suis bien ayse.
Or, messïeurs, ne vous desplaise,
275 Faictes tous [les] deux bonne chère :
Vous ne demourrez pas derrière140,
Par ma foy, jusqu(es) à un escu.
*
LE PARDONNEUR 141
Je croy que nous avons vescu
Céans, [ma]dame, à voz despens.
280 Il y a chose142, icy dedans,
Qui est certes un grand trésor :
Il vault plus d’un million d’or.
S’il vous plaist, vous le garderez143.
LA TAVERNIÈRE
Et qu’esse [donc] ?
LE PARDONNEUR
Vous le sçaurez :
285 C’est, ainsi comme je l’entens,
Le béguin d’un des Innocens144.
Gardez-le [pour] nous145, bien apoint,
Mais ne le desveloppez point146.
LA TAVERNIÈRE
Comment ! est-il si précieux ?
LE TRIACLEUR
290 Ouÿ dea.
LA TAVERNIÈRE
J’aymeroye mieulx
Mourir que le développer !
LE PARDONNEUR
Où yrons-nous, après soupper ?
[ LE TRIACLEUR
Pour quérir pain parmi la ville ]
Nous en allons. Adieu, Pou-fille147 !
LA TAVERNIÈRE
295 À Dieu, seigneurs ! Qu’i vous conduie148 !
.
LE TRIACLEUR SCÈNE VI
Et, benoiste149 soit [la] tromperie !
Le corps bieu ! elle en a pour une150.
.
LA TAVERNIÈRE 151 SCÈNE VII
Et [quoy] ! n’est-il manière aucune
Que je puisse veoir que c’est cy ?
300 Par bieu ! j’en suis à grand soucy.
Que feray-je ? Y regarderay-je ?
Ouÿ ? Nenny ? Lequel feray-je ?
Et ! si feray, par mon serment !
Mais je prie premièrement
305 À Dieu que point ne me pugnisse :
« Et ! mon [doulx] Dieu, que je suis nice152,
Fragile153 et de propre nature !
Se je regarde, d’avanture,
Ce qu’il y a icy dedans,
310 Pardonnez-moy, car je prétens
N’y faire aucune violence154. »
Or çà ! il fault que je m’avance
De veoir ceste noble relique…155
Vierge Marie ! Et ! qu’esse ? Sique156 !
315 Ce sont brayes157 (par ma conscience)
De quelqu’un. Mon Dieu, pascience !
Vierge Marie, qu’ilz sont breneuses !
Que de finesses cauteleuses158
Se font, aujourd’huy, par le monde !
320 Je pry à Dieu qu’i les confonde !
Je le diray à mon mary ;
Je m’y en vois159. Adieu vous dy !
Et prenez en gré, je vous prie !
Adieu toute la compagnie !
.
FIN
*
1 Voir le vers 282 de Mallepaye et Bâillevant. La farce normande du Pardonneur date des années 1510 et, vu son état actuel, a dû circuler longtemps ; il se pourrait donc que Pierre le Carpentier, acteur et chef de troupe rouennais, ait acquis son pseudonyme, « le Pardonneur », en en tenant le rôle-titre. Cf. le Bateleur, vers 184 et note. 2 Voir le Pèlerinage de Saincte-Caquette, où le marchand de pardons est un véritable curé. 3 Encenser. Le pardonneur souhaite un comparse qui affiche une fausse infirmité dont il sera « guéri » par miracle en baisant une des reliques. 4 Du réalgar, du sulfure d’arsenic : voir le vers 100 de la farce. Les « boîtes » renferment des onguents magiques : cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 250. La couleuvre est la complice involontaire des triacleurs : voir la note 38. 5 Vêtu d’une robe monacale, il pose par terre un énorme sac dont il sortira au fur et à mesure d’invraisemblables « rogatons », puisque c’est ainsi qu’on nommait les reliques. Il se met à haranguer les passants. Tout comme dans la farce de Frère Guillebert, ce monologue initial est une sorte de Sermon joyeux. Voir Jelle Koopmans, Recueil de sermons joyeux, pp. 591-595. 6 Qu’elles résident entre vous, qu’elles vous soient familières. En résumé : Que la paix soit avec vous ! Voir l’édition d’André TISSIER : Recueil de farces, t. V, 1989, pp. 231-273. 7 Cette région. Les escrocs avaient intérêt à déguerpir rapidement et à se faire oublier, avant de revenir sur les lieux de leur forfait. Beaucoup d’entre eux quittaient la région parce qu’ils en étaient bannis pendant un certain nombre d’années. 8 Les testicules, qu’on nomme parfois les « oreilles » : cf. Sermon pour une nopce, vers 72 et 197. 9 Fesseur de cons, de vulves : « Saint Velu (…) estoit l’un des con fesseurs/ Des plus grans de toute l’Ytalie. » (Sermon joyeux de saint Velu.) Couillebaud est un des nombreux saints priapiques invoqués contre l’impuissance et la stérilité. « Par sainct Couillebault ! » Les Sotz nouveaulx farcéz. 10 Vers manquant. Pour le reconstituer, je m’autorise du fait que six « mamelles de sainte Agathe » étaient conservées dans différents reliquaires. 11 Le Sermon joyeux de saint Velu nous en présente la version masculine. 12 Dont on peut voir. 13 Les obstacles à tout ce qui peut nous nuire. « Considère que le triacle/ Soit, pour vray, souverain obstacle/ Contre venin et pourriture. » ATILF. 14 BM : tout a fait (Voir le vers 145.) Jeu de mots sur l’impératif latin affrica : frotte les parties sexuelles. L’épouse infidèle du Povre Jouhan se nomme « Affriquée », et Sœur Fessue se retrouve enceinte après avoir subi des « fricatores » de la part d’un moine. 15 Débarrassa de son fardeau. André Tissier note : « Le saint fit qu’une Juive ne fut plus enceinte au temps même où elle allait mettre un enfant au monde (à terme). » 16 Et pourtant. Idem vers 25. 17 BM : apres (Vous entendrez, futur du verbe ouïr. Idem vers 40 et 42.) 18 Elle exerçait donc le « mestier d’estressisseuse (…), pour resserrer & consolider les parties casuelles des femmes ». (Noël Du Fail.) La Fille bastelierre, qui est triacleuse, accomplit ce genre de miracle. 19 Hors de peine. 20 Il lit une liste de fornicateurs et de fornicatrices. 21 BM : la gace (Une agace est une pie. Voir la note d’A. Tissier.) 22 La bicorne (ou les cornes) est un geste insultant qu’on fait à un homme pour le traiter de cornard : on ferme le poing, et on tend vers le haut l’index et l’auriculaire. « E si nous fetes la bicorne,/ De part le deable, ki vous corne ! » Godefroy. 23 Sornette, plaisanterie. 24 Au singulier, le marteau désigne le pénis : les Femmes qui font escurer leurs chaulderons, vers 149. Au pluriel, les marteaux sont les testicules : « Les deux marteaulx qui avoient, en son absence, forgé sur l’enclume de sa femme. » Cent Nouvelles nouvelles, 85. 25 Sa maisonnée, sa clique. 26 BM : sa 27 Demandez-moi la permission. 28 Des tranches de lard : « Une flesche de lart. » (ATILF.) Le pardonneur se fait aussi payer en nourriture et en vêtements. 29 Des pelotes de laine, des nappes, des torchons. 30 Voyez-en ici les lettres d’indulgences. Les trafiquants d’indulgences les obtenaient en soudoyant le haut clergé. 31 Voyez-en ici les sceaux officiels. 32 Que j’ai obtenus grâce à la fée Mélusine. 33 Ayant oublié le nom du château de Lusignan, le pardonneur en invente un autre, qu’il situe par prudence en Arabie. L’auteur normand de la pièce a dû se souvenir du château de Garnetot, ex-Gernetot, dans l’actuel Calvados. Du coup, le vers suivant était prophétique. 34 M’en résigne, m’en concède. 35 En ce qui concerne son royaume. Le pardonneur a donc obtenu le droit de vendre des indulgences chrétiennes aux musulmans. 36 Il pose son énorme sac, puis il tente de faire taire le pardonneur. Ce dialogue conflictuel entre un ecclésiastique et son interrupteur ressemble au Sermon joyeux de bien boire, qui oppose un prêcheur à un cuisinier. 37 BM : cabusion (En tes abus, en tes artifices. « Plusieurs cabuseries et tromperies. » ATILF.) 38 Les marchands de contrepoisons et d’élixirs antivenimeux impressionnaient les badauds en agitant un gros serpent dont ils prétendaient guérir les morsures. Évidemment, ils choisissaient plutôt une couleuvre qu’une vipère, mais jamais, à ma connaissance, une anguille morte. Voir les Souhaitz des hommes dans ma notice. « Et en ung sac porter un gros serpent/ Pour métridal [mithridate] et triacle esprouver. » Les Ditz de maistre Aliboron. 39 BM : mesgnie (« Arrière ! » est le cri public <vers 67> des charlatans qui attirent les curieux en leur faisant croire que ce qu’ils montrent est dangereux. Cf. Légier d’Argent, vers 1 et note.) 40 BM : Sa margot sa se musequin (Margot est un nom de prostituée. Il désigne ici la fausse et néanmoins satanique couleuvre : le serpent, symbole de la luxure, est féminisé.) « Çà, çà ! » est l’ordre qu’on donne aux chiens pour qu’ils attaquent. Bref, le triacleur fait mine de lâcher sur le peuple l’anguille sanguinaire. 41 Je n’ai pas l’habitude qu’on déclame un cri public avant mon sermon. « Je n’ay point aprins que je donge/ Mes draps. » Farce de Pathelin. 42 Un pion est un homme qui ne cesse de « pier », de boire du vin. Cf. le Ramonneur de cheminées, vers 206 et note. Rien à voir avec le véritable « sainct Pion, abbé en la Thébaïde », lequel buvait « de l’eau d’un puits qui estoit fort amère ». Yves de Magistri. 43 BM : les (De tous les ivrognes.) 44 Des pommades. Idem vers 89 et 129. 45 Il continue sa liste des ivrognes, qu’il ne terminera jamais, et pour cause… 46 Tout est nul. « C’est tout néant se la couille ne balle [ne danse]. » (Ballade.) On prononce nian en 1 syllabe, qui rime avec friand : « Gaultier Fait-nyent [fainéant]. » Testament Pathelin. 47 BM : gringatoire (Un purgatif, un vomitif. « L’expert médecin (…) lui donne purgatoire et médecine. » Christine de Pizan.) Le triacleur fait un calembour sur le Purgatoire que le pardonneur prétend éviter à ses clients. D’où la réponse indignée dudit pardonneur. 48 Appétissant. Il s’agit de noix vomique. 49 BM : est (Un truand est un gueux, un resquilleur.) 50 BM : et approuueurs (Un éprouveur de triacle est un charlatan : « Ou ung esprouveur de triacle. » Tout-ménage.) 51 Sont en bonne réputation. 52 BM : de bresmes (Des onguents des Bohémiens.) Plus les remèdes et les reliques viennent de loin, plus on leur prête de crédit. Autre argument alléchant, les Bohémiens avaient la réputation sulfureuse d’être des hérétiques, comme le grand Turc du vers 58 : « Je congnois la faulte des Boesmes. » Villon. 53 Chez. On situait le royaume imaginaire du Prêtre Jean vers l’Éthiopie : cf. Pour porter les présens, vers 271. Comme le dit l’apothicaire du Mystère de la Passion d’Arras : « Jusques au pays Prestre Jehan,/ N’en a point de plus affiné :/ C’est fin oingnement esprouvé. » 54 Qu’il soit en mauvaise année, en malheur, celui qui le croira. Cf. le Cousturier et son Varlet, vers 143 et 188. 55 « Un lanternier : un badin, un niais, un fascheux. » (Antoine Oudin.) Cf. Daru, vers 231 et 553. 56 Où les corporations de métiers sont autorisées. Il y eut peut-être des mafias de triacleurs, mais sûrement pas de corporations ! 57 Vers manquant. 58 BM : recouuerte (Retrouvé.) 59 BM : Autant (Avant d’aller jusqu’à la Porte de la ville pour en sortir.) 60 « Poison » était encore féminin. Le réalgar est un poison (note 4). « En réalgar, en arcenic rochier. » Villon. 61 En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Cf. André de La Vigne, vers 33. 62 Mordu par la vipère aspic que je tiens dans mes mains. Cf. Clément Marot, vers 17. 63 Des difficultés. Les 3 finales en -oine riment avec pleine. 64 Du porc de saint Antoine. Cf. les Rapporteurs, vers 269. 65 Pour se moquer du faux moine, le triacleur le compare à un moineau. « Tendant [des pièges] ou chassant aus moines. » La Curne, d’après Du Cange. <Le second exemple donné par La Curne est faux : il faut lire moindre au lieu de moine.> 66 Pondu. La Barbarie (ancien nom de la Berbérie) englobe tous les pays musulmans. 67 Des drogues : des médicaments. Cf. Maistre Doribus, vers 69 et 144. 68 Croyez-le puisque je vous le dis. Sur le pronom normand « lay », voir la note 12 du Vendeur de livres. 69 Tromperie. 70 Rendre. Cf. le Monde qu’on faict paistre, vers 257. 71 Chez Ponce Pilate, devant qui Jésus fut conduit après le chant du coq. « Cheux » est la forme normande de « chez » : cf. le Savatier et Marguet, vers 147 et 154. 72 Peut-être le Mont Gelé, dans les Alpes valaisannes. 73 Que de la fiente de poule. 74 Près de la Terre sainte, de la Palestine. 75 Celui qui. « Que la fièvre quartaine serre/ Celluy qui vous a mis icy ! » Le Franc-archier de Baignollet. 76 Sa pommade, c’est de la bouillie pour les bébés. 77 Le triacleur invente des noms de pays lointains. D’abord, cela faisait rêver les acheteurs ; ensuite, on ne risquait pas d’être contredit par un pèlerin qui en revenait. « Turgine » rappelle turgide [en érection], et le latin arcana se traduit par cachée. 78 Cocorico ! Idem vers 156. Cf. Colin filz de Thévot, vers 90 et note. Ce cri de guerre n’est pas un juron blasphématoire, au contraire de ce qu’affirme le triacleur, qui cherche toutes les occasions pour discréditer son rival en soutane. 79 Mon sermon. « La dévote colation de choses espiritueles. » ATILF. 80 Je fais appel, opposition. Cf. les Femmes qui font refondre leurs maris, vers 158. 81 Voici la plume. Les séraphins aux ailes emplumées volettent auprès de Dieu. 82 C’est le vers que dit frère Serre-porte à la femme qu’il veut « con fesser » dans sa chambre. 83 Tromper. 84 BM : triacleur. 85 Voir la note 78. Le triacleur, trop content, réitère son accusation de blasphème. Vers identique dans Deux Hommes et leurs deux femmes. 86 Barils dans lesquels les harengères stockent le hareng saur et les anchois. 87 Cerbère, le chien qui gardait la porte des Enfers, avait trois têtes. Mais la culture classique du charlatan laisse à désirer : voir les vers 222-3. Pour caricaturer son concurrent, il se met à énumérer des reliques encore plus fantaisistes que les siennes. 88 BM : parties (Du côté du marais de l’Enfer.) « Et Proserpine ès infernaulx palus. » Villon. 89 Le faux prêtre ne connaît que ces deux mots latins. Le Sot du Gaudisseur, poussé dans ses retranchements par la mauvaise foi d’un affabulateur, ne trouve plus rien d’autre à lui opposer que des interjections en latin, parmi lesquelles : « Bénédicité ! » 90 Cette diablesse, traditionnellement jouée par un comédien barbu, éructe dans de nombreux Mystères et dans la farce du Munyer. 91 On fait de l’alchimie. Mais aussi : Une racine aphrodisiaque pour faire l’amour. « On faict ensemble l’arquemye. » (Marchebeau et Galop.) Dans les deux cas, cette racine n’est autre que la mandragore, qui naissait de l’éjaculation des pendus. 92 BM : racine (Dans cette gâtine, cette terre en friche qu’est l’Enfer.) 93 Dressés, habitués. Le Roman d’Alexandre, un des succès de la littérature médiévale, explique comment Alexandre voyage dans les airs en étant tiré par des griffons. 94 Une châtaigne de mer : un oursin. Mais le triacleur montre une bogue de marron. 95 Dans le creux d’un tourbillon. 96 Qu’il s’économise. 97 Anuit, aujourd’hui. 98 Ce fleuve arrose Rouen. On y jetait facilement les gêneurs, comme dans la farce normande Martin de Cambray (F 41) : « Que fust-il en ung sac en Seine ! » 99 Lesté d’une chaîne pour que son cadavre ne remonte pas. 100 Après, bien sûr, il aura le droit de remonter à la surface. 101 Cela ne me dérange pas que tu parles. 102 Il est au summum. 103 La farce de Janot dans le sac se moque d’un naïf qu’un faux ange prétend faire monter au paradis à l’intérieur d’un sac. 104 Adoré : le Vendredi saint. 105 Conter. Idem vers 14. 106 BM : icy (Fait à partir de mandragore.) Le mot « mendragan », que je n’ai jamais lu ailleurs, se souvient peut-être de Pendragon, l’ami de l’enchanteur Merlin. 107 Cet oiseau – qui n’a donc pas d’oreilles – était alors entouré de légendes. 108 Les nids. Il n’y avait qu’un seul phénix, et non quatre : à sa mort, il renaissait de ses cendres. Tissier cite le Roman de la Rose : « Il n’en puet estre .II. ensamble ;/ Touz jors est-il uns seuls phéniz. » 109 La montagne Artos, en Turquie, était alors inconnue des Occidentaux. Comme le suggère Tissier, il s’agit plutôt du Mont Athos, en Grèce. 110 BM : les 111 BM : de (Tirés du crâne d’un cheval navarrin.) Si ce vers est juste – et c’est loin d’être sûr –, il était dit en aparté. 112 Ce saint priapique fut sans doute honoré d’un Sermon joyeux, comme sainte Andouille. « La damoyselle, friande du boudin, ne refusoit un jeune marchant de la ville. » Les Joyeuses adventures. 113 BM : tarente (La ville de Tarente se trouve au sud de l’Italie ; celle de Trente est au nord.) À la rigueur, Geoffroy à la Grand Dent est peut-être passé par Trente lorsqu’il est allé à Rome, mais nous sommes loin du Golgotha que mentionne le vers 215. 114 C’est un des fils de la fée Mélusine (vers 55) et un ancêtre de Pantagruel. 115 Dans une crevasse engendrée par la foudre. « Il y avoit un abysme, ayant un précipice, comme une foudrière fort creuse & obscure. » Æmar Hennequin. 116 D’animaux chimériques. « À la venue des cocquecigrues. » Gargantua, 49. 117 J’ai un morceau de la poutre qui soutient le ciel. 118 Ce n’est pas un bout de bois, c’est un noyau de prune. Le pardonneur sous-entend que son adversaire chaparde dans les jardins. 119 BM : herpe (Harpe rime avec happe.) « David y vint atout sa harpe. » Le Capitaine Mal-en-point. 120 À la devanture de sa taverne, elle attend les consommateurs, qui ne viennent pas. On trouve un petit rôle de tavernière dans le Brigant et le Vilain, et un grand rôle dans le Vilain et la Tavernière. 121 Ma clientèle. Les malfrats se réunissaient dans certaines tavernes comme celle-ci. 122 Quelques décennies plus tard, Philippe de Marnix en parlera encore : « Ces triacleurs de Venise qui, depuis trente ou 40 ans en çà, ont couru le monde, vendu en toutes foires leurs triacles. » La farce qui précède la nôtre dans le recueil du British Museum s’intitule le Pont aux Asgnes (BM 25) : un charlatan qui s’y fait appeler « messire Domine Dé » prétend venir de Calabre. 123 Qui glanent de l’argent. 124 Avaient coutume. « Cians » rime avec « Amians » et « bians », ce qui confirme une origine nordique de la pièce. 125 D’articles à vendre. 126 BM : lhuys (Une des ferrures de la planche.) Le triacleur croit que la Terre est plate, ce qui eût fait hausser les épaules aux vrais savants. Cf. Patrick Gautier Dalché : La Terre était-elle plate au Moyen Âge ? In : Le Vrai visage du Moyen Âge. Vendémiaire, 2017, pp. 229-239. 127 BM : geand. (David tua Goliath avec une fronde.) 128 BM : scez par ton mesme (Tu es par toi-même informé. « Nous sommes recors/ Qu’il a ressuscité deux mors. » ATILF.) 129 Mendiants. Les « deux coquins » du Pasté et la Tarte ne quémandent jamais ensemble devant une même porte (vers 30). 130 Boire et manger avec gourmandise. Ils prennent leurs sacs et passent devant la tavernière qui, par « curiosité féminine », ne peut s’empêcher d’écouter leurs propos. 131 On buvait ce vin dans toute la France. 132 BM : en (Sans avoir besoin de gloses savantes.) 133 Les Normands prononçaient « pardonneux ». 134 J’en suis sûre. « Et se tenoit pour tout asseur que il auroit la guerre au roy de France. » Froissart. 135 S’il ne vous festoyait, ne vous faisait fête. 136 Il avait coutume de. Le mari n’est pas mort : ne trouvant plus aucun patient, il a juste changé de profession. 137 Il n’y a pas plus menteur qu’un arracheur de dents, qui fait croire à ses victimes qu’il va les opérer sans douleur. On traitait Nostradamus de « triacleur & aracheur de dens » : Frère Fécisti, note 122. 138 Elle sert à boire et à manger aux deux hommes attablés. 139 C’était le cas. « Mon » est une particule de renforcement. 140 Vous ne resterez pas en rade : je vous ferai crédit. 141 Acte 2. Les deux hommes ont fini de dîner. Ils ont élaboré une ruse pour ne pas régler l’addition. 142 BM : choses (Le pardonneur montre à la tavernière le coffret que son comparse lui a confié au vers 257.) 143 Nous vous en faisons cadeau (à condition de ne rien vous payer). 144 Le bonnet d’un des enfants que le roi Hérode fit décapiter. Les pardonneurs vendaient même la barbe de ces nourrissons : « Ilz vendent les plumes du Sainct-Esperit ; ilz portent les os de quelque mort qui, à l’adventure, est damné ; ilz monstrent bien le poil de quelques vieulz chevaulx, disant que c’est de la barbe des Innocens. » Jehan Drouyn. 145 En souvenir de nous. À point = en bon état. 146 Ne l’ouvrez pas. 147 Au cours du repas, les dîneurs ont appris que leur hôtesse s’appelle « Peu fille » : peu vierge. La cliente parisienne de Mahuet se nomme également Peu-fille (vers 169). Dans la farce italianisante des Trois commères, la plus débauchée des trois se nomme aussi Puoc-file. 148 BM : conduise (« Dieu me conduye ! » Les Gens nouveaulx.) Les deux hommes s’en vont. 149 Bénie. « Et ! benoiste soit la vieille ! » Rabelais, Tiers Livre, 18. 150 Elle a eu son compte. « J’en ay pour une ! » Testament Pathelin. 151 Rongée par la « curiosité féminine », elle palpe le coffret, le secoue, et tente de voir à l’intérieur sans oser l’ouvrir. Le comédien devait se livrer à une hilarante scène de mime. 152 Sotte. 153 BM : Fresle (Faible.) De propre nature = Qui agit par soi-même. « Je l’aime de propre nature,/ Et elle moy. » Villon. 154 Je ne veux pas abîmer la relique. 155 Elle entrouvre prudemment la boîte, et recule à cause de l’odeur qui s’en dégage. 156 Juron normand. Dans la Muse normande, un moucheur de chandelles qui se brûle les doigts s’écrie : « Sique ! y l’est caut. » [Zut ! c’est chaud.] 157 En guise de relique, la tavernière sort de la boîte des braies tachées d’excréments. Les braies sales de frère Guillebert passent aussi pour être une relique miraculeuse. 158 Que de tromperies déloyales. 159 J’y vais (me plaindre à mon mari).